R. c. Frazer, [1993] 2 R.C.S. 866
David Brian Frazer Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
Répertorié: R. c. Frazer
No du greffe: 22936.
1993: 1er mars; 1993: 12 août.
Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1992), 8 O.R. (3d) 57, 55 O.A.C. 194, qui a accueilli l'appel interjeté contre l'arrêt des procédures imposé par le juge Kerr, et ordonné la tenue d'un nouveau procès. Pourvoi rejeté.
Max Epstein, pour l'appelant.
David Butt et Eric Siebenmorgen, pour l'intimée.
//Le juge McLachlin//
Version française des motifs du juge en chef Lamer et des juges McLachlin et Major rendus par
Le juge McLachlin — Pour les motifs exposés dans l'arrêt R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S. 000, je suis d'avis que tout le délai écoulé en l'espèce doit faire l'objet d'un examen fondé sur l'al. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Appliquant l'al. 11b), j'estime que le présent pourvoi doit échouer.
Le 21 décembre 1988, l'appelant a été accusé de conduite avec facultés affaiblies causant la mort et de conduite d'un véhicule à moteur lorsque son alcoolémie dépassait quatre‑vingts milligrammes d'alcool par cent millilitres de sang. À la suite de l'enquête préliminaire, la date du procès a été fixée au 2 octobre 1989. Le procès a dû être ajourné deux fois. Le premier ajournement a eu lieu parce que l'avocat de la défense n'était pas disponible. Le deuxième ajournement a eu lieu parce que l'un des témoins à charge n'était pas disponible. Il a été difficile de fixer une nouvelle date du procès et de procéder à son instruction parce que des affaires plus anciennes et concernant des personnes détenues avaient la priorité. On a bien essayé d'entendre l'affaire en juillet 1990, mais le juge qui avait cru cela possible n'a pas été disponible par la suite. La date du procès a été fixée au 8 novembre 1990. Ce jour‑là, l'appelant a obtenu un arrêt des procédures pour le motif qu'il y avait eu atteinte au droit d'être jugé dans un délai raisonnable que lui garantit la Charte. Le ministère public a interjeté appel et, le 11 mars 1992, la Cour d'appel a annulé l'arrêt des procédures et ordonné que l'appelant subisse son procès. Devant la Cour d'appel, ce dernier a fait valoir que l'appel devrait être rejeté en raison du délai d'appel imputable au ministère public. La Cour d'appel a entendu des plaidoiries complètes sur ce point, mais elle a refusé de le trancher pour le motif que les questions relatives à la Charte devraient être tranchées par le juge de première instance — (1992), 8 O.R. (3d) 57.
Il s'est écoulé 22 mois entre le dépôt de l'accusation et le début du procès. La longueur du délai justifie un examen. Une partie de ce délai, soit quatre mois, est due au fait que l'avocat de la défense n'était pas disponible pour la première date du procès qui avait été fixée. Une autre partie du délai, soit trois mois, est imputable au ministère public du fait qu'il a demandé un ajournement parce qu'un témoin, l'agent chargé de l'enquête, n'était pas disponible. L'appelant n'a présenté aucune preuve de l'existence d'un préjudice. L'appelant n'était ni détenu ni assujetti à des conditions restrictives de liberté sous caution durant la période qui a précédé le procès.
Reste la question du délai d'appel postérieur au procès. En supposant que notre Cour a été dûment saisie de la preuve du délai (l'accusé n'a présenté aucune requête visant la production de nouveaux éléments de preuve), je ne conclus pas que le délai écoulé en l'espèce viole les droits que l'al. 11b) de la Charte garantit à l'accusé. En tout, 15 mois se sont écoulés entre le dépôt de l'avis d'appel et le moment où l'appel a été tranché. Le ministère public a mis sept mois à préparer les documents relatifs à l'appel. Il s'est écoulé un délai de six mois avant que le ministère public n'obtienne une date d'audition devant la Cour d'appel. Cela semble découler de trois facteurs: le dossier est passé des avocats principaux aux avocats adjoints et vice-versa, la charge de travail était anormalement lourde parce que le ministère public en appelait d'un bon nombre de décisions découlant de l'arrêt de notre Cour R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199, et la Cour d'appel a exigé de l'avocate du ministère public qu'elle complète son mémoire avant de pouvoir demander une date d'audition de l'appel. Comme je l'ai souligné dans R. c. Gallagher, [1993] 2 R.C.S. 000, il faut tenir compte de l'effet de l'arrêt Askov sur le ministère public et les cours de justice pour déterminer si le délai est raisonnable. Les conditions juridiques et sociales peuvent accroître la charge de travail à tel point que des délais plus longs sont inévitables. On ne peut pas s'attendre à ce que le système juridique s'ajuste immédiatement pour répondre aux augmentations soudaines ou à court terme du nombre d'affaires. Aucune preuve n'a porté sur la nature du préjudice subi par l'appelant. Même si, en l'espèce, le ministère public aurait peut‑être pu faire preuve de plus de diligence et d'efficacité, je ne crois pas que le délai était déraisonnable compte tenu de toutes les circonstances.
Vu les raisons du délai et l'importance du préjudice subi, je conclus que le délai écoulé en l'espèce ne viole pas les droits que l'al. 11b) garantit à l'appelant.
Je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l'ordonnance enjoignant de poursuivre le procès.
//Le juge La Forest//
Version française des motifs rendus par
Le juge La Forest — À l'instar de mes collègues, je ne crois pas que le délai écoulé en l'espèce était déraisonnable et je suis donc d'avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l'ordonnance enjoignant de poursuivre le procès. Dans les motifs que j'ai rédigés dans l'arrêt R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S. 000, j'ai exposé mon point de vue sur l'interaction de l'art. 7 et de l'al. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés.
//Le juge Sopinka//
Version française du jugement des juges Sopinka, Cory et Iacobucci rendu par
Le juge Sopinka — J'ai lu les motifs de jugement que ma collègue le juge McLachlin a rédigés en l'espèce. Je suis d'accord avec le juge McLachlin pour dire que, compte tenu des facteurs pertinents qui doivent être considérés d'après les arrêts R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199, et R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771, le délai écoulé entre le dépôt de l'accusation et l'arrêt des procédures n'était pas déraisonnable.
Quant au délai d'appel, l'al. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés ne s'applique pas pour les motifs que j'ai exposés dans l'arrêt R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S. 000. Une réparation peut cependant être demandée en vertu de l'art. 7 de la Charte. À cet égard, je suis d'accord avec la conclusion du juge McLachlin que le délai n'était pas déraisonnable et n'a causé aucun préjudice réel. Dans les circonstances, on n'a établi l'existence d'aucune injustice susceptible de déclencher l'application de l'art. 7.
Pourvoi rejeté.
Procureur de l'appelant: Max Epstein, Toronto.
Procureur de l'intimée: Le procureur général de l'Ontario, Toronto.