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27/01/1994 | CANADA | N°[1994]_1_R.C.S._129

Canada | R. c. Arcangioli, [1994] 1 R.C.S. 129 (27 janvier 1994)


R. c. Arcangioli, [1994] 1 R.C.S. 129

Giuseppe Arcangioli Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Arcangioli

No du greffe: 23380.

1993: 12 novembre; 1994: 27 janvier.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1993), 18 W.C.B. (2d) 270, qui a rejeté l'appel de l'accusé contre sa déclaration de culpabilité relative à une accusation de voies de fait gr

aves. Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné.

Clayton C. Ruby, pour l'appelant.

Jamie C. Klukach, pour l'...

R. c. Arcangioli, [1994] 1 R.C.S. 129

Giuseppe Arcangioli Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Arcangioli

No du greffe: 23380.

1993: 12 novembre; 1994: 27 janvier.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1993), 18 W.C.B. (2d) 270, qui a rejeté l'appel de l'accusé contre sa déclaration de culpabilité relative à une accusation de voies de fait graves. Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné.

Clayton C. Ruby, pour l'appelant.

Jamie C. Klukach, pour l'intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Major — À l'issue d'un procès devant juge et jury, l'appelant a été déclaré coupable de voies de fait graves relativement à une agression à coups de couteau et il a été condamné à quatre ans d'emprisonnement. L'appel interjeté devant la Cour d'appel de l'Ontario a été rejeté, le juge Galligan étant dissident.

L'appelant se pourvoit de plein droit sur le point de droit soulevé dans la dissidence du juge Galligan, à savoir si le juge du procès a donné au jury des directives appropriées concernant la preuve produite par l'accusé, suivant laquelle une autre personne présente sur les lieux du crime en avait, quelques minutes auparavant, poignardé une autre et était donc plus susceptible que l'accusé d'avoir poignardé la victime. L'appelant a obtenu l'autorisation de soulever également la question du caractère suffisant des directives au jury touchant la conclusion à tirer du fait qu'il s'est enfui des lieux du crime.

I.Les faits

Une bagarre a éclaté à l'extérieur du Rafferty's, un bar de Scarborough, vers 1 h le 22 août 1991. L'un des protagonistes, Theodore Heffern, a tenté de s'échapper et a été poursuivi par un certain nombre d'individus dont l'appelant. Heffern s'est rendu en courant sur la galerie faiblement éclairée d'une maison voisine. Un des poursuivants, Edward Sweeney, l'a suivi sur la galerie et s'est mis à le frapper à coups de poing et de pied. L'appelant s'est joint à la bagarre et a avoué avoir assené plusieurs coups de poing à Heffern. Quand il est devenu manifeste que celui‑ci avait été poignardé dans le dos, l'appelant, Sweeney et quelques autres témoins ont pris la fuite.

L'appelant a avoué avoir commis des voies de fait simples mais a nié avoir commis des voies de fait graves. Il a déclaré en témoignage avoir vu un homme de race noire, qu'il a identifié comme étant Jason Semester, s'approcher de la galerie armé d'un couteau, poignarder Heffern et s'enfuir.

Heffern a témoigné ne pas avoir vu la personne qui l'a poignardé et n'avoir vu personne d'autre que l'appelant et Sweeney sur la galerie ou à proximité de celle‑ci au moment de l'attaque. Il a cependant souligné qu'il avait perdu conscience pendant une dizaine de secondes au cours de l'incident.

Semester a nié avoir poignardé Heffern. Il a témoigné qu'il a vu trois hommes, dont la victime, sur la galerie ou à proximité de celle-ci pendant l'agression, mais qu'il n'a vu personne être poignardé. Il a également dit qu'un certain nombre d'hommes de race noire avaient, comme lui, été témoins de l'événement.

James Kelly, Todd Ford et Reginald Nash, qui étaient au nombre des témoins de l'agression sur la galerie, ont témoigné au procès à l'appui de la version des faits de l'appelant. Selon la thèse du ministère public, ces témoins, tous amis de l'appelant, ont fabriqué leurs récits en vue de rejeter le blâme sur Semester.

Dans sa déposition, Kelly a déclaré avoir vu Semester monter sur la galerie et poignarder Heffern. Il a ajouté qu'il avait parlé à Semester avant l'attaque et que celui‑ci lui était apparu «gelé» ou «parti» sous l'effet de la drogue.

Ford a témoigné qu'un certain nombre de Noirs étaient présents au moment de l'agression, qu'il avait vu un individu correspondant au signalement général de Semester s'approcher de la galerie, passer la main à travers les barreaux puis s'enfuir. Ford a ajouté avoir remarqué quelques instants plus tard que le même homme portait un couteau.

Nash a témoigné n'avoir vu personne monter en courant sur la galerie ou poignarder Heffern, mais il a affirmé avoir aperçu un individu correspondant au signalement de Semester, et qu'il a identifié au procès comme étant Semester, s'enfuir en courant de la galerie. Il a également prétendu qu'il n'y avait qu'un seul Noir parmi les témoins de l'agression et qu'il avait entendu l'un d'eux affirmer que Heffern avait été poignardé par un Noir. Nash a ajouté qu'une heure après l'agression il a rencontré Semester qui lui a montré un couteau maculé de sang en avouant avoir poignardé la victime. Toutefois, lorsqu'il a été arrêté et accusé de voies de fait graves en rapport avec l'incident, Nash n'a pas divulgué ce renseignement à la police. Au procès, il a justifié son silence par le fait qu'il voulait éviter que quelqu'un ait des démêlés avec la police et qu'il craignait que Semester ou d'autres personnes lui fassent du mal s'il impliquait Semester dans l'agression à coups de couteau.

Un autre témoin, Kerri‑Ann Parsons, a déclaré que l'appelant, Sweeney et Heffern était les seules personnes qui se trouvaient sur la galerie ou à proximité de celle-ci au moment pertinent. Parsons a également dit qu'elle avait aperçu l'appelant se pencher sur Heffern qui était par terre, mais qu'elle n'avait pu voir ce qu'il faisait avec ses bras parce qu'il lui tournait le dos. Elle a déclaré n'avoir vu personne poignarder Heffern.

Un certain nombre de témoins ont déclaré que l'appelant avait du sang sur la main droite après l'incident. Ce dernier a expliqué qu'il avait immobilisé Heffern, alors en position assise, en lui passant le bras gauche autour de la tête et qu'il était en train de le frapper de la main droite lorsque Semester l'a subitement poignardé dans le dos. Lors du contre‑interrogatoire, le ministère public a attaqué ce témoignage en faisant valoir qu'il n'expliquait pas pourquoi l'appelant avait du sang sur la main droite.

Une demi‑heure avant que la première bagarre n'éclate à l'extérieur du Rafferty's, une autre attaque à coups de couteau s'était produite près de là dans le terrain de stationnement d'un restaurant Pizza Pizza. La victime, Cameron Day, ainsi que Jim Kelly qui a témoigné en faveur de l'appelant, ont été mêlés à une bagarre. Selon la déposition de Kelly, Semester et lui ont brandi des couteaux pendant l'altercation; Kelly a toutefois affirmé qu'il n'avait pas vu Semester, ni qui que ce soit d'autre, poignarder Day.

Day a témoigné qu'il participait à une bagarre à coups de poing avec un Blanc lorsqu'un Noir, qu'il n'a pu identifier au moyen d'une photographie, est intervenu et l'a frappé à l'estomac; il a ensuite réalisé qu'il avait été poignardé par l'intervenant. Day n'a pas bien vu la personne qui l'a poignardé et il a donné de son assaillant une description qui ne correspondait pas en tous points à Semester. Il a également dit n'avoir vu personne brandir un couteau pendant l'incident.

William Cowan, un ami de Day, a témoigné avoir vu un Blanc et un Noir participer à l'altercation avec Day. Cependant, il n'a pas bien vu le Noir et n'a pu l'identifier à l'aide d'une photographie. Il n'a vu personne brandir un couteau pendant l'altercation.

Semester a confirmé que lui et plusieurs autres Noirs étaient présents pendant l'incident, mais il a nié avoir eu un couteau ou avoir poignardé Day.

Enfin, il a été mis en preuve que Semester avait un casier judiciaire pour introduction par effraction, vol, violation des conditions d'une ordonnance de probation et vol à main armée au cours duquel une arme à feu et un couteau avaient été brandis. En ce qui concerne cette dernière déclaration de culpabilité, Semester a témoigné qu'il n'avait fait qu'accompagner les auteurs du vol qualifié et qu'il n'était pas armé à ce moment‑là.

II.Les juridictions inférieures

Le tribunal de première instance

Le juge du procès a, dans ses directives au jury, dit que le casier judiciaire de l'appelant n'était pertinent qu'eu égard à la question de sa crédibilité à titre de témoin. Elle a de même limité à la question de la crédibilité la preuve du casier judiciaire de Semester, qui faisait notamment état d'un crime de violence. Elle n'a pas dit aux jurés qu'ils pouvaient également considérer le casier judiciaire de Semester, ainsi que la preuve le reliant à l'agression à coups de couteau contre Day, comme appuyant la prétention de l'appelant que Semester avait une propension à la violence et avait poignardé Heffern. S'ils avait été acceptés, ces éléments de preuve auraient pu appuyer la version des faits donnée par l'appelant et soulever un doute raisonnable quant à sa culpabilité.

Le juge du procès a également dit au jury que la preuve de la fuite de l'appelant était un facteur à prendre en considération en rendant son verdict. Cependant, elle a clairement affirmé que cette preuve n'était pas concluante puisqu'il arrive parfois que des personnes innocentes s'enfuient des lieux d'un crime.

Au procès, l'avocat de la défense ne s'est pas opposé à ce que, dans son exposé, le juge ne traite du casier judiciaire de Semester que relativement à la question de la crédibilité, et il n'a fait aucune remarque au sujet de l'usage qui pouvait être fait de la preuve reliant Semester à l'agression à coups de couteau commise précédemment contre Day. De même, il ne s'est pas opposé à l'exposé au jury pour ce qui était de la conclusion à tirer du fait que l'appelant s'était enfui des lieux.

La Cour d'appel de l'Ontario

La Cour d'appel de l'Ontario, à la majorité, a rejeté l'appel: (1993), 18 W.C.B. (2d) 270. Après examen, les juges Brooke et Labrosse ont rejeté l'argument voulant que le juge du procès ait commis une erreur en ne précisant pas, dans ses directives au jury, que la preuve du casier judiciaire de Semester et son lien avec l'agression à coups de couteau commise contre Day au cours de la demi‑heure qui avait précédé celle dont Heffern avait été victime pouvaient avoir une valeur probante aux fins d'établir que Semester était susceptible d'avoir poignardé Heffern. Soulignant que l'exposé n'avait fait l'objet d'aucune objection au procès, les juges formant la majorité ont déclaré qu'il ressortait implicitement du verdict des jurés que ceux‑ci avaient accepté le témoignage de Semester dans lequel il niait toute participation, et qu'ils avaient rejeté le témoignage de l'appelant. Ils ont conclu que le jury n'aurait pas rendu un verdict différent s'il avait reçu les directives que réclame maintenant l'appelant.

Le juge Galligan, dissident, a affirmé que, même en l'absence d'une requête de la défense, le juge du procès aurait dû dire aux jurés que s'ils ajoutaient foi aux témoignages concernant la participation de Semester à l'agression à coups de couteau contre Day, ils seraient alors en droit de considérer que ces témoignages tendent à étayer le témoignage de l'appelant selon lequel c'est Semester qui a poignardé Heffern.

La Cour d'appel n'a fait aucun commentaire au sujet de la conclusion à tirer, s'il y a lieu, du fait que l'appelant s'est enfui des lieux de l'agression.

III.Questions en litige

Ce pourvoi soulève trois questions:

(1) La Cour d'appel de l'Ontario, à la majorité, a-t-elle eu raison de conclure que le juge du procès n'avait pas commis d'erreur en omettant de dire aux jurés, dans les directives qu'il leur a données, que s'ils acceptaient la preuve indiquant que Semester avait brandi un couteau dans le passé, ils pouvaient considérer que cette preuve étayait la prétention de l'appelant que c'est Semester, et non pas lui, qui a poignardé Heffern?

(2) La Cour d'appel de l'Ontario a‑t‑elle commis une erreur en ne concluant pas que le juge du procès n'avait pas donné au jury des directives appropriées quant à la conclusion à tirer du fait que l'appelant s'est enfui des lieux de l'agression?

(3) Si le juge du procès a commis une seule ou plusieurs erreurs, peut‑il y être remédié par le sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46?

IV.Analyse

A.La question de la conduite passée de Semester

Le juge du procès a, dans son exposé aux jurés, mentionné la preuve du casier judiciaire de Semester et leur a dit qu'ils pouvaient tenir compte de cette preuve pour évaluer sa crédibilité en tant que témoin et pour déterminer le poids à accorder à son témoignage. Elle ne leur a pas dit, toutefois, que la déclaration de culpabilité de Semester pour un vol qualifié au cours duquel il y avait eu utilisation d'un couteau et d'une arme à feu, ainsi que la preuve, si elle était acceptée, de sa participation à l'agression à coups de couteau commise, plus tôt ce soir‑là, contre Day pouvaient étayer la prétention de l'appelant que c'est Semester qui a poignardé Heffern.

La production et l'utilisation d'une preuve au cours d'un procès criminel sont soumises à certaines restrictions. Bien qu'elle soit pertinente, une preuve peut être exclue pour des motifs de principe comme en témoigne la directive bien connue concernant la preuve de moralité, savoir qu'[traduction] «il n'est pas permis au ministère public de présenter une preuve de la mauvaise moralité de l'accusé, au moyen d'une preuve de sa réputation ou d'actes précis, à moins que l'accusé n'ait lui‑même soulevé la question de sa moralité ou que cette preuve ne soit par ailleurs pertinente sur un point, comme par exemple la preuve d'actes similaires»: J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (1992), à la p. 454. Bien qu'une telle preuve puisse être pertinente, elle est exclue parce que son effet préjudiciable est susceptible de l'emporter sur sa valeur probante; le jury risque de déclarer l'accusé coupable en fonction de sa réputation et non de la preuve: McCormick on Evidence (4e éd. 1992), vol. 1, par. 190, à la p. 811.

Le risque d'une déclaration de culpabilité erronée n'existe pas, cependant, dans le cas où la preuve de moralité se rapporte non pas à l'accusé, mais à un tiers témoin. Par conséquent, [traduction] «[d]ans la mesure où elle est pertinente et où elle n'est pas par ailleurs exclue par une règle de preuve, la preuve de la mauvaise moralité d'un tiers peut être présentée par la défense»: Sopinka, Lederman et Bryant, op. cit., à la p. 467; R. c. Scopelliti (1981), 63 C.C.C. (2d) 481 (C.A. Ont.); et Wigmore on Evidence (3e éd. 1940), vol. 1, par. 139, à la p. 573. La Cour d'appel de l'Ontario a confirmé ce principe dans l'arrêt R. c. McMillan (1975), 23 C.C.C. (2d) 160, conf. par [1977] 2 R.C.S. 824. Dans cette affaire, l'accusé était inculpé du meurtre de son enfant. Il a affirmé, en défense, que c'était sa femme qui avait tué l'enfant. La Cour d'appel a jugé que l'accusé pouvait, aux fins d'établir que sa femme était prédisposée à commettre l'infraction en cause, produire une preuve qu'elle souffrait d'un trouble psychopatique de la personnalité et qu'elle avait commis des actes de violence dans le passé.

Toutefois, la preuve de la mauvaise moralité d'un tiers ne sera admise que si elle est pertinente. La preuve de la propension d'un tiers à commettre le type d'acte en question n'aurait aucune valeur probante s'il était par ailleurs sans rapport avec les circonstances entourant l'accusation (R. c. McMillan, précité, à la p. 168 (le juge Martin)):

[traduction] Évidemment, à moins que la tierce personne ne soit reliée au crime en cause par d'autres circonstances, la preuve de la prédisposition de cette personne à commettre l'infraction est inadmissible en raison de l'absence de valeur probante. Par exemple, si A est accusé d'avoir tué X, la preuve que B a une propension ou une prédisposition à la violence est, en l'absence d'un lien quelconque avec l'infraction alléguée, inadmissible pour établir que B est le meurtrier parce qu'elle n'a en soi aucune valeur probante quant à la probabilité que B ait commis l'infraction. Si, toutefois, il est établi que A, B et X vivaient tous sous le même toit lorsque X a été tué, et que B avait un motif de tuer X, alors la preuve que B avait une propension à la violence pourrait avoir une valeur probante quant à la question de savoir si c'est B, et non A, qui a tué X, et cette preuve serait donc admissible.

Voir également McMillan c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 824, à la p. 828, et R. c. Williams (1985), 18 C.C.C. (3d) 356 (C.A. Ont.), à la p. 366.

Dans l'affaire Scopelliti, précitée, l'accusé était inculpé de meurtre. Il a témoigné avoir agi en état de légitime défense et a cherché à présenter une preuve de la moralité de la victime ou de sa prédisposition à la violence afin d'étayer sa prétention que c'est elle qui était l'agresseur. Le juge Martin de la Cour d'appel déclare, à la p. 496:

[traduction] Je conviens, bien sûr, que la preuve d'actes de violence commis antérieurement par la victime, à l'insu de l'accusé, doit être limitée à la preuve des actes de violence antérieurs qui peuvent légitimement et raisonnablement aider le jury à rendre un verdict juste eu égard à l'état de légitime défense invoqué par l'accusé. Toutefois, exclure une preuve produite par l'accusé qui est pertinente pour prouver son innocence ne serait pas, à mon avis, dans l'intérêt de la justice.

Étant donné que la preuve d'actes de violence commis antérieurement par la victime est susceptible d'éveiller un sentiment d'hostilité à son égard, la question de savoir si, compte tenu de la fin à laquelle elle est offerte, cette preuve est suffisamment probante pour en justifier l'admission nécessite forcément l'exercice d'un certain pouvoir discrétionnaire. De plus, il faut bien prendre soin de s'assurer que cette preuve ne soit pas mal utilisée si elle est admise.

Voir également R. c. Yaeck (1991), 68 C.C.C. (3d) 545 (C.A. Ont.), à la p. 563, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1992] 1 R.C.S. xii; et R. c. McMillan, précité, à la p. 167.

On ne conteste pas qu'il est possible d'exclure une preuve logiquement probante lorsque sa valeur probante est faible et que son effet préjudiciable sur l'équité du procès est important. Toutefois, les tribunaux hésitent à exclure une preuve que produit un accusé pour se défendre: R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, à la p. 611 (le juge McLachlin):

Les tribunaux canadiens, comme ceux de la plupart des ressorts de common law, ont beaucoup hésité à restreindre le pouvoir de l'accusé de présenter une preuve à l'appui de sa défense, cette hésitation tenant du principe fondamental de notre système judiciaire selon lequel une personne innocente ne doit pas être déclarée coupable.

La preuve de la moralité d'un tiers ou de sa prédisposition à la violence est admissible même si elle ne se rapporte qu'à un seul événement; voir, par exemple, les arrêts Yaeck, précité, à la p. 564, et R. c. Kendall (1987), 35 C.C.C. (3d) 105 (C.A. Ont.), à la p. 125.

Dans le présent pourvoi, l'appelant a présenté une preuve, sur laquelle le jury aurait pu se fonder, à l'appui de sa prétention que c'est Semester qui a poignardé Heffern. Comme je l'ai déjà souligné, il y avait une preuve du casier judiciaire de Semester ainsi qu'une preuve le reliant à l'agression à coups de couteau contre Day.

Il y a peu de doute que la preuve était suffisamment probante pour en justifier l'admission et l'utilisation par l'appelant dans le but d'établir que Semester avait brandi un couteau dans le passé et qu'il était donc susceptible d'avoir poignardé Heffern. Si le jury y ajoutait foi, cette preuve était susceptible d'étayer le moyen de défense de l'appelant selon lequel c'était Semester qui avait poignardé Heffern, compte tenu notamment du fait que les agressions à coups de couteau contre Heffern et Day étaient très rapprochées dans le temps.

Après avoir dit que l'accusé avait un casier judiciaire, le juge du procès s'est adressé aux jurés dans les termes suivants:

[traduction] Et je dois vous avertir que vous ne devez pas vous servir des déclarations de culpabilité antérieures comme preuve que l'accusé a commis un crime qui lui est maintenant reproché. Vous ne devez pas conclure que, parce que l'accusé a été déclaré coupable d'autres crimes, il est prédisposé à en commettre de nouveaux. Vous ne pouvez en tenir compte, comme je l'ai dit, que pour juger de la crédibilité de l'accusé et vous déciderez quel poids, s'il y a lieu, devrait être accordé au casier judiciaire de l'accusé sous ce rapport.

Cette directive était appropriée. Il n'est généralement pas loisible au ministère public de présenter une preuve de la moralité de l'accusé dans le but de laisser entendre qu'il est susceptible d'avoir commis l'infraction qui lui est reprochée.

Cependant, la même règle ne s'applique pas à la preuve de la moralité d'un tiers comme Semester. Malheureusement, il se peut que le juge du procès ait semé la confusion dans l'esprit du jury sur ce point lorsqu'elle a affirmé:

[traduction] . . . comme je vous l'ai dit, le fait que le témoin ait un casier judiciaire est l'un des facteurs dont vous pouvez tenir compte pour juger de sa crédibilité et pour décider du poids que vous voulez accorder à cette preuve. Mais cela ne signifie pas qu'il n'est pas un témoin digne de foi si, à votre avis, il est crédible.

Il se peut qu'en mentionnant les directives qu'elle avait données précédemment au sujet de l'accusé le juge du procès ait amené à tort le jury à supposer que la preuve de la moralité de Semester ne pouvait servir de preuve de sa prédisposition. Des directives appropriées en l'espèce ne causeraient pas toute cette confusion. S'il acceptait la preuve de la moralité de Semester, le jury était en droit de prendre en considération cette preuve à l'appui de la thèse de la défense selon laquelle il y avait un doute raisonnable que c'était Semester, plutôt que l'appelant, qui avait poignardé Heffern. D'après les faits de la présente affaire, il se pourrait que le jury n'ait pas su qu'il pouvait, à cette fin, se fonder sur cette preuve.

On s'attend à ce que les avocats aident le juge du procès à s'assurer que l'exposé au jury soit complet. Il est regrettable que l'avocat de l'appelant n'ait pas soulevé cette question devant le juge du procès. Toutefois, la thèse de la défense découlait naturellement et nettement de la preuve et l'accusé avait droit à ce que le jury reçoive des directives à cet égard (R. c. Squire, [1977] 2 R.C.S. 13, à la p. 19 (le juge Spence)):

C'est, évidemment, le devoir du juge de première instance de soumettre au jury, dans ses instructions, tout moyen dont l'accusé peut se prévaloir et qui ressort de la preuve, que l'avocat de l'accusé ait décidé ou non de recourir à ce moyen dans son exposé au jury . . .

Voir également MacAskill c. The King, [1931] R.C.S. 330, à la p. 335.

L'omission de l'avocat de l'accusé de s'opposer, au procès, à un exposé au jury n'est pas déterminante quant à l'applicabilité de la «disposition réparatrice» du Code criminel qu'est le sous‑al. 686(1)b)(iii): voir R. c. Chambers, [1990] 2 R.C.S. 1293, aux pp. 1319 et 1320.

B.La question de la fuite

Il est bien établi que la culpabilité peut s'inférer d'un élément de preuve circonstancielle comme la fuite des lieux du crime ou le fait d'avoir menti relativement à l'infraction en cause. Dans son exposé au jury, le juge du procès doit toutefois prendre soin de s'assurer que la preuve de la fuite ne soit pas mal utilisée. Le jury qui n'a pas reçu de directives appropriées risque de se servir à tort de cette preuve pour conclure immédiatement à la culpabilité; voir McCormick on Evidence, op. cit., vol. 2, par. 263, à la p. 182:

[traduction] . . . dans bien des cas, l'inférence d'une conscience de culpabilité du crime en question est si incertaine et ambiguë, et la preuve si préjudiciable, que force est de se demander si la preuve ne vise pas à punir les «méchants» en général plutôt qu'à résoudre la question de la culpabilité de l'infraction reprochée.

Dans l'arrêt Gudmondson c. The King (1933), 60 C.C.C. 332 (C.S.C.), l'appelant était accusé d'homicide involontaire coupable. Notre Cour a conclu, aux pp. 332 et 333, que le juge du procès n'avait pas donné au jury des directives appropriées concernant le fait que l'appelant ne s'était pas arrêté pour prêter secours aux blessés:

[traduction] Alors, les remarques du juge, concernant le comportement que l'accusé a adopté en poursuivant son chemin sans s'arrêter pour s'informer du sort des malheureuses victimes, visaient à donner une idée erronée de l'importance de ce comportement pour les fins en cause et de sa force probante.

S'étant exprimé comme il l'a fait à ce sujet, le juge aurait dû à tout le moins avertir les jurés que ce comportement, si répréhensible soit‑il, pouvait n'avoir qu'une incidence indirecte sur la question qui leur était soumise. [. . .] [I]l aurait dû leur dire qu'ils devaient réfléchir très longuement avant d'imputer à l'accusé une conscience de culpabilité pour des actes qui, après réflexion, pourraient leur paraître explicables par la panique.

Force nous est donc de conclure que, dans l'ensemble, l'exposé au jury était susceptible de créer des impressions qui pourraient empêcher un examen judiciaire des moyens de défense par le jury, ou militer gravement contre un tel examen.

Dans la présente affaire, on a dit clairement au jury qu'il arrive parfois à certaines personnes de s'enfuir des lieux d'un crime sous l'effet de la panique, même si elles sont totalement innocentes. Dans certaines circonstances cependant, la directive donnée dans l'arrêt Gudmondson sera insuffisante et le jury devrait en recevoir d'autres. C'est le cas en l'espèce. L'appelant a avoué avoir commis une infraction, celle de voies de fait simples, mais il a nié en avoir commis une autre, celle de voies de fait graves. Il s'agit donc de déterminer si la preuve de la fuite pourrait justifier une conclusion de culpabilité à l'égard de cette dernière infraction, plutôt qu'à l'égard de la première.

Une situation semblable s'est présentée dans l'affaire United States c. Myers, 550 F.2d 1036 (5e Cir. 1977). L'accusé était recherché pour deux vols qualifiés, l'un commis en Pennsylvanie et l'autre en Floride. La décision publiée concerne le dernier vol. Il y avait une preuve que l'accusé avait pris la fuite lorsque des agents du FBI s'étaient approchés de lui. Après avoir examiné le droit applicable et fait sien le point de vue exprimé dans McCormick on Evidence (2e éd. 1972), par. 271, à la p. 655, le juge Clark a conclu qu'il convenait d'examiner s'il y avait suffisamment d'éléments de preuve pour tirer quatre conclusions:

(1) du comportement de l'accusé à la fuite,

(2) de la fuite à la conscience de culpabilité,

(3) de la conscience de culpabilité à la conscience de culpabilité de l'infraction reprochée,

(4) de la conscience de culpabilité de l'infraction reprochée à la culpabilité réelle de cette infraction.

Le juge Clark a conclu qu'il n'était pas possible de tirer la troisième conclusion. Comme l'accusé savait qu'il était recherché pour un vol qualifié commis en Pennsylvanie, il était possible qu'il se soit enfui uniquement parce qu'il se savait coupable de cette infraction, et non du vol commis en Floride. Pour constituer un élément utile, la fuite doit donner lieu à une conclusion de conscience de culpabilité d'une infraction précise.

Le critère énoncé dans l'arrêt Myers apporte un éclairage utile quant aux conclusions qu'il est possible de tirer de la preuve de la fuite d'un accusé (ou d'autres indices possibles d'une conscience de culpabilité, tel le mensonge). Cette preuve ne peut servir à indiquer l'existence d'une conscience de culpabilité que si elle se rapporte à une infraction précise. Par conséquent, lorsque le comportement de l'accusé peut s'expliquer tout autant par une conscience de culpabilité de deux infractions ou plus, et que l'accusé a reconnu sa culpabilité à l'égard d'une seule ou de plusieurs parmi ces infractions, le juge du procès devrait donner comme directive au jury que cette preuve n'a aucune valeur probante relativement à une infraction précise.

Ces principes peuvent s'appliquer aux faits du présent pourvoi. Le juge du procès a simplement dit au jury qu'il arrive souvent que des gens parfaitement innocents s'enfuient des lieux d'un crime. S'étant exprimée comme elle l'a fait à ce sujet, le juge aurait également dû dire au jury qu'étant donné que la fuite de l'appelant était tout aussi compatible avec les voies de fait simples qu'avec les voies de fait graves, elle ne pouvait constituer une preuve de culpabilité de cette dernière infraction. Toute conclusion à tirer de la fuite disparaît lorsqu'il est possible, comme en l'espèce, d'en fournir une explication.

Le jury aurait dû être averti de ne tirer aucune conclusion de la fuite. La directive du juge du procès selon laquelle même des personnes innocentes peuvent parfois s'enfuir des lieux d'un crime était insuffisante compte tenu du fait que l'appelant a avoué avoir commis des voies de fait simples en frappant Heffern à coups de poing et qu'il avait donc des raisons de s'enfuir. La question n'était pas de savoir si l'appelant s'est enfui parce qu'il était coupable ou parce qu'il a été pris de panique même s'il était innocent. Il s'agissait plutôt de savoir si la fuite de l'appelant indiquait une conscience de culpabilité découlant du fait qu'il avait poignardé Heffern ou du fait qu'il l'avait frappé à coups de poing. Or, la preuve ne pouvait avoir de valeur probante à ce sujet.

C.L'applicabilité du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel

Les principes et les critères qui doivent être appliqués sous le régime de la «disposition réparatrice» qu'est le sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel sont bien établis en jurisprudence. Cette disposition impose au ministère public l'obligation de justifier le refus de tenir un nouveau procès malgré l'existence d'une erreur commise par l'instance inférieure. Même si cette justification est une condition préalable à l'application de la disposition réparatrice, elle ne la rend pas obligatoire. Dans l'arrêt Colpitts c. The Queen, [1965] R.C.S. 739, à la p. 744, on a dit que le critère applicable consistait à se demander si [traduction] «le verdict aurait nécessairement été le même si cette erreur ne s'était pas produite». Voir également Wildman c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 311, aux pp. 328 et 329; R. c. S. (P.L.), [1991] 1 R.C.S. 909, à la p. 919; R. c. Broyles, [1991] 3 R.C.S. 595, à la p. 620; R. c. B. (F.F.), [1993] 1 R.C.S. 697, aux pp. 736 et 737; et R. c. Bevan, [1993] 2 R.C.S. 599, à la p. 617.

Vu l'effet cumulatif des erreurs, je suis d'avis que la disposition réparatrice est inapplicable en l'espèce. Il existe une possibilité que le verdict du jury eut été différent en l'absence des erreurs du juge du procès.

Le jury n'a pas reçu de directives appropriées quant à l'usage qui pouvait être fait de la preuve présentée par l'appelant au sujet de la propension de Semester à la violence, qui ressortait de sa déclaration antérieure de culpabilité de vol à main armée, ainsi que de la preuve qui le reliait à l'agression à coups de couteau commise contre Day une demi‑heure avant celle dont Heffern avait été victime. Il ne suffisait pas que le juge du procès dise aux jurés qu'ils pouvaient examiner le casier judiciaire de Semester pour évaluer sa crédibilité à titre de témoin. Elle aurait dû également leur dire qu'ils pouvaient tenir compte de cette preuve relativement à la prétention de l'appelant que c'était Semester qui avait poignardé Heffern. S'il avait reçu des directives appropriées, le jury aurait pu avoir un doute raisonnable quant à la culpabilité de l'appelant.

Le juge du procès n'a pas non plus donné au jury des directives appropriées quant à l'usage qui pouvait être fait de la preuve du fait que l'appelant s'était enfui des lieux. Il ne suffisait pas de dire aux jurés qu'il arrive parfois à des personnes parfaitement innocentes de s'enfuir des lieux d'un crime. De son propre aveu, l'appelant n'était pas totalement innocent; il a admis avoir frappé Heffern à coups de poing. Le juge du procès aurait dû dire au jury que la fuite de l'appelant était tout aussi compatible avec les voies de fait simples qu'avec les voies de fait graves, et qu'elle ne pouvait donc pas justifier une conclusion de conscience de culpabilité à l'égard de cette dernière infraction. Étant donné que le juge n'a pas donné au jury des directives en ce sens, il y a un risque que le jury ait erronément conclu de la preuve que l'appelant a pris la fuite parce qu'il était coupable d'avoir poignardé Heffern. Puisque le jury aurait pu arriver à un verdict différent s'il avait reçu des directives appropriées, la disposition réparatrice ne peut s'appliquer.

V.Conclusion

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.

Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné.

Procureurs de l'appelant: Ruby & Edwardh, Toronto.

Procureur de l'intimée: Le procureur général de l'Ontario, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : [1994] 1 R.C.S. 129 ?
Date de la décision : 27/01/1994
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné

Analyses

Droit criminel - Preuve - Propension d'un tiers à la violence - Exposé au jury - Accusation de voies de fait graves portée à la suite d'une agression à coups de couteau - Thèse de la défense selon laquelle l'agression à coups de couteau est le fait d'un tiers - Production par la défense d'une preuve indiquant qu'un tiers, déjà déclaré coupable de vol à main armée, avait poignardé une autre personne plus tôt ce soir-là - Le juge du procès a‑t‑il donné au jury des directives appropriées sur l'usage qui devait être fait de la preuve de la défense concernant la propension du tiers à la violence? - Y a‑t‑il lieu d'appliquer la disposition réparatrice du Code criminel? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 686(1)b)(iii).

Droit criminel - Preuve - Conscience de culpabilité - Fuite des lieux du crime - Exposé au jury - Accusation de voies de fait graves portée à la suite d'une agression à coups de couteau - L'accusé a avoué avoir frappé la victime à coups de poing mais a témoigné que l'agression à coups de couteau était le fait d'un tiers - Le juge du procès a‑t‑il donné au jury des directives appropriées sur les conclusions à tirer du fait que l'accusé s'était enfui des lieux du crime? - Y a‑t‑il lieu d'appliquer la disposition réparatrice du Code criminel? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 686(1)b)(iii).

L'accusé a été inculpé de voies de fait graves relativement à une agression à coups de couteau survenue au cours d'une bagarre. Au procès, l'accusé a avoué avoir assené plusieurs coups de poing à la victime mais a témoigné avoir pris la fuite lorsqu'il a vu S, une autre personne sur les lieux, poignarder la victime dans le dos. La défense a présenté une preuve reliant S à une agression à coups de couteau survenue près de là, plus tôt le même soir, et une preuve montrant que S avait un casier judiciaire pour introduction par effraction, vol, violation des conditions d'une ordonnance de probation et vol à main armée au cours duquel une arme à feu et un couteau avaient été brandis. Dans son témoignage, S a nié avoir participé aux deux agressions à coups de couteau et avoir été armé au cours du vol à main armée. Plusieurs témoins de la bagarre ont corroboré la version des faits de l'accusé mais, selon la thèse du ministère public, ces témoins, tous amis de l'accusé, ont fabriqué leurs récits en vue de rejeter le blâme sur S. Le juge du procès a, dans ses directives au jury, dit que le casier judiciaire de S était pertinent eu égard à la question de sa crédibilité à titre de témoin. Elle a également dit au jury que la preuve de la fuite de l'accusé était un facteur à prendre en considération en rendant son verdict, mais que cette preuve n'était pas concluante puisqu'il arrive parfois que des personnes innocentes s'enfuient des lieux d'un crime. Au procès, l'avocat de la défense ne s'est pas opposé à l'exposé du juge sur ces questions. L'accusé a été reconnu coupable de voies de fait graves et la Cour d'appel à la majorité a confirmé sa déclaration de culpabilité.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné.

Le juge du procès n'a pas donné au jury des directives appropriées quant à l'usage qui pouvait être fait de la preuve présentées par l'accusé au sujet de la mauvaise moralité de S ou de sa propension à la violence. La preuve de sa déclaration antérieure de culpabilité de vol à main armée et de son lien avec la première agression à coups de couteau était suffisamment probante pour en justifier l'admission et l'utilisation dans le but d'établir que S avait brandi un couteau dans le passé et qu'il était donc susceptible d'avoir poignardé la victime. Il se peut toutefois que les directives du juge du procès, suivant lesquelles le jury pouvait examiner le casier judiciaire de S pour évaluer sa crédibilité à titre de témoin, aient amené à tort le jury à supposer que la preuve de la moralité de S ne pouvait servir de preuve de sa prédisposition. Pour éviter toute confusion en l'espèce, le juge du procès aurait dû également dire au jury que, s'il acceptait la preuve de la moralité de S, il était en droit de prendre en considération cette preuve à l'appui de la thèse de la défense selon laquelle il y avait un doute raisonnable que c'était S, plutôt que l'accusé, qui avait poignardé la victime. D'après les faits de la présente affaire, il se pourrait que le jury n'ait pas su qu'il pouvait, à cette fin, se fonder sur cette preuve. Bien que l'avocat de l'accusé n'ait pas soulevé cette question devant le juge du procès, la thèse de la défense découlait naturellement et nettement de la preuve et l'accusé avait droit à ce que le jury reçoive des directives à cet égard. S'il avait reçu des directives appropriées, le jury aurait pu avoir un doute raisonnable quant à la culpabilité de l'accusé.

Le juge du procès n'a pas non plus donné au jury des directives appropriées quant à l'usage qui pouvait être fait de la preuve du fait que l'accusé s'était enfui des lieux. Pour constituer un élément utile, la fuite doit donner lieu à une conclusion de conscience de culpabilité d'une infraction précise. Lorsque le comportement de l'accusé peut s'expliquer tout autant par une conscience de culpabilité de deux infractions ou plus, et que l'accusé a reconnu sa culpabilité à l'égard d'une seule ou de plusieurs parmi ces infractions, le juge du procès devrait donner comme directive au jury que cette preuve n'a aucune valeur probante relativement à une infraction précise. Toute conclusion à tirer de la fuite disparaît lorsqu'il est possible d'en fournir une explication. En l'espèce, le jury aurait dû être averti de ne tirer aucune conclusion de la fuite. La directive du juge du procès selon laquelle même des personnes innocentes peuvent parfois s'enfuir des lieux d'un crime était insuffisante compte tenu du fait que l'accusé a avoué avoir commis des voies de fait simples en frappant la victime à coups de poing et qu'il avait donc des raisons de s'enfuir. Le juge du procès aurait dû dire au jury que, parce que la fuite de l'accusé était tout aussi compatible avec les voies de fait simples qu'avec les voies de fait graves, elle ne pouvait pas justifier une conclusion de conscience de culpabilité à l'égard de cette dernière infraction. Étant donné que le juge n'a pas donné au jury des directives en ce sens, il y a un risque que le jury ait erronément conclu de la preuve que l'accusé a pris la fuite parce qu'il était coupable d'avoir poignardé la victime.

Le sous‑alinéa 686(1)b)(iii) du Code criminel est inapplicable en l'espèce. Il existe une possibilité que le verdict du jury eut été différent en l'absence des erreurs du juge du procès. L'omission de l'avocat de la défense de s'opposer à un exposé au jury n'est pas déterminante quant à l'applicabilité de la disposition réparatrice du Code.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Arcangioli

Références :

Jurisprudence
Arrêt appliqué: United States c. Myers, 550 F.2d 1036 (1977)
arrêts mentionnés: R. c. Scopelliti (1981), 63 C.C.C. (2d) 481
R. c. McMillan (1975), 23 C.C.C. (2d) 160, conf. par [1977] 2 R.C.S. 824
R. c. Williams (1985), 18 C.C.C. (3d) 356
R. c. Yaeck (1991), 68 C.C.C. (3d) 545, autorisation de pourvoi refusée, [1992] 1 R.C.S. xii
R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577
R. c. Kendall (1987), 35 C.C.C. (3d) 105
R. c. Squire, [1977] 2 R.C.S. 13
MacAskill c. The King, [1931] R.C.S. 330
R. c. Chambers, [1990] 2 R.C.S. 1293
Gudmondson c. The King (1933), 60 C.C.C. 332
Colpitts c. The Queen, [1965] R.C.S. 739
Wildman c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 311
R. c. S. (P.L.), [1991] 1 R.C.S. 909
R. c. Broyles, [1991] 3 R.C.S. 595
R. c. B. (F.F.), [1993] 1 R.C.S. 697
R. c. Bevan, [1993] 2 R.C.S. 599.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 686(1)b)(iii) [mod. ch. 27 (1er suppl.), art. 145(1)
mod. 1991, ch. 43, art. 9 (ann., art. 8)].
Doctrine citée
McCormick, Charles Tilford. McCormick on Evidence, 4th ed. By John William Strong, General Editor. St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1992.
Sopinka, John, Sidney N. Lederman and Alan W. Bryant. The Law of Evidence in Canada. Toronto: Butterworths, 1992.
Wigmore, John Henry. A Treatise on the Anglo‑American System of Evidence in Trials at Common Law, vol. 1, 3rd ed. Boston: Little Brown & Co., 1940.

Proposition de citation de la décision: R. c. Arcangioli, [1994] 1 R.C.S. 129 (27 janvier 1994)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1994-01-27;.1994..1.r.c.s..129 ?
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