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26/02/1993 | CANADA | N°[1993]_2_R.C.S._802

Canada | R. c. Macooh, [1993] 2 R.C.S. 802 (26 février 1993)


R. c. Macooh, [1993] 2 R.C.S. 802

Douglas John Macooh Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Macooh

No du greffe: 22747.

1993: 26 février.*

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1991), 117 A.R. 312, 2 W.A.C. 312, qui a infirmé une décision de la Cour du Banc de la Reine qui avait confirmé l'acquittement de l'accusé par le juge Sta

ples de la Cour provinciale (1990), 114 A.R. 314, relativement à des accusations de conduite en état d'ébriété, de ...

R. c. Macooh, [1993] 2 R.C.S. 802

Douglas John Macooh Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Macooh

No du greffe: 22747.

1993: 26 février.*

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1991), 117 A.R. 312, 2 W.A.C. 312, qui a infirmé une décision de la Cour du Banc de la Reine qui avait confirmé l'acquittement de l'accusé par le juge Staples de la Cour provinciale (1990), 114 A.R. 314, relativement à des accusations de conduite en état d'ébriété, de voies de fait contre un agent de la paix avec intention de résister à une arrestation et de refus de fournir un échantillon d'haleine. Pourvoi rejeté.

R. Peter Newton, pour l'appelant.

Bart Rosborough, pour l'intimée.

//Le juge en chef Lamer//

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge en chef Lamer — Le présent pourvoi soulève de nouveau la question des limites territoriales imposées aux pouvoirs d'arrestation, cette fois dans le contexte d'une infraction provinciale. Un agent de la paix est entré dans une maison privée afin d'arrêter l'appelant relativement à une infraction prévue dans une loi provinciale. Le pouvoir de l'agent de la paix d'arrêter l'appelant sans mandat n'est pas contesté en l'espèce. Il s'agit uniquement de savoir si l'agent de la paix était autorisé à pénétrer dans une maison d'habitation afin de procéder à l'arrestation de l'appelant.

Les faits

À 3 h 45, le 3 décembre 1989, un policier a vu l'appelant brûler un signal d'arrêt dans la petite ville de Spirit River (Alberta). Le policier a commencé à suivre l'appelant après avoir allumé les signaux d'urgence de l'auto‑patrouille. L'appelant a alors accéléré et a brûlé deux autres signaux d'arrêt. Il s'est ensuite arrêté dans le stationnement d'un immeuble où le policier l'a suivi. Le policier a alors reconnu l'appelant et l'a vu sortir rapidement de la voiture et courir vers la porte arrière d'un appartement. Le policier est sorti de sa voiture et a crié: [traduction] «Doug Macooh, arrête de courir. Reviens ici. On veut te parler.» L'appelant est entré dans l'appartement. Le policier est allé à la porte arrière de l'appartement et a appelé Doug Macooh dans l'appartement. Il n'a pas reçu de réponse. Il s'est identifié comme un membre de la GRC et, ne recevant toujours pas de réponse, il est entré dans l'appartement. Le policier a entendu un homme chuchoter dans la chambre: [traduction] «Dis‑lui que j'ai passé la nuit avec toi». Une femme a répondu: [traduction] «Non, Doug». Le policier est ensuite entré dans la chambre et a trouvé l'accusé au lit avec Mlle Kimberley Pack. L'agent a dit à l'appelant qu'il était en état d'arrestation pour défaut d'obtempérer à l'interpellation d'un agent de police. L'appelant a refusé à plusieurs reprises de suivre le policier et a aussi refusé de s'habiller. Quand le policier a forcé l'appelant à s'habiller, il s'est produit une altercation entre les deux, pendant laquelle le policier a pu constater chez l'appelant des signes d'intoxication. L'appelant a été arrêté. Il a refusé de fournir l'échantillon d'haleine demandé. L'appelant a été accusé de conduite en état d'ébriété, de refus d'obtempérer à l'interpellation d'un agent de la paix, de refus de fournir un échantillon d'haleine et de voies de fait contre un agent de la paix.

Les juridictions inférieures

La Cour provinciale (1990), 114 A.R. 314

Le juge de première instance a conclu, à la p. 315:

[traduction] Je suis convaincu que l'agent avait le droit d'arrêter l'accusé dans les circonstances de l'espèce, conformément à l'art. 495 du Code criminel. Toutefois, la question est de savoir s'il avait le droit d'entrer dans la maison d'habitation, sans y être invité, pour y effectuer une arrestation relativement à la violation d'une loi provinciale.

Il a ensuite examiné l'arrêt R. c. Landry, [1986] 1 R.C.S. 145, et a statué que l'entrée du policier [traduction] «dans la maison d'habitation dans le cadre de la prise en chasse d'une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire contenue dans une loi provinciale, par opposition à un acte criminel, était illégale, et que l'arrestation de la personne dans ces lieux était aussi illégale» (p. 316). Il a donc rejeté l'accusation d'avoir résisté à l'arrestation. Comme les éléments de preuve essentiels à l'établissement des infractions de conduite en état d'ébriété avaient été recueillis pendant l'arrestation illégale, le juge de première instance a refusé de les admettre au motif que leur utilisation serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

La Cour du Banc de la Reine

Le juge d'appel en matière de poursuites sommaires a accepté l'interprétation du juge de première instance quant à l'incidence de l'arrêt Landry et a rejeté l'appel.

La Cour d'appel (1991), 117 A.R. 312

Le juge Irving au nom de la Cour a statué que les juridictions inférieures avaient fait erreur à la p. 313:

[traduction] Contrairement à ce que semblent avoir conclu les instances inférieures, l'arrêt Landry ne limite pas aux actes criminels le droit d'arrêter une personne sur une propriété privée. En l'espèce, le policier satisfaisait pleinement aux exigences formulées dans les arrêts Landry et Eccles lorsqu'il a procédé à l'arrestation de l'[appelant]. L'avocat de l'[appelant] a honnêtement admis que l'acquittement de son client devrait être annulé et que celui‑ci devrait être déclaré coupable si nous étions d'avis, et nous le sommes, que l'arrestation était légale.

Les dispositions législatives pertinentes

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46:

495. (1) Un agent de la paix peut arrêter sans mandat:

a) une personne qui a commis un acte criminel ou qui, d'après ce qu'il croit pour des motifs raisonnables et probables, a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel;

b) une personne qu'il trouve en train de commettre une infraction criminelle;

c) une personne contre laquelle, d'après ce qu'il croit pour des motifs raisonnables, un mandat d'arrestation ou un mandat de dépôt, rédigé selon une formule relative aux mandats et reproduit à la partie XXVIII, est exécutoire dans les limites de la juridiction territoriale dans laquelle est trouvée cette personne.

(2) Un agent de la paix ne peut arrêter une personne sans mandat:

a) soit pour un acte criminel mentionné à l'article 553;

b) soit pour une infraction pour laquelle la personne peut être poursuivie sur un acte d'accusation ou punie sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire;

c) soit pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire,

dans aucun cas où:

d) d'une part, il a des motifs raisonnables de croire que l'intérêt public, eu égard aux circonstances y compris la nécessité:

(i) d'identifier la personne,

(ii) de recueillir ou conserver une preuve de l'infraction ou une preuve y relative

(iii) d'empêcher que l'infraction se poursuive ou se répète, ou qu'une autre infraction soit commise,

peut être sauvegardé sans arrêter la personne sans mandat;

e) d'autre part, il n'a aucun motif raisonnable de croire que, s'il n'arrête pas la personne sans mandat, celle‑ci omettra d'être présente au tribunal pour être traitée selon la loi.

Highway Traffic Act, R.S.A. 1980, ch. H‑7

[traduction] 119 À la suite d'une demande ou de signaux en ce sens de la part d'un agent de la paix en uniforme, le conducteur immobilise immédiatement son véhicule et fournit tous les renseignements que demande l'agent de la paix au sujet du conducteur ou du véhicule et ne doit pas démarrer son véhicule avant que l'agent de la paix ne l'ait autorisé à le faire.

120 Un agent de la paix peut arrêter sans mandat une personne qui, d'après ce qu'il croit pour des motifs raisonnables et probables, a commis une infraction en contravention de l'une des dispositions suivantes:

. . .

b) l'article 119 qui exige d'un conducteur qu'il immobilise son véhicule sur demande d'un agent de la paix en uniforme;

Charte canadienne des droits et libertés

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

. . .

9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires.

Analyse

a) Introduction

(i) Les arrêts Eccles et Landry

Ce pourvoi soulève donc à nouveau la question des limites territoriales des pouvoirs d'arrestation, cette fois dans le contexte d'une infraction provinciale. Deux arrêts de notre Cour sont particulièrement pertinents à cet égard: Eccles c. Bourque, [1975] 2 R.C.S. 739 et R. c. Landry, précité.

L'arrêt Eccles c. Bourque concernait une poursuite en dommages‑intérêts pour intrusion illicite intentée par l'appelant contre trois policiers qui étaient entrés dans son appartement afin d'arrêter une personne qui était l'objet de mandats délivrés dans un autre ressort. Notre Cour devait décider si, dans de telles circonstances, les policiers étaient autorisés en droit à entrer dans des locaux privés. Le juge Dickson (plus tard Juge en chef) constate d'abord qu'il n'y a rien à ce sujet dans le Code criminel et conclut donc que si une telle autorisation existe, elle doit se trouver dans la common law. Examinant la common law, et en particulier l'arrêt Semayne (1604), 5 Co. Rep. 91 a, 77 E.R. 194, le juge Dickson conclut que le principe pourtant fondamental de l'inviolabilité de la demeure, énoncé dans cette décision, a toujours été soumis à certaines exceptions, dont le droit d'entrer afin de procéder à une arrestation. Il affirme à la p. 743:

. . . il est des occasions où l'intérêt d'un particulier dans la sécurité de sa maison doit céder le pas à l'intérêt public, lorsque le grand public a un intérêt dans l'acte judiciaire à exécuter. Le criminel n'est pas à l'abri d'une arrestation dans son propre foyer ou dans celui d'un de ses amis. C'est ainsi que dans l'arrêt Semayne on a imposé une restriction au concept du «château», la Cour décidant que:

[traduction] Dans toutes les affaires où le Roi est partie, le shérif (si les portes ne sont pas ouvertes) peut s'introduire par bris dans la maison de la partie, soit pour l'arrêter, soit pour autrement exécuter l'acte judiciaire du R., si autrement il ne peut pas entrer. Mais avant qu'il ne pénètre par bris dans la maison, il doit signifier le motif de sa venue, et faire une demande qu'on ouvre les portes . . .

Voir également, un siècle plus tard, au même effet, Hale, Pleas of the Crown (1736) 582; Foster, Crown Law (1762) 320. On verra donc que le large principe de base excipant du caractère sacré du foyer est sujet à l'exception que lorsque demande régulière est faite les agents du Roi peuvent briser les portes pour faire l'arrestation.

Le juge Dickson souligne toutefois, à la p. 744, qu'il ne s'agit pas d'un droit illimité car le droit d'entrer est soumis à certaines conditions:

On ne peut entrer contre la volonté du tenancier de maison que si a) il existe des motifs raisonnables et probables de croire que la personne recherchée est sur les lieux et b) une annonce régulière est faite avant d'entrer.

Dans l'arrêt R. c. Landry, notre Cour devait décider si le pouvoir d'entrer dans des locaux privés existait aussi dans le contexte d'une arrestation sans mandat en vertu de l'al. 450(1)a) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34 (maintenant l'al. 495(1)a)). Cet alinéa prévoit le pouvoir de procéder à une arrestation sans mandat dans le cas d'un acte criminel. Le juge en chef Dickson (avec l'appui des juges Chouinard, Lamer et Wilson) rappelle d'abord que l'autorisation d'entrer, n'étant pas prévue au Code criminel, doit se trouver dans la common law. Examinant la common law, il conclut que ni l'arrêt Semayne ni l'arrêt Eccles c. Bourque n'indiquent que le pouvoir d'entrer par la force pour procéder à une arrestation doit être limité aux cas où un mandat a été délivré. Il ajoute qu'il y a des raisons de principe pour ne pas imposer aux policiers l'obligation d'obtenir un mandat pour effectuer une arrestation dans des locaux résidentiels. Il dit aux pp. 160 et 161:

Il y a, en outre, une bonne raison de s'en tenir à cette jurisprudence au lieu d'adopter une nouvelle règle qui impose à la police d'obtenir un mandat d'arrestation pour effectuer une arrestation dans des locaux résidentiels. Les crimes sont souvent commis à proximité de locaux résidentiels. Lorsqu'un policier est témoin d'un crime ou arrive sur les lieux peu après, la possibilité qu'il arrête le contrevenant ne devrait pas pouvoir être déjouée du fait que le contrevenant s'est caché dans une maison ou un immeuble d'appartements voisin. Notre société est plus urbanisée, plus mobile et plus anonyme que jamais. Si un policier est obligé d'obtenir un mandat d'arrestation avant de pénétrer dans une résidence, il devra essayer d'obtenir le nom du contrevenant des voisins. Le plus souvent, le contrevenant se sera glissé chez quelqu'un et les voisins seront incapables de fournir ce renseignement. Dans d'autres cas, le contrevenant aura effectivement cherché refuge chez-lui, mais les voisins peuvent ne pas le connaître. Même si le policier a la chance d'obtenir le nom du contrevenant, il faudra qu'il trouve un juge de paix pour signer le mandat d'arrestation. Un temps précieux — et probablement le contrevenant — seront perdus parce que, lorsque le policier reviendra finalement avec son mandat, le contrevenant aura trouvé refuge ailleurs.

Le juge en chef Dickson conclut donc qu'un droit d'entrer existe dans le contexte d'une arrestation sans mandat en vertu de l'al. 450(1)a) (maintenant l'al. 495(1)a)) du Code criminel à la condition que les critères de cet alinéa ainsi que les normes énoncées dans l'arrêt Eccles c. Bourque soient satisfaits. Il dit aux pp. 164 et 165:

Les questions à poser sont les suivantes:

1. S'agit‑il d'un acte criminel?

2.La personne arrêtée a‑t‑elle commis l'infraction en question ou l'agent de la paix a‑t‑il des motifs raisonnables et probables de croire que cette personne a commis ou est sur le point de commettre ladite infraction?

3.Y a‑t‑il des motifs raisonnables et probables de croire que la personne recherchée se trouve dans les lieux?

4. Un avis régulier a‑t‑il été donné avant d'entrer?

Si la réponse à chacune de ces questions est affirmative, l'arrestation est légale.

(ii) La question soulevée par le présent pourvoi

En l'espèce, l'appelant ne conteste pas le pouvoir de l'agent de la paix de procéder à une arrestation sans mandat. Il prétend toutefois que les principes énoncés dans l'arrêt Landry visent exclusivement les arrestations sans mandat relatives à un acte criminel et ne devraient donc pas s'appliquer aux infractions provinciales. Il soutient donc qu'il n'existe pas de pouvoir d'entrer dans le cas d'une arrestation sans mandat relative à une infraction provinciale.

À mon avis, la question ne se présente pas tout à fait ainsi. Bien que les juridictions inférieures aient tranché l'affaire sur la base de l'applicabilité de l'arrêt Landry à une infraction provinciale, la question posée à notre Cour est en réalité plus étroite. Il est admis en effet que l'entrée des policiers dans la demeure de Mlle Pack a eu lieu dans le contexte d'une prise en chasse, qui est une exception traditionnellement reconnue par la common law au principe de l'inviolabilité de la demeure, et par conséquent un cas où il existe, en vertu de la common law, un droit d'entrer aux fins d'une arrestation sans mandat. Notre Cour doit donc déterminer uniquement s'il y a lieu d'étendre l'exception que constitue la prise en chasse aux arrestations relatives à des infractions provinciales. Toutefois, avant de passer à cette question, il y a lieu de faire quelques commentaires de nature plus générale sur le concept de prise en chasse.

b) La prise en chasse

i) Le droit d'entrer en cas de prise en chasse: la common law

Il est bien établi en common law que les policiers ont le pouvoir d'entrer dans des locaux privés afin de procéder à une arrestation dans le cas d'une prise en chasse. Cette exception est mentionnée dans Halsbury's Laws of England, 3e éd., vol. 10, à la p. 354:

[traduction] Lorsqu'un crime a été commis, que le contrevenant est suivi dans une habitation et qu'il n'existe aucun autre moyen d'entrer, toute personne peut, semble‑t‑il, forcer la porte de l'habitation pour arrêter le contrevenant. Cela est également possible dans le cas où un crime sera probablement commis à moins qu'une personne n'intervienne pour en empêcher la perpétration.

Lorsqu'une rixe se produit en présence d'un agent de police, que les contrevenants s'enfuient et sont immédiatement poursuivis par l'agent, mais entrent dans une habitation, l'agent peut en forcer les portes pour les arrêter dans le cadre de la poursuite immédiate.

Avant de forcer les portes aux fins d'une arrestation, un préavis doit être donné et la permission d'entrer doit avoir été demandée et refusée.

Le droit des policiers d'entrer dans des locaux privés en cas de prise en chasse est également confirmé par l'exposé que fait lord Donaldson de la common law sur ces questions dans l'arrêt Swales c. Cox, [1981] 1 All E.R. 1115 (Q.B. Div.), à la p. 1118:

[traduction] . . . il existait, en common law, un pouvoir de pénétrer dans des lieux et, si nécessaire, un pouvoir de forcer les portes pour le faire dans quatre cas, mais dans quatre cas seulement: ce pouvoir appartenait à un agent de police ou à un citoyen ordinaire dans le but d'empêcher un meurtre, à un agent de police ou à un citoyen ordinaire si un acte criminel avait été commis et que le criminel était poursuivi jusqu'à une habitation, à un agent de police ou à un citoyen ordinaire si un acte criminel était sur le point d'être commis et le serait à moins d'être empêché, et à un agent de police qui poursuivait un contrevenant en fuite après une rixe. [Je souligne.]

Notre Cour a mentionné le droit d'entrer en cas de prise en chasse dans les deux arrêts consacrés aux limites territoriales imposées aux pouvoirs d'arrestation. Dans l'arrêt Eccles c. Bourque, le juge Dickson suggère que l'exigence d'un avertissement pourrait ne pas s'appliquer en cas de prise en chasse, à la p. 747:

. . . il est reconnu qu'il y aura des occasions où, par exemple, afin de sauver de la mort ou de blessures quelqu'un qui se trouve sur les lieux ou d'empêcher la destruction d'une preuve, ou en cours de poursuite immédiate (hot pursuit), l'avis puisse ne pas être requis. [Je souligne.]

Ce passage est cité et approuvé par le juge en chef Dickson dans l'arrêt Landry (à la p. 157). Je note que la question soulevée par le juge Dickson dans ce passage ne se pose pas dans le cadre du présent pourvoi, puisque la poursuite en cause n'a pas empêché le policier de donner avis de son intention d'entrer.

Le juge La Forest, qui était dissident dans l'affaire Landry, reconnaissait également — et de façon plus explicite — l'exception au principe de l'inviolabilité du domicile applicable en cas de prise en chasse. Il mentionne plusieurs fois cette exception dans ses motifs. Ainsi, il affirme (à la p. 168) que l'analyse des restrictions au principe de l'inviolabilité de la demeure effectuée par les juges de l'arrêt Semayne «indique clairement qu'il était possible de procéder à une arrestation en pénétrant de force dans une maison si celui qui y procédait était muni d'un mandat ou encore s'il avait pris le contrevenant en chasse» (je souligne). Commentant l'arrêt Eccles c. Bourque, le juge La Forest souligne également que la personne recherchée dans cette affaire était un fugitif. Il affirme (à la p. 176): «Les personnes qui fuient la justice sont souvent traitées différemment des autres contrevenants. L'exemple le plus patent est l'arrestation du fugitif alors qu'on l'a pris en chasse» (je souligne). Enfin, le juge La Forest résume dans les termes suivants le doit en common law concernant le pouvoir des policiers d'entrer dans des locaux privés, à la p. 179:

Comme nous l'avons vu, la common law attache un grand prix à la sécurité et au caractère privé du foyer. Les situations où elle autorisait l'entrée de policiers sans le consentement du propriétaire ou de l'occupant étaient toutes des cas où il était évident que l'entrée s'imposait. Par exemple, l'entrée pour prévenir un meurtre est manifestement justifiée. De même l'entrée alors qu'on a pris le fugitif en chasse. Outre la nature manifestement pratique de cette façon d'aborder la question lorsque l'agent de police a pris quelqu'un en chasse, il a lui‑même connaissance des faits qui justifient l'entrée; il agit en vertu d'une connaissance personnelle. Manifestement aussi, l'entrée en vertu d'un mandat est essentielle au bon fonctionnement du système de justice pénale. L'État doit, en fin de compte, avoir la possibilité d'empêcher les criminels de se soustraire à la justice en cherchant refuge dans une maison privée. [Je souligne]

Il est donc permis d'affirmer qu'il existe, en common law, un pouvoir d'entrer des policiers en cas de prise en chasse, et que ce pouvoir existe également dans notre droit. Cette exception au principe de l'inviolabilité de la demeure se justifie d'ailleurs aisément.

(ii) Le droit d'entrer en cas de prise en chasse: justification

Il serait en premier lieu inacceptable que des policiers s'apprêtant à procéder à une arrestation tout à fait légitime en soient empêchés du seul fait que le contrevenant s'est réfugié dans sa demeure ou dans celle d'un tiers. Dans l'arrêt Eccles c. Bourque, précité, le juge Dickson affirmait que «[l]e criminel n'est pas à l'abri d'une arrestation dans son propre foyer ou dans celui d'un de ses amis» (p. 743). Il ajoutait: «Je ne connais aucun endroit qui donne à un criminel fugitif un sanctuaire vis‑à‑vis d'une arrestation» (p. 744). Ces préoccupations ne sont nulle part aussi pertinentes que dans le cas d'une prise en chasse. Dans ce cas, le contrevenant n'est pas importuné à l'improviste par les policiers dans la tranquillité de sa vie privée. Il a gagné son domicile, après avoir pris la fuite, dans le seul but d'échapper à une arrestation. Dans de telles circonstances, on ne peut forcer les policiers à mettre fin à la poursuite au seuil de la demeure du contrevenant, sans faire de cette demeure un véritable sanctuaire, contrairement aux principes énoncés par notre Cour dans l'arrêt Eccles. On ne peut admettre non plus que la fuite du contrevenant -‑ un acte contraire à l'ordre public -‑ soit ainsi récompensée.

D'un point de vue plus pratique, il n'est pas souhaitable d'encourager les contrevenants à chercher refuge chez eux ou chez un tiers. Des dangers importants peuvent être associés à de telles fuites, et aux poursuites qui peuvent en résulter. Ainsi, dans le cas qui nous occupe, l'appelant, par sa fuite, a mis inutilement en péril la sécurité de ceux qui auraient pu se trouver sur son chemin.

D'autres motifs peuvent être invoqués au soutien d'une exception au principe de l'inviolabilité de la demeure en cas de prise en chasse. Comme le fait valoir le juge La Forest dans l'arrêt Landry, le policier, dans le contexte d'une prise en chasse, peut avoir une connaissance personnelle des faits qui justifient l'arrestation; cela diminue grandement les risques d'erreur. La fuite indique habituellement une certaine conscience de culpabilité de la part du contrevenant. En outre, il peut souvent être difficile, même si ce n'était pas le cas en l'espèce, d'identifier le contrevenant sans l'arrêter sur le champ. La preuve de l'infraction qui a donné lieu à la poursuite ou d'une infraction connexe peut être perdue; en l'espèce, par exemple, quand l'accusé a été appréhendé, on a constaté des signes d'ébriété. Enfin, ce dernier peut fuir à nouveau ou commettre l'infraction et l'on ne peut exiger des policiers qu'ils assurent indéfiniment la surveillance de la demeure du contrevenant au cas où ce dernier se déciderait à sortir.

En somme, cette exception est fondée sur le bon sens, qui répugne à ce que le contrevenant puisse échapper à une arrestation en se réfugiant chez lui ou chez un tiers. C'est pourquoi, dans la mesure où une arrestation sans mandat est permise au départ, la fuite du contrevenant dans une maison d'habitation ne peut pas rendre l'arrestation illégale. L'entrée des policiers, en cas de prise en chasse, est alors parfaitement justifiée.

(iii) La prise en chasse: définition

Notre Cour a mentionné plusieurs fois cette exception au principe de l'inviolabilité de la demeure, mais n'a jamais eu l'occasion de définir la prise en chasse. Le juge Chadwick, dans l'arrêt Miller c. Stewart, [1991] O.J. No. 2238 (Q.L.) (C. Ont., Div. gén.) notait à cet égard, à la p. 25:

[traduction] Diverses autorités parlent de «prise en chasse» ("hot pursuit") mais il n'existe pas vraiment de définition de cette expression. À mon avis, le bon sens doit guider l'analyse de ce qui constitue une prise en chasse.

De manière générale, et sous réserve des précisions qui pourraient être nécessaires selon les situations de fait soumises aux tribunaux, j'estime que l'approche proposée par R. E. Salhany dans Canadian Criminal Procedure (5th ed. 1989), à la p. 44, permet de bien cerner le concept de prise en chasse:

[traduction] Généralement, l'essence de la prise en chasse est qu'elle doit être continue et effectuée avec diligence raisonnable, de façon à ce que la poursuite et la capture, avec la perpétration de l'infraction, puissent être considérées comme faisant partie d'une seule opération.

Selon cette approche, il ne fait pas de doute qu'il y a eu prise en chasse en l'espèce. La poursuite représente même un exemple type de ce que l'on entend généralement par une prise en chasse. L'appelant a d'ailleurs admis qu'il s'agissait d'une prise en chasse.

Néanmoins, l'appelant soutient qu'il ne devrait y avoir aucun droit d'entrer sur une propriété privée, même dans le contexte d'une prise en chasse, sauf dans le cas d'actes criminels et non dans le cas des infractions provinciales. Je passe donc à l'examen de ce point, qui est la question principale dans le présent pourvoi.

c)L'application de cette exception doit‑elle être étendue aux arrestations découlant d'une infraction provinciale?

L'appelant prétend donc que le pouvoir d'entrer des policiers en cas de prise en chasse devait être réservé aux arrestations découlant d'un acte criminel. Je ne saurais retenir cette distinction.

(i) La common law

En premier lieu, le droit d'entrer en cas de prise en chasse n'était apparemment pas restreint, en vertu de la common law, aux arrestations relatives à des infractions majeures (felonies). Comme le rappelait lord Donaldson dans l'arrêt Swales c. Cox, précité, à la p. 1118, il existait aussi en common law un droit d'entrer dans le cas d'un [traduction] «agent de police qui poursuit un contrevenant en fuite après une rixe». Cette situation est également évoquée dans Halsbury's Laws of England, 3e éd., vol. 10, à la p. 354:

[traduction] Lorsqu'une rixe se produit en présence d'un agent de police, que les contrevenants s'enfuient et sont immédiatement poursuivis par l'agent, mais entrent dans une habitation, l'agent peut en briser les portes pour les arrêter dans le cadre de la poursuite immédiate.

Selon les auteurs W. F. Foster et Joseph E. Magnet ("The Law of Forcible Entry" (1977) 15 Alta. L. Rev. 271), la common law reconnaissait aussi de façon plus générale un droit d'entrer en cas de prise en chasse relativement à toute infraction mineure (misdemeanour), à la condition qu'elle ait été commise en présence du policier. Ils affirment, à la p. 279: [traduction] «Un agent de la paix peut entrer de force, sans mandat, dans le cas d'un méfait commis en sa présence. L'entrée ne serait pas justifiée si le méfait n'était pas commis en sa présence.»

Il est intéressant de noter qu'en l'espèce l'infraction a été commise en présence des policiers conformément à l'exigence mentionnée par Foster et Magnet. Je ne crois toutefois pas qu'il soit opportun d'imposer strictement cette condition au droit d'entrer dans le contexte d'infractions autres que des actes criminels. Cette condition est trop restrictive. Les policiers qui arrivent peu après la perpétration de l'infraction, et voient fuir le contrevenant, devraient en effet pouvoir le suivre jusque dans des locaux privés, tant dans le contexte d'une infraction provinciale que dans celui d'un acte criminel. Ce pouvoir d'entrer devrait également être donné aux policiers qui continuent une poursuite déjà engagée. L'exigence qu'il y ait véritablement une prise en chasse est à mon avis suffisante et permet de répondre aux préoccupations qui sont à l'origine de la condition décrite par Foster et Magnet. Cela suppose en effet, comme je l'ai dit plus haut, une continuité réelle entre la perpétration de l'infraction et la poursuite entreprise par les policiers.

(ii) Considérations de principe

Il existe donc en vertu de la common law un droit d'entrer pour procéder à une arrestation, dans les cas de prises en chasse, tant pour les actes criminels que pour d'autres types d'infractions. À mon avis, il n'y a pas lieu de modifier cette règle. De fortes considérations de principe s'opposent fortement à ce que l'on retienne la distinction entre les actes criminels et les autres catégories d'infractions aux fins de déterminer les limites territoriales du pouvoir d'arrestation en cas de prise en chasse. Contrairement à la séparation qui existait en common law entre les infractions majeures et les infractions mineures, la division qui existe actuellement dans notre droit entre les actes criminels et les autres catégories d'infractions ne reflète que très imparfaitement la gravité des infractions. Il n'existe surtout aucun lien logique entre l'appartenance d'une infraction à l'une ou l'autre de ces catégories et la nécessité qu'il peut y avoir de procéder à une arrestation dans des locaux résidentiels, dans le contexte d'une prise en chasse.

Cela résulte en partie du partage constitutionnel des compétences entre le Parlement et les législatures provinciales. En vertu du par. 92(15) de la Loi constitutionnelle de 1867, les législatures provinciales ont compétence pour créer des infractions, qui s'avèrent souvent plus graves que bien des infractions appartenant à la catégorie des actes criminels, et qui peuvent exiger de façon beaucoup plus urgente une arrestation dans le contexte d'une prise en chasse. Ces infractions ne peuvent pourtant jamais appartenir à la catégorie des actes criminels, qui relève exclusivement du Parlement fédéral. Cette caractéristique de notre système juridique rend particulièrement inadéquate la distinction entre les actes criminels et les autres catégories d'infractions, aux fins de déterminer le pouvoir d'entrer des policiers en cas de prise en chasse. De plus, dans certaines situations, il n'est pas déterminé, comme l'indique l'espèce, quelle sera l'accusation. Nier l'existence de ce pouvoir dans le cas de toutes les infractions qui ne sont pas des actes criminels et, par conséquent, dans le cas de toutes les infractions provinciales, constituerait à mon avis, une limitation excessive et injustifiable des pouvoirs des policiers, et c'est pourquoi j'estime que la distinction entre les actes criminels et les autres catégories d'infractions, dans ce contexte, ne devrait pas être retenue. J'ajouterais que les principaux motifs qui justifient l'entrée des policiers dans le contexte d'une prise en chasse, à savoir la nécessité d'éviter que le domicile devienne un véritable sanctuaire et le risque d'encourager la fuite devant les policiers, s'appliquent tant dans le contexte des infractions provinciales (comme d'ailleurs des infractions fédérales punissables par voie de poursuite sommaire) que dans le contexte des actes criminels.

Toutefois cela ne signifie pas que les policiers pourront entrer dans des locaux résidentiels, dans le cas d'une prise en chasse, afin de procéder à une arrestation relativement à n'importe quel type d'infraction. Les policiers disposent évidemment de ce pouvoir lorsqu'un mandat a été délivré contre le contrevenant. Mais en l'absence de mandat, il devra toujours s'agir d'une infraction ou de circonstances qui permettent par ailleurs aux policiers de procéder à une arrestation sans mandat. Cette condition, qui n'a pas été discutée dans le contexte du présent pourvoi parce que le pouvoir de procéder à une arrestation sans mandat n'était pas contesté, est essentielle. Elle permet d'assurer que le droit d'entrer s'applique uniquement aux infractions ou aux circonstances que le législateur a jugées suffisamment graves pour justifier un pouvoir d'arrestation sans mandat. Je note à cet égard, à titre d'illustration, que la Highway Traffic Act, auquel l'appelant a contrevenu en l'espèce, ne prévoit un pouvoir d'arrestation sans mandat qu'à l'égard d'un nombre limité d'infractions.

d) Sommaire

Je conclus en résumé que même sans mandat d'arrestation, il existe, en cas de prise en chasse, un droit d'entrer dans des locaux résidentiels aux fins de procéder à une arrestation tant à l'égard des infractions provinciales que des actes criminels, dans la mesure, cependant, où les circonstances justifient par ailleurs une arrestation sans mandat. L'entrée des policiers était donc autorisée en l'espèce.

Nous n'avons pas à nous prononcer aujourd'hui sur l'existence d'un pouvoir général d'entrer dans des locaux privés, aux fins de procéder à une arrestation sans mandat relativement à une infraction provinciale, dans des situations autres que les cas de prise en chasse.

e) La Charte

L'appelant présente aussi des arguments fondés sur la Charte canadienne des droits et libertés. Il prétend qu'il y a eu atteinte à ses droits en vertu des art. 7 et 9 de la Charte. Ces arguments sont sans fondement.

En ce qui a trait à l'art. 9, notre Cour a examiné dans l'affaire R. c. Wilson, [1990] 1 R.C.S. 1291, la constitutionnalité d'une interpellation en vertu de l'art. 119 du Highway Traffic Act. Un agent de police avait interpellé un automobiliste après l'avoir observé la nuit aux environs d'un bar dans un véhicule immatriculé hors de la province. Le juge Cory a estimé que, dans le contexte de communauté rurale, on pouvait considérer que la police avait présenté des motifs raisonnables d'interpeller l'automobiliste. Il a en conséquence conclu, à la p. 1297, que bien que l'appelant ait été détenu, la détention n'était pas arbitraire:

Dans un cas comme celui‑ci, lorsque la police présente des motifs d'interpeller un automobiliste qui sont raisonnables et qui peuvent être exprimés clairement (le motif précis dont parle la jurisprudence américaine), l'interpellation ne devrait pas être considérée comme ayant été effectuée au hasard. Par conséquent, bien que l'appelant ait été détenu, la détention n'était pas arbitraire en l'espèce et l'interpellation n'a pas violé l'art. 9 de la Charte.

Dans les circonstances de la présente affaire, le policier, qui avait observé l'appelant brûler un stop, puis refuser de s'arrêter à sa demande et s'enfuir dans l'appartement de Mlle Pack, disposait de motifs plus raisonnables encore que ceux invoqués dans l'affaire Wilson pour interpeller puis détenir l'appelant. L'argument voulant que la détention, dans de pareilles circonstances, ait pu être arbitraire, est, à l'évidence, totalement dépourvu de fondement.

En ce qui a trait à l'art. 7, à supposer même que cette disposition implique la protection d'un droit à la vie privée, ce que nous n'avons pas à décider ici, il ne saurait être question de la violation de ce droit en l'espèce. Dans l'arrêt R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387, le juge La Forest affirmait à la p. 412:

À supposer que l'art. 7 assure la protection d'un droit à la vie privée comme le droit qui est inhérent à la garantie contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives de l'art. 8 de la Charte, une proposition que je serais enclin à admettre, il faut se rappeler que le Juge en chef actuel, dans l'arrêt Southam, a pris soin de souligner que la Constitution garantissait une «attente raisonnable» en ce qui concerne la protection de la vie privée . . .

Or, il est impossible de parler, dans la situation de l'appelant, d'une attente raisonnable en ce qui concerne la protection de la vie privée. L'appelant a gagné l'appartement de Mlle Pack alors qu'il savait être poursuivi par un agent de la paix, précisément afin de lui échapper. Il devait raisonnablement s'attendre à être suivi. Il va de soi qu'une personne qui va chez elle ou chez quelqu'un d'autre pour échapper aux policiers qui la poursuivent en raison d'une infraction qu'elle vient de commettre et à l'égard de laquelle il existe un pouvoir d'arrestation sans mandat, ne saurait s'attendre à ce que sa vie privée soit protégée dans ces circonstances de manière à empêcher les policiers de procéder à l'arrestation.

f) Conclusion

Pour tous ces motifs, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l'appelant: Campbell & Company, Edmonton.

Procureur de l'intimée: Bart Rosborough, Edmonton.

* Motifs déposés le 30 juin 1993.


Synthèse
Référence neutre : [1993] 2 R.C.S. 802 ?
Date de la décision : 26/02/1993
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Police - Pouvoirs d'arrestation - Infractions provinciales - Entrée sans mandat d'un agent de la paix dans une maison privée pour arrêter une personne accusée d'une infraction provinciale - La common law reconnaît traditionnellement l'exception de la prise en chasse au principe de l'inviolabilité du foyer - L'exception doit‑elle être étendue aux arrestations pour infractions provinciales? - L'entrée de l'agent de la paix était‑elle légale?.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Justice fondamentale - Détention arbitraire - Entrée sans mandat d'un agent de la paix dans une maison privée pour arrêter une personne accusée d'une infraction provinciale - Il n'y a pas eu atteinte aux droits de l'accusé en vertu des art. 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Un policier a vu l'accusé brûler un signal d'arrêt et a commencé à le suivre après avoir allumé les signaux d'urgence de l'auto‑patrouille. L'accusé a alors accéléré, a brûlé deux autres signaux d'arrêt et s'est arrêté dans le stationnement d'un immeuble. Le policier a reconnu l'accusé et l'a vu sortir de la voiture et courir vers la porte arrière d'un appartement. Le policier lui a crié d'arrêter et de revenir, mais l'accusé est entré dans l'appartement. Le policier a alors appelé l'accusé dans l'appartement, mais n'a pas reçu de réponse. Il s'est identifié comme un membre de la GRC et, ne recevant toujours pas de réponse, il est entré dans l'appartement. Il a trouvé l'accusé au lit et il lui a dit qu'il était en état d'arrestation pour défaut d'obtempérer à l'interpellation d'un agent de police. L'accusé a refusé plusieurs fois de suivre le policier. Il s'est produit une altercation pendant laquelle le policier a pu constater chez l'accusé les signes habituels d'intoxication. L'accusé a été arrêté. Il a refusé de fournir l'échantillon d'haleine demandé et il a été accusé de conduite en état d'ébriété, de refus d'obtempérer à l'interpellation d'un agent de la paix, de refus de fournir un échantillon d'haleine et de voies de fait contre un agent de la paix avec intention de résister à une arrestation.

Le juge de première instance a conclu que l'entrée du policier dans la maison d'habitation dans le cadre de la prise en chasse d'une personne soupçonnée d'une infraction prévue par une loi provinciale, punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, par opposition à un acte criminel, était illégale, et que l'arrestation de la personne dans ces lieux était aussi illégale. Il a donc rejeté l'accusation d'avoir résisté à l'arrestation. Comme les éléments de preuve essentiels à l'établissement des infractions de conduite en état d'ébriété et de refus de fournir un échantillon d'haleine avaient été recueillis pendant l'arrestation illégale, le juge de première instance a refusé de les admettre au motif que leur utilisation serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, et l'accusé a également été acquitté relativement à ces accusations. Le juge d'appel en matière de poursuites sommaires a confirmé les acquittements. La Cour d'appel a statué que le droit d'arrêter une personne sur une propriété privée ne se limite pas aux actes criminels et que l'arrestation était en conséquence légale. Elle a annulé les acquittements et a inscrit des déclarations de culpabilité.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Il est bien établi en common law que les policiers ont le pouvoir d'entrer dans des locaux privés pour procéder à une arrestation dans le cas d'une prise en chasse. Cette exception au principe de l'inviolabilité de la demeure se justifie aisément. Il serait inacceptable que des policiers s'apprêtant à procéder à une arrestation tout à fait légitime en soient empêchés du seul fait que le contrevenant s'est réfugié dans sa demeure ou dans celle d'un tiers. D'un point de vue plus pratique, des dangers importants peuvent découler de la fuite du contrevenant et de la poursuite qui peut en résulter. Par ailleurs, le policier, dans le contexte d'une prise en chasse, peut avoir une connaissance personnelle des faits qui justifient l'arrestation, ce qui diminue grandement le risque d'erreur. La fuite indique habituellement une certaine conscience de culpabilité de la part du contrevenant. En outre, il peut souvent être difficile d'identifier le contrevenant sans l'arrêter sur le champ. La preuve de l'infraction ayant donné lieu à la prise en chasse ou celle d'une infraction connexe peut également être perdue. Enfin, le contrevenant pourra fuir à nouveau ou commettre l'infraction et l'on ne peut exiger des policiers qu'ils assurent indéfiniment la surveillance de la demeure du contrevenant au cas où ce dernier se déciderait à sortir. Dans la mesure où une arrestation sans mandat est permise au départ, la fuite du contrevenant dans une maison d'habitation ne peut pas la rendre illégale.

Il existe en vertu de la common law un droit d'entrer pour procéder à une arrestation, dans les cas de prise en chasse, tant pour les actes criminels que pour d'autres types d'infractions, et des considérations de principe s'opposent fortement à ce qu'on modifie cette règle. Contrairement à la séparation qui existait en common law entre les infractions majeures et les infractions mineures, la division qui existe actuellement dans notre droit entre les actes criminels et d'autres catégories d'infractions ne reflète que très imparfaitement la gravité des infractions. Il n'existe surtout aucun lien logique entre l'appartenance d'une infraction à l'une ou l'autre de ces catégories et la nécessité qu'il peut y avoir de procéder à une arrestation dans des locaux résidentiels dans le cas d'une prise en chasse. Même sans mandat d'arrestation, il existe donc, en cas de prise en chasse, un droit d'entrer dans des locaux résidentiels aux fins de procéder à une arrestation tant à l'égard d'infractions provinciales que d'actes criminels, pourvu que les circonstances justifient par ailleurs une arrestation sans mandat. L'entrée des policiers était donc autorisée en l'espèce.

Il n'y a pas eu atteinte aux droits de l'accusé en vertu des art. 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés. En ce qui a trait à l'art. 9, le policier avait des motifs raisonnables d'interpeller et de détenir l'accusé et la détention n'était donc pas arbitraire. En ce qui a trait à l'art. 7, à supposer même que cette disposition implique la protection d'un droit à la vie privée, il ne saurait être question d'une violation de ce droit en l'espèce. Une personne qui entre chez elle ou chez quelqu'un d'autre pour échapper à des policiers qui la poursuivent en raison d'une infraction qu'elle vient de commettre et à l'égard de laquelle il existe un pouvoir d'arrestation sans mandat, ne saurait s'attendre à ce que sa vie privée soit protégée dans ces circonstances de manière à empêcher les policiers de procéder à l'arrestation.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Macooh

Références :

Jurisprudence
Arrêts examinés: R. c. Landry, [1986] 1 R.C.S. 145
Eccles c. Bourque, [1975] 2 R.C.S. 739
arrêts mentionnés: Semayne's Case (1604), 5 Co. Rep. 91 a, 77 E.R. 194
Swales c. Cox, [1981] 1 All E.R. 1115
Miller c. Stewart, [1991] O.J. No. 2238 (Q.L.)
R. c. Wilson, [1990] 1 R.C.S. 1291
R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 9.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 495(1)a) [mod. par ch. 27 (1er suppl.), art. 75].
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 450(1)a).
Highway Traffic Act, R.S.A. 1980, ch. H‑7, art. 119, 120.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 92(15).
Doctrine citée
Foster, W. F., and Joseph E. Magnet. «The Law of Forcible Entry» (1977), 15 Alta. L. Rev. 271.
Halsbury's Laws of England, vol. 10, 3rd ed. London: Butterworth & Co., 1955.
Salhany, R. E. Canadian Criminal Procedure, 5th ed. Aurora: Canada Law Book, 1989.

Proposition de citation de la décision: R. c. Macooh, [1993] 2 R.C.S. 802 (26 février 1993)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1993-02-26;.1993..2.r.c.s..802 ?
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