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24/03/1994 | CANADA | N°[1994]_1_R.C.S._701

Canada | R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701 (24 mars 1994)


R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Imre Finta Intimé

et

Canadian Holocaust Remembrance Association,

Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith Canada,

Congrès juif canadien et InterAmicus Intervenants

Répertorié: R. c. Finta

Nos du greffe: 23023, 23097.

1993: 2, 3 juin; 1994: 24 mars.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin et Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI ET POURVOI INCIDENT co

ntre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1992), 92 D.L.R. (4th) 1, 73 C.C.C. (3d) 65, 14 C.R. (4th) 1, 53 O.A.C. 1, 9 C.R.R. (2d...

R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Imre Finta Intimé

et

Canadian Holocaust Remembrance Association,

Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith Canada,

Congrès juif canadien et InterAmicus Intervenants

Répertorié: R. c. Finta

Nos du greffe: 23023, 23097.

1993: 2, 3 juin; 1994: 24 mars.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin et Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI ET POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1992), 92 D.L.R. (4th) 1, 73 C.C.C. (3d) 65, 14 C.R. (4th) 1, 53 O.A.C. 1, 9 C.R.R. (2d) 91, qui a rejeté un appel d'un acquittement prononcé par le juge Campbell siégeant avec jury. Pourvoi rejeté, les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé et McLachlin sont dissidents. Pourvoi incident rejeté. Les paragraphes 7(3.74) et 7(3.76) du Code criminel ne violent pas l'art. 7, les al. 11a), b), d), g), ni les art. 12 ou 15 de la Charte.

C. A. Amerasinghe, c.r., et Thomas C. Lemon, pour l'appelante.

Douglas H. Christie et Barbara Kulaszka, pour l'intimé.

David Matas, pour l'intervenante la Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith Canada.

Edward M. Morgan, pour l'intervenant le Congrès juif canadien.

Joseph R. Nuss, c.r., et Lieba Shell, pour l'intervenant InterAmicus.

Version française des motifs rendus par

Le juge en chef Lamer -- J'ai lu les motifs de mes collègues les juges La Forest et Cory. Pour les motifs énoncés par le juge Cory, je suis d'avis de rejeter le pourvoi. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi incident en raison de son caractère théorique.

Version française des motifs des juges La Forest, L'Heureux-Dubé et McLachlin rendus par

Le juge La Forest (dissident) — Le présent pourvoi porte sur le sens des par. 7(3.71) à (3.73) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, qui constituent le régime conçu par le législateur pour que les criminels de guerre et les auteurs de crimes contre l'humanité soient traduits en justice au Canada. Il soulève également bon nombre de questions touchant la constitutionnalité de ces dispositions au regard de plusieurs dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés.

Les dispositions en question ont été adoptées à la suite du rapport de la Commission Deschênes sur les criminels de guerre, Rapport de la Commission d'enquête sur les criminels de guerre — Jules Deschênes, commissaire (1986). La Commission a été créée par le décret no 1985‑348, qui énonçait en partie que le «gouvernement du Canada souhaite prendre toutes les mesures nécessaires pour traduire en justice les criminels de guerre pouvant se trouver sur le territoire canadien». Bien que le rapport, publié le 30 décembre 1986, énumère 774 personnes qu'on allègue être des criminels de guerre résidant au Canada, il n'y a eu à ce jour aucune déclaration de culpabilité fondée sur les par. 7(3.71) à (3.73). Il s'agit en l'espèce de la première poursuite intentée en vertu de ces dispositions législatives.

Les faits

L'accusé, Imre Finta, est né à Kolozsvar (Hongrie) (qui fait maintenant partie de la Roumanie) en 1912. Dans les années 1930, il vit à Szeged (Hongrie), où il étudie le droit. En 1935, M. Finta s'enrôle dans l'Académie militaire royale de la Hongrie et, en janvier 1939, il est nommé officier dans la Gendarmerie royale de la Hongrie. Celle‑ci est plus exactement décrite comme une force policière paramilitaire armée qui sert le gouvernement hongrois en exerçant une certaine force politique dans les parties les plus rurales du pays. En 1942, M. Finta a atteint le rang de capitaine dans cette organisation notoire.

En mars 1944, il est nommé commandant de la division des enquêtes de la Gendarmerie à Szeged. Le même mois, la Hongrie est occupée par les forces du Troisième Reich. Bien que la Hongrie se soit jointe aux pays de l'Axe en 1940, l'Allemagne met en place un gouvernement fantoche encore plus pro‑allemand dans la capitale hongroise de Budapest, si bien que, durant la période pertinente, la Hongrie est en fait occupée. Sous l'autorité directe des SS allemands, la police hongroise et la Gendarmerie contribuent toutes deux à l'application des lois antisémites adoptées par le gouvernement nazi de l'Allemagne et le gouvernement hongrois sous sa férule.

Les accusations portées contre M. Finta sont reliées à l'époque où il vivait à Szeged. On allègue que M. Finta a été chargé, au printemps 1944, de «déjudaïser» Szeged. Il s'autorisait alors de ce qu'on a appelé le «décret de Baky», pris par le ministre de l'Intérieur hongrois le 7 avril 1944. Essentiellement, le «décret de Baky» prévoit l'isolation, l'expropriation totale, le rassemblement dans les ghettos, la concentration, l'embarquement et enfin la déportation (principalement à Auschwitz et à Birkenau) de tous les Juifs hongrois. Une fois dans ces camps, ces Juifs ont été soit exterminés immédiatement, soit assignés aux travaux forcés, puis exterminés. Les événements de Szeged se sont répétés dans les villes et villages de la Hongrie pendant tout ce funeste printemps. Il n'y a pas de doute que ce plan, que mon collègue le juge Cory a décrit dans tous ses détails morbides, s'inscrivait dans ce que les Nazis eux‑mêmes ont appelé la «solution finale» au «problème juif», c'est‑à‑dire le massacre systématique de tous les Juifs européens.

En 1947 et 1948, M. Finta a été jugé et déclaré coupable in absentia par un tribunal de Szeged pour «crimes contre le peuple» en raison du rôle qu'il a joué à titre de capitaine de la Gendarmerie, au printemps 1944, dans l'élimination de la population juive de Szeged. En 1951, Finta a immigré au Canada et, en 1956, il est devenu citoyen canadien. Depuis lors, il vit ici.

Monsieur Finta a été accusé de séquestration, de vol qualifié, d'enlèvement et d'homicide involontaire coupable commis contre 8 617 Juifs entre le 16 mai et le 30 juin 1944 à Szeged (Hongrie) ou aux environs, et d'avoir ainsi commis une infraction visée par la définition de ces crimes au Code criminel en vigueur à l'époque où les infractions ont été commises. L'acte d'accusation indique également que ces infractions constituent des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre aux termes de ce qui est maintenant le par. 7(3.71) du Code criminel. Ce dernier renvoi a été ajouté parce que les crimes commis à l'étranger ne peuvent normalement faire l'objet de poursuites au Canada, les infractions criminelles étant généralement limitées aux actes commis au Canada (art. 6 du Code), alors que l'acte allégué en l'espèce a été commis en Hongrie. Le paragraphe 7(3.71) permet toutefois qu'une poursuite soit engagée à l'égard de l'acte commis à l'extérieur du Canada si cet acte constitue un crime contre l'humanité ou un crime de guerre qui, s'il avait été commis au Canada, y aurait constitué un crime à l'époque où il a été commis. Comme le juge Cory le signale, la question principale en l'espèce porte sur la signification de cette disposition et de celles qui y sont reliées, qui permettent que des personnes soient poursuivies au Canada relativement à des infractions aux lois du Canada si ces infractions constituent également des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre en droit international.

Mon collègue a exposé l'historique judiciaire de l'affaire. Je suis donc dispensé de le reprendre, sauf dans la mesure où la formulation de mes opinions l'exige. Pour l'instant, il suffit d'exposer les étapes principales de l'instance. À la suite d'une requête préliminaire présentée devant le regretté juge en chef adjoint Callaghan de la Cour de l'Ontario, Division générale, afin que soient étudiées certaines questions concernant la constitutionnalité des dispositions législatives au regard de la Charte, un procès a été tenu devant le juge Campbell, siégeant avec jury. L'accusé a été acquitté, acquittement que la Cour d'appel de l'Ontario à la majorité a confirmé, le juge en chef Dubin et le regretté juge Tarnopolsky étant dissidents. Le ministère public se pourvoit contre cette décision devant notre Cour, faisant valoir sept moyens d'appel.

Les questions en litige

Il suffit que j'examine les deux premiers moyens d'appel. Ils concernent (1) le sens de la nature juridictionnelle des dispositions relatives aux crimes de guerre et (2) les exigences du droit international relatives à l'élément moral requis à l'égard de tels crimes. C'est à mon avis en raison des graves erreurs commises à l'égard de ces questions qu'un nouveau procès doit être ordonné. Cela étant, je n'ai pas à examiner les autres questions qui, pour la plupart, portent sur la manière dont le procès s'est déroulé. Il est vrai toutefois que, si les dispositions avaient été interprétées comme je le propose, certaines difficultés, notamment celles relatives à l'exposé incendiaire de l'avocat de la défense, auraient pu être évitées ou à tout le moins atténuées.

Dans mon analyse des deux questions que j'ai énoncées, je tenterai seulement de saisir l'intention du législateur lorsqu'il a adopté la disposition relative aux crimes de guerre, en me rapportant aux règles ordinaires d'interprétation des lois. Le juge du procès et la Cour d'appel à la majorité ont tenté d'interpréter cette disposition à la lumière de certaines de leurs préoccupations face aux incidences de la Charte. Certes, je conviens qu'entre l'interprétation d'une disposition qui est compatible avec la Charte et celle qui ne l'est pas, il faut préférer la première, mais les tribunaux ne sont toutefois pas pour autant autorisés à récrire l'article en question; voir l'arrêt R. c. Symes, [1993] 4 R.C.S. 695. Quoi qu'il en soit, la disposition, interprétée selon les règles ordinaires d'interprétation législative, ne viole à mon avis en aucune façon les valeurs reconnues dans la Charte. J'analyserai plus tard les questions relatives à la Charte qui forment le leitmotiv sur lequel repose la méthode interprétative avancée par l'intimé, et je conclurai avec les autres contestations fondées sur la Charte soulevées dans le pourvoi incident.

Avant d'entreprendre l'étude détaillée des questions que je viens d'énoncer, il importe en premier lieu d'exposer l'économie générale des par. 7(3.71) à (3.77) et leur corrélation avec le droit international, puisque c'est, à mon avis, une première étape essentielle à l'examen des questions données. En effet, le fait de ne pas avoir saisi ces questions générales me semble être à l'origine de la plus grande part de la confusion en l'espèce.

La corrélation entre le droit international et les par. 7(3.71) à (3.76)

Les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité sont des crimes en droit international. Ils sont conçus de manière que soient observées les prescriptions du droit international qui visent la protection de la vie et des droits fondamentaux de chaque individu, particulièrement, comme il convient à une prescription internationale de le faire, contre les actes de l'État. Ils sont des actes universellement reconnus comme ayant un caractère criminel selon les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations. Si certains de ces crimes ont été considérablement précisés dans les documents internationaux, dans l'ensemble, ils n'ont pu faire l'objet d'autant de précision que ce que l'on retrouve dans un régime juridique national. Les crimes contre l'humanité, en particulier, sont énoncés en termes généraux et succincts, qui reposent en grande partie sur les principes de criminalité généralement reconnus par la communauté internationale. Ainsi, le par. 7(3.76) définit ainsi les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre:

7. . . .

(3.76) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

. . .

«crime contre l'humanité» Assassinat, extermination, réduction en esclavage, déportation, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain d'une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes — qu'il ait ou non constitué une transgression du droit en vigueur à l'époque et au lieu de la perpétration — et d'autre part, soit constituant, à l'époque et dans ce lieu, une transgression du droit international coutumier ou conventionnel, soit ayant un caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations;

«crime de guerre» Fait — acte ou omission — commis au cours d'un conflit armé international — qu'il ait ou non constitué une transgression du droit en vigueur à l'époque et au lieu de la perpétration — et constituant, à l'époque et dans ce lieu, une transgression du droit international coutumier ou conventionnel applicable à de tels conflits.

Comme les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité sont des prescriptions qui régissent l'ordre juridique international, ils doivent s'appliquer contre les États, qui ont de fait dû rendre des comptes devant divers tribunaux internationaux. Cependant, un État doit de toute évidence agir par l'entremise d'individus; ce serait donc fermer la porte à la poursuite et à la punition des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité que d'absoudre les individus de toute culpabilité à l'égard de tels crimes pour le seul motif qu'ils n'ont pas transgressé le droit de l'État au nom duquel ils ont agi. Par conséquent, il est évident que la seule existence de ce droit ne peut constituer un moyen de défense dont peut se prévaloir la personne accusée d'avoir commis un crime de guerre. Cela a été bien expliqué dans Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international, t. 22 (1946) (Texte officiel en langue française), aux pp. 495 et 496:

On fait valoir que le Droit international ne vise que les actes des États souverains et ne prévoit pas de sanctions à l'égard des délinquants individuels. On a prétendu encore que lorsque l'acte incriminé est perpétré au nom d'un État, les exécutants n'en sont pas personnellement responsables; ils sont couverts par la souveraineté de l'État. Le Tribunal ne peut accepter ni l'une ni l'autre de ces thèses.

. . .

. . . la violation du Droit international fait naître des responsabilités individuelles. Ce sont des hommes, et non des entités abstraites, qui commettent les crimes dont la répression s'impose, comme sanction du Droit international.

Ce principe a été adopté dans la loi canadienne. Le paragraphe 7(3.74) du Code criminel, dispose en effet que:

7. . . .

(3.74) Par dérogation au paragraphe (3.73) et à l'article 15, une personne peut être déclarée coupable d'une infraction à l'égard d'un fait visé au paragraphe (3.71), même commis en exécution du droit en vigueur à l'époque et au lieu de la perpétration ou en conformité avec ce droit.

L'existence de telles lois de facto n'est toutefois pas entièrement sans pertinence dans l'examen des cas où une personne n'avait eu d'autre liberté morale que de faire ce qu'elle a fait. On peut le constater par la formulation en 1950, par la Commission du droit international, des Principes du Statut et de l'arrêt de Nuremberg; voir Documents officiels de l'Assemblée générale des Nations Unies, 5e sess., suppl. no 12 (A/1316). L'article IV de ces principes dispose:

Principe IV

Le fait d'avoir agi sur l'ordre de son gouvernement ou celui d'un supérieur hiérarchique ne dégage pas la responsabilité de l'auteur en droit international, s'il a eu moralement la faculté de choisir.

Cela étant dit, je remarque en passant que les crimes de guerre n'ont généralement rien de subtil. L'aspect moral s'impose immédiatement à la conscience de la personne douée de sensibilité morale. Le fait de tirer sur des civils en l'absence d'erreur de fait ou d'ordre d'un supérieur en est un exemple. Dans le dernier cas, l'accusé ne peut recourir à ce moyen de défense que s'il n'a aucune liberté morale, auquel cas il existe des moyens de défense tant en droit international qu'en droit interne. Cela mis à part, ces actes entraînent évidemment la culpabilité morale de l'auteur. C'est sûrement le cas des faits en l'espèce, où le rassemblement de 8 617 hommes, femmes et enfants sans défense, leur isolation et leur transport dans des conditions indescriptibles à l'extérieur du pays, où ils devaient subir leur destin, semblent moralement vils et inexcusables s'il appert que l'accusé a agi ainsi sans excuse, moyen de défense ou justification valide.

Puisque les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité reflètent les opinions des membres de la famille des nations, qui sont formulées non seulement dans les conventions internationales, mais également dans le droit international coutumier relatif à de tels crimes, il s'ensuit que l'on pourrait invoquer en droit international des justifications, excuses et moyens de défense semblables à ceux qui s'appliquent aux mêmes crimes en droit interne. En effet, le droit international a notamment comme source «les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées» (voir l'al. 38(1)c) du Statut de la Cour internationale de Justice, Actes et documents relatifs à l'organisation de la Cour, No 4, Charte des Nations Unies, Statut et Règlement de la Cour et autres textes (1978)), élément expressément mentionné dans la définition de «crime contre l'humanité». Ainsi donc, ces justifications, excuses et moyens de défense sont prévus au par. 7(3.73) du Code. Les questions d'intention morale, de nécessité, de coercition et d'erreur de fait, de même que les moyens de défense expressément offerts aux policiers et aux forces militaires sont d'une pertinence particulière à l'égard des crimes de guerre. Il existe également d'autres moyens de défense à l'égard des crimes internationaux, comme la nécessité militaire, les ordres de supérieurs et le risque de représailles. Aux termes du par. 7(3.73), la personne accusée sous le régime de la loi canadienne peut se prévaloir des justifications, excuses ou moyens de défense reconnus en droit international et en droit canadien à l'époque de la perpétration de l'infraction reprochée. Le paragraphe 7(3.73) dispose:

7. . . .

(3.73) Sous réserve du paragraphe 607(6) et bien que le fait visé au paragraphe (3.71) constitue une infraction au droit canadien en son état à l'époque de la perpétration, l'accusé peut, dans le cadre des poursuites intentées sous le régime de la présente loi à l'égard de ce fait, se prévaloir des justifications, excuses ou moyens de défense reconnus à cette époque ou celle du procès par le droit canadien ou le droit international.

Selon les principes ordinaires du droit criminel appliqués par les tribunaux canadiens, tout doute raisonnable sur ces questions doit être résolu en faveur de l'accusé.

Puisque les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité sont des crimes contre les prescriptions internationales et que, de fait, ils attaquent la structure même de l'ordre juridique international, ils ne sont pas, en droit international, assujettis à la prescription juridique générale (reproduite au par. 6(2) du Code), portant que les auteurs de crimes doivent généralement être poursuivis et punis dans l'État où ils ont commis le crime; voir Attorney‑General of the Government of Israel c. Eichmann (1961), 36 I.L.R. 5. En fait, la communauté internationale a encouragé les États membres à engager des poursuites à l'égard des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, où qu'ils aient été commis. Voir les quatre Conventions de Genève de 1949 (Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne du 12 août 1949, 75 R.T.N.U. 31, Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer du 12 août 1949, 75 R.T.N.U. 85, Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949, 75 R.T.N.U. 135, et Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949, 75 R.T.N.U. 287); Résolution des Nations Unies sur les Principes de la coopération internationale en ce qui concerne le dépistage, l'arrestation, l'extradition et le châtiment des individus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, A.G. Rés. 3074, 28 N.U. AGDO, suppl. (no 30) 85, Doc. A/9030 N.U. (1973); War Crimes Amendment Act 1988, 1989 Austr., no 3; War Crimes Act 1991, 1991 (R.‑U.), ch. 13; Restatement (Third) of the Law, the Foreign Relations Law of the United States, vol. 1, § 404 (1987); Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international, précité, à la p. 491; The Almelo Trial, 1 Law Reports of Trials of War Criminals 35 (1945) (U.S.M.T. Almelo); Trial of Lothar Eisentrager, 14 Law Reports of Trials of War Criminals 8 (1949) (U.S.M.T. Shanghai), à la p. 15; The Eichmann Case, précité, à la p. 50, conf. par (1962), 36 I.L.R. 277, à la p. 299 (C.S. Isr.); Demjanjuk c. Petrovsky, 776 F.2d 571 (6th Cir. 1985), aux pp. 582 et 583, certiorari refusé, 475 U.S. 1016 (1986); I. Brownlie, Principles of Public International Law (4e éd. 1990), à la p. 305; S. A. Williams et A. L. C. de Mestral, An Introduction to International Law (2e éd. 1987), aux pp. 130 et 131. Il serait vain de se reposer uniquement sur l'État où un tel crime a été commis, puisqu'il arrive fréquemment que cet État soit impliqué, particulièrement dans les crimes contre l'humanité. C'est ce qu'a exposé avec force et sans équivoque le tribunal militaire des États‑Unis dans les procès Justice (Josef Altstötter Trial (The Justice Trial)), 6 Law Reports of Trials of War Criminals 1 (1947) (U.S.M.T. Nuremberg), où il dit, à la p. 49:

[traduction] La poursuite prétend essentiellement que les lois, les décrets de Hitler et le système judiciaire nazi, lequel était draconien, corrompu et pervers, constituaient eux‑mêmes l'essence des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, et que la participation dans leur adoption et leur application équivaut à une complicité dans le crime. Nous avons souligné que la participation du gouvernement est un élément important du crime contre l'humanité. C'est seulement lorsque les organes officiels de souveraineté ont pris part aux atrocités et à la persécution que ces crimes ont revêtu des proportions internationales.

Le principal intérêt dans le cas de crimes contre l'humanité porte sur des facteurs comme la persécution encouragée ou sanctionnée par l'État, et non sur la haine particulière que ressent un individu envers un groupe déterminé ou le public en général. La poursuite extra‑territoriale est donc une nécessité pratique dans le cas des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Non seulement il est peu vraisemblable que l'État où le crime a été commis poursuive l'auteur, mais, après la cessation des hostilités ou des autres circonstances encourageant la perpétration des crimes, leurs auteurs ont tendance à se disperser aux quatres coins de la terre. Les criminels de guerre pourraient donc éviter toute punition simplement en fuyant la juridiction où le crime a été commis. La communauté internationale a à bon droit éliminé cette possibilité.

Si l'on revient à la corrélation entre, d'une part, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité et, d'autre part, le droit criminel canadien, il convient de remarquer que la Commission Deschênes était d'avis qu'une poursuite pouvait être intentée contre un criminel de guerre devant une cour supérieure canadienne de juridiction criminelle sur le fondement de la violation des «principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations». Cette conclusion était fondée sur deux facteurs: (1) l'al. 11g) de la Charte qui, de l'avis de la Commission, a adopté le droit international «coutumier» lato sensu dans le droit canadien, et (2) le principe de la compétence universelle; voir Commission Deschênes, op. cit., à la p. 142. Toutefois, la Commission a rejeté cette option pour le motif qu'«une poursuite en vertu du droit international semble trop ésotérique»; ibid., à la p. 142. La Commission s'est dite d'avis qu'il serait préférable, en matière de poursuites de criminels de guerre, que le législateur adopte une loi habilitante grâce à laquelle il serait possible de poursuivre les criminels de guerre au Canada sur le fondement de crimes connus en droit criminel canadien. Suivant le principe de l'universalité inhérent à ces actes cruels, le volet international des crimes maintiendrait le lien juridictionnel avec le Canada, pourvu que les crimes en question aient été connus en droit international à l'époque et au lieu de leur perpétration.

Malgré l'hypothèse de la Commission Deschênes selon laquelle, conjugué à l'universalité de la compétence en matière de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, l'al. 11g) de la Charte pourrait fonder une poursuite au Canada, il n'est pas évident que les auteurs de ces crimes puissent être poursuivis au Canada en l'absence d'une loi le permettant. Par analogie avec la jurisprudence internationale dans ce domaine, on pourrait certainement soutenir que la norme internationale concernant l'universalité de la compétence ne fait qu'accorder une faculté (voir Affaire du «Lotus» (1927), C.P.J.I, sér. A, no 10), et le libellé de l'al. 11g) de la Charte paraît lui aussi être rédigé dans des termes qui accordent une faculté. Il n'est donc pas du tout évident qu'une poursuite pourrait automatiquement être intentée à l'égard de ces crimes devant les tribunaux des divers États, particulièrement au Canada où, sauf exception expresse, les crimes doivent avoir été commis sur le territoire canadien (art. 6 du Code). Dans ces circonstances, il n'est guère surprenant que le législateur ait jugé opportun, en adoptant le par. 7(3.71) du Code, de conférer la compétence aux tribunaux canadiens en prévoyant expressément que, nonobstant les autres dispositions du Code ou par dérogation à toute autre loi, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité est réputé avoir été commis au Canada.

Toutefois, à l'instar de la Commission, et tout à fait à raison à mon avis, le législateur a accepté le point de vue selon lequel les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité seraient des crimes au Canada. En effet, bien qu'ils ne puissent, dans ces termes, être des crimes en droit canadien, ils sont essentiellement le reflet des principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations et seraient donc, s'ils étaient commis au Canada, l'objet de poursuites ici en vertu de diverses dispositions. Il est évident que des expressions concises comme «assassinat, extermination, réduction en esclavage, déportation, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain» visent des actes et des omissions qui incluent des crimes sous‑jacents particuliers, comme la séquestration, l'enlèvement, le vol qualifié et l'homicide involontaire coupable, dans le cadre de notre système de droit interne. Il existe, en matière d'extradition, une relation assez semblable entre les actes illégaux succinctement décrits dans les traités internationaux et les crimes déterminés dans le cadre du droit interne; voir McVey (Re); McVey c. États‑Unis d'Amérique, [1992] 3 R.C.S. 475, aux pp. 514 et 515.

Je me dois toutefois de signaler que les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité impliquent fréquemment d'autres circonstances qui les rattachent aux normes de droit international qu'ils servent. Ainsi, les crimes contre l'humanité visent à protéger les droits fondamentaux de tous les individus à travers le monde, notamment contre la violation de ces droits par les États. C'est la raison pour laquelle ces crimes visent un «fait — acte ou omission — inhumain d'une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes — qu'il ait ou non constitué une transgression du droit en vigueur à l'époque et au lieu de la perpétration»; voir le par. 7(3.76). Le droit dont il est question dans cette phrase est évidemment le droit interne, et non le droit international comme le soutient l'avocat de l'intimé. Car, à l'époque pertinente, ces crimes violaient la loi des nations. Comme l'a statué le juge en chef adjoint Callaghan dans sa décision préalable au procès en l'espèce (R. c. Finta (1989), 69 O.R. (2d) 557 (H.C.), à la p. 569:

[traduction] Un bref examen des conventions, accords et traités internationaux indique clairement qu'au cours de la Seconde Guerre mondiale, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité étaient reconnus comme étant une infraction en droit international, ou ayant un caractère criminel selon les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations.

Je reviendrai plus loin sur cette proposition, qui est amplement étayée par les sources internationales citées par le juge en chef adjoint Callaghan. Il suffit de noter pour le moment que de nombreux défendeurs jugés à Nuremberg ont également soulevé ce moyen de défense, invoquant la maxime nullum crimen sine lege, qui fut cependant rejetée; Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international, précité, aux pp. 492 à 496; Josef Altstötter, précité, aux pp. 41 à 49. Les propos suivants de Sir David Maxwell‑Fyfe (Avant‑propos dans R. W. Cooper, The Nuremberg Trial (1947)), sont opportuns (à la p. 11):

[traduction] En ce qui concerne les «crimes contre l'humanité», une chose est certaine: lorsqu'ils ont persécuté et tué un nombre incalculable de Juifs et d'opposants politiques en Allemagne, les Nazis savaient que ce qu'ils faisaient était mal et qu'ils commettaient des crimes condamnés par le droit criminel de tous les États civilisés. Ces crimes ayant été combinés à la planification d'une guerre agressive et plus tard à la perpétration de crimes de guerre dans les territoires occupés, on ne peut se plaindre qu'une procédure ait été établie afin qu'ils soient punis.

Je soulignerai néanmoins encore le fait — qui trouve son expression dans le passage cité ci‑dessus — que les actes sous‑jacents des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité sont au Canada essentiellement des crimes qui tombent dans des catégories d'infractions connues dans notre droit, telles la séquestration, l'enlèvement, et autres crimes semblables. Ils seraient également blâmables s'ils étaient commis par des particuliers ou des groupes de criminels pour d'autres motifs vils de même nature. Des éléments supplémentaires sont ajoutés aux crimes contre l'humanité afin qu'ils satisfassent à la norme internationale et que soit permise la poursuite extraterritoriale des criminels par tous les États.

Le même raisonnement s'applique aux crimes de guerre. Il doit évidemment exister un «conflit international armé». Dans d'autres cas, des conditions supplémentaires peuvent être imposées. Tirer sur les forces ennemies n'est généralement pas un crime de guerre, mais tirer sur des civils appelle des conditions plus strictes. D'autres circonstances dans lesquelles une personne agit peuvent également faire la différence pour déterminer si ces actes sont des crimes de guerre ou ne le sont pas. Comme dans le cas de l'existence d'un état de guerre, ces conditions relient les crimes en question aux normes internationales et permettent la poursuite extraterritoriale.

Pour adopter une loi habilitante relative aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité, le législateur pouvait procéder de deux façons. Ces crimes auraient pu simplement devenir des infractions selon leurs propres conditions au Canada, même s'ils avaient été commis à l'étranger. C'est, je crois, ce qu'a fait l'Australie par exemple; voir Polyukhovich c. Commonwealth of Australia (1991), 101 A.L.R. 545 (H.C. Austr.). La seconde façon consiste à permettre les poursuites en vertu du droit interne en présumant que les actes qui constituent un crime de guerre ou un crime contre l'humanité ont été commis au Canada. Puisque ces actes sont alors réputés avoir été commis au Canada, la personne accusée de les avoir commis peut être accusée de l'une ou l'autre infraction sous‑jacente pertinente qui englobe ces actes en vertu du droit canadien. C'est ce qu'a fait le législateur, adoptant une méthode quelque peu semblable à celle suivie en Grande‑Bretagne; voir War Crimes Act 1991, 1991 (R.‑U.), ch. 13. En édictant le par. 7(3.71), reproduit et analysé longuement plus tard, le législateur a prévu que l'auteur d'un acte ‑- fait ou omission ‑- commis à l'extérieur du Canada, qui constitue un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, est réputé avoir commis cet acte au Canada. La disposition ajoute une seconde condition d'application. Afin que nul ne soit puni pour un acte qui n'aurait pas été à l'époque un crime en droit canadien, il faut également que l'acte constitue un crime au Canada selon le droit en vigueur à l'époque de la perpétration, exigence que renforce le par. 7(3.72), qui requiert que les poursuites engagées à l'égard du fait visé soient exercées conformément aux règles de preuve et de procédure alors en vigueur.

La seconde méthode offre des avantages manifestes. Le juge, et particulièrement le jury, sont en mesure de fonctionner en grande partie dans le cadre d'un système de droit qui, puisqu'il est le nôtre, est plus familier et mieux défini. Les complexités du droit international et de son fonctionnement (que même le juge connaît souvent mal) sont autant que possible éliminées. Le juge est en mesure de donner des directives au jury, certain de sa connaissance du droit canadien. À l'exception des moyens de défense internationaux dont l'accusé peut se prévaloir, le jury peut exercer sa fonction conformément au droit canadien, qui exige une preuve hors de tout doute raisonnable que l'accusé a commis l'infraction — une infraction canadienne — dont il est accusé.

Interprétation du par. 7(3.71)

Généralités

J'en viens au premier moyen d'appel, qui porte sur l'interprétation juste du par. 7(3.71). Mettant de côté pour l'instant les questions relatives à la Charte, je suis d'avis qu'il est possible de bien saisir l'intention du législateur en ayant recours aux règles ordinaires d'interprétation de dispositions législatives.

Pour élucider la question, il est utile d'examiner la façon dont elle a été analysée par les juridictions inférieures. Elle a pour la première fois été soulevée devant le juge en chef adjoint Callaghan au cours de l'examen de la constitutionnalité des par. 7(3.71) et (3.74) dans une décision préalable au procès. À son avis, le par. 7(3.71) est de nature procédurale et ne crée aucune infraction nouvelle. Il confère simplement une compétence rétroactive et extraterritoriale aux tribunaux canadiens sur des actes qui auraient constitué des infractions en droit canadien au moment de leur perpétration s'ils avaient été commis au Canada, pour autant que ces actes constituent des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité.

Bien qu'il ait souscrit à la décision du juge en chef adjoint Callaghan que le par. 7(3.71) est de nature exclusivement juridictionnelle, le juge du procès a statué que la question de la compétence, bien qu'elle soit généralement tranchée par le juge du procès en tant que question de droit, devrait en l'espèce être soumise au jury. Certes, suivant cette décision, le juge du procès trancherait des questions de droit abstraites, comme celles de savoir si les crimes contre l'humanité constituent une transgression du droit coutumier ou conventionnel ou s'ils sont criminels en regard du droit des nations. Il appartenait toutefois au jury de décider si les actes ou omissions de l'intimé constituaient un crime de guerre ou un crime contre l'humanité.

La Cour d'appel à la majorité (1992), 92 D.L.R. (4th) 1, a confirmé la conclusion du juge du procès, mais sur un fondement différent. Elle n'a pu convenir que le par. 7(3.71) était de nature procédurale et n'avait de pertinence qu'à l'égard de la compétence du tribunal de juger l'intimé relativement aux infractions de droit interne comme la séquestration, le vol qualifié, l'enlèvement et l'homicide involontaire coupable. Elle a dit, à la p. 108:

[traduction] . . . si nous tirons une conclusion identique à celle du juge du procès, nous interprétons toutefois le par. 7(3.71) différemment. À notre avis, les allégations que les actes ou omissions de Finta constituaient des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité ne touchent pas la compétence du tribunal de première instance de façon qu'ils tombent sous le coup de l'arrêt Balcombe [Balcombe c. The Queen, [1954] R.C.S. 303]. Nous estimons plutôt que ces questions font partie intégrante de la question fondamentale de savoir si Finta a commis les infractions reprochées dans l'acte d'accusation.

Comme le juge Dubin le dit à la p. 20, [traduction] «. . . les tenants de l'opinion majoritaire ont conclu que le par. 7(3.71) du Code criminel crée deux nouvelles infractions, dont un crime contre l'humanité et un crime de guerre . . . ». Avec égards, et à l'instar du juge en chef Dubin et du juge Tarnopolsky et, quant à cela, du juge en chef adjoint Callaghan, je ne peux, pour les motifs suivants, souscrire à la position adoptée par le juge du procès et la Cour d'appel.

L'interprétation littérale du par. 7(3.71), l'examen de son contexte législatif de même que des dispositions analogues du Code, et la compréhension de son historique législatif m'amènent à conclure qu'il est incontestablement destiné à conférer aux tribunaux canadiens le pouvoir d'entendre des poursuites au Canada, conformément au droit criminel canadien en vigueur à l'époque de leur perpétration, relativement à des actes commis à l'étranger qui équivalent à des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. La disposition ne crée aucune nouvelle infraction. Elle dispose:

7. . . .

(3.71) Nonobstant les autres dispositions de la présente loi et par dérogation à toute autre loi, l'auteur d'un fait — acte ou omission — commis à l'étranger même avant l'entrée en vigueur du présent paragraphe, constituant un crime de guerre ou un crime contre l'humanité et qui aurait constitué, au Canada, une infraction au droit canadien en son état à l'époque de la perpétration, est réputé avoir commis le fait au Canada à cette époque si l'une des conditions suivantes est remplie:

a) à l'époque:

(i) soit lui‑même est citoyen canadien ou employé au service du Canada à titre civil ou militaire,

(ii) soit lui‑même est citoyen d'un État participant à un conflit armé contre le Canada ou employé au service d'un tel État à titre civil ou militaire,

(iii) soit la victime est citoyen canadien ou ressortissant d'un État allié du Canada dans un conflit armé;

b) à l'époque, le Canada pouvait, en conformité avec le droit international, exercer sa compétence à cet égard à l'encontre de l'auteur, du fait de sa présence au Canada, et après la perpétration, celui‑ci se trouve au Canada. [Je souligne.]

Je ne peux absolument rien voir dans le par. 7(3.71) qui crée les nouvelles infractions de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Nulle part n'est‑il déclaré, comme c'est le cas pour les autres infractions prévues au Code, que quiconque commet l'acte visé est coupable d'une infraction. Au contraire, l'essence de la disposition est son prédicat: «est réputé avoir commis le fait au Canada à cette époque». Le reste gravite autour de ce noyau. En outre, aucune peine n'est prévue. L'assujettissement à une poursuite interne née du fait qu'on a conclu à l'existence d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité n'entraîne pas une peine; c'est plutôt simplement l'étape procédurale suivante. La disposition permet à la poursuite de porter des accusations contre l'accusé pour des infractions définies au Code à l'égard d'actes commis à l'étranger, dans la mesure où ces actes constituent des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre.

Cette interprétation du par. 7(3.71) est également logique si l'on tient compte de son contexte législatif. Inscrite dans la partie I qui énonce les «Dispositions générales» du Code criminel, la disposition constitue une exception à la règle générale de la portée territoriale du droit criminel, formulée dans l'article précédent. Le paragraphe 6(2) du Code dispose:

6. . . .

(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, nul ne doit être déclaré coupable d'une infraction commise à l'étranger ou absous en vertu de l'article 736 à l'égard de celle‑ci.

La perpétration d'actes constituant des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité transcende évidemment les frontières du pays, encore que les auteurs ne soient fréquemment identifiés que plus tard, une fois qu'ils ont fui vers un autre pays. L'intention du législateur était d'étendre la portée du droit criminel canadien afin que des poursuites puissent être engagées à l'égard de ces actes commis à l'étranger si les auteurs allégués étaient découverts au pays. L'adoption du par. 7(3.71) était nécessaire car le plan du législateur dérogeait au principe général du par. 6(2). Comme je l'ai mentionné précédemment, en prévoyant expressément que les actes commis à l'étranger sont réputés avoir été commis au Canada, le législateur a exprimé l'opinion qu'aucune des considérations ordinaires d'extraterritorialité ne se pose.

Des dispositions déterminatives rédigées en des termes semblables, qui visent également des actes commis à l'étranger, se trouvent parmi les autres paragraphes de l'art. 7; voir le par. 7(3), relativement aux infractions commises contre une personne jouissant d'une protection internationale ou contre ses biens, le par. 7(3.1), concernant les prises d'otages, et le par. 7(4), relativement aux infractions commises par des employés de la fonction publique. Des dispositions rédigées en des termes semblables figurent également dans d'autres parties du Code. Ainsi, aux termes de l'art. 477.1, l'auteur d'un fait survenu dans un lieu situé à l'intérieur des limites du plateau continental ou de l'espace marin ou aérien correspondant est réputé l'avoir commis au Canada. On peut établir un parallèle étroit avec la disposition relative au complot, énoncée au par. 465(3) du Code, qui porte:

465. . . .

(3) Les personnes qui, au Canada, complotent de commettre, à l'étranger, des infractions visées au paragraphe (1) et également punissables dans ce pays sont réputées l'avoir fait en vue de les commettre au Canada;

Notre Cour a étudié la nature de cette disposition dans Bolduc c. Procureur général du Québec, [1982] 1 R.C.S. 573, où, aux pp. 577 et 581, on dit:

Il apparaît à sa face même que ce paragraphe ne crée pas une infraction. Il crée une présomption de territorialité de façon à faire du complot une infraction punissable au Canada. Lorsque comme en l'espèce des personnes complotent au Canada d'accomplir un dessein illicite aux États‑Unis, ce qui en soi ne serait pas une infraction punissable au Canada, elles «sont réputées l'avoir fait en vue de les commettre au Canada». C'est là introduire l'élément essentiel qui autrement serait absent et rendre l'infraction punissable au Canada.

. . .

L'infraction reprochée est le complot de «common law», commis au Canada, d'accomplir un dessein illicite. Le dessein illicite consiste à faire entrer illégalement des personnes aux États‑Unis. Faire entrer illégalement des personnes aux États‑Unis constitue une infraction en vertu de la loi américaine tout comme faire entrer illégalement des personnes au Canada constitue une infraction en vertu de la loi canadienne. Par le jeu de la présomption du par. 423(3) [présentement le par. 465(3)], les conspirateurs sont réputés avoir comploté pour commettre l'infraction au Canada. C'est comme s'ils avaient comploté pour faire entrer illégalement des personnes au Canada. [Je souligne.]

Comme le par. 7(3.71), le par. 465(3) crée une présomption de territorialité canadienne lorsqu'un certain critère est respecté. Si le critère du par. 465(3) est l'illégalité de l'acte visé par le complot selon le droit où il a été commis, les critères du par. 7(3.71) sont triples: l'acte doit constituer un crime de guerre ou un crime contre l'humanité; il doit être illégal au Canada à l'époque où il est commis; et des individus expressément déterminés doivent être impliqués. Tout comme l'infraction reprochée dans le premier cas est le complot commis au Canada, l'accusation dans le second cas porte sur l'infraction sous‑jacente de droit interne, soit le meurtre, le vol qualifié, ou autre infraction semblable. La similarité de la structure de ces deux dispositions appelle une interprétation uniforme.

Les exceptions à l'art. 6 peuvent également revêtir la forme de dispositions créant une infraction, qui incluent expressément des actes commis à l'étranger, mais le libellé du par. 7(3.71) ressemble beaucoup à celui d'autres dispositions purement attributives de compétence, et il peut être mis en contraste avec les dispositions créatrices d'infractions. Par exemple, une autre disposition relative au complot dispose:

465. (1) . . .

a) quiconque complote avec quelqu'un de commettre un meurtre ou de faire assassiner une autre personne, au Canada ou à l'étranger, est coupable d'un acte criminel et passible de l'emprisonnement à perpétuité.

Cette disposition vise, notamment, le complot de commettre un meurtre à l'étranger. La disposition elle‑même fait de l'acte commis à l'étranger une infraction et lui assortit une peine. Le paragraphe 74(2) adopte une position semblable à l'égard de la criminalisation de la piraterie:

74. . . .

(2) Quiconque commet une piraterie, pendant qu'il se trouve au Canada ou à l'étranger, est coupable d'un acte criminel et passible de l'emprisonnement à perpétuité.

La distinction entre ce traitement par le Code des actes commis à l'étranger et celui prévu par le par. 7(3.71) et ses semblables est évidente. Le premier reflète l'intention du législateur de concevoir les actes visés comme des infractions de droit interne en elles‑mêmes, alors que le second a pour effet de présumer que les actes sont visés par des infractions créées ailleurs dans le Code.

En outre, l'intention du législateur de se limiter à une règle régissant l'application des infractions ressort clairement de la situation du par. 7(3.71) dans le Code. Il figure, je le répète, à la partie I du Code, qui est à juste titre intitulée «Dispositions générales». Aucune infraction n'y est créée. Comme son titre l'indique, cette partie concerne les questions d'interprétation, d'application, de moyens de défense, et d'autres généralités. Les infractions sont prévues dans d'autres parties du Code qui en portent généralement le nom comme, entre autres, «Partie II. Infractions contre l'ordre public», «Partie VIII. Infractions contre la personne et la réputation», «Partie IX. Infractions contre les droits de propriété», et ainsi de suite. On doit présumer que toute loi fédérale respecte un minimum de cohérence interne. Si le législateur avait expressément souhaité faire des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité des infractions de droit interne, il aurait pu le faire beaucoup plus facilement de façon directe et je ne peux concevoir pourquoi il l'aurait fait dans les dispositions générales du Code.

Cette interprétation du par. 7(3.71) est étayée par son historique législatif. Les paragraphes 7(3.71) à (3.77) sont le fruit de recommandations formulées par la Commission d'enquête sur les criminels de guerre (la «Commission Deschênes»). Le n{oe}ud des recommandations de la Commission, nous l'avons constaté, n'était pas de créer au Canada ces infractions de droit international, mais plutôt d'éliminer l'obstacle de l'extraterritorialité et d'investir les tribunaux canadiens de la capacité d'entendre les poursuites engagées ici contre les auteurs de ces infractions. Ce fondement du Rapport se traduit à la p. 170, par les termes suivants:

Nous ne saurions trop insister là‑dessus: il n'est pas question ici de criminaliser des actes qui n'étaient pas considérés comme des crimes quant (sic) ils ont été commis; ce genre de rétroactivité serait tout à fait inacceptable. Mais l'extermination d'une population civile, par exemple, était, en vertu des lois de toutes les nations dites civilisées, un crime aussi grand en 1940 qu'il peut l'être aujourd'hui. Il s'agit simplement de doter le Canada des moyens nécessaires pour traduire en justice les personnes soupçonnées de tels crimes, si elles se trouvent au Canada.

En formulant ses recommandations, la Commission a expressément commenté à la p. 177 que «[l]e Code doit reconnaître expressément la compétence des tribunaux canadiens en la matière». Le juge Tarnopolsky a fait le même commentaire à la p. 60 de la décision de la Cour d'appel:

[traduction] Plutôt que de créer une infraction matérielle précise de crime de guerre ou de crime contre l'humanité, le législateur a choisi, sur la recommandation de la Commission Deschênes, d'étendre l'applicabilité des dispositions du Code criminel existant à l'époque où les actes ont été commis.

À mon sens, la Commission estimait inutile de créer de nouvelles infractions; à l'instar du droit de la plupart des nations civilisées, le Code criminel canadien condamnait déjà les actes en question. Ces actes auraient donc pu faire l'objet de poursuites en vertu des dispositions criminelles canadiennes ordinaires s'ils avaient été commis ici. Les tribunaux canadiens devaient par conséquent être dotés de la capacité d'entendre et de trancher les poursuites. Conformément aux exigences du droit international, on a choisi d'établir un lien avec les concepts de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité en droit international pour faire en sorte que les tribunaux canadiens soient investis de la capacité d'entendre les poursuites engagées à l'égard des actes commis à l'étranger dans les seuls cas énumérés dans le Rapport. La question de l'existence de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité est donc une question de compétence. Par contre, l'infraction reprochée à l'accusé est l'infraction sous‑jacente de droit interne, tirée du droit criminel canadien existant au moment de sa perpétration.

Les questions de compétence sont des questions de droit confiées au juge du procès. Dans l'arrêt Balcombe c. The Queen, précité, le juge Fauteux, au nom de la Cour, a tenu les propos suivants aux pp. 305 et 306:

[traduction] La compétence est une question de droit — relevant donc du juge présidant le tribunal — même si, pour la trancher, il est nécessaire d'examiner la preuve. Elle excède entièrement le domaine des questions qu'en droit et, particulièrement, selon les modalités de leur serment, les jurés doivent examiner. Leur seule préoccupation est la culpabilité ou l'innocence de l'accusé. En fait, le respect légal de leurs obligations repose sur l'existence présumée de la compétence de la cour de juger l'accusé, là où le procès se tient, relativement au crime reproché. Ils sont préoccupés par les faits qui peuvent être reliés à la culpabilité ou à l'innocence, et non à la compétence. [Je souligne.]

Comme il s'agit d'une question de droit, le juge du procès déterminerait selon la prépondérance des probabilités si l'acte ou l'omission en question équivaut à un crime de guerre ou à un crime contre l'humanité. Pour sa part, le jury a pour tâche de déterminer la culpabilité de l'accusé à l'égard de l'infraction qu'on l'accuse d'avoir commis.

La Cour d'appel à la majorité ferait une distinction d'avec l'arrêt Balcombe pour les motifs que tous les éléments essentiels de l'infraction doivent être exposés au jury, ce qui inclut l'infraction de crime de guerre ou de crime contre l'humanité. Comme nous le constaterons, je ne considère pas l'existence ou l'inexistence d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité comme un élément essentiel de l'infraction, mais plutôt comme un lien en matière de compétence qui fonde la poursuite à l'égard de l'infraction sous‑jacente de droit interne. Par ailleurs, il va sans dire que le jury devrait décider si, en fait, les actes qui constituent le crime de guerre ou le crime contre l'humanité ont été commis lorsqu'il détermine si l'infraction en droit canadien a été commise. Le jury n'agit pas dans l'absolu.

Avec égards, j'écarte la distinction qu'a établie la Cour d'appel à la majorité entre la compétence territoriale de la cour et la portée territoriale du droit criminel. La majorité semble avoir tenté de différencier la première qui, selon elle, vise la détermination du tribunal canadien approprié pour entendre l'affaire, et la seconde qui, à son avis, touche la définition des infractions elles‑mêmes.

En toute déférence, le par. 6(2) du Code ne fait pas de la territorialité canadienne un élément qui délimite les infractions qui y sont prévues. Il ne fait plutôt qu'exclure la possibilité qu'une personne soit déclarée coupable ou absoute à l'égard d'une infraction commise à l'étranger. Ce principe général de notre régime de droit criminel reflète, outre peut‑être la nécessité d'adaptation au nom de l'efficacité, l'acceptation par le Canada de la prémisse générale de la souveraineté des nations qui sous‑tend les relations internationales. Le fait qu'un acte ou une omission se soit produit à l'extérieur des frontières canadiennes n'efface pas sa qualité d'acte coupable aux yeux des Canadiens et en fonction des valeurs fondamentales du droit criminel canadien. C'est ce que reflète également le droit en matière d'immigration, d'expulsion et d'extradition. Le principe de la territorialité répond simplement à la structure de l'ordre international; la poursuite de l'auteur d'un acte criminel est normalement confiée à l'État dans lequel l'acte a été commis.

Dans tous les cas, les questions de territorialité soulèvent la même interrogation: où l'événement s'est‑il produit? Évidemment, la réponse à cette question peut varier selon qu'il s'agit de distinguer entre deux provinces, d'une part, ou entre le Canada et un autre pays, d'autre part. Dans le premier cas, le tribunal provincial approprié est déterminé, alors que dans le second cas le pouvoir même de juger conformément au Code est en jeu. Dans l'un ou l'autre cas, toutefois, l'habileté requise pour effectuer cette détermination est la même: la capacité technique de circonscrire l'endroit où l'acte en question a été commis. Dans l'arrêt Balcombe, précité, notre Cour a conclu que cette fonction était à juste titre confiée au juge du procès. Je ne vois aucune raison d'appliquer une règle différente pour ce qui est de la détermination effectuée relativement à l'art. 6.

Le libellé de l'art. 6 n'est pas absolu; il envisage expressément des exceptions, soit dans le Code même, soit dans d'autres lois fédérales. En tranchant la question de la territorialité prescrite à l'art. 6, le juge du procès doit se demander si ces dispositions exceptionnelles s'appliquent. En règle générale, ces dernières créent une présomption de territorialité lorsque les critères pertinents sont respectés. Bien qu'ils ne soient peut‑être pas édictés clairement dans une seule disposition du Code, l'art. 6 et ses exceptions forment une analyse unifiée, destinée à établir si le tribunal en question peut entendre la poursuite instituée contre l'accusé. Pour décider de l'application de la règle générale, il est nécessaire de considérer l'application des exceptions. Confier cette dernière décision au jury, tout en laissant la question générale au juge, créerait un partage illogique des tâches qui ne pourrait qu'engendrer une confusion inutile. Toute la question de la compétence devrait donc être laissée au juge du procès puisqu'il s'agit d'une question de droit.

Le paragraphe 7(3.71) du Code est l'une de ces dispositions exceptionnelles. Ses critères, soit les questions de savoir si l'acte équivaut à un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, si l'acte transgressait le droit canadien à l'époque de sa perpétration, et si des individus identifiables étaient impliqués, sont donc des questions de droit confiées au juge du procès et non au jury.

Le rôle du juge et du jury

De cette interprétation des articles attributifs de compétence, émerge un rôle distinct pour le juge et le jury.

Le rôle du jury sera semblable à celui qu'il assume dans le cadre d'une poursuite engagée en vertu du droit interne. Sa fonction, et les directives reçues, seront identiques à celles qu'on donne à un jury qui doit se prononcer sur l'infraction sous‑jacente seulement. L'unique différence tiendra dans les justifications, excuses et moyens de défense invoqués. En vertu du par. 7(3.73), l'accusé peut plaider, outre ceux qu'offre le droit interne, tous les moyens de défense, justifications et excuses qui existent en droit international. Le paragraphe 7(3.74) a toutefois pour effet d'interdire à l'accusé de plaider l'obéissance à la loi de facto. J'ajouterai des commentaires à ce sujet dans mon analyse de la constitutionnalité du régime. Il suffit de dire pour l'instant qu'il m'apparaît clairement que c'est là le régime envisagé par le législateur.

Pour sa part, le juge du procès doit déterminer si toutes les conditions requises pour l'exercice de la compétence sont respectées. Si les conditions énoncées par le législateur ne sont pas remplies, aucune exception à la règle qui interdit la poursuite extraterritoriale ne s'applique et le tribunal doit refuser d'exercer toute compétence et acquitter l'accusé, peu importe que tous les éléments des infractions d'homicide involontaire coupable, de vol qualifié, de séquestration et d'agression puissent être établis.

Mes commentaires antérieurs indiquent clairement que je ne conviens pas avec le juge du procès et la Cour d'appel à la majorité que l'existence des conditions nécessaires à l'exercice de la compétence doit être démontrée hors de tout doute raisonnable. Contrairement aux juges dissidents de la Cour d'appel, toutefois, j'estime que le juge du procès devra apprécier la preuve afin de satisfaire aux conditions nécessaires à l'exercice de la compétence. Le juge ne peut pas simplement fonder son analyse de ces conditions sur les accusations portées et laisser au jury la tâche de tirer toutes les conclusions de fait, puisque certains des faits requis pour établir la compétence ne sont pas identiques à ceux qui sont requis pour que le jury détermine si l'infraction sous‑jacente a été commise. Ainsi, par exemple, l'exigence juridictionnelle relative à un crime de guerre requiert que l'acte soit commis au cours d'un conflit international armé, fait que n'est pas nécessairement tenu de constater le jury qui détermine s'il y a eu homicide involontaire coupable ou enlèvement (bien qu'inévitablement, ces faits lui seront présentés et peuvent, dans certains cas, être pertinents quant à sa tâche relativement à quelque justification, excuse ou moyen de défense en droit international).

Je ne vois aucun bourbier procédural dans les différentes fonctions de juge et de jury, bien que l'on doive à l'occasion faire preuve d'une certaine ingéniosité procédurale. De toute évidence, si les accusations, même telles qu'alléguées, ne satisfont pas aux conditions d'exercice de la compétence, le juge peut alors, sur requête, décliner sa compétence. De plus, il devra toutefois examiner la preuve pour déterminer que les faits attributifs de compétence sont établis. En temps ordinaire, le juge entend la preuve relative à la question de la compétence lors d'un voir‑dire, puisque la majeure partie de cette preuve n'est pas pertinente quant aux questions relevant du jury. En l'espèce le jury devra toutefois entendre, relativement aux infractions, presque la même preuve que le juge du procès aura entendue sur la question de la compétence. Il sera donc plus efficace que le juge du procès se penche sur la question de la compétence au moment où le jury entend la preuve sur l'infraction. Si on le désire, et pour éviter de confondre le jury, les parties de la preuve ou des témoignages d'experts qui sont tout à fait étrangers aux responsabilités du jury peuvent être entendues en son absence. Une fois la présentation de la preuve terminée, le juge décidera si les conditions requises pour l'exercice de la compétence ont été remplies. Dans l'affirmative, le tribunal peut entendre le verdict du jury.

L'élément moral requis relativement aux crimes de guerre ou aux crimes contre l'humanité

Bien que ma conclusion sur le premier moyen d'appel suffise pour accueillir le pourvoi, j'examinerai également le second moyen d'appel, qui porte sur l'élément moral requis en droit international relativement aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité. L'appelant fait valoir que le juge du procès a commis une grave erreur dans son interprétation des exigences relatives à ces crimes et, en particulier, qu'il a formulé des exigences beaucoup trop sévères relativement à l'élément moral requis pour qu'il s'agisse de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité. Pour des motifs que nous verrons, je conviens que le juge du procès et la Cour d'appel à la majorité ont commis une erreur sur le second moyen d'appel également.

Lorsqu'il tranche la question de la compétence, le juge doit déterminer qu'il y a eu crime de guerre ou crime contre l'humanité. Ces crimes, dont la portée est énoncée en partie dans le Code (par. 7(3.76)), requièrent également qu'on se rapporte au droit international. S'il en résulte une certaine complexité, on peut toutefois déchiffrer les exigences en se reportant aux structures théoriques du droit criminel que l'on connaît déjà. On peut facilement examiner la structure de la plus grande partie du droit international relatif aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité dans le cadre de l'analyse familière des éléments de l'acte (l'actus reus), des éléments moraux et des moyens de défense. Le juge doit examiner la preuve et la comparer au droit international pour déterminer si les exigences du crime sont respectées, et les moyens de défense qui peuvent être invoqués.

Exigence relative à l'actus reus

La question soulevée se limite à la mens rea rattachée au crime de guerre ou au crime contre l'humanité, mais, pour comprendre la question, il faut examiner brièvement les exigences relatives à l'actus reus du crime de guerre ou du crime contre l'humanité. Le Code et le droit international prescrivent tous les deux des types particuliers d'actes ou d'omissions. Ainsi, par exemple, le crime de guerre qui consiste à maltraiter des civils nécessite que l'accusé ait commis des actes qui équivalent à un mauvais traitement. Comme l'a souligné Manfred Lachs, War Crimes: An Attempt to Define the Issues (1945), chapitre 7, ces actes sont généralement caractérisés par leur violence. En outre, l'existence de circonstances particulières est fréquemment requise. C'est ce qu'illustre clairement la condition suivant laquelle les crimes de guerre doivent mettre en cause des actes commis au cours d'un état de guerre. À certains moments, les actes ont pu également être dirigés contre certains objets. Par exemple, certains actes, quoique permis contre les soldats ennemis au champ de bataille, sont des crimes de guerre s'ils sont commis contre des civils ou des prisonniers. Le juge du procès doit être convaincu que ces exigences particulières requises en droit international et dans le Code sont remplies, pour qu'il y ait eu crime contre l'humanité ou crime de guerre. Si cela risque à l'occasion de soulever des questions épineuses et complexes, l'idée générale de l'acte ou omission, et peut‑être de ses conséquences et circonstances, est bien saisie; voir Lachs, op. cit., aux pp. 16 à 24; L. C. Green, International Law: A Canadian Perspective (2e éd. 1988), partie VI, aux §§ 359 à 364.

Voici un bon exemple: pour constituer un crime contre l'humanité, l'acte reproché doit avoir été commis contre «une population civile ou un groupe identifiable de personnes» (voir le par. 7(3.76)). Encore une fois, il faut se reporter à l'optique du système international pour comprendre cette condition. Comme je l'ai mentionné précédemment, il s'agit là de l'élément particulier qui revêt le crime de la dimension internationale requise et qui permet la poursuite extraterritoriale, le distinguant ainsi du «crime ordinaire» à l'égard duquel l'État est censé engager des poursuites. Contrairement aux crimes ordinaires, ce crime intéresse directement la communauté internationale et peut faire l'objet d'une poursuite là où l'auteur présumé se trouve. Je le répète, bon nombre de facteurs rendent nécessaire cette exception au principe ordinaire que le droit criminel est circonscrit sur le plan territorial. Comme je l'ai mentionné, si le crime est particulièrement étendu en ce qu'il est commis contre une population entière (d'un village, d'une région, ou même d'un pays) ou un groupe identifiable au sein de la population, l'application à l'étranger est particulièrement importante puisqu'il arrive fréquemment que le gouvernement en place dans l'État où le crime a été commis ne soit pas disposé à poursuivre son auteur; de fait, il peut lui‑même être à l'origine des crimes. Pour ce motif, le droit international autorise les autres États à exercer leur compétence pour juger de tels crimes. Comme l'exercice de la compétence est assujetti à cette condition, le juge du procès serait tenu de conclure que le comportement criminel était dirigé contre la population civile ou un groupe identifiable de personnes.

Mis à part cette erreur dans la présentation de la question au jury, le juge du procès semble avoir eu une bonne compréhension des exigences relatives à l'actus reus en droit international. Ainsi, il a expressément souligné des conditions comme celle suivant laquelle pour qu'il y ait crime de guerre il doit y avoir conflit international, et que l'accusé doit avoir été un représentant d'une force d'occupation. Pour couvrir d'autres éléments d'un crime de guerre, il a également mentionné que les actes devaient revêtir la «qualité factuelle» des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. Cela semble trop ambigu et aurait dû être plus explicitement considéré par rapport à des catégories précises de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Ce concept illustre certains des problèmes inhérents au fait de soumettre cette question entière au jury: une telle décision exige manifestement une évaluation de la qualité légale des actes de même que de leurs composantes factuelles. Cet aspect de la compréhension par le juge des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité paraîtrait toutefois adéquat si la question était tranchée, comme j'ai indiqué qu'elle devrait l'être, par le juge, à titre de question de droit.

Le fait que le juge du procès ait, à plusieurs reprises, mentionné que les actes de l'accusé s'étaient «élevés» au niveau du crime de guerre ou du crime contre l'humanité est plus grave. Cela n'est pas tout à fait exact; diverses considérations relatives aux infractions en droit international peuvent entrer en jeu. Elles peuvent inclure des exigences qui s'ajoutent à celles qui sont relatives aux infractions de droit interne, mais elles ne sont pas toujours supérieures et peuvent ne pas être reliées à la culpabilité de l'individu. Il est trompeur d'utiliser un langage qui laisse entendre que, d'une certaine façon, les crimes internationaux exigent un degré supérieur de culpabilité.

La mens rea requise

Le juge du procès s'intéressait très justement au fait que les actes ou omissions devraient être de ceux qui sont interdits à titre de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité, tels que ceux‑ci sont définis dans le Code et en droit international. Il en a toutefois tiré des conclusions gravement erronées sur l'élément moral requis pour que l'on puisse conclure qu'un crime de guerre ou un crime contre l'humanité a été perpétré. Avec égards, le juge du procès a, à mon avis, commis deux erreurs, dont les effets sont connexes. Il a d'une part exigé qu'il y ait un élément moral pour chaque élément du crime de guerre ou du crime contre l'humanité et, d'autre part, en partie du fait de la première erreur, il a donné l'impression que l'accusé devait avoir été au courant de l'illégalité de ses actes. À mon sens, le jury n'a tout simplement pas à se préoccuper de l'élément moral relativement aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité, si ce n'est celui qui est inclus dans l'infraction sous‑jacente de droit interne reprochée à l'accusé. En d'autres termes, comme je tenterai de le démontrer, l'élément de blâme moral nécessaire pour de tels crimes est déjà compris dans la mens rea requise pour l'infraction sous‑jacente. Les autres éléments de l'actus reus exigé sur le plan international pour justifier la compétence extraterritoriale ne nécessitent pas que l'accusé soit personnellement au courant de ces questions. Ces éléments de l'actus reus n'ont véritablement rien à voir avec la culpabilité individuelle. À mon sens, le droit n'exige pas que l'accusé ait lui‑même connu l'existence de ces facteurs. Ni le droit canadien ni le droit international ne prescrivent une telle exigence.

La disposition du Code qui attribue la compétence et celle qui énonce les définitions (par. 7(3.71) et (3.76) respectivement) ne font aucune mention expresse d'un élément moral; elles requièrent uniquement l'existence d'un comportement qui constitue un acte ou une omission contraire au droit international. Pour leur part, les exigences relatives à l'élément moral requis en droit international sont rarement aussi clairement établies que dans notre droit interne. Je soupçonne que ce manque d'explicitation de l'exigence est dû en grande partie au fait que personne n'a jamais vraiment pensé qu'il fallait une mens rea individuelle s'élevant au‑delà de ce qui est requis à l'égard de la nature élémentaire de l'acte, qu'il s'agisse d'un meurtre, de voies de fait, d'un vol qualifié ou d'un enlèvement. En droit international, on semble fréquemment négliger l'élément moral, en mettant plutôt l'accent sur les circonstances factuelles exceptionnelles dans lesquelles le comportement coupable est survenu. Toutefois, si une réfutation détaillée est requise, il semble légitime d'utiliser nos règles établies en common law quant à la mens rea là où le droit international ne prévoit aucune norme précise.

La plupart des infractions criminelles demandent une mens rea quant à l'omission ou à l'acte lui‑même. Dans certains cas, mais certainement pas tous, une certaine forme de mens rea, soit la connaissance, soit l'insouciance ou même l'inadvertance, est également requise relativement aux conséquences et aux circonstances. En l'espèce, toutefois, le juge du procès a insisté sur le fait qu'il devait y avoir un élément moral subjectif à l'égard de tous les éléments de l'acte qui constituent le crime de guerre ou le crime contre l'humanité. Ainsi, en ce qui concerne le premier chef d'accusation de séquestration illégale, le juge du procès a estimé que l'élément moral requis était le suivant:

Éléments essentiels du premier chef: Séquestration: Crime contre l'humanité

[traduction]

(3) L'accusé savait que la séquestration avait la qualité factuelle d'un crime contre l'humanité puisqu'il s'agissait

(1) d'une réduction en esclavage; ou

(2) d'une déportation inhumaine ou persécutrice; ou

(3) d'une persécution raciale ou religieuse; ou

(4) d'un acte inhumain; et

(4) L'accusé savait que les personnes séquestrées étaient membres de la population civile ou d'un groupe identifiable de personnes; et

(5) L'accusé savait que la séquestration était faite en exécution [. . .] de la guerre ou de tout crime de guerre, ou en rapport avec ceux‑ci. [Je souligne.]

Il a par ailleurs souligné qu'il s'agissait d'une condition subjective à laquelle l'accusé devait satisfaire; cette connaissance ne pouvait simplement être inférée du comportement, de l'intention de commettre l'acte ou de la connaissance de celui‑ci. Le juge a utilisé des termes identiques dans son exposé au jury sur le second chef, si ce n'est qu'il a remplacé «crime contre l'humanité» par «crime de guerre». Il a suivi une voie semblable relativement au vol qualifié, à l'enlèvement et à l'homicide involontaire coupable.

À mon avis, il s'agit là d'une norme beaucoup trop sévère; il n'est nécessaire de constater la mens rea que relativement aux éléments individuellement blâmables d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité, et non pas à toutes les circonstances qui l'entourent. Ce point de vue est appuyé en droit canadien. Dans l'arrêt R. c. DeSousa, [1992] 2 R.C.S. 944, aux pp. 964 et 965, notre Cour a déterminé qu'inclure une telle exigence à l'égard de chaque élément d'une infraction résulte d'une mauvaise interprétation et d'une généralisation excessive des arrêts antérieurs de notre Cour. Elle a fait remarquer qu'il faut plutôt «un élément de faute personnelle à l'égard d'un aspect coupable de l'actus reus, mais pas nécessairement à l'égard de chacun des éléments de l'actus reus» (p. 965). [Je souligne.]

Ce raisonnement est particulièrement opportun dans l'examen des circonstances reliées aux infractions de droit international qui ne mettent pas en cause la culpabilité, mais sont de nature plus technique. Ainsi, le juge du procès a, à mon avis, commis une erreur en exigeant, pour que l'on puisse conclure à l'existence d'un crime de guerre, que l'accusé ait su qu'il était un représentant d'une force d'occupation ou que sévissait effectivement une guerre. Si l'accusé avait agi non pas à titre de représentant, mais pour son propre compte, sa culpabilité personnelle ne serait pas moindre — elle pourrait de fait être accrue. Il en serait de même s'il avait commis les actes reprochés en temps de paix. Comme je l'ai déjà mentionné, tout ce qui importe, c'est que ces conditions factuelles soient présentes. Dans le régime créé par le législateur, ces conditions permettent de justifier en regard du système international la poursuite extraterritoriale et ne se rapportent pas à la culpabilité individuelle. Elles touchent à la compétence.

Il en est de même des directives du juge du procès portant que l'accusé devait savoir que les actes étaient dirigés contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes. Je suis d'avis que cette connaissance de l'accusé n'a absolument rien à voir avec sa culpabilité. Séquestrer illégalement ou enlever 8 617 personnes est tout aussi blâmable, qu'il ait su ou non qu'il s'agissait de Juifs. Du point de vue pratique, la non‑pertinence de la connaissance de ces éléments ressort des circonstances. Peut‑on douter qu'il serait si difficile de conclure à une connaissance suffisante? On peut facilement déduire que la personne qui sait que les actions sont dirigées contre un grand nombre de personnes réunissant les mêmes caractéristiques a cette connaissance. En l'espèce, par exemple, puisque les Juifs avaient expressément été l'objet unique de tous ces actes à la connaissance de ceux qui étaient impliqués, il semble tout à fait clair que l'exigence en matière de connaissance à l'égard de cet aspect est remplie. Des considérations semblables s'appliquent à d'autres questions de ce genre, telle celle de savoir s'il y avait un état de guerre.

Il y a toutefois lieu à cette étape‑ci de souligner qu'il peut y avoir un élément moral requis à l'égard de certaines justifications, excuses et moyens de défense en droit international, mais, comme je l'ai mentionné précédemment, l'accusé peut s'en prévaloir pour se défendre de l'infraction de droit interne, par exemple l'enlèvement, dont il est inculpé. Si le moyen de défense, la justification ou l'excuse naît de la preuve, il doit être soumis au jury. Si ce dernier entretient un doute raisonnable à l'égard de l'élément moral en cause, il doit évidemment en faire bénéficier l'accusé, comme c'est le cas pour tout moyen de défense auquel l'accusé peut recourir en droit canadien.

Comme je l'ai signalé précédemment, l'importance excessive qu'a accordée le juge à la connaissance de l'accusé l'a amené à commettre une erreur différente, encore que liée à la première. Il a ainsi confondu la différence entre l'élément moral relatif à la nature factuelle de l'acte reproché et sa qualité légale ou morale. Comme le juge en chef Dubin l'a remarqué, cette confusion est bien illustrée dans les directives relatives au terme «fait inhumain» contenu dans la définition de «crime contre l'humanité» au par. 7(3.76). Il ne faudrait pas comprendre que cette catégorie générale introduit l'élément de connaissance de la nature inhumaine du comportement. Si l'accusé séquestre sciemment des personnes âgées dans un wagon fermé en leur fournissant peu de provisions pour un long voyage en train, le fait que l'accusé n'ait subjectivement pas considéré ces actes comme étant inhumains ne devrait pas être pertinent.

Cette confusion entre l'appréciation de la qualité factuelle par opposition à la qualité morale ou légale des actes de l'accusé a été aggravée par d'autres commentaires du juge du procès dans son exposé, qui reflétaient son opinion quant à la mens rea requise. Bien que le juge ait renvoyé à plusieurs reprises à la connaissance par l'accusé de la qualité factuelle d'un crime contre l'humanité, comme l'a souligné le juge en chef Dubin, il a répété à maintes reprises son opinion portant que le jury devait être convaincu hors de tout doute raisonnable que l'accusé savait que l'acte qu'il avait commis était inhumain (c'est‑à‑dire qu'il s'agissait d'un crime contre l'humanité). Le juge en chef Dubin renvoie à certains de ces cas (aux pp. 32 et 33). J'en cite quelques‑uns ici:

[traduction] Rappelez‑vous que, pour déclarer l'accusé coupable, il faut établir hors de tout doute raisonnable que, à sa connaissance, ce qu'il a fait s'élevait au niveau du crime de guerre ou du crime contre l'humanité.

Même si le ministère public a établi hors de tout doute raisonnable que l'accusé s'est rendu coupable de séquestration, vol qualifié, enlèvement ou homicide involontaire coupable, vous devez l'acquitter, à moins que le ministère public n'établisse également hors de tout doute raisonnable que l'accusé savait que ses actes s'élevaient au niveau du crime de guerre ou du crime contre l'humanité.

. . .

Pour s'acquitter de son fardeau à l'égard du premier chef d'accusation, le ministère public peut notamment prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé savait personnellement que la séquestration avait la qualité factuelle d'un crime contre l'humanité puisqu'il s'agissait d'un acte inhumain. Ce n'est là qu'un seul élément, mais le ministère public doit évidemment en établir six ou sept autres. Celui‑ci n'est qu'un exemple d'un élément que le ministère public doit établir. Par conséquent, il est essentiel, relativement au chef en question, que le ministère public prouve hors de tout doute raisonnable que l'accusé savait que la séquestration était un acte inhumain. [Italiques du juge en chef Dubin.]

À mon avis, ces directives ont introduit des éléments de connaissance de la qualité à la fois légale et morale du comportement, d'une manière que ne requiert ni le droit interne, ni le droit international.

Il est bien établi dans la jurisprudence canadienne en droit criminel qu'il n'est pas nécessaire que l'accusé sache que l'acte est illégal. L'article 19 du Code reprend une exigence que prévoyaient des codes antérieurs (dont celui en vigueur au moment où les actes en cause en l'espèce auraient été commis): l'ignorance de la loi chez une personne qui commet une infraction n'excuse pas la perpétration de l'infraction. En common law, le principe est solidement établi. Comme Smith et Hogan, Criminal Law (7e éd. 1992) l'exposent, à la p. 81:

[traduction] Il faut généralement prouver que D avait l'intention de causer ou ne se souciait pas de causer le résultat ou la situation qui, en fait, sont interdits par la loi; mais qu'il ait su que le résultat ou la situation étaient interdits en droit n'a rien à voir avec sa déclaration de culpabilité (bien que cela puisse avoir une incidence sur sa peine). [En italique dans l'original.]

On ne saurait par ailleurs oublier que le fait de savoir que l'acte est moralement fautif est également peu pertinent. Smith et Hogan, op. cit., remarquent, à la p. 53:

[traduction] Un individu peut avoir la mens rea, au sens où elle est généralement comprise aujourd'hui, sans ressentir aucun sentiment de culpabilité. Il peut de fait agir avec une conscience parfaitement claire, croire son acte moralement, voire même légalement correct, et être tout de même jugé comme ayant la mens rea requise.

Dans l'arrêt R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5, à la p. 18, le juge McLachlin a souligné que, peu importe la nature des circonstances ou des conséquences requises:

Premièrement, comme le souligne Williams, la présente analyse n'a rien à voir avec l'échelle des valeurs de l'accusé. Une personne n'échappe pas à une déclaration de culpabilité pour le motif qu'elle croit qu'elle ne fait rien de mal. Il s'agit de savoir si l'accusé était subjectivement conscient que certaines conséquences résulteraient de ses actes, et non pas s'il croyait que ses actes ou leurs conséquences étaient moraux.

La raison d'être de l'exigence en matière de mens rea est qu'il y a absence de sentiment de blâme personnel si la personne n'a pas d'une certaine façon même eu l'intention de commettre l'acte ou l'omission. Pour conclure à l'existence d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité, le juge du procès doit bien sûr considérer l'intention ou l'insouciance normalement requise relativement à l'omission ou à l'acte reproché. Toutefois, on exige rarement que l'accusé connaisse la qualité ou la description légale de son comportement. Les règles de notre droit criminel ne l'exigent pas ni, à mon avis, celles du droit international. Le contraire serait étrange puisque, comme l'avocat de l'intervenante B'Nai Brith l'a remarqué, dans le cas des crimes contre l'humanité, par exemple, il faudrait trancher la question du caractère humain en fonction des valeurs morales de l'auteur de l'acte interdit, et non des opinions morales de l'ensemble des nations qui ont établi la norme.

Il est vrai que, dans son témoignage, l'expert en droit international du ministère public, le professeur Bassiouni, a donné à entendre que l'accusé doit avoir eu une connaissance du droit international pour que l'on puisse conclure qu'il a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité. Bien qu'il ait volontiers convenu avec le ministère public que l'accusé n'a pas à savoir que ses actes constituent une infraction donnée en droit international, à son avis, l'accusé devrait avoir un «sentiment général» que son comportement était illégal en droit international. L'échange suivant avec le substitut du procureur général démontre bien son opinion quelque peu déroutante:

[traduction]

Q. Doit‑il savoir que ses actes constituent un crime de guerre ou un crime contre l'humanité en droit international?

R. Il n'a pas à le savoir aussi précisément que vous le soutenez. Prenez l'analogie suivante: la personne qui commet un meurtre sait‑elle que cet acte constitue un meurtre au premier degré selon la loi en vigueur à cette époque? Vous êtes donc censé avoir une connaissance générale que l'acte est interdit par la loi, par opposition à une connaissance précise des catégories déterminées de crimes que vous commettez peut‑être.

Q. Donc, est‑ce que la victime ou — l'ignorance de la loi n'est pas une excuse en droit international?

R. Oui, vraiment, car c'est un principe général de droit puisqu'il existe dans tous les systèmes juridiques du monde.

Q. Alors, que doit savoir l'auteur pour être coupable ou responsable en droit international d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité?

R. Eh bien, l'individu doit évidemment connaître la nature des actes qu'il commet. Il doit savoir que ces actes violent la loi. Il n'a pas à savoir le nom précis de la violation qu'il a commise. Et il doit agir en toute connaissance ou intentionnellement.

Dans son ouvrage subséquent, Crimes Against Humanity in International Criminal Law (1992), M. Cherif Bassiouni indique qu'il devrait exister une [traduction] «présomption réfutable» de connaissance du droit criminel international. Il indique à la p. 364:

[traduction] Cette présomption réfutable englobe la connaissance de l'illégalité de l'acte commis, fondée sur la norme du caractère raisonnable. Malgré cette norme, une personne peut invoquer en défense l'ignorance de la loi. Cette norme légale n'est donc pas en fin de compte objective, mais plutôt subjective.

Étant donné ce point de vue élémentaire, il n'est guère étonnant que le juge du procès ait mal compris quelle était la mens rea requise.

Il est révélateur à cette étape‑ci de commenter l'utilité des opinions d'auteurs reconnus comme le professeur Bassiouni dans la détermination du droit international applicable. Les auteurs sont évidemment extrêmement utiles en ce qu'ils présentent au tribunal les diverses sources de droit pertinentes. En outre, comme lord Alverstone l'a fait remarquer dans l'arrêt West Rand Central Gold Mining Co. c. The King, [1905] 2 K.B. 391, à la p. 402, ils rendent également [traduction] «un fier service en aidant à formuler l'opinion par laquelle le champ du consensus des nations civilisées est élargi». Mais, comme il a ajouté (à la p. 402), [traduction] «dans nombre de cas, leurs propos doivent être considérés comme l'expression de leurs opinions quant à ce que doit être [. . .] le comportement des nations entre elles plutôt que comme la formulation d'une règle ou d'une pratique si universellement approuvée ou reconnue [par les États] qu'elle puisse être à juste titre considérée comme étant [. . .] le «droit»». Bref, les conventions et les pratiques internationales adoptées et approuvées comme étant le droit par des décideurs qui font autorité dans la communauté mondiale, de même que les principes généraux de droit reconnus par les pays civilisés, offrent les principales sources du droit international. Les propos des auteurs reconnus de droit international sont extrêmement utiles pour énoncer ce que sont ces pratiques et principes, mais leurs opinions personnelles dans le domaine, bien qu'utiles pour tendre vers un consensus, sont de nature auxiliaire dans la détermination de ce qui constitue le droit international. Ce point de vue, universellement accepté par l'ensemble des nations, est énoncé de façon péremptoire au par. 38(1) du Statut de la Cour internationale de Justice, qui dispose:

Article 38

1. La Cour, dont la mission est de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis, applique:

a)les conventions internationales, soit générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les États en litige;

b)la coutume internationale comme preuve d'une pratique générale acceptée comme étant le droit;

c)les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées;

d)sous réserve de la disposition de l'article 59, les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit. [Je souligne.]

Après avoir examiné ces sources de droit international, je conviens parfaitement avec les juges dissidents de la Cour d'appel que le droit international n'exige pas un élément moral aussi élevé que la majorité de cette cour et le juge du procès l'ont estimé nécessaire. En fait, Bassiouni ne fait pas l'unanimité parmi les auteurs de doctrine. Il a lui‑même précisé que, suivant l'opinion majoritaire au sein des experts en droit international, l'accusé n'est pas tenu de connaître la qualité légale de ses actes sur le plan international. Ce n'est certainement pas le droit international qui émerge du Statut du Tribunal militaire international, lequel n'exige aucune connaissance de la sorte. On n'a pas non plus considéré qu'il s'agissait d'une exigence dans les décisions de Nuremberg sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Et si l'on se reporte aux principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées, Bassiouni a, dans l'extrait du témoignage reproduit ci‑dessus, accepté le principe que l'ignorance de la loi n'est pas une excuse dans cette application du droit international [traduction] «puisqu'il existe dans tous les systèmes juridiques du monde».

En fait, si l'on jette un coup d'{oe}il sur l'histoire du droit international, la connaissance du droit international n'a jamais été un prérequis à la culpabilité. Traditionnellement, on peut constater que la conception occidentale et chrétienne du droit international, particulièrement dans ce domaine, correspond aux préceptes du droit naturel; en droit romain, par exemple, le jus gentium appliqué aux non‑Romains était présumé car il correspondait au jus naturalis. Dans la théorie du droit international de Grotius, qui s'appliquait à tous les individus également, les préceptes du droit international se sont imposés à titre de préceptes de la raison naturelle. La piraterie et l'esclavage étaient contraires au droit international dès lors que l'accusé avait attaqué des navires ou fait le commerce d'esclaves, peu importe qu'il sache comment son comportement était classifié en droit international. Tant sur le plan international que sur le plan national, le caractère blâmable en droit criminel ne consiste pas à violer sciemment la loi, mais plutôt à adopter délibérément un comportement que le droit international prohibe.

Il ressort clairement de l'ouvrage de Bassiouni que ce dernier exigeait la connaissance de la qualité légale des actes en raison de ses préoccupations sur l'état du droit international antérieur à la Seconde Guerre mondiale. J'analyserai plus exhaustivement la question de la présumée rétroactivité du droit international plus loin. Qu'il suffise de dire pour l'instant que cette opinion paraît être fondée sur un point de vue peu informé de la nature et des sources du droit international. Comme Bassiouni lui‑même l'a remarqué dans son témoignage, son opinion est minoritaire. Relativement aux crimes de guerre, le contenu des actes prohibés était incontestablement bien établi. Et relativement aux crimes contre l'humanité (auxquels Bassiouni s'intéressait dans ses commentaires reproduits ci‑dessus), l'opinion la plus représentative porte que ces crimes ont été bien établis par les coutumes du droit international comme on le constate dans la pratique et dans diverses conventions antérieures, et que leur existence était justifiée, en particulier, sur le fondement de la pratique générale de nombreuses lois internes, dont celles de l'Allemagne, qui ont sanctionné criminellement ce comportement. Par exemple, Schwarzenberger, International Law, vol. 2, The Law of Armed Conflict (1968), aux pp. 23 à 27, souligne que les décisions de Nuremberg sur les crimes contre l'humanité étaient fondées sur les prohibitions en vigueur dans les nations civilisées. Pour plus de certitude, cette source complémentaire (mais bien établie) de droit international est, je le répète, expressément mentionnée dans la définition de «crime contre l'humanité» énoncée au par. 7(3.76), qui fait mention des trois sources complémentaires de droit international, soit le droit international conventionnel, le droit international coutumier et les «principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations».

En résumé, donc, il faut, à mon avis, que l'accusé ait envisagé la qualité factuelle de l'infraction, par exemple, qu'il tirait sur un civil, ou qu'il savait que les conditions à bord du train étaient telles que les occupants pouvaient en souffrir. Il est impossible de traiter exhaustivement des aspects qui doivent comporter un élément de connaissance équivalent. La question de savoir s'il y a un élément moral équivalent relativement aux différents aspects dépendra du crime de guerre ou du crime contre l'humanité donné. Toutefois, dans presque tous les cas, sinon tous, j'estime que la définition de l'infraction sous‑jacente de droit interne englobera également la mens rea requise pour le crime de guerre ou le crime contre l'humanité. Ainsi, il n'est pas nécessaire que l'accusé ait su que son acte, s'il s'agit d'un homicide involontaire coupable ou d'une séquestration, équivalait à un «acte inhumain» au sens juridique ou moral du terme. Quiconque commet intentionnellement ou sciemment un homicide involontaire coupable ou un enlèvement a démontré la culpabilité morale requise pour un acte inhumain. La mens rea normale pour la séquestration, le vol qualifié, l'homicide involontaire coupable ou l'enlèvement suffit, qu'il s'agisse d'intention, de connaissance, d'insouciance ou d'ignorance volontaire. Comme Egon Schwelb le remarque dans «Crimes Against Humanity» (1946), 23 Brit. Y.B. Int'l L. 178, aux pp. 196 et 197, presque tous les crimes graves en droit interne des nations civilisées sont également, d'une façon élémentaire, des infractions coupables dans l'esprit de l'humanité; pour un point de vue semblable, voir Commission de réforme du droit du Canada, Notre droit pénal (1976), aux pp. 3, 5 et 7. Les conditions additionnelles de l'exigence de l'actus reus en droit international sont censées être utilisées pour s'assurer que les conditions factuelles sont telles que les questions de limites extraterritoriales en matière de relations internationales ne se posent pas. Puisque dans presque tous les cas, sinon tous, la mens rea pour le crime de guerre ou le crime contre l'humanité sera englobée dans la mens rea requise pour l'infraction sous‑jacente, dont il faut apporter la preuve au jury hors de tout doute raisonnable, le juge du procès ne devra que rarement, ou jamais, procéder à des constatations supplémentaires concernant la mens rea pour répondre aux exigences de compétence.

À partir de ce que j'ai pu déterminer, la question ne se pose pas en l'espèce, mais si l'on tient pour acquis qu'il peut, dans certains cas, y avoir des circonstances ayant trait aux crimes contre l'humanité et aux crimes de guerre qui mettent en cause la culpabilité personnelle d'un accusé qui ne serait pas englobée dans l'élément moral de l'infraction sous‑jacente, je ne crois pas qu'il puisse en découler une injustice. Il faut se rappeler qu'en vertu du par. 7(3.73) du Code, un accusé peut se prévaloir «des justifications, excuses ou moyens de défense reconnus [. . .] par [. . .] le droit international» et par le droit canadien. Dans le cas où des justifications, excuses ou moyens de défense auraient pu être invoqués si l'accusé avait été inculpé de l'infraction en vertu du droit international plutôt que de l'infraction sous‑jacente, ils devraient être soumis au jury avec des directives appropriées, que la question soit soulevée par la preuve présentée par le ministère public ou par celle de l'accusé. Le jury devrait alors trancher la question en faisant jouer tout doute raisonnable en faveur de l'accusé.

Pour ces motifs, je conclus que le juge du procès et la Cour d'appel à la majorité ont commis une erreur en exigeant une mens rea excessivement élevée allant au-delà de ce qui est requis pour l'infraction sous‑jacente.

Les questions relatives à la Charte

Jusqu'ici, je me suis attaché à dégager l'interprétation juste des par. 7(3.71) à (3.77) du Code criminel qui, ai‑je conclu, sont des dispositions attributives de compétence, et à définir le cadre précis du rôle du juge du procès lorsqu'il tranche la question préliminaire de la compétence. Je passe maintenant aux questions constitutionnelles soulevées par l'intimé et par les tribunaux de juridiction inférieure. Comme je l'ai remarqué précédemment, le juge du procès et la Cour d'appel à la majorité ont confondu l'activité d'interprétation avec l'adaptation aux préoccupations liées à la Charte. Je préfère d'abord dégager l'intention véritable du législateur conformément aux règles ordinaires d'interprétation des lois, et ensuite seulement, évaluer cette interprétation selon les normes constitutionnelles. Cette méthode est toute désignée en l'espèce puisqu'à mon sens, l'interprétation ne pose aucune difficulté au regard de la Charte. J'énoncerai maintenant les questions soulevées et mes réponses.

L'interprétation selon laquelle le par. 7(3.71) du Code criminel est un article attributif de compétence viole‑t‑elle l'art. 7 et l'al. 11f) de la Charte en retirant au jury la tâche de déterminer s'il s'agit d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité?

L'intimé n'a pas soulevé cette question comme moyen à l'appui du pourvoi incident en soi; elle sous‑tend plutôt son argument, de même que les motifs de la majorité de la Cour d'appel sur l'interprétation appropriée des par. 7(3.71) à (3.77). Sa préoccupation porte davantage sur l'art. 7 de la Charte. Il soutient que les individus jugés aux termes des par. 7(3.71) à (3.77) sont profondément stigmatisés. En conséquence, soutient‑il, les exigences de la justice fondamentale ne seront respectées que si l'accusé est déclaré coupable de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité par un jury convaincu hors de tout doute raisonnable et que si la connaissance et la mens rea subjective sont rattachées à ces crimes.

Cet argument dénote une mauvaise compréhension de la jurisprudence de notre Cour sur les préceptes de la justice fondamentale relatifs à la mens rea pour une infraction entraînant des stigmates particuliers. Dans l'arrêt R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636, à la p. 653, le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a exposé ainsi ce lien entre les stigmates et la mens rea requise:

. . . il existe, quoiqu'ils soient très peu nombreux, des crimes pour lesquels, en raison de la nature spéciale des stigmates qui se rattachent à une déclaration de culpabilité de ceux‑ci ou des peines qui peuvent être imposées le cas échéant, les principes de justice fondamentale commandent une mens rea qui reflète la nature particulière du crime en question.

J'ai remarqué, à la p. 665, que:

. . . en raison des stigmates liés à une déclaration de culpabilité de meurtre, les principes de justice fondamentale exigent une mens rea qui reflète la nature particulière de ce crime, savoir une qui se rapporte au fait de causer la mort. [. . .] Il suffit de dire que l'élément moral requis par l'al. 213d) du Code criminel est si éloigné de l'intention spécifique de commettre un meurtre (laquelle intention est à l'origine des stigmates liés à une déclaration de culpabilité de ce crime) qu'une déclaration de culpabilité rendue en vertu de cet alinéa est contraire à la justice fondamentale.

À mon avis, notre Cour n'a pas, dans l'arrêt Vaillancourt, précité, imposé une norme de preuve nécessaire, ni exigé que, dans les affaires entraînant des stigmates spéciaux, le jury tranche certaines questions afin que soient respectés les principes de justice fondamentale. Selon mon interprétation, la Cour a considéré que certaines infractions, auxquelles sont liés de profonds stigmates, exigeaient une mens rea supérieure, sur le plan du fond, qui reflète la nature de l'infraction en question. Le débat se situe au niveau du fond, et non de la procédure. Il s'agit de déterminer l'endroit où se situe, entre l'objectivité et la subjectivité, l'intention qui sous‑tend une infraction donnée. Notre analyse de la justice fondamentale dans l'arrêt Vaillancourt, précité, et dans toutes les affaires subséquentes, ne nous a pas amenés à conclure, simplement parce qu'un stigmate particulier peut se rattacher à certaines infractions, que la conclusion sur la mens rea doit être confiée exclusivement au jury et seulement en conformité avec une norme de preuve hors de tout doute raisonnable. Je remarque que, dans l'arrêt R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, notre Cour a déterminé que, lors d'une audience visant à «étiqueter» comme criminel dangereux une personne reconnue coupable, il n'incombe pas au jury de déterminer la dangerosité, bien qu'une détermination de ce genre entraîne manifestement un stigmate.

Le régime créé par le législateur aux par. 7(3.71) à (3.77) du Code ne prive pas l'accusé de ses droits d'une manière incompatible avec les principes de justice fondamentale. L'accusé ne peut être déclaré coupable de l'infraction reprochée (l'infraction sous‑jacente de droit interne) que si le jury conclut que l'élément moral pertinent a été établi hors de tout doute raisonnable. Cet élément moral, nous l'avons vu, coïncide avec celui du crime de guerre ou du crime contre l'humanité. Si des excuses, justifications ou moyens de défense peuvent être invoqués en vertu du droit international, l'accusé a droit au bénéfice du doute sur la question, y compris la mens rea liée à ces excuses, justifications et moyens de défense.

J'ajouterais que le stigmate découlant d'une déclaration de culpabilité sous le régime d'une loi sur les crimes de guerre ne résulte pas de la nature de l'infraction, mais plutôt des circonstances qui entourent la plupart des crimes de guerre. Il s'agit souvent d'une question d'échelle, en termes numériques, des actes en cause. Cet aspect se reflète toutefois dans l'infraction de droit interne; ainsi, l'accusation d'enlèvement ou d'homicide involontaire coupable de cent personnes en droit interne entraîne en soi un stigmate en raison de l'ampleur de l'infraction, mais ce stigmate n'a toutefois rien à voir avec l'art. 7. De même, la jurisprudence ne tient pas compte du fait qu'un stigmate se rattache à la déclaration de culpabilité pour une infraction dont les circonstances ne sont pas pertinentes sur le plan juridique, mais à l'égard desquelles la désapprobation du public est grande. Ainsi, l'individu déclaré coupable d'un meurtre commis avec préméditation et de propos délibéré peut faire face à d'autres stigmates du fait que ses actes étaient particulièrement répulsifs et violents, mais notre régime n'en tient aucun compte.

L'interprétation du par. 7(3.71) par la Cour d'appel à la majorité traduit une préoccupation distincte, quoique reliée. La cour a examiné le droit, garanti par l'al. 11f) de la Charte, à un procès par jury pour étayer les autres motifs qui l'amènent à interpréter le par. 7(3.71) comme créant les infractions de crime de guerre et de crime contre l'humanité. La majorité a remarqué que la fonction du jury est solidement enracinée dans la détermination de la culpabilité ou de l'innocence de l'accusé. À son avis, la question de savoir si le comportement de l'accusé équivaut à un crime de guerre ou à un crime contre l'humanité ressortit à la culpabilité et doit donc être confiée au jury. À la p. 111 de ses motifs, la majorité a expliqué:

[traduction] Il ne fait aucun doute que les allégations que Finta a commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité concernent sa culpabilité. Sans ces allégations, le Canada n'a aucun intérêt à traduire Finta en justice devant une cour criminelle canadienne pour qu'il réponde de ses actes et n'est pas justifié de le faire. Le droit moral que le Canada peut faire valoir contre les personnes qui ont commis à l'étranger les infractions prévues au par. 7(3.71) ne naît pas de la seule allégation de violation du droit criminel canadien, mais de l'allégation supplémentaire que la violation a atteint la dimension et la qualité de crime de guerre ou de crime contre l'humanité. L'obligation internationale du Canada d'engager des poursuites relativement à de telles infractions repose sur le même fondement.

De l'avis de la Cour d'appel, la question a donc à juste titre été soumise à l'appréciation du jury.

À mon avis, le Canada a toujours un intérêt, ou un droit moral, à traduire en justice ceux qui commettent des actes qu'il juge choquants. Le comportement n'est pas considéré comme moins coupable du seul fait qu'il est commis à l'étranger; peu importe sa victime et l'endroit où il est commis, le meurtre nous apparaît répugnant. Ce sentiment se traduit, comme je l'ai remarqué précédemment, dans nos lois sur l'immigration et l'extradition. Toutefois, puisque le Canada respecte les prémisses fondamentales sur lesquelles reposent les relations internationales (la courtoisie et le respect de la souveraineté des États indépendants), il a lui‑même imposé une limite à sa capacité d'intenter des poursuites à l'égard de ces actes coupables lorsqu'ils sont commis à l'extérieur de son territoire. Compte tenu de notre respect pour la souveraineté et de notre confiance envers les normes des autres nations, nous attendons généralement de ces dernières qu'elles punissent le comportement coupable. Une telle limite se justifie également au nom de l'efficacité de la poursuite; il est en général plus efficace d'engager des poursuites là où l'acte criminel a effectivement été commis. Nous ne saurions cependant oublier qu'à notre avis, ce comportement est toujours coupable et viole nos normes juridiques. C'est ce qu'exprime l'art. 6 du Code, analysé ci‑dessus. Le principe général qui y est énoncé ne dépouille pas les infractions commises à l'étranger de leur culpabilité aux yeux des Canadiens; il retire plutôt le pouvoir de condamner ou d'exonérer.

La partie du par. 7(3.71) qui traite de compétence concerne plutôt la détermination du tribunal approprié pour entendre l'affaire. En d'autres termes, l'analyse vise à déterminer si les tribunaux canadiens sont habilités à condamner ou à exonérer l'auteur du fait en cause. En raison, on le présume, de la répulsion que tous ressentent à l'égard de ce genre d'actes et du fait qu'elle reconnaît la nécessité de coopérer puisqu'il est difficile de traduire en justice les auteurs des infractions au lieu où elles ont été commises, la communauté internationale a convenu que les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité présentaient des cas justifiant une exception aux considérations générales du droit international. La question préliminaire que pose le par. 7(3.71), soit celle de savoir si la conduite visée est un cas qui, selon la communauté internationale, justifie un traitement d'exception par rapport aux préceptes généraux du droit international, comporte l'analyse des obligations internationales du Canada et d'autres questions concernant les relations entre nations. Du point de vue du Canada, la culpabilité à l'égard des actes visés par cette disposition résulte de ce qui est considéré comme un comportement répréhensible en vertu des normes canadiennes exprimées dans le Code, et doit être évaluée en conséquence. En l'absence d'une convention internationale, nous aurions tout de même conclu que la conduite était criminelle et coupable mais, pour d'autres raisons de principe, nous n'aurions pas engagé de poursuites devant nos tribunaux. C'est cette conception interne de la culpabilité qui a amené le Canada à s'obliger par les conventions internationales dans ce domaine. La décision de conférer aux tribunaux canadiens la compétence en matière de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, comme c'est le cas dans les autres situations où la compétence extraterritoriale est conférée à l'art. 7 du Code, est fondée non pas sur la culpabilité, mais sur d'autres considérations de principe souvent tout à fait distinctes. La question préliminaire, en ce qui concerne les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, est plus une question politique qu'une question de culpabilité et, pour cette raison, ne relève traditionnellement pas de la compétence d'un jury. Certes, la norme qui permet de déterminer s'il s'agit d'un cas exceptionnel est celle relative aux «crimes» internationaux. Cela ne change toutefois rien au fait que les considérations qui sous‑tendent cette détermination font intervenir des questions d'obligations internationales, que le juge du procès est plus en mesure de trancher.

À mon avis, cette situation s'apparente à celle que j'ai commentée dans l'arrêt Libman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 178, qui traitait de la compétence du Canada en matière criminelle. J'y ai signalé que les questions de courtoisie internationale commandent normalement une application extraterritoriale restreinte du droit criminel canadien. J'ai cependant ajouté que, dans le contexte de cette affaire, il n'y avait pas eu atteinte aux impératifs de la courtoisie internationale puisqu'une partie importante des activités criminelles en question s'était déroulée au Canada. En outre, j'ai fait remarquer que notre respect des intérêts des autres États est en fait servi par l'aide à la poursuite à l'égard d'infractions ayant un incidence transnationale. Dans un monde de plus en plus interdépendant, ai‑je fait remarquer (à la p. 214), «chacun est le gardien de son frère» — nous devons tous veiller au bien‑être des membres des autres sociétés. Notre responsabilité internationale ne peut jamais être plus en jeu que dans les cas de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Non seulement la communauté internationale a déclaré qu'elle ne s'opposait pas à ce que nous exercions notre compétence dans ce domaine, mais elle encourage activement les poursuites contre les personnes dont la conduite criminelle constitue aussi des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. Du pur point de vue de notre responsabilité morale, je ne vois aucune injustice à engager des poursuites à l'égard de ces crimes conformément à nos procédures normales en matière criminelle.

Compte tenu de la nature technique des conclusions de fait que le juge du procès doit tirer sur la question préliminaire de la compétence, ainsi que de la nature complexe du droit international qu'il lui faut saisir, il est juste et adéquat que cette tâche lui soit attribuée. Comme je l'ai remarqué précédemment, les questions factuelles soulèvent des questions spécifiques à la guerre, à la politique d'État et à la classification de groupes ou d'individus. Dans le cas d'un crime de guerre donné, le juge du procès devra faire face à des questions de circonstances, comme celle de savoir si les actes ont été commis pendant la guerre, et à des questions de définition des objets visés par le comportement en cause, comme celle de savoir si les victimes étaient des soldats ennemis, des prisonniers s'étant livrés ou des civils. Lorsqu'il est allégué qu'un crime contre l'humanité a été commis, les conclusions du juge du procès devront inclure des questions comme celle de savoir si le comportement reproché était l'exécution pratique d'une politique d'État et si le comportement visait une population civile ou un groupe identifiable de personnes. Le caractère technique de ces questions, qui ne sont pas liées aux questions de culpabilité, n'entre pas dans les attributions spéciales du jury. Ceci m'amène à conclure qu'il n'est pas inéquitable ni contraire à notre conception du procès par jury de confier la détermination de ces questions au juge du procès plutôt qu'au jury.

Par ailleurs, une grande confusion règne même dans la doctrine quant à la délimitation du contenu du droit international. Aucun expert dans ce domaine ne formule précisément les éléments physiques et moraux des infractions de crime de guerre et de crime contre l'humanité en droit international et leurs moyens de défense. Cette confusion est compréhensible et inévitable dans notre régime de droit international appliqué par des nations souveraines. Bien que certains aspects de ces infractions soient précisés dans des conventions, il n'en est pas toujours ainsi; la coutume est une autre source importante du droit international. Pour déterminer la coutume, il faut étudier de façon approfondie les pratiques des nations. En outre, la définition de crime contre l'humanité du Code criminel est nourrie par les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations. Comme L. C. Green le remarque dans «Canadian Law, War Crimes and Crimes Against Humanity» (1988), 59 Brit. Y.B. Int'l L. 217, à la p. 226:

[traduction] . . . il serait extrêmement difficile de tenter de définir exactement ce que signifient les «principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations». [. . .] La difficulté tient à la détermination de ce que sont les «principes généraux de droit», et du pourcentage des États du monde qui forment une proportion suffisante pour que l'on puisse parler de «l'ensemble des nations». Ce groupe doit‑il inclure toutes les grandes puissances, ou doit‑il être représentatif de tous les principaux régimes juridiques du monde?

Ce n'est évidemment pas répondre à cette question complexe que de dire que le contenu des infractions internationales est trop difficile à dégager et que, par conséquent, l'accusé ne peut être déclaré coupable; la confusion est la réalité du droit international, que le Canada s'est obligé à observer et à appliquer. L'obligation internationale est toutefois susceptible d'être délaissée lorsque le jury est appelé à déterminer le contenu des infractions en droit international. Cette inévitable confusion risque d'amener le jury à croire que les normes internationales ne forment pas réellement le droit et ouvre la porte à une pratique manipulatrice du droit. Il est donc préférable de laisser la délimitation précise du droit international entre les mains du juge du procès, dont la formation le prépare mieux à s'attaquer à la tâche. En effet, non seulement le juge a une meilleure formation que le jury pour analyser le droit international, mais, en fait, son interprétation du droit international revêt une certaine autorité au niveau international (voir l'art. 38 du Statut de la Cour internationale de Justice). Encore une fois, les questions qui se posent ne sont pas étroitement liées à la culpabilité de l'accusé à l'égard de l'infraction de droit interne; elles sont plutôt juridiques et techniques. À mon avis il ne fait aucun doute que la justice est mieux servie si on laisse au juge du procès le soin de trancher la question du droit international. Peut‑être convient‑il de préciser que le processus ressemble quelque peu à celui qui consiste à déterminer le contenu et l'application de la common law, si ce n'est que cette dernière, quelque fluide et mouvante qu'elle puisse être, est beaucoup plus précise.

Le point de vue adopté par les tribunaux de juridiction inférieure entraîne le résultat incongru suivant. Les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité ont été considérés comme étant haineux au point qu'ils requéraient une procédure si difficile à appliquer qu'il était peu probable que la poursuite réussisse. Ce n'est sûrement pas ce que prescrit la Charte. Depuis l'arrêt R. c. Lyons, précité, notre Cour a à maintes reprises réitéré d'une part, que l'art. 7 commande une procédure équitable, et non pas la procédure la plus favorable à l'accusé que l'on puisse imaginer et, d'autre part, qu'au nom de l'équité, il est nécessaire d'analyser adéquatement l'intérêt public (à la p. 362). Et, en l'espèce, l'intérêt public n'est rien de moins que l'obligation du Canada, à titre de membre responsable de la communauté internationale, de traduire en justice ceux d'entre nous qui ont commis des actes constituant des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité — une obligation manifestement envisagée par la Charte (al. 11g)). Conçue par le législateur, cette procédure est essentielle pour souligner les valeurs fondamentales que partagent les Canadiens avec la communauté internationale. Elle ne doit pas uniquement permettre que justice soit faite à l'égard des horreurs du passé. Elle doit également répondre aux atrocités qui nous assaillent chaque jour à la télévision et qui, nous avons tous les motifs de le craindre, se poursuivront. Et, naturellement, la procédure conçue par le législateur est juste. Sous réserve des modifications appropriées pour permettre au Canada de respecter les limites de sa compétence aux termes du droit des nations et des moyens de défenses supplémentaires qu'elle offre, c'est la même procédure que nous utilisons pour poursuivre les Canadiens pour des crimes commis au Canada. Mis à part une exception requise par le droit international, ceux qui sont accusés d'avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité n'ont droit à rien de moins, et ils ne méritent rien de plus.

Comme nous l'avons vu, de nombreux motifs convaincants justifient le choix du législateur de confier au juge du procès la question préliminaire de la compétence concernant l'existence d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité qui doit être établie selon la prépondérance des probabilités. Il faut bien comprendre toutefois que le rôle du jury dans la poursuite demeure étendu. Comme dans toute autre poursuite en droit interne, le jury est le seul arbitre pour décider si l'actus reus et la mens rea de l'infraction reprochée sont tous deux présents et s'il existe des moyens de défense en droit interne. Par ailleurs, outre ses fonctions habituelles, le jury décide également s'il existe des justifications, excuses ou moyens de défense en droit international. Ces décisions ne sont pas de simples conclusions techniques qui complètent le rôle étendu confié au juge du procès; au contraire, elles vont au c{oe}ur même de la question de la culpabilité de l'accusé. Le jury est seul à décider si l'accusé est physiquement et moralement coupable de l'infraction reprochée selon une preuve hors de tout doute raisonnable.

Le seul élément qui soit retiré du champ habituel des considérations du jury dans les poursuites en droit interne est le moyen de défense fondé sur la loi de facto (par. 7(3.74)). Il s'agit là du second moyen invoqué par l'intimé dans le pourvoi incident, que j'examinerai maintenant.

Le paragraphe 7(3.74) du Code criminel viole‑t‑il l'art. 7 de la Charte en éliminant des moyens de défense existants?

Pour comprendre le régime général des moyens de défense prévus au Code, on doit lire le par. 7(3.74) conjointement avec le par. 7(3.73). Par souci de commodité, je les reproduis ici:

7. . . .

(3.73) Sous réserve du paragraphe 607(6) et bien que le fait visé au paragraphe (3.71) constitue une infraction au droit canadien en son état à l'époque de la perpétration, l'accusé peut, dans le cadre des poursuites intentées sous le régime de la présente loi à l'égard de ce fait, se prévaloir des justifications, excuses ou moyens de défense reconnus à cette époque ou celle du procès par le droit canadien ou le droit international.

(3.74) Par dérogation au paragraphe (3.73) et à l'article 15, une personne peut être déclarée coupable d'une infraction à l'égard d'un fait visé au paragraphe (3.71), même commis en exécution du droit en vigueur à l'époque et au lieu de la perpétration ou en conformité avec ce droit.

La bonne façon d'interpréter ces deux paragraphes est qu'ils doivent être mis en corrélation. À mon avis, le par. 7(3.73) ne contredit pas le par. 7(3.74). Ils signifient ensemble que l'accusé a le bénéfice de tous les moyens de défense, justifications ou excuses existant en droit international et en droit interne. L'application du par. 7(3.74) ne fait qu'éliminer le simple argument selon lequel, puisqu'une loi interne existait, la conduite reprochée était autorisée et donc excusée. J'ai mentionné précédemment que cette règle tire sa source du droit international en la matière et repose sur le fondement même de l'existence de ce droit; voir Principes du Statut et de l'arrêt de Nuremberg, art. IV, op. cit.

L'inclusion de justifications, excuses et moyens de défense en droit international permettra que soit inclus tout principe reconnu, propre au contexte international. Le risque de représailles ou le principe plus général de la nécessité militaire offrent un exemple de moyen de défense particulier en droit international; voir notamment W. J. Fenrick, «The Prosecution of War Criminals in Canada» (1989), 12 Dalhousie L.J. 256, aux pp. 273 et 274. Toutefois, ces moyens de défense, justifications ou excuses en droit international ne sont pas invoqués dans la présente affaire, et aucun ne s'applique.

Le moyen de défense de l'obéissance aux ordres militaires et celui de l'agent de la paix soumis au jury en l'espèce existent en droit canadien et se rapportent aux arguments fondés sur l'autorisation ou l'obéissance à la loi interne. Ils ne sont pas simplement fondés sur la prétention selon laquelle une loi interne autorisait les accusés à agir. La raison d'être de ces moyens de défense est qu'une analyse réaliste des organisations militaires et policières montre qu'elles exigent un élément d'obéissance pure et simple; il faut donc un certain degré d'adaptation pour les membres de ces organisations.

Par ailleurs, il est généralement reconnu que la loyauté totalement aveugle ne peut abriter aucun être humain, même soldat. Les dispositions canadiennes sont probablement plus généreuses que ce que requiert le droit international. Par exemple, de nombreux avocats en droit international ont remarqué que le moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur n'est pas officiellement reconnu en droit international; voir par exemple Yoram Dinstein, The Defence of `Obedience to Superior Orders' in International Law (1965). Dans le Statut du Tribunal militaire international et dans les procès intentés sous son régime, on n'a pas reconnu ce moyen de défense, sauf pour atténuer la peine. Il fait toutefois partie du droit militaire de beaucoup de nations. Le procès militaire américain des soldats ayant pris part au terrible massacre de My Lai pendant la guerre du Viêt‑nam est une affaire militaire très connue, où le moyen de défense a été invoqué. À mon avis, ce dernier fait partie de notre droit interne, comme l'explique remarquablement L. C. Green dans son ouvrage; voir par exemple, Superior Orders in National and International Law (1976). Le moyen de défense n'est pas simplement fondé sur l'idée d'obéissance ou d'autorité de la loi de facto du pays, mais plutôt sur la considération des responsabilités de l'individu dans le contexte d'une unité de militaires ou d'agents de la paix. Pour ces motifs, un tel moyen de défense peut être pris en considération par le jury, et n'est pas exclu par le par. 7(3.74).

En substance, l'obéissance à l'ordre d'un supérieur semblerait être une défense valable à moins que l'acte en cause soit tellement choquant qu'il est manifestement illégal. De plus, quoi qu'il en soit, l'accusé ne sera pas déclaré coupable d'un acte commis en raison d'un ordre s'il n'avait d'autre liberté morale que d'obéir. On peut saisir l'essence du moyen de défense et des circonstances dans lesquelles il peut s'appliquer dans certains passages de doctrine pertinente, dont beaucoup sont reproduits dans L. C. Green, «The Defence of Superior Orders in the Modern Law of Armed Conflict» (1993), 31 Alta. L. Rev. 320. J'en reproduis quelques‑uns. Lauterpacht, ayant invoqué des ouvrages britanniques et américains du droit militaire, s'exprime ainsi à ce sujet dans son édition révisée d'International Law d'Oppenheim (6e éd. 1944), vol. 2, aux pp. 452 et 453:

[traduction] . . . le tribunal auquel on soumet la défense d'obéissance aux ordres d'un supérieur pour justifier un crime de guerre doit prendre en considération le fait que les membres des forces armées sont tous tenus d'obéir aux ordres militaires qui ne sont pas manifestement illégaux et qu'on ne peut s'attendre à ce qu'en contexte de discipline de guerre, ils pèsent scrupuleusement le bien‑fondé légal de l'ordre reçu [. . .] Toutefois, [. . .] la question est régie par le principe primordial suivant lequel les membres des forces armées sont tenus d'obéir aux seuls ordres légaux, et ils ne peuvent par conséquent esquiver la responsabilité si, dans l'exécution d'un ordre, ils commettent des actes qui violent des règles incontestées de guerre et choquent le sentiment général d'humanité.

Qu'il n'y ait rien d'injuste à ne pas reconnaître la défense de l'obéissance aux ordres d'un supérieur lorsque l'acte est «manifestement illégal» est évident si l'on tient compte de la nature d'un ordre manifestement illégal, tel qu'exposé dans l'affaire Ofer c. Chief Military Prosecutor (l'affaire Kafr Qassem) [appel 279‑283/58, Psakim (Jugements des Cours de district d'Israël), vol. 44, à la p. 362], citée en appel devant le tribunal d'appel militaire, Pal. Y.B. Int'l L. (1985), vol. 2, p. 69, à la p. 108, où la Cour d'appel militaire d'Israël a approuvé la déclaration suivante:

[traduction] Le signe déterminant d'un ordre «manifestement illégal» doit flotter au‑dessus de l'ordre donné comme un drapeau noir en guise de mise en garde disant: «interdit». La question importante en l'espèce n'est pas l'illégalité formelle, dissimulée ou à demi dissimulée, ni l'illégalité qui se détecte par les seuls experts juridiques, mais une violation manifeste et frappante de la loi, une illégalité certaine et évidente qui découle de l'ordre lui‑même, de la nature criminelle de ce dernier ou des actes qui doivent être commis de ce fait, une illégalité qui transperce et trouble le c{oe}ur, si l'{oe}il n'est pas aveugle ni le c{oe}ur fermé ou corrompu. Il s'agit là du degré d'illégalité «manifeste» requis pour annuler le devoir d'obéissance du soldat et rendre ce dernier criminellement responsable de ses actes.

Sur ce point, le juge du procès a effectué un travail équilibré en énonçant les conditions d'application du moyen de défense. Quant au moyen de défense de l'agent de la paix, le juge a indiqué au jury que le ministère public doit établir hors de tout doute raisonnable: (1) qu'aucune personne raisonnable placée dans la situation de l'accusé n'aurait sincèrement (même par erreur) cru qu'elle avait le pouvoir légal, ou, (2) que toute personne raisonnable placée dans la situation de l'accusé aurait su que l'infraction (p. ex., la séquestration) avait la qualité factuelle du crime contre l'humanité ou du crime de guerre, ou, (3) que l'accusé a utilisé une force inutile ou excessive. Pour ce qui est du moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres militaires, le juge a dit au jury que le ministère public devait démontrer hors de tout doute raisonnable: (1) qu'aucune personne raisonnable placée dans la situation de l'accusé aurait sincèrement (même par erreur) cru que l'ordre était légal, ou, (2) que toute personne raisonnable placée dans la situation de l'accusé aurait su que la séquestration avait la qualité factuelle du crime contre l'humanité ou du crime de guerre, et, (3) que l'accusé avait la liberté morale de désobéir parce qu'aucune personne raisonnable placée dans sa situation aurait sincèrement (même par erreur) cru, en se fondant sur des motifs raisonnables, qu'elle subirait un préjudice égal ou supérieur à celui causé. À mon sens, les limites ainsi imposées à ces moyens de défense respectent l'esprit du par. 7(3.74), qui consiste à exclure purement et simplement la prétention d'avoir agi en obéissance à la loi de facto du pays.

Il ne faut pas perdre de vue que «les exigences de la justice fondamentale ne sont pas immuables; elles varient selon le contexte dans lequel on les invoque»; voir l'arrêt Lyons, précité, à la p. 361. Je serais d'avis, à l'instar du juge en chef adjoint Callaghan, à la p. 586, qu' [traduction] «[i]l n'existe aucune règle législative ou de common law appuyant la position portant que tous les moyens de défense s'appliquent à toutes les infractions». Dans l'arrêt R. c. Bernard, [1988] 2 R.C.S. 833, notre Cour à la majorité a convenu que l'élimination d'un moyen de défense donné ne viole pas les principes de justice fondamentale reconnus à l'art. 7 de la Charte, même lorsque l'on peut faire valoir que ce moyen de défense (l'ivresse) concerne l'existence de la mens rea. C'est particulièrement le cas lorsque le moyen de défense disculpatoire irait à l'encontre de l'objectif même d'une infraction; par exemple, l'ivresse ne peut être invoquée en défense à une accusation de conduite avec facultés affaiblies puisqu'elle est l'essence même de l'infraction; voir R. c. Penno, [1990] 2 R.C.S. 865. De façon moins controversée, les justifications et les excuses sont communément restreintes dans leur application, et rien n'indique que cela viole les principes de justice fondamentale. Par exemple, l'art. 14 du Code écarte l'application de la défense de consentement à l'égard des infractions consistant à infliger la mort.

Toute la raison d'être des limites à la responsabilité individuelle pour les crimes de guerre ou les crimes contre l'humanité tient à ce qu'il existe des responsabilités plus élevées que la simple observation du droit interne. Le fait qu'une loi d'un pays autorise quelque conduite clairement inhumaine ne peut être accepté comme moyen de défense. En fait, la cruauté encouragée ou autorisée par l'État constitue l'un des principaux problèmes reliés aux crimes de guerre et particulièrement aux crimes contre l'humanité. Permettre à l'État d'autoriser ses représentants et de les exonérer de toute responsabilité par la simple adoption d'une loi autorisant un comportement contraire aux principes du droit international et aux principes généraux de droit reconnus par toutes les nations civilisées est à mon avis insoutenable. Le point de vue fondamental d'un pays comme le Canada, qui reconnaît que les normes du droit international font partie du droit interne, ne peut admettre que d'autres États nient simplement ou violent les normes du droit international en adoptant des lois internes contraires.

Avant d'examiner les autres questions relatives à la Charte qui sont soulevées dans le pourvoi incident, je devrais dire que j'accepte en grande partie le raisonnement du juge en chef adjoint Callaghan et des juges de la Cour d'appel comme étant plus qu'adéquat pour trancher ces autres questions. J'ajouterai tout de même certains commentaires supplémentaires. Les motifs que je viens de donner n'atténuent en rien les conclusions du juge en chef adjoint Callaghan, acceptées unanimement par la Cour d'appel, sur les quatre autres questions relatives à la Charte soulevées dans le pourvoi incident.

Les dispositions relatives au crime de guerre violent‑elles l'art. 7 et l'al. 11g) de la Charte pour cause de rétroactivité?

À première vue, le par. 7(3.71), attributif de compétence, requiert expressément que l'acte reproché ait été illégal à la fois en droit canadien et en droit international à l'époque où il a été commis. Il suffit encore une fois, pour répondre à cet argument fondé sur la Charte, de dire que l'accusé n'est pas inculpé ni puni à l'égard d'une infraction au droit international, mais d'une infraction criminelle qui était prévue dans le Code criminel au moment de sa perpétration. L'accusé fait cependant valoir que le droit international en cette matière était à la fois rétroactif et imprécis. Cet argument est à mon avis fondé sur une compréhension superficielle de la nature et du contenu du droit international.

Aux termes des définitions de «crime de guerre» et de «crime contre l'humanité» au par. 7(3.76), l'acte doit constituer «à l'époque et dans ce lieu, une transgression du droit international coutumier ou conventionnel». La définition de «crime contre l'humanité» prévoit explicitement une troisième possibilité, savoir que l'acte ait «un caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations».

La nature d'un régime international décentralisé est telle que le droit international ne peut être aisément réuni dans une sorte de code transnational. Ses sources variées risquent d'alarmer certains positivistes rigoureux, mais presque tous les avocats en droit international reconnaissent maintenant la nature simpliste d'une analogie aussi élémentaire avec les exigences d'un régime juridique interne; voir notamment Williams et de Mestral, op. cit. Le droit international trouve ses sources les plus courantes dans la coutume internationale telle qu'on la retrouve dans la pratique des États et dans les conventions internationales. Il existe cependant d'autres sources également bien établies. L'alinéa 38(1)c) du Statut de la Cour internationale de Justice en énumère une troisième, à savoir «les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées».

Même sur le fondement des conventions internationales et du droit coutumier, de nombreux documents distincts indiquaient l'élargissement des interdictions des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Particulièrement à l'égard des crimes de guerre, de nombreuses conventions montraient qu'il existait des règles internationales sur la conduite d'une guerre et une responsabilité individuelle à cet égard. Ces limites étaient prévues dans les codes de conduite chrétiens, dans les règles de la chevalerie et dans les ouvrages des grands auteurs en droit international, comme Grotius. Ce droit européen coutumier a été entièrement confirmé et élaboré dans plusieurs traités et conventions au cours des XIXe et XXe siècles, notamment dans les Conventions de la Haye de 1899 et de 1907. Cette liste impressionnante de comportements interdits en temps de guerre couvrait le traitement réservé aux non‑combattants, aux civils innocents de même qu'aux prisonniers, malades et blessés.

En outre, il y a lieu de remarquer que le droit international continue d'affirmer que l'existence des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité était bien établie. C'est encore aujourd'hui le point de vue officiel des tribunaux internes ou internationaux. Comme Bassiouni, op. cit., le remarque aux pp. 534 et 535:

[traduction] . . . des arguments ont été constamment avancés à l'encontre de la légalité des définitions dans le Statut de «crimes contre l'humanité» lors des procès de Nuremberg et de Tokyo, lors des poursuites intentées après Nuremberg en vertu de la [loi no 10 du Conseil de contrôle allié], dans les instances tenues par les Alliés dans leurs zones d'occupation, et devant les tribunaux militaires spéciaux créés par les États‑Unis en Extrême‑Orient. Des prétentions semblables ont été avancées devant les tribunaux nationaux, notamment lors des procès d'Eichmann et de Barbie, tenus respectivement en Israël et en France. Elles ont toujours été rejetées.

Bassiouni lui‑même a continué à avoir des doutes sur le statut quelque peu incertain des crimes contre l'humanité. Il est d'avis qu'il est nécessaire de créer un tribunal international entièrement distinct de même qu'un code international distinct et exhaustif. S'il s'agit là d'objectifs louables, on ne devrait toutefois pas permettre que l'absence de ces conditions idéales fausse la question de savoir si des crimes contre l'humanité étaient rétroactifs en 1944 ou non. Les actes reprochés à ce titre avaient des assises solides.

En ce qui concerne les crimes contre l'humanité, je préfère le raisonnement d'auteurs comme Schwarzenberger, op. cit., qui ont souligné que la source la plus solide en droit international en matière de crimes contre l'humanité est l'ensemble des interdictions communes de ces crimes dans les pays civilisés. La conduite placée dans la catégorie des crimes contre l'humanité était de celles qu'aucun pays civilisé moderne ne pouvait tolérer; réduction en esclavage, extermination et autres actes inhumains dirigés contre des populations civiles ou des groupes identifiables. Ces formes de conduites ont été si largement interdites dans les sociétés qu'on peut véritablement dire qu'elles tombent dans la catégorie de conduite mala in se. Même Bassiouni, op. cit., à la p. 168, remarque que l'[traduction] «histoire démontre que ce qu'on appelle maintenant un "crime contre l'humanité" faisait partie des "principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées" bien avant l'élaboration du Statut en 1945».

Les rédacteurs de notre Charte avaient prévu que les tenants de points de vue peu informés sur le droit international pourraient soutenir que l'application du contenu du droit international pourrait être rétroactive. C'est pourquoi l'al. 11g) prévoit expressément la possibilité d'une condamnation en vertu du droit international ou des principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations. La revue de l'historique des versions de cette disposition révèle qu'un des facteurs qui a motivé son libellé était le souci d'éliminer toute crainte que soient autrement empêchées des poursuites contre des criminels de guerre ou des personnes accusées de crimes contre l'humanité; voir le Rapport de la Commission Deschênes, op. cit., aux pp. 147 à 158, particulièrement aux pp. 154 à 157; Procès‑verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada, fascicule no 47 (28 janvier 1981), aux pp. 47:57 à 47:59 et fascicule no 41 (20 janvier 1981), à la p. 41:99.

Pour ces motifs, j'estime évident que les dispositions du Code ne violent pas l'al. 11g) pour cause de rétroactivité.

Le paragraphe 7(3.71) pris en corrélation avec le par. 7(3.76) viole‑t‑il l'art. 7 de la Charte pour cause d'imprécision?

L'intimé soutient que la loi aux termes de laquelle il est accusé est inconstitutionnelle du fait qu'elle est excessivement imprécise. De toute évidence, cet argument concerne le caractère général des définitions de crime de guerre et de crime contre l'humanité. Encore une fois, il suffit de répondre que l'infraction reprochée à l'accusé et pour laquelle il sera puni est l'infraction de droit interne du Code criminel de 1927 et il est clair que le pourvoi incident ne vise pas à soutenir que ces dispositions classiques du Code sont imprécises au point d'être inconstitutionnelles.

Dans la mesure où les arguments relatifs à l'imprécision visent l'article attributif de compétence, comme je l'ai souligné précédemment, je considère que cet argument repose d'abord sur un point de vue étroit de la nature et du contenu du droit international. Comme Williams et de Mestral, op. cit., note à la p. 12, le remarquent, bien qu'il ne soit pas exhaustivement codifié, le droit international peut néanmoins être déterminé. Compte tenu de notre tradition de common law, nous devrions avoir l'habitude de dégager le droit de différentes sources. La disposition qui donne les définitions (le par. 7(3.76)) prescrit que le crime de guerre est en partie défini par le droit international coutumier ou conventionnel, et le crime contre l'humanité par le droit international coutumier ou conventionnel, ou par les principes généraux reconnus par les nations civilisées.

Comme je l'ai signalé précédemment, les exigences du droit international en 1944 relativement aux crimes de guerre sont perçues comme étant très minutieuses et détaillées. Et en ce qui concerne les crimes contre l'humanité, bien qu'ils soient quelque peu plus difficiles à définir, le renvoi aux lois internes de la plupart des nations civilisées à l'époque indiquerait que ce comportement serait exclu sous le régime des lois internes. Enfin, je le répète, la plus grande partie de ce comportement est illégale aux termes du droit international parce qu'il est considéré comme étant si manifestement coupable sur le plan moral qu'il tend à être malum in se.

La norme de l'imprécision inconstitutionnelle a été analysée par notre Cour dans plusieurs affaires. Dans l'arrêt R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, le juge Gonthier a résumé ainsi la norme de l'imprécision à la p. 643: «une loi sera jugée d'une imprécision inconstitutionnelle si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire». Dans l'arrêt United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901, le juge McLachlin, s'exprimant au nom de la majorité, a écrit à la p. 930:

Le syndicat invoque le principe selon lequel tous les crimes et toutes les sanctions ne peuvent être créés qu'en conformité avec un droit établi et déterminé d'avance. Mais une loi non codifiée ne porte pas nécessairement atteinte à ce principe. Pendant des siècles, la plupart de nos crimes n'étaient pas codifiés et n'étaient pas perçus comme constituant une violation de cette règle fondamentale. Et, réciproquement, une codification n'apporte pas la garantie que tout est prévu dans le Code; la détermination de certains éléments de crimes codifiés nécessite fréquemment le recours aux notions de common law: voir l'arrêt R. c. Jobidon, [1991] 2 R.C.S. 714, dans lequel le juge Gonthier au nom de notre Cour signale le rôle important que la common law continue à jouer en droit criminel.

À mon avis, la teneur des sources coutumières, conventionnelles et comparatives est suffisamment explicite pour satisfaire à cette norme.

Le délai avant procès viole‑t‑il l'art. 7 et les al. 11b) et 11d) de la Charte?

L'intimé fait également valoir que le délai de quelque 45 ans qui s'est écoulé entre la perpétration alléguée des infractions et son inculpation enfreint ses droits garantis par la Charte. Sa prétention n'est pas fondée. Notre Cour a déjà jugé que les délais qui précèdent l'inculpation peuvent, tout au plus, avoir une influence dans certaines circonstances sur l'évaluation du caractère raisonnable du délai qui suit l'inculpation mais ne comptent pas comme tels dans ce dernier; voir R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771, à la p. 789. Plus communément, il n'est pas tenu compte du délai antérieur à l'inculpation dans cette évaluation; voir R. c. Kalanj, [1989] 1 R.C.S. 1594. La Charte ne protège pas les accusés contre des poursuites sur le seul fondement du temps qui s'est écoulé entre la perpétration de l'infraction et l'inculpation; voir R. c. L. (W.K.), [1991] 1 R.C.S. 1091, à la p. 1100. Comme l'intimé ne semble pas se plaindre du délai qui a suivi l'inculpation, ce moyen d'appel incident doit être rejeté.

Le paragraphe 7(3.71) viole‑t‑il les art. 7 et 15 de la Charte pour la raison qu'il s'applique uniquement à des actes commis à l'étranger?

Cet argument suppose que le par. 7(3.71) du Code crée les nouvelles infractions de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Comme nous l'avons déjà vu, cette disposition est attributive de compétence et ne crée pas de nouvelles infractions. Que la conduite reprochée ait eu lieu au Canada ou à l'étranger, l'accusé serait inculpé de la même infraction qu'en l'espèce, que ce soit le meurtre, le vol qualifié, l'enlèvement ou la séquestration illégale, et passible de la même peine, s'il était déclaré coupable. En fait, toute différence de traitement est en faveur du délinquant qui commet l'acte à l'étranger. En effet, le délinquant qui commet l'acte au Canada ne peut être déclaré coupable que si le jury conclut que l'actus reus et la mens rea sont tous deux établis et qu'aucun moyen de défense interne ne s'applique, alors que la déclaration de culpabilité du délinquant qui commet l'acte à l'étranger requiert, outre la nécessité de surmonter les mêmes obstacles, que le jury écarte les justifications, excuses ou moyens de défense qui s'appliquent en droit international, et que le juge du procès conclue que les exigences relatives au crime de guerre ou au crime contre l'humanité ont été respectées. En ce sens, l'auteur de l'acte à l'étranger bénéficie en fait d'une double protection grâce au par. 7(3.71).

Conclusion et dispositif

Avant de conclure, je devrais mentionner une dernière question technique. L'acte d'accusation contenait deux chefs de séquestration illégale, de vol qualifié, d'enlèvement et d'homicide involontaire coupable; chacune de ces infractions alléguant dans des chefs distincts un crime de guerre ou un crime contre l'humanité. Mes propos précédents indiquent clairement que je conviens avec le juge Tarnopolsky qu'il était inutile de porter des accusations à l'égard de chacune des infractions sous‑jacentes deux fois, une fois à titre de crime contre l'humanité et une autre à titre de crime de guerre. Pour que les tribunaux canadiens soient compétents, il suffit que l'acte reproché constitue un crime contre l'humanité ou un crime de guerre. Il y avait donc, essentiellement quatre chefs, et non huit, tel qu'on l'a rédigé.

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi sur le fondement des deux premiers moyens d'appel, d'infirmer le jugement du juge du procès et de la Cour d'appel et d'ordonner un nouveau procès sur les quatre chefs, soit ceux de séquestration illégale, de vol qualifié, d'enlèvement et d'homicide involontaire coupable, chaque chef constituant soit un crime de guerre, soit un crime contre l'humanité. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi incident à l'égard des questions relatives à la Charte.

Version française du jugement des juges Gonthier, Cory et Major rendu par

Le juge Cory — Comment doit‑on interpréter l'article du Code criminel relatif aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité? C'est la question fondamentale que soulève le présent pourvoi.

I. Historique et faits

Il y a lieu d'énoncer certains faits bien connus de tous. En septembre 1939, la Seconde Guerre mondiale éclate en Europe. Le 8 mai 1945, elle y connaît son dénouement avec la capitulation de l'Allemagne. Pendant cette guerre, le Canada, membre des puissances alliées, est en guerre contre les pays de l'Axe (Allemagne et Italie), auxquels se joint en 1940 la Hongrie qui, entre le 7 décembre 1941 et le 20 janvier 1945, est officiellement en conflit armé avec le Canada.

Pendant la guerre, l'Allemagne est dirigée par Adolf Hitler, chef du Parti national‑socialiste ouvrier allemand (le parti nazi). Le gouvernement allemand pratique alors une politique cruelle et haineuse à l'endroit des Juifs. Lorsque la guerre éclate, il étend cette politique à toutes les régions qui sont sous influence ou occupation allemande, dont la Hongrie. Par la mise en {oe}uvre de la «solution finale», le gouvernement allemand prive les Juifs de tout moyen de gagner leur vie, les dépossède de leurs biens et les déporte finalement dans des camps établis en Europe de l'Est, où ils effectuent des travaux forcés au profit de l'effort de guerre allemand. De nombreuses personnes sont tuées dans ces horribles camps.

Entre 1941 et 1944, la Hongrie adopte un ensemble de lois antisémites qui mènent à la promulgation d'une loi prévoyant une formule d'identification des Juifs et contraignant ces derniers à porter l'étoile jaune. Les Juifs deviennent donc un groupe identifiable pour les fins de la loi hongroise.

En mars 1944, les troupes allemandes envahissent la Hongrie. Le gouvernement alors en place est destitué et remplacé par un gouvernement fantoche pro‑allemand encore plus servile. Après l'invasion, bien qu'elle paraisse être un État souverain, la Hongrie est en fait un pays occupé. Pour obtenir la mainmise totale sur les ressources économiques et militaires de la Hongrie, le gouvernement allemand établit un régime hiérarchique à la tête duquel règne Heinrich Himmler, le Reichsführer SS et chef suprême de la Gestapo; vient ensuite le chef supérieur des SS désigné par l'Allemagne et chef de la police hongroise à Budapest, puis diverses polices allemandes et unités SS en garnison partout au pays, et enfin la Gendarmerie royale de la Hongrie et la police hongroise.

La Gendarmerie royale de la Hongrie est un service de sécurité publique paramilitaire armé. Elle assume le rôle de police dans les régions rurales et agit à titre de force policière politique. Les forces allemandes qui occupent la Hongrie reçoivent l'ordre de ne pas désarmer la Gendarmerie puisqu'elle subit alors une restructuration afin d'être mise à la disposition du chef supérieur SS hongrois et du chef de la police. L'occupation allemande est rapidement suivie de l'adoption par le nouveau gouvernement fantoche d'un ensemble de lois et décrets antisémites. Un plan prévoyant l'élimination des Juifs de la Hongrie est intégré dans le décret 6163/44 du ministre de l'Intérieur, daté du 7 avril 1944. Il s'agit de l'ignoble décret de Baky. Lui seul confère le «pouvoir» d'emprisonner tous les Juifs hongrois, de les déporter et de confisquer leurs biens.

C'est dans le décret de Baky qu'est établi le plan directeur sur la mise en {oe}uvre de la solution finale, qui doit se dérouler en six phases: isolation, expropriation, rassemblement dans des ghettos, concentration, embarquement et déportation. Pour mener à bien ce plan, on divise la Hongrie en six zones, qui sont sous l'autorité de la Gendarmerie royale de la Hongrie. La ville de Szeged est désignée comme l'un des sept centres de concentration situés dans la zone 4. Le décret de Baky s'adresse à plusieurs représentants officiels, dont tous les commandements de district de la Gendarmerie et tous les commandants de ses sous‑divisions des enquêtes et de ses quartiers généraux d'enquête. Aux termes du décret, la Gendarmerie royale de la Hongrie et certaines forces policières locales sont chargées d'exécuter le plan.

Peu après l'adoption du décret de Baky, les six phases de la solution finale sont mises à exécution à Szeged. Les Juifs de la ville sont rassemblés et enfermés dans un ghetto clôturé, où ils demeurent en général quelques semaines. Ils sont ensuite transférés directement à une briqueterie ou d'abord sur un terrain d'athlétisme puis, quelques jours plus tard, à la briqueterie. Le 20 juin 1944 il y a 8 617 Juifs rassemblés dans la briqueterie.

Celle‑ci est infecte, et ses installations sanitaires scandaleusement inadéquates. Elle consiste en une grande aire ouverte où sont disposés un énorme four à briques, une cheminée et plusieurs bâtiments destinés au séchage des briques. Les Juifs, hommes, femmes et enfants, y sont entassés. Ils dorment à même le sol dans les hangars, dotés d'un toit mais sans murs, destinés au séchage. La cour est clôturée et gardée par des gendarmes.

À maintes reprises, par la voie des haut‑parleurs, on ordonne aux Juifs de rendre ce qui leur reste de leurs biens de valeur, leur or et leurs bijoux. On les rassemble et, dans un panier ou manne, on collecte leurs biens de valeur en leur disant que quiconque ne respecte pas les ordres sera exécuté.

Entre les 24 et 30 juin 1944, les Juifs emprisonnés dans la briqueterie sont amenés à pied par les gendarmes à la gare de Rokus, où ils sont entassés de force dans les wagons de trois trains qui les amènent de la Hongrie à l'horreur absolue des camps de concentration.

Quelque 70 à 90 Juifs, munis de leurs bagages, sont entassés dans chaque wagon, qui mesure approximativement huit mètres sur deux. Aucune lumière artificielle n'y est diffusée. Les wagons sont si bondés que la plupart sont contraints de demeurer debout tout au long du terrible trajet. Les portes des wagons sont cadenassées, et seules de petites fenêtres grillagées situées dans la partie supérieure des quatre coins permettent à l'air de s'infiltrer.

En général, chaque wagon est pourvu de deux seaux, l'un contenant l'eau et l'autre servant de toilette. Toutefois, ce dernier seau déborde rapidement d'excréments humains au cours du voyage. En outre, le wagon est si bondé que beaucoup de prisonniers ne peuvent se rendre jusqu'au seau et sont ainsi forcés de satisfaire leurs besoins naturels là où ils se tiennent assis ou debout.

Les conditions intolérables dans les wagons causent la mort de certains Juifs, particulièrement des personnes âgées. Ni les gendarmes ni les gardiens allemands ne permettent que les corps soient sortis avant que le train ne parvienne à destination. La puanteur des corps en putréfaction s'ajoute à celle des excréments humains. Il s'agit véritablement de voyages cauchemardesques en enfer.

Imre Finta est né le 2 septembre 1912 à Kolozsvar. Il étudie le droit à l'université de Szeged dans les années 1930. En 1935, il s'enrôle dans l'Académie militaire royale de la Hongrie et, le 1er janvier 1939, il est nommé lieutenant en second dans la Gendarmerie royale de la Hongrie. Le 5 avril 1942, il est promu au rang de capitaine, puis transféré à Szeged à titre de commandant de la division des enquêtes de la Gendarmerie.

Dans la confusion qui suit la guerre, Finta quitte la Hongrie. En 1947 et 1948, il est jugé in absentia par le tribunal du peuple de Szeged et déclaré coupable de «crimes contre le peuple». Il est condamné à une peine de cinq ans de travaux forcés (par la suite commuée en cinq ans d'emprisonnement), ses biens sont confisqués, il perd son emploi et on lui retire son droit à la participation politique pendant dix ans. En 1951, Finta immigre au Canada et, en 1956, il est reçu citoyen canadien.

Le 27 janvier 1958, en application d'une disposition de la loi hongroise en matière de prescription, il est devenu impossible d'imposer une peine à Finta en Hongrie. En 1970, le Conseil présidentiel du Conseil populaire de la Hongrie déclare l'amnistie générale qui, par son libellé, s'applique à Finta. Au Canada, le juge du procès conclut que l'amnistie générale, que ce soit dans son libellé ou par l'application de la loi hongroise, ne constitue pas un pardon. Il déclare en outre que le procès tenu en Hongrie et la déclaration de culpabilité sont nuls selon le droit canadien. Il conclut en conséquence que Finta ne peut invoquer la défense d'autrefois convict ou de pardon.

II. Preuve

Témoignage d'expert sur la validité du décret de Baky

Dans son témoignage, le Dr Revesz a déclaré que le décret de Baky était manifestement illégal. Il a également signalé que les membres de la Gendarmerie, ayant à mener des enquêtes criminelles, avaient dû recevoir une formation exhaustive sur les règles de droit et de procédure hongroises. Puisqu'ils connaissaient la loi et les décrets publiés antérieurement au décret de Baky, les gendarmes devaient savoir, a conclu le Dr Revesz, que ce décret outrepassait la prérogative du sous‑secrétaire d'État et contenait au moins 14 violations de la loi hongroise.

Dans ses directives, le juge du procès a signalé au jury que le décret de Baky était illégal car il violait la loi hongroise, de même que certains principes de la Constitution de la Hongrie.

Témoignages sur la participation de Finta aux événements de Szeged

Finta a été accusé de séquestration, vol qualifié, enlèvement et homicide involontaire coupable, en application du Code criminel, S.R.C. 1927, ch. 36, modifié. Il s'agit en fait de quatre paires de chefs d'accusation subsidiaires. Par exemple, le premier chef qualifie la séquestration des 8 617 Juifs de crime contre l'humanité, alors que le deuxième chef qualifie la même infraction de crime de guerre. Il est allégué dans l'acte d'accusation qu'en mai et juin 1944, Finta a séquestré 8 617 Juifs dans la briqueterie de Szeged, où il les a dépossédés de leurs effets personnels et de leurs biens de valeur. Il est en outre allégué qu'en juin 1944, à la gare de Rokus, il a enlevé 8 617 Juifs et causé la mort de certains d'entre eux.

La preuve du ministère public reposait en grande partie sur la déposition de 19 témoins qui ont été internés dans la briqueterie et déportés dans l'un des trois trains. Certains ont témoigné de vive voix devant le jury. D'autres ont été interrogés par voie de commission rogatoire en Israël et en Hongrie, et leur témoignage a ensuite été présenté au procès sur bande vidéo. De plus, à la demande de la défense, le juge du procès a ordonné que la bande vidéo des témoignages de deux autres survivants recueillis par commission rogatoire soit présentée au jury.

Les témoignages des survivants se divisaient en quatre groupes généraux. Six témoins qui connaissaient Finta avant les événements en question ont témoigné sur les paroles et les actes de ce dernier à la briqueterie et à la gare. Le deuxième groupe était formé de trois témoins qui ne connaissaient pas Finta auparavant et qui ont pu témoigner que ce dernier avait dit ou fait certaines choses à la briqueterie et à la gare. Le troisième groupe réunissait trois témoins qui ne connaissaient pas Finta avant les événements et qui ont également témoigné sur ce qui a été dit et fait à la briqueterie et à la gare. Toutefois, les témoins de ce dernier groupe n'ont pu identifier Finta qu'en se fondant sur des déclarations que leur avait faites des tiers. Le quatrième groupe, composé de huit témoins qui ne connaissaient pas Finta avant les événements et ne l'ont pas identifié, a témoigné sur les événements survenus à la briqueterie et à la gare.

Parmi les six témoins qui ont déclaré connaître Finta avant leur séquestration à la briqueterie, quatre ont déposé que Finta dirigeait la briqueterie, et un autre a témoigné que tous considéraient que Finta en était le commandant. Deux de ces six témoins ont déclaré que Finta faisait les annonces quotidiennes à la briqueterie, contraignant les prisonniers à se dessaisir de tous leurs biens de valeur, sous peine de mort. Trois d'entre eux ont témoigné que Finta supervisait la confiscation des biens de valeur des détenus. Deux d'entre eux ont témoigné que Finta était à la gare et supervisait l'embarquement des prisonniers dans les wagons.

Au sein du second groupe de témoins, une personne a témoigné que, Finta étant aux commandes de la briqueterie, les annonces faites ou les ordres donnés provenaient tous de lui ou étaient faits en son nom et qu'il supervisait les confiscations. Ce témoin a en outre déposé que Finta donnait des ordres aux gendarmes qui escortaient les Juifs du ghetto à la briqueterie et qu'il supervisait leur embarquement par les gendarmes à la gare. Un autre témoin faisant partie de ce groupe a déclaré que Finta avait arraché le pommeau d'argent de la canne de sa mère et l'avait confisqué.

Plusieurs témoins ayant identifié Finta d'après ce que des tiers leur avaient dit ont déclaré que Finta était à la tête de la briqueterie et supervisait les confiscations. L'un de ces témoins a déclaré avoir vu une personne qu'on lui avait dit être Finta ordonner aux gens d'abandonner leurs biens de valeur et que, compte tenu de ce qu'elle avait pu observer, cette personne était aux commandes à la gare. Parmi ce groupe, trois autres témoins ont déposé que des tiers leur avaient dit que la personne faisant les annonces et, dans un cas, la personne en autorité à la gare, était Finta. Le juge du procès a dit au jury qu'il ne pouvait pas se fier à l'identification de Finta faite par ces témoins dans la mesure où elle reposait sur ce que des tiers leur avait dit quant à l'identité de la personne qu'ils croyaient être Finta.

Les huit témoins qui n'ont pas identifié Finta ont décrit les conditions à la briqueterie, la déportation à partir de Szeged et les conditions dans les wagons.

Outre le témoignage des survivants, le ministère public a présenté des photographies et une preuve d'écriture et d'empreintes afin d'identifier Finta comme un capitaine de la Gendarmerie à Szeged à l'époque en question.

On a également soumis une preuve d'expert et une preuve documentaire afin d'établir le contexte historique de la preuve, le régime hiérarchique en place en Hongrie en 1944 et l'état du droit international à ce moment‑là.

III. Décisions des juridictions inférieures

Les requêtes préalables au procès (le juge en chef adjoint Callaghan de la Haute Cour)

Le procès, incluant les requêtes préalables, a duré huit mois. Dans le cadre de l'une de ces requêtes, le juge en chef adjoint Callaghan, maintenant juge en chef de la Cour de l'Ontario, a confirmé la constitutionnalité des dispositions du Code criminel relatives aux crimes de guerre. Cette décision est maintenant publiée (R. c. Finta (1989), 69 O.R. (2d) 557).

Le procès (le juge Campbell siégeant avec jury)

Au procès, le ministère public a soutenu que Finta était l'officier responsable de la Gendarmerie au centre de concentration de Szeged et qu'il dirigeait réellement le fonctionnement et la garde du centre, commettant ainsi les actes en question. Subsidiairement, il a affirmé qu'en raison de son rôle de superviseur, Finta avait aidé ou encouragé les tiers qui ont véritablement commis les actes reprochés. Bien qu'il ait reconnu sa présence à l'époque et au lieu des infractions alléguées, Finta a nié avoir été en position d'autorité à la briqueterie, affirmant qu'il était alors sous les ordres des SS allemands. Il a nié toute responsabilité à l'égard des infractions reprochées.

Le ministère public a cité 43 témoins au procès, dont 19 témoins oculaires. Pour le compte de la défense, le juge du procès a cité deux témoins oculaires, Ballo et Kemeny. La déclaration et le compte rendu d'un troisième témoin, Dallos, qui a témoigné lors du procès de Finta en Hongrie, ont également été admis. Monsieur Dallos, un survivant de la briqueterie décédé en 1963, a témoigné de l'existence d'un lieutenant Bodolay, qui pourrait avoir été chargé de la séquestration et de la déportation des Juifs à la briqueterie. Le juge Campbell a conclu que, bien qu'il constituait du ouï‑dire, le témoignage était recevable. Il a également déclaré que, joint à d'autres éléments de preuve, il [traduction] «pourrait susciter chez le jury un doute raisonnable quant à la responsabilité de Finta à l'égard de la séquestration et des conditions à la briqueterie». Dans son exposé, le juge du procès a prévenu le jury qu'il s'agissait d'une preuve par ouï‑dire.

Le jury a acquitté Finta relativement à tous les chefs.

La Cour d'appel de l'Ontario (1992), 92 D.L.R. (4th) 1, 73 C.C.C. (3d) 65, 14 C.R. (4th) 1, 53 O.A.C. 1, 9 C.R.R. (2d) 91 (les juges Arbour, Osborne et Doherty; le juge en chef Dubin et le juge Tarnopolsky étant dissidents)

Voici un résumé de la position de la Cour d'appel sur les questions principales et sa décision finale.

(i) La question de la présentation de la preuve

La Cour d'appel à la majorité (les juges Arbour, Osborne et Doherty) a jugé recevable le témoignage de Dallos présenté par le juge du procès en dépit du fait qu'il s'agisse de ouï‑dire et, dans un cas, de ouï‑dire double. La majorité a confirmé les motifs du juge du procès, à la fois à l'égard des caractéristiques uniques du procès et des principes qui sous‑tendent les exceptions à la règle du ouï‑dire relativement à la fiabilité, la nécessité et l'équité.

Les juges majoritaires ont toutefois conclu que le juge du procès avait commis une erreur en introduisant cette preuve lui‑même avant que la défense ait exercé le choix de produire une preuve ou non. Bien qu'ils aient remarqué que certaines parties de l'exposé final de la défense étaient inappropriées, les juges ont conclu que les directives du juge du procès concernant l'exposé dissipaient tout préjudice qui aurait pu en découler.

De l'avis des juges majoritaires, l'erreur du juge a été, essentiellement, de priver le ministère public du droit que lui confère la loi de s'adresser au jury en dernier. Ils n'ont toutefois pu conclure que le verdict du jury aurait très bien pu être différent si le juge du procès n'avait pas présenté la preuve en question. Ils ont par conséquent conclu que cette erreur n'avait engendré ni tort important ni erreur judiciaire grave exigeant l'annulation de l'acquittement de Finta prononcé par le jury.

À l'instar de la majorité, le juge en chef Dubin a conclu que le juge du procès avait commis une erreur dans sa manière d'admettre la preuve au nom de la défense. Il a signalé que la théorie entière de la défense reposait sur la preuve contestée. Le juge du procès ayant présenté la preuve à la place de la défense, cette dernière conservait le droit de s'adresser au jury en dernier. À son avis, à la p. 37, cet [traduction] «exposé incendiaire a vicié le procès» et contribué à aggraver l'erreur. Le juge en chef Dubin a conclu qu'on ne pouvait soutenir qu'aucun tort important ni aucune erreur judiciaire grave n'avait résulté de l'effet cumulatif de l'erreur du juge du procès.

Le juge Tarnopolsky a souscrit aux motifs du juge en chef Dubin et au résultat qu'il proposait quant à la question de la présentation de la preuve.

(ii)L'interprétation du par. 7(3.71) et la question de la mens rea

L'extrait suivant résume la position de la majorité à l'égard de la disposition législative en question (aux pp. 104 et 105):

[traduction] À notre avis, le par. 7(3.71) ne porte pas sur la compétence du tribunal, mais plutôt sur la portée territoriale des infractions qui y sont prévues. Ainsi, il étend la portée territoriale du droit criminel canadien au reste du monde lorsque les actes ou les omissions en question satisfont à la double exigence de criminalité de l'article.

Par exemple, pour établir la perpétration de l'infraction dans le cadre d'une accusation «normale» de vol qualifié, le ministère public doit démontrer que celui‑ci a été commis au Canada. Si le ministère public allègue que le vol qualifié a été commis en infraction au par. 7(3.71), plutôt que de démontrer que l'infraction a été commise au Canada, il doit prouver que:

—si l'acte avait été commis au Canada, il aurait constitué un vol qualifié suivant le Code criminel alors en vigueur;

—l'acte constituait un crime de guerre ou un crime contre l'humanité.

Quant à la norme de mens rea que le jury doit appliquer, la majorité a approuvé les directives du juge du procès, dans lesquelles il a signalé au jury qu'il ne devait déclarer l'accusé coupable d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité que si [traduction] «l'accusé savait que ses actes possédaient la qualité factuelle qui en faisait des crimes de guerre», ou s'il savait que ses actes possédaient une qualité factuelle [traduction] «qui les érigeait de crimes ordinaires en crimes contre l'humanité au niveau international».

De l'avis du juge en chef Dubin, tant le juge du procès que la Cour d'appel à la majorité ont mal interprété l'objectif du par. 7(3.71) lorsqu'ils ont déterminé que cette disposition avait pour effet de créer deux nouvelles infractions aux termes du Code criminel. Il a affirmé à la p. 20:

[traduction] À mon avis, ce paragraphe ne crée pas deux nouvelles infractions, soit le crime contre l'humanité et le crime de guerre, ni n'énonce‑t‑il les éléments essentiels des infractions dont l'intimé était accusé. [. . .] Le paragraphe 7(3.71) prévoit un mécanisme qui permet que des personnes soient déclarées coupables d'infractions au Code criminel du Canada si elles ont commis à l'étranger un fait — acte ou omission — qui est présumé avoir été commis au Canada et est ainsi visé par le Code criminel canadien. La séquestration, le vol qualifié, l'enlèvement et l'homicide involontaire coupable commis en contravention aux dispositions du Code criminel de 1927 sont les seules infractions relativement auxquelles l'intimé a été jugé.

Il a également rejeté la proposition suivant laquelle la disposition législative modifie la compétence d'un tribunal à l'égard d'une personne ou sa compétence territoriale; au contraire, il a estimé que le paragraphe ne concernait que la culpabilité au Canada relativement à un acte commis à l'étranger.

Il a par conséquent conclu qu'il appartenait au juge du procès de déterminer si, commis au Canada, les actes reprochés enfreignaient le Code criminel, et si, en droit, ces actes constituaient un crime de guerre ou un crime contre l'humanité. Il incombait alors au jury de déterminer si les actes avaient effectivement été commis. En ce qui concerne la mens rea requise par ce paragraphe, le juge en chef Dubin, à la p. 29, a souscrit à l'opinion du juge Tarnopolsky que le critère était objectif: [traduction] «. . . la question de savoir si l'intimé savait que ces actes étaient visés par la définition légale de crime contre l'humanité ou s'il croyait que ces actes étaient inhumains n'est aucunement pertinente».

De l'avis du juge Tarnopolsky, le ministère public n'est pas tenu de démontrer que l'accusé savait qu'il commettait un crime de guerre ou un crime contre l'humanité pour qu'il soit déclaré coupable en vertu du par. 7(3.71).

À l'instar du juge Dubin, le juge Tarnopolsky a soutenu que le par. 7(3.71) ne crée aucune nouvelle infraction substantielle au Code criminel; au contraire, a‑t‑il affirmé à la p. 53, le paragraphe est:

[traduction] . . . de nature simplement procédurale car, en considérant que ces actes ont été commis au Canada, il confère aux tribunaux canadiens une compétence en matière d'actes commis à l'étranger, pourvu qu'ils aient constitué des infractions à la loi canadienne en vigueur au moment de leur perpétration. [En italique dans l'original.]

(iii) La compétence et le rôle du juge et du jury

Suivant la majorité, le par. 7(3.71) énonce les éléments de l'infraction, selon lesquels l'acte commis doit être un crime de guerre ou un crime contre l'humanité. Il s'ensuit qu'il appartient au jury de déterminer si les actes en question sont des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité.

Le juge en chef Dubin a conclu que, conformément au par. 7(3.71) du Code, il appartient au juge du procès de déterminer en premier lieu si les actes reprochés constitueraient en droit, si l'accusé a commis ces actes à l'étranger, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité. Le juge du procès doit également décider si, en droit, les actes reprochés constituent une infraction aux dispositions du Code alors en vigueur. Il reste au jury à décider si l'accusé a effectivement commis les actes dont on l'accuse. Après avoir examiné les faits de l'espèce, le juge en chef Dubin a conclu, à la p. 29:

[traduction] À mon avis, le juge du procès en l'espèce n'aurait aucune difficulté à conclure en droit que, si l'intimé avait séquestré les victimes de la manière alléguée dans la preuve, son comportement constituerait un crime contre l'humanité.

En l'espèce, je ne crois pas qu'un juge du procès aurait dû douter que ces actes, s'ils ont été commis, constitueraient l'infraction de séquestration.

Le juge Tarnopolsky a conclu qu'il convient que la question de savoir si les actes d'un accusé constituent un crime de guerre ou un crime contre l'humanité (qualifié de «fait attributif de compétence» par le juge du procès puisqu'il devait être établi avant que la cour puisse se prévaloir de la compétence pour juger l'accusé) soit tranchée par le juge du procès puisqu'il s'agit d'une question de droit. Le juge du procès a donc donné des directives erronées au jury lorsqu'il lui a signalé que le ministère public était tenu de prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé devait avoir une connaissance de l'élément moral par rapport aux «faits attributifs de compétence».

(iv) La constitutionnalité du par. 7(3.71)

Les juges majoritaires de la Cour d'appel ont confirmé les motifs du juge en chef adjoint Callaghan en concluant que les dispositions du Code sur les crimes de guerre ne violent pas la Charte canadienne des droits et libertés. Les juges n'ont toutefois pu admettre que le paragraphe ne crée pas de nouvelles infractions au Code. Ce désaccord avec les conclusions du juge en chef adjoint Callaghan n'a par contre eu aucune conséquence sur la conclusion concernant la constitutionnalité du par. 7(3.71).

Le juge en chef Dubin a également souscrit aux motifs du juge en chef adjoint Callaghan en maintenant la constitutionnalité des dispositions relatives aux crimes de guerre.

Enfin, le juge Tarnopolsky a partagé l'opinion du reste de la Cour d'appel en confirmant le jugement prononcé relativement à la requête préalable au procès par le juge en chef adjoint Callaghan suivant lequel les dispositions du Code relatives aux crimes de guerre ne violent pas la Charte.

(v) Dispositif

En conséquence, la Cour d'appel à la majorité a rejeté l'appel du ministère public contre l'acquittement de Finta.

Le juge en chef Dubin a conclu que le jury avait reçu des directives erronées sur la mens rea requise et que le juge du procès avait commis une erreur en déterminant les «faits attributifs de compétence» qui devaient être démontrés au jury. Pour ces motifs et pour les autres motifs exposés, il était d'avis d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.

En raison des décisions du juge du procès concernant les faits attributifs de compétence et la preuve requise des éléments essentiels des infractions de crimes de guerre, le juge Tarnopolsky était également d'avis d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.

IV. Dispositions législatives pertinentes

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, modifié par L.R.C. (1985), ch. 30 (3e suppl.), art. 1:

7. . . .

(3.71) Nonobstant les autres dispositions de la présente loi et par dérogation à toute autre loi, l'auteur d'un fait — acte ou omission — commis à l'étranger même avant l'entrée en vigueur du présent paragraphe, constituant un crime de guerre ou un crime contre l'humanité et qui aurait constitué, au Canada, une infraction au droit canadien en son état à l'époque de la perpétration, est réputé avoir commis le fait au Canada à cette époque si l'une des conditions suivantes est remplie:

a) à l'époque:

(i) soit lui‑même est citoyen canadien ou employé au service du Canada à titre civil ou militaire,

(ii) soit lui‑même est citoyen d'un État participant à un conflit armé contre le Canada ou employé au service d'un tel État à titre civil ou militaire,

(iii) soit la victime est citoyen canadien ou ressortissant d'un État allié du Canada dans un conflit armé;

b) à l'époque, le Canada pouvait, en conformité avec le droit international, exercer sa compétence à cet égard à l'encontre de l'auteur, du fait de sa présence au Canada, et après la perpétration, celui‑ci se trouve au Canada.

(3.72) Les poursuites engagées à l'égard du fait visé au paragraphe (3.71) sont exercées conformément aux règles de preuve et de procédure en vigueur lors du procès.

. . .

(3.74) Par dérogation au paragraphe (3.73) et à l'article 15, une personne peut être déclarée coupable d'une infraction à l'égard d'un fait visé au paragraphe (3.71), même commis en exécution du droit en vigueur à l'époque et au lieu de la perpétration ou en conformité avec ce droit.

. . .

(3.76) . . .

«crime contre l'humanité» Assassinat, extermination, réduction en esclavage, déportation, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain d'une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes — qu'il ait ou non constitué une transgression du droit en vigueur à l'époque et au lieu de la perpétration — et d'autre part, soit constituant, à l'époque et dans ce lieu, une transgression du droit international coutumier ou conventionnel, soit ayant un caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations.

«crime de guerre» Fait — acte ou omission — commis au cours d'un conflit armé international — qu'il ait ou non constitué une transgression du droit en vigueur à l'époque et au lieu de la perpétration — et constituant, à l'époque et dans ce lieu, une transgression du droit international coutumier ou conventionnel applicable à de tels conflits.

15. Nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction à l'égard d'un acte ou d'une omission en exécution des lois alors édictées et appliquées par les personnes possédant de facto le pouvoir souverain dans et sur le lieu où se produit l'acte ou l'omission.

25. (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l'application ou l'exécution de la loi:

a) soit à titre de particulier;

b) soit à titre d'agent de la paix ou de fonctionnaire public;

c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public;

d) soit en raison de ses fonctions,

est, s'il agit en s'appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu'il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

(2) Lorsqu'une personne est, par la loi, obligée ou autorisée à exécuter un acte judiciaire ou une sentence, cette personne ou toute personne qui l'assiste est, si elle agit de bonne foi, fondée à exécuter l'acte judiciaire ou la sentence, même si ceux‑ci sont défectueux ou ont été délivrés sans juridiction ou au‑delà de la juridiction.

(3) Sous réserve du paragraphe (4), une personne n'est pas justifiée, pour l'application du paragraphe (1), d'employer la force avec l'intention de causer, ou de nature à causer la mort ou des lésions corporelles graves, à moins qu'elle n'estime, pour des motifs raisonnables, que cette force est nécessaire afin de se protéger elle‑même ou de protéger toute autre personne sous sa protection, contre la mort ou contre des lésions corporelles graves.

(4) Un agent de la paix qui procède légalement à l'arrestation, avec ou sans mandat, d'une personne pour une infraction au sujet de laquelle cette personne peut être appréhendée sans mandat, ainsi que toute personne aidant légalement l'agent de la paix, est justifiable, si la personne qui doit être appréhendée s'enfuit afin d'éviter l'arrestation, d'employer la force nécessaire pour empêcher cette fuite, à moins que l'évasion puisse être empêchée par des moyens raisonnables d'une façon moins violente. [Je souligne.]

Charte canadienne des droits et libertés

11. Tout inculpé a le droit:

. . .

g) de ne pas être déclaré coupable en raison d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle est survenue, ne constituait pas une infraction d'après le droit interne du Canada ou le droit international et n'avait pas de caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations;

V. Questions en litige

Le pourvoi

La Cour d'appel a‑t‑elle commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu que:

[traduction]

(1)le paragraphe 7(3.71) du Code criminel ne vise pas simplement la compétence, mais crée plutôt deux nouvelles infractions, un crime contre l'humanité et un crime de guerre; en outre, il définit les éléments essentiels des infractions reprochées de manière que le jury doit décider, hors de tout doute raisonnable, non seulement si l'intimé est coupable des infractions reprochées en vertu du Code criminel de 1927, mais également si ses actes constituaient des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre aux termes des par. 7(3.71) et 7(3.76);

(2)le juge du procès n'a pas donné de directives erronées au jury sur la mens rea requise relativement à chaque infraction en exigeant que le ministère public démontre non seulement que l'intimé avait l'intention de commettre les infractions visées au Code criminel de 1927 qui lui sont reprochées, mais aussi qu'il savait que ces actes constituaient des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité aux termes du par. 7(3.76);

[3] a)le juge du procès n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a présenté au jury la «défense de l'agent de la paix» inscrite à l'art. 25 du Code criminel, la «défense fondée sur les ordres militaires» et la question de l'erreur de fait;

b)la manière dont le juge du procès a défini ces moyens de défense ne constituait pas une directive erronée.

[4]les directives du juge du procès au jury ont adéquatement corrigé l'exposé déplacé et incendiaire de l'avocat de la défense de manière à réparer le préjudice subi par le ministère public et à ne pas le priver d'un procès équitable;

[5]le «témoignage» de DALLOS (déclaration à la police et déposition) était recevable et, en particulier, que, bien qu'il ne soit pas visé par les exceptions reconnues à la règle du ouï‑dire:

(i)il était recevable pour le motif qu'il démontrait un indice circonstanciel de fiabilité;

(ii)il devait être introduit;

(iii)il devait être admis pour garantir un procès équitable et éviter qu'une erreur judiciaire soit commise;

(iv)il était recevable quant à la défense bien qu'il ne le serait pas quant au ministère public.

[6]l'erreur du juge du procès, lorsqu'il a produit le témoignage de DALLOS et les témoignages de KEMENY et de BALLO enregistrés sur bande vidéo par voie de commissions rogatoires comme ses propres éléments de preuve, privant ainsi le ministère public du droit que lui confère la loi de s'adresser au jury en dernier, n'a entraîné aucun tort important ni aucune erreur judiciaire grave

[7]les directives du juge du procès au jury relativement à la preuve d'identification du ministère public étaient appropriées, et lorsqu'elle n'a pas conclu que le juge du procès avait donné des directives erronées au jury sur la question de l'identification; . . .

Le pourvoi incident

[8]Le paragraphe 7(3.74) [et le par. 7(3.76)] du Code criminel viole[nt]‑il[s] les art. 7, 11a), 11b), 11d), 11g), 12 ou 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?

[9]Si la réponse à cette question est affirmative, le par. 7(3.74) [et le par. 7(3.76)] du Code criminel [sont]‑il[s] [des] limite[s] raisonnable[s] dans le cadre d'une société libre et démocratique et donc justifiée[s] en vertu de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

VI. Analyse

(1) La compétence

La compétence des tribunaux canadiens est en partie limitée par le principe de la territorialité, suivant lequel les tribunaux canadiens ne peuvent généralement juger des individus que pour des crimes commis sur le territoire canadien. Le paragraphe 6(2) du Code criminel prévoit ce qui suit:

6. . . .

(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, nul ne doit être déclaré coupable d'une infraction commise à l'étranger ou absous en vertu de l'article 736 à l'égard de celle‑ci.

Cette règle reflète le principe de l'intégrité souveraine, suivant lequel un État est le seul à pouvoir exercer sa souveraineté à l'égard de toutes les personnes, citoyens ou étrangers, et de tous les biens, mobiliers ou immobiliers, situés sur son propre territoire. En fait, la Cour permanente de justice internationale a confirmé que:

. . . la limitation primordiale qu'impose le droit international à l'État est celle d'exclure [. . .] tout exercice de sa puissance sur le territoire d'un autre État.

(Affaire du «Lotus» (1927), C.P.J.I., sér. A, no 10, à la p. 18.)

Le principe de la territorialité souffre toutefois certaines exceptions. Dans son ouvrage Principles of Public International Law (4e éd. 1990), le professeur Ian Brownlie a cerné plusieurs autres fondements de compétence. Selon Gillian Triggs dans «Australia's War Crimes Trials: A Moral Necessity or Legal Minefield?» (1987), 16 M.U.L.R. 382, à la p. 389:

[traduction]

[le] principe [de l'universalité] permet l'exercice par l'État d'une compétence en matière d'actes criminels commis par des étrangers contre des étrangers peu importe l'endroit. Cette compétence est fondée sur le fait que l'accusé s'en prend à l'ordre international dans son ensemble et elle soulève l'intérêt commun de la race humaine entière comme étant une forme de politique internationale publique. Dans le passé, on a eu recours au principe de l'universalité pour engager des poursuites relativement à la piraterie et, plus récemment, aux détournements. Suivant le principe de l'universalité, l'acte criminel est une violation du droit national. Le droit international confère à un État uniquement le droit de punir l'auteur d'un acte, mais ne déclare pas lui‑même l'illégalité de l'acte.

Par contre, certains actes sont des crimes en droit international. L'auteur de ces crimes peut être puni par tout État qui en a la garde. Au nombre des actes qui répondent à ce [. . .] fondement de la compétence se trouvent notamment les infractions aux lois sur la guerre incluses dans la Convention de La Haye de 1907 ou aux quatre Conventions de la «Croix‑Rouge» de Genève de 1949, la torture, l'apartheid, les attaques contre les diplomates, le trafic de drogue et le terrorisme.

Aux termes de l'al. 11g) de la Charte il est permis, en vertu du droit international coutumier, de poursuivre des criminels de guerre qui ont violé les principes de droit généraux reconnus par l'ensemble des nations, peu importe l'époque ou le lieu où l'activité ou l'omission criminelle est survenue. Le recours à des principes juridiques internationaux pour fonder la compétence à l'égard d'activités criminelles commises à l'extérieur du Canada est constitutionnellement permis depuis 1982. Le 7 février 1985, le décret no 1985‑348 a créé la Commission d'enquête sur les criminels de guerre (la commission Deschênes). Dans son rapport, la Commission, présidée par l'honorable Jules Deschênes, a recommandé que le Code criminel soit utilisé pour poursuivre les «criminels de guerre au Canada». (Voir Rapport de la Commission d'enquête sur les criminels de guerre.) En réponse à ces recommandations, le législateur a modifié le Code pour y inclure les par. 7(3.71) à (3.77). Ces dispositions constituent une exception au principe de la territorialité prévu au par. 6(2) du Code.

La compétence des tribunaux canadiens pour juger les auteurs des infractions prévues aux par. 7(3.71) à (3.77) est toutefois soigneusement circonscrite. Ce n'est que lorsque les conditions suivantes sont respectées que les infractions prévues aux par. 7(3.71) peuvent faire l'objet d'accusations au Canada: (1) le fait — acte ou omission — a été commis à l'extérieur des frontières territoriales du Canada; (2) le fait — acte ou omission — constitue un crime contre l'humanité ou un crime de guerre; (3) s'il avait été commis au Canada, le fait — acte ou omission — aurait constitué une infraction aux lois du Canada alors en vigueur; (4) aux termes de l'article, à l'époque,

7. . . .

(3.71) . . .

(i) soit [l'accusé] est citoyen canadien ou employé au service du Canada à titre civil ou militaire,

(ii) soit lui‑même est citoyen d'un État participant à un conflit armé contre le Canada ou employé au service d'un tel État à titre civil ou militaire,

(iii) soit la victime est citoyen canadien ou ressortissant d'un État allié du Canada dans un conflit armé: [Je souligne.]

(5) à l'époque, le Canada aurait pu, en conformité avec le droit international, exercer sa compétence à cet égard à l'encontre de l'auteur, du fait de sa présence au Canada, et après la perpétration, celui‑ci se trouve au Canada.

De nombreuses barrières en matière de compétence doivent donc tomber avant que les tribunaux canadiens puissent juger des individus relativement à des infractions visées au par. 7(3.71). Comment donc ces questions de compétence doivent‑elles être tranchées?

Notre Cour a examiné la question de la compétence et des rôles respectifs du juge et du jury en se prononçant sur des questions de compétence dans l'affaire Balcombe c. The Queen, [1954] R.C.S. 303. Dans cette affaire, à la p. 304, l'acte d'accusation alléguait que l'accusé avait commis un meurtre [traduction] «. . . dans le comté de Dundas (Ontario)». L'accusé a été jugé et déclaré coupable en Ontario par un tribunal formé d'un juge et d'un jury. Au procès, il a demandé un verdict imposé, soutenant que l'homicide avait été commis au Québec. Le juge du procès a rejeté la requête, et la Cour d'appel a confirmé cette décision. Dans leur demande d'autorisation de pourvoi devant notre Cour, les avocats de la défense ont soutenu que la question du lieu de l'infraction relevait du jury, et que le juge du procès aurait dû lui indiquer qu'il devait être convaincu hors de tout doute raisonnable que l'infraction avait été commise en Ontario. La Cour a rejeté la demande d'autorisation de pourvoi. Le juge Fauteux a affirmé, à la p. 305:

[traduction] La compétence est une question de droit — relevant donc du juge présidant le tribunal — même si, pour la trancher, il est nécessaire d'examiner la preuve. Elle excède entièrement le domaine des questions qu'en droit et, particulièrement, selon les modalités de leur serment, les jurés doivent examiner. Leur seule préoccupation est la culpabilité ou l'innocence de l'accusé. En fait, le respect légal de leurs obligations repose sur l'existence présumée de la compétence de la cour de juger l'accusé, là où le procès se tient, relativement au crime reproché.

Le juge du procès en l'espèce a fait une distinction d'avec l'arrêt Balcombe pour le motif que les questions de fait soulevées par certaines conditions du par. 7(3.71) en matière de compétence vont au c{oe}ur même de la culpabilité morale de Finta quant aux actions qu'il aurait commises. Il s'exprime ainsi:

[traduction] Bien que, dans l'affaire Balcombe, on ait décidé que les faits attributifs de compétence, tel le lieu de l'infraction, relèvent du juge et non du jury, la cour y a remarqué que les faits dans cette affaire ne concernaient pas la culpabilité ou l'innocence de l'accusé. La présente affaire est donc différente de l'affaire Balcombe. En l'espèce, le lieu de l'infraction n'est pas en litige. Les faits attributifs de compétence comme la réduction en esclavage, la déportation, la persécution ou la perpétration de tout autre acte inhumain par l'accusé sont des faits qui concernent sa culpabilité ou son innocence même. Ces questions relèvent du jury. En l'espèce, elles s'attachent au fondement même du principe du procès par jury.

C'est particulièrement le cas lorsqu'une détermination contraire à ces faits attributifs de compétence prive l'accusé d'un droit juridique important, dont ceux garantis par la Charte, de plaidoyers spéciaux et de la défense très importante de l'obéissance à la loi de facto.

Retirer au jury ces questions cruciales de faits attributifs de compétence priverait à la fois l'accusé et la collectivité du droit à ce que tous les faits qui concernent la culpabilité ou l'innocence de l'accusé soient tranchés par le jury. C'est par conséquent le jury qui se prononcera sur ces faits.

Je partage cette opinion. Il faut établir une importante distinction entre la question de compétence relative au lieu, sur laquelle un juge peut se prononcer après avoir considéré les faits, et la question de compétence quant à savoir si les éléments essentiels d'une infraction ont été établis. Cette dernière doit être laissée au jury. Comme le juge Lamer (maintenant Juge en chef) l'a dit dans l'arrêt R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636, la présomption d'innocence exige que la poursuite prouve hors de tout doute raisonnable l'existence de tous les éléments essentiels de l'infraction — qu'ils soient précisés dans la loi qui prévoit l'infraction ou constitutionnellement prescrits par l'art. 7 de la Charte. Dans des décisions subséquentes de notre Cour, l'exigence de la preuve hors de tout doute raisonnable a été étendue aux facteurs accessoires, excuses et moyens de défense. (Voir R. c. Whyte, [1988] 2 R.C.S. 3; R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697.) Ainsi, il n'importe pas que les éléments internationaux supplémentaires mis en cause dans les infractions de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre constituent des facteurs ou des excuses touchant la compétence. La question essentielle n'est pas de savoir comment les éléments sont qualifiés, mais plutôt de savoir si le jury serait contraint de déclarer l'accusé coupable en dépit du fait qu'il éprouve un doute raisonnable quant à savoir si les infractions constituent un crime de guerre ou un crime contre l'humanité.

L'appelante soutient que le juge du procès serait appelé à se prononcer selon la prépondérance des probabilités sur des questions comme celle de savoir si l'accusé était responsable de la séquestration de 8 716 Juifs, s'il était responsable du chargement de ces personnes dans les wagons et si les actions étaient inhumaines en ce qu'elles constituaient des actes de persécution ou de discrimination à l'égard d'un groupe identifiable. Le juge du procès serait également tenu de prendre une décision relativement à l'élément moral de ces infractions. Il ne resterait au jury qu'à décider si l'accusé a commis l'acte répréhensible et s'il avait l'intention coupable requise pour que les actes commis constituent des infractions au Code criminel canadien.

Cette prétention ne peut être juste. Il est manifestement évident que le jury pouvait conclure que l'accusé était coupable d'homicide involontaire coupable et avoir en même temps des doutes raisonnables quant à savoir si ses actes et son état d'esprit étaient tels que ses actions équivalaient à des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre. Si la prétention de l'appelante était acceptée, le jury serait néanmoins contraint de le déclarer coupable. Cela priverait l'accusé du droit à ce que l'élément essentiel des accusations portées contre lui soit établi hors de tout doute raisonnable et de son droit à ce que sa culpabilité ou son innocence soient déterminés par le jury.

(i) Résumé de la compétence

Les tribunaux canadiens ne sont compétents pour juger des personnes qui vivent au Canada relativement à des crimes qu'ils auraient commis en pays étranger que si les conditions précisées au par. 7(3.71) sont remplies. La plus importante de ces conditions pour les fins de la présente affaire est que le crime reproché doit constituer un crime de guerre ou un crime contre l'humanité. C'est donc la nature de l'acte commis qui est d'importance primordiale dans la détermination de la compétence. Les tribunaux canadiens ne peuvent juger un individu relativement à une infraction ordinaire commise à l'étranger. Ils ne peuvent juger des personnes comme Imre Finta que parce que les actes qu'il aurait commis sont qualifiés de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité. Comme Cherif Bassiouni l'a à juste titre remarqué, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité n'est pas la même chose qu'une infraction de droit interne. (Voir M. Cherif Bassiouni, Crimes Against Humanity in International Criminal Law (1992).) Le crime de guerre et le crime contre l'humanité mettent en cause d'autres éléments fondamentalement importants.

(2) Les éléments requis relativement au crime décrit au par. 7(3.71)

(i) Les éléments matériels ou actus reus

La partie clé du par. 7(3.71) prévoit:

7. . . .

(3.71) Nonobstant les autres dispositions de la présente loi et par dérogation à toute autre loi, l'auteur d'un fait — acte ou omission — commis à l'étranger même avant l'entrée en vigueur du présent paragraphe, constituant un crime de guerre ou un crime contre l'humanité et qui aurait constitué, au Canada, une infraction au droit canadien en son état à l'époque de la perpétration, est réputé avoir commis le fait au Canada à cette époque si l'une des conditions suivantes est remplie . . .

Pour qu'il soit déclaré coupable, l'accusé doit donc avoir commis un acte qui constituait à la fois un crime de guerre ou un crime contre l'humanité et aurait constitué une infraction aux lois du Canada en vigueur à l'époque de sa perpétration. Qu'il représente un crime contre l'humanité fait partie intégrante du crime et constitue un élément essentiel de l'infraction. Dans l'esprit du public, les individus inculpés de crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre sont accusés d'avoir commis des infractions si graves qu'elles choquent la conscience des gens sensés. Les stigmates rattachés à la déclaration de culpabilité relativement à ce crime sont accablants. La société ne peut tout simplement pas en tolérer la perpétration. De même, la nature de la peine rattachée à la perpétration d'un crime contre l'humanité doit être plus sévère que ne le serait la peine rattachée au vol qualifié, à la séquestration ou à l'homicide involontaire coupable commis au Canada.

Quels sont donc les éléments spécifiques au crime contre l'humanité ou au crime de guerre qui distinguent ceux‑ci des autres infractions de droit interne, comme l'homicide involontaire coupable ou le vol qualifié? Une partie de la réponse se trouve dans la définition des deux termes au par. 7(3.76) du Code criminel:

7. . . .

(3.76) . . .

«crime contre l'humanité» Assassinat, extermination, réduction en esclavage, déportation, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain d'une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes — qu'il ait ou non constitué une transgression du droit en vigueur à l'époque et au lieu de la perpétration — et d'autre part, soit constituant, à l'époque et dans ce lieu, une transgression du droit international coutumier ou conventionnel, soit ayant un caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations.

«crime de guerre» Fait — acte ou omission — commis au cours d'un conflit armé international — qu'il ait ou non constitué une transgression du droit en vigueur à l'époque et au lieu de la perpétration — et constituant, à l'époque et dans ce lieu, une transgression du droit international coutumier ou conventionnel applicable à de tels conflits. [Je souligne.]

Ainsi, l'élément spécifique du crime contre l'humanité tient au fait que les actes inhumains aient été motivés par la discrimination à l'égard d'un groupe identifiable ou par la persécution de ce dernier. L'élément spécifique du crime de guerre tient au fait que les actes violent les lois en matière de conflit armé. Dans les deux cas, les tribunaux canadiens ne seront compétents pour juger l'accusé et l'accusé ne sera déclaré coupable d'avoir commis l'infraction que si ces éléments sont établis.

(ii) L'élément moral ou mens rea

L'«aspect international» des infractions visées au par. 7(3.71) ne tient pas uniquement à l'actus reus ou à la qualité physique des actes. Le Canada acquiert la compétence à l'égard des actes commis à l'étranger uniquement si ceux‑ci revêtent le caractère d'un crime international ou s'ils sont «criminels» selon les principes généraux du droit international. Un crime se compose à la fois d'un élément matériel et d'un élément moral. Comme l'a noté la Cour d'appel à la majorité en l'espèce, les définitions de crime de guerre et de crime contre l'humanité énoncées au par. 7(3.76) ne précisent pas expressément l'état d'esprit qui doit s'ajouter aux faits ou circonstances en raison desquels un acte est visé par ces définitions. Il faut donc, par interprétation, y introduire un élément moral. En effet, il est maintenant bien établi en droit que, d'élément présumé des infractions qu'elle était (R. c. Sault Ste‑Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299), la mens rea est maintenant un élément requis sur le plan constitutionnel (R. c. Vaillancourt, précité). La preuve de cet élément moral fait partie intégrante de la tâche qui consiste à déterminer si les infractions commises constituent un crime de guerre ou un crime contre l'humanité et, par conséquent, si le tribunal est compétent pour entendre l'affaire.

L'appelante soutient que le mécanisme déterminatif de la disposition du Code en cause en l'espèce est tel que l'individu accusé aux termes du par. 7(3.71) peut être déclaré coupable non pas de «crimes de guerre» ou de «crimes contre l'humanité», mais d'infractions «ordinaires» prévues au Code, tel l'homicide involontaire coupable, la séquestration ou le vol qualifié. Elle soutient en outre que la preuve de la mens rea relative aux infractions de droit interne fournit l'élément de faute personnelle requis quant aux infractions visées au par. 7(3.71). Ainsi, soutient‑elle, il n'est pas nécessaire de faire la preuve d'une culpabilité morale supplémentaire puisque, si la mens rea requise pour l'infraction de séquestration, de vol qualifié ou d'homicide involontaire coupable est établie, on ne saurait soutenir que l'accusé est moralement innocent.

Je ne peux retenir cet argument. Le crime contre l'humanité se distingue de toute autre infraction criminelle prévue au Code criminel canadien du fait que les actes cruels et atroces, qui sont des éléments essentiels de l'infraction, ont été commis dans la poursuite d'une politique de discrimination ou de persécution à l'égard d'un groupe ou d'un peuple identifiable. Les crimes de guerre se distinguent quant à eux du fait que les actes atroces violent les lois de la guerre. Même si cette expression peut être qualifiée d'oxymoron, de telles lois existent effectivement. Les crimes de guerre, comme les crimes contre l'humanité, choquent la conscience des gens sensés. Les infractions décrites au par. 7(3.71) sont donc fort différentes des infractions sous‑jacentes, et beaucoup plus graves.

Par exemple, on ne saurait nier que les crimes contre l'humanité reprochés en l'espèce, qui ont entraîné le meurtre cruel de milliers de personnes, sont beaucoup plus graves que le fait de causer la mort d'une seule personne par un acte qui constitue un homicide involontaire coupable au Canada. La participation à la séquestration, au vol et au meurtre de milliers de personnes appartenant à un groupe identifiable doit, quelle que soit l'idée qu'on se fait de la moralité ou de la criminalité, être plus grave que même la perpétration d'un acte qui constituerait un meurtre au Canada.

Par conséquent, si les infractions sous‑jacentes peuvent constituer un fondement de culpabilité morale, le législateur a exigé un élément supplémentaire de culpabilité en requérant que l'acte ou l'omission constituent un crime contre l'humanité ou un crime de guerre. S'il n'est pas convaincu hors de tout doute raisonnable de l'existence de cet élément supplémentaire de culpabilité, le jury ne peut déclarer l'accusé coupable d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité.

Dans l'arrêt R. c. Vaillancourt, précité, notre Cour a conclu qu'il existait des crimes relativement auxquels, en raison des peines qui peuvent être imposées ou de la nature spéciale des stigmates causés par une déclaration de culpabilité, les principes de justice fondamentale exigent une culpabilité morale ou une mens rea qui reflète la nature particulière de ce crime. Par conséquent, il ne s'agit pas uniquement de savoir si l'accusé est moralement innocent, mais plutôt si son comportement est suffisamment blâmable pour justifier la peine et les stigmates rattachés à une déclaration de culpabilité pour cette infraction particulière. En l'espèce, il y a lieu de tenir compte non seulement des stigmates et de la peine qui découleront de la déclaration de culpabilité de l'infraction de droit interne, mais également des stigmates et de l'opprobre qui accableront l'individu dont les actes ont été qualifiés de crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre. En réalité, dès qu'il est déclaré coupable, l'accusé est catalogué comme criminel de guerre et il subit l'opprobre particulièrement marqué que la société réserve aux auteurs de ces infractions. En outre, la peine rattachée à la déclaration de culpabilité reflétera l'outrage moral extrême que ressent non sans raison la société à l'égard de ceux qui sont reconnus coupables d'avoir commis ces crimes.

Dans l'arrêt R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154, j'ai proposé l'utilisation d'une méthode contextuelle pour déterminer le degré approprié de faute requis relativement à une infraction donnée. L'infraction doit être examinée dans le contexte des objectifs que le législateur s'est fixés en adoptant la disposition de même que des intérêts concurrents de l'individu inculpé. J'estime également nécessaire de tenir compte du contexte dans lequel les infractions sont commises pour établir, relativement à l'infraction, la mens rea ou l'élément moral requis.

Quel était l'objectif du législateur lorsqu'il a adopté la disposition? Celle‑ci a été adoptée à la suite de la réception du Rapport de la Commission Deschênes. Au cours des débats parlementaires qui ont suivi le dépôt du rapport, le ministre de la Justice a fait remarquer que les Canadiens n'accepteraient jamais que des individus coupables de crimes de guerre au cours de la Seconde Guerre mondiale trouvent asile au Canada.

Il ne fait aucun doute que les Canadiens ont été révoltés par les souffrances infligées à des millions de personnes innocentes. Il semble que la disposition a été adoptée afin de pouvoir juger ceux qui ont infligé la mort et des souffrances cruelles d'une façon consciente, préméditée et calculée. La qualité essentielle du crime de guerre ou du crime contre l'humanité tient à ce que l'accusé doit savoir qu'il inflige un supplice inouï à ses victimes ou n'en tenir volontairement aucun compte.

L'élément moral requis pour un crime de guerre ou un crime contre l'humanité devrait à mon avis relever d'un critère subjectif et ce, pour plusieurs raisons. D'une part, le crime lui‑même doit être examiné dans son contexte. Ces crimes sont généralement commis en temps de guerre, et les guerres impliquent mort et destruction. Le simple bon sens compte souvent parmi les premières victimes. La manipulation des sentiments, souvent par la diffusion de faux renseignements et de propagande, forme l'horrible toile de fond de la guerre. Les faux renseignements et les reportages biaisés prédominent à un point tel qu'on ne peut automatiquement présumer que les membres d'organismes comme la Gendarmerie savaient vraiment qu'ils faisaient partie d'un complot visant à exterminer un peuple entier.

On ne peut oublier que les Hongrois étaient loyaux à la cause des pays de l'Axe. Leur pays était imprégné d'un profond sentiment pro‑allemand. Le stress et l'appréhension étaient à leur paroxysme quand l'avance des Russes a fait reculer les armées allemandes vers les frontières de la Hongrie. Un article publié dans un journal à l'époque et présenté au procès reflète les sentiments qui animaient les Hongrois:

[traduction] La guerre et la ligne de front qui approche nos frontières intensifient le problème juif [. . .] notre pays, qui s'apprête à se défendre, peut‑être avec l'aide des Allemands, et la situation interne des huit ou neuf cent mille Juifs essentiellement hostiles à nos objectifs militaires, nécessitent l'adoption de nouvelles mesures efficaces . . .

Dans un discours visant à faire part de ses politiques, le premier ministre a expressément déclaré que la seule façon de régler le problème juif était la déportation.

(Szegedi uj Nemzedék, 9 avril 1944.)

Le paragraphe 7(3.71) ne peut viser ceux qui ont tué dans le feu de la bataille ou en défendant leur pays. Il vise ceux qui ont infligé des souffrances terribles dans un but précis et avec une malveillance calculée.

Quelle est donc la nature du crime de guerre ou de l'acte inhumain? En plus de la définition énoncée au Code même, le juge du procès en l'espèce a donné au jury la définition suivante de l'acte inhumain:

[traduction] Inhumain (inhumane). Inhumain, barbare. Non humain; dépourvu de compassion à l'égard de la souffrance.

Inhumanité. Le fait d'être inhumain. Absence de sentiment humain; brutalité; cruauté barbare.

Inhumain (inhuman). Dénué des qualités propres ou naturelles à l'être humain; particulièrement dépourvu de gentillesse naturelle ou de compassion; brutal, impitoyable.

Brutal; barbare; cruel.

Le juge du procès a ajouté à ses commentaires que [traduction] «[d]ans le présent contexte, l'inhumanité signifie une forme de traitement inutilement dur dans les circonstances». Il a expliqué au jury que les infractions de droit interne d'enlèvement, de séquestration et de vol qualifié pourraient revêtir la nature du crime contre l'humanité notamment si les actes pouvaient être qualifiés d'inhumains.

À mon avis, il s'agit là d'une qualification appropriée qui souligne que, le vol qualifié par exemple, sans l'élément additionnel de cruauté barbare, n'est pas un crime contre l'humanité. On ne saurait en effet présumer que celui qui a dépossédé des civils de leurs biens de valeur au cours de la guerre a de ce fait commis un crime contre l'humanité. Déclarer quelqu'un coupable d'une infraction alors qu'il n'a pas été établi hors de tout doute raisonnable qu'il connaissait l'existence de conditions donnant à ses actions cette autre dimension requise de cruauté et de barbarisme viole les principes de justice fondamentale. Le degré de turpitude morale qui se greffe aux crimes contre l'humanité et aux crimes de guerre doit excéder celui des infractions de droit interne d'homicide involontaire coupable ou de vol qualifié. L'accusé doit donc être conscient des conditions qui rendent ses actes plus blâmables que l'infraction de droit interne.

Certaines décisions de notre Cour relatives aux exigences constitutionnelles de mens rea appuient cette position. Dans l'arrêt R. c. Martineau, [1990] 2 S.R.C. 633, la Cour a annulé l'al. 213a) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34. Cet alinéa prévoyait que l'infraction de meurtre était commise lorsqu'une personne causait la mort d'un être humain pendant qu'elle commettait ou tentait de commettre une des infractions énumérées et qu'elle avait l'intention de causer des lésions corporelles aux fins de commettre l'infraction sous‑jacente ou de faciliter sa fuite après avoir commis l'infraction. Le meurtre était présumé avoir été commis, que l'auteur ait ou non eu l'intention de causer la mort et qu'il ait ou non su que la mort d'un être humain en résulterait vraisemblablement. La Cour à la majorité (le juge en chef Lamer) a affirmé que, pour qu'une personne puisse être déclarée coupable de meurtre, il faut, selon les principes de justice fondamentale, qu'elle ait prévu subjectivement la mort. Comme on l'a signalé dans l'arrêt R. c. DeSousa, [1992] 2 R.C.S. 944, bien que les principes de justice fondamentale n'exigent pas que la faute ou la mens rea soit établie à l'égard de chacun des éléments de l'infraction, un élément moral déterminé est requis à l'égard d'un aspect coupable de l'actus reus. Voir également: R. c. Hess, [1990] 2 R.C.S. 906.

Il ressort clairement de ces affaires que les crimes contre l'humanité ou les crimes de guerre nécessitent chez l'accusé un élément de connaissance subjective des conditions factuelles qui font de ses actes des crimes contre l'humanité.

Par conséquent, pour tous les motifs exposés précédemment, je souscris à la conclusion de la Cour d'appel à la majorité que l'élément moral d'un crime contre l'humanité doit comporter une connaissance des faits ou des circonstances qui entraîneraient les actes dans la sphère d'un crime contre l'humanité. Toutefois, je souligne qu'il n'est pas nécessaire d'établir que l'accusé savait que ses actes étaient inhumains. Comme la majorité l'a exprimé à la p. 116:

[traduction] . . . s'il acceptait le témoignage des divers témoins qui ont décrit les conditions dans les wagons transportant les Juifs à partir de Szeged, le jury n'aurait aucune difficulté à conclure que le traitement était «inhumain» au sens de la définition donnée par le juge du procès. Le jury aurait alors à déterminer si Finta connaissait ces conditions. Si le jury décidait qu'il les connaissait effectivement, l'exigence en matière de connaissance était établie, que Finta ait cru ou non que ces conditions étaient inhumaines.

De même, en ce qui concerne les crimes de guerre, le ministère public aurait le fardeau d'établir que l'accusé connaissait les faits ou circonstances qui faisaient que ses actes étaient visés par la définition de crime de guerre ou en était conscient. En d'autres termes, il faudrait que l'accusé soit conscient que les faits et circonstances de ses actions étaient tels que, considérés objectivement, ils choqueraient la conscience de tous les gens sensés.

Subsidiairement, l'exigence relative à la mens rea des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre sera remplie s'il est établi que l'accusé a volontairement fermé les yeux sur les faits ou circonstances en raison desquels ses actions sont visées par les dispositions prévoyant ces infractions.

(iii)Résumé des éléments de l'infraction prévue au par. 7(3.71): Les aspects intégraux de l'article

Le libellé du paragraphe, ainsi que les stigmates et les conséquences qui découleraient d'une déclaration de culpabilité indiquent tous que le ministère public doit établir que l'accusé a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité. Il s'agit là d'un aspect intégral et essentiel de l'infraction. Il ne suffit pas de démontrer simplement que l'infraction commise au Canada constituerait un vol qualifié, une séquestration ou un homicide involontaire coupable. Il faut établir un élément supplémentaire d'inhumanité pour justifier une déclaration de culpabilité en vertu de ce paragraphe. L'élément moral dont il faut faire la preuve pour qu'il s'agisse d'un crime contre l'humanité est que l'accusé connaissait les faits ou les circonstances qui font de ses actes des actes visés par la définition de crime contre l'humanité, ou qu'il n'en n'a volontairement tenu aucun compte. Il ne serait toutefois pas nécessaire d'établir que l'accusé savait que ses actions étaient inhumaines. Ainsi, s'il était convaincu que Finta connaissait les conditions dans les wagons, le jury pourrait le déclarer coupable de crimes contre l'humanité même si Finta ne savait pas que le fait d'entasser les gens dans les wagons était inhumain.

De même, pour ce qui est des crimes de guerre, le ministère public serait tenu d'établir que l'accusé avait une connaissance ou une conscience des faits qui faisait que ses actes étaient visés par la définition de crime de guerre, ou qu'il n'en a volontairement tenu aucun compte. Il ne serait pas nécessaire de démontrer que l'accusé savait effectivement que ses actes constituaient des crimes de guerre. Il s'agit donc là des éléments requis de l'infraction et de l'élément moral requis pour établir cette dernière.

(iv)Le juge du procès a‑t‑il commis une erreur dans son exposé concernant l'élément moral requis?

L'appelante admet qu'à divers moments dans son exposé le juge du procès a donné des directives appropriées au jury sur l'élément moral des infractions. Elle soutient toutefois que ces directives ont été annulées par les nombreux passages où le juge aurait pu donner l'impression que le ministère public devait établir que l'intimé savait en fait que son comportement constituait un crime contre l'humanité ou un crime de guerre ou équivalait à un acte visé par la définition de crime contre l'humanité ou de crime de guerre.

Manifestement, le juge du procès a fait, au cours de son très long et complexe exposé, des commentaires qui auraient pu être interprétés de manière à exiger que le ministère public établisse que l'accusé savait que son comportement était inhumain. Toutefois, l'exposé offrait plusieurs directives claires quant à la bonne approche. L'examen de l'ensemble de l'exposé fait clairement ressortir que, sur la question de la mens rea, les directives du juge du procès au jury étaient appropriées. Il a dit, par exemple:

[traduction] Le point suivant est la rubrique no 9, l'élément moral relativement aux crimes contre l'humanité. Le ministère public doit simplement établir hors de tout doute raisonnable que les infractions particulières, soit le vol qualifié, l'enlèvement, la séquestration et l'homicide involontaire coupable, possédaient, à la connaissance de l'accusé, les qualités factuelles les élevant au niveau de crime contre l'humanité.

Le ministère public n'est pas tenu d'établir que l'accusé est un érudit du droit international et qu'il en connaît tous les aspects ou tous les tenants et aboutissants. Il suffit de prouver que l'accusé savait que ses actes avaient la qualité factuelle d'une réduction en esclavage, d'une déportation persécutrice, d'une persécution raciale ou religieuse ou d'une inhumanité qui les érigeait de crimes ordinaires en crimes contre l'humanité au niveau international.

À l'égard de la preuve de l'élément moral des crimes contre l'humanité, le juge a donné les directives suivantes au jury:

[traduction] Le ministère public doit également établir hors de tout doute raisonnable l'élément matériel et l'élément moral des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, et il faut que cette connaissance que ses actes constituent un crime de guerre ou un crime contre l'humanité soit attribuée à l'accusé personnellement au niveau de leur qualité sur le plan factuel.

Je le répète, il ne doit pas nécessairement connaître les tenants et les aboutissants du droit international. Il doit uniquement savoir que ses actes ont la nature et la qualité qui, sur le plan factuel, en font des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. Sait‑il qu'il s'agit de déportation motivée par une persécution raciale? Sait‑il qu'il s'agit d'un acte inhumain? Sait‑il qu'il s'agit d'un mauvais traitement de la population civile? De la façon que j'ai décrite.

Le juge du procès a encore une fois souligné au jury que l'accusé devait simplement être conscient des circonstances factuelles entourant ces actes et des actions visées par la définition de crime de guerre. Le juge du procès a à juste titre dit au jury qu'il n'était pas nécessaire que l'accusé sache que ses actes constituaient un crime en droit international.

Le juge du procès a souligné à maintes reprises qu'il fallait appliquer un critère objectif. Par exemple, en ce qui concerne la déportation, il a dit:

[traduction] Pour ce qui est de l'élément moral nécessaire, l'accusé doit avoir l'intention de déporter au sens que je vous ai donné pour constituer un crime contre l'humanité. Vous devez appliquer à ce chef d'accusation les questions telles que je les ai analysées. La déportation est-elle une mesure provisoire raisonnable touchant la sécurité publique, la literie, les meubles et autres effets ayant été entreposés en prévision du retour des personnes, si l'accusé avait des motifs raisonnables de le croire sincèrement? Ou bien, serait-il évident aux yeux d'une personne raisonnable qu'ils étaient déportés parce qu'ils étaient Juifs ou qu'ils étaient persécutés dans des conditions inhumaines?

Pour ce qui est de la confiscation des biens, il a dit:

[traduction] La seconde partie de cet élément, comme je vous l'ai déjà lu, est de savoir si le ministère public a prouvé hors de tout doute raisonnable qu'une personne raisonnable dans la situation de l'accusé saurait que la confiscation avait la qualité factuelle d'un crime contre l'humanité (voir le no 5) ci-dessous et que l'accusé personnellement, fait usage de violence ou de menaces de violence, ou aide ou encourage à commettre ces actes.

Dans son exposé, le juge a bien fait ressortir que le jury devait décider si Finta était conscient des circonstances qui faisaient de ses actes soit un crime contre l'humanité soit un crime de guerre, et s'il avait l'élément moral requis quant aux infractions de droit interne. Le jury devait savoir que, pour prononcer une déclaration de culpabilité, il devait conclure que Finta avait consciemment participé à des actes qui revêtaient le caractère d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité, et que ce niveau de conscience était tel que Finta pouvait être tenu personnellement responsable des crimes commis en Hongrie à l'époque en question. Le juge du procès a souligné qu'il ne suffisait pas que les jurés estiment que ce qui s'était produit violait les lois sur la guerre ou constituait un crime contre l'humanité. Finta lui‑même devait connaître les conditions et circonstances factuelles qui faisaient de ces crimes des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre.

Il y a également lieu de souligner que le juge du procès a signalé au jury qu'il devait conclure que Finta savait ou était conscient qu'il prenait part à une politique de persécution. Il s'agit là d'une composante des circonstances factuelles que Finta serait requis de connaître pour que ses actions relèvent de la définition de crime contre l'humanité. Bien que le Code n'édicte pas que les crimes contre l'humanité doivent comporter un élément d'action ou de politique de persécution ou de discrimination par l'État, le témoin expert, M. Cherif Bassiouni, a témoigné qu'à l'époque où les infractions auraient été commises, [traduction] «l'action ou la politique de l'État» était un élément juridique préalable des crimes contre l'humanité. Ainsi, à mon avis, le juge du procès a eu raison de signaler au jury qu'il devait être convaincu que Finta avait une connaissance ou une conscience de la circonstance factuelle particulière qui faisait des actes qu'on l'accuse d'avoir commis des crimes contre l'humanité. Le juge du procès a à juste titre établi une distinction entre ce facteur et un mobile, que le ministère public, a‑t‑il précisé clairement au jury, n'est pas tenu d'établir.

Le juge du procès a fait tout son possible pour donner au jury des directives claires et bien structurées dans ce long, complexe et difficile procès.

(3) Les moyens de défense

Puisque l'infraction ne sera complète que s'il s'agit d'un crime contre l'humanité ou d'un crime de guerre, certains moyens de défense spéciaux peuvent être invoqués à cet égard.

Les moyens de défense que l'intimé peut invoquer au procès soulèvent essentiellement les questions suivantes: (1) le moyen de défense fondé sur l'obéissance à des ordres militaires et celui de l'agent de la paix devraient‑ils pouvoir être invoqués par les personnes accusées d'infractions prévues au par. 7(3.71) et (2) le juge du procès était‑il justifié de présenter au jury les moyens de défense d'erreur de fait et d'obéissance aux ordres d'un supérieur?

Il serait peut‑être utile de considérer d'abord les moyens de défense que peut invoquer la personne accusée d'une infraction visée au par. 7(3.71).

Le paragraphe 7(3.73) du Code criminel prévoit que les personnes accusées de crimes visés au par. 7(3.71) peuvent se prévaloir de tous les moyens de défense et excuses reconnus par le droit national et le droit international. Il est ainsi libellé:

7. . . .

(3.73) Sous réserve du paragraphe 607(6) et bien que le fait visé au paragraphe (3.71) constitue une infraction au droit canadien en son état à l'époque de la perpétration, l'accusé peut, dans le cadre des poursuites intentées sous le régime de la présente loi à l'égard de ce fait, se prévaloir des justifications, excuses ou moyens de défense reconnus à cette époque ou celle du procès par le droit canadien ou le droit international.

Aux termes du par. 607(6), la personne à qui on reproche d'être l'auteur d'un fait — acte ou omission — commis à l'étranger constituant une infraction au Canada, et à l'égard duquel elle a subi un procès et a été reconnue coupable à l'étranger, ne peut invoquer la défense d'autrefois convict dans certains cas précis.

Le paragraphe 7(3.74) prescrit qu'une personne peut être déclarée coupable d'une infraction visée au par. 7(3.71), même si l'acte a été commis en exécution du droit en vigueur à l'époque et au lieu de la perpétration ou en conformité avec ce droit.

L'article 25 du Code permet à l'accusé de justifier l'utilisation de toute la force nécessaire pour faire quoi que ce soit dans l'application ou l'exécution de la loi, même si celle‑ci est défectueuse. Il prévoit:

25. (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l'application ou l'exécution de la loi:

a) soit à titre de particulier;

b) soit à titre d'agent de la paix ou de fonctionnaire public;

c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public;

d) soit en raison de ses fonctions,

est, s'il agit en s'appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu'il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

(2) Lorsqu'une personne est, par la loi, obligée ou autorisée à exécuter un acte judiciaire ou une sentence, cette personne ou toute personne qui l'assiste est, si elle agit de bonne foi, fondée à exécuter l'acte judiciaire ou la sentence, même si ceux‑ci sont défectueux ou ont été délivrés sans juridiction ou au‑delà de la juridiction.

(3) Sous réserve du paragraphe (4), une personne n'est pas justifiée, pour l'application du paragraphe (1), d'employer la force avec l'intention de causer, ou de nature à causer la mort ou des lésions corporelles graves, à moins qu'elle n'estime, pour des motifs raisonnables, que cette force est nécessaire afin de se protéger elle‑même ou de protéger toute autre personne sous sa protection, contre la mort ou contre des lésions corporelles graves.

(4) Un agent de la paix qui procède légalement à l'arrestation, avec ou sans mandat, d'une personne pour une infraction au sujet de laquelle cette personne peut être appréhendée sans mandat, ainsi que toute personne aidant légalement l'agent de la paix, est justifiable, si la personne qui doit être appréhendée s'enfuit afin d'éviter l'arrestation, d'employer la force nécessaire pour empêcher cette fuite, à moins que l'évasion puisse être empêchée par des moyens raisonnables d'une façon moins violente. [Je souligne.]

Le moyen de défense de l'agent de la paix, énoncé ci‑dessus, est semblable au moyen de défense fondé sur l'obéissance à des ordres militaires. Celui‑ci est reconnu dans la plupart des systèmes de droit criminel. (Voir, par exemple, L. C. Green, «Superior Orders and Command Responsibility» (1989), 27 Can. Y.B. Int'l L. 167.) Il repose sur le principe bien reconnu suivant lequel, tant dans les forces armées que dans les forces policières, les ordres émanant des supérieurs doivent être exécutés. Il n'est donc pas juste de punir les membres des forces armées ou des forces policières qui obéissent aux ordres ou les exécutent à moins que ceux‑ci ne soient manifestement illégaux. En l'espèce, à l'époque où les infractions auraient été commises, l'intimé aurait pu se prévaloir de ce moyen de défense. Par conséquent, conformément au par. 7(3.73) du Code, il pouvait l'invoquer au procès.

La défense d'erreur de fait prévue en common law est fondée sur le concept que, pour avoir un état d'esprit coupable, l'accusé doit connaître les éléments factuels du crime qu'il commet. En d'autres termes, bien qu'il puisse commettre un acte prohibé, l'accusé n'est généralement pas coupable d'une infraction criminelle s'il ignore l'élément factuel de l'infraction ou se méprend à son égard. (Voir par exemple R. c. Prue, [1979] 2 R.C.S. 547.) L'accusé est présumé avoir agi dans un contexte factuel qui, croyait‑il sincèrement, existait lorsqu'il a commis l'acte qu'on allègue être une infraction criminelle. (Voir Beaver c. The Queen, [1957] R.C.S. 531, et Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120.) Le juge du procès a également indiqué au jury que l'intimé pouvait invoquer ce moyen de défense.

(A)Le moyen de défense fondé sur l'obéissance à des ordres militaires et le moyen de défense de l'agent de la paix devraient‑ils pouvoir être invoqués par un accusé sous le régime du par. 7(3.71)?

L'appelante soutient que ni le moyen de défense de droit international fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur ni le moyen de défense de l'agent de la paix prévu à l'art. 25 du Code criminel du Canada ne devraient pouvoir être invoqués par les personnes accusées d'infractions visées au par. 7(3.71). Elle soutient qu'en présentant au jury les moyens de défense de l'agent de la paix et de l'obéissance aux ordres militaires fondés sur les décrets et ordonnances hongrois, le juge du procès a ouvert la porte à la défense d'obéissance à la loi en vigueur à l'époque et au lieu concernés. Cela, soutient l'appelante, est contraire à l'intention du législateur lorsqu'il a adopté le par. 7(3.74) et au principe interdisant à l'accusé d'invoquer les lois de l'État pour justifier des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre lorsque, de par leur nature même, ces crimes doivent être autorisés par l'État. En ce qui concerne l'art. 25 du Code, l'appelante soutient qu'ayant donné au jury des directives sur des questions de droit, suivant lesquelles le décret de Baky, les décrets antisémites et le document contenant l'horaire des trains étaient illégaux, le juge du procès aurait dû conclure que le moyen de défense fondé sur l'art. 25 était inapplicable puisqu'on ne pouvait soutenir que l'intimé était, aux termes de l'art. 25, «par la loi, obligé ou autorisé» à commettre les actes qu'il a commis.

L'appelante soutient d'autre part que la défense d'erreur de fait n'aurait pas dû être soumise au jury conjointement avec le moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur et le moyen de défense de l'agent de la paix puisque la question de savoir ce que l'intimé croyait est une question distincte qui porte sur la mens rea et qui n'est pas pertinente aux fins d'un moyen de défense «positif». En outre, l'appelante soutient qu'en présentant la défense d'erreur de fait au jury, le juge du procès lui a en fait présenté la défense d'erreur de droit. Ceci, dit‑on, viole la présomption de connaissance de la loi et force le ministère public à établir que l'accusé savait que ses actes étaient visés par la définition de l'infraction reprochée donnée dans la loi.

L'appelante soutient enfin que la manière dont le juge du procès a défini ces moyens de défense au jury constituait une directive erronée. Le juge du procès a intégré dans ces définitions les éléments constitutifs des crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. Il s'agissait, soutient l'appelante, d'une erreur.

À ce stade‑ci, il convient peut‑être d'examiner l'historique du moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur. Les auteurs de doctrine se demandent depuis des siècles si l'obéissance aux ordres d'un supérieur peut protéger l'auteur d'une infraction. (Voir par exemple: L. C. Green, «Superior Orders and the Reasonable Man», dans Essays on the Modern Law of War (1985), aux pp. 43 et 49.)

(i)Analyse historique du moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur

Il arrive fréquemment que nos principes de droit criminel ne puissent être facilement appliqués au régime militaire. Nos conceptions du droit criminel ont évolué lentement. Suivant ces conceptions, la loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous. Chacun a droit au respect, à la dignité et à l'intégrité de sa personne. On en est venu progressivement à admettre que la personne accusée de voies de fait devait être tenue personnellement responsable d'avoir violé l'intégrité d'un autre être humain. Or, il est difficile, voire impossible, d'appliquer ce concept au régime militaire.

Le concept de l'organisation militaire repose entièrement sur l'obéissance immédiate et inconditionnelle aux ordres des détenteurs de l'autorité. Partons du principe que l'organisation militaire est destinée à protéger l'intégrité physique d'une nation, ses frontières et ses citoyens. Les ordres du commandant en chef doivent être exécutés selon la structure hiérarchique. Les commandants de division doivent exécuter les ordres des commandants de l'armée. Les commandants de régiment doivent obéir aux ordres des commandants de division, les commandants de compagnie à ceux des commandants de bataillons, et les soldats à ceux du lieutenant responsable. Cette nécessité d'obéissance immédiate aux ordres d'un supérieur s'applique jusqu'à la plus petite cellule militaire. La tradition militaire et l'un des objectifs primordiaux de l'entraînement militaire est d'inculquer à chaque recrue la nécessité d'obéir aux ordres instantanément et sans hésitation. Il s'agit en réalité de la seule façon pour une unité militaire de fonctionner efficacement. Afin que les ordres soient exécutés instantanément, la discipline militaire punit ceux qui ne respectent pas les ordres reçus. Dans l'action, la vie de chaque membre d'une unité dépend de l'exécution immédiate des ordres même si ceux‑ci peuvent paraître, lorsqu'on y réfléchit à tête reposée, avoir été inutilement sévères.

Au fil des siècles, la nécessité absolue pour le régime militaire de pouvoir compter sur l'obéissance des subalternes aux ordres reçus a donné naissance à un concept suivant lequel l'auteur d'un acte accompli conformément à des ordres militaires sera exonéré. La même reconnaissance de la nécessité que les soldats obéissent aux ordres de leurs commandants a engendré le principe suivant lequel le commandant qui donne les ordres assume lui‑même la responsabilité des conséquences qui découlent de leur exécution.

Cherif Bassiouni, op. cit., a tenu les propos suivants sur le sujet de l'obéissance à des ordres militaires, à la p. 399:

[traduction] . . . dans l'histoire du droit militaire, l'un des plus importants devoirs du subalterne a été d'obéir aux ordres d'un supérieur. Cette obéissance l'exonère de toute responsabilité en raison de la position de commande du supérieur duquel émane l'ordre.

Cette responsabilité criminelle vise celui qui prend la décision et non celui qui l'exécute, lequel est exonéré. En contrepartie, on s'attend à ce que le subalterne obéisse aux ordres des supérieurs. Cette position relativement à la responsabilité est fondée sur la présomption que le supérieur peut être dissuadé d'agir illégalement du fait qu'un ordre illégal entraînera sa responsabilité criminelle. Mais lorsque cette présomption échoue, de toute évidence la position générale doit être revue.

Comme l'auteur le souligne à juste titre, le moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur invoqué par le chef de l'armée a été écarté à différents moments de l'histoire. Ce fut le cas lorsque les crimes commis conformément aux ordres d'un supérieur au cours d'hostilités étaient si atroces qu'ils excédaient les limites du comportement militaire acceptable et choquaient la conscience de la société.

Green (dans «Superior Orders and Command Responsibility» loc. cit., à la p. 173) et Bassiouni (op. cit., à la p. 416) rapportent tous deux que l'une des premières personnes à invoquer le moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur devant un tribunal, Peter von Hagenbach, s'est vu refuser la protection de la responsabilité du commandement.

Bassiouni, op. cit., écrit, à la p. 416:

[traduction] La première personne à avoir invoqué devant un tribunal le moyen de défense fondé sur les ordres d'un supérieur est probablement Peter von Hagenbach en l'an 1474. Charles, Duc de Bourgogne, a nommé Hagenbach gouverneur (Landvogt) du Haut‑Rhin, qui comprend le village fortifié de Brisach. À la demande de Charles, Hagenbach, avec l'aide de ses forces a tenté de réduire la population de Brisach à l'état de soumission au moyen de meurtres, de viols et de confiscations illégales de biens. Hagenbach a finalement été capturé et accusé d'avoir «foulé aux pieds les lois de Dieu et de l'homme». Hagenbach a invoqué principalement le moyen de défense fondé sur «l'obéissance aux ordres d'un supérieur». Son avocat a soutenu que Hagenbach «n'était aucunement fondé à mettre en doute l'ordre qu'il était chargé d'exécuter, et c'était son devoir d'y obéir. N'est‑il pas connu que les soldats doivent l'obéissance absolue à leurs supérieurs?» Le tribunal a rejeté la défense de Hagenbach, l'a déclaré coupable et l'a condamné à mort.

Voir aussi Georg Schwarzenberger, International Law as Applied by International Courts and Tribunals, vol. 2 (1968), à la p. 465, et L. C. Green, «Superior Orders and Command Responsibility», loc. cit., à la p. 173.

Les États‑Unis ont connu un procès important au cours de la Guerre de 1812. Il existait alors une divergence d'opinions quant à la nécessité de faire la guerre. En Nouvelle‑Angleterre, les Forces navales des États‑Unis n'étaient pas très populaires. Un jour, alors que le navire Independence était accosté au port de Boston, un passant a fait des remarques désobligeantes à un nommé Bevans, un marine qui montait la garde sur le navire. Bevans a répliqué plutôt violemment en enfonçant sa baïonnette dans le corps de l'homme. Accusé de meurtre, il invoqua le moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur, soutenant que les marines à bord de l'Independence avaient reçu l'ordre d'attaquer à la baïonnette quiconque manquait de respect à leur égard. Au procès, le juge Story a signalé au jury que l'ordre était illégal et nul et que, s'il avait été donné et exécuté, le supérieur et le subalterne seraient tous deux coupables de meurtre. Bevans fut reconnu coupable (United States c. Bevans, 24 Fed. Cas. 1138 (C.C.D. Mass. 1816) (No. 14,589), bien que sa déclaration de culpabilité ait par la suite été renversée par la Cour suprême des États-Unis pour des motifs de compétence dans United States c. Bevans, 3 Wheat. 336 (1818)).

Green (dans «Superior Orders and Command Responsibility», loc. cit., aux pp. 174 et 175) indique que la décision du juge Solomon dans R. c. Smith (1900), 17 S.C. 561 (Cap de Bonne‑Espérance) a établi la position anglaise. Dans cette affaire, un soldat, obéissant aux ordres de son supérieur au cours de la Guerre des Boers, a tué un autochtone ayant refusé d'accomplir une tâche servile. Bien qu'elle ait acquitté le soldat, la cour a introduit le critère de l'«illégalité manifeste», déclarant aux pp. 567 et 568:

[traduction] . . . il est aberrant de supposer qu'un soldat puisse être protégé lorsque l'ordre est manifestement illégal. [. . .] [La proposition voulant qu'il soit] responsable s'il obéit à un ordre non strictement légal [. . .] est une proposition extrême à laquelle la Cour ne peut souscrire. [. . .] [P]articulièrement en temps de guerre, l'obéissance immédiate [. . .] est nécessaire [. . .]. J'estime prudent de dire que, si le soldat croit sincèrement qu'il accomplit son devoir en obéissant aux ordres de son supérieur, et si les ordres ne sont pas si manifestement illégaux qu'il doit ou aurait dû savoir qu'ils étaient illégaux, le simple soldat sera protégé par les ordres de son supérieur.

Bassiouni, op. cit., raconte, aux pp. 419 à 421:

[traduction] La question de l'"obéissance aux ordres d'un supérieur" a pour la première fois revêtu une importance internationale dans la société contemporaine au cours des procès sur les crimes de guerre qui ont suivi la Première Guerre mondiale. En vertu de l'article 228 du Traité de Versailles, l'Allemagne s'est soumise au droit des puissances alliées de juger des personnes accusées de crimes de guerre. Même si le Traité prévoyait initialement que les procès seraient administrés par l'État dont les citoyens auraient été victimes de crimes, on a convenu subséquemment que la Reichsgericht de l'Allemagne (la Cour suprême), siégeant à Leipzig, serait le tribunal qui présiderait ces affaires. Les deux affaires les plus remarquables sur la question de l'"obéissance aux ordres d'un supérieur", qui ont été entendues au cours des procès de Leipzig, sont Dover Castle et Llandovery Castle.

Dans l'affaire Dover Castle, le lieutenant capitaine Karl Neuman [sic], commandant d'un sous‑marin allemand, fut accusé d'avoir torpillé le Dover Castle, un navire‑hôpital britannique. Le défendeur a prétendu avoir obéi aux «ordres d'un supérieur», qui émanaient de ses supérieurs de la marine, qui croyaient sincèrement que les navires‑hôpitaux des Alliés étaient utilisés à des fins militaires en contravention des lois de la guerre. Dans sa décision d'acquitter le défendeur, le tribunal de Leipzig a affirmé:

L'obligation du subalterne d'obéir aux ordres de ses supérieurs est un principe militaire. (. . .) Lorsque l'exécution d'un ordre militaire entraîne une infraction au droit criminel, le supérieur qui donne l'ordre est le seul responsable. Cela est conforme au libellé de la loi allemande, § 47, par. 1 du Code pénal militaire . . .

En application du § 47 du Code pénal militaire no 2, un subalterne qui agit conformément aux ordres est (. . .) passible d'être puni à titre de complice, lorsqu'il sait que ses supérieurs lui ont ordonné de commettre des actes qui constituent un crime ou un méfait civil ou militaire. Ce n'est pas le cas en l'espèce. L'accusé connaissait la note du gouvernement allemand relative à l'emploi illégal des navires‑hôpitaux ennemis. (. . .) Il était par conséquent d'avis que les mesures adoptées par l'Amirauté allemande contre les navires‑hôpitaux ennemis n'étaient pas contraires au droit international, mais qu'elles étaient plutôt des représailles légitimes. (. . .) L'accusé (. . .) ne peut, par conséquent, être puni pour son comportement.

Dans l'arrêt Llandovery Castle rendu plus tard, le même tribunal n'a pas accordé aussi facilement à l'accusé le moyen de défense fondé sur l'«obéissance aux ordres d'un supérieur». Dans cette affaire, mettant également en cause l'attaque d'un sous‑marin allemand contre un navire‑hôpital britannique, le commandant du sous‑marin a donné l'ordre à son équipage d'ouvrir le feu sur les survivants du Llandovery Castle torpillé qui avaient réussi à monter à bord d'embarcations de sauvetage. Les officiers qui ont exécuté l'ordre, les premiers lieutenants Ludwig Dithmar et John Boldt ont été accusés de meurtre et ont plaidé avoir obéi aux ordres de leur commandant Helmut Patzik (que les autorités allemandes n'ont pas appréhendé après la guerre). Le tribunal a toutefois rejeté cette défense en disant:

L'attaque dirigée contre les embarcations était une infraction au droit des nations. (. . .) La règle de droit international en cause en l'espèce est simple et universellement connue. Il ne peut y avoir aucun doute quant à la question de son applicabilité. (. . .) L'ordre (du commandant) n'exonère pas de culpabilité l'accusé. Certes, conformément au par. 47 du Code pénal militaire, si l'exécution d'un ordre dans le cadre ordinaire du service entraîne une telle violation, le supérieur qui donne l'ordre est l'unique responsable. Cependant, le subalterne qui obéit à un tel ordre est passible d'une peine s'il savait que l'ordre du supérieur enfreignait la loi civile ou militaire. En l'espèce, c'était le cas de l'accusé. Il doit certainement être avancé en faveur des subalternes militaires qu'ils ne sont aucunement tenus de mettre en cause l'ordre de leur supérieur, et qu'ils peuvent se fier à sa légalité. Mais on ne peut conclure que cette confiance existe si tous savent, dont l'accusé, que l'ordre est sans le moindre doute contraire à la loi.

Le tribunal a néanmoins reconnu que le moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur était un facteur atténuant dont il fallait tenir compte dans la détermination de la peine appropriée, et il a condamné les accusés à seulement quatre ans d'emprisonnement.

Le professeur Yoram Dinstein a analysé, dans The Defence of `Obedience to Superior Orders' in International Law (1965), le recours au moyen de défense fondé sur l'«obéissance aux ordres d'un supérieur» aux procès de Leipzig, et il a correctement conclu, à la p. 19:

[traduction] (I) De façon générale, le subalterne qui commet un acte criminel en obéissant à un ordre ne devrait pas en être tenu responsable.

(2) Cette règle est inapplicable si le subalterne savait que l'ordre entraînait la perpétration d'un crime et l'a néanmoins exécuté.

(3) Pour déterminer si le subalterne savait qu'il avait reçu l'ordre de commettre un acte criminel, la cour peut recourir au critère connexe de l'illégalité manifeste.

Les affaires subséquentes, particulièrement celles mettant en cause les navires‑hôpitaux, reflètent les difficultés croissantes à déterminer le moment où le moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur peut être à juste titre pris en considération. Dans l'affaire Dover Castle, 16 A.J.I.L. 704 (1921), il aurait été à première vue impensable que le moyen de défense puisse être invoqué dans le torpillage d'un navire‑hôpital. Toutefois, lorsque la preuve a établi que le haut commandement allemand et les membres des forces allemandes estimaient que les navires‑hôpitaux étaient utilisés à des fins purement militaires, peut‑être pour le transport des troupes, non seulement le moyen de défense fut pris en considération, mais il a à juste titre été accepté au procès. Par contre, l'attaque et le bombardement des survivants à bord des embarcations de sauvetage dans l'affaire Llandovery Castle, 16 A.J.I.L. 708 (1921), étaient des actes atroces et contraires à toutes les traditions et lois navales, à un point tel qu'ils étaient à première vue manifestement déraisonnables. En conséquence, le moyen de défense était inacceptable et les accusés furent à juste titre déclarés coupables. Ces affaires démontrent également la nécessité de tenir compte du contexte dans lequel les actes sont commis. Ils ne peuvent être considérés d'aucune autre façon. En effet, les actions sont le produit de leur époque.

Le critère de l'illégalité manifeste est aujourd'hui grandement reconnu sur le plan international. On peut et l'on doit obéir aux ordres militaires à moins que ceux‑ci ne soient manifestement illégaux. Quand l'ordre d'un supérieur est‑il manifestement illégal? Il doit être de nature à offenser la conscience de toute personne raisonnable et sensée. Il doit être clairement et manifestement répréhensible. L'ordre ne peut se situer dans une zone grise ou être seulement douteux; il doit au contraire être manifestement et clairement répréhensible. Par exemple, l'ordre du Roi Hérode de tuer les bébés âgés de moins de deux ans offenserait et choquerait la conscience des soldats les plus endurcis. On peut trouver une analyse très utile sur les éléments caractéristiques d'un ordre manifestement illégal dans la décision de la Cour militaire de district d'Israël dans l'affaire Ofer c. Chief Military Prosecutor (l'affaire Kafr Qassem) [Appel 279-283/58, Psakim (Jugements des Cours de district d'Israël), vol. 44, à la p. 362], citée en appel devant le tribunal d'appel militaire, Pal. Y.B. Int'l L. (1985), vol. 2, p. 69, à la p. 108, et dans Green «Superior Orders and Command Responsibility», loc. cit., à la p. 169, note 8:

[traduction] Le signe déterminant d'un ordre «manifestement illégal» doit flotter au‑dessus de l'ordre donné comme un drapeau noir en guise de mise en garde disant: «interdit». La question importante en l'espèce n'est pas l'illégalité formelle, dissimulée ou à demi dissimulée, ni l'illégalité qui se détecte par les seuls experts juridiques, mais une violation manifeste et frappante de la loi, une illégalité certaine et évidente qui découle de l'ordre lui‑même, de la nature criminelle de ce dernier ou des actes qui doivent être commis de ce fait, une illégalité qui transperce et trouble le c{oe}ur, si l'{oe}il n'est pas aveugle ni le c{oe}ur fermé ou corrompu. Il s'agit là du degré d'illégalité «manifeste» requis pour annuler le devoir d'obéissance du soldat et rendre ce dernier criminellement responsable de ses actes.

Les décisions les plus importantes sur le moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur ont été rendues par le Tribunal militaire international de Nuremberg. C'est là que, pour la première fois, on a établi une règle relativement à ce moyen de défense. L'article 8 du Statut du Tribunal militaire international prévoit:

Article 8. Le fait que l'accusé a agi conformément aux ordres de son Gouvernement ou d'un supérieur hiérarchique ne le dégage pas de sa responsabilité, mais pourra être considéré comme un motif de diminution de la peine, si le Tribunal décide que la justice l'exige.

Dans son interprétation et sa justification de cette disposition, le Tribunal a dit:

Les dispositions de cet article sont conformes au Droit commun des États. L'ordre reçu par un soldat de tuer ou de torturer en violation du Droit international de la guerre, n'a jamais été regardé comme justifiant ces actes de violence. Il ne peut s'en prévaloir, aux termes du Statut, que pour obtenir une réduction de la peine. Le vrai critérium de la responsabilité pénale, celui qu'on trouve, sous une forme ou sous une autre, dans le Droit criminel de la plupart des pays, n'est nullement en rapport avec l'ordre reçu. Il réside dans la liberté morale, dans la faculté de choisir, chez l'auteur de l'acte reproché. [Je souligne.]

(Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international, t. 22, (1946) (Texte officiel en langue française), à la p. 497.)

(ii) Le critère de la «liberté morale», la contrainte et la nécessité

On a critiqué le «critère de la liberté morale» appliqué par le Tribunal militaire international pour le motif qu'il minait l'art. 8, qui force effectivement le subalterne à ne pas obéir à un ordre manifestement illégal quelles qu'en soient les conséquences. (Voir par exemple: Morris Greenspan, The Modern Law of Land Warfare, (1959) à la p. 493.) Toutefois, d'autres auteurs reconnus en droit international comme les professeurs Bassiouni (op. cit., à la p. 427) et Dinstein (dans The Defence of `Obedience to Superior Orders' in International Law, op. cit., à la p. 152) soutiennent que le critère de la liberté morale établi par le Tribunal militaire international [traduction] «était destiné à compléter l'art. 8 et non à miner son fondement». Suivant cette interprétation, Bassiouni, op. cit., fait remarquer à la p. 437 que

[traduction] «l'obéissance aux ordres d'un supérieur» ne constitue pas une défense [. . .] à un crime international lorsque l'ordre est manifestement illégal et lorsque le subalterne a la liberté morale d'exécuter l'ordre ou de refuser d'y obéir. Toutefois, si le subalterne est contraint ou forcé d'exécuter l'ordre, les normes relatives au moyen de défense de la coercition (contrainte) devraient s'appliquer. Dans un tel cas, il ne s'agit pas d'une question de justification, mais d'excuse ou de réduction de la peine.

Une personne peut être contrainte à obéir aux ordres d'un supérieur soit pour des raisons naturelles qui la mettent en danger (nécessité) soit pour des raisons de pression que lui fait subir une autre personne (coercition). Bassiouni, op. cit., à la p. 439, explique:

[traduction] Les deux sources de contrainte, bien que différentes, peuvent amener quelqu'un à blesser une autre personne pour éviter un préjudice personnel plus grave ou équivalent. Si elles cèdent toutes deux à l'instinct de survie humain, ces deux sources sont néanmoins limitées pour des raisons d'ordre public, de moralité et d'éthique par le droit positif et le droit naturel.

Le moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur du fait d'une contrainte se limite aux menaces [traduction] «imminentes, réelles et inévitables» qui pèsent sur la vie du subalterne (The Einsatzgruppen Case, 4 Trials of War Criminals 470 (1948). Comme Jeanne L. Bakker l'a fait remarquer dans "The Defence of Obedience to Superior Orders: The Mens Rea Requirement" (1989), 17 Am. J. Crim. L. 55, la difficulté réside dans la détermination du moment où les menaces deviennent si imminentes, réelles et inévitables qu'elles se transforment en contrainte qui rend le subalterne incapable de former un état d'esprit coupable.

Je suis d'accord avec Bakker lorsqu'elle dit, aux pp. 72 et 73:

[traduction] . . . la liberté morale peut s'exercer lorsque les subalternes peuvent choisir entre un comportement irrépréhensible et un comportement répréhensible sans subir de préjudice. Les subalternes qui choisissent d'obéir à un ordre illégal alors qu'ils auraient pu y désobéir sans en subir de conséquences préjudiciables sont coupables d'un acte criminel.

. . .

Otto Ohlendorf, le commandant de l'un des fameux Einsatzgruppen (wagons (sic) de la mort), a exécuté plus de 90 000 «éléments indésirables réunissant Russes, gitans, Juifs et autres» en se fondant sur un ordre qu'il admettait être «répréhensible», bien qu'il ait refusé de considérer «s'il était moral ou immoral». Puisque l'accusé a reconnu ne pas avoir voulu exercer un jugement moral, le tribunal a rejeté son moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur.

D'après Bakker, ce n'est que lorsque la vie du soldat est menacée de façon imminente, réelle et inévitable que le moyen de défense fondé sur la contrainte peut être invoqué à titre de défense au meurtre d'innocentes personnes. La crainte d'une «peine sévère» ou d'une rétrogradation ne serait pas suffisante. Elle dit, à la p. 74:

[traduction] La question de savoir si le subalterne est fondé à croire qu'une menace réelle, imminente et inévitable pèse sur sa vie devrait être résolue en fonction de la situation dans laquelle se trouve le subalterne qui a reçu l'ordre illégal. De nombreux facteurs peuvent être considérés, notamment l'âge, l'éducation, l'intelligence, les conditions générales dans lesquelles les subalternes se trouvent, le temps passé en service, la nature des hostilités, le genre d'ennemi auquel ils font face et les méthodes de guerre de ce dernier.

Les facteurs qui affectent directement l'état d'esprit de l'auteur de l'infraction à qui s'offre une liberté morale sont notamment la nature de la peine prévue pour la désobéissance à des ordres, la peine probable pour la désobéissance, les croyances raisonnables du subalterne type relativement à la peine, la connaissance du subalterne quant à la nature de la peine, et toutes les solutions qui s'offrent à lui pour éviter qu'elle lui soit infligée.

L'élément de la liberté morale a été, je crois, ajouté au moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur dans les cas où, bien qu'il puisse être facilement établi que les ordres étaient manifestement illégaux et que le subalterne était conscient de leur illégalité, l'accusé n'avait néanmoins d'autre choix en raison de circonstances comme la contrainte, que d'obéir aux ordres. Dans un tel cas, l'accusé n'aurait pas l'intention coupable requise.

J'ajouterais ceci aux commentaires des auteurs. Plus on descend dans la hiérarchie, plus le sentiment de contrainte de celui qui reçoit l'ordre sera grand et moins il sera vraisemblable que l'individu ait vraiment une liberté morale. Il faut se rappeler que le concept global de l'organisation militaire est dans une certaine mesure coercitif. Il faut obéir aux ordres. La question de la liberté morale sera beaucoup plus rarement soulevée dans le cas du simple soldat accusé d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité que dans le cas d'un général ou autre haut gradé.

(iii)L'obéissance aux ordres d'un supérieur ne constituant qu'un autre élément factuel à considérer dans la détermination de la mens rea

Certains auteurs ont conclu que l'obligation d'obéir aux ordres d'un supérieur ne devrait pas être qualifiée de moyen de défense. Il s'agit plutôt uniquement de l'une des nombreuses circonstances factuelles devant être examinées pour déterminer si l'accusé avait l'intention coupable requise pour être déclaré coupable.

Selon le professeur Dinstein, à la p. 88:

[traduction] . . . l'obéissance aux ordres ne constitue pas un moyen de défense en soi, mais seulement un élément factuel dont il peut être tenu compte en conjonction avec les autres circonstances de l'affaire dans les limites d'une défense fondée sur l'absence de mens rea, c'est‑à‑dire l'erreur de droit ou de fait ou la contrainte.

Le professeur Hersch Lauterpacht, plus tard sir Hersch Lauterpacht, a exprimé la même opinion dans «The Law of Nations and the Punishment of War Crimes» (1944), 21 Brit. Y.B. Int'l L. 58, à la p. 73:

[traduction] . . . il est nécessaire d'examiner la question des ordres d'un supérieur en se fondant sur les principes généraux du droit criminel, c'est‑à‑dire comme un élément qui permet de confirmer l'existence de la mens rea comme condition de la responsabilisation.

Bakker, loc. cit., à la p. 79, a également soutenu que [traduction] «l'obéissance aux ordres d'un supérieur ne devrait être qu'une conclusion factuelle parmi d'autres dans la recherche d'une preuve indiquant l'état d'esprit de l'auteur au moment où il a exécuté les ordres.» (En italique dans l'original.)

(iv) Le contexte canadien

Le paragraphe 7(3.74) du Code criminel canadien est ainsi libellé:

7. . . .

(3.74) Par dérogation au paragraphe (3.73) et à l'article 15, une personne peut être déclarée coupable d'une infraction à l'égard d'un fait visé au paragraphe (3.71), même commis en exécution du droit en vigueur à l'époque et au lieu de la perpétration ou en conformité avec ce droit.

L'article 15 du Code criminel offre une défense contre les déclarations de culpabilité lorsque l'accusé a agi «en exécution des lois alors édictées et appliquées par les personnes possédant de facto le pouvoir souverain dans et sur le lieu où se produit l'acte ou l'omission».

Il est évident que le par. 7(3.74) a été adopté dans le but d'investir les tribunaux du pouvoir discrétionnaire de rejeter une défense fondée sur l'application d'une règle de droit, tel le décret de Baky. Le paragraphe reprend l'exception à la règle de droit international, reconnue au niveau international, qui prévoit que les États doivent se garder d'intervenir dans les affaires internationales ou extérieures des autres États. (Voir Brownlie, op. cit., à la p. 291.) Sans cette exception, les pays, comme l'Allemagne de la Seconde Guerre mondiale, dont la politique étatique de persécution a été inscrite dans la loi nationale, pourraient effectivement prétendre que la question est d'intérêt national et que le principe de l'intégrité souveraine empêche les autres États de s'en prendre à ceux de leurs citoyens qui ont obéi aux lois qui constituaient des crimes contre l'humanité.

En l'absence de cette exception, même Hitler aurait pu se défendre contre de telles accusations en prétendant s'être seulement conformé à la loi du pays. À titre de citoyen allemand, lui aussi était soumis aux lois de l'État et devait respecter la loi prescrivant la «solution finale». Si l'obéissance à la loi de facto pouvait être invoquée comme moyen de défense automatique, il serait alors impossible de déclarer coupables de crimes commis sous leur régime même les tyrans les plus despotiques, les auteurs des lois les plus insidieuses contre l'humanité et ceux qui les exécutent. Ce serait là un résultat inacceptable. Les tribunaux canadiens ont donc le pouvoir discrétionnaire de déclarer une personne coupable d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité nonobstant l'existence, dans le pays où l'infraction a été commise, de lois justifiant ou même exigeant un pareil comportement.

Le moyen de défense fondé sur l'obéissance à la loi de facto n'est pas identique à celui fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur. Bien qu'à certains moments les ordres émanant d'un supérieur puissent devenir partie d'un régime juridique interne, cela ne changerait pas la nature de l'ordre pour le soldat. Il serait toujours forcé d'obéir à l'ordre à moins que celui‑ci ne soit manifestement illégal. Par conséquent, la suppression du droit automatique d'invoquer l'obéissance à la loi de facto n'a aucun effet sur le moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur.

En conséquence, le juge du procès a eu raison de présenter au jury le moyen de défense fondé sur l'obéissance à des ordres militaires. Ce faisant, il ne permettait pas à l'intimé d'invoquer l'obéissance aux lois de la Hongrie en vigueur à l'époque où les actes reprochés ont été commis. Il a rappelé au jury le témoignage de l'expert suivant lequel, à titre de capitaine de la Gendarmerie, l'intimé aurait été soumis aux ordres du général Baky. Il a ensuite signalé au jury que le décret de Baky était inconstitutionnel au regard de la loi hongroise, mais que sa tâche consistait à déterminer si une personne raisonnable dans la position de l'intimé aurait conclu que ce décret était manifestement illégal, et si l'intimé aurait eu la liberté d'obéir ou non à l'ordre. Le juge du procès n'a pas mentionné qu'il s'agissait du moyen de défense fondé sur l'obéissance aux lois de la Hongrie en vigueur à l'époque des infractions reprochées. Au contraire, il a qualifié le moyen à juste titre de défense fondée sur l'obéissance à des ordres militaires.

Je ne vois rien d'erroné dans ces directives. Encore une fois, il faut se replacer dans le contexte. On était en temps de guerre. Les armées russes s'approchaient des frontières de la Hongrie, qui était en fait un État occupé. Les forces allemandes étaient aux commandes du pays et le contrôlait. Peu importe l'illégalité du décret de Baky, il était loisible au jury de conclure qu'on aurait difficilement pu s'attendre à ce qu'un capitaine de la Gendarmerie désobéisse à ce décret et que, aux yeux de l'accusé, le décret de Baky était un ordre militaire. C'est sous cet angle que son moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur devait être considéré.

L'appelante soutient que le par. 7(3.74), qui limite le droit de l'accusé d'invoquer l'obéissance à la loi de facto, a pour effet d'empêcher l'utilisation du moyen de défense de l'agent de la paix prévu à l'art. 25 du Code criminel. Elle fonde son argument sur le fait que le par. 25(2), qui permet à l'accusé de s'appuyer sur la loi nonobstant le fait que celle‑ci puisse être défectueuse, est contraire à l'objectif du par. 7(3.74). Toutefois, je suis d'avis que le juge du procès a bien interprété l'application du moyen de défense de l'agent de la paix dans le contexte d'un crime de guerre et d'un crime contre l'humanité. Le paragraphe 25(2) vise à fournir une protection légale au policier qui, agissant de bonne foi, s'appuyant sur des motifs raisonnables et s'estimant fondé par la loi à agir ainsi, réalise ensuite que ses actes n'étaient pas autorisés, la loi ayant été jugée défectueuse.

L'article 25 s'apparente à la défense de l'erreur de fait. À moins que la loi ne soit manifestement illégale, le policier doit y obéir et la faire respecter. On ne peut s'attendre à ce que les policiers entreprennent, avant d'agir, une analyse juridique exhaustive de tous les ordres ou lois qu'ils sont tenus de faire respecter. Par conséquent, s'il appert qu'ils ont exécuté un ordre illégal, ils peuvent invoquer le moyen de défense de l'agent de la paix de la même manière que le militaire peut à juste titre invoquer le moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur dans certaines conditions restreintes. La réserve tient à ce que le militaire doit agir de bonne foi et avoir des motifs raisonnables de croire que les mesures prises étaient justifiées. L'agent qui agit conformément à un ordre ou une loi manifestement illégal ne serait pas en mesure de se défendre en faisant valoir que ses actes étaient justifiés aux termes de l'art. 25 du Code criminel.

En l'espèce, le juge du procès a clairement indiqué au jury que, si la loi était manifestement illégale puisque, du fait de ses dispositions, elle revêtait les qualités factuelles du crime contre l'humanité ou du crime de guerre, l'accusé ne pouvait invoquer le moyen de défense de l'agent de la paix prévu à l'art. 25 du Code. Les directives écrites fournies au jury confirment que le moyen de défense de l'agent de la paix ne pouvait être invoqué si, placée dans la situation de l'accusé, une personne raisonnable aurait su que ses actes avaient la qualité factuelle du crime contre l'humanité ou du crime de guerre. L'accusé ne pourrait invoquer le moyen de défense de l'agent de la paix que si la loi ou les ordres n'étaient pas manifestement illégaux et que si, s'appuyant sur des motifs raisonnables, il croyait sincèrement ses actes justifiés. Ainsi, les directives suivantes données au jury étaient à mon avis tout à fait appropriées:

[traduction] Il est donc très important de juger le policier, le soldat ou toute personne soumise à la discipline militaire, en se demandant si, dans les circonstances, à l'époque et au lieu concernés, il a agi honnêtement et raisonnablement.

Ces moyens de défense sont limités. Ils reposent sur l'honnêteté, sur le comportement raisonnable et sur l'absence de force excessive. Ils n'autorisent pas la perpétration d'un crime, ni ne permettent à un policier ou un soldat de commettre un acte manifestement illégal à la suite d'un ordre d'un gouvernement, d'un sous‑ministre ou d'un sous‑secrétaire d'État qui s'écarte du droit chemin. Ces moyens de défense ne cautionnent pas la perpétration de crimes évidents au nom du gouvernement.

Ces directives ne permettaient pas à l'accusé de plaider l'obéissance aux lois de son pays.

Il convient de rappeler que le par. 7(3.74) confère une faculté. Il prévoit qu'une personne peut être déclarée coupable d'une infraction visée au par. 7(3.71) même si les actes ont été commis en exécution de la loi de facto. Il peut donc, dans certains cas, être nécessaire de tenir compte de l'existence d'une loi qui n'est pas manifestement illégale et qui paraît justifier le comportement de l'accusé pour décider si, en agissant en vertu de cette loi, l'agent avait l'intention coupable requise. J'ajouterai des commentaires à cet égard au moment d'examiner la constitutionnalité de la disposition.

(B)L'erreur de fait aurait‑elle dû être présentée au jury conjointement avec les autres moyens de défense et les autres éléments des infractions?

(i)L'erreur de fait peut‑elle être rattachée aux moyens de défense de l'obéissance à des ordres militaires et de l'agent de la paix?

L'appelante soutient ici que le juge du procès a eu tort de joindre les moyens de défense des ordres militaires et de l'agent de la paix à une question relative à la mens rea, c'est‑à‑dire, l'erreur de fait. Elle affirme qu'en fait, le juge du procès a présenté au jury l'erreur de droit. Il aurait également commis une erreur en intégrant aux définitions des moyens de défense les éléments constitutifs des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre.

Je ne peux retenir ces arguments. Le juge du procès a eu raison de signaler au jury que l'individu accusé d'avoir commis une infraction visée au par. 7(3.71) ne peut prétendre que, bien qu'une personne raisonnable aurait su dans les circonstances que les actes qu'on lui reprochait d'avoir commis avaient la qualité factuelle des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre, il a cru par méprise que ces actes étaient légaux et que, par conséquent, il était fondé à exécuter les ordres et à commettre les actes. Si c'était le cas, l'accusé pourrait toujours invoquer le moyen de défense fondé sur l'obéissance à des ordres militaires en prétendant que l'illégalité de l'ordre ne lui est simplement pas apparue à l'époque. On pousserait ainsi le moyen de défense au‑delà des limites raisonnables. En outre, le ministère public devrait alors établir que l'accusé était conscient de l'illégalité manifeste des ordres et de ses actes.

Il suffit plutôt d'établir que l'accusé était conscient des qualités factuelles de ses actes, à condition que le jury conclue que ceux‑ci sont visés par la définition de crime contre l'humanité ou de crime de guerre et qu'une personne raisonnable dans la situation de l'accusé aurait su que des ordres d'accomplir ces actes étaient manifestement illégaux. De plus, s'il est établi que l'accusé avait véritablement la liberté morale d'obéir ou non aux ordres, il ne pourra se prévaloir du moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur, quelles qu'aient été ses opinions personnelles sur la légalité des actes. Il n'est pas nécessaire que l'accusé ait su ou cru, selon son propre code moral ou sa connaissance du droit, que les ordres et ses actes étaient illégaux.

Les mêmes principes s'appliquent au moyen de défense de l'agent de la paix. Comme le juge du procès l'a indiqué correctement:

[traduction] Lorsque l'ordre est manifestement illégal au sens où je l'ai expliqué [il a manifestement la qualité factuelle du crime de guerre ou du crime contre l'humanité], aucune défense n'est possible. Aucun agent de la paix n'est par la loi obligé ou autorisé à commettre un acte qui constitue clairement un crime de guerre ou un crime contre l'humanité.

Il a également signalé à juste titre au jury que, si l'ordre ou la loi ne sont pas manifestement illégaux et que l'agent de la paix ou le soldat s'appuient sur des motifs raisonnables, ils sont fondés à recourir à toute la force nécessaire même s'il est subséquemment déterminé que la loi était défectueuse. Il a eu raison de dire au jury que, [traduction] «[s]i l'agent de la paix ou le soldat croit sincèrement que la loi ou l'ordre est légal au pays, il agit en s'appuyant sur des motifs raisonnables à l'époque, il a le droit d'avoir tort même s'il appert par la suite qu'il avait effectivement tort». À mon avis, il s'agit là d'une directive appropriée sur le moyen de défense d'erreur de fait joint aux moyens de défense de l'agent de la paix et de l'obéissance à des ordres militaires. L'erreur de fait peut être invoquée dans les seuls cas où l'ordre (dans le cas d'une défense fondée sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur) ou la loi (dans le cas de la défense de l'agent de la paix) ne sont pas manifestement illégaux.

À mon sens, le juge du procès a fait un travail remarquable en joignant ces moyens de défense aux éléments des crimes de manière que le jury soit en mesure de suivre un mode de raisonnement logique et juste du point de vue juridique au moment de considérer son verdict.

(ii) Résumé des moyens de défense ouverts à l'accusé

Les membres des forces militaires ou policières peuvent invoquer le moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur et celui de l'agent de la paix dans des poursuites pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Ces moyens de défense sont examinés en regard du critère de l'illégalité manifeste. Ils ne peuvent donc être invoqués lorsque les ordres en question étaient manifestement illégaux. Même dans le cas où les ordres étaient manifestement illégaux, le moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur et celui de l'agent de la paix pourront être invoqués si l'accusé n'avait pas la liberté morale d'y obéir ou non. C'est‑à‑dire que l'accusé voyait dans l'ordre un élément de contrainte ou de menace telle qu'il n'avait d'autre choix que d'y obéir. On pourrait par exemple conclure que l'accusé a été forcé d'exécuter les ordres manifestement illégaux dans le cas où, n'eût été son obéissance, il aurait été tué.

(iii)Les moyens de défense d'erreur de fait et d'obéissance aux ordres d'un supérieur auraient‑ils dû être présentés au jury?

L'appelante soutient que le juge du procès a commis une erreur en présentant au jury les moyens de défense d'erreur de fait et d'obéissance aux ordres d'un supérieur puisque ceux‑ci n'avaient aucune vraisemblance. L'accusé n'ayant ni témoigné ni présenté de preuve, soutient‑elle, aucun élément de preuve ne permettait de conclure qu'il a par erreur cru que les décrets et ordonnances hongrois, en particulier le «décret de Baky» et celui relatif à l'«horaire du train», autorisaient les actes qu'il est accusé d'avoir commis. En outre, soutient l'appelante, l'intimé plaide son innocence à l'égard des infractions dont il est accusé (à l'exception des vols qualifiés, qu'il a admis avoir commis, mais avoir cru être autorisé à commettre). Il ne pourrait donc soutenir que, si on conclut qu'il a commis les infractions en question, il doit être exonéré puisque, du fait qu'il obéissait à des ordres, il a sincèrement cru que ses actes étaient légaux.

Il est bien établi en droit que le juge du procès ne doit donner de directives au jury que sur les moyens de défense véritablement fondés sur des faits. Le moyen de défense qui n'est pas appuyé par la preuve ne devrait pas être présenté au jury (Kelsey c. The Queen, [1953] 1 R.C.S. 220). Il ne peut non plus être présenté si un jury raisonnable ayant reçu des directives appropriées aurait été incapable d'acquitter l'accusé en regard de la preuve présentée à l'appui de ce moyen de défense. Toutefois, si un jury raisonnable ayant reçu des directives appropriées pourrait acquitter l'accusé en se fondant sur la preuve donnant lieu au moyen de défense, celui‑ci doit être présenté au jury. Il appartient au juge du procès de décider si la preuve appuie le moyen de défense puisqu'il s'agit là d'une question de droit (Parnerkar c. La Reine, [1974] R.C.S. 449; Dunlop c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 881). Pour ce faire, le juge du procès doit suivre deux étapes. Il doit d'abord examiner l'ensemble de la preuve pour déterminer si elle est suffisante. Dans l'affirmative, la preuve doit être présentée au jury, qui l'appréciera et décidera si elle suscite un doute raisonnable. Voir: Wigmore on Evidence (1983), vol. IA, aux pp. 968 et 969; R. c. Faid, [1983] 1 R.C.S. 265, à la p. 276. Voilà tout ce qu'implique l'exigence d'une preuve suffisante.

Je ne peux souscrire à la prétention de l'appelante que, du seul fait que l'accusé a choisi de ne pas témoigner au procès, il ne peut se prévaloir des moyens de défense d'erreur de fait et d'obéissance aux ordres d'un supérieur. Peu importe qui présente la preuve appuyant le critère de la «vraisemblance»; la question primordiale est de savoir si la preuve est suffisante pour fonder un acquittement. À mon avis, l'intimé a à juste titre signalé que la preuve des circonstances suivantes, introduite au procès, a donné une vraisemblance aux moyens de défense d'erreur de fait et d'obéissance aux ordres d'un supérieur:

(1) la position de Finta dans la hiérarchie policière paramilitaire;

(2) l'état de guerre

(3) l'invasion imminente par les forces soviétiques;

(4) l'appui des Juifs aux forces alliées;

(5) la croyance générale et étalée publiquement dans les journaux hongrois que les Juifs étaient subversifs et déloyaux envers les efforts de guerre de la Hongrie;

(6) la manifestation publique, dans les journaux cités par l'un des témoins, d'une approbation générale à l'égard de la déportation des Juifs hongrois;

(7) l'activité organisationnelle impliquant l'État hongrois entier de même que son alliée, l'Allemagne, dans l'internement et la déportation;

(8) la façon manifeste et publique dont les confiscations ont été effectuées en vertu d'une sanction officielle et hiérarchique;

(9) le dépôt des biens saisis auprès du Trésor national ou dans la synagogue de Szeged.

La preuve portant sur l'état de guerre, l'occupation du pays par les forces allemandes, le comportement des policiers autorisé par l'État dans une situation d'urgence et l'invasion imminente par l'armée soviétique, qui n'était qu'à 100 km de Szeged, était à mon avis suffisante pour donner une vraisemblance au moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur. La preuve, tirée des journaux, relative à l'approbation publique de la déportation et à la manière publique dont les confiscations ont été effectuées, aurait pu appuyer le moyen de défense fondé sur la croyance erronée que les ordres de commettre les actes que l'intimé est accusé d'avoir commis étaient légaux.

Bien que l'intimé ait seulement admis avoir confisqué les biens des gens séquestrés à la briqueterie, le jury aurait pu conclure que l'intimé avait apporté aide et encouragement à la déportation et à la séquestration. Le fait que l'intimé ait seulement admis avoir confisqué les biens ne signifiait pas que le jury croirait qu'il n'avait rien fait d'autre. Par conséquent, les moyens de défense ont été à juste titre présentés au jury sur ce fondement. De plus, un crime de guerre et un crime contre l'humanité peut être commis tant par action que par omission. Si le jury avait conclu que l'intimé a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité du fait que, conscient de la séquestration et de l'enlèvement, il n'a rien fait pour l'empêcher, l'intimé aurait droit à ce que les moyens de défense soient présentés au jury. Ainsi, les moyens de défense étaient peut‑être applicables relativement à tous les chefs d'accusation, suivant la façon dont le jury considérait les faits. Les moyens de défense ayant une vraisemblance, le juge du procès a bien agi en les présentant au jury.

(4) L'exposé incendiaire

L'audition de la présente affaire a été longue et complexe. Elle comportait des questions très émotives et profondément troublantes. Dans ce contexte, il est peut‑être compréhensible que l'avocat de la défense et le substitut du procureur général aient tous deux fait des remarques inappropriées au jury. L'avocat de la défense a notamment laissé entendre que le jury devait mettre un frein à ce qui a été qualifié d'application d'une loi «diabolique». À mon avis, toutefois, le juge du procès a suffisamment corrigé les erreurs des deux avocats dans son exposé au jury. Par exemple, pour neutraliser le commentaire de l'avocat de la défense laissant entendre que le jury pouvait choisir de ne pas tenir compte de la loi, le juge du procès a indiqué:

[traduction] Si je commets une erreur, elle peut être corrigée, et elle le sera. En revanche, si vous commettez une erreur, il ne pourra probablement pas y être remédié. C'est pourquoi votre tâche est si importante.

Dans son exposé, l'avocat de la défense a prédit avec justesse que je dirais quelque chose de ce genre. Il a dit quelque chose qui doit être corrigé. Il a dit que la position dont je viens de vous faire part est celle sur laquelle la plupart des personnes faisant partie d'une structure hiérarchique se fondent. Selon lui, cette position est semblable à celle de l'organisation militaire, où le capitaine exécute l'ordre du lieutenant‑colonel, qui se fie à ses supérieurs hiérarchiques, dans l'exécution d'actes publics comme l'embarquement, et chacun de nous se fie au jugement d'autorité du gouvernement, qui subséquemment pourrait se révéler incorrect.

Cette comparaison n'est guère utile. Vous décidez vous‑même si une personne raisonnable dans la situation de l'accusé a pu croire sincèrement que le décret de Baky et celui relatif à l'horaire des trains étaient légaux et n'entraînaient ni persécution raciale ou religieuse ni acte inhumain. Ne croyez pas que vous exécutez des ordres, ou que j'en exécute. Il y a une énorme différence entre une personne qui exécute les ordres du gouvernement et quelqu'un, comme vous et moi, qui a le devoir d'appliquer la loi de façon régulière, de même que les principes de justice fondamentale et les droits de l'accusé.

En l'espèce, vous n'obéissez aux ordres de personne, ni moi non plus. Vous êtes indépendants, tout comme moi. Vous êtes les juges. Nous n'obéissons à aucun ordre. Nous allons là où le sentier de la loi nous conduit, peu importe que nous pensions que cela plaira ou non à une personne en situation d'autorité. Notre sens des responsabilités naît de nos serments, du fait que nous savons que ce que nous faisons est juste. Aucun d'entre nous, ni vous ni moi, n'obéissons aux ordres du gouvernement. Nous suivons le sentier de la loi tracé par les tribunaux indépendants du pays. Il ne sert à rien d'établir un parallèle entre une personne qui obéit aux ordres du gouvernement et des juges indépendants comme vous et moi.

En ce qui concerne les commentaires de l'avocat de la défense qualifiant les dispositions du Code de «diaboliques», le juge du procès a dit:

[traduction] L'avocat de la défense a qualifié de diabolique la loi que vous avez juré d'appliquer. Il a droit à son opinion, mais je doute de l'utilité de celle‑ci en regard de la tâche difficile qui vous attend. Votre opinion sur la sagesse de la loi n'est pas vraiment utile à votre fonction judiciaire. Quant à l'équité fondamentale de la loi en regard de notre constitution, notre tribunal a en l'espèce donné son approbation à cette loi et indiqué qu'elle respectait les principes de justice fondamentale.

Vous êtes ici pour juger l'accusé. Vous n'êtes pas ici pour juger la loi. Au Canada, les juges se prononcent sur la loi dans le cadre d'un système pourvu de nombreuses garanties. Les tribunaux canadiens ne laissent pas au gouvernement ni au législateur la tâche de décider si la loi est conforme aux principes de justice fondamentale. Mon rôle n'est pas de défendre la loi ni de la critiquer. Vous avez entendu quelqu'un la qualifier de diabolique; j'estime que vous devez savoir que notre cour a confirmé la constitutionnalité de la loi que vous avez juré d'appliquer et que l'avocat de la défense qualifie de diabolique. En l'espèce, notre cour a déterminé que la loi en cause respecte les principes de justice fondamentale, et nos tribunaux supérieurs fournissent une garantie supplémentaire à l'accusé à cet égard.

Le juge du procès a ensuite corrigé les déclarations faites par l'avocat de la défense suivant lesquelles les jurés pourraient à leur tour être jugés pour avoir persécuté l'accusé. Le juge a parlé longuement et, en des termes clairs et sans équivoque, il a indiqué aux jurés qu'ils ne devaient tenir compte d'aucune autre considération. Ils devaient simplement déterminer si la preuve établissait hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'accusé.

En réponse aux commentaires déplacés de l'avocat de la défense, le juge du procès a également indiqué: [traduction] «Votre serment vous oblige à prononcer un verdict juste et équitable en fonction de la loi et de la preuve, et non pas à indiquer à une partie ou l'autre dans un litige ici ou à l'étranger quelle politique doit être suivie à l'égard des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité allégués». Les directives du juge du procès au jury étaient claires et non équivoques. Elles pouvaient grandement aider les jurés à se limiter à la tâche qui leur incombait et à rendre un verdict fondé uniquement sur la preuve. Le juge du procès a discrédité toute suggestion de la part de l'avocat de la défense concernant d'autres considérations non pertinentes dont le jury devrait tenir compte pour rendre sa décision.

Il a également commenté la façon dont le substitut du procureur général a traité la preuve:

[traduction] Puisqu'il est question des exposés des avocats, laissez‑moi également vous signaler qu'il m'a semblé inutile que le substitut du procureur général renvoie aux fouilles corporelles dégradantes effectuées sur les femmes dans le ghetto ou ailleurs, ou aux commentaires cruels d'un capitaine de la gendarmerie, le Dr Uray, faits lors d'une réunion tenue à Moukatchevo, à laquelle l'accusé n'a pas assisté, sur le fait d'embarquer 100 personnes dans un wagon de sorte qu'elles y soient entassées comme des sardines et que celles qui ne peuvent s'y faire périssent. Il n'y a en l'espèce pas la moindre preuve que l'accusé ait été impliqué dans les fouilles corporelles, qu'il ait assisté à la réunion où le Dr Uray a fait ce commentaire, qu'il ait été au courant du commentaire, qu'il en ait entendu parler, y ait souscrit ou même qu'il en ait été conscient.

Il est primordial en l'espèce de distinguer dans votre esprit les choses que l'accusé savait et les choses qu'il ne savait pas et de ne pas lui attribuer personnellement les choses au sujet desquelles il ne savait rien personnellement.

L'avocat de l'intimé a effectivement fait des déclarations regrettables, dénuées de professionnalisme et préjudiciables. Toutefois, à la fin des exposés au jury, le juge du procès lui a donné des directives très minutieuses sur toutes les déclarations préjudiciables importantes faites par l'avocat de l'intimé. Au terme d'un procès long et difficile qui a soulevé les passions, il est bien naturel que le jury se tourne vers le juge du procès comme arbitre impartial pouvant lui donner des directives relatives à l'affaire. En l'espèce, le jury a placé sa confiance entre bonnes mains. Il a reçu de l'arbitre impartial des directives claires et non équivoques concernant toutes les déclarations inappropriées de l'avocat de l'accusé. Ce sont ces directives qu'il a entendu en dernier, qu'il a gardé à l'esprit une fois dans la salle du jury et sur lesquelles il s'est appuyé au cours de ses délibérations. Les directives finales du juge du procès sont à bon droit présumées revêtir une grande importance pour le jury. C'est pourquoi elles sont minutieusement examinées par les cours d'appel. En l'espèce, les directives permettaient de rectifier tout effet préjudiciable qui aurait pu découler des déclarations regrettables des avocats dans leurs exposés.

Ni l'un ni l'autre avocat n'a été un modèle de perfection dans son exposé au jury. Je m'empresse toutefois d'ajouter que les remarques de l'avocat de l'intimé étaient beaucoup plus préjudiciables. Néanmoins, les directives du juge du procès concernant les exposés des avocats ont remédié à tout préjudice qui aurait pu en découler.

(5) L'admissibilité du témoignage de Dallos

Le témoignage de Dallos s'est présenté sous deux formes, la première étant une déposition donnée à la police d'État hongroise à Szeged le 16 janvier 1947. Dallos fut alors avisé de son obligation de dire la vérité et de la possibilité qu'il doive confirmer son témoignage sous serment. Il a témoigné que le commandant de la gendarmerie qui surveillait les Juifs séquestrés à la briqueterie était un nommé Bodolay. Le capitaine Finta, a‑t‑il affirmé, était responsable des détenus et de la confiscation de leurs biens.

La deuxième forme du témoignage consistait en une déposition faite par Dallos devant le tribunal du peuple de Szeged, dans laquelle il a déclaré de nouveau que Bodolay, de même qu'un homme appelé Narai, étaient à la tête de la briqueterie. Les deux témoignages, qui contenaient du ouï‑dire, n'ont jamais été soumis à un contre‑interrogatoire. La Cour d'appel à la majorité a fait remarquer qu'un élément d'équité découle du droit implicite du système contradictoire de confronter le témoin. Les juges majoritaires ont toutefois conclu que le juge du procès n'avait pas commis d'erreur en admettant le témoignage sur le fondement de la décision de notre Cour dans l'arrêt R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531. La majorité a également conclu que, l'auteur de la déclaration étant décédé, l'exigence de nécessité était clairement respectée, et que la déclaration de Dallos possédait l'indice nécessaire de fiabilité. Elle a dit à la p. 136:

[traduction] Les déclarations ont été faites lors d'une occasion solennelle, quelque peu semblable à une instance judiciaire, par une personne opposée à la partie cherchant à produire la déclaration. Elles semblent avoir été faites par une personne possédant une connaissance particulière des événements décrits dans la déclaration. De plus, les déclarations elles‑mêmes établissent une distinction entre les événements qui se situent dans les limites de la connaissance personnelle de Dallos et les événements au sujet desquels des tiers lui avaient communiqué des renseignements.

La majorité a également déterminé que le fait que les déclarations aient été officiellement enregistrées et conservées privilégiait leur admissibilité. Elle a conclu que le contre‑interrogatoire ne pourrait jeter que peu de lumière sur la vérité des propos de Dallos puisque lui seul pouvait en témoigner. Sur cette question, la majorité a conclu, à la p. 136:

[traduction] Le contre‑interrogatoire dont le ministère public a prétendu être privé ne pourrait que clarifier les propos de Dallos. Comme dans le cas d'un dossier d'entreprise, il n'y a guère de raison en l'espèce de douter de l'exactitude, par opposition à la vérité, des propos que Dallos aurait tenus.

Enfin, la majorité a conclu que seule la défense peut invoquer l'exception à la règle du ouï‑dire sous la forme de déclarations faites contre l'intérêt pénal par une personne qui ne peut témoigner. Les juges majoritaires ont conclu qu'il serait injuste de permettre au ministère public de poursuivre un accusé aujourd'hui avec l'aide d'une preuve ayant existé pendant quelque 46 ans, sans accorder à l'accusé la possibilité de la contester.

Dans l'arrêt R. c. Williams (1985), 18 C.C.C. (3d) 356, le juge Martin de la Cour d'appel a dit qu'il était nécessaire d'appliquer avec souplesse certaines règles de preuve afin d'éviter qu'une erreur judiciaire soit commise. Il a dit à la p. 378: [traduction] «Il me semble qu'un tribunal a le pouvoir discrétionnaire résiduel d'assouplir en faveur de l'accusé une règle de preuve stricte lorsque cela est nécessaire pour éviter une erreur judiciaire et lorsque le danger que la règle d'exclusion est destinée à prévenir n'existe pas.» Ses propos sont particulièrement appropriés en l'espèce.

Dans l'arrêt R. c. Rowbotham (1988), 41 C.C.C. (3d) 1, à la p. 57, la Cour d'appel de l'Ontario a conclu que les règles de preuve étaient à juste titre assouplies afin de permettre qu'une question, dont la réponse constituait du ouï‑dire inadmissible, soit posée à un témoin. La question fut permise parce que le contraire aurait privé l'accusé de son droit à une défense pleine et entière, un droit visé par la «justice fondamentale» maintenant garantie par l'art. 7 de la Charte.

Dans l'arrêt R. c. Khan, précité, notre Cour a signalé qu'au cours des dernières années, les tribunaux ont adopté en regard de la règle du ouï‑dire une attitude plus souple, fondée sur les principes et les politiques qui sous‑tendent la règle du ouï‑dire plutôt que sur les restrictions étroites des exceptions traditionnelles. Pour être admissible, la preuve par ouï‑dire doit être à la fois nécessaire et fiable. Elle peut s'avérer nécessaire lorsqu'il n'existe aucune autre preuve. Le témoignage pourra être jugé fiable lorsque l'auteur de la déclaration est désintéressé et que la déclaration est faite avant que toute poursuite soit engagée. Le témoignage est également utile si l'auteur de la déclaration possède une connaissance particulière ou spéciale des événements. Voir aussi R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, et R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740. Le témoignage de Dallos respectant tous ces critères, il était par conséquent admissible.

Je suis d'accord avec la Cour d'appel à la majorité que la décision du juge du procès d'admettre le témoignage de Dallos était bien fondée. L'importance de présenter au juge des faits tous les éléments de preuve pertinents et fiables existants afin qu'on ait un portrait des plus précis des événements à l'époque des infractions est indiscutable. Il aurait été injuste de priver l'intimé de l'avantage que tous les éléments de preuve pertinents, probants et fiables soient présentés au jury. C'est particulièrement vrai de la preuve qui pourrait être jugée utile à sa cause.

(6)Les témoignages de Dallos, Kemeny et Ballo produits par le juge du procès lui‑même

Le juge du procès a conclu que le témoignage de Dallos était essentiel au récit puisque, grâce à sa situation unique, ce témoin a pu observer lui‑même la hiérarchie de commandement mise en place à la briqueterie.

En ce qui concerne les témoignages de Ballo et de Kemeny, le juge du procès a déclaré qu'ils étaient essentiels quant au déroulement du récit sur lequel la poursuite était fondée. Sa décision de présenter lui‑même les témoignages était également fondée sur leur importance relativement à la séquestration, à la question de savoir qui était aux commandes de la briqueterie et à la qualité des dépositions des autres survivants qui ont témoigné que Finta était le commandant. En outre, le juge du procès a tenu compte du fait que les témoignages de Kemeny et de Ballo pouvaient éventuellement permettre de tirer une conclusion très différente de celle découlant de la déposition des autres survivants. Kemeny est le seul témoin survivant qui, à titre de dirigeante juive, travaillait au centre administratif de la briqueterie, notamment à la préparation de la liste des noms de ceux qui devaient être déportés à partir de la briqueterie. La transcription du témoignage qu'elle a donné lors du procès de Finta en Hongrie a révélé qu'elle n'avait pu identifier Finta comme le commandant de la briqueterie. En fait, elle est allée plus loin en ajoutant qu'elle n'avait jamais entendu son nom. Ballo était le seul à avoir témoigné sur la maison sise près de la briqueterie, gardée par un gendarme, qui était le siège d'un officier allemand. Cet élément aurait pu être considéré par le jury comme une preuve convaincante que le commandant de la briqueterie était un officier allemand.

La Cour d'appel à la majorité a conclu que les témoignages de Dallos, Kemeny et Ballo n'auraient pas dû être produits par le juge du procès puisqu'il a été incité à procéder ainsi afin de préserver le droit de la défense de s'adresser au jury en dernier. Avec égards, je ne suis pas d'accord. Dans un cas comme la présente affaire, où les dépositions des témoins sont fondées sur des événements qui se sont déroulés il y a plus de 45 ans, il est essentiel que tous les éléments de preuve pertinents, probants et relativement fiables soient admis. Le jury doit avoir le bénéfice de tous les témoignages portant sur les événements qui se sont déroulés à l'époque des infractions reprochées. En outre, il aurait été manifestement injuste que le jury prononce un verdict de culpabilité sans avoir considéré la preuve qui laissait entendre que Finta n'était pas le commandant de la briqueterie. Comme cette possibilité existait, le juge du procès a eu raison de décider de présenter les témoignages lui‑même puisque les deux parties refusaient de le faire. À mon avis, sa décision était tout à fait fondée. Les Juifs en Hongrie ont subi des traitements bassement cruels et inhumains. Ceux qui sont accusés d'avoir commis ces crimes affreux ont néanmoins droit à un procès équitable. C'est le droit fondamental de tous ceux qui sont jugés par les tribunaux canadiens. Pour garantir un procès équitable à Finta, il était donc nécessaire de présenter au jury les dépositions de ces témoins.

Les témoignages étaient admissibles. Ils étaient importants quant à l'issue de la présente affaire. La cour savait qu'ils existaient. Pour éviter toute erreur judiciaire, le juge du procès devait citer ces témoignages. Je ne vois aucune autre solution. Il s'agit de l'un des rares cas où le pouvoir discrétionnaire résiduel conféré au juge du procès de citer des témoins a été exercé correctement.

(i) Le droit canadien et le droit anglais

Il est depuis longtemps reconnu au Canada et en Angleterre qu'en matière criminelle, le juge du procès est investi du pouvoir discrétionnaire limité de citer des témoins sans le consentement des parties. Il peut prendre cette mesure si, à son avis, la recherche de la vérité ou l'intérêt de la justice l'exigent. En matière criminelle, ce pouvoir discrétionnaire est justifié parce que [traduction] «la liberté de l'accusé est en jeu et l'instance vise à ce que justice soit rendue à l'égard de l'accusé et de l'État» (Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada (1992), à la p. 826).

Le pouvoir discrétionnaire ne devrait être exercé que rarement et, alors, avec une extrême prudence afin de ne pas entraver la nature contradictoire du procès ou de ne pas causer de préjudice à l'accusé. Il ne devrait être exercé, lorsque la présentation de la preuve de la défense est terminée, que si la question n'aurait pu être prévue. (Voir Sopinka, Lederman et Bryant, op. cit., à la p. 826; Peter K. McWilliams, Canadian Criminal Evidence, (3e éd. 1988), au par. 27:10830 «Right of judge to call witnesses», aux pp. 27‑15 et 27‑16; Cross on Evidence (7e éd. 1990), aux pp. 266 à 268; Phipson on Evidence (14e éd. 1990), aux pp. 219 et 220; Archbold, Pleading, Evidence and Practice in Criminal Cases (45e éd. 1993), à la p. 1/555; voir également les commentaires de Philip C. Stenning, «"One Blind Man To See Fair Play": The Judge's Right To Call Witnesses» (1974), 24 C.R.N.S. 49, et Michael Newark et Alec Samuels, «Let the Judge Call the Witness», [1969] Crim. L. Rev. 399.)

Il existe très peu de jurisprudence portant sur la façon d'exercer le pouvoir discrétionnaire. Dans ses commentaires, loc. cit., Stenning énumère sept propositions nées de la jurisprudence anglaise. Au motif qu'elles reflétaient fidèlement le droit canadien, ces propositions ont été reprises avec approbation dans les arrêts Campbell c. The Queen (1982), 31 C.R. (3d) 166 (C.S.Î.P.‑É.), aux pp. 172 à 175, le juge Campbell, et R. c. S. (P.R.) (1987), 38 C.C.C. (3d) 109 (H.C. Ont.) le juge McKinlay (maintenant juge de la Cour d'appel), confirmant la décision du juge Kurisko de la Cour de district. Voici un résumé de ces propositions:

1.Le juge du procès peut citer un témoin que ni la poursuite ni la défense n'a cité, et sans leur consentement, s'il est d'avis que l'intérêt de la justice l'exige: R. c. Harris (1927), 20 Cr. App. R. 86, à la p. 89 (B.R.); R. c. Holden (1838), 8 Car. & P. 606, 173 E.R. 638; R. c. Brown, [1967] 3 C.C.C. 210, à la p. 215, le juge Hyde (dissident en partie sur une autre question), aux pp. 219 et 220, le juge Taschereau (au nom de la majorité); R. c. Bouchard (1973), 24 C.R.N.S. 31 (C. cté N.‑É.), à la p. 46; Campbell c. The Queen, précité, aux pp. 172 à 175; R. c. S. (P.R.), précité, aux pp. 111, et 119 à 124; R. c. Black (1990), 55 C.C.C. (3d) 421 (C.S.N.‑É., Sect. app.), à la p. 425.

2.Le droit de citer un témoin une fois la défense terminée devrait normalement se limiter aux cas où la question n'aurait pu être prévue.

3.Un témoin peut être cité une fois la défense terminée, non pas en vue de compléter la preuve de la poursuite, mais pour établir la vérité et présenter tous les éléments de preuve au jury.

4.Le juge du procès ne peut exercer son droit de citer un témoin après que le jury s'est retiré, même à la demande de celui‑ci.

5.Dans une affaire où le juge siège seul, et en l'absence de circonstances exceptionnelles, il est interdit de présenter une nouvelle preuve après que le juge du procès s'est retiré, et vraisemblablement après que la défense a terminé la présentation de sa preuve.

6.Le juge ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire de citer un témoin dans les cas où la défense ne subirait aucun préjudice si elle le citait elle‑même. En effet, la défense ne devrait pas pouvoir utiliser le pouvoir du juge de citer ses témoins pour qu'il soit donné à ces derniers une plus grande apparence d'objectivité.

7.En appel, il peut être tenu compte du fait qu'un témoin a été cité après la fin de la présentation de la preuve par la défense.

Aucune de ces propositions ne peut vraiment nous aider à déterminer la façon dont le juge du procès aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire en l'espèce. On retrouve un certain nombre de décisions publiées, où les juges du procès ont cité des témoins eux‑mêmes. Leur décision a été confirmée en appel, ou elle n'a pas fait l'objet d'un appel. Ainsi, dans un procès pour meurtre, où trois médecins avaient examiné le corps de la victime et formé des opinions différentes et où seuls deux d'entre eux avaient été cités par la poursuite, le juge du procès a cité le troisième médecin (R. c. Holden, précité). Dans un procès pour «émeute» et blessures avec intention de causer des lésions corporelles graves, le juge du procès a cité deux témoins oculaires (R. c. Tregear, [1967] 2 Q.B. 574 (C.A.)). Dans un procès pour conduite avec facultés affaiblies, le juge du procès a cité un médecin qui était en mesure d'apporter un fondement factuel au témoignage d'expert déposé antérieurement sur la défense d'automatisme (R. c. Bouchard, précité). Dans un procès pour attentat à la pudeur et agression sexuelle, où l'accusé avait tenté de produire une preuve par détecteur de mensonge, le ministère public a cité un expert devant témoigner sur la non‑fiabilité d'une telle preuve. L'accusé n'était pas financièrement en mesure de citer un témoin expert appuyant la position adverse. Le juge du procès a donc cité un expert pouvant témoigner sur la fiabilité des détecteurs de mensonge afin que la cour ait l'avantage d'entendre un témoignage à l'appui des deux côtés de la question (R. c. S. (P.R.), précité).

(ii) Le droit américain

Le droit américain est essentiellement identique au droit canadien et au droit anglais. Le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire de citer des témoins que les parties choisissent de ne pas appeler: McCormick on Evidence, vol. 1 (4e éd. 1992), aux pp. 23 et 26; Annot., 67 A.L.R.2d 538; Annot., 53 A.L.R. Fed. 498. Dans l'arrêt United States c. Lutwak, 195 F.2d 748 (7th Cir. 1952), aux pp. 754 et 755, conf. par 344 U.S. 604 (1952), nouvelle audience refusée 345 U.S. 919 (1953), on invoque le pouvoir discrétionnaire dans les termes suivants aux pp. 754 et 755:

[traduction] En fait, il est généralement reconnu que l'avocat de la poursuite n'est pas tenu de citer le témoin d'un crime dont il n'est pas disposé à garantir la sincérité et l'intégrité, mais que la cour peut, à sa discrétion, le faire et permettre le contre‑interrogatoire par les deux parties dans les limites acceptables.

L'arrêt United States c. Marzano, 149 F.2d 923 (2nd Cir. 1945), à la p. 925, parle également de ce pouvoir discrétionnaire:

[traduction] Le juge peut, bien que ce soit rarement très souhaitable, citer et interroger un témoin que les parties ne souhaitent pas appeler. [. . .] Le juge est plus qu'un modérateur; il doit veiller à ce que la loi soit appliquée régulièrement, fonction dont il ne peut s'acquitter en demeurant passif.

Une constatation semblable a été faite de façon incidente dans l'arrêt United States c. Liddy, 509 F.2d 428 (D.C. 1974), à la p. 438, certiorari refusé 420 U.S. 911 (1975):

[traduction] Les préceptes du procès équitable et de l'objectivité judiciaire n'exigent pas la passivité du juge. Ce dernier, à juste titre guidé par l'intérêt de la justice et la vérité, n'est pas contraint d'agir comme s'il était simplement l'arbitre d'une compétition sportive. Il est plus qu'un «simple modérateur». Comme le dit le juge Frankfurter, «(l)es juges fédéraux ne sont pas des arbitres de boxe professionnelle, mais des fonctionnaires au service de la justice». [. . .] Au pouvoir inhérent du juge du procès fédéral de commenter la preuve produite par les avocats, s'ajoute celui — dans les cas appropriés — de citer, citer de nouveau et interroger des témoins. Le juge peut exercer ce pouvoir s'il estime que le témoignage additionnel aidera le jury à établir la vérité et à s'acquitter de sa fonction de recherche des faits.

Les tribunaux fédéraux ont reconnu ce pouvoir discrétionnaire dans d'autres affaires: Young c. United States, 107 F.2d 490 (5th Cir. 1939); Estrella‑Ortega c. United States, 423 F.2d 509 (9th Cir. 1970); United States c. Pape, 144 F.2d 778 (2d Cir. 1944); Steinberg c. United States, 162 F.2d 120 (5th Cir. 1947); United States c. Browne, 313 F.2d 197 (2d Cir. 1963).

On a signalé que les tribunaux d'appel devraient se garder d'intervenir dans l'exercice par le juge du procès de son pouvoir discrétionnaire:

[traduction] Un tribunal d'appel ne devrait pas s'immiscer dans l'exécution par une cour de district de cette tâche délicate [l'exercice du pouvoir discrétionnaire] en l'absence d'un signe évident d'abus du pouvoir discrétionnaire causant un préjudice au défendeur.

(Estrella‑Ortega c. United States, précité, à la p. 511.)

Aux États‑Unis, le pouvoir discrétionnaire du juge du procès de citer des témoins existe en vertu tant de la common law que de la règle 614a) des Federal Rules of Evidence qui, a‑t‑on jugé, est déclaratoire de la common law préexistante: United States c. Ostrer, 422 F.Supp. 93 (S.D.N.Y. 1976), à la p. 103.

(iii)Résumé du pouvoir discrétionnaire du juge du procès de citer des témoins, et l'exercice de ce pouvoir en l'espèce

Le juge du procès doit, pour recourir à cette pratique inhabituelle et sérieuse de citer des témoins, estimer qu'il est nécessaire d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour que justice soit rendue. En l'espèce, le juge du procès ayant décidé que certains éléments de preuve étaient essentiels au récit, l'exercice du pouvoir discrétionnaire de présenter la preuve si le ministère public refusait de le faire était raisonnable et approprié. Dans une affaire où les événements se sont déroulés il y a 45 ans, il est essentiel que tous les éléments de preuve pertinents soient présentés au jury. Les années écoulées rendent difficile la tâche d'obtenir la vérité sur les événements; les témoins meurent ou sont introuvables, la mémoire décline et les éléments de preuve peuvent si facilement être perdus à jamais. Il est alors important que, dans un tel cas, toutes les versions existantes soient présentées à la cour. La Cour d'appel à la majorité a écarté les préoccupations relatives à la présentation d'une défense en l'espèce en disant que toutes les affaires posent des difficultés dans ce domaine. Avec égards, j'estime qu'elle néglige ainsi le fait que, dans la présente affaire, la défense éprouve des difficultés très réelles à établir la vérité, lesquelles ne peuvent se comparer à ce qui se produit dans d'autres affaires en raison de la période qui s'est écoulée depuis les événements en question.

La Cour d'appel a commis une erreur en concluant que le juge du procès n'aurait pas dû tenir compte du fait que, s'il ne présentait pas la preuve, la défense perdrait son droit de s'adresser au jury en dernier. Lorsque le juge du procès a conclu que la preuve en question aurait dû être produite par le ministère public, la question de savoir qui s'adresse au jury en dernier est effectivement pertinente. Sinon, il serait loisible au ministère public de ne pas produire certains éléments de preuve afin de forcer la défense à abandonner son droit de s'adresser au jury en dernier. Je ne veux certainement pas donner à entendre que les motifs du ministère public en l'espèce étaient illégitimes, mais il me semble qu'il faudrait fermer la porte au risque d'un tel abus. En outre, j'estime que la préoccupation du juge du procès quant à l'ordre des exposés au jury était d'importance secondaire par rapport à sa conclusion que la preuve était essentielle au récit, principale raison pour laquelle il l'a présentée lui‑même.

Enfin, à mon avis, l'appelante a tort de soutenir que le juge du procès aurait dû attendre que la défense décide de présenter ou non la preuve en question avant de la présenter lui‑même. Le juge du procès ne pouvait effectivement agir ainsi sans risquer d'enfreindre la règle suivant laquelle, après que la défense a terminé la présentation de sa preuve, il ne devrait pas présenter de preuve lui‑même que si la question était imprévisible. Si le juge du procès avait attendu, et que la défense avait choisi de ne pas présenter de preuve, il n'aurait pu le faire lui‑même puisque la question était fort prévisible, et la présenter à ce moment‑là aurait causé un préjudice à la défense.

(7) Les directives au jury quant à la preuve d'identification

L'appelante soutient que le juge du procès a commis une erreur en reliant le témoignage de Dallos à la preuve d'identification du ministère public mettant ainsi en doute le témoignage viva voce cité par ce dernier, qui identifiait l'intimé comme le commandant de la briqueterie. Une dame Fonyo a témoigné qu'il y avait un homme ressemblant à l'intimé qui n'était pas à la tête de la briqueterie. Elle a déclaré que Finta dirigeait la briqueterie. L'appelante soutient qu'en reliant le témoignage de Mme Fonyo à celui du témoin Dallos, le juge du procès a pu créer chez le jury la forte impression que Finta ressemblait au commandant de la briqueterie, mais qu'un lieutenant du nom de Bodolay en était le véritable commandant. Selon l'appelante, il n'y avait guère de preuve appuyant une telle conclusion, et le juge du procès aurait dû le mentionner au jury.

Une lecture de l'exposé du juge du procès au jury m'amène à conclure que ses directives à cet égard étaient satisfaisantes. Il n'a pas insisté sur cette relation, et ses propos à cet égard ont été précédés et suivis d'invitations à une extrême prudence dans l'appréciation de la preuve. De plus, tout au long de son exposé aux jurés, le juge du procès leur a rappelé qu'ils étaient les juges des faits et qu'ils étaient libres de ne pas tenir compte des conclusions qu'il avait pu les inciter à tirer. En d'autres termes, ils pouvaient se dissocier de ses conclusions sur la preuve et tirer leurs propres conclusions en se fondant, notamment, sur leur opinion de la valeur des témoignages. À mon sens, les directives au jury sur la question de l'identification étaient donc appropriées.

Conclusion quant au pourvoi

Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

Le pourvoi incident (8) et (9)

L'intimé a reçu l'autorisation d'interjeter un pourvoi incident. Le Juge en chef a formulé les questions constitutionnelles suivantes:

1.Le paragraphe 7(3.74) du Code criminel viole‑t‑il les art. 7, 11a), 11b), 11d), 11g), 12 ou 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?

2.Si la réponse à cette question est affirmative, le par. 7(3.74) du Code criminel est‑il une limite qui est raisonnable dans le cadre d'une société libre et démocratique et donc justifiée en vertu de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

3.Le paragraphe 7(3.71) interprété conjointement avec le par. 7(3.76) du Code criminel, viole‑t‑il les art. 7, 11a), 11b), 11d), 11g), 12 ou 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?

4.Si la réponse à cette question est affirmative, le par. 7(3.71) interprété conjointement avec le par. 7(3.76) du Code criminel, est‑il une limite qui est raisonnable dans le cadre d'une société libre et démocratique et donc justifiée en vertu de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

(i)Les paragraphes 7(3.74) et (3.76) du Code criminel violent‑ils l'art. 7 de la Charte du fait qu'ils visent à éliminer la protection offerte par l'art. 15 du Code criminel?

(8) Violation de la Charte

L'intimé soutient qu'en éliminant le moyen de défense fondé sur l'obéissance à la loi de facto, le par. 7(3.74) du Code criminel viole les principes de justice fondamentale. Il serait selon lui raisonnable de présumer que, parce qu'il a agi conformément à la loi (le décret de Baky), il n'avait pas l'intention coupable requise pour être déclaré coupable de l'infraction. En d'autres termes, il aurait très bien pu croire sincèrement, bien que par méprise, que le décret de Baky était légal. S'il a agi en exécution de la loi, on ne peut donc le lui reprocher. Je ne peux souscrire à cet argument.

Je le répète, le par. 7(3.74) ne crée pas une obligation, il accorde une faculté. Il peut très bien exister des situations où la loi n'est pas manifestement illégale et où, en conséquence, l'accusé peut soutenir avec succès qu'il a cru erronément que la loi était valide. L'existence d'une loi qui est illégale sans l'être manifestement ne donnera pas lieu en soi à la défense d'obéissance à la loi de facto. Elle sera plutôt l'un des facteurs à considérer pour déterminer si l'individu avait l'intention coupable nécessaire. Toutefois, si le jury conclut que l'accusé connaissait des circonstances factuelles qui érigeraient ses actes au niveau d'un crime contre l'humanité ou d'un crime de guerre, il serait fort peu probable que celui‑ci puisse, pour justifier la perpétration d'actes inhumains, invoquer sa croyance erronée que la loi était valide. L'élimination du moyen de défense fondé sur l'obéissance à la loi de facto ne décharge toutefois pas le ministère public de son obligation d'établir la mens rea requise. De même, l'accusé a le droit d'invoquer tous les moyens de défense appropriés, telle l'obéissance à des ordres militaires. La question a été traitée avec justesse par Smith et Hogan, Criminal Law (7e éd. 1992), aux pp. 261 et 262:

[traduction] Bien qu'il existe peu de jurisprudence et de doctrine sur la question, on peut, sans crainte de se tromper, affirmer que D ne peut simplement établir qu'il a commis l'acte en exécution des ordres d'un supérieur, qu'il soit militaire ou civil. [. . .] Le fait que D ait agi conformément à des ordres peut néanmoins être très pertinent. On peut ainsi établir l'absence de mens rea en démontrant, par exemple, que D a agi en raison d'une erreur de fait, ou qu'il pouvait prétendre avoir le droit d'agir comme il l'a fait. Lorsqu'il s'agit là d'une défense, ou que l'accusé fait face à une accusation de négligence, son obéissance à des ordres peut démontrer qu'il agissait raisonnablement.

Je suis d'accord avec le juge en chef adjoint Callaghan pour dire qu'en permettant l'élimination de ce moyen de défense, le par. 7(3.74) ne porte pas atteinte à la justice fondamentale. Dans l'arrêt R. c. Holmes, [1988] 1 R.C.S. 914, le juge en chef Dickson a affirmé que le législateur pouvait redéfinir le sens d'«excuse» en l'élargissant ou en le limitant de façon à n'y inclure que certaines excuses. Dans l'arrêt R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, le juge en chef Dickson a expliqué le fondement de cette position à la p. 70:

Le droit criminel constitue une forme très spéciale de réglementation gouvernementale, car il cherche à exprimer la désapprobation collective de notre société pour certains actes ou omissions. Lorsqu'un moyen de défense est prévu, surtout lorsqu'il s'agit d'un moyen de défense conçu spécifiquement pour une accusation particulière, c'est parce que le législateur a jugé que la désapprobation de la société n'est pas justifiée lorsque les conditions de ce moyen de défense sont remplies.

Lorsque le Code criminel prévoit l'exclusion expresse d'un moyen de défense c'est que le législateur a déterminé que l'acte criminel est d'une nature telle que, non seulement la désapprobation de la société est fondée, mais l'acte ne peut être justifié par le moyen de défense exclu. De façon générale, la disposition législative ayant cet effet ne viole pas l'art. 7 lorsque le moyen de défense entre en conflit avec l'infraction prévue en ce qu'il excuserait le mal même que l'infraction vise à interdire ou à punir. Par exemple, il serait illogique et insensé de permettre à un accusé d'invoquer les lois d'un État souverain qui violent le droit international en autorisant la perpétration de crimes contre l'humanité pour le motif que les lois elles‑mêmes justifient un comportement criminel. En l'espèce, l'expert a déclaré que la connaissance qu'avait l'accusé de la politique de persécution et de discrimination adoptée par son pays constituait l'«aspect international» des crimes contre l'humanité. De même, sa connaissance de la guerre menée par son pays constituait l'aspect international des crimes de guerre. Le juge du procès a qualifié ces éléments d'essentiels pour les infractions en question. Il s'ensuit que, tout comme le fait d'empêcher un accusé de plaider l'état d'ébriété à une accusation de conduite avec facultés affaiblies (R. c. Penno, [1990] 2 R.C.S. 865), le fait de restreindre l'utilisation possible du moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur ne viole pas l'art. 7.

(ii)Les dispositions contestées du Code violent‑elles la Charte pour des motifs d'imprécision?

L'intimé soutient que les par. 7(3.71) et 7(3.76) du Code criminel violent le principe suivant lequel il n'y a ni crime ni peine, si ce n'est en conformité avec une loi établie et prédéterminée. Le citoyen doit donc être en mesure de connaître préalablement sa position en regard du droit criminel. S'il ne peut déterminer les conséquences de ses actes en raison de l'imprécision de la loi, il serait inutilement cruel de le punir pour avoir enfreint cette loi. L'intimé soutient plus précisément que l'état du droit international avant 1944 était tel qu'il ne pouvait donner un avertissement raisonnable à l'accusé des conséquences de la perpétration des infractions toujours en évolution en droit international.

En outre, l'intimé soutient que les définitions de «crime de guerre» et de «crime contre l'humanité» laissent une large place à l'arbitraire, permettant l'incarcération. Il est d'avis que la définition de «crime contre l'humanité», qui inclut «[a]ssassinat, extermination, réduction en esclavage, déportation, persécution ou autre fait -‑ acte ou omission -‑ inhumain d'une part . . . et d'autre part, soit constituant [. . .] une transgression du droit international coutumier ou conventionnel, soit ayant un caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations», permet d'inclure tout acte, pourvu que le jury y voit une «persécution», etc. Un accusé n'aurait aucun avertissement que ses actes sont contraires au droit international puisque les actes interdits ne sont pas clairement définis.

Il peut être utile de réitérer immédiatement certains points importants établis par notre Cour à l'égard de la question de l'imprécision. Dans le Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code Criminel (Man.) (Renvoi sur la prostitution), [1990] 1 R.C.S. 1123, la Cour a jugé que le fait qu'un terme législatif particulier soit susceptible de diverses interprétations par les tribunaux n'est pas fatal. Dans l'arrêt R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, on a déclaré que le seuil au‑delà duquel une loi est qualifiée d'imprécise est relativement élevé. Dans cet arrêt, le juge Gonthier a donné dans les termes suivants certaines indications sur la façon de déterminer si une disposition législative est imprécise au point qu'elle viole le principe de la légalité, à la p. 639:

Une disposition imprécise ne constitue pas un fondement adéquat pour un débat judiciaire, c'est‑à‑dire pour trancher quant à sa signification à la suite d'une analyse raisonnée appliquant des critères juridiques. Elle ne délimite pas suffisamment une sphère de risque et ne peut donc fournir ni d'avertissement raisonnable aux citoyens ni de limitation du pouvoir discrétionnaire dans l'application de la loi.

Et il ajoute, à la p. 643:

La théorie de l'imprécision peut donc se résumer par la proposition suivante: une loi sera jugée d'une imprécision inconstitutionnelle [seulement] si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire.

À mon avis, le fait que l'ensemble du droit international ne soit pas codifié et qu'il faille recourir aux opinions des experts et à la doctrine pour l'interpréter ne rend pas en soi la disposition législative imprécise ou incertaine. Ces outils sont souvent utiles pour interpréter correctement une loi. En outre, le fait qu'il puisse y avoir des divergences d'opinion entre les experts en droit international ne rend pas nécessairement la disposition imprécise. Il appartient en dernier lieu au tribunal d'interpréter la loi. Les questions de droit et de fait qui se posent dans l'interprétation de ces dispositions et dans leur application dans des circonstances précises ne les rend ni imprécises ni incertaines. Dans l'arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, on a reconnu, à la p. 983:

En droit, la précision absolue est rare, voire inexistante. La question est de savoir si le législateur a formulé une norme intelligible sur laquelle le pouvoir judiciaire doit se fonder pour exécuter ses fonctions. L'interprétation de la manière d'appliquer une norme dans des cas particuliers comporte toujours un élément discrétionnaire parce que la norme ne peut jamais préciser tous les cas d'application.

Par conséquent, je suis d'accord avec la déclaration suivante du juge Tarnopolsky de la Cour d'appel dans le présent contexte, aux pp. 64 et 65:

[traduction] Le fait [. . .] qu'il ait pu être nécessaire de recourir aux ouvrages juridiques et même à l'opinion d'experts pour déterminer, aux fins de la compétence, ce qui constitue un crime de guerre ou un crime contre l'humanité n'a rien à voir avec l'imprécision d'une accusation, au même titre qu'une autre disposition d'une nouvelle loi qui peut nécessiter une recherche et une analyse juridiques excédant la compétence de certains accusés mais non, on le présume, celle d'un avocat.

Dans l'arrêt Nova Scotia Pharmaceutical, précité, le juge Gonthier a établi une distinction entre l'avertissement formel et l'avertissement quand au fond. L'avertissement formel implique une connaissance du texte de loi lui‑même, alors que l'aspect de l'avertissement qui porte sur le fond est décrit comme la conscience qu'une conduite est visée par la loi. On l'appelle le «concept central de l'avertissement».

Le juge Gonthier a analysé, à la p. 634, le concept de l'avertissement en utilisant le crime d'homicide à titre d'exemple, lequel je pense est pertinent dans le présente contexte:

Prenons l'exemple de l'homicide. Les dispositions du Code criminel relatives à l'homicide sont nombreuses (elles sont concentrées dans les art. 222 à 240 mais se trouvent aussi dans d'autres articles connexes). Quand on ajoute aux textes du Code la jurisprudence, tant sur les règles de fond que sur la constitutionnalité, on se retrouve avec un ensemble de règles assez complexe. En dépit de l'avis formel, on peut difficilement s'attendre à ce que le citoyen moyen connaisse en détail le droit régissant l'homicide. Et pourtant, personne ne saurait affirmer sérieusement qu'aucun avertissement raisonnable quant au fond n'a été donné ou que le droit en matière d'homicide est imprécis. On peut facilement en comprendre les raisons. Premièrement, chacun (ou malheureusement, dirais‑je, presque tout le monde) a une connaissance innée que de tuer un être humain est blâmable. L'homicide est fermement perçu comme intolérable, que ce soit du point de vue moral, religieux ou sociologique. Par conséquent, on s'attend à ce que l'homicide soit puni par l'État. Deuxièmement, l'homicide est en effet puni par l'État et les médias se font abondamment l'écho des procès pour homicide ainsi que des peines infligées.

Les mêmes principes doivent s'appliquer à l'égard du crime de guerre et du crime contre l'humanité. Par leurs définitions, ces crimes incluent les actes les plus graves, cruels, sérieux et haineux qui puissent être infligés à des êtres humains. Ces crimes, qui violent les valeurs humaines fondamentales, sont condamnés de façon véhémente par les citoyens de toutes les nations civilisées. Les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité sont répugnants, répréhensibles et connus au point qu'on ne peut tout simplement pas soutenir que leur définition est imprécise et incertaine.

Les mêmes considérations s'appliquent au deuxième moyen de l'intimé. On ne saurait soutenir que les «crimes laissent une large place à l'arbitraire, permettant l'incarcération» si une personne raisonnable dans la situation de l'accusé saurait qu'ils constituaient une violation des valeurs humaines fondamentales ou des lois de la guerre. Les normes qui guident la détermination et la définition des crimes contre l'humanité sont des valeurs connues de tous et partagées par tous.

Je souscris à la décision de la Cour d'appel, unanime sur cette question, que la loi n'est pas imprécise.

(iii)Les dispositions contestées du Code violent‑elles l'art. 7 et l'al. 11g) de la Charte?

Les arguments de l'intimé fondés sur l'art. 7 et l'al. 11g) se rapportent à la nature supposément rétrospective des dispositions contestées. La plupart des nations reconnaissent qu'une loi ne peut criminaliser rétroactivement un acte qui, au moment où il a été commis, était légal, ni infliger une peine pour des actes antérieurs qui, au moment où ils ont été commis, n'étaient pas criminels.

Dans un effort visant à éviter que le principe de la non‑rétroactivité soit violé, on a rédigé les dispositions du Code criminel concernant le crime de guerre et le crime contre l'humanité de manière que l'accusé soit réputé avoir commis des infractions au Code criminel canadien en vigueur à l'époque où les actes auraient été commis. Peut‑être les rédacteurs espéraient‑ils qu'en ne créant pas de nouvelles infractions, ils pourraient ainsi éviter de violer le principe de la non‑rétroactivité.

Toutefois, comme je l'ai indiqué précédemment, la seule façon acceptable sur le plan constitutionnel d'interpréter les dispositions en question est de conclure que deux nouvelles infractions ont été créées, soit le crime contre l'humanité et le crime de guerre. Il n'en résulte toutefois pas une violation au principe suivant lequel les actes ne peuvent pas être rétroactivement criminalisés.

Le débat sur cette question oppose généralement deux positions. Il y a ceux, comme le juge Robert H. Jackson, avocat principal des États‑Unis pour les poursuites engagées dans le cadre des procès de Nuremberg, qui croient que les principes humanitaires sur lesquels reposent les crimes contre l'humanité découlent du droit de la guerre, qui remonte lui‑même à plus de 7 000 ans. Voir Bassiouni, op. cit., à la p. 150. Dans un rapport présenté au président des États‑Unis le 6 juin 1945, le juge Jackson a écrit: [traduction] «Ces principes (sur les crimes contre l'humanité) sont intégrés au droit international depuis au moins 1907» (cité dans Bassiouni, à la p. 168). Le juge Jackson estimait que, par ses efforts antérieurs visant à interdire le genre de comportement visé à l'al. 6c) du Statut du Tribunal militaire international, la communauté internationale démontrait clairement qu'elle reconnaissait que les «crimes contre l'humanité» constituent des violations du droit international conventionnel et coutumier déjà existant. (Voir également: Egon Schwelb, «Crimes Against Humanity» (1946), 23 Brit. Y.B. Int'l L. 178.)

La principale preuve de l'interdiction de violer des lois humanitaires (ou de commettre des crimes contre l'humanité) se trouve dans le préambule des deux Conventions de La Haye. Celui de la Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (Convention IV de La Haye de 1907) contient une disposition connue sous le nom de clause Martens, laquelle édicte:

En attendant qu'un code plus complet des lois de la guerre puisse être édicté, les Hautes Parties Contractantes jugent opportun de constater que, dans les cas non compris dans les dispositions réglementaires adoptées par Elles, les populations et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous l'empire des principes du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l'humanité, et des exigences de la conscience publique ...

En ce qui concerne la Convention IV de La Haye, le Tribunal militaire international (TMI) de Nuremberg, Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international, précité, a conclu, à la p. 528:

Les règles de la guerre terrestre contenues dans la Convention réalisaient certes un progrès du Droit international. Mais il résulte de ses termes mêmes, que ce fut une tentative «pour réviser les lois générales et les coutumes de la guerre», dont l'existence était ainsi reconnue. En 1939, ces règles, contenues dans la Convention, étaient admises par tous les États civilisés et regardées par eux comme l'expression, codifiée, des lois et coutumes de la guerre . . .

Dans son article intitulé «The Prosecution of War Criminals in Canada» (1989), 12 Dalhousie L.J. 256, W. J. Fenrick remarque, à la p. 261, que, [traduction] «[b]ien que cette déclaration ne soit pas corroborée dans le jugement, elle est demeurée incontestée depuis qu'elle a été formulée pour la première fois». Au cours du procès du haut commandement allemand, le tribunal militaire américain siégeant à Nuremberg en 1947 et 1948 a adopté à la t. 22, p. 497, la position du TMI, selon laquelle la Convention IV de La Haye de 1907 était obligatoire du fait qu'elle était déclaratoire du droit international, et a souligné la façon dont des dispositions particulières de la Convention IV de La Haye et des conventions de Genève de 1929 sur les prisonniers de guerre (Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les armées en campagne, le 27 juillet 1929, 118 R.T.S.N. 303) étaient intégrées dans le droit coutumier.

En 1946, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté sans dissidence ni abstention, une résolution réaffirmant les principes du droit international reconnus par le Statut du Tribunal militaire international et le jugement du tribunal de Nuremberg. Dans son ouvrage intitulé Justice Delayed (1987), David Matas exprime l'opinion que cette acceptation universelle a donné aux procès de Nuremberg une position d'autorité en droit international. À la p. 90, M. Matas écrit:

[traduction] Ses décisions sur le droit international des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité doivent être considérées comme faisant autorité. La déclaration d'un tribunal dont le jugement a été accepté par toutes les nations du monde doit peser plus lourd que celle faite par les tribunaux d'un seul État concernant le droit international.

La seconde position à l'égard de la question de la rétroactivité est celle avancée notamment par les professeurs Kelsen et Schwarzenberger. Ce dernier a rejeté l'argument suivant lequel la compétence du Tribunal militaire international en matière de «crimes contre l'humanité» s'étendait aux crimes commis contre les ressortissants allemands et les autres ressortissants et apatrides sous l'autorité de l'Allemagne, peu importe que de tels actes aient été légaux sous le régime d'une loi locale particulière, pourvu qu'il ait existé un lien avec la guerre. Il estimait que les statuts de Nuremberg et de Tokyo n'étaient pas déclaratoires du droit international préexistant, et qu'ils étaient simplement destinés à punir le comportement horrible des régimes nazis et japonais, leurs actes ne pouvant rester impunis. Il a donc écrit:

[traduction] . . . la nature limitée et restreinte de la règle formulée dans les statuts des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo en matière de crimes contre l'humanité milite contre la possibilité qu'elle soit reconnue comme étant déclaratoire du droit international coutumier. Ce régime juridique rudimentaire [de droit international] n'établit pas de distinctions aussi subtiles que celles qui existent entre les crimes contre l'humanité qui sont reliés à d'autres formes de crimes de guerre et qui, par conséquent, doivent être considérés comme semblables aux crimes de guerre dans le sens strict du terme, et d'autres formes d'actes inhumains qui ne sont pas ainsi reliés et qui, par conséquent, excèdent la portée du droit international. Le Protocole signé le 6 octobre 1945 par les quatre puissances démontre de façon encore plus convaincante le désir des parties contractantes d'éviter qu'on leur prête faussement l'intention d'avoir codifié une règle de droit international coutumier applicable généralement.

(Schwarzenberger, International Law as Applied by International Courts and Tribunals, op. cit., à la p. 498.)

De même, le professeur Kelsen est d'avis que les règles créées par le Statut du Tribunal militaire international et appliquées dans le cadre des procès de Nuremberg constituaient [traduction] «de nouvelles règles de droit» (Hans Kelsen, «Will the Judgment in the Nuremberg Trial Constitute a Precedent in International Law?» (1947), 1 Int'l L.Q. 153; voir également: Hans Kelsen, «The Rule Against Ex Post Facto Laws and the Prosecution of the Axis War Criminals» (1945), 2:3 Judge Advocate J. 8). Toutefois, il a proposé la solution suivante à la question de la rétroactivité dans son article intitulé «Will the Judgment in the Nuremberg Trial Constitute a Precedent in International Law?», à la p. 165:

[traduction] La loi qui prévoit rétroactivement une peine individuelle pour des actes qui, à l'époque où ils ont été commis, étaient illégaux sans être criminels, semble également être une exception à la règle contre les lois adoptées après le fait. L'entente de Londres en est une. Elle n'est rétroactive que dans la mesure où elle a établi la responsabilité criminelle individuelle à l'égard d'actes qui, à l'époque où ils ont été commis, enfreignaient le droit international en vigueur, mais pour lesquels ce droit prévoyait une responsabilité collective seulement. La règle de la non‑rétroactivité des lois est un principe de justice. La responsabilité criminelle individuelle offre certainement une plus grande justice que la responsabilité collective, la technique usuelle du droit primitif. Puisque les actes illégaux en droit international, à l'égard desquels l'entente de Londres a établi une responsabilité criminelle individuelle, étaient également des plus blâmables du point de vue moral, et que les auteurs de ces actes étaient certainement conscients de leur nature immorale, on peut difficilement considérer que la rétroactivité de la loi appliquée à leur égard est tout à fait contraire à la justice, qui exigeait la punition de ces hommes, en dépit du fait que, dans le cadre du droit positif, ils ne pouvaient être punis à l'époque où ils ont commis les actes rendus punissables rétroactivement. Si deux postulats de la justice sont en conflit, le plus important doit prévaloir. Punir ceux qui étaient moralement responsables du crime international de la Seconde Guerre mondiale peut certainement être considéré comme plus important que de respecter la règle plutôt relative contre les lois adoptées après le fait, susceptible de tant d'exceptions.

Voir également: Professeur Julius Stone, Legal Controls of International Conflict (1974), à la p. 359.

La position du professeur Kelsen me semble éminemment sage, raisonnable et juste. Je l'appliquerais pour conclure que les dispositions en question ne violent pas les principes de justice fondamentale.

(iv)Les délais antérieur et postérieur à l'accusation violent‑ils l'art. 7 et les al. 11b) et 11d) de la Charte?

L'intimé soutient que notre Cour devrait étendre les principes établis dans l'arrêt R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199, au délai antérieur à l'accusation. Il soutient que, puisque 45 ans se sont écoulés entre le moment où les actes donnant naissance aux accusations ont été commis et la date du procès, il ne peut que subir un préjudice. À mon avis toutefois, le juge en chef adjoint Callaghan a à juste titre décidé qu'après avoir entendu l'ensemble de la preuve, le juge du procès serait le mieux placé pour décider si une réparation fondée sur le par. 24(1) de la Charte était possible (Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863) et que, par conséquent, la loi elle‑même ne devrait pas être annulée.

En l'espèce, je n'arrive pas à voir le bien‑fondé des arguments de l'intimé suivant lesquels il a subi un préjudice en raison du délai antérieur à l'accusation. En fait, il est beaucoup plus probable que le délai ait été plus préjudiciable à la preuve du ministère public qu'à celle de la défense. L'avocat de la défense avait le droit de soutenir que la mémoire des témoins s'était effacée après 45 ans. En outre, la preuve documentaire et matérielle qui, se plaint maintenant l'intimé, n'existe plus, a probablement été détruite au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il est donc difficile de retenir la prétention de l'intimé voulant que toute preuve documentaire ou matérielle qui aurait existé quelques années après la guerre ait depuis été perdue. De plus, le préjudice causé par le décès de témoins qui auraient pu aider la défense a été grandement diminué par l'utilisation des déclarations de Dallos.

En ce qui concerne le délai postérieur à l'accusation, moins d'un an s'est écoulé entre le moment où la disposition législative est entrée en vigueur et celui où l'acte d'accusation a été présenté. Compte tenu de l'ampleur du travail d'enquête qui devait être abattu avant que des accusations soient portées, le délai en cause me semble minime et très raisonnable.

(v)Les dispositions contestées du Code violent‑elles les art. 7 et 15 de la Charte?

L'intimé soutient que la loi contrevient à l'art. 15 de la Charte parce qu'elle ne porte que sur des faits — actes ou omissions — commis par des individus à l'étranger. Par conséquent, le Canadien qui a commis au Canada un crime contre l'humanité, du fait par exemple de l'internement de Canadiens japonais, ne pourrait être accusé en vertu des dispositions contestées, alors qu'un individu dans la situation de Finta, qui a commis l'infraction à l'étranger, pourrait l'être.

À mon avis, la différence apparente de traitement ne repose pas sur une caractéristique personnelle mais sur le lieu du crime. Dans l'arrêt R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, notre Cour a conclu que la question de savoir si un groupe relève d'une catégorie analogue à celles qui sont expressément énumérées à l'art. 15 ne peut être résolue seulement dans le contexte de la loi qui est contestée, mais plutôt en fonction de la place qu'occupe le groupe dans les contextes social, politique et juridique de notre société. Il s'agit de déterminer si le groupe représente une minorité discrète et isolée, ayant souffert de stéréotypes, de désavantages historiques ou de vulnérabilité à des préjugés politiques et sociaux. On a décidé que, dans certains cas, la province de résidence d'une personne pourrait être une caractéristique personnelle. Toutefois, en l'espèce, je ne crois pas que le groupe des personnes qui commettent un crime de guerre ou un crime contre l'humanité à l'étranger puisse être qualifié de minorité discrète et isolée.

Pour les mêmes raisons, je ne peux retenir la prétention de l'intimé, suivant laquelle il est contraire aux principes de justice fondamentale d'engager des poursuites contre un individu en se fondant sur une extension de la compétence née des crimes reprochés pour lesquels le législateur ne rend pas ses propres députés et ses propres citoyens du Canada criminellement responsables.

(vi) Les dispositions contestées violent‑elles l'art. 12 de la Charte?

Les parties n'ont soumis aucun argument concernant l'art. 12.

(9) L'article premier de la Charte

Puisque j'ai conclu que les par. 7(3.74) et (3.76) du Code criminel ne violent pas l'art. 7, les al. 11a), b), d) ou g) ou l'art. 15 de la Charte, il n'est pas nécessaire de considérer l'application de l'article premier de la Charte.

Conclusion quant au pourvoi incident

Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis que le juge en chef adjoint Callaghan et la Cour d'appel, unanimes sur cette question, ont à juste titre conclu que les dispositions contestées du Code criminel ne violent pas la Charte.

Pourvoi rejeté, les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé et McLachlin sont dissidents.

Pourvoi incident rejeté. Les paragraphes 7(3.74) et 7(3.76) du Code criminel ne violent pas l'art. 7, les al. 11a), b), d), g), ni les art. 12 ou 15 de la Charte.

Procureur de l'appelante: John C. Tait, Ottawa.

Procureur de l'intimé: Douglas H. Christie, Victoria.

Procureurs de l'intervenante la Canadian Holocaust Remembrance Association: Tory, Tory, DesLauriers & Binnington, Toronto.

Procureurs de l'intervenante la Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith Canada: David Matas, Winnipeg et Dale, Streiman and Kurz, Brampton.

Procureurs de l'intervenant le Congrès juif canadien: Davies, Ward & Beck, Toronto.

Procureurs de l'intervenant InterAmicus: Ahern, Lalonde, Nuss, Drymer, Montréal.

* Voir Erratum, [1994] 2 R.C.S. iv

** Voir Erratum, [1994] 2 R.C.S. iv


Synthèse
Référence neutre : [1994] 1 R.C.S. 701 ?
Date de la décision : 24/03/1994
Sens de l'arrêt : Le pourvoi incident est rejeté. Les paragraphes 7(3.74) et 7(3.76) du Code criminel ne violent pas l'art. 7, les al. 11a), b), d), g) ni les art. 12 ou 15 de la Charte

Analyses

Droit criminel - Crimes de guerre et crimes contre l'humanité - Nature et preuve des infractions - Allégations découlant de la détention et de la déportation dans des camps de concentration de Juifs, et de vols commis contre eux, dans l'Europe de la Seconde Guerre mondiale dominée par les Nazis - Moyen de défense du policier obéissant à des ordres légaux - Preuve déposée par le juge du procès - Les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité constituent‑ils des crimes distincts des infractions incluses du Code criminel ou les disposition du Code sont‑elles attributives de compétence permettant aux tribunaux canadiens d'exercer leur compétence dans les cas de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité survenus à l'étranger? - Le jury doit‑il décider, hors de tout doute raisonnable, non seulement la culpabilité relativement aux accusations applicables du Code criminel mais aussi, si les actes constituent des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité ou les deux? - La mens rea requise pour chaque infraction exige‑t‑elle que le ministère public prouve l'intention de commettre une infraction criminelle et la connaissance des caractéristiques factuelles des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité? - La «défense de l'agent de la paix» peut‑elle être invoquée et quelle est la nature de ce moyen de défense? - Les directives du juge du procès au jury ont‑elles adéquatement réparé le préjudice causé par l'exposé incorrect et incendiaire de l'avocat de la défense au jury? - La déclaration à la police et la déposition d'une personne décédée sont‑elles recevables bien que visées par les exceptions reconnues à la règle du ouï‑dire? - Le juge du procès a‑t‑il commis une erreur lorsqu'il a présenté sa propre preuve? - Les directives du juge du procès au jury relativement à la preuve d'identification du ministère public étaient‑elles appropriées? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 6(2), 7(3.71)(a)(i), (ii), (iii), (b), (3.72), (3.74), (3.76), 15, 25(1), (2), (3), (4), 736.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Crimes de guerre et crimes contre l'humanité - Nature et preuve des infractions - Allégations découlant de la détention et de la déportation dans des camps de concentration de Juifs, et de vols commis contre eux, dans l'Europe de la Seconde Guerre mondiale dominée par les Nazis - Moyen de défense du policier obéissant à des ordres légaux - Y a‑t‑il eu violation des principes de justice fondamentale (art. 7), du droit d'être informé dans les plus brefs délais de l'infraction précise reprochée (art. 11a)), du droit à un procès dans un délai raisonnable (art. 11b)), du droit d'être présumé innocent (art. 11d)), de l'exigence selon laquelle une action ou une omission doit constituer une infraction (art. 11g)), de la protection contre les peines cruelles et inusitées (art. 12) ou des droits à l'égalité (art. 15) - Dans l'affirmative, la violation est‑elle justifiée en vertu de l'article premier - Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 11a), b), d), g), 12, 15.

L'intimé, un capitaine de la Gendarmerie royale de la Hongrie ayant une formation juridique, était commandant d'une division des enquêtes à Szeged au moment où 8 617 Juifs on été séquestrés dans une briqueterie, dépossédés de leurs biens de valeur et déportés dans des conditions horribles dans des camps de concentration dans le cadre de la «solution finale» du régime nazi. Le pouvoir de mettre en {oe}uvre cette politique barbare en Hongrie provenait du seul décret Baky, pris par le ministère hongrois de l'Intérieur et adressé à plusieurs représentants, dont les commandants des divisions des enquêtes de la Gendarmerie. Aux termes du décret, la Gendarmerie et certaines forces policières locales étaient chargées d'exécuter le plan.

L'intimé a été accusé de séquestration, de vol qualifié, d'enlèvement et d'homicide involontaire coupable commis contre les victimes de Szeged, en application du Code criminel, S.R.C. 1927. Il s'agissait en fait de quatre paires de chefs d'accusation subsidiaires — une série de crimes contre l'humanité et une autre de crimes de guerre. Après la guerre, un tribunal de la Hongrie a jugé l'intimé in absentia et l'a déclaré coupable de «crimes contre le peuple». Il est devenu impossible, en vertu d'une loi du pays, d'imposer la peine en Hongrie, et l'intimé a bénéficié d'une amnistie générale. Le procès tenu en Hongrie et la déclaration de culpabilité ont été jugés nuls au regard du droit canadien, et l'on a conclu que l'amnistie ne constituait pas un pardon. La défense d'autrefois convict ou de pardon ne pouvait donc pas être invoquée. Un expert a déclaré au procès que le décret de Baky était manifestement illégal et qu'une personne ayant reçu une formation sur les règles de droit de la Hongrie l'aurait su.

La preuve du ministère public reposait en grande partie sur la déposition de 19 témoins qui avaient été internés à Szeged et déportés dans les camps de concentration. Les témoignages de ces survivants se divisaient en quatre groupes généraux. Six témoins qui connaissaient l'intimé avant les événements en question ont témoigné sur les paroles et les actes de ce dernier à la briqueterie et à la gare. Le deuxième groupe était formé de trois témoins qui ne connaissaient pas l'intimé auparavant et qui ont pu témoigner que ce dernier avait dit ou fait certaines choses à la briqueterie et à la gare. Le troisième groupe réunissait trois témoins qui ne connaissaient pas l'intimé avant les événements et qui ont également témoigné sur ce qui a été dit et fait à la briqueterie et à la gare. Toutefois, les témoins de ce dernier groupe n'ont pu identifier l'intimé qu'en se fondant sur des déclarations que leur avait faites des tiers. Le quatrième groupe, composé de huit témoins qui ne connaissaient pas l'intimé avant les événements et ne l'ont pas identifié, a témoigné sur les événements survenus à la briqueterie et à la gare. Outre le témoignage des survivants, le ministère public a présenté des photographies et une preuve d'écriture et d'empreintes afin d'identifier l'intimé comme un capitaine de la Gendarmerie à Szeged à l'époque en question. On a soumis une preuve d'expert et une preuve documentaire afin d'établir le contexte historique des témoignages, le régime hiérarchique en place en Hongrie en 1944 et l'état du droit international à ce moment‑là.

Le juge du procès a, pour le compte de la défense, cité deux témoins oculaires, Ballo et Kemeny. La déclaration et le compte rendu d'un troisième témoin, Dallos, qui a témoigné lors du procès de l'intimé en Hongrie, ont également été admis. Monsieur Dallos, un survivant de la briqueterie décédé en 1963, a témoigné de l'existence d'un lieutenant, qui pourrait avoir été chargé de la séquestration et de la déportation des Juifs à la briqueterie. Le juge du procès a conclu que, bien qu'il constitue du ouï‑dire, le témoignage était recevable. Il a également déclaré que, joint à d'autres témoignages, il pourrait susciter chez le jury un doute raisonnable sur la responsabilité de l'intimé à l'égard de la séquestration et des conditions à la briqueterie. Dans son exposé, le juge du procès a signalé au jury qu'il s'agissait d'une preuve par ouï‑dire.

L'intimé a été acquitté au procès et la Cour d'appel à la majorité a rejeté l'appel du ministère public contre l'acquittement. Un pourvoi et un pourvoi incident ont été formés contre cette décision.

Plusieurs questions ont été soulevées en appel. Premièrement, le par. 7(3.71) du Code criminel vise‑t‑il simplement la compétence, ou crée‑t‑il plutôt deux nouvelles infractions, un crime contre l'humanité et un crime de guerre; en outre, définit‑il les éléments essentiels des infractions reprochées de manière que le jury devait décider hors de tout doute raisonnable non seulement si l'intimé était coupable des infractions reprochées en vertu du Code criminel de 1927, mais également si ses actes constituaient des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre ou les deux, aux termes des par. 7(3.71) et 7(3.76)? Deuxièmement, le juge du procès a‑t‑il donné des directives erronées au jury sur la mens rea requise relativement à chaque infraction en exigeant que le ministère public démontre non seulement que l'intimé avait l'intention de commettre les infractions visées au Code criminel de 1927 qui lui sont reprochées, mais qu'il savait que ses actes possédaient les caractéristiques factuelles des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité aux termes du par. 7(3.76)? Troisièmement, le juge du procès a‑t‑il commis une erreur lorsqu'il a présenté au jury la «défense de l'agent de la paix» (art. 25 du Code), la «défense fondée sur les ordres militaires» et la question de l'erreur de fait, et la manière dont il a défini ces moyens de défense constitue‑t‑elle une directive erronée? Quatrièmement, les directives du juge du procès au jury ont‑elles adéquatement corrigé l'exposé incorrect et incendiaire de l'avocat de la défense de manière à réparer le préjudice subi par le ministère public et à ne pas le priver d'un procès équitable? Cinquièmement, le «témoignage» de Dallos (déclaration à la police et déposition) était‑il recevable et, en particulier, même s'il n'était pas visé par les exceptions reconnues à la règle du ouï‑dire? Sixièmement, le juge du procès a‑t‑il commis une erreur lorsqu'il a produit le témoignage de Dallos et les témoignages enregistrés sur bande vidéo par voie de commissions rogatoires comme ses propres éléments de preuve, privant ainsi le ministère public du droit que lui confère la loi de s'adresser au jury en dernier et, dans l'affirmative, cette erreur a‑t‑elle entraîné un tort important ou une erreur judiciaire grave? Septièmement, les directives du juge du procès au jury relativement à la preuve d'identification du ministère public étaient‑elles appropriées?

Les questions constitutionnelles soulevées dans le pourvoi incident étaient de savoir si les par. 7(3.74) et 7(3.76) du Code violent l'art. 7 (les principes de justice fondamentale), l'al. 11a) (le droit d'être informé dans les plus brefs délais de l'infraction précise reprochée), l'al. 11b) (le droit d'être jugé dans un délai raisonnable), l'al. 11d) (le droit d'être présumé innocent), l'al. 11g) (l'exigence qu'une action ou une omission constitue une infraction), l'art. 12 (la protection contre les peines cruelles et inusitées) ou l'art. 15 (les droits à l'égalité) de la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l'affirmative, s'ils sont justifiés en vertu de l'article premier.

Arrêt (les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé et McLachlin sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Arrêt: Le pourvoi incident est rejeté. Les paragraphes 7(3.74) et 7(3.76) du Code criminel ne violent pas l'art. 7, les al. 11a), b), d), g) ni les art. 12 ou 15 de la Charte.

Les juges Gonthier, Cory et Major:

Le pourvoi

La compétence

Les tribunaux canadiens ne sont compétents pour juger des personnes qui vivent au Canada relativement à des crimes qu'ils auraient commis en pays étranger que si les conditions précisées au par. 7(3.71) sont remplies. La plus importante de ces conditions pour les fins de la présente affaire est que le crime reproché doit constituer un crime de guerre ou un crime contre l'humanité. C'est donc la nature de l'acte commis qui est d'importance primordiale dans la détermination de la compétence. Les tribunaux canadiens ne peuvent juger un individu relativement à une infraction ordinaire commise à l'étranger. Ils ne peuvent juger ces personnes que parce que les actes commis sont qualifiés de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité. Un crime de guerre ou un crime contre l'humanité n'est pas la même chose qu'une infraction commise au pays. Le crime de guerre et le crime contre l'humanité mettent en cause d'autres éléments fondamentalement importants.

Les éléments requis relativement au crime décrit au par. 7(3.71)

Les tribunaux canadiens ne peuvent habituellement juger un individu relativement à une infraction ordinaire commise à l'étranger, mais ils sont compétents pour juger des personnes qui vivent au Canada relativement à des crimes qu'ils auraient commis en pays étranger si les conditions précisées au par. 7(3.71) sont remplies. La plus importante de ces conditions pour les fins de la présente affaire est que le crime reproché doit constituer un crime de guerre ou un crime contre l'humanité qui, comparé à une infraction commise au pays, met en cause d'autres éléments fondamentalement importants. C'est donc la nature de l'acte commis qui est d'importance primordiale dans la détermination de la compétence.

Les crimes contre l'humanité ou les crimes de guerre nécessitent chez l'accusé un élément de connaissance subjective des conditions factuelles qui font de ses actes des crimes contre l'humanité. L'élément moral d'un crime contre l'humanité doit comporter une connaissance des faits ou des circonstances qui entraîneraient les actes dans la sphère d'un crime contre l'humanité. Il n'est pas nécessaire, cependant, d'établir que l'accusé savait que ses actes étaient inhumains. De même, en ce qui concerne les crimes de guerre, le ministère public aurait le fardeau d'établir que l'accusé connaissait les faits ou circonstances qui faisaient que ses actes étaient visés par la définition de crime de guerre. Il aurait fallu que l'accusé sache qu'un état de guerre existait et que ses actes, même en temps de guerre, choqueraient la conscience de tous les gens sensés. Subsidiairement, l'exigence relative à la mens rea des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre sera remplie s'il est établi que l'accusé a volontairement fermé les yeux sur les faits ou circonstances en raison desquels ses actes sont visés par les dispositions prévoyant ces infractions.

Le libellé du paragraphe, ainsi que les stigmates et les conséquences qui découleraient d'une déclaration de culpabilité indiquent tous que le ministère public doit établir que l'accusé a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité. Il s'agit là d'un aspect intégral et essentiel de l'infraction. Il ne suffit pas de démontrer simplement que l'infraction commise au Canada constituerait un vol qualifié, une séquestration ou un homicide involontaire coupable. Il faut établir un élément supplémentaire d'inhumanité pour justifier une déclaration de culpabilité en vertu de ce paragraphe. L'élément moral dont il faut faire la preuve pour qu'il s'agisse d'un crime contre l'humanité est que l'accusé connaissait les faits ou les circonstances en raison desquels ses actes seraient visés par la définition de crime contre l'humanité, ou qu'il n'en n'a volontairement tenu aucun compte. Il ne serait toutefois pas nécessaire d'établir que l'accusé savait que ses actions étaient inhumaines. Il suffit que le ministère public établisse que les actes, considérés par une personne raisonnable dans la situation de l'accusé, étaient inhumains.

De même, pour ce qui est des crimes de guerre, le ministère public serait tenu d'établir que l'accusé avait une connaissance ou une conscience des faits qui faisait que ses actes étaient visés par la définition de crime de guerre, ou qu'il n'en a volontairement tenu aucun compte. Il ne serait pas nécessaire de démontrer que l'accusé savait effectivement que ses actes constituaient des crimes de guerre. Il suffit que le ministère public établisse que les actes, considérés de façon objective, constituaient des crimes de guerre.

Les moyens de défense

Les membres des forces militaires ou policières peuvent invoquer le moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur et celui de l'agent de la paix dans des poursuites pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Ces moyens de défense sont examinés en regard du critère de l'illégalité manifeste: ils ne peuvent être invoqués lorsque les ordres en question étaient manifestement illégaux. Même dans le cas où les ordres étaient manifestement illégaux, le moyen de défense fondé sur l'obéissance aux ordres d'un supérieur et celui de l'agent de la paix pourront être invoqués si l'accusé n'avait pas la liberté morale d'y obéir ou non. Il ne saurait y avoir liberté morale lorsque l'accusé voyait dans les ordres un élément de contrainte ou de menace telle qu'il n'avait d'autre choix que d'y obéir.

La présentation d'éléments de preuve par le juge du procès

Le juge du procès doit, pour recourir à la pratique inhabituelle et sérieuse de citer lui‑même des témoins, estimer qu'il est nécessaire d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour que justice soit rendue. En l'espèce, comme le juge du procès avait décidé que certains éléments de preuve étaient essentiels au récit, l'exercice du pouvoir discrétionnaire de présenter la preuve si le ministère public refusait de le faire était raisonnable et approprié. Dans une affaire où les événements se sont déroulés il y a 45 ans, il est essentiel que tous les éléments de preuve pertinents soient présentés au jury. Les années écoulées rendent difficile la tâche d'obtenir la vérité sur les événements: les témoins meurent ou sont introuvables, la mémoire décline et les éléments de preuve peuvent si facilement être perdus à jamais. Il est alors important que, dans un tel cas, toutes les versions existantes soient présentées à la cour. L'argument selon lequel toutes les affaires posent des difficultés de présentation d'une défense ne reconnaît pas le fait que, en l'espèce, en raison du temps écoulé, la défense éprouve des difficultés très réelles à établir la vérité, lesquelles ne peuvent se comparer à ce qui se produit dans d'autres affaires.

Le juge du procès a eu raison de tenir compte du fait que, s'il ne présentait pas la preuve, la défense devrait le faire et, en conséquence, perdrait son droit de s'adresser au jury en dernier. Lorsque le juge du procès conclut que la preuve en question aurait dû être produite par le ministère public, la question de savoir qui s'adresse au jury en dernier est effectivement pertinente. Sinon, il serait loisible au ministère public de ne pas produire certains éléments de preuve afin de forcer la défense à abandonner son droit de s'adresser au jury en dernier. (Les motifs du ministère public en l'espèce n'étaient pas illégitimes.) Il faudrait fermer la porte au risque d'un tel abus. En outre, la préoccupation du juge du procès quant à l'ordre des exposés au jury était d'importance secondaire par rapport à sa conclusion que la preuve était essentielle au récit.

Enfin, le juge du procès n'avait pas à attendre que la défense décide de présenter ou non la preuve en question avant de la présenter lui‑même. Il ne pouvait attendre que la défense ait fini de présenter sa preuve sans risquer d'enfreindre la règle suivant laquelle, après que la défense a terminé la présentation de sa preuve, il ne peut présenter de preuve lui‑même que si la question était imprévisible. Si le juge du procès avait attendu, et que la défense eût choisi de ne pas présenter de preuve, il n'aurait pu le faire lui‑même puisque la question était fort prévisible, et la présenter à ce moment‑là aurait causé un préjudice à la défense.

Le pourvoi incident

Les paragraphes 7(3.74) et (3.76) du Code criminel violent‑ils l'art. 7 de la Charte du fait qu'ils visent à éliminer la protection offerte par l'art. 15 du Code criminel?

L'intimé, même s'il a agi conformément à la loi (le décret Baky), ne pouvait faire valoir, de façon à être exonéré, qu'il croyait sincèrement, bien que par méprise, que ce décret était légal. Il avait toujours l'intention coupable requise pour être déclaré coupable. Le paragraphe 7(3.74), en permettant l'élimination de ce moyen de défense, ne porte pas atteinte à la justice fondamentale en contravention de l'art. 7 de la Charte. Le Code criminel prévoit l'exclusion expresse d'un moyen de défense lorsque le législateur a déterminé que l'acte criminel est d'une nature telle que, non seulement la désapprobation de la société est fondée, mais l'acte ne peut être justifié par le moyen de défense exclu. De façon générale, la disposition législative ayant cet effet ne viole pas l'art. 7 lorsque le moyen de défense entre en conflit avec l'infraction prévue en ce qu'il excuserait le mal même que l'infraction vise à interdire ou à punir.

Les dispositions contestées du Code violent‑elles la Charte pour des motifs d'imprécision?

L'état du droit international avant 1944 était tel qu'il pouvait donner un avertissement raisonnable à l'accusé des conséquences de la perpétration des infractions toujours en évolution en droit international. La disposition législative n'est pas imprécise simplement parce que l'ensemble du droit international n'est pas codifié et qu'il faut recourir aux opinions des experts et à la doctrine pour l'interpréter. Les divergences d'opinion entre les experts en droit international relativement à ces dispositions et les questions de droit et de fait qui se posent dans leur interprétation et leur application ne les rendent ni imprécises ni incertaines. Il appartient en dernier lieu au tribunal de les interpréter.

Les dispositions contestées du Code violent‑elles l'art. 7 et l'al. 11g) de la Charte?

Même si on ne peut s'attendre à ce que le citoyen moyen connaisse en détail le droit régissant les crimes de guerre ou les crimes contre l'humanité, on ne saurait affirmer qu'aucun avertissement raisonnable quant au fond n'a été donné ou que le droit en cette matière est imprécis. Chacun a une connaissance innée que ces actes sont blâmables et ne peuvent être tolérés, que ce soit du point de vue moral, religieux ou sociologique. Ces crimes, qui violent les valeurs humaines fondamentales, sont condamnés de façon véhémente par les citoyens de toutes les nations civilisées et ils sont répugnants, répréhensibles et connus au point qu'on ne peut tout simplement pas soutenir que leur définition est imprécise et incertaine. De même, les définitions de «crime de guerre» et de «crime contre l'humanité» ne laissent pas une large place à l'arbitraire, permettant l'incarcération. Les normes qui guident la détermination et la définition des crimes contre l'humanité sont des valeurs connues de tous et partagées par tous.

Les dispositions contestées ne violent ni l'art. 7 ni l'al. 11g) de la Charte en raison de leur nature supposément rétrospective. Les règles créées par le Statut du Tribunal militaire international et appliquées dans le cadre des procès de Nuremberg constituaient «de nouvelles règles de droit». La règle de la non‑rétroactivité des lois est un principe de justice. La loi qui prévoit rétroactivement une peine individuelle pour des actes qui, à l'époque où ils ont été commis, étaient illégaux sans être criminels, est toutefois une exception à la règle contre les lois adoptées après le fait. La responsabilité criminelle individuelle offre certainement une plus grande justice que la responsabilité collective. Puisque les actes illégaux en droit international, à l'égard desquels la responsabilité criminelle individuelle a été établie, étaient également des plus blâmables du point de vue moral, et que les auteurs de ces actes étaient certainement conscients de leur nature immorale, on peut difficilement considérer que la rétroactivité de la loi appliquée à leur égard est tout à fait contraire à la justice, qui exigeait la punition de ces personnes, en dépit du fait que, dans le cadre du droit positif, ces actes n'étaient pas punissables à l'époque où ils ont été commis. Il s'ensuit qu'il était approprié que les actes aient été rendus punissables rétroactivement.

Les délais antérieur et postérieur à l'accusation violent‑ils l'art. 7 et les al. 11b) et 11d) de la Charte?

Les délais antérieur et postérieur à l'accusation ne violent pas les principes de justice fondamentale (art. 7), le droit d'être jugé dans un délai raisonnable (al. 11b)), ni le droit d'être présumé innocent (al. 11d)). Les principes établis dans l'arrêt R. c. Askov n'ont donc pas à être étendus à la situation en l'espèce. En fait, il est beaucoup plus probable que le délai ait été plus préjudiciable à la preuve du ministère public qu'il ne le fut pour la défense. La preuve documentaire et matérielle qui n'existait plus pour la défense a probablement été détruite pendant la guerre et elle n'aurait donc pas pu être utilisée même si un procès avait eu lieu quelques années après la guerre. En ce qui concerne le délai postérieur à l'accusation, moins d'un an s'est écoulé entre le moment où la disposition législative est entrée en vigueur et celui où l'acte d'accusation a été présenté. Le délai était minime et très raisonnable.

Les dispositions contestées du Code violent‑elles les art. 7 et 15 de la Charte?

Les dispositions contestées ne violent pas les droits à l'égalité garantis à l'art. 15 de la Charte. Le fait qu'elles ne portent que sur des faits — actes ou omissions — commis par des individus à l'étranger ne repose pas sur une caractéristique personnelle mais sur le lieu du crime. Le groupe de personnes qui commettent des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité à l'étranger ne peut être considéré comme une minorité distincte et isolée ayant souffert de stéréotypes, de désavantages historiques ou de vulnérabilité à des préjugés politiques et sociaux. Pour les mêmes raisons, ces dispositions ne sont pas contraires aux principes de justice fondamentale, malgré les allégations voulant qu'elles permettent d'engager des poursuites contre un individu en se fondant sur une extension de la compétence née des crimes reprochés pour lesquels le législateur ne rend pas les citoyens du Canada criminellement responsables.

Les dispositions contestées violent‑elles l'art. 12 de la Charte?

Les parties n'ont soumis aucun argument concernant l'art. 12 (peines cruelles et inusitées de la Charte). Il n'était pas nécessaire de considérer l'application de l'article premier.

Le juge en chef Lamer: Le pourvoi devrait être rejeté pour les motifs énoncés par le juge Cory. Le pourvoi incident devrait être rejeté en raison de son caractère théorique.

Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé et McLachlin (dissidents*): Le paragraphe 7(3.71) du Code criminel confère aux tribunaux canadiens le pouvoir d'entendre des poursuites au Canada, conformément au droit criminel canadien en vigueur à l'époque de leur perpétration, relativement à des actes commis à l'étranger qui équivalent à des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. La disposition ne crée aucune nouvelle infraction. La personne qui commet l'acte visé n'est pas déclarée coupable d'une infraction comme c'est le cas pour les autres infractions criminelles. Au contraire, l'essence de la disposition est son prédicat: «est réputé avoir commis le fait au Canada à cette époque». En outre, aucune peine n'est prévue. La conclusion à l'existence d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité n'entraîne pas une peine; elle ne fait qu'ouvrir la porte à l'étape procédurale suivante — la présentation au jury des chefs d'accusation contre l'accusé pour des infractions définies au Code à l'égard d'actes commis à l'étranger, dans la mesure où ces actes constituent des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre.

La disposition relative aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité constitue une exception à la règle générale de la portée territoriale du droit criminel. L'intention du législateur était d'étendre la portée du droit criminel canadien afin que des poursuites puissent être engagées à l'égard de ces actes commis à l'étranger si les auteurs allégués étaient découverts au pays. Les exceptions à l'art. 6 (qui limite au Canada l'application du Code) peuvent également revêtir la forme de dispositions créant une infraction qui incluent expressément des actes commis à l'étranger, mais le libellé du par. 7(3.71) ressemble beaucoup à celui d'autres dispositions purement attributives de compétence, et il peut être mis en contraste avec ces dispositions créatrices d'infractions. Si le législateur avait expressément souhaité faire des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité des infractions de droit interne, il aurait pu le faire beaucoup plus facilement de façon directe.

Aucune distinction ne devrait être faite entre la compétence territoriale de la cour (qui vise la détermination du tribunal canadien approprié pour entendre l'affaire) et la portée territoriale du droit criminel (qui touche la définition des infractions elles‑mêmes). Le paragraphe 6(2) du Code ne fait pas de la territorialité canadienne un élément qui délimite les infractions qui y sont prévues. Il ne fait plutôt qu'exclure la possibilité qu'une personne soit déclarée coupable ou absoute à l'égard d'une infraction commise à l'étranger, en réponse à la structure de l'ordre international, qui confie la poursuite de l'auteur d'un acte criminel à l'État dans lequel l'acte a été commis. Le fait qu'un acte ou une omission se soit produit à l'extérieur des frontières canadiennes n'efface pas sa qualité d'acte coupable.

Les questions de compétence sont des questions de droit confiées au juge du procès. Le libellé de l'art. 6 n'est pas absolu; il prévoit expressément des exceptions, soit dans le Code même, soit dans d'autres lois fédérales. On a jugé dans d'autres circonstances dans l'arrêt R. c. Balcombe que la décision dans les questions de compétence était à juste titre confiée au juge du procès, et il n'existe aucune raison d'appliquer une règle différente pour ce qui est de la détermination effectuée relativement à l'art. 6. La question de savoir si l'on a satisfait aux critères du par. 7(3.71) (si l'acte équivaut à un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, si l'acte transgressait le droit canadien à l'époque de sa perpétration et si des personnes identifiables étaient impliquées) créant l'exception à l'art. 6 est une question de droit confiée au juge du procès et non au jury. Si ces conditions ne sont pas remplies, aucune exception à la règle qui interdit la poursuite extraterritoriale ne s'applique et le tribunal doit refuser d'exercer toute compétence et acquitter l'accusé, peu importe que tous les éléments des infractions d'homicide involontaire coupable, de vol qualifié, de séquestration ou d'agression puissent être établis.

Le rôle du jury est semblable à celui qu'il assume dans le cadre d'une poursuite ordinaire engagée en vertu de notre droit interne. Sa fonction et la charge dont elle est assortie sont identiques à celles qu'on assigne au jury qui détermine uniquement si l'infraction sous‑jacente existe. L'unique différence tiendra dans les justifications, excuses et moyens de défense invoqués. En vertu du par. 7(3.73), l'accusé peut plaider, outre ceux qu'offre le droit interne, tous les moyens de défense, justifications et excuses qui existent en droit international. Le paragraphe 7(3.74) a toutefois pour effet d'interdire à l'accusé de plaider l'obéissance à la loi de facto.

L'existence des conditions nécessaires à l'exercice de la compétence n'a pas à être démontrée hors de tout doute raisonnable. Toutefois, le juge du procès doit apprécier la preuve afin de satisfaire aux conditions nécessaires à l'exercice de la compétence et il ne doit pas fonder son analyse de ces conditions que sur les accusations portées. Puisque certains des faits requis pour établir la compétence ne sont pas identiques à ceux qui sont requis pour que le jury détermine si l'infraction sous‑jacente a été commise, il ne faut pas laisser au jury la tâche de tirer toutes les conclusions de fait. En l'espèce le jury devra entendre, relativement aux infractions, en grande partie la même preuve que le juge du procès aura entendue sur la question de la compétence. Il sera donc généralement plus efficace que le juge du procès se penche sur la question de la compétence au moment où le jury entend la preuve sur l'infraction. Si on le désire, et pour éviter de confondre le jury, les parties de la preuve ou des témoignages d'experts qui sont tout à fait étrangers à ce qui intéresse le jury peuvent être entendues en son absence. Une fois la présentation de la preuve terminée, le juge décidera si les conditions requises pour l'exercice de la compétence ont été remplies. Dans l'affirmative, le tribunal peut entendre le verdict du jury.

Les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité n'exigent pas une mens rea excessivement élevée allant au-delà de ce qui est requis pour l'infraction sous‑jacente. La mens rea d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité implique que l'intention de l'accusé visait la qualité factuelle de l'infraction. Dans presque tous les cas, sinon tous, la définition de l'infraction sous‑jacente de droit interne englobera la mens rea requise pour le crime de guerre ou le crime contre l'humanité. Ainsi, il n'est pas nécessaire que l'accusé ait su que son acte, s'il s'agit d'un homicide involontaire coupable ou d'une séquestration, équivalait à un "acte inhumain" au sens juridique ou moral du terme. Quiconque commet intentionnellement ou sciemment un homicide involontaire coupable ou un enlèvement a démontré la culpabilité morale requise pour un acte inhumain. La mens rea normale pour la séquestration, le vol qualifié, l'homicide involontaire coupable ou l'enlèvement suffit, qu'il s'agisse d'intention, de connaissance, d'insouciance ou d'ignorance volontaire.

Les conditions additionnelles de l'exigence de l'actus reus en droit international sont censées être utilisées pour s'assurer que les conditions factuelles sont telles que les questions de limites extraterritoriales en matière de relations internationales ne se posent pas. Puisque dans presque tous les cas, sinon tous, la mens rea pour le crime de guerre ou le crime contre l'humanité sera englobée dans la mens rea requise pour l'infraction sous‑jacente, dont il faut apporter la preuve au jury hors de tout doute raisonnable, le juge du procès ne devra que rarement, ou jamais, procéder à des constatations supplémentaires concernant la mens rea pour répondre aux exigences de compétence.

Dans le cas où des justifications, excuses ou moyens de défense auraient pu être invoqués si l'accusé avait été inculpé de l'infraction en vertu du droit international plutôt que de l'infraction sous‑jacente, il faut les soumettre au jury avec des directives appropriées, que la question soit soulevée par la preuve présentée par le ministère public ou par celle de l'accusé. En vertu du par. 7(3.73) du Code, un accusé peut se prévaloir "des justifications, excuses ou moyens de défense reconnus [. . .] par [. . .] le droit international" et par le droit canadien. Le jury devrait alors trancher la question en faisant jouer tout doute raisonnable en faveur de l'accusé.

Le régime établi par les par. 7(3.71) à 7(3.77) ne prive pas l'accusé de ses droits d'une manière incompatible avec les principes de justice fondamentale. L'accusé ne peut être déclaré coupable de l'infraction reprochée (l'infraction sous-jacente de droit interne) que si le jury conclut que l'élément moral pertinent a été établi hors de tout doute raisonnable. Cet élément moral coïncide avec celui du crime de guerre ou du crime contre l'humanité. Si des excuses, justifications ou moyens de défense peuvent être invoqués en vertu du droit international, l'accusé a droit au bénéfice du doute sur la question, y compris la mens rea liée à ces excuses, justifications et moyens de défense. La jurisprudence fondée sur la Charte concernant la justice fondamentale n'exige pas, simplement parce qu'un stigmate particulier peut se rattacher à certaines infractions, que la conclusion sur la mens rea soit confiée exclusivement au jury et seulement en conformité avec une norme de preuve hors de tout doute raisonnable. Le stigmate découlant d'une déclaration de culpabilité sous le régime d'une loi sur les crimes de guerre ne résulte pas de la nature de l'infraction, mais plutôt des circonstances qui entourent la plupart des crimes de guerre et souvent de la dimension, en termes numériques, des actes en cause.

Selon la partie du par. 7(3.71) qui traite de compétence, il faut déterminer si les tribunaux canadiens sont habilités à condamner ou exonérer l'auteur du fait en cause. La question préliminaire, celle de savoir si la conduite visée est un cas qui, selon la communauté internationale, justifie un traitement d'exception par rapport aux préceptes généraux du droit international, comporte l'analyse des obligations internationales du Canada et d'autres questions concernant les relations entre nations. Du point de vue du Canada, la culpabilité à l'égard des actes visés par cette disposition résulte de ce qui est considéré comme un comportement répréhensible en vertu de normes canadiennes exprimées dans le Code, et doit être évaluée en conséquence. La question préliminaire, en ce qui concerne les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, est plus une question politique qu'une question de culpabilité et, pour cette raison, ne relève traditionnellement pas de la compétence d'un jury. La communauté internationale encourage activement les poursuites contre les personnes dont la conduite criminelle constitue aussi des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité.

Il n'est pas inéquitable ni contraire à notre conception du procès par jury de confier la détermination de la compétence au juge du procès plutôt qu'au jury. L'attribution de cette tâche est juste et bien conçue compte tenu de la nature technique des véritables constatations de fait incombant au juge du procès sur la question préliminaire de la compétence, ainsi que de la nature complexe du droit international qu'il lui faut saisir. Le caractère technique de ces questions, qui ne sont pas liées aux questions de culpabilité, n'entre pas dans les attributions spéciales du jury.

Le rôle du jury dans les poursuites demeure étendu. Comme dans toute autre poursuite en droit interne, le jury est seul arbitre pour décider si l'actus reus et la mens rea de l'infraction reprochée sont tous deux présents et s'il existe des moyens de défense en droit interne. Par ailleurs, outre ses fonctions habituelles, le jury décide également s'il existe des justifications, excuses ou moyens de défense en droit international. Ces décisions ne sont pas de simples conclusions techniques qui complètent le rôle étendu confié au juge du procès; au contraire, elles vont au c{oe}ur même de la question de la culpabilité de l'accusé. Le jury est seul à décider si l'accusé est physiquement et moralement coupable de l'infraction reprochée selon une preuve hors de tout doute raisonnable. Le seul élément qui soit retiré du champ habituel des considérations du jury dans les poursuites en droit interne est le moyen de défense fondé sur la loi de facto (par. 7(3.74)).

Le paragraphe 7(3.74) ne viole pas l'art. 7 de la Charte en éliminant des moyens de défense existants. Les paragraphes 7(3.73) et 7(3.74) se modifient l'un l'autre et signifient ensemble que l'accusé a le bénéfice de tous les moyens de défense, justifications et excuses existant en droit international et en droit interne. L'application du par. 7(3.73) ne fait qu'éliminer le simple argument selon lequel, puisqu'une loi interne existait, la conduite reprochée était autorisée et donc excusée. Toute la raison d'être des limites à la responsabilité individuelle pour les crimes de guerre ou les crimes contre l'humanité tient à ce qu'il existe des responsabilités plus élevées que la simple observation du droit interne. Le fait qu'une loi d'un pays autorise quelque conduite clairement inhumaine ne peut être accepté comme moyen de défense.

Le moyen de défense de l'obéissance aux ordres militaires et celui de l'agent de la paix soumis au jury en l'espèce existent en droit canadien et se rapportent aux arguments fondés sur l'autorisation ou l'obéissance à la loi interne. La raison d'être de ces moyens de défense est qu'une analyse réaliste des organisations militaires et policières montre qu'elles exigent un élément d'obéissance pure et simple; il faut donc un certain degré d'adaptation pour les membres de ces organisations. Par ailleurs, la loyauté totalement aveugle ne peut abriter aucun être humain, même un soldat. Le moyen de défense n'est pas simplement fondé sur l'idée d'obéissance ou d'autorité de la loi de facto du pays, mais plutôt sur la considération des responsabilités de l'individu dans le contexte d'une unité de militaires ou d'agents de la paix. En substance, l'obéissance à l'ordre d'un supérieur est une défense valable à moins que l'acte en cause soit tellement choquant qu'il est manifestement illégal. De plus, l'accusé ne sera pas déclaré coupable d'un acte commis en raison d'un ordre s'il n'avait d'autre liberté morale que d'obéir.

Les dispositions relatives aux crimes de guerre ne violent pas l'art. 7 ni l'al. 11g) de la Charte pour cause de rétroactivité. L'accusé n'est pas inculpé ou puni à l'égard d'une infraction au droit international, mais d'une infraction criminelle qui était prévue dans le Code au moment de sa perpétration.

Le droit international dans ce domaine n'était ni rétroactif ni imprécis. Même sur le fondement des conventions internationales et du droit coutumier, de nombreux documents distincts indiquaient l'élargissement des interdictions des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. De nombreuses conventions montraient qu'il existait des règles internationales sur la conduite d'une guerre et une responsabilité individuelle à cet égard. Le droit international, tel qu'exprimé par des tribunaux internes ou internationaux, continue d'affirmer que l'existence des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité était bien établie. La source la plus solide en droit international en matière de crimes contre l'humanité est toutefois l'ensemble des interdictions communes de ces crimes dans les pays civilisés. La conduite placée dans la catégorie des crimes contre l'humanité était de celles qu'aucun pays civilisé moderne ne pouvait tolérer.

Les dispositions du Code ne violent pas l'al. 11g) pour cause de rétroactivité. Cet alinéa de la Charte prévoit expressément la possibilité d'une condamnation en vertu du droit international ou des principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations. Un des facteurs qui a motivé le libellé de cette disposition est qu'elle visait à éliminer toute crainte que soient autrement empêchées des poursuites contre des criminels de guerre ou des personnes accusées de crimes contre l'humanité.

Le paragraphe 7(3.71) (en ce qui concerne le caractère général des définitions des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité) pris en corrélation avec le par. 7(3.76) ne viole pas l'art. 7 de la Charte pour cause d'imprécision. L'infraction reprochée à l'accusé et pour laquelle il sera puni est l'infraction de droit interne du Code de 1927 et il est clair que le pourvoi incident ne vise pas à soutenir que ces dispositions classiques du Code sont imprécises au point d'être inconstitutionnelles. Le degré d'imprécision nécessaire pour qu'une loi soit jugée inconstitutionnelle exige que le texte manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire. La teneur des sources coutumières, conventionnelles et comparatives est suffisamment explicite pour satisfaire à cette norme.

Le délai avant procès d'environ 45 ans, entre la perpétration alléguée de l'infraction et l'inculpation, ne viole ni l'art. 7 ni les al. 11b) et 11d) de la Charte. Les délais qui précèdent l'inculpation peuvent, tout au plus, avoir une influence dans certaines circonstances sur l'évaluation du caractère raisonnable du délai qui suit l'inculpation mais ne comptent pas comme tels dans ce dernier. La Charte ne protège pas des accusés contre des poursuites sur le seul fondement du temps qui s'est écoulé entre la perpétration de l'infraction et l'inculpation. Aucune plainte n'a été formulée au sujet du délai qui a suivi l'inculpation.

Le paragraphe 7(3.71) ne viole pas les art. 7 et 15 de la Charte pour la raison qu'il s'applique uniquement à des actes commis à l'extérieur du Canada. Cette disposition concerne la compétence et ne crée pas de nouvelles infractions. Que la conduite reprochée ait eu lieu au Canada ou à l'étranger, l'accusé serait inculpé de la même infraction et passible de la même peine, s'il était déclaré coupable. En fait, toute différence de traitement est en faveur du délinquant qui commet l'acte à l'étranger.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Finta

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Cory
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R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606
arrêts mentionnés: R. c. Finta (1989), 69 O.R. (2d) 557
Affaire du «Lotus» (1927), C.P.J.I., sér. A, no 10
Balcombe c. The Queen, [1954] R.C.S. 303
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R. c. Whyte, [1988] 2 R.C.S. 3
R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303
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R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154
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Citée par le juge La Forest (dissident**)
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Code criminel, S.R.C. 1927, ch. 36.
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 213a).
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 6(2) [abr. & rempl. L.R.C. (1985), ch. 27 (1er suppl.), art. 4
mod. version française, L.R.C. (1985), ch. 1 (4e suppl.), art. 18, annexe 1, no 1], 7(3) [abr. & rempl. L.R.C. (1985), ch. 27 (1er suppl.), art. 5(1)], (3.1) [aj. ibid., art. 5(3)], (3.71) [aj. L.R.C. (1985), ch. 30 (3e suppl.), art. 1], (3.72) [aj. idem], (3.73) [aj. idem], (3.74) [aj. idem], (3.76) [aj. idem], (3.77) [aj. L.R.C. (1985), ch. 10 (3e suppl.), art. 1], (4), 14, 15, 19, 25, 74(2), 465(1)a) [abr. & rempl. L.R.C. (1985), ch. 27 (1er suppl.), art. 61(1)], (3) [abr. & rempl. ibid., art. 61(4)], 477.1 [aj. L.C. 1990, ch. 44, art. 15], 607(6) [aj. L.R.C. (1985), ch. 30 (3e suppl.), art. 1].
Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (Convention IV de La Haye de 1907).
Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les armées en campagne, le 27 juillet 1929, 118 R.T.S.N. 303.
Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne du 12 août 1949, 75 R.T.N.U. 31.
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Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949, 75 R.T.N.U. 135.
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Décret, C.P. 1985‑348.
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Statut de la Cour internationale de Justice, art. 38(1).
Statut du Tribunal militaire international, art. 6c), 8.
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Proposition de citation de la décision: R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701 (24 mars 1994)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1994-03-24;.1994..1.r.c.s..701 ?
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