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25/03/1993 | CANADA | N°[1993]_1_R.C.S._941

Canada | Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du canada, [1993] 1 R.C.S. 941 (25 mars 1993)


canada (procureur général) c. alliance de la fonction publique du canada, [1993] 1 R.C.S. 941

Le procureur général du Canada Appelant

c.

Alliance de la Fonction publique du Canada Intimée

répertorié: canada (procureur général) c. alliance de la fonction publique du canada

No du greffe: 22295.

1992: 12 novembre; 1993: 25 mars.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin and Iacobucci.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fÃ

©dérale, [1991] 1 C.F. 428, 124 N.R. 379, qui a confirmé une déclaration de la Commission des relations de travail dan...

canada (procureur général) c. alliance de la fonction publique du canada, [1993] 1 R.C.S. 941

Le procureur général du Canada Appelant

c.

Alliance de la Fonction publique du Canada Intimée

répertorié: canada (procureur général) c. alliance de la fonction publique du canada

No du greffe: 22295.

1992: 12 novembre; 1993: 25 mars.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin and Iacobucci.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1991] 1 C.F. 428, 124 N.R. 379, qui a confirmé une déclaration de la Commission des relations de travail dans la fonction publique faite relativement à un renvoi. Pourvoi rejeté.

Eric A. Bowie, c.r., et Harvey A. Newman, pour l'appelant.

Andrew J. Raven, pour l'intimée.

//Le juge Cory//

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Sopinka, Cory et Iacobucci rendu par

Le juge Cory — Deux questions sont à trancher dans le présent pourvoi. Il s'agit de déterminer en premier lieu, si la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la «Commission») avait compétence pour statuer sur le renvoi dont l'a saisie l'intimée et, en second lieu, à supposer qu'elle ait eu cette compétence, si elle a rendu une décision manifestement déraisonnable lorsqu'elle a statué que l'appelant a violé sa convention collective avec l'intimée en confiant à des entrepreneurs de l'extérieur le travail de saisie de données jusque‑là accompli par les membres de l'unité de négociation.

Les faits

Le 18 avril 1985, le gouvernement du Canada a donné son approbation à une Politique concernant le réaménagement des effectifs, qu'a acceptée le Conseil national mixte de la fonction publique. Cette politique énonçait un programme complet destiné à faciliter la réaffectation et, au besoin, le recyclage des employés nommés pour une période indéterminée touchés par le manque de travail ou par la suppression de certaines fonctions assurées par l'État. La politique a par la suite été incorporée dans la convention collective conclue avec l'intimée. Le texte de la politique revêt donc une importance particulière, d'où la nécessité d'en faire un exposé plutôt détaillé.

D'après la politique, des cas de réaménagement des effectifs peuvent survenir dans la fonction publique pour différentes raisons et, comme conséquence directe d'une telle situation, la direction d'un ministère peut juger que les services d'un ou de plusieurs employés nommés pour une période indéterminée ne seront plus requis après une certaine date. La politique vise à réduire au minimum les effets d'un réaménagement des effectifs sur les employés nommés pour une période indéterminée. L'article 1.3 de la politique est ainsi conçu:

La présente politique a pour but de réduire au minimum les répercussions d'un RÉAMÉNAGEMENT DES EFFECTIFS sur les employés nommés pour une période indéterminée et de faire en sorte que, dans la mesure du possible, d'autres possibilités d'emploi soient offertes aux EMPLOYÉS TOUCHÉS.

Suivant l'article 1.8, «[l]'exécution de cette politique implique le Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT), la Commission de la Fonction publique (CFP), les ministères et organismes, les agents négociateurs et les employés». Il porte en outre:

Les fonctionnaires touchés par un RÉAMÉNAGEMENT DES EFFECTIFS ne sont pas eux‑mêmes responsables de cette situation. En conséquence, il incombe à la direction de s'assurer que les EMPLOYÉS TOUCHÉS sont traités de façon équitable et qu'on leur offre une possibilité raisonnable de poursuivre leur carrière dans la Fonction publique.

Les termes «employés touchés» et «réaménagement des effectifs» sont ainsi définis:

EMPLOYÉS TOUCHÉS: Les employés nommés pour une période indéterminée dont les services ne seront plus requis en raison d'un RÉAMÉNAGEMENT DES EFFECTIFS.

RÉAMÉNAGEMENT DES EFFECTIFS: Cette situation se produit lorsqu'un sous‑chef ou son AGENT DÉLÉGUÉ décide que les services d'un ou de plusieurs employés nommés pour une période indéterminée ne seront plus requis au delà d'une certaine date en raison d'un manque de travail ou de la suppression d'une fonction. Un RÉAMÉNAGEMENT DES EFFECTIFS est considéré comme important lorsqu'au moins dix employés nommés pour une période indéterminée dans un ministère, dans un ou plusieurs lieux de travail, sont touchés au même moment.

L'objet fondamental de la politique, énoncé à l'art. 3, consiste à:

. . . réaffecter, dans la mesure du possible, à un poste vacant de la Fonction publique, les employés nommés pour une période indéterminée dont les services ne sont plus requis en raison d'un manque de travail ou de la suppression d'une fonction.

L'obligation incombant aux ministères est exposée sous la rubrique «Rôles et responsabilités» et les exigences en matière de planification des ressources humaines sont énoncées aux art. 5 et 6 de la politique:

5.1 Les ministères doivent:

. . .

5.1.2 revoir la façon dont ils utilisent les services des employés nommés pour une période déterminée et les marchés de services, et y mettre fin si cela est de nature à faciliter la RÉAFFECTATION des EMPLOYÉS TOUCHÉS, des EMPLOYÉS EXCÉDENTAIRES et des PERSONNES MISES EN DISPONIBILITÉ;

. . .

6. PLANIFICATION DES RESSOURCES HUMAINES

. . .

6.2 Voici quelques‑uns des facteurs dont il faut tenir compte au moment d'établir un plan d'utilisation des ressources humaines:

. . .

d) les possibilités de placement qui résulteraient de la fin des nominations pour une période déterminée et (ou) des marchés de services;

La Politique concernant le réaménagement des effectifs a été incorporée dans une convention cadre conclue par le Conseil du Trésor et l'intimée, laquelle devait venir à expiration le 30 juin 1988. La convention cadre faisait partie de la convention collective des préposés au traitement des données du ministère du Revenu national, Douanes et Accise.

En mai 1985, le ministre des Finances a prévu la suppression de 15 000 années‑personnes dans la fonction publique sur une période de cinq ans. Afin de réduire le nombre de ses années‑personnes, le ministère du Revenu national, Douanes et Accise, a confié à des entrepreneurs de l'extérieur le travail de 270 préposés au traitement des données, travaillant à divers endroits au Canada.

L'AFPC intimée a déposé un «renvoi» en vertu de la disposition qui est devenue l'art. 99 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P‑35 (la «LRTFP»). Elle soutenait que l'impartition des services de saisie des données allait à l'encontre de l'art. 5.1.2 et de l'al. 6.2d) de la Politique concernant le réaménagement des effectifs et violait en conséquence le par. M‑37.03(28) de la convention cadre intervenue entre les parties. L'intimée a fait valoir en somme que le ministère ne pouvait confier le travail à des entrepreneurs de l'extérieur s'il en résultait une violation de la Politique concernant le réaménagement des effectifs, qui faisait partie de la convention collective.

L'appelant a opposé une exception préliminaire au renvoi, prétendant que la Commission des relations de travail dans la fonction publique n'avait pas compétence en la matière. Dans une décision préliminaire en date du 23 juin 1989, la Commission s'est déclarée compétente pour connaître du renvoi et a rejeté l'exception. Dans sa décision définitive datée du 13 mars 1990, la Commission s'est prononcée en faveur de l'intimée. L'appelant a porté cette décision en appel devant la Cour d'appel fédérale en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F‑7, modifiée, mais a été débouté: [1991] 1 C.F. 428, 124 N.R. 379.

Les juridictions inférieures

La Commission des relations de travail dans la fonction publique

La Commission a conclu qu'elle avait compétence relativement au renvoi. Il existait, selon elle, deux procédures pour l'audition d'une question concernant l'interprétation d'une convention collective. La première est énoncée dans ce qui est maintenant l'art. 92 LRTFP, qui vise les griefs individuels des employés. La seconde, prévue à l'art. 99, s'applique à l'audition de ce qu'on pourrait qualifier de griefs de principe. La Commission a conclu que le problème faisant l'objet du renvoi présentait un caractère général et portait sur des questions de principe, de sorte que c'était à l'agent négociateur et non pas à chaque employé qu'il appartenait de faire le grief. L'obligation de l'employeur que l'intimée cherchait à faire exécuter n'était pas une obligation envers un employé en particulier mais bien envers l'ensemble des employés. Il s'ensuivait donc qu'un employé n'aurait pas pu demander l'exécution de l'obligation incombant à l'employeur «de revoir la façon dont il utilise les [marchés de] services».

Sur la question de fond, la Commission est arrivée à la conclusion que la politique avait pour but de protéger les employés nommés pour une période indéterminée contre les conséquences de changements importants apportés à la structure de la fonction publique fédérale. D'après la Commission, le recours à des employés contractuels pour le travail de saisie de données violait la convention collective. À son avis, la politique obligeait l'employeur à réexaminer l'impartition et, lorsque c'était possible, à y mettre fin afin de préserver les emplois des fonctionnaires nommés pour une période indéterminée au sein de la fonction publique. L'employeur a manqué à cette obligation.

La Cour d'appel fédérale, [1991] 1 C.F. 428

En ce qui concerne la question de la compétence, le juge Mahoney, au nom des juges majoritaires, a dit que la Commission a employé à mauvais escient l'expression «grief de principe», mais que c'est avec raison qu'elle s'est jugée compétente à l'égard de la question posée dans le cadre du renvoi. Il s'agissait en fait d'un grief qui allait plus loin que l'obligation envers chaque employé pris individuellement et qui concernait essentiellement l'«existence même» de l'unité de négociation.

Les majoritaires ont décidé en outre que la conclusion de la Commission sur la question de fond était appuyée par la preuve. Le juge Mahoney a convenu que l'employeur s'était conduit d'une manière qui violait à la fois la lettre et l'esprit de la Politique concernant le réaménagement des effectifs, dont le but, a‑t‑il fait remarquer, consistait à faciliter la réaffectation d'employés touchés, excédentaires ou mis en disponibilité. C'est pourquoi la politique prévoyait que l'employeur réexaminerait son utilisation des marchés de services et y mettrait fin si elle portait préjudice aux employés nommés pour une période indéterminée. La politique n'autorisait pas que des employés soient touchés, ou deviennent excédentaires ou mis en disponibilité par l'impartition du travail même qu'ils accomplissaient.

Dans ses motifs de dissidence, le juge Pratte, se bornant à la question de la compétence, a conclu à l'incompétence de la Commission pour décider la question faisant l'objet du renvoi. Selon lui, il ressortait de l'art 5.1 de la Politique concernant le réaménagement des effectifs que l'obligation de l'employeur «de ne pas recourir à l'impartition de façon à préjudicier aux employés nommés pour une période indéterminée [. . .] était manifestement assumée au bénéfice exclusif des employés» (aux pp. 435 et 436). Cela étant, la question renvoyée à la Commission ne pouvait relever du par. 99(1) LRTFP parce qu'elle concernait une obligation dont l'exécution pouvait faire l'objet de griefs présentés par chacun des employés intéressés.

Les dispositions législatives applicables

La Commission a été créée en vertu de la LRTFP. Les articles 11 à 27 traitent de la constitution, des pouvoirs et des fonctions de la Commission. Ses membres (commissaires) sont nommés par le gouverneur en conseil et exercent leurs fonctions à titre inamovible pendant la durée de leur mandat (art. 12). Ils sont choisis sur une liste de candidats proposés au président par l'employeur et par l'agent négociateur. On constate donc que la loi va loin pour ce qui est de veiller à l'indépendance et à la compétence des commissaires et de voir ainsi à ce que les parties à un différend aient confiance en eux.

Les décisions de la Commission bénéficient de la protection d'une clause privative de large portée, soit l'art. 101 LRTFP, qui porte:

101. (1) Sauf exception dans la présente loi, toute ordonnance, décision arbitrale ou autre, instruction ou déclaration de la Commission, d'un arbitre nommé en vertu de l'article 63 ou d'un arbitre de griefs est définitive et non susceptible de recours judiciaire.

(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire — notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action de la Commission, d'un arbitre nommé en vertu de l'article 63 ou d'un arbitre de griefs.

Le législateur a inclus cette clause privative expressément dans le but de s'assurer que les décisions de la Commission soient définitives et sans appel et que les cours de justice n'aient pas le pouvoir de les modifier à volonté.

Le législateur a investi la Commission de larges pouvoirs en ce qui a trait à l'examen et au règlement d'une grande variété de problèmes qui se posent dans le domaine des relations du travail. À titre d'exemple, l'art. 21 autorise la Commission à prendre des ordonnances relatives à l'observation de l'ensemble de la LRTFP et des règlements pris sous son régime. En outre, l'art. 22 lui confère de larges pouvoirs réglementaires dans plusieurs domaines, dont la détermination des unités habiles à négocier collectivement. Visiblement, le législateur a mis toute sa confiance dans la Commission et a cherché à protéger les décisions rendues par celle‑ci dans le domaine délicat et explosif qu'est celui des conflits de travail. La LRTFP a établi une Commission composée d'experts en matière de relations du travail. La Commission a pour but et pour vocation de régler les différends qui pourront naître entre le gouvernement fédéral et ses fonctionnaires. Pour qu'elle puisse atteindre cet objectif, il faut qu'elle rende ses décisions de façon expéditive et que celles‑ci soient définitives. C'est précisément pour leur assurer le caractère définitif tellement nécessaire dans ce domaine que les décisions de la Commission bénéficient de la protection d'une clause privative de large portée. Il faut toujours se rappeler que c'est le législateur qui a conçu l'idée d'une commission d'experts chargés de régler le plus rapidement et le plus définitivement possible les différends entre employés et employeurs. Les tribunaux devraient hésiter à s'ingérer dans les décisions de la Commission.

Il sera utile de garder présents à l'esprit les buts généraux de la LRTFP ainsi que ses dispositions particulières lorsque nous entreprendrons l'examen des questions soulevées par le présent pourvoi.

Les cours de justice et les tribunaux administratifs

Dans une société aussi complexe que la nôtre, l'existence de commissions et de tribunaux administratifs s'impose de plus en plus. En effet, l'expérience et les connaissances spécialisées de certaines commissions dépassent celles des cours de justice. Ces commissions permettent la résolution rapide de questions compliquées et, souvent, techniques. Généralement composés d'experts dans leur domaine, les tribunaux administratifs fonctionnent indépendamment du gouvernement. Les relations du travail et l'énergie sont deux excellents exemples de domaines où l'expertise d'un tribunal administratif se révèle inestimable.

L'évolution de l'attitude des cours de justice à l'égard des tribunaux administratifs a passé par trois étapes. La première est celle des affaires décidées antérieurement à l'arrêt de notre Cour Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227 («SCFP»). Ce sont l'arrêt SCFP lui‑même et le principe y énoncé qui marquent la deuxième étape, tandis que les décisions rendues postérieurement à l'arrêt SCFP représentent la dernière étape.

Jurisprudence antérieure à l'arrêt SCFP

La jurisprudence antérieure à l'arrêt SCFP est caractérisée par le contrôle rigoureux qu'exerçaient les cours de justice sur les tribunaux dits inférieurs, ce qui se manifestait par leur empressement à substituer leur opinion à celle du tribunal administratif. Cette position est énoncée, entre autres, dans Metropolitan Life Insurance Co. c. International Union of Operating Engineers, Local 796, [1970] R.C.S. 425, et Bell c. Ontario Human Rights Commission, [1971] R.C.S. 756. Dans chacun de ces arrêts la Cour a suivi le principe énoncé dans l'arrêt Anisminic Ltd. c. Foreign Compensation Commission, [1969] 2 A.C. 147. Ils ont tous adopté la position qu'une définition de l'erreur juridictionnelle devrait comprendre toute question qui se rattache à l'interprétation d'une loi faite par un tribunal administratif. Dans chaque cas, notre Cour a substitué à l'interprétation du tribunal administratif sa propre opinion quant à la bonne interprétation de la loi en cause. Ces arrêts ont donc considérablement élargi la portée du contrôle judiciaire.

L'arrêt SCFP

Dans l'affaire SCFP, il s'agissait d'une plainte, portée auprès de la Commission des relations de travail dans les services publics, qui reprochait à l'employeur de remplacer des grévistes par des cadres en contravention de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics, L.R.N.‑B. 1973, ch. P‑25, qui prévoyait que, durant une grève, «l'employeur ne doit pas remplacer les grévistes ou attribuer leurs postes à d'autres employés». La question en litige portait sur la compétence de la Commission pour interpréter le sens de l'expression «autres employés». Le juge Dickson (plus tard Juge en chef), s'exprimant au nom de la Cour, a fait remarquer l'ambiguïté de l'article en question. Il a ensuite énoncé la raison de protéger les décisions des tribunaux administratifs qui ont été prises conformément à leur compétence. Il écrit, aux pp. 235 et 236:

La commission est un tribunal spécialisé chargé d'appliquer une loi régissant l'ensemble des relations de travail. Aux fins de l'administration de ce régime, une commission n'est pas seulement appelée à constater des faits et à trancher des questions de droit, mais également à recourir à sa compréhension du corps jurisprudentiel qui s'est développé à partir du système de négociation collective, tel qu'il est envisagé au Canada, et à sa perception des relations de travail acquise par une longue expérience dans ce domaine.

Les raisons habituelles pour lesquelles les tribunaux évitent de réviser les décisions des commissions des relations de travail prennent encore plus de poids dans un cas comme celui‑ci. Ce n'est pas simplement à un organisme administratif que le législateur a donné un pouvoir de décision, mais à un organisme spécial et distinct, une Commission des relations de travail dans les services publics. Elle a de larges pouvoirs — plus étendus que ceux normalement conférés à pareil organisme — afin de surveiller et d'administrer le tout nouveau système de négociation collective créé par la Loi relative aux relations de travail dans les services publics. Cette loi établit un équilibre délicat entre le besoin de maintenir des services publics et le besoin de préserver la négociation collective. Pour atteindre ce double but, les membres de la Commission doivent donc faire preuve d'une grande sensibilité à ces questions et d'une habileté unique.

Le juge Dickson a ajouté que «non seulement la Commission n'est‑elle pas tenue de faire une interprétation «juste», mais encore a‑t‑elle le droit d'errer et pareille erreur ne sera pas susceptible de révision étant donné la protection offerte par la clause privative» (à la p. 236).

Quelle est donc alors la norme applicable? Il ne suffit pas que la décision soit entachée d'erreur. Comme l'a dit le juge Dickson dans l'arrêt SCFP, à la p. 237:

La Commission a‑t‑elle interprété erronément les dispositions législatives de façon à entreprendre une enquête ou à répondre à une question dont elle n'était pas saisie? Autrement dit, l'interprétation de la Commission est‑elle déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire? [Je souligne.]

Suivant l'arrêt SCFP, tant qu'il n'outrepasse pas sa compétence, un tribunal administratif perdra sa compétence seulement s'il agit d'une manière manifestement déraisonnable, principe qu'a appliqué uniformément la jurisprudence subséquente.

Jurisprudence ultérieure à l'arrêt SCFP

Se sont révélées particulièrement importantes deux affaires dans lesquelles le juge Beetz a rédigé les motifs de notre Cour. Dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412, l'employeur a présenté au Conseil canadien des relations du travail («CCRT») une requête dans laquelle il alléguait que le syndicat autorisait une grève illégale des employés qui étaient engagés dans un refus concerté de faire du travail supplémentaire. L'employeur a demandé au CCRT de déclarer la grève illégale et de délivrer une ordonnance de ne pas faire contre le syndicat. Le CCRT a conclu que les actes des employés équivalaient en fait à une grève, peu importe si la convention collective accordait à l'employeur le pouvoir d'obliger les employés à faire du travail supplémentaire. L'ordonnance du CCRT exigeait que les ouvriers mettent fin à leur refus de faire du temps supplémentaire et renvoyait à l'arbitrage la question de savoir si, selon une juste interprétation de la convention collective, le travail supplémentaire était obligatoire.

Le syndicat a demandé une révision de la conclusion à l'illégalité de l'embargo sur le temps supplémentaire et a soutenu que le CCRT avait commis une erreur juridictionnelle ou erreur de compétence en répondant incorrectement à la question de savoir si le refus d'effectuer du travail supplémentaire constituait une grève.

Le juge Beetz a établi une distinction entre les erreurs commises par un tribunal administratif qui agit dans le cadre de sa compétence pour trancher la question dont il est saisi et les erreurs commises en déterminant s'il a compétence pour examiner la question dont il est saisi. D'après l'arrêt SCFP, le tribunal n'a alors qu'à rendre une décision qui ne soit pas manifestement déraisonnable. En ce qui concerne la question de la compétence, cependant, la norme de retenue sera beaucoup moins élevée. Il faudra, relativement à cette question, que le tribunal administratif ait raison, c'est‑à‑dire que, du moment que sa décision est simplement erronée, il y a erreur donnant lieu à examen. Le juge Beetz s'est expliqué aux pp. 420 et 421:

L'erreur juridictionnelle entraîne le plus souvent un excès de compétence ou un refus d'exercer une compétence, soit dans l'ouverture d'une enquête, soit en cours d'enquête, soit encore dans ses conclusions ou son dispositif. Une telle erreur, même commise de la meilleure foi du monde, entraîne néanmoins l'annulation de la décision qui en est entachée . . .

Dans l'affaire U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, le juge Beetz, s'exprimant au nom de la Cour, a précisé davantage le point de vue de notre Cour exposé dans l'arrêt L'Acadie. Examinant la question de la retenue judiciaire, il a conclu que l'arrêt SCFP n'établit nullement qu'un excès de compétence ne peut naître que d'erreurs manifestement déraisonnables. Il a énoncé dans les termes suivants les deux cas dans lesquels un tribunal administratif outrepasse sa compétence (à la p. 1086):

1.Si la question de droit en cause relève de la compétence du tribunal, le tribunal n'excède sa compétence que s'il erre d'une façon manifestement déraisonnable. Le tribunal qui est compétent pour trancher une question peut, ce faisant, commettre des erreurs sans donner ouverture à la révision judiciaire.

2.Si, par contre, la question en cause porte sur une disposition législative qui limite les pouvoirs du tribunal, une simple erreur fait perdre compétence et donne ouverture à la révision judiciaire.

Cela se résume donc ainsi: sur la question de sa compétence pour connaître de la plainte dont elle est saisie, du moment qu'elle commet une simple erreur, la commission excède sa compétence.

Une cour de justice, en examinant si une commission a commis une simple erreur relativement à la question de sa propre compétence, devrait adopter l'analyse «pragmatique et fonctionnelle» dont a parlé le juge Beetz aux pp. 1088 et 1089:

L'analyse formaliste de la doctrine de la condition préalable cède le pas à une analyse pragmatique et fonctionnelle, associée jusqu'ici à la notion d'erreur manifestement déraisonnable. À première vue, il peut paraître que l'analyse fonctionnelle appliquée jusqu'ici aux cas d'erreur manifestement déraisonnable ne convienne pas aux cas où l'on allègue une erreur au sujet d'une disposition législative qui circonscrit la compétence d'un tribunal. La différence entre ces deux espèces d'erreur est évidente: seule une erreur manifestement déraisonnable entraîne un excès de compétence quand la question en cause relève de la compétence du tribunal tandis que, quand il s'agit d'une disposition législative qui circonscrit la compétence du tribunal, une simple erreur entraîne une perte de compétence. Il n'en reste pas moins que la première étape de l'analyse nécessaire à la notion de l'erreur «manifestement déraisonnable» consiste à déterminer la compétence du tribunal administratif. À cette étape, la Cour examine non seulement le libellé de la disposition législative qui confère la compétence au tribunal administratif, mais également l'objet de la loi qui crée le tribunal, la raison d'être de ce tribunal, le domaine d'expertise de ses membres, et la nature du problème soumis au tribunal. L'analyse pragmatique ou fonctionnelle, à cette première étape, convient tout aussi bien pour le cas où l'on allègue une erreur dans l'interprétation d'une disposition qui circonscrit la compétence du tribunal administratif: dans le cas où l'on allègue une erreur manifestement déraisonnable sur une question qui relève de la compétence du tribunal comme dans le cas où l'on allègue une simple erreur sur une disposition qui circonscrit cette compétence, la première étape consiste à déterminer la compétence du tribunal.

Notre Cour a confirmé cette démarche tout récemment dans les motifs rédigés par le juge Sopinka au nom des juges majoritaires dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614.

Toutefois, en ce qui concerne la question de fond soumise au tribunal administratif, la jurisprudence ultérieure à l'arrêt SCFP n'a rien changé à la position adoptée par le juge Dickson dans cet arrêt. Dans l'arrêt L'Acadie, le juge Beetz a confirmé la norme énoncée dans l'arrêt SCFP. Il a dit, aux pp. 419 et 420:

Faut‑il le rappeler, des clauses privatives comme celles qui résultent de la combinaison de ces deux dernières dispositions ne confèrent pas un droit d'appel. Elles n'habilitent pas la cour chargée de la révision à rendre la décision qu'un tribunal administratif comme le Conseil aurait dû rendre quoiqu'elles lui permettent d'indiquer en certains cas les actes qu'il aurait dû accomplir et de lui retourner l'affaire pour qu'il y soit donné suite. Elles n'habilitent même pas la cour à casser la décision d'un tribunal administratif à cause d'une simple erreur de droit. Si le Conseil commet une telle erreur, sa décision reste intangible. [Je souligne.]

De plus, bien qu'y formulant l'analyse dite pragmatique et fonctionnelle, notre Cour a eu soin de souligner dans l'arrêt Bibeault que la norme établie dans l'arrêt SCFP devait être appliquée chaque fois qu'une cour de justice examine une décision rendue par une commission dans les limites de sa compétence. Le juge Beetz a dit, à la p. 1086:

. . . Si la question de droit en cause relève de la compétence du tribunal, le tribunal n'excède sa compétence que s'il erre d'une façon manifestement déraisonnable. Le tribunal qui est compétent pour trancher une question peut, ce faisant, commettre des erreurs sans donner ouverture à la révision judiciaire.

De même, dans l'arrêt Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722, le juge Gonthier a formulé ainsi le principe de la retenue judiciaire, à la p. 1744:

Si le législateur affirme clairement que la décision d'un tribunal administratif est finale et exécutoire, les tribunaux judiciaires de première instance ne peuvent toucher à ces décisions à moins que le tribunal administratif n'ait commis une erreur qui porte atteinte à sa compétence. Cette Cour a donc décidé dans l'arrêt SCFP qu'une loi ne peut complètement écarter le contrôle judiciaire et que les tribunaux judiciaires de première instance peuvent toujours annuler une décision si elle est «déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire» (p. 237). Les décisions qui sont ainsi protégées doivent, en ce sens, faire l'objet d'une forme de retenue non discrétionnaire parce que le législateur a voulu qu'elles soient définitives et sans appel et cette intervention du législateur découle, à son tour, de la volonté de laisser à des tribunaux spécialisés le soin de trancher certains litiges.

Il poursuit, à la p. 1746:

. . . dans le contexte d'un appel prévu par la loi d'une décision d'un tribunal administratif, il faut de plus tenir compte du principe de la spécialisation des fonctions. Bien qu'un tribunal d'appel puisse être en désaccord avec le tribunal d'instance inférieure sur des questions qui relèvent du pouvoir d'appel prévu par la loi, les tribunaux devraient faire preuve de retenue envers l'opinion du tribunal d'instance inférieure sur des questions qui relèvent parfaitement de son champ d'expertise.

Dans l'arrêt National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, notre Cour a de nouveau traité du rôle limité des tribunaux de surveillance. Parlant au nom des majoritaires, le juge Gonthier a dit, à la p. 1369:

. . . lorsqu'il y a une clause privative les tribunaux judiciaires ne toucheront aux conclusions d'un tribunal spécialisé que s'il est jugé que la décision de celui‑ci ne saurait être maintenue selon une interprétation raisonnable des faits ou du droit.

Dans ses motifs, auxquels ont souscrit le juge en chef Dickson et le juge en chef Lamer, le juge Wilson a souligné la raison d'être de la retenue judiciaire envers les tribunaux ayant une spécialité particulière, à la p. 1336:

Les tribunaux judiciaires canadiens se sont efforcés au fil des ans de se détacher du point de vue de Dicey pour en arriver à une compréhension plus subtile du rôle des tribunaux administratifs dans l'État canadien moderne. C'est là un processus qui s'est traduit notamment par une reconnaissance accrue de la part des cours de justice qu'il se peut qu'elles soient simplement moins en mesure que les tribunaux ou organismes administratifs de statuer dans des domaines que le Parlement a choisi de réglementer par l'intermédiaire d'organismes exerçant un pouvoir délégué, comme, par exemple, les relations de travail, les télécommunications, les marchés financiers et les relations économiques internationales. Une gestion prudente de ces secteurs nécessite souvent le recours à des experts ayant à leur actif des années d'expérience et une connaissance spécialisée des activités qu'ils sont chargés de surveiller.

Les cours de justice ont également fini par se faire à l'idée qu'elles ne sont peut‑être pas aussi bien qualifiées qu'un organisme administratif déterminé pour donner à la loi constitutive de cet organisme des interprétations qui ont du sens compte tenu du contexte des politiques générales dans lequel doit fonctionner cet organisme. Evans et autres soulignent, par exemple, que [traduction] «[l']un des plus importants progrès du droit public contemporain au Canada est l'acceptation croissante par les tribunaux judiciaires de l'idée que, souvent, les dispositions législatives ne se prêtent pas à une seule interprétation qui soit particulièrement juste, mais qu'elles peuvent être ambiguës ou muettes sur une question donnée ou rédigées dans des termes qui invitent manifestement à exercer un pouvoir discrétionnaire» . . .

Dans l'arrêt Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644, aux pp. 669 et 670, le juge McLachlin, s'exprimant au nom de la majorité, a confirmé encore une fois le critère du caractère manifestement déraisonnable:

Les cours de justice devraient faire preuve de circonspection et de retenue dans l'examen des décisions de tribunaux administratifs spécialisés comme la Commission en l'espèce. Cette retenue s'étend à la fois à la constatation des faits et à l'interprétation de la loi. Ce n'est que lorsque les éléments de preuve, perçus de façon raisonnable, ne peuvent étayer les conclusions de fait du tribunal, ou que l'interprétation donnée aux dispositions législatives est manifestement déraisonnable que la cour de justice peut intervenir. Comme l'a dit le juge Dickson, plus tard Juge en chef, dans l'arrêt [SCFP] [. . .], aux pp. 235 et 236, en se référant à la clause privative de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics, L.R.N.‑B. 1973, ch. P 25:

[la clause] révèle clairement la volonté du législateur que les différends du travail dans le secteur public soient réglés promptement et en dernier ressort par la Commission. Des clauses privatives de ce genre sont typiques dans les lois sur les relations de travail. On veut protéger les décisions d'une commission des relations de travail, lorsqu'elles relèvent de sa compétence, pour des raisons simples et impérieuses. [Je souligne.]

En exprimant la réticence que devraient éprouver les cours de justice à toucher aux décisions des tribunaux administratifs, le juge McLachlin a fait siennes les remarques incidentes du juge en chef Dickson dans l'arrêt Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455. S'exprimant au nom de la Cour à l'unanimité, il a affirmé, aux pp. 464 et 465:

Il est essentiel que les tribunaux adoptent une attitude modérée à l'égard de la modification des décisions des tribunaux administratifs spécialisés, particulièrement dans le contexte des relations de travail, s'ils doivent respecter les intentions et les politiques du Parlement et des assemblées législatives des provinces qui les ont amenés à créer ces tribunaux.

Un tribunal chargé de procéder à un examen, que ce soit en vertu de l'al. 28(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale ou en vertu des principes de common law en matière de contrôle judiciaire, ne devra pas modifier la décision d'un tribunal habilité par la loi comme en l'espèce, à moins que celui‑ci n'ait commis une erreur de droit, par exemple en examinant la mauvaise question, en appliquant un principe erroné, en n'appliquant pas un principe qu'il aurait dû appliquer ou en appliquant incorrectement un principe juridique. [Je souligne.]

Pour résumer, les cours de justice ont un rôle important à jouer dans le contrôle des décisions des tribunaux administratifs spécialisés. En fait, le contrôle judiciaire a un fondement constitutionnel. Voir l'arrêt Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220. Quand elles procèdent au contrôle, les cours de justice doivent s'assurer, premièrement, que la commission a agi dans les limites de sa compétence en suivant les règles de l'équité procédurale, deuxièmement, qu'elle a agi dans les limites de la compétence que lui confère sa loi habilitante et, troisièmement, que la décision rendue dans les limites de sa compétence n'était pas manifestement déraisonnable. Sur ce dernier point, les cours de justice devraient faire preuve d'une grande retenue à l'égard des tribunaux administratifs, surtout lorsque ceux‑ci se composent d'experts qui exercent leurs fonctions dans un domaine délicat.

Pourquoi les tribunaux devraient‑ils faire preuve de retenue à l'égard de la Commission?

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles les cours de justice devraient faire preuve de retenue à l'égard des décisions rendues par la Commission dans les limites de sa compétence. En premier lieu, le législateur a, au moyen de la clause privative contenue dans la loi constitutive de la Commission, indiqué que la décision de celle‑ci est définitive. En second lieu, il faut reconnaître que la Commission est composée d'experts parmi lesquels se trouvent représentés et les employés et le patronat. Ceux‑ci sont conscients de la complexité des relations du travail et de la nécessité de maintenir entre les parties un équilibre délicat au bénéfice de la société. Dans bien des cas, le mérite de ces experts leur aura valu la confiance des parties. Or, chaque fois qu'une cour de justice modifie une décision d'un tribunal administratif, il y a perte de confiance de la part non seulement des parties qui doivent comparaître devant la Commission, mais aussi de la part de la collectivité en général. Par ailleurs, l'un des plus grands avantages qu'offre la Commission est la rapidité avec laquelle elle peut tenir une audience et rendre une décision. Si les cours de justice se mettaient à intervenir régulièrement dans les décisions de la Commission, la partie victorieuse serait toujours celle qui était le mieux en mesure d'attendre et de supporter le coût d'un litige à n'en plus finir. Le système judiciaire lui‑même connaîtrait des retards inacceptables en raison de l'augmentation de la charge de travail qu'amènerait toute tentative de contrôle systématique.

Il ne faut toutefois pas conclure de ce qui précède qu'un contrôle quelconque n'est ni salutaire ni nécessaire. Certes, les cours de justice sont éminemment aptes à décider si la Commission a excédé la compétence que lui confère sa loi habilitante. En outre, ce sont les cours de justice qui sont le mieux placées pour déterminer si le tribunal a commis une erreur de procédure de telle nature qu'elle constitue un manquement à la justice naturelle, lequel entraînerait son incompétence. De plus, toutes les parties ont droit à la protection contre une décision manifestement déraisonnable. Il n'est pas nécessaire que les cours de justice aillent plus loin et, en fait, elles ne le devraient pas. Une commission constituée en vertu d'une clause privative et protégée par celle‑ci représente l'expression de la volonté du Parlement de créer un mécanisme qui offre un moyen expéditif et définitif d'atteindre le but d'un règlement juste des conflits de travail. Pour qu'elles aient l'effet voulu, les décisions ainsi rendues doivent, le plus souvent possible, être définitives. En refusant de s'en remettre aux décisions de la Commission, les cours de justice se trouveraient à contrecarrer l'objet même de la LRTFP et à rendre inopérantes ses dispositions expresses.

En quoi consiste une décision «manifestement déraisonnable»?

Le sens de l'expression «manifestement déraisonnable», fait‑on valoir, est difficile à cerner. Ce qui est manifestement déraisonnable pour un juge peut paraître éminemment raisonnable pour un autre. Pourtant, pour définir un critère nous ne disposons que de mots, qui forment, eux, les éléments de base de tous les motifs. Le critère du caractère manifestement déraisonnable représente, de toute évidence, une norme de contrôle sévère. Dans le Grand Larousse de la langue française, l'adjectif manifeste est ainsi défini: «Se dit d'une chose que l'on ne peut contester, qui est tout à fait évidente». On y trouve pour le terme déraisonnable la définition suivante: «Qui n'est pas conforme à la raison; qui est contraire au bon sens». Eu égard donc à ces définitions des mots «manifeste» et «déraisonnable», il appert que si la décision qu'a rendue la Commission, agissant dans le cadre de sa compétence, n'est pas clairement irrationnelle, c'est‑à‑dire, de toute évidence non conforme à la raison, on ne saurait prétendre qu'il y a eu perte de compétence. Visiblement, il s'agit là d'un critère très strict.

Dans l'affaire CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983, le juge La Forest (avec l'appui du juge en chef Dickson) a formulé le critère strict du contrôle, à la p. 1003:

Lorsque, comme en l'espèce, un tribunal administratif est protégé par une clause privative, notre Cour a déclaré qu'elle n'examinera la décision du tribunal que si celui‑ci a commis une erreur en interprétant les dispositions attributives de compétence ou s'il a excédé sa compétence en commettant une erreur de droit manifestement déraisonnable dans l'exercice de sa fonction.

Il ne suffit pas que la décision de la Commission soit erronée aux yeux de la cour de justice; pour qu'elle soit manifestement déraisonnable, cette cour doit la juger clairement irrationnelle.

L'application de ces principes aux faits de la présente affaire

La compétence relative au renvoi fondé sur l'art. 99

Nous devons répondre d'abord à la question de savoir si la Commission avait compétence relativement à la question que lui a renvoyée l'intimée en vertu de l'art. 99 LRTFP ou si les actes de l'appelant, comme il le fait valoir, ne peuvent être contestés qu'au moyen de griefs présentés individuellement, en vertu de l'art. 92, par les employés touchés. Il ressort nettement de l'arrêt Bibeault que la Commission doit avoir tranché correctement cette question. Si elle ne l'a pas fait, elle aura commis une erreur de compétence. À mon avis, la décision qu'a rendue la Commission quant à sa compétence pour connaître du renvoi n'est entachée d'aucune erreur.

Les dispositions législatives à prendre en considération aux fins de déterminer si la Commission a été légitimement saisie de l'affaire se trouvent dans la LRTFP, notamment dans les paragraphes suivants:

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

. . .

99. (1) L'employeur et l'agent négociateur qui ont signé une convention collective ou sont liés par une décision arbitrale peuvent, dans les cas où l'un ou l'autre cherche à faire exécuter une obligation qui, selon lui, découlerait de cette convention ou décision, renvoyer l'affaire à la Commission, dans les formes réglementaires, sauf s'il s'agit d'une obligation dont l'exécution peut faire l'objet d'un grief de la part d'un fonctionnaire de l'unité de négociation visée par la convention ou la décision.

(2) Après avoir entendu l'affaire qui lui est renvoyée au titre du paragraphe (1), la Commission se prononce sur l'existence de l'obligation alléguée et, selon le cas, détermine s'il y a eu ou non manquement.

(3) La Commission entend et juge l'affaire qui lui est renvoyée au titre du paragraphe (1) comme s'il s'agissait d'un grief, et le paragraphe 96(2) ainsi que les articles 97 et 98 s'appliquent à l'audition et à la décision.

D'après l'arrêt Paccar, précité, c'est la méthode fonctionnelle exposée dans l'arrêt Bibeault, précité, que doivent employer les cours de justice lorsqu'elles révisent les décisions rendues par des tribunaux administratifs sur des questions relatives à leur compétence. L'analyse fonctionnelle exige que l'on prenne en considération les personnes qui sont censées bénéficier de l'obligation énoncée dans la Politique concernant le réaménagement des effectifs. Il faut en outre décider en quoi consiste la fonction de la Commission aux termes de sa loi habilitante. Si l'unité de négociation dans son ensemble est le créancier de l'obligation, alors c'est à bon droit que la Commission a jugé qu'elle était compétente en vertu de l'art. 99. Si, par contre, les créanciers de l'obligation sont les employés pris individuellement, il appartient à ce moment‑là à chacun d'eux de présenter un grief fondé sur l'art. 92, auquel cas la compétence attribuée par l'art. 99 ne s'appliquerait pas.

L'obligation de ne pas violer la Politique concernant le réaménagement des effectifs en recourant à la «privatisation» ou à l'«impartition» touche l'ensemble de l'unité de négociation plutôt qu'un employé en particulier. Cela est vrai même si les effets des mesures en question se feraient nettement sentir chez les employés. L'appelant prétend que chaque employé touché pourrait contester par voie de grief la perte de son emploi consécutivement au recours à l'impartition et que, par conséquent, la Commission n'avait pas compétence pour entendre la question qui lui a été renvoyée en vertu de l'art. 99. À l'appui de cet argument, l'appelant invoque trois arrêts de la Cour d'appel fédérale: La Reine c. Lavoie, [1978] 1 C.F. 778, Gloin c. Procureur général du Canada, [1978] 2 C.F. 307, Association canadienne du contrôle du trafic aérien c. La Reine, [1985] 2 C.F. 84. Dans ses motifs de dissidence, le juge Pratte de la Cour d'appel fédérale cite les arrêts Lavoie et Gloin, précités. Les trois ont fait l'objet d'un examen minutieux de la part du juge Mahoney, qui a rédigé les motifs de la majorité.

Je ne conteste pas l'argument voulant qu'un ancien employé conserve le droit de présenter un grief à l'égard de son congédiement, mais j'estime que la jurisprudence susmentionnée ne nous est d'aucun secours en l'espèce. Je conviens avec le juge Mahoney que la nature du redressement sollicité est pertinente aux fins de décider qui, de l'employé individuel ou de l'unité de négociation, devrait se charger de la procédure en question. Le différend mettant aux prises l'agent négociateur (l'AFPC) et l'employeur, représenté par le procureur général du Canada, tire son origine de l'impartition du travail effectué collectivement par l'unité de négociation. Ce différend portait sur les obligations envers l'unité de négociation dans son ensemble énoncées dans la Politique concernant le réaménagement des effectifs. Il s'agit donc d'un grief qu'un employé ne pouvait présenter individuellement. De plus, aucun employé ne pourrait faire exécuter le redressement sollicité en l'espèce. Par exemple, les griefs faits par des employés à la suite de la privatisation du travail de membres de l'unité de négociation ne se rapportaient pas à l'obligation relative au recours à des entrepreneurs pour assurer certains services. Au contraire, les griefs des employés avaient trait à des questions qui ne concernaient qu'eux, soit, entre autres, des plaintes touchant leur formation. D'après ce que j'ai pu comprendre, il ressort de la Politique concernant le réaménagement des effectifs que c'est le groupe d'employés tout entier qui est censé en bénéficier. Bien sûr, chaque employé en tirera des avantages de par son appartenance au groupe, mais c'est à l'ensemble des employés, c'est‑à‑dire au syndicat ou à l'association d'employés, que la politique est censée profiter.

Notre Cour a examiné la fonction de la Commission des relations de travail dans la fonction publique dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, précité. Aux pages 659 à 663, j'ai examiné son rôle et l'étendue de la retenue judiciaire qu'il convenait de manifester à son égard. J'ai écrit, aux pp. 659 et 660:

. . . la Commission se voit conférer des pouvoirs étendus d'examiner et de régler une grande variété de problèmes qui se posent dans le domaine des relations de travail. Les décisions de la Commission sont protégées par une clause privative. Le législateur a clairement accordé sa confiance à la Commission et a cherché à protéger ses décisions dans le domaine délicat des relations de travail. [. . .] La Loi sur les relations de travail a pour but de fournir le moyen de résoudre avec célérité les différends ouvriers‑patronaux. Pour parvenir à ses décisions, la Commission recourt aux compétences spéciales de ses membres qui possèdent de l'expérience et des connaissances dans le domaine des relations de travail en général et, particulièrement, au sujet des questions de relations de travail qui existent entre la Fonction publique et le gouvernement fédéral.

J'ai ajouté, aux pp. 661 et 662:

Il ressort que la Commission a pour raison d'être de résoudre les différends ouvriers‑patronaux qui peuvent survenir entre le gouvernement fédéral et ses employés. Le domaine d'expertise de la Commission est dans le domaine des relations de travail entre le gouvernement fédéral et ses employés.

. . .

La Commission a obtenu des pouvoirs étendus ainsi que la protection d'une clause privative. Ses membres sont expérimentés et compétents dans le domaine des relations de travail. Le législateur a établi clairement que les conflits de travail, comme ceux qui se présentent en l'espèce, devaient être réglés par la Commission. La Cour ne devrait pas s'empresser d'intervenir.

Le juge Sopinka, qui a rédigé les motifs des juges majoritaires, n'a pas rejeté ces déclarations. À la page 628 de ses motifs, il exprime son accord général avec le principe que j'ai posé quant à la norme de contrôle.

Il est évident à l'examen de la loi habilitante de la Commission que de vastes pouvoirs lui ont été attribués pour ce qui est de l'examen et du règlement d'une grande variété de problèmes en matière de relations du travail. Les décisions de la Commission sont protégées par une clause privative de large portée. Le législateur a visiblement fait confiance à la Commission pour le règlement des questions qui se posent dans le domaine délicat que sont les relations du travail au sein de la fonction publique. Les membres de la Commission sont expérimentés et compétents dans ce domaine. Les articles 92 et 99 LRTFP établissent le fondement et les paramètres de la compétence de la Commission. En ce sens que ces articles précisent la compétence de la Commission pour ce qui est des questions qu'ils décrivent, la Commission a certainement eu raison de décider qu'elle était habilitée à examiner les questions qui lui étaient renvoyées. À mon avis, c'est à bon droit qu'elle a conclu que les dispositions de sa loi habilitante indiquent clairement sa compétence en cette matière.

En ce qui concerne la première question, j'estime que c'est à bon droit que la Commission s'est jugée compétente en la matière. Reste donc à déterminer si sa décision sur la question de la violation de la convention collective était manifestement déraisonnable.

La décision de la Commission était‑elle manifestement déraisonnable?

Interprétation de la Politique concernant le réaménagement des effectifs

En l'espèce, les employés contractuels faisaient le même travail, avec le même matériel et dans les mêmes locaux que les employés syndiqués. Il faut toutefois souligner qu'il n'est pas question dans la présente affaire du droit de l'employeur de conclure des marchés de service. Ce droit a été reconnu par les parties, par la Commission dans sa décision et par les juges majoritaires de la Cour d'appel fédérale. Il s'agit ici de déterminer si, dans les circonstances, l'employeur s'est conformé aux obligations auxquelles il s'est engagé dans la Politique concernant le réaménagment des effectifs.

La Commission n'a pas donné à la Politique concernant le réaménagement des effectifs une interprétation manifestement déraisonnable ou, pour le formuler autrement, clairement irrationnelle. L'appelant estime manifestement déraisonnable la conclusion de la Commission que toute mesure de privatisation ou d'impartition est contraire à l'esprit de la politique et, sur la plan de la logique, incompatible avec celle‑ci. Pourtant, dans les faits, la décision de la Commission n'empêche nullement l'impartition. La Commission était saisie de la question de savoir si, dans les circonstances de la présente affaire, le recours à des entrepreneurs pour assurer certains services constituait une violation de la Politique concernant le réaménagement des effectifs, laquelle a été incorporée dans la convention cadre.

La politique renferme un ensemble exhaustif de dispositions protectrices en matière de sécurité d'emploi. Ces dispositions s'inspirent de l'intention non équivoque des parties de préserver, autant que possible, les emplois des fonctionnaires, particulièrement de ceux nommés pour une période indéterminée. Les parties de la politique qui importent le plus aux fins de la présente analyse sont les suivantes, que, par souci de commodité, je reproduis à nouveau:

1.INTRODUCTION

1.1 Il peut survenir des cas de RÉAMÉNAGEMENT DES EFFECTIFS dans la Fonction publique, notamment pour une des raisons suivantes: compression des dépenses, nouvelle mesure législative, modification de programmes, réorganisations, changements d'ordre technologique, amélioration de la productivité, suppression ou réduction de programmes, cessation ou réduction des opérations dans une ou plusieurs localités, décentralisation, réinstallation, privatisation de programmes gouvernementaux et transfert de programmes à d'autres niveaux de gouvernement ou à d'autres groupes d'intérêts.

1.2 Comme conséquence directe d'un RÉAMÉNAGEMENT DES EFFECTIFS, un sous‑chef peut juger que les services d'un ou de plusieurs employés nommés pour une période indéterminée ne seront plus requis après une certaine date en raison d'un manque de travail ou de la suppression d'une fonction.

1.3 La présente politique a pour but de réduire au minimum les répercussions d'un RÉAMÉNAGEMENT DES EFFECTIFS sur les employés nommés pour une période indéterminée et de faire en sorte que, dans la mesure du possible, d'autres possibilités d'emploi soient offertes aux EMPLOYÉS TOUCHÉS.

. . .

2.DÉFINITIONS

. . .

RÉAFFECTATION: La nomination d'un EMPLOYÉ TOUCHÉ, d'un EMPLOYÉ EXCÉDENTAIRE ou d'une PERSONNE MISE EN DISPONIBILITÉ à un poste pour lequel il est QUALIFIÉ.

. . .

RÉAMÉNAGEMENT DES EFFECTIFS: Cette situation se produit lorsqu'un sous‑chef ou son AGENT DÉLÉGUÉ décide que les services d'un ou de plusieurs employés nommés pour une période indéterminée ne seront plus requis au delà d'une certaine date en raison d'un manque de travail ou de la suppression d'une fonction. . .

3.POLITIQUE

Le Conseil du Trésor a pour politique de réaffecter, dans la mesure du possible, à un poste vacant de la Fonction publique, les employés nommés pour une période indéterminée dont les services ne sont plus requis en raison d'un manque de travail ou de la suppression d'une fonction et qui, selon la CFP, ont ou pourraient acquérir, en suivant un programme de RECYCLAGE, les qualifications nécessaires (voir la section 8). Les ministères s'efforceront de donner un avis d'au moins six mois aux employés excédentaires; avec l'approbation préalable du secrétaire du Conseil du Trésor, cet avis peut être de moins de six mois mais ne peut être inférieur à quatre mois.

. . .

5.RÔLES ET RESPONSABILITÉS

5.1 Les ministères doivent:

. . .

5.1.2 revoir la façon dont ils utilisent les services des employés nommés pour une période déterminée et les marchés de services, et y mettre fin si cela est de nature à faciliter la RÉAFFECTATION des EMPLOYÉS TOUCHÉS, des EMPLOYÉS EXCÉDENTAIRES et des PERSONNES MISES EN DISPONIBILITÉ;

. . .

6.PLANIFICATION DES RESSOURCES HUMAINES

. . .

6.2 Voici quelques‑uns des facteurs dont il faut tenir compte au moment d'établir un plan d'utilisation des ressources humaines:

. . .

d) les possibilités de placement qui résulteraient de la fin des nominations pour une période déterminée et (ou) des marchés de services;

Quoi qu'elle n'exige pas la cessation de l'impartition en général, c'est un point sur lequel la politique n'est pas silencieuse. L'article 5.1.2 traite explicitement de la cessation du recours aux marchés de services. La version anglaise dit expressément qu'il devrait («should») être mis fin à certains contrats dans certaines situations. La version française est encore plus formelle. Elle porte, en effet, rappelons‑le:

5.RÔLES ET RESPONSABILITÉS

5.1 Les ministères doivent:

. . .

5.1.2 revoir la façon dont ils utilisent les services des employés nommés pour une période déterminée et les marchés de services, et y mettre fin si cela est de nature à faciliter la RÉAFFECTATION des EMPLOYÉS TOUCHÉS, des EMPLOYÉS EXCÉDENTAIRES et des PERSONNES MISES EN DISPONIBILITÉ; [Je souligne.]

D'après la version française de l'art. 5.1.2, il doit être mis fin à certains contrats dans les circonstances mentionnées. Tout au moins, la politique exige que le recours à l'impartition fasse l'objet d'un examen. De même, il est évident que la décision de recourir aux marchés de services est soumise à certaines restrictions. Je souscris à la décision de la Commission que la politique vise à faire en sorte que les employés nommés pour une période indéterminée puissent compter sur la cessation de l'impartition pour que leurs emplois soient protégés. L'interprétation de la Commission ne peut certainement pas être qualifiée de manifestement déraisonnable.

L'appelant prétend que l'art. 29 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P‑33, est pertinent en l'espèce:

29. (1) L'administrateur général peut, en conformité avec les règlements de la Commission, mettre en disponibilité le fonctionnaire dont les services ne sont plus nécessaires faute de travail ou par suite de la suppression d'une fonction.

Le droit de mettre des employés en disponibilité est toutefois confirmé dans la politique, car elle permet la mise en disponibilité d'employés lorsqu'il y a vraiment un manque de travail ou qu'une fonction est réellement supprimée. L'appelant soutient que l'impartition peut être assimilée à la suppression d'une fonction et invoque à l'appui de cette thèse l'arrêt Mudarth c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1989] 3 C.F. 371 (1re inst.), conf. par (1990), 113 N.R. 159 (C.A.F.), et l'arrêt Gonthier c. Canada (1986), 77 N.R. 386 (C.A.F.). Toutefois, ni l'un ni l'autre ne traite directement de l'impartition puisqu'il s'agissait dans les deux cas de compressions au sein de la fonction publique fédérale, ce qui a amené des mises en disponibilité légitimes en vertu de l'art. 29. Par conséquent, aucune de ces deux affaires ne nous aide particulièrement à trancher le présent litige.

L'arrêt Flieger c. Nouveau-Brunswick (1991), 125 R.N.‑B. (2e) 228, autorisation de pourvoi accordée [1992] 2 R.C.S. vi, concerne deux patrouilleurs routiers mis en disponibilité après que la fonction de patrouille routière eut été confiée à la GRC. La Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick avait à examiner le par. 26(1) de la Loi sur la Fonction publique, L.N.‑B. 1984, ch. C‑5.1, qui porte:

26(1) Lorsque le manque de travail ou la suppression d'une fonction rend les services d'un employé inutiles, l'administrateur général peut, conformément aux règlements du Conseil, licencier l'employé. [Je souligne.]

La cour, faisant remarquer la similarité de l'art. 26 de la Loi du Nouveau‑Brunswick et de l'art. 29 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique du fédéral, a statué qu'il y avait eu suppression d'une fonction. Cette affaire peut toutefois, elle aussi, être distinguée d'avec la présente espèce. Dans l'affaire Flieger, les agents n'étaient pas assujettis à une convention collective. La Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick n'a pas admis qu'une distinction se fasse entre le recours à des employés internes pour remplacer les employés licenciés et le recours à des employés de l'extérieur. Elle a dit cependant que cet argument aurait peut‑être été retenu s'il y avait eu une convention collective limitant l'impartition. Tel n'était pas le cas dans l'affaire Flieger, mais, évidemment, il en est tout autrement en l'espèce.

Un arrêt pertinent est toutefois cité dans l'arrêt Flieger. Il s'agit de l'arrêt Transport Guilbault Inc. c. Scott, C.A.F. no A‑618‑85, 21 mai 1986, autorisation de pourvoi refusée [1987] 1 R.C.S. xiii. Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale a interprété l'expression «cessation d'une fonction» employée au par. 61.5(3) du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, ch. L‑1, qui dispose:

61.5 . . .

(3) Aucune plainte ne peut être examinée par un arbitre dans le cadre du paragraphe (8) lorsqu'une des situations suivantes se présente:

a) le plaignant a été mis à pied par suite de manque de travail ou de la cessation d'une fonction;

L'arbitre avait conclu que la cessation d'une fonction ne pouvait résulter de la décision de l'employeur de confier du travail à un entrepreneur. En infirmant la décision de l'arbitre, le juge Pratte a dit:

La cessation d'une fonction, au sens de l'alinéa 61.5(3)a), c'est la cessation d'une fonction au sein de l'entreprise d'un employeur donné. Cette cessation peut résulter de la décision prise par cet employeur de confier à un entrepreneur les travaux qu'il faisait jusque‑là accomplir par ses employés. Dès lors que cette décision est réelle et n'a rien de simulé, on ne saurait interpréter autrement l'alinéa 61.5(3)a) sans limiter indûment la liberté de l'employeur de structurer et organiser son entreprise comme il l'entend.

À mon avis, l'interprétation de la Commission n'est nullement incompatible avec cet arrêt. En l'espèce, ni la Commission ni le juge Mahoney de la Cour d'appel fédérale n'a dit que la Politique concernant le réaménagement des effectifs excluait le recours aux entrepreneurs. Sans doute l'art. 29 s'appliquera‑t‑il à certains cas d'impartition, mais, dans la présente affaire, les employés dits contractuels faisaient exactement le même travail, dans les mêmes locaux, avec le même matériel et exécutaient les mêmes instructions que l'avaient fait antérieurement à l'impartition les employés nommés pour une période indéterminée, à cette seule différence près que le nouvel employeur était l'entrepreneur plutôt que la fonction publique. Voilà qui, selon moi, ne peut constituer la suppression d'une fonction. Cela ne veut toutefois pas dire qu'il ne pourrait pas y avoir de cas de recours à un entrepreneur qui entraîneraient légitimement la suppression d'une fonction et qui, en conséquence, justifieraient des mises en disponibilité en vertu de l'art. 29.

Il convient de signaler que dans l'affaire Transport Guilbault, l'employeur n'avait aucune obligation s'il avait recours à des marchés de service. C'est cet élément autant que n'importe quel autre qui permet de faire une distinction entre cette affaire et la présente espèce.

Il faut se rappeler qu'en l'espèce la politique impose à l'employeur une obligation dans le cas du recours à un entrepreneur, obligation que la Commission a su formuler avec exactitude:

La Politique obligeait l'employeur à réexaminer la sous‑traitance et, lorsque c'était possible, à y mettre fin afin de préserver les emplois des fonctionnaires nommés pour une période indéterminée au sein de la fonction publique. [Je souligne.]*

À mon avis, la conclusion de la Commission qu'en l'espèce l'employeur a manqué à cette obligation ne peut certainement pas être qualifiée de manifestement déraisonnable.

Comme l'a dit le juge Mahoney, aux pp. 442 et 443:

Cette politique n'interdit pas l'impartition mais prévoit que, pour faciliter la réaffectation des employés «touchés», «excédentaires» ou «mis en disponibilité», l'employeur réexaminera le recours aux marchés de services et y mettra fin, entre autres. Cette obligation s'oppose absolument à l'intention de permettre la création d'employés «touchés», «excédentaires» ou «mis en disponibilité» en confiant à l'extérieur les tâches mêmes dont ils assuraient l'exécution. Par définition, il y a «réaménagement des effectifs» lorsque la haute direction décide qu'un ou plusieurs employés nommés pour une période indéterminée ne seront plus requis en raison d'un «manque de travail» ou de «la suppression d'une fonction». On ne saurait, à mon avis, dire d'un employé dont la tâche a été confiée à l'extérieur que ses services ne sont plus nécessaires faute de travail ou par suite de la suppression d'une fonction. Ses services ne sont plus requis parce que la fonction a été confiée aux entrepreneurs de l'extérieur. La tâche reste à accomplir et la fonction continue d'exister. Le vice‑président de la Commission n'a pas commis une erreur en concluant que la conduite de l'employeur violait et la lettre et l'esprit de la Politique concernant le réaménagement des effectifs. [Je souligne.]

Plutôt que de tenter de préserver les emplois d'employés nommés pour une période indéterminée, l'employeur s'est mis en devoir de réduire le nombre de ces employés en confiant à un entrepreneur de l'extérieur des tâches identiques à celles de ces derniers. C'était là un manquement à l'obligation énoncée dans la politique.

L'interprétation de la Commission est largement étayée par la preuve. Elle a tiré une conclusion que pouvait raisonnablement admettre le texte qu'elle interprétait. De toute évidence, la Commission, un tribunal spécialisé investi de larges pouvoirs protégés par une clause privative, a rendu en interprétant les dispositions législatives en question une décision qui n'était manifestement pas déraisonnable. Notre Cour ne devrait donc par modifier cette décision.

Dispositif

En définitive, le pourvoi est rejeté et l'ordonnance de la Commission est confirmée.

//Le juge L'Heureux-Dubé//

Les motifs des juges L'Heureux-Dubé, Gonthier et McLachlin ont été rendus par

Le juge L'Heureux‑Dubé — J'ai pris connaissance des motifs de mon collègue le juge Cory, et je conviens avec lui que la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la «Commission») n'a pas rendu une décision manifestement déraisonnable en concluant que l'appelant a contrevenu aux termes de la convention collective intervenue avec l'intimée. Je diverge toutefois d'opinion avec lui quant au test applicable relativement à la question de savoir si la Commission avait compétence pour statuer sur le renvoi dont l'a saisie l'intimée.

L'article 99 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, autorise un employeur ou un agent négociateur à renvoyer une affaire à la Commission lorsque l'obligation en jeu n'en est pas une qui puisse faire l'objet d'un grief de la part d'un fonctionnaire. Dans l'hypothèse contraire, c'est l'art. 92 qu'il convient d'appliquer. S'il s'agit d'une obligation envers l'ensemble de l'unité de négociation, il peut y avoir un renvoi en vertu de l'art. 99. Dans l'un et l'autre cas, la Commission doit nécessairement décider qui est créancier de l'obligation. La question devant nous est donc la suivante: À quelle norme la Commission doit elle être tenue en rendant sa décision sur ce point? S'agit‑il d'une question où la Commission ne peut faire d'erreur ou bien d'une question qui relève de sa compétence, de sorte que s'applique la norme du caractère manifestement déraisonnable?

En réponse à cette question, j'adopte l'approche pragmatique et fonctionnelle discutée dans mon opinion dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554. Utilisant cette approche, énoncée pour la première fois par le juge Beetz dans l'affaire U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, à la p. 1088:

. . . la Cour examine non seulement le libellé de la disposition législative qui confère la compétence au tribunal administratif, mais également l'objet de la loi qui crée le tribunal, la raison d'être de ce tribunal, le domaine d'expertise de ses membres, et la nature du problème soumis au tribunal.

Je me reporte d'abord au texte de l'art. 99, que, par souci de commodité, je reproduis ci‑après:

99. (1) L'employeur et l'agent négociateur qui ont signé une convention collective ou sont liés par une décision arbitrale peuvent, dans les cas où l'un ou l'autre cherche à faire exécuter une obligation qui, selon lui, découlerait de cette convention ou décision, renvoyer l'affaire à la Commission, dans les formes réglementaires, sauf s'il s'agit d'une obligation dont l'exécution peut faire l'objet d'un grief de la part d'un fonctionnaire de l'unité de négociation visée par la convention ou la décision.

(2) Après avoir entendu l'affaire qui lui est renvoyée au titre du paragraphe (1), la Commission se prononce sur l'existence de l'obligation alléguée et, selon le cas, détermine s'il y a eu ou non manquement.

Aux termes du par. 99(2), la Commission a compétence pour se prononcer sur l'existence d'une obligation «alléguée» visée au par. 99(1). Malheureusement, le texte du par. 99(1) admet deux interprétations très différentes. Selon l'une de ces interprétations, la question de savoir s'il s'agit d'une obligation dont l'exécution peut faire l'objet d'un grief de la part d'un fonctionnaire échappe à la compétence de la Commission. Il s'agit, pour ainsi dire, d'une question préliminaire au sujet de laquelle la Commission ne saurait faire d'erreur. Suivant cette interprétation, la Commission aurait compétence pour se prononcer sur l'existence ou l'inexistence d'une obligation, mais non pour décider «qui» est créancier de cette obligation.

Toutefois, il est aussi possible d'interpréter le par. 99(1) comme conférant à la Commission la compétence de décider non seulement s'il existe ou non une obligation découlant de la convention collective, mais aussi si cette obligation en est une dont l'exécution peut faire l'objet d'un grief de la part d'un fonctionnaire. Selon cette seconde interprétation, la question de savoir «qui» est créancier de l'obligation relèverait de la compétence de la Commission, si bien que sa décision serait assujettie au test du caractère manifestement déraisonnable.

À mon avis, l'art. 99 peut admettre les deux interprétations et ne permet donc pas de répondre définitivement à la question posée par le juge Beetz dans l'affaire Bibeault, précitée, à la p. 1087: «Le législateur a‑t‑il voulu qu'une telle matière relève de la compétence conférée au tribunal?» Afin de déterminer laquelle de ces deux interprétations est la plus appropriée, la Cour doit considérer les autres éléments que comporte l'approche pragmatique.

Je souscris aux observations de mon collègue concernant la loi habilitante de la Commission et les pouvoirs vastes et étendus dont elle l'investit. En accordant aux décisions de la Commission la protection d'une clause privative extensive, le Parlement a expressément manifesté son intention que les tribunaux fassent preuve d'une grande retenue à l'égard de ces décisions. L'expertise de la Commission et de ses membres vient étayer davantage la proposition selon laquelle l'attribution de compétence à l'art. 99 se voulait large plutôt que plus restreinte.

L'expertise de la Commission revêt une importance particulière compte tenu de la nature de la question à trancher. En effet, il est impossible de dissocier valablement la question de savoir «qui» est créancier de l'obligation de celle de l'existence même de l'obligation. Il est évident que la Commission possède l'expertise et la compétence voulues pour se prononcer sur l'existence ou l'inexistence de l'obligation. Selon moi, c'est précisément cette expertise qui habilite la Commission à rendre cette décision qui est celle de nature à l'assister pour déterminer qui est le créancier de l'obligation. Il semble s'agir là d'une question qui est au c{oe}ur de sa spécialité.

À mon avis, quand on tient compte de tous ces facteurs, la question de savoir si une affaire relève légitimement de l'art. 99 ressortit effectivement à la Commission, et la Cour devrait faire preuve de retenue envers sa décision, dans la mesure où elle n'est pas manifestement déraisonnable. Dans l'affaire qui nous occupe, j'estime que la Commission n'a pas agi de façon manifestement déraisonnable en concluant qu'il s'agit d'une obligation qui pourrait à bon droit faire l'objet d'un renvoi fondé sur l'art. 99.

Quoique je ne partage pas l'avis du juge Cory concernant le test qu'il convient d'appliquer relativement à la question de la compétence pour statuer sur le renvoi, je suis entièrement d'accord avec lui quant au dispositif et, comme lui, je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de rétablir l'ordonnance de la Commission.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l'appelant: John C. Tait, Ottawa.

Procureurs de l'intimée: Raven, Jewitt & Allen, Ottawa.

* Voir Erratum [1993] 1 R.C.S. iv


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Relations du travail - Fonction publique - Adoption par le gouvernement fédéral de la politique concernant le réaménagement des effectifs - Ministères obligés en vertu de la politique de mettre fin à des marchés de services afin de faciliter la réaffectation des employés excédentaires - Ministère fédéral ayant accordé des marchés de services pour diminuer ses années-personnes - Décision de la Commission rendue en faveur du renvoi du syndicat qui soutenait que l'impartition des service allait à l'encontre de la politique et de la convention collective - La décision de la Commission est-elle manifestement déraisonnable.

Droit administratif - Contrôle judiciaire - Compétence -- Commission des relations de travail dans la fonction publique - Norme de contrôle - La Commission avait‑elle compétence pour entendre le renvoi dont l'a saisie le syndicat? - La décision de la Commission concernant sa compétence doit-elle être juste ou la norme relative aux décision manifestement déraisonnable s'applique-t-elle?.

En avril 1985, le gouvernement fédéral a donné son approbation à une Politique concernant le réaménagement des effectifs, qui a par la suite été incorporée dans la convention cadre conclue par le Conseil du Trésor et l'intimée l'AFPC. La politique visait à réduire au minimum les effets d'un manque de travail ou d'une suppression de certaines fonctions assurées par l'État sur les employés nommés pour une période indéterminée et précise que les ministères doivent revoir la façon dont ils utilisent les marchés de services et «y mettre fin si cela est de nature à faciliter la réaffectation des employés touchés, des employés excédentaires et des personnes mises en disponibilité». En mai 1985, le ministre des Finances a prévu la suppression de 15 000 années‑personnes dans la fonction publique sur une période de cinq ans. Afin de réduire le nombre de ses années‑personnes, le ministère du Revenu national, Douanes et Accise, a confié à des entrepreneurs de l'extérieur le travail de 270 préposés au traitement des données. L'AFPC a déposé un renvoi en vertu de la disposition qui est devenue l'art. 99 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la «LRTFP»), en soutenant que cette impartition allait à l'encontre de la Politique et violait en conséquence la convention cadre intervenue entre les parties. L'article 99 autorise un employeur ou un agent négociateur à renvoyer une affaire à la Commission des relations de travail dans la fonction publique lorsque l'obligation en question n'en est pas une dont l'exécution peut faire l'objet d'un grief de la part d'un fonctionnaire. La Commission a conclu qu'elle avait compétence relativement au renvoi et s'est prononcée en faveur de l'AFPC. La Cour d'appel fédérale a confirmé cette décision. Il s'agit en l'espèce de déterminer si la Commission avait compétence pour statuer sur le renvoi dont elle a été saisie et, dans l'affirmative, si elle a rendu une décision manifestement déraisonnable lorsqu'elle a statué que l'appelant a violé sa convention collective avec l'AFPC en confiant à des entrepreneurs de l'extérieur le travail de saisie de données.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, Cory et Iacobucci: Quand il n'outrepasse pas sa compétence, un tribunal administratif perdra sa compétence seulement s'il agit d'une manière manifestement déraisonnable. Toutefois, si la question en cause porte sur une disposition législative qui limite les pouvoirs du tribunal, une simple erreur lui fera perdre compétence. Une cour de justice, en examinant si une commission a commis une simple erreur relativement à la question de sa propre compétence, devrait adopter l'analyse pragmatique et fonctionnelle exposée dans l'arrêt Bibeault.

Les cours de justice devraient faire preuve de retenue à l'égard des décisions rendues par la Commission dans les limites de sa compétence. Ces décisions bénéficient de la protection d'une clause privative de large portée, que le législateur a expressément inclus dans le but de s'assurer que les décisions de la Commission soient définitives et sans appel et que les cours de justice n'aient pas le pouvoir de les modifier à volonté. En outre, la Commission est composée d'experts en matière de relations du travail. Eu égard aux définitions du dictionnaire des mots «manifeste» et «déraisonnable», il appert que si la décision qu'a rendue la Commission, agissant dans le cadre de sa compétence, n'est pas clairement irrationnelle, c'est-à-dire, de toute évidence non conforme à la raison, on ne saurait prétendre qu'il y a eu perte de compétence.

La Commission a tranché correctement lorsqu'elle a décidé qu'elle avait compétence relativement à la question qui lui a été renvoyée en vertu de l'art. 99 LRTFP. L'analyse fonctionnelle que les cours de justice doivent utiliser lorsqu'elles révisent les décisions rendues par des tribunaux administratifs sur des questions relatives à leur compétence exige que l'on prenne en considération les personnes qui sont censées bénéficier de l'obligation énoncée dans la Politique. Il faut en outre décider en quoi consiste la fonction de la Commission aux termes de sa loi habilitante. L'obligation de ne pas violer la Politique en recourant à la «privatisation» ou à l'«impartition» touche l'ensemble de l'unité de négociation plutôt qu'un employé en particulier. Le différend mettant aux prises l'AFPC et l'employeur tire son origine de l'impartition du travail effectué collectivement par l'unité de négociation et il portait sur les obligations envers l'unité de négociation dans son ensemble énoncées dans la Politique. Il s'agit donc d'un grief qu'un employé ne pouvait présenter individuellement. Les dispositions de sa loi habilitante indiquent clairement que la Commission avait compétence pour déterminer si les questions lui ont été renvoyées à bon droit.

La Commission n'a pas donné à la Politique une interprétation manifestement déraisonnable. La politique vise à faire en sorte que les employés nommés pour une période indéterminée puissent compter sur la cessation de l'impartition pour que leurs emplois soient protégés. Le recours à des marchés de services n'est pas interdit, mais la Politique obligeait l'employeur à réexaminer la sous‑traitance et, lorsque c'était possible, à y mettre fin afin de préserver les emplois des fonctionnaires nommés pour une période indéterminée au sein de la fonction publique. Plutôt que de tenter de préserver les emplois d'employés nommés pour une période indéterminée, l'employeur s'est mis en devoir de réduire le nombre de ces employés en confiant à un entrepreneur de l'extérieur des tâches identiques à celles de ces derniers et ce, en contravention de l'obligation énoncée dans la politique.

La conclusion de la Commission que l'employeur a manqué à cette obligation ne peut pas être qualifiée de manifestement déraisonnable, et notre Cour ne devrait pas la modifier.

Les juges L'Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin: La conclusion du juge Cory que la Commission n'a pas rendu une décision manifestement déraisonnable en concluant que l'appelant a contrevenu aux termes de la convention collective intervenue avec l'AFPC est acceptée. Toutefois, la norme de contrôle relative à la décision de la Commission quant à savoir si la question lui a été renvoyée à bon droit en vertu de l'art. 99 LRTFP n'est pas qu'elle ne doit pas avoir fait d'erreur. Il s'agit d'une question qui relève de sa compétence, de sorte que s'applique la norme du caractère manifestement déraisonnable. Comme l'article en soi ne permet pas de répondre définitivement à la question de savoir si le législateur a voulu qu'une telle matière relève de la compétence conférée au tribunal, la Cour doit considérer les autres éléments que comporte l'approche pragmatique et fonctionnelle énoncée dans l'arrêt Bibeault. La loi habilitante de la Commission lui attribue des pouvoirs vastes et étendus et, en accordant à ses décisions la protection d'une clause privative extensive, le Parlement a expressément manifesté son intention que les tribunaux fassent preuve d'une grande retenue à l'égard de ces décisions. L'expertise de la Commission et de ses membres vient étayer également la proposition selon laquelle l'attribution de compétence à l'art. 99 se voulait large plutôt que plus restreinte. En outre, il s'agit d'une question qui est au c{oe}ur de la spécialité de la Commission. Comme la question relève de sa compétence, la Commission n'a pas agi de façon manifestement déraisonnable en concluant qu'il s'agit d'une obligation qui pourrait à bon droit faire l'objet d'un renvoi fondé sur l'art. 99, et la Cour devrait faire preuve de retenue envers sa décision.


Parties
Demandeurs : Canada (Procureur général)
Défendeurs : Alliance de la fonction publique du canada

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Cory
Distinction faite d'avec les arrêts: Mudarth c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1989] 3 C.F. 371 (1re inst.), conf. par (1990), 113 N.R. 159 (C.A.F.)
Gonthier c. Canada (1986), 77 N.R. 386
Flieger c. Nouveau-Brunswick (1991), 125 R.N.-B. (2e) 228, autorisation de pourvoi accordée [1992] 2 R.C.S. vi
arrêts mentionnés: Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227
Metropolitan Life Insurance Co. c. International Union of Operating Engineers, Local 796, [1970] R.C.S. 425
Bell c. Ontario Human Rights Commission, [1971] R.C.S. 756
Anisminic Ltd. c. Foreign Compensation Commission, [1969] 2 A.C. 147
Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412
U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048
Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614
Bell Canada c. Canada (Conseil canadien de la radiodiffusion et des télécommunications), [1989] 1 R.C.S. 1722
National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324
Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644
Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455
Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220
CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983
La Reine c. Lavoie, [1978] 1 C.F. 778
Gloin c. Procureur général du Canada, [1978] 2 C.F. 307
Association canadienne du contrôle du trafic aérien c. La Reine, [1985] 2 C.F. 84
Transport Guilbault Inc. c. Scott, C.A.F., no A‑618‑85, 21 mai 1986.
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé
Arrêts mentionnés: Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554
U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048.
Lois et règlement cités
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 28.
Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P‑33, art. 29.
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P‑35, art. 12, 21, 22, 92, 99, 101.
Doctrine citée
Grand Larousse encyclopédique. Paris: Librairie Larousse, 1972, «déraisonnable», «manifeste».

Proposition de citation de la décision: Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du canada, [1993] 1 R.C.S. 941 (25 mars 1993)


Origine de la décision
Date de la décision : 25/03/1993
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1993] 1 R.C.S. 941 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1993-03-25;.1993..1.r.c.s..941 ?
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