La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/01/1993 | CANADA | N°[1993]_1_R.C.S._319

Canada | New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319 (21 janvier 1993)


New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle‑Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319

Arthur Donahoe en sa qualité de

président de l'Assemblée

législative Appelant

c.

La Société Radio‑Canada Intimée

et

L'honorable Guy Charbonneau, président du Sénat,

l'honorable John Fraser, président de la Chambre

des communes, l'honorable David Warner, président

de l'Assemblée législative de la province d'Ontario,

l'honorable Jean‑Pierre Saintonge, président de

l'Assemblée nati

onale du Québec, l'honorable

Denis Rocan, orateur de l'Assemblée législative

de la province du Manitoba, le président de

l'Assemblée législat...

New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle‑Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319

Arthur Donahoe en sa qualité de

président de l'Assemblée

législative Appelant

c.

La Société Radio‑Canada Intimée

et

L'honorable Guy Charbonneau, président du Sénat,

l'honorable John Fraser, président de la Chambre

des communes, l'honorable David Warner, président

de l'Assemblée législative de la province d'Ontario,

l'honorable Jean‑Pierre Saintonge, président de

l'Assemblée nationale du Québec, l'honorable

Denis Rocan, orateur de l'Assemblée législative

de la province du Manitoba, le président de

l'Assemblée législative de la province de la

Colombie‑Britannique, l'honorable Edward W. Clark,

président de l'Assemblée législative de

l'Île‑du‑Prince‑Édouard, l'honorable Herman Rolfes,

président de l'Assemblée législative de la province

de la Saskatchewan, l'honorable David John Carter,

président de l'Assemblée législative de la province

d'Alberta, l'honorable Thomas Lush, président de

l'Assemblée législative de la province de Terre‑Neuve,

le président de l'Assemblée législative des

Territoires du Nord‑Ouest, le président de l'Assemblée

législative du Yukon, le procureur général de

l'Ontario, le procureur général de la

Colombie‑Britannique et l'Association canadienne des

journalistes Intervenants

Répertorié: New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle‑Écosse (Président de l'Assemblée législative)

No du greffe: 22457.

1992: 2, 3 mars; 1993: 21 janvier.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Stevenson* et Iacobucci.

en appel de la cour suprême de la nouvelle‑écosse, section d'appel

POURVOI contre un arrêt de la Section d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse (1991), 102 N.S.R. (2d) 271, 279 A.P.R. 271, 80 D.L.R. (4th) 11, 6 C.R.R. (2d) 298, qui a accueilli en partie un appel contre un jugement du juge Nathanson (1990), 97 N.S.R. (2d) 365, 258 A.P.R. 365, 71 D.L.R. (4th) 23, qui avait accédé à la demande de déclaration d'un droit d'accès que l'intimée avait faite conformément à l'al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés afin de téléviser les débats de l'Assemblée législative. Pourvoi accueilli, le juge Cory est dissident.

Graham D. Walker, c.r., Reinhold M. Endres et Gordon C. Johnson, pour l'appelant.

David G. Coles, James L. Connors, Daniel J. Henry et Kenda Murphy, pour l'intimée.

W. Ian C. Binnie, c.r., Mark J. Freiman, pour l'intervenant le président du Sénat.

Robert E. Houston, c.r., et Alan Riddell, pour l'intervenant le président de la Chambre des communes.

Neil Finkelstein et George Vegh, pour l'intervenant le président de l'Assemblée législative de l'Ontario.

Raynold Langlois, c.r., et Luc Huppé, pour l'intervenant le président de l'Assemblée nationale du Québec.

Robert G. Richards et Deborah Carlson, pour les intervenants l'orateur de l'Assemblée législative du Manitoba et le président de l'Assemblée législative de la Saskatchewan.

W. S. Berardino, c.r., et Mark D. Andrews, pour l'intervenant le président de l'Assemblée législative de la Colombie‑Britannique.

Sid M. Tarrabain, Edward J. Lieber et Michael P. Ritter, pour les intervenants le président de l'Assemblée législative de l'Alberta, le président de l'Assemblée législative des Territoires du Nord‑Ouest et le président de l'Assemblée législative du Yukon.

B. Gale Welsh, pour l'intervenant le président de l'Assemblée législative de Terre‑Neuve.

M. David Lepofsky et Lori Sterling, pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.

Frank A. V. Falzon, pour l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

Richard G. Dearden, pour l'intervenante l'Association canadienne des journalistes.

//Le juge en chef Lamer//

Version française des motifs rendus par

Le juge en chef Lamer — Il y a trois questions à trancher dans le présent pourvoi. Premièrement, l'exercice par les membres de l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse de leur privilège d'exclure de l'Assemblée les caméras de stations de télévision indépendantes échappe-t-il à l'examen fondé sur la Charte? Deuxièmement, si la réponse est négative, l'exclusion de l'Assemblée des caméras de stations de télévision indépendantes viole‑t‑elle la liberté d'expression de l'intimée? Enfin, dans l'affirmative, cette violation est‑elle justifiée en vertu de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

I. Les faits

La société New Brunswick Broadcasting Co. Limited, qui fait affaires sous le nom de MITV, a intenté contre l'appelant des procédures devant la Section de première instance de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse au moyen d'un avis de requête visant à obtenir une ordonnance [traduction] «autorisant MITV à filmer les débats de l'assemblée législative avec ses propres caméras ou enjoignant au président de l'Assemblée de permettre la couverture complète des débats à tous les journalistes de la télévision ou autres». Le président s'est constitué partie. L'intimée a acquis la qualité de demanderesse à la demande de la compagnie et, par la suite, MITV s'est retirée de l'instance.

Le juge Nathanson de la Section de première instance de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse a ordonné que tous les membres de l'Assemblée aient la qualité de défendeurs dans le cadre de l'action. Cela découlait de l'opposition du président et du procureur général selon lesquels on ne pouvait pas poursuivre l'assemblée législative. À l'audition de la demande, l'intimée et MITV ont restreint leur revendication au droit de filmer les débats de l'assemblée législative avec leurs propres caméras. Des affidavits ont été produits à l'égard de la demande, et les parties ont été interrogées par la suite relativement à leurs affidavits. Les éléments de preuve suivants ont été communiqués par ce moyen.

Les journalistes ont régulièrement accès à la tribune de la presse de l'Assemblée, d'où ils peuvent assister aux débats. Ils ont également accès au compte rendu officiel des débats. À l'époque où la présente action a été intentée, les débats de l'Assemblée n'étaient pas télévisés et, sauf dans des occasions spéciales, la présence des caméras de télévision n'était pas autorisée à l'Assemblée. Des études étaient en cours sur la possibilité de télédiffuser les débats. Les sujets de préoccupation incluaient la nécessité d'engager d'importantes dépenses publiques ainsi que les difficultés techniques que comportait l'établissement d'un système adéquat. La salle est petite et il était évident qu'on ne pourrait pas installer des caméras sur le plancher de l'Assemblée sans déranger les débats. L'intimée et MITV ont prétendu toutefois qu'il était possible de filmer les débats à partir de la tribune du public au moyen de caméras portatives modernes qui sont silencieuses et n'exigent aucun éclairage ou équipement électrique spécial. C'était l'option que favorisaient les membres de l'opposition à l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse.

Grâce aux efforts susmentionnés qui ont été déployés depuis l'arrêt rendu en l'espèce par la Cour d'appel, on fournit maintenant des séquences télévisées d'un compte rendu officiel électronique (vidéo). Ce système fonctionne depuis mai 1991. Tout comme les comptes rendus sonore et écrit, le compte rendu électronique est placé sous la responsabilité du président et montre à la télévision seulement le député qui prend la parole.

Il ressort de la preuve que, dans l'exercice de ses privilèges parlementaires, l'assemblée législative a interdit l'utilisation de la télévision, à l'exception du compte rendu officiel électronique qui y a été installé récemment. Dans son témoignage, le président, M. Donahoe, a insisté sur le fait que l'utilisation proposée de caméras portatives dans la tribune nuirait au décorum et au déroulement des débats de l'Assemblée. En plus de la question du décorum, l'Assemblée n'exercerait aucun contrôle sur la production et l'utilisation du film. Monsieur Donahoe favorisait la télédiffusion des débats de l'Assemblée au moyen d'un système approuvé et contrôlé par l'assemblée législative, comme celui qui existe maintenant.

La preuve révèle également que des services de télédiffusion des débats sont offerts à la Chambre des communes à Ottawa et dans les législatures de cinq provinces ainsi qu'au Yukon. En Ontario, les journalistes peuvent filmer à partir de la tribune avec des caméras de télévision portatives.

Le 25 mai 1990, le juge Nathanson de la Section de première instance de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse a accueilli la demande de l'intimée et de MITV au moyen de l'ordonnance suivante:

[traduction] IL EST ORDONNÉ que la demande des demanderesses soit accueillie.

IL EST DÉCLARÉ que les demanderesses ont, conformément à l'al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, un droit d'accès afin de téléviser les débats de l'Assemblée législative à partir des tribunes en utilisant de façon discrète leurs propres caméras.

IL EST ÉGALEMENT DÉCLARÉ que ce droit d'accès est limité par les privilèges de l'Assemblée législative, dont le droit de réglementer de quelle manière et dans quelle mesure le droit d'accès sera exercé, le tout suivant des règles qui porteront atteinte le moins possible à la liberté d'expression.

IL EST ÉGALEMENT ORDONNÉ que l'Assemblée législative ou son président en son nom conçoive ces règles en tenant compte des propositions reçues des demanderesses, de tout autre organisme de la presse télévisée qui exprime un intérêt et du grand public.

IL EST ÉGALEMENT ORDONNÉ que la cour conserve le pouvoir le juger de l'opportunité des actions de n'importe laquelle des parties et du caractère raisonnable des règles adoptées.

ET IL EST ÉGALEMENT ORDONNÉ que la cour mette de côté la question des dépens en attendant les observations des avocats.

L'appelant a interjeté appel à la Section d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse. La décision du juge Nathanson a été suspendue en attendant l'issue de l'appel, qui a été rejeté le 21 mars 1991. L'ordonnance du juge Nathanson a toutefois été modifiée par l'annulation des quatre derniers alinéas.

Le 16 mai 1991, l'appelant a obtenu l'autorisation de se pourvoir devant notre Cour, [1991] 1 R.C.S. viii.

II. Les dispositions législatives et constitutionnelles pertinentes

Voici les dispositions pertinentes de la Loi constitutionnelle de 1867:

[Préambule] CONSIDÉRANT que les provinces du Canada, de la Nouvelle‑Écosse et du Nouveau‑Brunswick ont exprimé le désir de s'unir en fédération pour former un seul et même dominion sous la Couronne du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d'Irlande, avec une constitution semblable dans son principe à celle du Royaume‑Uni;

. . .

88. La constitution de la Législature de chacune des provinces de la Nouvelle‑Écosse et du Nouveau‑Brunswick demeurera, sous réserve des dispositions de la présente loi, la même que lors de l'Union, jusqu'à ce qu'elle soit modifiée sous l'autorité de la présente loi.

Voici les dispositions pertinentes de la Charte:

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:

. . .

b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

32. (1) La présente charte s'applique:

. . .

b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.

Voici la disposition pertinente de la House of Assembly Act de la Nouvelle‑Écosse, R.S.N.S. 1989, ch. 210:

[traduction] 36 (1) Dans tous les cas qui ne sont pas prévus spécialement par une loi de la Province, l'Assemblée, ses comités et leurs membres jouissent des mêmes privilèges, immunités et pouvoirs que ceux dont jouissent la Chambre des communes du Canada, ses comités et leurs membres.

III. Les jugements des tribunaux d'instance inférieure

Section de première instance de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse (1990), 71 D.L.R. (4th) 23

Le juge Nathanson a statué que l'interdiction de filmer à partir de la tribune du public de l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse viole la liberté d'expression garantie par l'al. 2b) de la Charte. Il a souligné que la liberté d'expression comprend la liberté d'accès à tous les renseignements pertinents ainsi que la liberté de communiquer ces renseignements. Il a cité, à l'appui de cette proposition, les arrêts Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, et Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326. Il a conclu, à la p. 51:

[traduction] La télédiffusion des débats de l'assemblée législative à partir de ses tribunes constitue manifestement une activité d'expression, de réception et de communication de renseignements que l'on pourrait raisonnablement s'attendre à voir entrer dans la fonction de la presse et des autres médias, dont la télévision.

Le juge Nathanson a ensuite abordé la question du privilège parlementaire et de ses répercussions éventuelles sur la question en litige. Il a fait remarquer que quatre champs de privilège parlementaire ont été invoqués à l'appui de l'interdiction des caméras de télévision (à la p. 52):

[traduction]

a) la liberté de parole, y compris l'immunité contre les poursuites civiles relativement à toute affaire découlant de l'exercice des fonctions de membre de l'assemblée législative;

b) le contrôle exclusif de ses propres débats;

c) l'expulsion des étrangers de l'Assemblée et de ses environs;

d) le contrôle de la publication des débats de l'Assemblée.

Il a conclu que ces champs de privilège sont compris dans ceux dont jouissait la Chambre des communes du Royaume‑Uni en 1867 et constituent donc des champs de privilège valides conformément à l'art. 18 de la Loi constitutionnelle de 1867. En outre, la présence de caméras de télévision à l'assemblée législative sans l'autorisation de celle‑ci constituerait, en fait, une violation de ces privilèges de l'Assemblée.

Après avoir exposé ce conflit entre les droits garantis par la Charte aux journalistes et les privilèges des membres de l'Assemblée, le juge Nathanson s'est penché sur la question de savoir lesquels devraient l'emporter. Évidemment, la Constitution est suprême de sorte que la question qu'il posait était de savoir si les privilèges font eux‑mêmes partie de la Constitution. S'ils n'en font pas partie, il est clair que la Charte l'emporte. S'ils en font partie, on ne peut pas se servir de la Charte pour rejeter une autre partie de la Constitution (Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148). En dernière analyse, il a conclu qu'ils n'en font pas partie et que, par conséquent, les droits garantis par la Charte l'emportent.

Il a abordé ensuite la question de savoir si l'exercice d'un privilège est une activité gouvernementale sujette à un examen fondé sur la Charte, conformément à l'art. 32. L'appelant a soutenu que seuls les textes législatifs émanant des législatures provinciales sont soumis à un examen fondé sur la Charte et en outre que, même si des privilèges étaient énoncés sous forme de textes législatifs, ils ne seraient pas sujets à un examen fondé sur la Charte. Le juge Nathanson n'a pas accepté ces prétentions et a plutôt statué que l'art. 32 s'applique à tous les actes de la législature découlant de la common law.

Passant à l'article premier, le juge Nathanson a conclu que les objectifs poursuivis en interdisant la présence des caméras étaient urgents et réels, que les moyens utilisés pour les atteindre avaient un lien rationnel avec ces objectifs, mais que ces moyens ne satisfaisaient pas au critère de l'atteinte minimale. Il a reconnu que l'interdiction n'entraînait pas une suppression totale de la télédiffusion, mais il s'est dit d'avis qu'il était néanmoins possible de concevoir des moyens qui constitueraient une atteinte moins grave au droit à la liberté d'expression.

Section d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse (1991), 80 D.L.R. (4th) 11

Le juge Jones (au nom de la majorité)

Le juge Jones a reconnu d'emblée que l'Assemblée avait clairement le pouvoir d'exclure le public avant l'entrée en vigueur de la Charte. Ce pouvoir découlait de la suprématie du Parlement dans le système britannique où aucun précepte d'une constitution écrite ne fait obstacle à cette suprématie. Il a fait observer que l'adoption de la Charte a modifié la Constitution canadienne de telle sorte qu'elle n'est plus tout à fait analogue en principe à celle du Royaume‑Uni.

Le juge Jones est ensuite passé à la question de savoir si la Charte s'applique à l'assemblée législative et a conclu que c'est le cas (à la p. 21):

[traduction] En vertu du par. 32(1), la Charte s'applique à la législature pour tous les domaines relevant de cette législature. Les privilèges de l'Assemblée sont des domaines relevant de la législature et en effet celle‑ci a légiféré à leur égard. Les privilèges sont donc assujettis à la Charte.

Il n'a pas retenu l'argument selon lequel les privilèges font eux‑mêmes partie de la Constitution et ne peuvent donc faire l'objet d'un examen fondé sur la Charte. Il a étudié la question et a conclu que les privilèges ne sont pas consacrés expressément et que leur simple mention dans certains articles n'est pas suffisante pour exempter les législatures de se conformer aux droits garantis par la Charte dans la mesure où des privilèges sont concernés.

Après avoir statué que la Charte s'applique, le juge Jones a abordé la question de savoir si le fait d'interdire la présence des caméras dans la tribune du public conformément à un privilège parlementaire constitue une violation de l'al. 2b). Il a conclu qu'il y a violation puisque l'interdiction visait essentiellement un mode d'expression. Il a également conclu que l'on ne satisfaisait pas au critère de l'article premier puisque l'interdiction est pratiquement absolue et que [traduction] «la présence d'un inconvénient ou la volonté d'exercer un contrôle sur la production ne suffit pas compte tenu du droit fondamental concerné» (p. 40). Il a fait remarquer que les raisons de permettre l'accès sont plus impérieuses que celles de l'interdire (à la p. 39):

[traduction] Le droit d'accès du public à l'Assemblée est essentiel pour que le public ait confiance dans le fonctionnement de la législature. Le public a le droit de savoir comment ses impôts sont dépensés, si ses représentants remplissent leurs tâches et quelle mesure législative pouvant influer sur sa vie et ses droits est en train d'être adoptée.

Il n'a pas répondu à la question de savoir si ce droit d'accès peut être assujetti à certaines limites.

Le juge Hallett (dissident)

Le juge Hallet a abouti à une conclusion contraire à celle de la majorité en ce qui concerne chaque question. Il a statué premièrement que la Charte ne s'applique pas pour permettre aux tribunaux de contrôler l'exercice des privilèges reconnus de l'Assemblée. Il a d'abord précisé qu'avant l'adoption de la Charte les tribunaux avaient compétence pour déterminer [traduction] «si l'action des députés dans un cas particulier relevait des privilèges reconnus de l'Assemblée», mais qu'ils n'avaient pas le pouvoir de contrôler [traduction] «l'exercice de ce privilège lorsqu'il a trait aux "débats internes" de l'Assemblée» (p. 47) (en italique dans l'original). Il a calculé que la Charte n'a pas changé cet état de choses puisque l'art. 32 vise seulement [traduction] «le produit du processus législatif» (p. 50). Il a reconnu que cette disposition assujettit plus que les textes législatifs à un examen. Par exemple, les décisions du cabinet peuvent faire l'objet d'un examen en vertu de l'art. 32, mais il a fait une distinction entre l'examen de ces genres de décisions et l'examen de [traduction] «la façon dont les corps législatifs fonctionnent pendant qu'ils siègent» (p. 50) et, de ce fait, de la façon dont ils exercent leurs privilèges. Il a conclu que, si la Charte visait à assujettir les privilèges à son examen, la Loi constitutionnelle de 1982 l'aurait prévu expressément.

Le juge Hallet a ensuite statué que, même s'il se trompait dans les conclusions susmentionnées, l'interdiction de filmer à l'Assemblée ne constitue pas une violation de l'al. 2b). Il a fait valoir que les médias n'ont pas un droit d'accès supérieur à celui qui est accordé au grand public et que la liberté d'expression garantie n'est pas générale au point de permettre aux médias d'avoir accès à tout ce qu'ils veulent. Il a déclaré que la garantie prévue à l'al. 2b) n'est pas absolue, que les députés ont la possession exclusive de l'assemblée législative et qu'ils ont donc le droit de déterminer qui peut y entrer et comment ils se conduisent eux‑mêmes pendant qu'ils s'y trouvent.

En dernier lieu, le juge Hallett a affirmé que, même si on devait conclure qu'il y a eu violation de l'al. 2b), celle‑ci serait justifiée en vertu de l'article premier car [traduction] «il existe un besoin urgent et réel de maintenir le décorum à l'Assemblée de sorte que les affaires de la province puissent se dérouler dans l'ordre» (p. 56).

IV. Les questions en litige

Le 3 juillet 1991, le juge Gonthier a formulé les questions constitutionnelles suivantes:

1. La Charte canadienne des droits et libertés s'applique‑t‑elle aux membres de l'Assemblée législative lorsqu'ils exercent leurs privilèges de députés?

2. Si la réponse à la première question est affirmative, l'exercice d'un privilège pour refuser l'accès aux médias à la tribune du public, afin de les empêcher d'enregistrer et de retransmettre au public les débats de l'Assemblée législative au moyen de leurs caméras, contrevient‑il à l'al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés?

3. Si la réponse à la deuxième question est affirmative, pareil refus constitue‑t‑il une limite raisonnable prescrite par une règle de droit, dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, conformément à l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

V. Analyse

A.La Charte s'applique‑t‑elle aux membres de l'Assemblée législative lorsqu'ils exercent leurs privilèges de députés?

(1) La théorie du privilège

a) Le privilège en général

Dans son ouvrage intitulé Le privilège parlementaire au Canada (1987), Joseph Maingot donne, à la p. 14, la définition générale suivante de la théorie du privilège:

Le privilège parlementaire est l'indispensable immunité que le droit accorde aux membres du Parlement et aux députés des dix provinces et des deux territoires pour leur permettre d'effectuer leur travail législatif. C'est également l'immunité que la loi accorde à tous ceux qui prennent part aux délibérations du Parlement ou d'une assemblée provinciale. Finalement, chaque Chambre du Parlement et chaque assemblée provinciale a l'autorité et le pouvoir de mettre en {oe}uvre cette immunité.

Cette définition soulève un certain nombre de questions qui méritent un examen plus poussé. Premièrement, qui détient ce privilège? Deuxièmement, vis-à-vis de qui le détient‑il? Et troisièmement, en vertu de quoi ou à quelle fin le détient‑il?

Comme l'affirme Maingot, ce sont les chambres du Parlement et les assemblées législatives des provinces, ainsi que leurs membres, qui détiennent et exercent des privilèges parlementaires. Il importe ici de faire la distinction entre, d'une part, les chambres du Parlement et les assemblées législatives et, d'autre part, les législatures plus vastes dont elles font partie. Dans le cas d'une province, par exemple, la législature est constituée de l'assemblée législative et du représentant de la Couronne en la personne du lieutenant‑gouverneur. La législature ne peut ni détenir ni exercer des privilèges parlementaires, car de tels privilèges englobent les droits des membres de l'assemblée législative vis-à-vis du représentant de la Couronne.

Cela nous amène à la réponse à la deuxième question posée plus haut. Les membres des chambres du Parlement et des assemblées législatives détiennent des privilèges parlementaires vis-à-vis de la Couronne et de la magistrature. Cet état de choses a découlé d'un conflit entre le Parlement, la Couronne et la magistrature au Royaume‑Uni. En 1908, Josef Redlich a cité la définition suivante du privilège à la p. 46 de l'ouvrage intitulé The Procedure of the House of Commons, vol. I:

[traduction] . . . la somme des droits fondamentaux de la Chambre et de ses membres pris individuellement vis‑à‑vis des prérogatives de la Couronne, de l'autorité des tribunaux ordinaires et des droits spéciaux de la Chambre des lords.

Au cours du siècle dernier, le privilège s'est exercé le plus souvent sous la forme d'une immunité à l'égard du contrôle judiciaire. Dans l'arrêt Bradlaugh c. Gossett (1884), 12 Q.B.D. 271, à la p. 275, le lord juge en chef Coleridge fait la déclaration suivante relativement à cette immunité:

[traduction] Ce qui se dit ou se passe dans l'enceinte du Parlement ne peut pas faire l'objet d'un examen devant une cour de justice. Sur ce point, tous les juges ayant pris part aux deux grands arrêts qui épuisent la question — Burdet c. Abbott [(1811), 14 East 1, 104 E.R. 501] et Stockdale c. Hansard [(1839), 9 Ad. & E. 1, 112 E.R. 1112] — sont d'accord et formels. La compétence qu'ont les chambres sur leurs propres membres, leur droit d'imposer une discipline à l'intérieur de leurs murs, sont absolus et exclusifs. Pour employer les termes de lord Ellenborough, «Ils sombreraient sans cela dans l'inefficacité et le mépris absolus» [14 East 1, 104 E.R. 501, à la p. 559 E.R.].

Naturellement, cette immunité n'est pas absolue. Nous examinerons plus loin dans les présents motifs la place qu'occupe le contrôle judiciaire.

Le privilège parlementaire et l'immunité dans l'exercice de ce privilège sont fondés sur la nécessité. Le privilège parlementaire et l'étendue des privilèges individuels qu'englobe cette expression sont accordés aux membres des chambres du Parlement et des assemblées législatives parce qu'ils sont jugés nécessaires à l'exercice de leur fonction législative. Dans Stockdale c. Hansard (1839), 9 Ad. & E. 1 (Q.B.), 112 E.R. 1112, à la p. 1199 E.R., le juge Coleridge, plus tard lord Juge en chef, fait la déclaration suivante en ce sens:

[traduction] . . . il relève de la nécessité la plus évidente que la Chambre ait la compétence exclusive pour réglementer le déroulement de ses propres débats et pour censurer tout comportement y adopté en violation de ses règles, ou toute dérogation à sa dignité.

Le contenu et la portée des privilèges parlementaires ont évolué en fonction de leur nécessité. Dans Precedents of Proceedings in the House of Commons (3e éd. 1796), vol. 1, John Hatsell définit, à la première page, les privilèges du Parlement comme incluant les droits qui sont [traduction] «absolument nécessaires à l'exercice régulier de son pouvoir». Il importe de souligner que, dans ce contexte, la justification de la nécessité s'applique globalement. C'est‑à‑dire que des catégories générales de privilèges sont réputées nécessaires à l'exercice de la fonction de l'Assemblée. Il n'est pas nécessaire de démontrer que chaque cas précis d'exercice d'un privilège est nécessaire.

Avec le temps, en raison de la coutume et de l'usage, on en est venu à reconnaître des catégories particulières de privilèges au Royaume‑Uni. Celles‑ci comprennent, par exemple, la liberté de parole de telle sorte que rien de ce qui se dit à l'intérieur de l'Assemblée ne peut être mis en doute ailleurs, l'immunité contre toute arrestation pendant que l'Assemblée siège, le pouvoir d'expulser les étrangers de ses débats, le pouvoir de contrôler la publication de ses débats et le pouvoir de punir l'outrage commis à son égard. Les catégories de privilèges ne se sont pas développées de la même façon dans la législature coloniale du Canada et ailleurs, et il ressort nettement de la jurisprudence que les pouvoirs réputés nécessaires dans les chambres du Parlement du Royaume‑Uni n'étaient pas toujours réputés nécessaires dans d'autres contextes. Pour cette raison, il est important d'examiner les origines différentes du privilège au Royaume‑Uni et dans les législatures coloniales.

b) Les origines du privilège

(i) Le Royaume‑Uni

Comme je l'ai déjà mentionné, au Royaume‑Uni le privilège a évolué à partir d'un conflit entre les chambres du Parlement, la Couronne et les tribunaux. Il s'agissait essentiellement d'une lutte pour l'indépendance entre les différentes branches du gouvernement. À une époque antérieure, tout particulièrement avant 1640, la Couronne et les tribunaux n'ont nullement hésité à s'immiscer dans le domaine des chambres du Parlement. Ces dernières n'ont pas hésité non plus à s'immiscer dans le domaine des tribunaux. Par exemple, en 1629, Charles 1er a accusé sir John Eliot et deux autres députés de sédition en raison de paroles prononcées durant les débats de la Chambre et les a fait emprisonner. Quant à elles, les chambres ont souvent eu recours à leur compétence en matière pénale pour faire emprisonner des shérifs, des magistrats et même des juges de cour supérieure — comme, en 1689, lorsque deux juges de la Cour du Banc du Roi ont été emprisonnés en raison de leur décision dans l'affaire Jay c. Topham (14 East 102, 104 E.R. 540).

À l'origine, les chambres réclamaient un privilège en leur propre nom. Elles ne demandaient pas que la Couronne le reconnaisse dans une loi ou que les tribunaux le reconnaissent dans la common law. Ainsi, les privilèges parlementaires étaient, dans un sens, extérieurs à la loi, ou une loi en eux‑mêmes. On en parlait comme faisant partie de la lex parliamentis ou de la loi du parlement, non pas comme faisant partie de la loi écrite ou de la common law. Lorsqu'un député était arrêté en violation du privilège, la Chambre ne se tournait pas vers la Couronne ou les tribunaux pour le faire relâcher. Elle ne faisait pas de demande d'habeas corpus devant les tribunaux en plaidant la théorie du privilège; elle envoyait simplement le sergent d'armes avec la masse de cérémonie à la prison afin d'exiger, de sa propre autorité, la libération du député incarcéré.

Avec le temps et un certain assentiment de toutes les parties concernées, l'exercice du privilège a donné lieu à moins d'affrontements. Avec l'assentiment de la Couronne, une bonne partie du droit relatif au privilège a été codifiée. Par exemple, l'art. 9 du Bill of Rights anglais de 1689 prévoyait que [traduction] «la liberté de parole et des débats ou procédures au Parlement ne devrait être attaquée ou contestée devant aucun tribunal ni ailleurs qu'au Parlement». Les tribunaux ont reconnu une certaine compétence aux chambres au moyen de la common law. À leur tour, celles‑ci ont reconnu une certaine compétence aux tribunaux, en comparaissant devant eux, en invoquant l'existence d'un privilège et en se fiant qu'ils rejetteraient toute demande inadéquate faite sur ce fondement. Enfin, en 1704, les Communes se sont engagées à ne réclamer désormais aucun privilège qui ne soit pas déjà établi par la coutume et l'usage. Pour un compte rendu plus détaillé de cette évolution historique, voir Erskine May's Treatise on The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament (21e éd. 1989), aux pp. 69 à 83.

Ainsi, au Royaume‑Uni, le privilège a son origine actuellement dans la lex parliamentis, la common law et la loi écrite. Toutefois, vu son évolution historique, il est juste de dire qu'il est d'origine constitutionnelle au sens le plus fondamental du fait qu'il a tout à voir avec les rapports entre les différentes branches du gouvernement. On ne saurait dire la même chose du privilège parlementaire qui s'est développé dans les législatures coloniales au Canada et ailleurs.

(ii) Les législatures coloniales

Dans les législatures coloniales au Canada et ailleurs, les privilèges parlementaires ont découlé de la common law ou de la loi écrite. En common law, on considérait que de telles législatures avaient certains pouvoirs inhérents du seul fait de leur création. Cependant, on n'acceptait pas que ces pouvoirs soient aussi étendus que ceux des chambres du Parlement du Royaume‑Uni simplement parce qu'il s'agissait d'organismes exerçant des fonctions analogues. Cela ressort clairement des passages suivants de l'avis que le Conseil privé a exprimé relativement à l'Assemblée législative de Terre‑Neuve dans l'arrêt Kielley c. Carson (1842), 4 Moore 63, 13 E.R. 225, aux pp. 234 et 235 E.R.:

[traduction] Leurs Seigneuries ne voient aucune raison de penser que, dans le principe de la common law, on lui donne d'autres pouvoirs que ceux qui sont nécessaires à l'existence d'un tel organisme et à l'exercice adéquat des fonctions qu'il est censé remplir. Ces pouvoirs sont conférés du seul fait de son établissement, un acte que, selon les deux parties, la Couronne avait le pouvoir d'accomplir. C'est le principe qui régit tous les événements juridiques. «Quando lex aliquid concedit, concedere viditur et illud, sine quo res ipsa esse non potest.» Conformément à ce principe, il ne fait aucun doute pour nous qu'une telle assemblée a le droit de se protéger de tous les obstacles au bon déroulement de ses travaux. Dans la pleine mesure de toute disposition qu'il peut être vraiment nécessaire d'adopter pour garantir le libre exercice de ses fonctions législatives, elle est justifiée d'agir selon le principe de la common law.

. . .

On dit toutefois que ce pouvoir appartient à la Chambre des communes en Angleterre; et cela, allègue‑t‑on, permet de conclure qu'il appartient en tant que particularité juridique, selon la common law, à une assemblée ayant des fonctions analogues. Mais la Chambre des communes a ce pouvoir non pas parce qu'elle est un organisme représentatif ayant des fonctions législatives, mais en vertu d'une prescription et d'un usage anciens; la lex et consuetudo Parliamenti, qui fait partie de la common law du pays et selon laquelle la Haute Cour du Parlement, avant sa division, et la Chambre des lords et la Chambre des communes depuis, se sont vu conférer un grand nombre de privilèges particuliers, dont celui de punir l'outrage commis à leur égard.

Ainsi, on a conclu que les pouvoirs inhérents des législatures coloniales n'étaient pas aussi vastes que ceux des chambres du Parlement du Royaume‑Uni pour deux raisons. Premièrement, l'histoire relativement courte de ces organismes n'a pas donné naissance à une demande semblable au moyen de la coutume et de l'usage. Deuxièmement, on n'a pas considéré que la nécessité justifiait les mêmes pouvoirs. Le juge Henry a fait allusion aux deux raisons dans l'arrêt Landers c. Woodworth (1878), 2 R.C.S. 158, aux pp. 210 à 212:

[traduction] On ne peut pas prétendre que ce que la Chambre des communes, après des siècles de contestations politiques et avec l'appui de la nation, a estimé nécessaire d'assumer dans les relations particulières existantes, sous la forme de fonctions judiciaires, que la nation a ratifiées comme étant nécessaires pour exercer une maîtrise sur les juges plus directement sous la domination de souverains despotiques, devrait être nécessaire ou approprié à l'égard des législatures provinciales. On peut à juste titre supposer que les décisions les plus récentes et éminentes des juges en Angleterre comportent la proposition selon laquelle la Chambre des communes dépend seulement de la loi et de la coutume du Parlement en ce qui concerne son droit de se prononcer en matière d'outrage et, en tant que nouveau privilège, il ne saurait être assumé maintenant. Dans le premier cas, la Constitution du pays était souvent en danger et aurait même pu être compromise totalement si la Chambre des communes d'Angleterre n'avait pas assumé ce pouvoir; dans l'autre cas, aucune conséquence de la sorte ne pouvait découler. Les constitutions des législatures provinciales n'ont jamais été exposées à de tels périls.

. . .

Je ne puis comprendre comment une assemblée provinciale pourrait obtenir le droit d'exercer des fonctions judiciaires, si ce n'est en vertu d'une loi, car il n'y a aucune loi ou coutume particulière à chacune qui pourrait conférer le droit de juger une allégation d'outrage. Sans avoir reçu par voie législative le même pouvoir qu'exerce la Chambre des communes, et en l'absence d'une loi ou coutume propre au Parlement pour justifier un tel procès, comment l'ont‑elles obtenu? J'ai cherché en vain une source quelconque dont il aurait pu découler.

Une grande partie de la jurisprudence en ce sens, dont les deux arrêts cités ci‑dessus, est axée sur la question de savoir si les législatures coloniales avaient le pouvoir de punir l'outrage, en plus de simplement expulser une personne dont le comportement dérangeait l'Assemblée. Dans ce contexte, un autre facteur historique était très pertinent. La compétence en matière pénale des chambres du Parlement au Royaume‑Uni découlait en grande partie du fait que, à un moment donné, elles ont fait partie de la «Haute Cour du Parlement» dont la fonction judiciaire était aussi importante que sa fonction législative. La séparation entre les législatures et les tribunaux a été beaucoup plus claire au Canada durant toute son histoire constitutionnelle.

Le juge Henry fait remarquer, dans la citation ci‑dessus, qu'une loi peut conférer aux législatures provinciales des pouvoirs excédant leurs privilèges inhérents. Ce fut le cas au Canada en ce qui concerne la Chambre des communes, le Sénat et la plupart des assemblées législatives des provinces. Par exemple, la Chambre des communes a reçu à l'art. 18 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 (maintenant la Loi constitutionnelle de 1867), le pouvoir d'adopter des lois lui accordant les mêmes privilèges que ceux détenus par les chambres du Parlement au Royaume‑Uni. La plupart des législatures provinciales se sont accordé les mêmes privilèges grâce à leur pouvoir de modifier leurs propres constitutions (voir Fielding c. Thomas, [1896] A.C. 600 (C.P.)). Il faut se rappeler la différence, sur le plan de leur portée, entre les privilèges inhérents à ces organismes et ceux conférés par une loi car elle peut bien avoir des répercussions sur leur statut constitutionnel.

c) Le contrôle judiciaire du privilège

Comme on le mentionne dans la 21e édition du traité d'Erskine May, op. cit., à la p. 145: [traduction] «Après quelque trois siècles et demi, la frontière entre la compétence des tribunaux et les pouvoirs de l'une ou l'autre chambre en matière de privilège n'est pas encore entièrement délimitée.» On peut cependant, au moyen d'un bref aperçu historique, illustrer le compromis général qui continue de s'imposer.

À l'origine, les chambres du Parlement ont adopté la position selon laquelle elles étaient les juges exclusifs de leurs propres privilèges. Cela comprenait l'existence et la portée des privilèges ainsi que leur exercice. Elles prétendaient ainsi être les arbitres absolus de leurs propres privilèges et, également, que leurs jugements relatifs à ces privilèges n'étaient pas susceptibles de contrôle par un autre tribunal. Les tribunaux, par contre, considéraient que la lex parliamentis faisait partie de la loi du pays et qu'à ce titre ils pouvaient en prendre connaissance d'office. Tout particulièrement lorsque la question en litige portait sur les droits de tiers, les tribunaux considéraient que c'était leur rôle d'interpréter la loi du Parlement et de l'appliquer.

Avec le temps, on a concilié jusqu'à un certain point ces opinions. Dans le traité d'Erskine May, à la p. 150, il est écrit:

[traduction] Au XIXe siècle, une série d'affaires ont forcé les Communes et les tribunaux à procéder à un examen exhaustif des questions qui les divisaient, lequel examen a permis de constater que certaines des premières revendications de compétence présentées au nom du privilège par la Chambre des communes ne pouvaient pas tenir devant un tribunal: on ne pouvait plus contester que la loi du Parlement faisait partie de la loi générale, que ses principes n'excédaient pas la connaissance d'office des juges et qu'il appartenait à la common law d'en définir les limites. En même temps, il a été établi qu'il y avait un domaine dans lequel la compétence de la Chambre des communes était absolue et exclusive.

L'un des principaux points tournants à cet égard fut l'arrêt Stockdale c. Hansard, précité. Le lord juge en chef Denman y a statué premièrement que la Chambre ne pouvait pas prétendre que ses ordonnances étaient incontestables. Conclure le contraire reviendrait à statuer que la Chambre des communes est suprême alors que seul le Parlement l'est. Ainsi, lorsqu'ils sont saisis d'une affaire concernant un privilège, les tribunaux doivent examiner le grief du demandeur pour déterminer s'il porte sur un droit pour lequel il existe un recours et si le défendeur possède en droit un bon moyen de défense. Une déclaration de droit doit faire l'objet d'un examen pour déterminer si c'est vraiment une question de privilège. Sinon, la Chambre pourrait soumettre une question à sa compétence simplement en déclarant que cette question relève effectivement de sa compétence. Si, après examen, la question relève effectivement de la compétence de la Chambre, les tribunaux ne peuvent pas alors mettre son jugement en doute. Si, toutefois, une demande de privilège n'est pas valide, les tribunaux peuvent refuser de la mettre à exécution. Dans cet arrêt particulier, le lord juge en chef Denman a procédé à cet examen et a décidé que la Chambre n'avait pas prouvé qu'elle avait le privilège de publier des documents diffamatoires tout en jouissant d'une immunité.

Les tribunaux canadiens ont adopté volontiers cette position. Dans l'arrêt Landers c. Woodworth, précité, à la p. 196, le juge en chef Richards, qui présidait alors la Cour suprême, a déclaré:

[traduction] Même en Angleterre, les tribunaux regarderont si les choses que la Chambre des communes déclare être ses privilèges en sont vraiment; la simple affirmation par cet organisme qu'un certain acte constitue une violation de ses privilèges n'empêche pas les tribunaux d'examiner et de décider si le privilège revendiqué existe réellement.

La règle générale qui se dégage de la jurisprudence susmentionnée et de la jurisprudence ultérieure est que les tribunaux vérifieront l'existence et la portée du privilège, mais non son exercice. Toutefois, cette règle ne fournit pas toujours des indications claires car l'existence, la portée et l'exercice du privilège tendent à se chevaucher. On peut illustrer facilement cette difficulté par l'exemple de la liberté de parole. Les tribunaux ont, à l'occasion, examiné la portée du privilège de la liberté de parole en déterminant si divers propos tenus à l'extérieur de l'Assemblée ont un lien tellement étroit avec les travaux de celle‑ci qu'eux aussi devraient être exemptés de tout contrôle. Mais cela met‑il vraiment en question la portée du privilège de la liberté de parole ou cela met‑il plutôt en question son exercice?

Une autre proposition générale qui peut être dégagée de la jurisprudence est que les tribunaux peuvent examiner de plus près les affaires dans lesquelles les revendications de privilège ont des répercussions sur des personnes à l'extérieur de l'Assemblée, que celles qui portent sur des questions purement internes de l'Assemblée. Les lignes de démarcation ne sont pas tout à fait claires ici non plus pourtant. Par exemple, dans le cas qui nous est soumis, la question tourne clairement autour des débats internes de l'Assemblée. En même temps, ce sont des personnes non liées à l'Assemblée qui soutiennent que leurs droits sont violés. Sommes‑nous en présence d'une «affaire interne» ou d'une «affaire externe»?

(2) Application de la théorie du privilège dans la présente affaire

L'appelant et les intervenants qui l'appuient avancent essentiellement quatre arguments en ce qui a trait à la question de savoir pourquoi la Charte ne devrait pas s'appliquer à l'exercice de privilèges parlementaires:

1. En vertu de l'art. 88 de la Loi constitutionnelle de 1867, et de son insertion dans l'annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, la Constitution de la Nouvelle‑Écosse fait partie de la constitution fédérale;

2. En vertu de l'insertion de l'art. 9 du Bill of Rights anglais de 1689 dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, et de son insertion dans l'annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, le principe selon lequel l'exercice de privilèges parlementaires ne doit pas être assujetti au contrôle judiciaire est consacré dans la Constitution;

3. Les privilèges parlementaires ont un statut constitutionnel inhérent qui découle de la nature même de l'institution et du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867; ou

4. L'exercice de privilèges parlementaires n'est pas visé par l'art. 32 de la Charte:

a) soit parce que l'assemblée législative n'est pas visée par les mots «législature» ou «gouvernement»;

b) soit parce que l'exercice de privilèges parlementaires n'est pas visé par l'expression «relevant de cette législature».

Je vais maintenant examiner chacun de ces arguments à tour de rôle.

Le premier argument comporte deux volets. Premièrement, il est allégué que les privilèges exercés par l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse et ses membres font partie de la constitution de la province. Deuxièmement, il est allégué que la constitution de la province est devenue partie intégrante de la Constitution du Canada en vertu de l'art. 88 de la Loi constitutionnelle de 1867. Le premier volet se comprend facilement. Dans l'arrêt Fielding c. Thomas, précité, aux pp. 610 et 611, on peut lire ce qui suit:

[traduction] On ne saurait sûrement pas prétendre que l'indépendance de la législature provinciale par rapport à l'ingérence venant de l'extérieur, sa protection et la protection de ses membres contre les insultes dans l'exercice de leurs fonctions ne sont pas des questions qui peuvent être considérées comme faisant partie de la constitution de la province, ou qu'une loi sur ces questions ne serait pas décrite de façon adéquate et pertinente comme faisant partie du droit constitutionnel de la province.

Toutefois, le deuxième volet est plus problématique. La question de savoir si la constitution d'une province fait partie de la Constitution du Canada n'est pas sans créer de difficultés. L'expression «Constitution du Canada» est définie au par. 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982. Selon le professeur Hogg, bien que cette définition soit exhaustive, on pourrait soutenir que l'art. 88 de la Loi constitutionnelle de 1867 incorpore par renvoi dans la Constitution du Canada les constitutions de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick antérieures à la Confédération: voir Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada (3e éd. 1992), vol. 1, aux pp. 1-6 et 4-24.

Il y a cependant des raisons de douter de la conclusion du professeur Hogg selon laquelle la Constitution de la Nouvelle-Écosse fait partie de la Constitution du Canada au sens du par. 52(2). Le professeur Hogg a remarqué le curieux résultat que l'on obtient, en ce qui concerne les dispositions modificatives de la Constitution, si l'on conclut que les constitutions provinciales font partie de la Constitution du Canada: voir Hogg, op. cit., à la p. 4-24. Cette considération, notamment, a amené le juge en chef McEachern (alors Juge en chef de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique) à conclure que la Loi constitutionnelle de la Colombie-Britannique ne fait pas partie de la Constitution du Canada: Dixon c. British Columbia (Attorney General) (1986), 7 B.C.L.R. (2d) 174. Quant à l'art. 88, on y parle du maintien de la constitution de la législature de la province de la Nouvelle-Écosse. Toutefois, le maintien de la constitution d'une province, envisagé par l'art. 88, n'équivaut nullement à dire qu'elle fait partie de la Constitution du Canada. Le juge en chef Glube de la Section de première instance a conclu que la Constitution de la Nouvelle-Écosse ne fait pas partie de la Constitution du Canada au sens du par. 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982: MacLean c. Attorney-General of Nova Scotia (1987), 35 D.L.R. (4th) 306 (C.S.N.-É. 1re inst.), à la p. 312.

Tout cela montre combien il est difficile de décider si la constitution de la province de la Nouvelle-Écosse fait partie de la Constitution du Canada. Vu l'importance de cette question et la conclusion que je tire plus loin en ce qui concerne l'art. 32 de la Charte, je n'ai pas à trancher de manière définitive cet aspect de l'affaire.

Le deuxième argument invoqué par l'appelant et par les intervenants en sa faveur est le suivant. Ils soutiennent que le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, en faisant référence à «une constitution semblable dans son principe à celle du Royaume‑Uni» incorpore l'art. 9 du Bill of Rights anglais de 1689 et, de ce fait, les privilèges des corps législatifs. Je ne crois pas que le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 puisse être considéré comme se reportant à un article aussi précis de la Constitution du Royaume‑Uni. Bien que la Constitution du Canada repose sans aucun doute, dans une large mesure, sur les mêmes grands principes que la Constitution du Royaume‑Uni, les deux sont loin d'être identiques. L'article 9 ne peut pas être transplanté directement sans mention précise. L'examen historique entrepris dans la partie précédente vient préciser que les différentes voies de l'évolution du gouvernement des deux pays ont, dès le début, entraîné des différences importantes dans les branches de gouvernement elles‑mêmes. En outre, il ne fait aucun doute qu'au cours des dernières années, nous avons divergé encore plus en raison du rapatriement de la Constitution du Canada en 1982. Être semblable en principe ne signifie pas être identique quant aux pouvoirs accordés.

Le troisième argument avancé est analogue au deuxième mais peut mieux se défendre. L'appelant et les intervenants en sa faveur soutiennent que les privilèges parlementaires ont un statut constitutionnel inhérent qui découle de la nature même des corps législatifs et du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867. Il est manifeste que les privilèges inhérents aux corps législatifs sont essentiels à notre système de gouvernement. Bien que notre histoire ne soit pas aussi turbulente que celle du Royaume‑Uni en ce qui concerne les relations entre les différentes branches du gouvernement, il ne fait pas de doute que le maintien de l'indépendance de ces différentes branches l'une par rapport à l'autre est nécessaire à leur bon fonctionnement.

Historiquement, les tribunaux ont pris soin de respecter l'indépendance du processus législatif tout comme les législateurs ont pris soin de protéger l'indépendance de la magistrature. Dans l'arrêt Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56, à la p. 72, le juge en chef Dickson affirme ceci:

Le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 établit que le Canada doit avoir une constitution «reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume‑Uni». Étant donné que l'indépendance judiciaire est depuis des siècles un principe important de la Constitution du Royaume‑Uni, on peut à juste titre déduire que ce principe a été transféré au Canada par le texte constitutionnel du préambule.

Il y a un parallèle évident entre la théorie de l'indépendance judiciaire et celle du privilège parlementaire, étant donné que cette dernière est le moyen par lequel les chambres du Parlement protègent leur indépendance. Au Canada, c'est grâce à l'exercice des privilèges inhérents à tous les corps législatifs que les assemblées législatives provinciales peuvent contrôler leurs propres débats et préserver ainsi l'indépendance du processus législatif. Il est beaucoup plus acceptable d'incorporer au moyen du préambule le principe général de la promotion de l'indépendance du processus législatif par l'exercice de privilèges parlementaires que d'incorporer un article précis du Bill of Rights de 1689.

Je ne suis toutefois pas certain que cet argument puisse être poussé jusqu'au point d'accorder aux privilèges parlementaires un statut constitutionnel équivalent à celui de la Charte. La Charte fait partie d'une évolution de notre Constitution qui a abouti à la suprématie d'une constitution écrite définitive. Compte tenu de cela, j'hésiterais à voir dans la Constitution des notions inexprimées de manière à échapper à l'examen fondé sur les garanties expresses de la Charte. Si, comme le prétendent certains intervenants, l'art. 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 consacrait les privilèges parlementaires de la Chambre des communes, ma conclusion sur ce point pourrait être différente. Cependant, selon la façon dont je l'interprète, l'art. 18 consacre non pas les privilèges parlementaires de la Chambre des communes, mais plutôt le pouvoir du Parlement d'adopter des lois lui accordant ces privilèges de la même façon que l'art. 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 consacre le pouvoir des législatures provinciales d'adopter des lois leur accordant leurs propres privilèges au moyen de modifications à leurs constitutions respectives.

Je souscris à l'appréciation que le juge McLachlin fait de la longue tradition et de la grande importance de tels privilèges. Comme elle, je crois que «[t]raditionnellement, chaque branche du gouvernement a joui d'une autonomie dans la façon de conduire ses affaires» (p. 000). Je conviens également qu'en l'espèce se pose la question de savoir si «la Charte a non seulement enlevé aux corps législatifs le droit d'adopter les lois qu'ils désirent, mais aussi [si] elle a éliminé le droit constitutionnel que le Parlement et les assemblées législatives possèdent depuis longtemps d'exclure des étrangers et d'assujettir au contrôle supérieur des tribunaux la décision du président quant à ce qui gêne le fonctionnement de l'Assemblée» (p. 000). Toutefois, vu les conclusions auxquelles j'arrive plus loin au sujet de l'art. 32 de la Charte, je n'estime pas nécessaire de déterminer si l'analyse qui précède pourrait conférer aux privilèges des assemblées législatives provinciales un statut constitutionnel qui les soustrairait à un examen fondé sur la Charte.

Je passe donc au quatrième argument soulevé par l'appelant, selon lequel l'exercice de privilèges parlementaires n'est pas visé par l'art. 32. Cet argument est double: premièrement, l'assemblée législative n'est ni une législature ni un gouvernement, et, deuxièmement, l'exercice de privilèges parlementaires ne devrait pas être visé par l'expression «domaines relevant de cette législature». La première partie de cet argument est très convaincante en ce qui concerne le texte même de l'art. 32. Il y est question seulement de la «législature et [du] gouvernement» et, comme l'a soutenu l'appelant, l'assemblée législative n'est ni une législature ni un gouvernement à proprement parler. L'assemblée législative est une composante de la législature, car c'est seulement avec le lieutenant‑gouverneur qu'elle forme la législature. Comme je l'ai déjà souligné, c'est plus qu'une différence sémantique dans le contexte de l'exercice de privilèges parlementaires. La législature dans son ensemble ne peut pas exercer de privilèges parlementaires puisque les membres de l'Assemblée, pris individuellement ou collectivement, détiennent ces privilèges vis-à-vis du lieutenant‑gouverneur en sa qualité de représentant de la Couronne.

L'intimée allègue que cette interprétation de l'art. 32 est trop technique et, comme telle, contraire à l'esprit dans lequel une telle interprétation devrait être entreprise. Cet argument doit être examiné soigneusement dans le contexte des jugements déjà prononcés par notre Cour au sujet de l'application de la Charte en conformité avec l'art. 32. Dans l'arrêt SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, il a été décidé que l'application de la Charte se restreint à l'action gouvernementale. Le juge McIntyre y dit: «J'estime donc que l'art. 32 de la Charte mentionne de façon précise les acteurs auxquels s'applique la Charte. Il s'agit des branches législative, exécutive et administrative» (p. 598). Il a conclu que cette limite à l'application de la Charte était conforme au but général de la Charte en ce sens que (à la p. 593):

. . . la Charte, comme la plupart des constitutions écrites, a été créée pour régir les rapports entre les particuliers et le gouvernement. Elle vise à imposer des restrictions à l'action du gouvernement et à protéger les particuliers.

Le débat a alors porté précisément sur ce que comprend le mot «gouvernement» utilisé à l'art. 32. Le juge McIntyre a ensuite affirmé, à la p. 598:

. . . le terme «gouvernement» utilisé à l'art. 32 désigne non pas le gouvernement au sens général — c'est‑à‑dire au sens de l'ensemble de l'appareil gouvernemental de l'État — mais plutôt une branche de gouvernement. Le terme «gouvernement», qui suit les termes «Parlement» et «législature», doit alors, semble‑t‑il, désigner la branche exécutive ou administrative du gouvernement.

Ultérieurement, dans les arrêts McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, et Stoffman c. Vancouver General Hospital, [1990] 3 R.C.S. 483, on a demandé à notre Cour de déterminer si une université et un hôpital, selon les faits en présence dans ces affaires, étaient visés par l'art. 32, comme faisant partie du gouvernement. Dans les deux cas, les opinions majoritaires reposaient sur le fait que, pour reprendre les termes utilisés par le juge La Forest, dans l'arrêt McKinney, à la p. 261, «la Charte est essentiellement un instrument de contrôle des pouvoirs du gouvernement sur le particulier».

Pour tirer des conclusions sur la portée du terme «gouvernement» dans les arrêts précités, notre Cour s'est aidée de toute une gamme d'opinions d'universitaires sur la question. Voir, par exemple, K. Swinton, «Application de la Charte canadienne des droits et libertés», dans G.‑A. Beaudoin et W. S. Tarnopolsky, dir., Charte canadienne des droits et libertés (1982), 49; A. A. McLelland et B. P. Elman, "To Whom Does the Charter Apply? Some Recent Cases on Section 32" (1986), 24 Alta. L. Rev. 361; D. Gibson, "Distinguishing the Governors from the Governed: The Meaning of "Government" under Section 32(1) of the Charter" (1983), 13 Man. L.J. 505, et R. Tassé, "À qui incombe l'obligation de respecter les droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés?", dans G.‑A. Beaudoin, dir., Vos clients et la Charte - Liberté et égalité (1987), 35. On n'a pas accordé la même attention à la portée du terme «législature». Cette portée a été considérée comme étant largement évidente en soi.

Toutefois, pour déterminer si le terme «législature» comprend les parties composantes des législatures prises individuellement ainsi que la législature régulièrement constituée, nous devons nous lancer dans une analyse fondée sur l'objet visé. Cette analyse situe le ou les articles précis à interpréter dans leurs «contextes linguistique, philosophique et historique appropriés»: voir R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 344, le juge Dickson (plus tard Juge en chef). Ces contextes ont, à mon avis, une importance spéciale lorsque l'on s'engage, comme en l'espèce, dans l'interprétation de l'art. 32 qui décrit non pas un droit précis ou une liberté précise qui sont garantis mais plutôt le cadre dans lequel s'appliquent les garanties relatives à ces droits et libertés.

Les traditions constitutionnelles examinées ont clairement un effet sur la question de savoir si l'art. 32 est interprété de manière à englober l'exercice d'un privilège par les membres d'une assemblée législative. Dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, à la p. 394, le juge McIntyre affirme:

Il s'ensuit que, bien qu'il faille adopter une attitude libérale et pas trop formaliste en matière d'interprétation constitutionnelle, la Charte ne saurait être considérée comme un simple contenant, à même de recevoir n'importe quelle interprétation qu'on pourrait vouloir lui donner. L'interprétation de la Charte, comme celle de tout document constitutionnel, est circonscrite par la formulation, la structure et l'historique du texte constitutionnel, par la tradition constitutionnelle et par l'histoire, les traditions et les philosophies inhérentes de notre société.

Comment la législature pourrait‑elle exercer son pouvoir sur les particuliers d'une façon qui peut nécessiter un examen fondé sur la Charte? Dans l'arrêt Dolphin Delivery, précité, à la p. 599, le juge McIntyre a exprimé l'opinion selon laquelle «ce n'est que dans sa législation qu'une législature peut porter atteinte à une liberté ou un droit garantis». Cet énoncé a été repris et approuvé par le juge La Forest dans l'arrêt McKinney, à la p. 263. Si c'est le cas, il semblerait que le but général de la Charte n'exige pas une interprétation plus large du terme «législature» que celle exposée ci‑dessus, c'est‑à‑dire la législature régulièrement constituée et non pas ses parties composantes prises individuellement.

L'intimée soutient, cependant, que l'assemblée législative peut violer un droit ou une liberté garantis par le biais de l'exercice, par ses membres, de leurs privilèges parlementaires. Ainsi, elle prétend que le processus législatif et les mesures législatives devraient être assujettis à un examen fondé sur la Charte. Ici, pourtant, nous revenons carrément à l'extrait précité du Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.). La Charte ne saurait être interprétée sans tenir compte de l'historique et des traditions de notre Constitution et de notre société. Comme nous l'avons déjà expliqué en détail dans les présents motifs, les tribunaux ont depuis longtemps maintenu une attitude de non‑intervention à l'égard de l'exercice d'un privilège parlementaire, particulièrement lorsque celui‑ci vise à garder le contrôle des débats internes de l'Assemblée. Cette attitude favorise l'indépendance des branches législative et judiciaire de notre gouvernement l'une par rapport à l'autre. Comme le juge en chef Iacobucci (maintenant juge de notre Cour) l'a souligné dans un contexte différent, «. . . le contrôle des travaux du Parlement ne doit pas être pris à la légère étant donné la déférence qu'ont toujours manifestée les cours de justice envers le Parlement et le respect dû au pouvoir législatif en général»: Southam Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 3 C.F. 465 (C.A.), à la p. 478.

À mon avis, lorsqu'on examine «la formulation, la structure et l'historique du texte constitutionnel», la «tradition constitutionnelle» et «l'histoire [et] les traditions [. . .] de notre société», il est clair que l'art. 32 de la Charte n'assujettit pas à l'application de l'art. 2 de la Charte l'exercice, par les membres de l'Assemblée, de leurs privilèges inhérents.

Cette opinion est fermement appuyée, sans toutefois l'être de manière non équivoque, par la formulation et la structure du texte. L'article 32 mentionne la «législature» qui, à vrai dire, désigne l'organisme ayant la capacité de légiférer, c'est‑à‑dire l'assemblée législative et le lieutenant‑gouverneur. En outre, l'art. 32 mentionne précisément «tous les domaines relevant de cette législature». Cette phrase, tirée du texte législatif, renvoie clairement à la compétence législative prévue, par exemple, à l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. On se souviendra que l'art. 92 commence par les mots «[d]ans chaque province, la législature pourra exclusivement légiférer. . .», ce qui tend à étayer le point de vue selon lequel le terme «législature», à l'art. 32, devrait en général désigner l'organisme qui légifère, c'est‑à‑dire l'Assemblée avec le lieutenant‑gouverneur.

Cette interprétation est renforcée par l'art. 33 de la Charte. Le paragraphe 33(1) habilite la législature d'une province à «adopter une loi» où il est expressément déclaré que celle‑ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d'une disposition donnée de l'article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte. De même, le par. 33(4) rattache le mot «législature» au verbe «adopter de nouveau», ce qui souligne encore une fois que le terme «législature» renvoie à l'organisme qui exerce une compétence législative.

La structure globale du texte constitutionnel vient également étayer ma conclusion à l'égard de l'art. 32. On observe, de façon raisonnablement constante, dans la Loi constitutionnelle de 1867 une distinction entre la législature et ses parties composantes. Comme l'a souligné le juge McLachlin, l'art. 17 parle du «Parlement» composé de la «Reine», du «Sénat» et de la «Chambre des communes». Lorsque l'article 18 mentionne les privilèges, les termes employés sont «Sénat» et «Chambre des communes». Évidemment, de nombreuses dispositions ne s'appliquent qu'au Sénat ou à la Chambre des communes (voir, par exemple, les art. 21 à 36 concernant le Sénat et les art. 37 à 52 concernant la Chambre des communes). L'article 69 prévoit «pour l'Ontario, une législature composée du lieutenant‑gouverneur et d'une seule chambre, appelée l'Assemblée législative de l'Ontario». Ces emplois et définitions étayent ma conclusion qu'en général le terme «législature» utilisé à l'art. 32 ne comprend pas l'assemblée législative elle‑même puisque le texte constitutionnel établit généralement une distinction entre les législatures fédérale ou provinciales et leurs parties composantes.

Il vaut également la peine de remarquer le texte des dispositions en matière de modification énoncées à la partie V de l'annexe B de la Loi constitutionnelle de 1982. Cela est d'autant plus important que ces dispositions ont été adoptées en même temps que la Charte. Si on examine la partie V, qui porte sur la procédure de modification de la Constitution du Canada, on remarque des renvois constants aux «résolutions du Sénat et de la Chambre des communes» et aux «résolutions des assemblées législatives» (voir, par exemple, le par. 38(1)), ce qui a pour effet d'établir une distinction entre les résolutions de la Chambre et les lois adoptées par la législature.

En résumé, il y a de fortes raisons, sur les plans littéral et textuel, de conclure que le terme «législature» utilisé à l'art. 32 de la Charte ne renvoie en général qu'à l'organisme exerçant une compétence législative, soit, en l'espèce, l'assemblée législative avec le lieutenant‑gouverneur, et non pas à ses parties composantes prises individuellement.

Au moins trois articles de la Charte laissent, à première vue, planer un doute sur une telle interprétation. Le juge McLachlin mentionne l'art. 5 de la Charte qui prévoit que «[l]e Parlement et les législatures tiennent une séance au moins une fois tous les douze mois». Elle souligne que la législature est appelée à siéger par le président, qui avise les députés, que le geste est purement interne pour l'organisme législatif et que le représentant de la Reine n'a aucun rôle à jouer. Ainsi, conclut‑elle, le mot «législature» renvoie aux actions que seule la Chambre peut accomplir et auxquelles cet article de la Charte doit s'appliquer.

On peut dire la même chose des art. 17 et 18 de la Charte. L'article 17, qui mentionne le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats, utilise le mot Parlement, et le par. 17(2), qui mentionne le même droit au sein de l'Assemblée législative du Nouveau‑Brunswick, utilise le terme «Législature du Nouveau‑Brunswick». L'article 18 utilise les mêmes mots concernant les «lois, les archives, les comptes rendus et les procès‑verbaux» du Parlement et de la Législature du Nouveau‑Brunswick. L'article 17 utilise le terme «Législature» pour désigner l'Assemblée, tandis que l'art. 18 utilise le mot «Législature» pour désigner à la fois la législature proprement dite (c'est-à-dire l'organisme qui adopte des lois) et l'Assemblée (l'organisme qui dresse des «comptes rendus» et des «procès‑verbaux»).

Si ces exemples montrent que l'emploi n'est pas tout à fait uniforme, ils ne dérogent en rien à la règle générale selon laquelle le terme «législature», à l'art. 32, désigne l'organisme qui légifère. Il faut noter que le terme «législature» ne possède pas un sens unique applicable à la fois à l'art. 33, d'une part, et aux art. 5, 17 et 18, d'autre part. En fait, aucune interprétation unique du terme «législature» ne peut être utilisée avec une précision absolue à l'art. 18 lui‑même. À l'article 33, le mot «législature» désigne clairement l'organisme ayant la capacité de légiférer, alors qu'aux art. 5 et 17 le contexte démontre clairement que c'est l'Assemblée elle‑même qui est visée. L'article 18 mentionne les «lois, les archives, les comptes rendus et les procès‑verbaux» de la législature. Mais, à vrai dire, la «législature» adopte des «lois», tandis que l'Assemblée dresse des «comptes rendus» et des «procès‑verbaux». Ce manque d'uniformité n'est pas étonnant compte tenu de la nature de ces documents et particulièrement de leur tentative d'énoncer assez succinctement des concepts qui sont historiquement lourds de sens. Il fait également ressortir la nécessité, dans l'interprétation de ces dispositions, de prêter une attention toute particulière aux considérations contextuelles et à celles relatives à l'objet visé, qui sont déjà soulignées dans les présents motifs.

À cet égard, il faut garder à l'esprit, en ce qui concerne les art. 5, 17 et 18 de la Charte, des considérations historiques et structurales particulières. Ces articles sont le prolongement des dispositions originales de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. Quant à l'art. 5, il s'inspire de l'art. 20 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, maintenant abrogé. Cet article prévoyait la tenue d'une session du Parlement du Canada et, par conséquent, l'emploi de l'expression «Parlement du Canada» était évidemment utile en raison de l'obligation d'inclure à la fois le Sénat et la Chambre des communes. L'emploi des mots «session» et «séance» dans cet article traduisait aussi très clairement l'intention du législateur de ne mentionner que la Chambre et le Sénat, bien que le terme utilisé, soit «Parlement», n'était pas à strictement parler juste.

Quant aux art. 17 et 18, ils s'inspirent de l'art. 133 initial qui, fait plutôt intéressant, prévoyait que «[d]ans les chambres du Parlement du Canada et les chambres de la Législature du Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif», et que «[l]es lois du Parlement du Canada et de la Législature du Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues». L'article original établissait une nette distinction entre les «travaux de la Chambre» et les «lois adoptées par la législature», clarté qui ne se retrouve pas dans les mises à jour.

Les articles 5, 17 et 18 figurent dans les parties de la Charte qui sont exclues de l'application des dispositions dérogatoires de l'art. 33 de la Charte. Cela donne à penser qu'ils ne font pas partie de la même catégorie que les droits contenus aux art. 2 et 7 à 15 et peut expliquer, sinon entièrement excuser, le manque d'uniformité entre la formulation de ces articles et celle d'autres articles de la Charte et de la Loi constitutionnelle en général.

En résumé, la formulation, la structure et l'historique du texte constitutionnel donnent fortement à penser que le terme «législature» utilisé à l'art. 32 désigne en général l'organisme ayant la capacité de légiférer et non pas ses parties composantes prises individuellement. Le contexte particulier de certaines dispositions de la Charte, notamment les art. 5, 17 et 18, commande un sens différent. Toutefois, en l'espèce, il s'agit de savoir si les droits garantis par l'art. 2 de la Charte s'appliquent à l'assemblée législative et je conclus qu'une interprétation juste de l'art. 32 permet nettement de répondre par la négative.

La tradition constitutionnelle, l'histoire et les traditions de notre société renforcent énormément cette conclusion. La place et l'importance des privilèges législatifs dans notre vie politique et la longue pratique de non‑ingérence des tribunaux ont été longuement examinés dans les présents motifs. À mon sens, ces considérations dissipent toute ambiguïté résiduelle relative à l'interprétation de l'art. 32 en ce qui concerne l'application à l'Assemblée des droits garantis à l'art. 2 de la Charte.

L'intimée prétend que, indépendamment de la question de savoir si le processus législatif peut faire l'objet d'un examen fondé sur la Charte, les privilèges sont clairement des «domaines relevant de [la] législature [de chaque province]». Il ne fait aucun doute que c'est vrai en ce sens que les législatures provinciales ont le pouvoir de légiférer en matière de privilèges. Les lois que les provinces ont adoptées en ce qui concerne les privilèges pourront faire l'objet d'un examen fondé sur la Charte comme toute autre loi. Toutefois, il ne s'ensuit pas que l'exercice par les membres de l'Assemblée de leurs privilèges inhérents, dont l'existence ne dépend pas d'une loi, peut faire l'objet d'un examen fondé sur la Charte.

En l'espèce, l'intimée n'a pas fait valoir que le privilège auquel on a eu recours pour interdire l'utilisation indépendante de caméras vidéo dans l'Assemblée outrepassait un privilège inhérent. Cet argument serait difficile à avancer étant donné que l'on reconnaît depuis longtemps que les pouvoirs d'exclure les étrangers et de contrôler les débats internes de l'Assemblée constituent des catégories valides de privilèges fondés sur la nécessité, dans notre pays et au Royaume‑Uni (voir, par exemple, Payson c. Hubert (1904), 34 R.C.S. 400).

Je conclus que l'exercice, par les membres de l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse, de leurs privilèges inhérents ne peut faire l'objet d'un examen fondé sur la Charte aux termes de l'art. 2, car l'assemblée législative n'est pas visée par les termes de l'art. 32 tel qu'il doit être interprété dans le présent contexte. Il y a lieu de noter ici que cela ne signifie pas que les membres d'une assemblée législative peuvent jouir d'une immunité absolue en exerçant des privilèges parlementaires. Premièrement, les tribunaux peuvent encore examiner la validité des demandes fondées sur un privilège dans la même mesure qu'ils l'ont toujours fait, c'est‑à‑dire qu'ils peuvent se prononcer sur l'existence ou la portée d'un privilège en particulier. Deuxièmement, même si les membres d'une assemblée législative n'ont pas à répondre devant la magistrature de l'exercice de privilèges parlementaires, ils doivent évidemment en répondre devant leurs électeurs.

Depuis que j'ai rédigé ce qui précède, j'ai eu l'avantage de prendre connaissance des motifs de mon collègue le juge Cory qui arrive à la conclusion contraire en ce qui concerne l'application de la Charte. Il donne l'exemple de l'Assemblée qui punirait un outrage commis à son égard en condamnant l'un de ses membres à l'emprisonnement à vie sans que celui‑ci soit admissible à une libération conditionnelle. C'est là, selon mon collègue le juge Cory, un cas qui serait sûrement visé par la Charte.

En toute déférence, cet exemple ne nous avance pas beaucoup dans l'analyse de la question. J'ai soutenu dans les présents motifs que les membres de l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse, dans l'exercice de leurs privilèges inhérents (dont l'existence ne dépend pas d'une loi), ne sont pas assujettis à un examen fondé sur la Charte. Comme je l'ai déjà souligné, l'existence et la portée de ces privilèges sont assujetties au contrôle judiciaire tout à fait indépendamment de la Charte. En réponse à l'exemple du juge Cory, je dirai donc premièrement que cet exemple se fonde sur la proposition discutable selon laquelle l'imposition d'une peine d'emprisonnement à vie relève des privilèges inhérents des membres de l'Assemblée. Cette proposition est naturellement assujettie à l'examen des tribunaux d'après l'approche que j'ai adoptée. Deuxièmement, dans la mesure où tout pouvoir que prétendraient avoir les membres de l'Assemblée d'infliger une peine d'emprisonnement à vie reposerait sur un pouvoir conféré par une loi, cette loi serait évidemment assujettie à un examen fondé sur la Charte.

En l'espèce, il s'agit d'un cas où les actions des membres de l'Assemblée relèvent de leurs privilèges inhérents. On n'a pas soutenu le contraire. Je ne veux pas me prononcer sur un cas dont nous ne sommes pas saisis, particulièrement sur un cas aussi différent que celui soumis dans l'exemple donné par le juge Cory. Qu'il suffise de dire que son exemple engendrerait des considérations très différentes de celles qui se présentent dans le pourvoi dont nous sommes saisis et que rien dans les présents motifs n'aurait inévitablement pour effet de soustraire au contrôle judiciaire le comportement décrit dans l'exemple du juge Cory.

Enfin, je souligne que, même si la Charte s'appliquait effectivement à l'exercice des pouvoirs inhérents des membres de l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse, il se pourrait bien que l'Assemblée constitue elle‑même le «tribunal compétent» aux fins de l'audition d'une telle demande et de l'attribution d'une réparation en vertu du par. 24(1) de la Charte. Toutefois, je n'ai pas l'intention de poursuivre cette analyse ici, compte tenu des conclusions que j'ai tirées ci‑dessus et du fait que les parties n'ont pas débattu cette question devant nous.

B.La question de la liberté de parole

Vu que j'ai statué que l'exercice d'un privilège par les membres de l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse ne peut pas faire l'objet d'un examen fondé sur la Charte, il ne serait pas approprié que j'aborde les deuxième et troisième questions qui se rapportent à la liberté de parole des journalistes à l'Assemblée.

VI.Les questions constitutionnelles

Je suis d'avis de répondre ainsi aux questions constitutionnelles modifiées en fonction des présents motifs:

1. L'article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés s'applique‑t‑il aux membres de l'Assemblée législative lorsqu'ils exercent leurs privilèges de députés?

La réponse à la première question constitutionnelle est négative. L'article 32, en ce qui concerne l'application de l'art. 2 de la Charte, ne vise pas les membres de l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse lorsqu'ils exercent leurs privilèges inhérents.

2. Si la réponse à la première question est affirmative, l'exercice d'un privilège pour refuser l'accès aux médias à la tribune du public, afin de les empêcher d'enregistrer et de retransmettre au public les débats de l'Assemblée législative au moyen de leurs caméras, contrevient‑il à l'al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés?

Vu la réponse que j'ai donnée à la première question constitutionnelle, il n'est ni nécessaire ni approprié de répondre à la deuxième question constitutionnelle.

3. Si la réponse à la deuxième question est affirmative, pareil refus constitue‑t‑il une limite raisonnable prescrite par une règle de droit, dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, conformément à l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

Vu la réponse que j'ai donnée aux première et deuxième questions constitutionnelles, il n'est ni nécessaire ni approprié de répondre à la troisième question constitutionnelle.

VII.Dispositif

Le pourvoi est accueilli. L'ordonnance du juge de première instance, telle qu'elle a été modifiée par la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse, est annulée.

//Le juge La Forest//

Version française des motifs rendus par

Le juge La Forest — Je suis d'accord de façon générale avec les motifs de ma collègue le juge McLachlin, sous réserve des observations qui suivent et qui sont peut‑être en fin de compte plus des questions de perspective que de fond.

À mon sens, lorsque le gouvernement anglais octroyait une assemblée législative à une colonie, il octroyait accessoirement le pouvoir nécessaire au corps législatif pour exercer ses fonctions, dont en particulier le pouvoir de réglementer ses procédures internes de la façon traditionnelle qui s'était élaborée au cours des années. C'est de cela qu'il s'agit vraiment quand nous parlons de privilèges parlementaires ou législatifs dans notre pays. Les privilèges plus étendus du Parlement britannique n'ont pas été transportés dans notre pays mais les législatures coloniales devaient disposer des privilèges nécessaires à leur fonctionnement. L'assemblée législative, et les privilèges concomitants, faisait partie de la constitution de la colonie et, dans le cas des provinces préexistantes comme la Nouvelle‑Écosse, a été maintenue dans la Loi constitutionnelle de 1867. Par conséquent, les privilèges de la législature en Nouvelle‑Écosse sont ancrés dans l'octroi d'une assemblée législative et incorporés dans la Loi constitutionnelle de 1867. Les nouveaux corps législatifs créés par cette loi et les textes constitutionnels qui ont suivi depuis sont régis par le même principe. La déclaration du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 exprimant le désir d'une "constitution semblable dans son principe à celle du Royaume‑Uni", exprime entre autres la nature des corps législatifs qu'elle a établis ou maintenus. Les privilèges de ces corps législatifs sont semblables dans leur principe, sans être identiques, aux privilèges du Parlement du Royaume‑Uni.

Je suis d'avis de trancher le présent pourvoi et de répondre aux questions constitutionnelles de la façon proposée par le juge McLachlin.

//Le juge McLachlin//

Version française du jugement des juges L'Heureux-Dubé, Gonthier, McLachlin et Iacobucci rendu par

Le juge McLachlin — J'ai eu l'avantage de lire les motifs du Juge en chef et ceux du juge Cory. Si je suis d'accord avec le Juge en chef pour dire que la Charte canadienne des droits et libertés ne s'applique pas à l'action de l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse, contestée dans le présent pourvoi, j'arrive toutefois à cette conclusion pour des motifs différents. À mon avis, la Charte ne s'applique pas en l'espèce, non pas parce qu'un organisme législatif n'est jamais assujetti à la Charte, mais parce que l'action en cause est une mesure prise conformément à un droit qui bénéficie d'un statut constitutionnel. Du fait qu'il a un statut constitutionnel, ce droit n'en est pas un qui peut être abrogé par la Charte.

La principale question dont est saisie notre Cour est de savoir si la Charte s'applique de manière à empêcher l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse d'exclure les médias de son enceinte. Les médias ont été exclus pour le motif que s'ils filmaient les travaux de l'assemblée législative au moyen de leurs propres caméras, ils nuiraient au décorum et à l'efficacité de ces travaux. Le Juge en chef expose dans ses motifs les faits pertinents ainsi que les décisions des juridictions inférieures.

L'appelant et les intervenants qui l'appuient avancent deux arguments généraux à l'appui de leur opinion selon laquelle la Charte ne s'applique pas pour empêcher l'exclusion fondée sur ce motif. Premièrement, ils soutiennent que la Charte, en vertu de son par. 32(1), s'applique seulement aux actes de la «législature» ou du «gouvernement». L'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse, dit‑on, n'est ni l'un ni l'autre et n'est donc pas régie par la Charte. Ils font valoir subsidiairement que, même si l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse peut être assujettie à la Charte en vertu du par. 32(1), le droit d'un organisme législatif d'exercer un contrôle sur l'assistance dans son enceinte, jusqu'au point de pouvoir expulser des étrangers, est un droit qui bénéficie d'un statut constitutionnel. On affirme que ce droit ne saurait être abrogé par une autre partie de la Constitution, en l'espèce la Charte. J'ai indiqué que j'étais d'accord avec le second de ces arguments. Avant d'expliquer pourquoi je suis d'accord, je vais d'abord examiner l'argument relatif au par. 32(1).

A. La Charte s'applique‑t‑elle à une assemblée législative?

Le Juge en chef conclut qu'une interprétation du par. 32(1), fondée sur le texte et sur l'objet visé, appuie la conclusion que la Charte ne visait pas à régir les actes mêmes d'un organisme législatif. En toute déférence, je ne suis d'accord avec ni l'une ni l'autre de ces conclusions.

L'argument du texte est, à mon avis, peu concluant. Voici le passage pertinent de l'art. 32:

32. (1) La présente charte s'applique:

a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord‑Ouest;

b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.

Il s'agit de déterminer si le par. 32(1), qui rend la Charte applicable au «Parlement» et au gouvernement du Canada et à la «législature» et au gouvernement de chaque province, signifie que la Charte ne s'applique pas à une assemblée législative qui, fait‑on valoir, ne constitue qu'une composante de la «législature». D'une part, les termes «Parlement» et «législature» définis dans la Loi constitutionnelle de 1867 (art. 17, 69 et 71) et diverses lois d'interprétation provinciales comprennent à la fois l'organisme législatif et le représentant de la Reine. Ces définitions tendent à appuyer la conclusion du Juge en chef que le texte de la Charte ne comprend pas l'assemblée législative elle‑même. D'autre part, l'art. 5 de la Charte peut s'appliquer seulement aux organismes législatifs. Cette disposition prévoit ceci: «Le Parlement et les législatures tiennent une séance au moins une fois tous les douze mois». C'est le président de l'assemblée législative qui convoque la législature en donnant un avis aux membres; cette mesure est purement interne à l'organisme législatif. Ainsi, cet article utilise le terme «législatures» relativement à des actes qui relèvent exclusivement d'un organisme législatif comme l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse. L'article 5 appuie donc le point de vue selon lequel, aux termes de la Charte elle‑même, le terme «législature» ne saurait être interprété de façon restrictive de manière à viser seulement les actes dont l'organisme législatif et le représentant de la Reine sont conjointement responsables. Les articles 17 et 18 de la Charte viennent renforcer ce point de vue.

À mon avis, une interprétation du par. 32(1), fondée sur l'objet visé, ne mène pas non plus à la conclusion que la Charte ne s'applique pas à une assemblée législative. On soutient que l'historique de la retenue judiciaire à l'égard des organismes législatifs signifie que la Charte ne peut jamais s'appliquer à eux. En toute déférence, cet argument est formulé de manière trop générale. La tradition de retenue judiciaire ne s'applique pas à tous les actes susceptibles d'être accomplis par une assemblée législative, mais se rattache fermement à certaines de ses activités spécifiques, c'est‑à‑dire à ce qu'on appelle les privilèges de ces organismes. Il s'ensuit que la tradition de retenue judiciaire à l'égard des organismes législatifs ne justifie pas une règle générale selon laquelle la Charte ne saurait s'appliquer aux actes d'une assemblée législative.

Sans décider que l'assemblée législative est un acteur gouvernemental à quelque fin que ce soit, qu'il suffise de préciser qu'elle est, en tant qu'organisme public, susceptible de porter atteinte aux libertés individuelles dans les domaines non protégés par un privilège. En conséquence, l'assemblée législative pourrait être visée par le raisonnement justifiant de considérer de tels organismes comme des acteurs gouvernementaux assujettis à la Charte, que le juge La Forest a formulé dans l'arrêt McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229 (à la p. 262):

C'est le gouvernement qui peut adopter et appliquer des règles et qui peut porter atteinte péremptoirement à la liberté individuelle. Seul le gouvernement a besoin de se voir imposer des contraintes dans la Constitution afin de préserver les droits des particuliers. Il est vrai que les atteintes aux droits des particuliers peuvent provenir d'autres sources. Cela est particulièrement vrai dans un monde où la vie économique est largement dominée par le secteur privé dont les institutions puissantes ne sont pas directement touchées par les forces démocratiques. Mais le gouvernement peut soit les réglementer soit créer des organismes distincts afin de protéger les droits de la personne et de promouvoir la dignité humaine.

La question soulevée dans le présent pourvoi n'a été examinée ni dans l'arrêt SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, où le juge McIntyre a affirmé que «ce n'est que dans sa législation qu'une législature peut porter atteinte à une liberté ou à un droit garantis» (p. 599), ni dans l'arrêt McKinney où le juge La Forest a repris cette opinion incidente. Le juge McIntyre n'a jamais expressément examiné si le terme «législature», pour les fins du par. 32(1), pouvait ou devrait se limiter à son sens technique d'assemblée législative et du lieutenant‑gouverneur. Compte tenu des arrêts de notre Cour Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, et Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211, je ne crois pas non plus qu'il soit raisonnable d'affirmer que ce n'est que par législation qu'un «acteur gouvernemental» peut porter atteinte à des droits. Dans l'arrêt Operation Dismantle, notre Cour a conclu à l'unanimité qu'une décision du Cabinet d'autoriser les États‑Unis à faire l'essai de missiles de croisière au Canada était assujettie au contrôle judiciaire en vertu de l'al. 32(1)a), et que l'exécutif du gouvernement avait l'obligation générale d'agir conformément à la Charte. Dans l'arrêt Lavigne, une obligation insérée dans une convention collective à la demande d'un acteur non gouvernemental constituait une action gouvernementale, dès qu'il était établi qu'un «acteur gouvernemental» exerçait un contrôle routinier ou régulier sur ceux qui cherchaient à faire exécuter l'obligation.

Toutefois, je ne puis souscrire à la conclusion de mon collègue le juge Cory que «la Charte devrait s'appliquer aux actions de l'assemblée législative» (p. 000), s'il veut dire par là que la Charte devrait s'appliquer à toutes les actions de l'assemblée législative. En l'absence de termes spécifiques contraires dans la Charte, on ne saurait écarter à la légère la longue tradition de retenue judiciaire à l'égard de l'indépendance de l'organisme législatif et des droits nécessaires au fonctionnement de cet organisme, même en admettant que nos notions de ce que peuvent faire les acteurs gouvernementaux ont beaucoup changé depuis l'adoption et l'enchâssement de la Charte. J'expose plus loin la raison juridique pour laquelle il y a lieu de maintenir la retenue judiciaire à l'égard des actes de l'assemblée législative ici en cause.

En définitive, je rejetterais l'argument selon lequel le pouvoir de l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse, dont il est question ici, ne saurait être contesté pour le motif que la Charte ne peut jamais s'appliquer aux actions d'une assemblée législative.

B.L'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse agit‑elle ici conformément à un droit constitutionnel?

Subsidiairement, à l'appui de l'argument que la Charte ne s'applique pas aux actes de l'assemblée législative, on soutient que le droit d'un organisme législatif d'exercer un contrôle sur l'assistance dans son enceinte est un droit qui bénéficie d'un statut constitutionnel et qui ne peut donc être abrogé par une autre partie de la Constitution, en l'espèce la Charte.

C'est une règle fondamentale, non contestée en l'espèce, qu'une partie de la Constitution ne peut être abrogée ou atténuée par une autre partie de la Constitution: Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148. Par conséquent, si le privilège d'expulser des étrangers de l'assemblée législative est constitutionnel, il ne saurait être abrogé par la Charte, même si cette dernière s'applique par ailleurs à l'organisme qui a pris la décision. Cela soulève la question cruciale suivante: le privilège de l'assemblée législative d'exclure des étrangers de son enceinte constitue‑t‑il un pouvoir constitutionnel?

On soutient que le droit d'exclure des étrangers de l'assemblée législative est constitutionnel en vertu de l'art. 88 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui, dit‑on, fait de la constitution de la province de la Nouvelle‑Écosse une partie de la Constitution du Canada. On affirme également que ce droit est constitutionnel parce que le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 incorpore l'art. 9 du Bill of Rights anglais de 1689. Enfin, on soutient que le droit d'exclure des étrangers est un privilège inhérent à l'assemblée législative du fait que le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 exprime l'intention de mettre en place «une constitution semblable dans son principe à celle du Royaume‑Uni».

J'ai conclu que les deux premiers arguments n'établissent pas la constitutionnalité du privilège revendiqué. Le premier argument n'est pas pertinent. En l'espèce, l'appelant cherche à établir le statut constitutionnel des privilèges inhérents de l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse. C'est seulement en présumant que notre Cour conclura que les privilèges de l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse sont d'origine légale que l'appelant fait valoir que le privilège est incorporé dans la Constitution du Canada en vertu de l'art. 88 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Je soutiens plus loin que les privilèges inhérents peuvent bénéficier d'un statut constitutionnel, peu importe qu'il existe ou non un pouvoir de légiférer en matière de privilège dans la constitution provinciale et qu'il y ait eu ou non adoption de dispositions relatives au privilège. S'il était nécessaire d'examiner la question, une interprétation du terme «demeurera», à l'art. 88 de la Loi constitutionnelle de 1867, comme signifiant «sera enchâssé» me causerait également du souci; puisque cette disposition vise seulement les constitutions des provinces de la Nouvelle‑Écosse et du Nouveau‑Brunswick, une telle interprétation soulèverait des questions relativement aux autres constitutions provinciales.

En ce qui concerne le deuxième argument, il est évident qu'en l'absence d'un renvoi spécifique, le préambule ne devrait pas être interprété comme renvoyant à un article précis du Bill of Rights anglais. Cela ne veut pas dire que les principes qui sous‑tendent l'art. 9 du Bill of Rights anglais de 1689 ne font pas partie de notre droit et ne nous éclairent pas quant aux relations qui doivent exister entre les tribunaux et les organismes législatifs au Canada: Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753, à la p. 785.

Le troisième argument me convainc. À mon avis, il est juste et raisonnable de conclure que l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse a le pouvoir constitutionnel d'exclure des étrangers de son enceinte en vertu du préambule de la Constitution, de la tradition historique et du principe pragmatique selon lequel il faut présumer que les législatures possèdent les pouvoirs constitutionnels nécessaires à leur bon fonctionnement.

L'incidence de notre constitution écrite

On fait valoir que le fait que notre Constitution soit en grande partie écrite, conjugué au texte particulier de certaines de ses dispositions, indique que les privilèges non écrits et inexprimés peuvent tout au plus occuper une place limitée dans la Constitution. C'est cet argument que je vais maintenant examiner. À mon avis, loin de contredire la proposition que le Parlement et les législatures possèdent des privilèges constitutionnels inhérents, le texte de notre constitution écrite l'appuie.

Cela ressort de la première partie de notre constitution écrite, le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, qui annonce l'intention d'établir pour les provinces du Canada, de la Nouvelle‑Écosse et du Nouveau‑Brunswick une «constitution semblable dans son principe à celle du Royaume‑Uni». Il ne fait pas de doute que ce préambule garantit constitutionnellement le maintien du gouvernement parlementaire; compte tenu du fédéralisme canadien, cette garantie s'étend aux législatures provinciales de la même manière qu'au Parlement fédéral. La Constitution du Royaume‑Uni reconnaissait certains privilèges à l'organisme législatif. Cela laisse entendre que les organismes législatifs du nouveau dominion allaient posséder des pouvoirs similaires quoique non nécessairement identiques. Cette déduction trouve également appui dans le fait que le Parlement canadien et les législatures provinciales s'inspirent, dans les moindres détails, du Parlement du Royaume‑Uni. Par exemple, chaque organisme législatif compte un président qui est habilité à maintenir l'ordre et le décorum pendant les travaux de la Chambre, tout comme l'est le président à Westminster. Il faut de toute évidence conclure que cette personne disposerait des pouvoirs similaires, tout au moins dans la mesure où ces pouvoirs sont nécessaires au bon fonctionnement de l'organisme législatif.

Toutefois, on soutient que nous avons au Canada poussé la rédaction des textes constitutionnels au point où on ne peut plus dire que les concepts non écrits ont leur place dans notre Constitution. J'affirme immédiatement que je partage le souci du Juge en chef que des concepts non écrits ne soient pas transposés librement dans un régime constitutionnel qui a abouti à une constitution écrite. Je souligne également que d'éminents auteurs appuient une façon prudente d'aborder la reconnaissance de pouvoirs constitutionnels non écrits ou inexprimés. Pourtant, la question n'est pas susceptible de faire l'objet d'exclusions catégoriques, comme l'indique l'analyse qu'en fait le professeur Hogg. À la page 1-7 de Constitutional Law of Canada (3e éd. 1992), vol. 1, le professeur Hogg commence par présenter les arguments à l'appui de la conclusion que la Constitution canadienne se limite aux documents écrits:

[traduction] La définition de l'expression «Constitution du Canada» au par. 52(2) commence par le terme «comprend». En général, dans les lois canadiennes, le terme «comprend» indique que la définition n'est pas exhaustive. Habituellement, le terme «désigne» indique qu'il s'agit d'une définition exhaustive. Toutefois, compte tenu du caractère spécifique de la liste de textes législatifs et des décrets et des conséquences importantes (savoir la suprématie et l'enchâssement, dont il est question dans les deux paragraphes qui suivent) de l'inclusion d'autres textes, un tribunal n'oserait certainement pas faire des ajouts aux 30 textes énumérés dans l'annexe.

Toutefois, dans la phrase suivante, le professeur Hogg reconnaît la difficulté que pose cette approche, en affirmant que même si

[traduction] [i]l semble seulement réaliste [. . .] de considérer cette définition comme exhaustive, [. . .] elle omet de nombreux textes d'importance pour le gouvernement du Canada ou les provinces. Par exemple, la définition ne mentionne pas les textes antérieurs à 1867 qui régissaient le territoire qui fait maintenant partie de l'Ontario et du Québec: la Proclamation royale de 1763, l'Acte de Québec de 1774, l'Acte constitutionnel de 1791 et l'Acte d'Union de 1840. Sont également exclus les textes antérieurs à 1867 qui constituent toujours les constitutions de la Nouvelle‑Écosse (1749), de l'Île‑du‑Prince‑Édouard (1769), du Nouveau‑Brunswick (1784), de Terre‑Neuve (1832) et de la Colombie‑Britannique (1866). La définition ne comprend pas non plus les Lettres patentes de 1947, qui constituent la charge de gouverneur général, la Loi sur la Cour suprême qui constitue la Cour suprême du Canada, ni la Déclaration canadienne des droits qui demeure en vigueur malgré l'adoption de la Charte des droits. La définition ne comprend pas non plus l'ensemble des conventions qui régissent le système de gouvernement responsable; de toute évidence, ces conventions ne peuvent être incluses dans une définition formulée en fonction d'écrits, parce qu'elles ne sont contenues dans aucun écrit faisant autorité.

Le professeur Hogg conclut que [traduction] «l'évolution progressive du Canada, du statut de colonie à celui d'un État, fait qu'il n'est pourvu d'aucun document constitutionnel complet» (p. 1-8). Il reconnaît que le texte du par. 52(2) ne constitue pas une preuve concluante que cette disposition constitue une définition exhaustive de la Constitution du Canada. J'ajouterais ceci seulement: puisqu'il ressort de la Loi constitutionnelle de 1867 que les fondateurs de notre pays avaient l'intention claire et nette d'établir une constitution semblable à celle du Royaume‑Uni, la Constitution peut également inclure les privilèges qui ont traditionnellement été jugés nécessaires au bon fonctionnement de nos organismes législatifs.

Il semble incontestable que les privilèges inhérents des organismes législatifs du Canada, c'est‑à‑dire [traduction] «certains privilèges très restreints qui étaient nécessaires au maintien de l'ordre et de la discipline dans l'exercice de leurs fonctions» (voir R. M. Dawson, The Government of Canada (5e éd. 1970), à la p. 338), font partie du groupe de principes constitutionnalisés en vertu de ce préambule. On considérait que les principes ainsi constitutionnalisés n'étaient pas écrits ni exprimés; selon moi, l'enchâssement des droits écrits garantis ou l'adoption d'écrits spécifiques n'annule pas l'intention manifeste, exprimée dans le préambule de notre Constitution, que le Canada conserve les préceptes constitutionnels fondamentaux qui sous‑tendaient la démocratie parlementaire britannique. Il s'agit non pas de transposer dans notre régime constitutionnel un concept inexprimé, mais plutôt de reconnaître un pouvoir juridique fondamental au régime constitutionnel que le Canada a adopté dans ses lois constitutionnelles de 1867 à 1982. Il ne s'agit pas non plus ici d'une simple convention à laquelle les tribunaux n'ont pas donné un effet juridique; la jurisprudence indique que le statut juridique des privilèges inhérents n'a jamais été mis en doute.

Je suis d'accord avec l'essentiel de la pensée du professeur Hogg lorsqu'il fait observer que l'ajout d'autres textes aux 30 déjà énumérés à l'annexe du par. 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 risque d'avoir de graves conséquences compte tenu de la suprématie et de l'enchâssement prévus relativement à la «Constitution du Canada» aux par. 52(1) et 52(3). Toutefois, comme le reconnaît le professeur Hogg lui‑même, le par. 52(2) ne se veut pas clairement exhaustif. Ceci dit, je ne serais pas disposée à limiter l'interprétation de cette disposition de façon à écarter l'intention qui sous‑tend le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, et refuser ainsi de reconnaître les privilèges inhérents minimes, mais reconnus depuis longtemps et essentiels, des organismes législatifs canadiens.

Je conclus que le texte écrit de la Constitution du Canada appuie, plutôt que d'y déroger, la conclusion que nos organismes législatifs possèdent les pouvoirs constitutionnels inhérents historiquement considérés comme nécessaires à leur bon fonctionnement.

La perspective historique

Le Parlement du Canada et les assemblées législatives provinciales s'inspirent du système de démocratie parlementaire qui existait au Royaume‑Uni. Le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 mentionne expressément l'intention des rédacteurs de notre Constitution d'établir une constitution «semblable dans son principe à celle du Royaume‑Uni». Il s'ensuit que pour déterminer quels pouvoirs constitutionnels possèdent nos assemblées législatives, nous devrions commencer par examiner les pouvoirs traditionnellement confiés au Parlement du Royaume‑Uni.

J'examinerai tout d'abord la tradition historique des privilèges parlementaires. Dans ce contexte, le terme «privilège» indique une exemption légale d'une certaine obligation, charge, participation ou responsabilité auxquelles les autres personnes sont assujetties. Il est accepté depuis longtemps que, pour exercer leurs fonctions, les organismes législatifs doivent bénéficier de certains privilèges relativement à la conduite de leurs affaires. Il est également accepté depuis longtemps que, pour être efficaces, ces privilèges doivent être détenus d'une façon absolue et constitutionnelle; la branche législative de notre gouvernement doit jouir d'une certaine autonomie à laquelle même la Couronne et les tribunaux ne peuvent porter atteinte.

Le privilège parlementaire du Parlement britannique à Westminster découlait initialement de la compétence du Parlement en tant que tribunal. Au cours des siècles, le Parlement s'est gagné le droit de contrôler ses propres affaires, indépendamment de la Couronne et des tribunaux. Les tribunaux pouvaient déterminer si un privilège parlementaire existait, mais une fois qu'ils avaient déterminé qu'il existait, ils n'avaient aucun pouvoir d'en réglementer l'exercice. Un de ces privilèges, détenu de façon absolue et réputé constitutionnel, était le pouvoir d'exclure des étrangers des débats de l'assemblée législative.

Les privilèges des législatures coloniales émanaient de la common law. Ces institutions modelées sur le Parlement britannique étaient réputées posséder les pouvoirs et la compétence dont dépend nécessairement leur bon fonctionnement. Ces privilèges étaient régis par le principe de la nécessité plutôt que par un événement historique et pourraient bien de ce fait ne pas reproduire exactement les pouvoirs et privilèges existants au Royaume‑Uni.

Dans Erskine May's Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament (21e éd. 1989), le privilège est décrit de la façon suivante (aux pp. 69 et 82):

[traduction] Le privilège parlementaire est la somme des droits particuliers dont jouissent chaque chambre collectivement en tant que composante de la Haute Cour du Parlement, et les membres de chacune des chambres, pris individuellement, sans lesquels ils ne pourraient s'acquitter de leurs fonctions, et qui excèdent ceux que possèdent d'autres organismes ou particuliers. Ainsi, le privilège, bien qu'il fasse partie de la loi du pays, constitue dans une certaine mesure une exemption de l'application des lois générales.

. . .

. . . les privilèges du Parlement sont des droits «absolument nécessaires à l'exercice régulier de ses pouvoirs . . .

Le caractère fondamental du privilège au Canada est bien énoncé par le professeur Dawson dans son ouvrage intitulé Government of Canada, op. cit., aux pp. 337 et 338:

[traduction] Les privilèges formaient en soi un ensemble spécial de règles de droit et sont devenus collectivement connus sous le nom de lex et consuetudo Parliamenti. Ils n'avaient aucun fondement juridique; en fait, ils découlaient initialement de la compétence du Parlement en tant que tribunal, et non en tant qu'organisme législatif . . .

. . .

La lex et consuetudo Parliamenti, connue en Angleterre, n'a pas été, comme la majeure partie de la common law, transplantée au Canada. Les organismes législatifs créés à l'étranger n'étaient pas investis des privilèges et des pouvoirs du Parlement britannique, qui, comme nous l'avons déjà mentionné, étaient principalement d'origine judiciaire. Cette création impliquait toutefois que ces législatures devraient exercer certains privilèges très restreints qui étaient nécessaires au maintien de l'ordre et de la discipline dans l'exercice de leurs fonctions. Toutefois, il devait s'agir de pouvoirs de protéger et non de punir, car ces derniers étaient encore considérés comme l'apanage d'un tribunal plutôt que d'un organisme législatif.

Les analyses les plus récentes de ces questions dans le contexte canadien reprennent cette ligne de pensée. Dans son ouvrage intitulé Le privilège parlementaire au Canada (1987), Joseph Maingot reconnaît également que les organismes législatifs canadiens bénéficiaient, dès leur création, des privilèges nécessaires au maintien de l'ordre et de la discipline dans l'exercice de leurs fonctions (aux pp. 3 et 4):

Dès l'établissement au Canada de la première assemblée législative en Nouvelle‑Écosse en 1758, la loi accorda à l'assemblée et à ceux qui prenaient part à ses délibérations, tous les pouvoirs jugés nécessaires pour permettre à l'assemblée et à ses membres de s'acquitter de leur mission législative. À ce titre, les députés jouissaient de la liberté de parole dans les débats. Ils étaient protégés contre toute arrestation occasionnée par un litige au civil car l'assemblée avait droit en priorité à leur présence et à leur participation. Selon une opinion ancienne, les assemblées avaient le pouvoir d'emprisonner l'auteur d'un outrage commis en séance et qui avait perturbé ou interrompu leurs travaux. Cet usage s'est développé dans le Bas et le Haut‑Canada et s'est maintenu dans la Province du Canada, mais en 1842, on estimait que les assemblées de la colonie n'avaient pas le pouvoir d'emprisonner l'auteur d'un outrage commis en dehors de l'assemblée et, en 1866, on considérait qu'elles n'avaient même pas le pouvoir d'emprisonner l'auteur d'un outrage commis en présence de l'assemblée. En d'autres termes, l'assemblée devait disposer de pouvoirs de protection et de défense, et non pas du pouvoir de punir.

Au début, les assemblées n'ont pu miser que sur leurs pouvoirs intrinsèques parce qu'elles étaient des assemblées coloniales: l'instrument juridique de leur création, une proclamation royale ou un acte du Parlement du Royaume-Uni, ne leur octroyait pas ordinairement la même immunité ou les mêmes pouvoirs que ceux de la Chambre des communes du Royaume-Uni, jugés incompatibles avec leur état de dépendance. Ce n'est qu'en 1896 qu'un tribunal a confirmé le pouvoir des assemblées provinciales de s'octroyer des privilèges à peu près identiques à ceux de la Chambre des communes du Royaume-Uni ou du Canada. Ce tribunal a précisé dans l'arrêt Fielding c. Thomas [[1896] A.C. 600 (N.‑É.)] que depuis 1865, les anciennes assemblées du Canada (comme celle de la Nouvelle‑Écosse) possédaient en vertu de l'art. 5 de la Colonial Laws Validity Act de 1865 le pouvoir de légiférer sur leurs privilèges.

Les remarques qui précèdent indiquent que les organismes législatifs canadiens peuvent revendiquer en tant que privilèges inhérents les droits nécessaires à leur fonctionnement. On ne conteste pas, dans la jurisprudence, que le critère applicable est celui de la nécessité. Ainsi, dans l'arrêt Kielley c. Carson (1842), 4 Moore 63, 13 E.R. 225, le Conseil privé était appelé à examiner si le pouvoir d'incarcération pour outrage, commis en dehors de l'Assemblée, constituait une particularité juridique nécessaire à chaque législature locale canadienne. Le Conseil privé a conclu que nos organismes législatifs ne pouvaient revendiquer ce privilège et que les assemblées coloniales ne possédaient pas les droits et les privilèges dont jouissait la Chambre des communes du Royaume‑Uni en vertu d'une prescription et d'un usage anciens. Toutefois, le Conseil privé n'a pas contesté que l'Assemblée législative de Terre‑Neuve s'est vu conférer, dès son établissement, les pouvoirs [traduction] «nécessaires à l'existence d'un tel organisme et à l'exercice adéquat des fonctions qu'il est censé remplir». Le baron Parke affirme (aux pp. 234 et 235 E.R.):

[traduction] Conformément à ce principe, il ne fait aucun doute pour nous qu'une telle assemblée a le droit de se protéger de tous les obstacles au bon déroulement de ses travaux. Dans la pleine mesure de toute disposition qu'il peut être vraiment nécessaire d'adopter pour garantir le libre exercice de ses fonctions législatives, elle est justifiée d'agir selon le principe de la common law.

Voir aussi l'arrêt Fielding c. Thomas, [1896] A.C. 600 (C.P.), le lord chancelier Halsbury, aux pp. 610 et 611. Le point général a été confirmé dans l'arrêt antérieur de notre Cour Landers c. Woodworth (1878), 2 R.C.S. 158, où le juge Ritchie fait observer (aux pp. 201 et 202):

[traduction] À mon avis, il existe une série de décisions qui lient notre Cour, dans lesquelles il est établi clairement d'une part, que l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse n'a pas le pouvoir de punir une infraction qui ne constitue pas un obstacle immédiat au bon déroulement de ses travaux et à l'exercice légitime de ses fonctions, un tel pouvoir n'étant pas un attribut essentiel, ni fondamentalement nécessaire, à l'exercice de ses fonctions de législature locale et ne lui appartenant pas à titre de particularité nécessaire ou juridique, et, d'autre part, que sans une prescription ou un texte de loi, les législatures locales ne possèdent pas les privilèges qui appartiennent à la Chambre des communes de la Grande‑Bretagne en vertu de la Lex et consuetudo Parliamenti.

Il appartient aux tribunaux de déterminer si l'on a prouvé l'existence d'une nécessité suffisante pour justifier un privilège. Le lord juge en chef Denman, dans l'arrêt Stockdale c. Hansard (1839), 9 Ad. & E. 1 (Q.B.), 112 E.R. 1112, affirme à la p. 1169 E.R.: [traduction] «Si la nécessité peut être prouvée, point n'est besoin d'ajouter autre chose: c'est le fondement de tout privilège du Parlement, et c'est tout ce qui est exigé.» Toutefois, il souligne qu'il appartient aux tribunaux de déterminer si la nécessité justifie l'existence du privilège revendiqué; dans l'affirmative et seulement à cette condition, les tribunaux n'en examineront pas l'exercice (à la p. 1168 E.R.):

[traduction] Dans le cas où la question relève de la compétence [de la Chambre des communes], nous ne pouvons certainement pas contester l'exercice de son jugement; toutefois, nous nous demandons maintenant si la question relève bien de la compétence de la Chambre des communes. On soutient que la Chambre peut en faire une question relevant de sa compétence en se déclarant compétente. J'ai déjà formulé ma réponse sur ce point: il est tout à fait clair qu'aucun de ces tribunaux ne pourrait s'attribuer une compétence en décidant qu'il la possède.

Le critère de nécessité est appliqué non pas comme une norme pour juger le contenu du privilège revendiqué, mais pour déterminer le domaine nécessaire de compétence «parlementaire» ou «législative» absolue et exclusive. Si une question relève de cette catégorie nécessaire de sujets sans lesquels la dignité et l'efficacité de l'Assemblée ne sauraient être maintenues, les tribunaux n'examineront pas les questions relatives à ce privilège. Toutes ces questions relèveraient plutôt de la compétence exclusive de l'organisme législatif.

Ainsi, le critère de nécessité applicable au privilège est un critère qui a trait à la compétence. Très tôt, lorsque les tribunaux de common law ont établi que la lex et consuetudo Parliamenti ne constituait pas une loi distincte qui était simplement inconnue des tribunaux, les tribunaux ont été contraints de faire face au problème fondamental suivant qui existe en matière de privilège. Il était tout à fait évident qu'un organisme législatif ne pouvait élargir son privilège en adoptant simplement une résolution en ce sens; autoriser l'organisme législatif à agir ainsi reviendrait à lui permettre de légiférer sans la participation nécessaire du Roi et des lords. Si l'organisme législatif avait été autorisé à énoncer le droit en matière de privilèges, il aurait pu y avoir, par erreur ou abus, ingérence illicite dans la common law. Par ailleurs, si les tribunaux avaient pu déclarer valide le privilège, il y aurait pu y avoir ingérence injustifiée de la common law dans le droit en matière de privilège. Face à ce dilemme, on a adopté le principe de nécessité comme moyen d'établir une distinction entre les domaines de compétence des tribunaux et des organismes législatifs.

Comme je l'ai déjà fait remarquer, la décision de principe est Stockdale c. Hansard. Dans cette affaire, la cour a rejeté l'argument selon lequel les tribunaux ne connaissent de questions relatives au privilège que lorsqu'ils s'en trouvent saisis «de façon incidente» plutôt que «directement». On a conclu que les tribunaux étaient tenus de se prononcer sur une question de privilège, quelle que soit la façon dont elle s'est posée, mais que cette décision doit être assujettie à la reconnaissance d'une compétence parlementaire exclusive. Les paramètres de cette compétence sont déterminés par ce qui est nécessaire pour que l'organisme législatif soit capable de fonctionner. Selon cette définition, le principe de nécessité englobera non seulement certains privilèges revendiqués, mais aussi le pouvoir de déterminer, de trancher et d'appliquer ces privilèges. Si les tribunaux devaient examiner le mode d'exercice d'un privilège valide et conclure que, dans certains cas, le privilège a été exercé d'une façon non valide, ils se trouveraient alors à empiéter sur la compétence exclusive de l'organisme législatif, après avoir reconnu que le privilège en question relève de la compétence exclusive de cet organisme législatif. La seule chose qui peut être examinée par le tribunal est à l'étape initiale de l'examen de la compétence: le privilège revendiqué est‑il un des privilèges nécessaires pour que la législature soit capable de fonctionner? L'exercice particulier d'un privilège nécessaire ne saurait alors faire l'objet d'un examen, sauf si la retenue manifestée et la conclusion formulée à l'étape initiale sont rendues inopérantes.

En résumé, il semble évident que, du point de vue historique, les organismes législatifs canadiens possèdent les privilèges inhérents qui peuvent être nécessaires à leur bon fonctionnement. Ces privilèges font partie de notre droit fondamental et sont donc constitutionnels. Les tribunaux peuvent déterminer si le privilège revendiqué est nécessaire pour que la législature soit capable de fonctionner, mais ne sont pas habilités à examiner si une décision particulière prise conformément au privilège est bonne ou mauvaise.

L'argument pragmatique: la nécessité

J'ai déjà fait allusion à la doctrine et à la jurisprudence qui appuient la conclusion que les organismes législatifs canadiens possèdent les privilèges constitutionnels historiquement reconnus qui peuvent être nécessaires à leur bon fonctionnement. Cette conclusion sous‑entend qu'en pratique les organismes législatifs doivent posséder certains pouvoirs inhérents pour bien s'acquitter de leurs fonctions.

Les privilèges constitutionnels non écrits inhérents à nos organismes législatifs peuvent‑ils, en général, se justifier par la nécessité? En d'autres termes, nos organismes législatifs peuvent‑ils bien fonctionner s'ils possèdent seulement les pouvoirs que leur confèrent expressément nos documents constitutionnels écrits? À mon avis, il faut répondre à cette question par la négative. Par exemple, le droit constitutionnel non écrit de s'exprimer librement à l'Assemblée sans crainte de poursuites civiles est nettement important.

Parmi les privilèges spécifiques qui ont pris naissance au Royaume‑Uni, il y a les suivants:

a) la liberté de parole, y compris l'immunité contre les poursuites civiles relativement à toute affaire découlant de l'exercice des fonctions de membre de l'Assemblée;

b) le contrôle exclusif par l'Assemblée de ses propres débats;

c) l'expulsion des étrangers de l'Assemblée et de ses environs;

d) le contrôle de la publication des débats de l'Assemblée.

Erskine May, op. cit., fournit des justifications convaincantes relativement à chacun de ces privilèges: voir les pp. 84, 90, 91, 171 à 173, ainsi que 85 et 86 respectivement. La nécessité de la liberté de parole est tellement évidente qu'elle se passe de commentaires. Néanmoins, il importe de souligner l'élément de liberté de parole qui touche au privilège revendiqué en l'espèce. La liberté de parole à l'Assemblée comprend le droit de parler sans être interrompu. Si les activités dans la tribune perturbent les débats, que ce soit à cause du bruit, de lumières ou de quoique ce soit d'autre, l'Assemblée a traditionnellement le droit de faire rétablir l'ordre, même si cela nécessite l'expulsion de la personne ou des personnes responsables.

Le droit de l'Assemblée d'être le seul juge de la légalité de ses débats est tout aussi évident; Erskine May dit que ce droit est [traduction] «parfaitement établi». En établissant ses propres codes de procédure ou en y dérogeant, [traduction] «l'Assemblée peut «en pratique modifier ou remplacer les règles de droit»» (p. 90).

Quant au droit d'expulser des étrangers des tribunes, Erskine May mentionne un usage ancien selon lequel un député pouvait exiger l'exclusion d'une personne de la tribune, sans débat ni motif. Ce pouvoir appartient maintenant au président de l'Assemblée, qui a seul le pouvoir, lorsqu'il le juge à propos, d'ordonner l'expulsion des étrangers de toute partie de l'Assemblée.

Enfin, en ce qui concerne le droit de contrôler la publication des débats, Erskine May affirme (à la p. 85):

[traduction] Le droit d'une chambre ou de l'autre d'interdire la publication de ses débats est étroitement lié [au] pouvoir [d'exclure des étrangers]. La publication des débats d'une chambre ou de l'autre a, à maintes reprises, dans le passé, été déclarée constituer une violation de privilège, tout particulièrement des rapports faux et déformés à ce sujet . . .

Parmi les privilèges ci‑dessus décrits, c'est le droit de l'Assemblée d'exclure des étrangers qui est le plus directement contesté dans le présent pourvoi. Au Canada, notre Cour a décidé que les assemblées législatives ne sont pas accessibles de plein droit au public: voir Payson c. Hubert (1904), 34 R.C.S. 400. Dans cette affaire, on a reconnu que l'accès à l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse était strictement une question de privilège qui pouvait être retiré en tout temps pour préserver le décorum.

Dans le présent pourvoi, le Juge en chef, selon son examen de la jurisprudence et de la nature du privilège, accepte que les organismes législatifs canadiens possèdent, à titre de privilège inhérent, le droit d'exclure des étrangers. Il affirme, à la p. 000: «Cet argument [contraire] serait difficile à avancer étant donné que l'on reconnaît depuis longtemps que les pouvoirs d'exclure les étrangers et de contrôler les débats internes de l'Assemblée constituent des catégories valides de privilèges fondés sur la nécessité, dans notre pays et au Royaume‑Uni . . .» Je suis d'accord avec ces propos.

Le fait que ce privilège ait été maintenu pendant plusieurs siècles, tant à l'étranger qu'au Canada, est une preuve qu'il est généralement considéré comme essentiel au bon fonctionnement d'une législature inspirée du modèle britannique. Toutefois, il faut de nouveau nous poser la question suivante: dans le contexte canadien de 1992, le droit d'exclure des étrangers est‑il nécessaire au bon fonctionnement de nos organismes législatifs?

À mon avis, ce privilège est tout autant nécessaire pour la démocratie canadienne qu'il l'a été pour les démocraties d'ici et d'ailleurs au cours des siècles passés. L'assemblée législative est l'élément essentiel du système de gouvernement représentatif. Il est de la plus haute importance que les débats qui s'y déroulent ne soient pas perturbés ni paralysés d'aucune façon. Des étrangers peuvent, de diverses façons, entraver la bonne marche des travaux de cette assemblée. L'Assemblée doit donc avoir le droit d'exclure des étrangers si elle veut être en mesure de fonctionner efficacement. La règle selon laquelle l'assemblée législative devrait avoir le droit exclusif de contrôler les conditions dans lesquelles se déroulent ces débats revêt donc une grande importance pour assurer non seulement l'autonomie de l'organisme législatif, mais aussi son fonctionnement efficace.

Toutefois, fait‑on valoir, il n'est pas nécessaire que ce droit soit absolu. Les tribunaux devraient pouvoir surveiller l'exercice de ce droit afin d'assurer que seuls les étrangers véritablement gênants soient exclus. À mon avis, un système de contrôle judiciaire créerait ses propres problèmes, indépendamment de la question constitutionnelle de savoir quel droit les tribunaux ont‑ils de s'immiscer dans le processus interne d'une autre branche du gouvernement. La décision de l'Assemblée ne serait pas définitive. L'Assemblée se trouverait aux prises avec des poursuites judiciaires et des appels au sujet de ce qui est gênant et de ce qui ne l'est pas, ce qui pourrait en soi entraver son bon fonctionnement. Cela vient appuyer la proposition séculaire et acceptée selon laquelle il est nécessaire au bon fonctionnement d'une assemblée législative inspirée du système parlementaire du Royaume‑Uni que cette assemblée possède le droit absolu d'exclure des étrangers de son enceinte lorsqu'elle estime que leur présence l'empêche de fonctionner efficacement.

Qu'en est‑il alors du droit du public d'assister aux débats de l'organisme législatif? Il n'est pas nécessaire en l'espèce d'examiner le cas d'une tentative d'exclure tous les membres du public, ou certains groupes du public, et de diriger les débats de l'Assemblée en privé, quoiqu'on puisse souligner que la tradition anglaise appuierait le droit de l'Assemblée de délibérer en privé. Ce qui est en cause ici c'est le pouvoir de l'assemblée législative de limiter ce que les membres du public assistant aux débats peuvent faire pendant qu'ils sont dans l'enceinte de l'Assemblée, et de les expulser s'ils refusent d'obtempérer à l'ordre qui leur est donné. Plus précisément, le présent pourvoi porte sur le droit des médias de filmer les débats avec leurs propres caméras, et d'exercer un contrôle sur la production et l'utilisation subséquente du film. Le président de l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse est d'avis que ce type d'accès nuirait au décorum et au déroulement efficace des débats de l'Assemblée et il s'y est opposé. Ce faisant, il agit dans les limites de son pouvoir constitutionnel de contrôler l'assistance aux travaux de l'assemblée législative. Un tribunal n'est pas plus justifié de contrôler cette décision que ne le serait la législature de contrôler la décision d'un tribunal d'interdire, dans la salle d'audience, des activités qu'il estime nuisible au déroulement de ses procédures.

On peut ajouter que l'histoire démontre qu'il y a peu de risques que le président abuse de son pouvoir de contrôler les débats de l'Assemblée, même au point d'exclure des étrangers. Le droit d'exclure des étrangers est reconnu au Royaume‑Uni depuis des siècles et au Canada, depuis plus d'une centaine d'années et il n'a pas causé de problème. Et l'assemblée législative est toujours exposée à la sanction ultime, celle des électeurs.

J'ajoute ceci. Notre gouvernement démocratique comporte plusieurs branches: la Couronne représentée par le gouverneur général et ses homologues provinciaux, l'organisme législatif, l'exécutif et les tribunaux. Pour assurer le fonctionnement de l'ensemble du gouvernement, il est essentiel que toutes ces composantes jouent le rôle qui leur est propre. Il est également essentiel qu'aucune de ces branches n'outrepasse ses limites et que chacune respecte de façon appropriée le domaine légitime de compétence de l'autre.

Traditionnellement, chaque branche du gouvernement a joui d'une autonomie dans la façon de conduire ses affaires. La Charte a modifié l'équilibre des forces entre la branche législative et l'exécutif, d'une part, et les tribunaux, d'autre part, en exigeant que toutes les lois et mesures gouvernementales soient conformes aux principes fondamentaux énoncés dans celle‑ci. En pratique, cela signifie que, sous réserve de la disposition prépondérante de l'art. 33 de la Charte, les tribunaux peuvent être appelés à déclarer non valides des lois et des actes gouvernementaux. Dans cette mesure, la Charte a empiété sur la compétence suprême des branches législatives. Ce que l'on nous demande de faire en l'espèce est d'aller plus loin, beaucoup plus loin. On nous demande d'affirmer que la Charte a non seulement enlevé aux corps législatifs le droit d'adopter les lois qu'ils désirent, mais aussi qu'elle a éliminé le droit constitutionnel que le Parlement et les assemblées législatives possèdent depuis longtemps d'exclure des étrangers et d'assujettir au contrôle supérieur des tribunaux la décision du président quant à ce qui gêne le fonctionnement de l'Assemblée. Je ne vois rien dans la Charte qui exigerait ou justifierait de procéder à la réaffectation des pouvoirs concernés.

Je conclus que l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse possède un droit constitutionnel inhérent d'exclure des étrangers de son enceinte lorsqu'elle conclut que leur présence gêne son fonctionnement.

L'incidence d'une conclusion à l'existence d'un privilège

Ayant conclu que l'Assemblée avait le droit constitutionnel de faire ce qu'elle a fait, il s'ensuit que la Charte ne peut supprimer ce droit, en vertu du principe qu'une partie de la Constitution ne peut en abroger une autre.

Toutefois, il est nécessaire d'examiner l'argument, accepté par mon collègue le juge Cory, que ce qui nous intéresse en l'espèce c'est l'exercice d'un pouvoir constitutionnel et le fait que l'exercice de pouvoirs constitutionnels est assujetti à la Charte selon le raisonnement adopté dans le Renvoi relatif à la délimitation de circonscriptions électorales provinciales (Sask.), [1991] 2 R.C.S. 158. En toute déférence, cet argument présume de la réponse à la question critique de savoir si le droit revendiqué est un pouvoir constitutionnel, comme le fait valoir l'appelant, ou s'il s'agit simplement d'un acte accompli dans l'exercice d'un pouvoir constitutionnel. Pour employer les propos utilisés dans le Renvoi relatif à la délimitation de circonscriptions électorales, la question importante est de savoir si nous traitons du fruit de l'arbre législatif ou de l'arbre lui‑même. Dans ce dernier cas, on ne saurait, pour les motifs exposés dans le Renvoi relatif à la délimitation de circonscriptions électorales, rejeter l'argument selon lequel le privilège revendiqué est constitutionnel. Il s'agit de savoir si retenir l'argument fondé sur la Charte reviendrait à supprimer ou à retirer un pouvoir constitutionnel. Dans l'affirmative, la Charte ne s'applique pas.

En comparant deux arrêts, savoir le Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), précité, et le Renvoi relatif à la délimitation de circonscriptions électorales, on se rend compte de la distinction qui existe entre l'utilisation de la Charte comme moyen de supprimer une autre disposition constitutionnelle et l'utilisation de la Charte pour assurer que l'application d'une disposition constitutionnelle est conforme à celle‑ci.

Dans le Renvoi sur l'éducation, notre Cour a conclu que la Charte ne pouvait être utilisée pour abroger une loi, malgré l'allégation qu'elle était discriminatoire, concernant le financement des écoles catholiques parce que ce serait empiéter sur un pouvoir constitutionnel. La question était de savoir si le plan du gouvernement de l'Ontario d'octroyer des fonds aux écoles catholiques séparées contrevenait à la Charte. On a conclu que l'art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 conférait à la province la compétence pour légiférer d'une manière sélective et en opérant des distinctions dans le domaine de l'éducation, peu importe que le résultat puisse être considéré comme discriminatoire. Souscrivant à la conclusion des juges formant la majorité que la Charte ne saurait être appliquée de façon à abroger les droits ou privilèges garantis par la Constitution ou à y déroger, le juge Estey formule clairement le point pertinent (aux pp. 1206 et 1207):

Le rôle de la Charte n'est pas conçu dans notre philosophie du droit comme opérant automatiquement l'abrogation de dispositions de la Constitution du Canada, laquelle inclut tous les documents énumérés à l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Une action fondée sur la Loi constitutionnelle de 1867 est bien entendu assujettie au contrôle de la Charte. C'est là une chose fort différente que de dire qu'une compétence législative expresse, existant avant avril 1982, a été entièrement supprimée par la simple arrivée de la Charte. C'est une chose de contrôler et, lorsque cela s'impose, de restreindre l'exercice d'un pouvoir de légiférer; c'en est une tout autre que de dire qu'une compétence législative entière a été supprimée de la Constitution par l'introduction de ce pouvoir judiciaire de contrôle. Le pouvoir de créer un réseau d'écoles séparées catholiques ou de l'agrandir, qu'on trouve au par. 93(3), prévoit expressément que la province peut légiférer relativement à un système scolaire reposant sur la religion financé à même le trésor public. Certes, on a voulu que la Charte limite l'exercice des compétences législatives conférées par la Loi constitutionnelle de 1867, lorsqu'il est porté atteinte aux droits y énoncés des individus composant la société; mais elle ne saurait être interprétée comme rendant ipso facto inconstitutionnelles les distinctions expressément autorisées par la Loi constitutionnelle de 1867.

En d'autres termes, le pouvoir constitutionnel de la province de fournir un réseau d'écoles séparées lui donnait le droit constitutionnel d'établir des distinctions entre les groupes. Lui refuser ce pouvoir pour le motif qu'il porte atteinte à la Charte reviendrait à diminuer ou à abroger le pouvoir même que la Constitution a accordé à la province, ce que ne saurait faire la Charte.

On peut comparer cela avec ce qui s'est passé dans le Renvoi relatif à la délimitation de circonscriptions électorales. Dans cette affaire, on était parti de la prémisse qu'une convention constitutionnelle autorisait les provinces à fixer les limites de leurs circonscriptions électorales. Ce pouvoir n'était pas contesté. La question en litige était de savoir si la province pouvait, conformément à ce pouvoir, adopter une loi qui violait le droit de vote garanti par l'art. 3 de la Charte. On a répondu à cette question par la négative. J'ai eu alors l'occasion d'affirmer (à la p. 179) que «[b]ien que la compétence législative des provinces de modifier leur constitution ne saurait leur être retirée sans modification constitutionnelle et qu'en ce sens, elle échappe à tout examen fondé sur la Charte, l'exercice par les provinces de leur compétence législative est assujetti à la Charte.» En d'autres termes, ce qui était contesté était non pas le pouvoir de légiférer, mais le «fruit» de ce pouvoir, une loi établissant certaines circonscriptions électorales. La loi en question était assujettie à la Charte parce que le fait de la rendre inopérante n'aurait pas pour effet d'accomplir ce que la constitution interdit, en l'occurrence retirer à la province le pouvoir même de créer ses circonscriptions électorales.

En l'espèce, ce qui est en cause est non pas le fruit de l'arbre constitutionnel (l'exercice d'un pouvoir), mais l'arbre lui‑même (l'existence du pouvoir). Le juge de première instance formule clairement la question:

[traduction] On ne demande pas [au tribunal] de décider si l'Assemblée a eu raison ou tort de refuser aux demanderesses l'accès aux tribunes de l'Assemblée aux fins de la télédiffusion des débats. On lui demande plutôt de déterminer si les demanderesses possèdent ce droit d'accès. En d'autres termes, on lui demande de déterminer si un privilège particulier existe ou non en droit.

((1990), 71 D.L.R. (4th) 23, à la p. 47.)

Il s'ensuit que le présent pourvoi est régi par le Renvoi sur l'éducation plutôt que par le Renvoi relatif à la délimitation de circonscriptions électorales. La question ne porte pas sur la façon dont le président a choisi d'exercer un pouvoir constitutionnel reconnu. En fait, on accepte que, dans le cas où un pouvoir est conféré à un organisme législatif en vertu d'un privilège inhérent, les tribunaux ne peuvent, en raison de la nature de ce privilège même, examiner la façon dont il a été exercé. Il s'agit — et en fait il peut seulement s'agir — de déterminer si l'Assemblée possède un pouvoir constitutionnel d'exclure les étrangers de ses débats. Si notre Cour devait décider que l'Assemblée ne pouvait le faire, elle se trouverait à enlever à l'Assemblée un pouvoir constitutionnel qu'elle possède. En d'autres termes, ce qui est en cause c'est l'«arbre» constitutionnel lui‑même, plutôt que son «fruit». On ne saurait donc répondre, à une revendication de privilège constitutionnel, qu'il s'agit du simple exercice d'un pouvoir constitutionnel.

Je conclus que la Charte ne s'applique pas à la conduite de l'assemblée législative puisqu'elle a agi dans les limites de ses pouvoirs constitutionnels.

Je tiens à ajouter que, depuis que j'ai écrit les présents motifs, j'ai pris connaissance des motifs du juge La Forest et je suis d'accord avec ses observations.

C. Dispositif

Je suis d'avis de répondre ainsi aux questions constitutionnelles énoncées:

1.La Charte canadienne des droits et libertés s'applique‑t‑elle aux membres de l'Assemblée législative lorsqu'ils exercent leurs privilèges de députés?

Réponse: La Charte ne s'applique pas aux membres de l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse lorsqu'ils exercent leurs privilèges inhérents, puisque les privilèges inhérents d'un organisme législatif comme l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse bénéficient d'un statut constitutionnel.

2.Si la réponse à la première question est affirmative, l'exercice d'un privilège pour refuser l'accès aux médias à la tribune du public, afin de les empêcher d'enregistrer et de retransmettre au public les débats de l'Assemblée législative au moyen de leurs caméras, contrevient‑il à l'al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés?

Réponse: Vu la réponse que j'ai donnée à la première question, il n'est pas nécessaire que je réponde à la deuxième question constitutionnelle.

3.Si la réponse à la deuxième question est affirmative, pareil refus constitue‑t‑il une limite raisonnable prescrite par une règle de droit, dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, conformément à l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

Réponse: Vu la réponse que j'ai donnée à la première question, il n'est pas nécessaire que je réponde à la troisième question constitutionnelle.

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'annuler l'ordonnance du juge de première instance, telle qu'elle a été modifiée par la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse.

//Le juge Sopinka//

Version française des motifs rendus par

Le juge Sopinka — J'ai eu l'avantage de lire les motifs rédigés par le Juge en chef et par les juges Cory et McLachlin mais, bien que je sois pour une grande part d'accord avec ce qui est dit dans chacun de ces motifs, je suis, avec regret, en désaccord avec la conclusion tirée. Le Juge en chef et le juge McLachlin concluent que la règle ou pratique contestée de l'assemblée législative n'est pas sujette à un examen fondé sur la Charte canadienne des droits et libertés, mais pour des raisons différentes. Les motifs pour lesquels chacun d'eux est en désaccord avec le fondement de l'immunité retenu par l'autre sont, à mon avis, tout aussi convaincants. En conséquence, je conclus que l'immunité n'existe pas. Je n'ai que quelques commentaires à ajouter à ce qu'ils ont dit.

Pour ce qui concerne l'application de l'art. 32, j'estime que l'expression «relevant de [la] législature» est importante. Elle a constitué un facteur important du raisonnement adopté dans l'arrêt Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, où notre Cour a décidé que les décisions du Cabinet étaient assujetties à la Charte. Voici ce que dit le juge Wilson aux pp. 463 et 464:

. . . cette réserve [«relevant du Parlement»], comme son pendant «relevant de cette législature» (la législature de chaque province) à l'al. 32(1)b), n'est qu'un renvoi au partage des compétences prévu aux art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Ils décrivent les matières à l'égard desquelles le Parlement du Canada peut légiférer ou le gouvernement du Canada peut agir en tant qu'exécutif. Comme le juge Le Dain le note, la prérogative royale est un domaine «relevant du Parlement» en ce sens que le Parlement détient la compétence pour légiférer sur des matières relevant de son domaine. Comme il n'existe aucune raison de principe de distinguer entre les décisions du cabinet prises en vertu de la loi et celles prises dans l'exercice de la prérogative royale, et comme les premières relèvent manifestement de la Charte, je conclus que c'est le cas aussi pour les dernières.

De même, les privilèges des membres de l'assemblée législative sont assujettis aux lois de la province en ce qu'ils font partie de la constitution de la province. Dans Fielding c. Thomas, [1896] A.C. 600, à la p. 610, le lord chancelier Halsbury dit ceci:

[traduction] On ne saurait sûrement pas prétendre que l'indépendance de la législature provinciale par rapport à l'ingérence venant de l'extérieur, sa protection et la protection de ses membres contre les insultes dans l'exercice de leurs fonctions ne sont pas des questions qui peuvent être considérées comme faisant partie de la constitution de la province, ou qu'une loi sur ces questions ne serait pas décrite de façon adéquate et pertinente comme faisant partie du droit constitutionnel de la province.

L'exercice de ces privilèges, par des lois ou par des règles ou pratiques de l'assemblée législative, est un domaine «relevant de cette législature» et donc assujetti à l'art. 32. Cette conclusion doit être retenue à moins que, comme le juge McLachlin le suggère dans ses motifs, les droits et privilèges fassent partie de la Constitution du Canada et, de ce fait, ne soient pas assujettis aux lois de la province. J'examine maintenant cette proposition.

Le problème que suscite l'approche adoptée par ma collègue le juge McLachlin tient à ce que, pour soustraire certains privilèges à un examen fondé sur la Charte, elle conclut d'abord qu'ils font partie de la Constitution du Canada. La raison en est qu'ils sont visés par le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867. Je trouverais curieux que les rédacteurs de la Loi constitutionnelle de 1867 aient eu l'intention de consacrer certains privilèges au moyen d'une mention générale dans le préambule mais pas la constitution dans son ensemble qui est expressément maintenue en vigueur par l'art. 88 de cette loi constitutionnelle. En conséquence, contrairement à ce que dit l'arrêt Fielding c. Thomas, on pourrait soutenir que ces privilèges ne sont pas assujettis aux lois de la province et ne pourraient être modifiés que par modification de la Constitution du Canada en vertu de l'art. 43, ou encore de l'art. 38, de la Loi constitutionnelle de 1982. À part ces privilèges, l'ensemble de la constitution de la province demeurerait assujettie aux lois de la province. Il me semble que la perspective de la perte de tout contrôle législatif sur ses droits et privilèges serait un prix bien cher à payer par l'appelant pour les soustraire à l'application de la Charte. Pour produire un tel effet, on s'attendrait à plus que la simple mention générale, dans un préambule, d'une «constitution semblable dans [le] principe». Dans l'arrêt R. c. Mercure, [1988] 1 R.C.S. 234, le juge La Forest, au nom de la majorité, a conclu que l'art. 110 de l'Acte des territoires du Nord‑Ouest, S.R.C. 1886, ch. 50 (mod. par 1891, ch. 22, art. 18), n'avait pas été enchâssé par la Loi sur la Saskatchewan, S.C. 1905, ch. 42. Il dit ceci à la p. 271:

Non seulement la législature provinciale est‑elle habilitée à légiférer relativement à la procédure devant les tribunaux aux termes du par. 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867, mais encore elle a le pouvoir en vertu de l'art. 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 de modifier la constitution de la province. Toutefois, ce n'est pas tout. Le Parlement savait très bien comment enchâsser une disposition s'il voulait le faire, c'est‑à‑dire en prescrivant expressément des droits linguistiques dans la Loi sur la Saskatchewan comme il l'a fait dans le cas de l'art. 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba. De telles dispositions, en accord avec l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, sont protégées par la Constitution et ne relèvent pas du pouvoir législatif de la province de modifier notamment sa constitution; voir l'arrêt Procureur général du Québec c. Blaikie, [[1979] 2 R.C.S. 1016], aux pp. 1023 et 1025.

Il ne faut pas oublier que le Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148, qui est invoqué à l'appui du principe qui soustrairait ces privilèges à l'application de la Charte, visait un article de la Loi constitutionnelle de 1867 qui autorisait expressément des lois incompatibles avec l'art. 15 de la Charte.

Pour ce qui est des motifs rédigés par mon collègue le juge Cory, je suis d'accord que l'al. 2b) pourrait entrer en jeu, mais j'accueillerais néanmoins le pourvoi puisqu'à mon avis, une restriction à l'al. 2b) est justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. À cet égard, la restriction apportée à l'al. 2b) doit être examinée en fonction de la situation actuelle. À la suite d'une étude spéciale faite par l'assemblée législative, l'interdiction initiale a été assouplie par l'installation d'un «compte rendu officiel électronique». À cette fin, des caméras placées sous le contrôle de l'Assemblée filment le député à qui le président donne la parole. Les médias peuvent utiliser directement ce compte rendu électronique et peuvent donc télédiffuser les débats ou les enregistrer.

Compte tenu de cette nouvelle situation, l'effet de la restriction contestée est de ne pas autoriser les représentants de la presse à utiliser des caméras portatives dans la galerie du public. Son effet sur la publication des nouvelles est d'empêcher la diffusion de la réaction des députés qui n'ont pas la parole. Il se peut que cela empêche parfois de rendre l'atmosphère de ce qui se passe et il est certain que cela peut priver aussi le public d'une source importante de divertissement.

J'accepte la proposition selon laquelle l'impossibilité de réunir l'information peut occasionner une restriction à la liberté d'expression si elle fait obstacle à la diffusion de l'information. L'intimée soutient qu'on l'empêche de choisir l'angle de la caméra et qu'elle ne peut donc pas montrer l'atmosphère de la chambre, et en particulier le comportement non‑verbal des députés. Notre Cour n'a pas décidé si la protection de l'al. 2b) s'étend non seulement à la collecte et à la diffusion de l'information mais également aux moyens par lesquels elle est réunie et diffusée. Une telle décision aura des conséquences qui débordent largement les faits de l'espèce et je préfère ne pas trancher la question dans le cadre de la présente affaire. À supposer que la restriction reprochée constitue une violation de l'al. 2b), je suis convaincu qu'elle est justifiée en vertu de l'article premier de la Charte.

On ne peut douter que l'exercice de ce privilège historique est un objectif urgent et réel. J'accepte l'argument de l'appelant selon lequel l'objectif est de maintenir l'ordre et le décorum et d'assurer le bon fonctionnement de l'assemblée législative. Je n'accepte pas l'argument de l'intimée selon lequel le but réel de la règle est de restreindre l'examen par le public. La restriction en cause a aussi un lien rationnel avec l'objectif. Il est évident que des restrictions relatives au nombre de caméras et à leur emplacement favorisent l'objectif du maintien de l'ordre et du décorum. Même si une autre méthode aurait peut‑être été également efficace, la procédure adoptée semble éminemment logique et je ne suis pas disposé à prêter des intentions à l'assemblée législative qui a étudié la question et adopté une méthode qui garantit pour l'essentiel l'accès télévisé aux débats de l'Assemblée. Si je rejette la proposition selon laquelle l'exercice de ce privilège ne relève pas du contrôle judiciaire, je ne peux pas négliger non plus le fait qu'il s'agit d'un domaine dans lequel la Cour devrait s'abstenir de dicter la méthode précise que l'Assemblée devrait adopter pour maintenir l'ordre dans son enceinte. Enfin, compte tenu de l'importance du maintien du décorum à l'assemblée législative, l'atteinte alléguée à la liberté de la presse n'est pas disproportionnée à l'objectif.

Je répondrais aux questions constitutionnelles de la façon suivante:

1. La Charte canadienne des droits et libertés s'applique‑t‑elle aux membres de l'Assemblée législative lorsqu'ils exercent leurs privilèges de députés?

Réponse: Oui.

2. Si la réponse à la première question est affirmative, l'exercice d'un privilège pour refuser l'accès aux médias à la tribune du public, afin de les empêcher d'enregistrer et de retransmettre au public les débats de l'Assemblée législative au moyen de leurs caméras, contrevient‑il à l'al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés?

3. Si la réponse à la deuxième question est affirmative, pareil refus constitue‑t‑il une limite raisonnable prescrite par une règle de droit, dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, conformément à l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

Réponse: À supposer que la réponse à la deuxième question soit affirmative, la réponse à la troisième question est affirmative.

Pour le reste, je trancherais le pourvoi de la façon proposée par le Juge en chef.

//Le juge Cory//

Version française des motifs rendus par

Le juge Cory (dissident) — J'ai lu avec intérêt les motifs du Juge en chef, mais je ne puis, en toute déférence, être d'accord avec une partie de son raisonnement et avec sa conclusion. Je vais essayer, de façon plutôt imparfaite, de résumer la partie de ses motifs avec laquelle je suis en désaccord. Le Juge en chef conclut que l'art. 32 de la Charte canadienne des droits et libertés ne saurait être considéré comme s'appliquant à l'assemblée législative. Il mentionne que l'art. 32 de la Charte fait allusion seulement à la «législature et au gouvernement» tandis que l'assemblée législative n'est ni la «législature» ni le «gouvernement». Il fait observer que, bien que l'assemblée législative soit une composante de la législature, c'est seulement en conjonction avec le lieutenant‑gouverneur qu'elle forme la législature. Il conclut ainsi que l'art. 32 ne s'applique pas à l'assemblée législative seulement. À son avis, appliquer l'art. 32 ferait de chaque exercice d'un privilège une question assujettie à un examen fondé sur la Charte. En toute déférence, je ne puis souscrire à ces conclusions.

I.L'article 32 de la Charte s'applique‑t‑il à l'Assemblée législative?

L'article 32 prévoit notamment ce qui suit:

32. (1) La présente charte s'applique:

. . .

b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.

L'appelant a invoqué l'arrêt SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, à l'appui de l'argument selon lequel la Charte ne s'applique pas à une assemblée législative, et particulièrement la déclaration qu'on trouve dans cet arrêt, selon laquelle l'adoption d'une loi est la seule façon dont une législature peut porter atteinte à un droit ou à une liberté garantis. Voici la partie pertinente de cette citation (aux pp. 598 et 599):

J'estime donc que l'art. 32 de la Charte mentionne de façon précise les acteurs auxquels s'applique la Charte. Il s'agit des branches législative, exécutive et administrative. Elle leur est applicable peu importe que leurs actes soient en cause dans des litiges publics ou privés. Il semblerait que ce n'est que dans sa législation qu'une législature peut porter atteinte à une liberté ou un droit garantis. Les actes de la branche exécutive ou administrative du gouvernement se fondent généralement sur une loi, c'est‑à‑dire sur un texte législatif. Toutefois, ces actes peuvent aussi se fonder sur la common law comme dans le cas de la prérogative. [Je souligne.]

Selon moi, l'analyse que le juge McIntyre fait de la portée du mot «législature» utilisé au par. 32(1) est peu concluante. Bien qu'il suppose que la législature ne peut porter atteinte à un droit garanti par la Charte qu'au moyen d'une loi, il n'aborde pas la question de savoir si la «législature» comprend sa composante essentielle et fondamentale, l'assemblée législative. Il n'écarte pas non plus complètement l'examen de la question de la violation de la Charte par une assemblée législative, qui pourrait découler de ses règles, règlements ou ordonnances.

Dans l'arrêt McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, le juge La Forest cite, en l'approuvant, l'énoncé du juge McIntyre. Toutefois, aux pp. 261 et 262, il souligne que la Charte est essentiellement un instrument qui sert à contrôler les pouvoirs que le gouvernement exerce sur les particuliers. Il ajoute (à la p. 262):

C'est le gouvernement qui peut adopter et appliquer des règles et qui peut porter atteinte péremptoirement à la liberté individuelle. Seul le gouvernement a besoin de se voir imposer des contraintes dans la Constitution afin de préserver les droits des particuliers. Il est vrai que les atteintes aux droits des particuliers peuvent provenir d'autres sources. Cela est particulièrement vrai dans un monde où la vie économique est largement dominée par le secteur privé dont les institutions puissantes ne sont pas directement touchées par les forces démocratiques. Mais le gouvernement peut soit les réglementer soit créer des organismes distincts afin de protéger les droits de la personne et de promouvoir la dignité humaine.

Il est indubitable que l'objet sous‑jacent du par. 32(1) est de restreindre l'application de la Charte aux acteurs publics. L'assemblée législative est une institution qui est non seulement essentielle au fonctionnement de la démocratie mais qui fait également partie intégrante d'un gouvernement démocratique. Il semblerait que c'est un acteur public. Il s'ensuit que la Charte devrait s'appliquer aux actions de l'assemblée législative.

Par exemple, douterions‑nous de l'application de la Charte si, dans l'exercice de sa compétence en matière de punition d'un outrage commis par un de ses membres, l'assemblée législative devait condamner cette personne à l'emprisonnement à vie sans que celle‑ci soit admissible à une libération conditionnelle? Il est certain qu'une telle mesure sortirait du champ d'application constitutionnel du privilège parlementaire et que les dispositions de l'art. 12 de la Charte s'appliquant aux peines cruelles et inusitées entreraient en jeu.

Il me semble que la composante essentielle de la législature est l'assemblée législative. Les Canadiens croient et espèrent grandement que c'est dans l'enceinte de l'assemblée législative que seront analysés et débattus les modalités et principes des lois à adopter. C'est là que des politiques contraires sont présentées, analysées, critiquées, défendues et améliorées. C'est là que les lois sont finalement votées et adoptées par les représentants du peuple. C'est là qu'on peut entendre et voir l'un des aspects fondamentaux d'un gouvernement démocratique en action. L'issue des débats et les votes qui s'ensuivent à l'Assemblée influeront sur la vie quotidienne de tous les résidants de la province. Pour le citoyen ordinaire et raisonnable, c'est l'assemblée législative qui constitue l'élément essentiel de la «législature» et une partie fondamentale et intégrante du «gouvernement» d'une province.

Les mots «législature» et «gouvernement» doivent être considérés comme incluant l'entité essentielle et fondamentale qui s'appelle l'assemblée législative, si notre Cour doit continuer de donner à la Charte une interprétation large et libérale. Voir Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, à la p. 155. La Charte devrait s'appliquer non seulement aux lois adoptées par l'Assemblée mais également à ses propres règles et règlements. Si on conclut qu'ils portent atteinte à la Charte, les règles et les règlements peuvent, tout comme les lois adoptées par l'Assemblée, être sauvegardés en vertu de l'article premier. Une telle procédure empêcherait que les tribunaux ne viennent entraver indûment les droits et privilèges inhérents et édictés que possède une législature et qui lui permettent de jouer efficacement son rôle.

Cette conclusion est étayée par le principe selon lequel il faut examiner la question de l'interprétation et de l'application des droits garantis par la Charte dans le contexte de chaque affaire. En l'espèce, il est question de l'accès d'une catégorie de médias aux séances publiques de l'assemblée législative. La télévision demande l'accès à ces séances afin de recueillir de l'information et de faire des reportages sur la démocratie en action. Évidemment, cet accès doit être assujetti au contrôle raisonnable de l'assemblée législative. Cela est essentiel pour empêcher la télévision de devenir trop envahissante et de nuire au bon fonctionnement de l'Assemblée. Toutefois, cet accès est non seulement approprié, mais il est essentiel. Quel meilleur moyen existe‑t‑il pour tenir les citoyens au courant des travaux de la législature qu'un média indépendant? Quelle meilleure manière y a‑t‑il pour les citoyens de la Nouvelle‑Écosse de s'assurer que leurs représentants élus s'efforcent consciencieusement d'obtenir des résultats qui sont dans le meilleur intérêt des Néo‑Écossais?

On ne peut certainement pas dire que l'accès aux séances de l'assemblée législative est interdit au public. Le compte rendu des débats est transcrit assidûment dans le hansard. En fait, il n'est pas rare que les membres de l'Assemblée envoient à leurs électeurs une copie des discours qu'ils prononcent à la législature. Quelques chanceux peuvent assister «en direct» aux débats de l'Assemblée. Cependant, en ce qui concerne la grande majorité des Canadiens, la géographie du pays rend bien presque impossible d'assister aux séances de la Chambre des communes ou de leur législature provinciale. La réalité géographique mise à part, les contraintes économiques font que tous ne peuvent pas assister aux séances peu importe jusqu'à quel point ils aimeraient être présents. Les Canadiens doivent s'en remettre aux médias pour ce qui est des informations sur les débats du Parlement et des assemblées législatives ainsi que sur le travail et les efforts de leurs représentants élus.

Pour que les Canadiens aient confiance dans les actions de leurs représentants élus, ils doivent disposer de renseignements exacts sur ce qui s'est passé dans les assemblées législatives et à la Chambre des communes. Une opinion publique éclairée constitue la condition essentielle du bon fonctionnement d'un gouvernement démocratique. Le public ne peut obtenir des informations exactes que par le truchement d'une presse responsable qui, de nos jours, doit inclure les reportages télévisés.

L'importance de la couverture des séances publiques de l'assemblée législative par toutes les catégories de médias fait en sorte qu'il devient tout de suite évident qu'il faudrait donner à la Charte une interprétation large et libérale, de sorte que l'art. 32 de la Charte devrait s'appliquer aux règles et formules de procédure de l'assemblée législative. Ensuite, il faut examiner si la loi qui édicte les privilèges de l'assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse ou ses privilèges inhérents interdisent l'application de la Charte à son fonctionnement.

II.La Constitution de la Nouvelle‑Écosse ou les privilèges inhérents de l'Assemblée législative font‑ils partie de la loi suprême du Canada de manière à rendre la Charte inapplicable?

L'appelant a prétendu que le fait d'interdire les caméras de télévision constitue l'exercice d'un privilège de l'assemblée législative qui, à ce titre, n'est pas assujetti à la Charte. On fait valoir que les privilèges de l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse font partie de la Constitution du Canada et que, de ce fait, la Charte ne s'y applique pas.

L'appelant invoque le Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148, à l'appui de la proposition selon laquelle la Charte ne saurait être appliquée de façon «à porter atteinte aux droits ou privilèges garantis par la Constitution ou en vertu de la Constitution» (p. 1196). Si les privilèges exercés par l'assemblée législative font partie de la Constitution canadienne, ils ont le même statut que la Charte et ne sont pas assujettis à celle‑ci.

J'ai maintenant pris connaissance des analyses approfondies du Juge en chef et du juge McLachlin. Je conviens avec le juge McLachlin que les législatures de notre pays possèdent les privilèges constitutionnels nécessaires à leur fonctionnement. Je m'écarte du raisonnement de mes collègues en ce que je crois que, lorsqu'ils sont appelés à juste titre à le faire, les tribunaux peuvent examiner si un exercice particulier de privilège parlementaire relève de la compétence privilégiée de la législature. Je me fonde sur l'opinion majoritaire exprimée dans le Renvoi relatif à la délimitation de circonscriptions électorales provinciales (Sask.), [1991] 2 R.C.S. 158, où le juge McLachlin statue, à la p. 179:

Bien que la compétence législative des provinces de modifier leur constitution ne saurait leur être retirée sans modification constitutionnelle et qu'en ce sens, elle échappe à tout examen fondé sur la Charte, l'exercice par les provinces de leur compétence législative est assujetti à la Charte. Comme l'a observé le juge en chef McEachern [traduction] «(s)i le fruit de l'arbre constitutionnel n'est pas conforme à la Charte (. . .) il faut alors, dans cette mesure, l'abattre»: Dixon v. B.C. (A.G.) (1986), 7 B.C.L.R. (2d) 174, à la p. 188.

Si l'on applique ce principe en l'espèce, il devient clair que l'exercice du pouvoir constitutionnel en matière de privilège n'est pas consacré dans la Constitution du Canada et que la Charte doit s'appliquer à l'exercice de ce privilège parlementaire. Le privilège de l'assemblée législative représente un exercice de compétence législative à son propre égard et à l'égard de ceux qui font partie des médias, et peut dont faire l'objet d'un examen.

Le critère d'examen en est un de nécessité. Dans Landers c. Woodworth (1878), 2 R.C.S. 158, l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse a prétendu qu'elle avait le privilège d'ordonner à l'un de ses membres de s'excuser et de l'expulser pour outrage s'il refusait de le faire. Concluant qu'elle n'avait pas ce privilège, le juge Ritchie a affirmé, aux pp. 201 et 202:

[traduction] . . . l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse n'a pas le pouvoir de punir une infraction qui ne constitue pas un obstacle immédiat au bon déroulement de ses travaux et à l'exercice légitime de ses fonctions, un tel pouvoir n'étant pas un attribut essentiel, ni fondamentalement nécessaire, à l'exercice de ses fonctions. . .

Je cherche simplement à appliquer cette norme. Je ne puis conclure qu'une interdiction absolue de caméras est [traduction] «fondamentalement nécessaire» au fonctionnement de l'Assemblée ni que la présence de caméras constituerait automatiquement un [traduction] «obstacle immédiat». Une telle règle sort du champ d'application constitutionnel du privilège parlementaire. En évaluant l'exercice du privilège par l'Assemblée contre le député, le juge en chef Richards, dans Landers, s'est demandé, à la p. 198: [traduction] «Était‑il nécessaire de le faire pour poursuivre l'examen des affaires publiques?» Si cette question se posait en l'espèce, la réponse serait non. Lorsqu'elle a interdit toutes les caméras, l'assemblée législative a outrepassé la compétence inhérente que comporte le privilège parlementaire. La Charte peut donc s'appliquer en vertu de l'art. 32.

De plus, je souscris aux conclusions du Juge en chef selon lesquelles il y a lieu de rejeter toutes les autres allégations de l'appelant selon lesquelles la Charte ne devrait pas s'appliquer à l'assemblée législative.

III.L'interdiction des caméras porte‑t‑elle atteinte à la liberté de la presse?

Il faut maintenant examiner si le refus de permettre la présence de toute caméra de télévision aux séances publiques de l'assemblée législative viole l'al. 2b) de la Charte.

L'alinéa 2b) de la Charte se lit ainsi:

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:

. . .

b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication.

À mon avis, la protection de la collecte des nouvelles ne constitue pas un traitement préférentiel d'une élite ou d'un groupe désigné formellement, les médias; elle constitue plutôt un droit accessoire essentiel à l'application utile de la Charte. Bien que le texte de l'article puisse ne pas accorder précisément de droits particuliers à un groupe défini, il inclut effectivement la liberté de la presse dans l'expression protégée. Il est évident que l'interdiction des caméras de télévision est, par définition, une restriction de la liberté de la presse. La question de savoir si une telle restriction est justifiée dépendra de l'article premier. Il est certain que, si l'Assemblée législative interdit à tous les médias l'accès aux débats publics ou exclut une catégorie de médias (la télévision) des débats publics, il y a violation du droit à la liberté d'expression garanti par la Charte.

IV.La restriction est‑elle sauvegardée par l'article premier?

Notre Cour a reconnu l'importance particulière de la presse dans une société démocratique. Dans l'arrêt Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, à la p. 1336, on dit ceci:

Il est difficile d'imaginer une liberté garantie qui soit plus importante que la liberté d'expression dans une société démocratique. En effet, il ne peut y avoir de démocratie sans la liberté d'exprimer de nouvelles idées et des opinions sur le fonctionnement des institutions publiques. La notion d'expression libre et sans entraves est omniprésente dans les sociétés et les institutions vraiment démocratiques. On ne peut trop insister sur l'importance primordiale de cette notion.

La liberté d'expression est aussi importante pour celui qui s'exprime que pour celui qui l'écoute ou le regarde. Cela aussi est reconnu dans l'arrêt Edmonton Journal où on peut lire ce qui suit (aux pp. 1339 et 1340):

. . . la liberté d'expression "protège autant celui qui s'exprime que celui qui l'écoute". C'est donc dire que, comme ensemble d'auditeurs et de lecteurs, le public a le droit d'être informé de ce qui se rapporte aux institutions publiques et particulièrement aux tribunaux. La presse joue ici un rôle fondamental. Il est extrêmement difficile pour beaucoup, sinon pour la plupart, d'assister à un procès. Ni les personnes qui travaillent ni les pères ou mères qui restent à la maison avec de jeunes enfants ne trouveraient le temps d'assister à l'audience d'un tribunal. Ceux qui ne peuvent assister à un procès comptent en grande partie sur la presse pour être tenus au courant des instances judiciaires — la nature de la preuve produite, les arguments présentés et les remarques faites par le juge du procès — et ce, non seulement pour connaître les droits qu'ils peuvent avoir, mais pour savoir comment les tribunaux se prononceraient dans leur cas. C'est par l'intermédiaire de la presse seulement que la plupart des gens peuvent réellement savoir ce qui se passe devant les tribunaux. À titre d'«auditeurs» ou de lecteurs, ils ont droit à cette information. C'est comme cela seulement qu'ils peuvent évaluer l'institution. L'analyse des décisions judiciaires et la critique constructive des procédures judiciaires dépendent des informations que le public a reçues sur ce qui se passe devant les tribunaux. En termes pratiques, on ne peut obtenir cette information que par les journaux et les autres médias.

L'importance particulière du fonctionnement d'une presse libre, capable de recueillir et de transmettre de l'information au public, a également été soulignée dans l'arrêt Société Radio‑Canada c. Lessard, [1991] 3 R.C.S. 421. Le juge La Forest, souscrivant aux motifs de la majorité, écrit aux pp. 429 et 430:

. . . la liberté de diffuser des renseignements serait de peu de valeur si la liberté prévue à l'al. 2b) n'englobait pas également le droit de recueillir des nouvelles et d'autres renseignements sans l'intervention indue du gouvernement.

La nécessité de protéger la capacité des médias de recueillir et de transmettre des renseignements a été énoncée dans Société Radio‑Canada c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), [1991] 3 R.C.S. 459, à la p. 475:

Les médias ont un rôle primordial à jouer dans une société démocratique. Ce sont les médias qui, en réunissant et en diffusant les informations, permettent aux membres de notre société de se former une opinion éclairée sur les questions susceptibles d'avoir un effet important sur leur vie et leur bien‑être. L'importance particulière du travail des médias a été reconnue par notre Cour dans l'arrêt Edmonton Journal [. . .] L'importance de ce rôle et la manière dont il doit être rempli suscitent des préoccupations spéciales lorsqu'un mandat est demandé pour effectuer une perquisition dans les locaux d'un média.

La télévision fait partie intégrante de la presse. Le reportage sous toutes ses formes a évolué au cours des siècles. Les tablettes de pierre gravées ont cédé le pas aux tablettes de terre cuite portant l'écriture cunéiforme des Assyriens et aux papyrus des Égyptiens. Il n'y a pas longtemps, la plume d'oie était le seul moyen de transcrire les mots écrits. Je suis sûr qu'aujourd'hui ni la prise de notes sténographiques ni l'utilisation discrète d'appareils d'enregistrement pour assurer l'exactitude des informations ne seraient bannies de la tribune de la presse. L'utilisation discrète d'une caméra vidéo ne devrait pas l'être non plus. Celle‑ci fournit le tout dernier moyen d'enregistrer de façon exacte et complète tout ce qui se passe. Elle enregistre non seulement les paroles prononcées mais le ton de la voix, les nuances de l'emphase verbale ainsi que les gestes et les expressions du visage. Elle fournit le succédané le plus proche de la présence physique d'un observateur intéressé.

Tant que la caméra n'est pas trop envahissante ni trop indiscrète, il n'y a pas de raison valable de l'exclure. Comment peut‑on dire qu'il faut décourager une plus grande exactitude et intégralité des reportages? Il se peut que les Canadiens reçoivent leurs nouvelles par le truchement de la télévision davantage que par tout autre moyen. S'il doit exister une opinion éclairée dans la société d'aujourd'hui, elle sera éclairée en grande partie par le reportage télévisé. Nous ne devrions pas non plus sauter à la conclusion que, si ce média se voit accorder des droits plus vastes, il en abusera. À des droits accrus correspondent des responsabilités accrues. La presse a la responsabilité de rapporter de façon exacte, juste et complète ce qui concerne les questions d'intérêt public. On peut soutenir que la télévision diffusera seulement ce qui est sensationnel. On pourrait avancer le même argument en ce qui concerne toutes les formes de médias. Pourtant, personne n'envisagerait d'interdire à la presse écrite d'assister à une séance publique de l'Assemblée sous prétexte qu'elle tend au sensationnalisme. Aujourd'hui, le public est trop intelligent, trop perspicace et trop bien informé pour accepter un reportage injustement tendancieux ou sensationnel.

Manifestement, l'assemblée législative a le droit, dans des circonstances appropriées, d'expulser des visiteurs, y compris les journalistes. Par exemple, le règlement peut exiger que tous les visiteurs aient un comportement correct, raisonnablement digne et conforme au décorum, de sorte que l'assemblée législative puisse elle‑même fonctionner de manière raisonnablement efficace, digne et conforme au décorum. Quant à la présence de la télévision, on pourrait limiter le nombre de caméras et réglementer leur emplacement et leur façon de fonctionner. Ce que l'Assemblée ne peut pas faire, c'est exclure complètement la télévision, au moyen d'un règlement, sans porter atteinte à l'al. 2b) de la Charte.

V.L'approche américaine

L'appelant a invoqué l'arrêt de la Court of Appeals du Maryland Sigma Delta Chi c. Speaker, Maryland House of Delegates, 310 A.2d 156 (1973). Je ne crois pas que cet arrêt aide beaucoup à trancher le présent pourvoi. Dans cette affaire, les journalistes sollicitaient une injonction contre les règles du Sénat et de la chambre des délégués du Maryland, qui interdisent l'utilisation d'instruments d'enregistrement et d'appareils électroniques. L'injonction réclamée par les médias était justifiée par le fait que la présence de magnétophones dans les chambres favoriserait une exactitude et une vitesse accrues dans la réalisation des reportages. La Court of Appeals a, pour les fins de l'arrêt, supposé que le Premier amendement protège la collecte des nouvelles, mais elle en a rejeté la demande pour le motif que l'exactitude et la vitesse accrues dans la réalisation des reportages ne constituaient pas des questions suffisamment importantes pour mériter une protection constitutionnelle. Les motifs sont brefs. On est en droit de se demander si ces motifs peuvent tenir à la lumière de l'arrêt subséquent de la Cour suprême Richmond Newspapers, Inc. c. Virginia, 448 U.S. 555 (1980). On peut constater que les motifs portent sur une question très restreinte, c'est‑à‑dire que la commodité de la presse ne justifiait pas une protection constitutionnelle. On est loin de la position soutenue par l'intimée en l'espèce. Néanmoins, la Cour suprême des États‑Unis a reconnu que la collecte des nouvelles jouit d'une certaine protection grâce au Premier amendement. Voir Branzburg c. Hayes, 408 U.S. 665 (1972), à la p. 707. Il est toutefois indubitable que l'expression [traduction] «ou de la presse» a engendré une controverse. On s'oppose au fait de considérer la liberté de la presse comme créant un droit distinct pouvant être invoqué par un groupe social déterminé, la presse, comparativement aux citoyens ordinaires. Une telle interprétation accorderait à une institution organisée comme une puissante entreprise privée des privilèges que ne partagent pas d'autres citoyens.

Dans l'arrêt Houchins c. KQED, Inc., 438 U.S. 1 (1978), la Cour suprême a examiné une allégation selon laquelle le Premier amendement protège le droit de la presse d'entrer dans une prison de comté, de photographier les lieux et d'interviewer des détenus. Le Premier amendement prévoit que [traduction] «[l]e Congrès ne fera aucune loi [. . .] restreignant la liberté de parole ou de la presse». La Cour de district a interdit au Comté de refuser à KQED l'accès à la prison. La Court of Appeals a confirmé ce résultat, mais la Cour suprême l'a infirmé. Il n'y a pas eu de jugement majoritaire en Cour suprême. Le juge en chef Burger, auquel s'étaient joints les juges White et Rehnquist, a conclu que le Premier amendement n'accorde pas à la presse un droit constitutionnel d'accès à une prison et à ses détenus supérieur à celui dont jouit le grand public. Le juge Stewart a souscrit au résultat, mais non au raisonnement du juge en chef Burger. Bien qu'il ait convenu que le Premier amendement ne garantissait pas à la presse des droits d'accès supérieurs à ceux dont jouissent les membres du public, il appliquerait ce principe d'une façon plus souple. Au sujet des motifs du juge en chef Burger, le juge Stewart fait remarquer (aux pp. 16 et 17):

[traduction] Alors qu'il semble considérer que l'«égalité d'accès» désigne un accès qui est identique à tous les égards, je crois qu'il faut accorder à la notion d'égalité d'accès une plus grande souplesse afin de composer avec les distinctions pratiques entre la presse et le grand public.

. . .

Le fait que le Premier amendement mentionne séparément la liberté de parole et la liberté de la presse est non pas fortuit sur le plan constitutionnel, mais une reconnaissance du rôle crucial que la presse joue dans la société américaine. La Constitution exige une sensibilisation à ce rôle et aux besoins particuliers de la presse dans l'exercice efficace de ce rôle. La personne qui visite la prison Santa Rita peut constater ce qui s'y passe avec ses propres yeux et oreilles. Mais si un reporter de télévision doit transmettre ce qu'il voit et entend dans la prison à ceux qui ne peuvent pas visiter la prison en personne, il doit utiliser les caméras et le matériel sonore. Bref, les conditions d'accès raisonnablement imposées aux particuliers peuvent, si elles empêchent la réalisation efficace de reportage sans justification suffisante, être abusives si elles sont appliquées aux journalistes qui sont là pour communiquer au grand public ce que voient les visiteurs.

Le juge Stewart était donc d'accord pour infirmer l'arrêt de la Court of Appeals, mais il aurait accordé à KQED une injonction plus limitée. Le juge Stevens, à l'avis duquel ont souscrit les juges Brennan et Powell, était dissident quant au résultat. Il a conclu que le fait de refuser au public ou à la presse l'accès à la prison constituait une violation des Premier et Quatorzième amendements. Les juges dissidents auraient confirmé l'arrêt de la Court of Appeals. Bien que l'appelant ait obtenu gain de cause, la véritable position adoptée par la majorité est la position modérée proposée par le juge Stewart, qui permettrait à la presse d'avoir accès, avec les caméras de télévision et le reste du matériel de radiodiffusion, aux endroits où il existe un droit d'accès général.

John H. F. Shattuck et Fritz Byers ont soutenu, dans un article, que, dans le Premier amendement, les dispositions relatives à la liberté de parole et à la liberté de la presse constituent, en fait, des aspects distincts, mais complémentaires, de la protection constitutionnelle de la libre expression (voir «An Egalitarian Interpretation of the First Amendment» (1981), 16 Harv. C.R.‑C.L. L. Rev. 377). À leur avis, la position énoncée dans l'arrêt Houchins, précité, selon laquelle la presse ne devrait pas avoir de droits d'accès supérieurs à ceux du public, a nettement pour effet de miner les libertés garanties à tous les citoyens par le Premier amendement. D'après les auteurs, une philosophie égalitariste n'exige pas que les journalistes et tous les autres citoyens soient traités de la même manière. Les auteurs soutiennent plutôt que le Premier amendement signifie véritablement que la disposition relative à la liberté de parole protège le droit de parole et l'action politique du public tandis que la disposition relative à la liberté de la presse protège la collecte des nouvelles, mais, dans les deux cas, le comportement adopté se trouve [traduction] «au c{oe}ur» du droit en cause (voir p. 398). Les auteurs allèguent que les tribunaux des États‑Unis devraient reconnaître le rôle unique et important de la presse en tant qu'agent nécessaire à la collecte et à la diffusion de l'information destinée aux Américains.

Dans l'arrêt Richmond Newspapers, précité, la Cour suprême des États‑Unis a statué que le public et la presse jouissent tous deux d'un droit d'accès aux tribunaux. Dans cet arrêt, les juges ont reconnu, à la majorité et dans des opinions concordantes, que la protection de la liberté de parole et de la liberté de la presse prévue par le Premier amendement exigeait des garanties d'accès à l'information pour avoir un sens. Ces garanties varient selon les informations recherchées et l'intérêt protégé par l'interdiction de la collecte de ces informations. La Cour a conclu que l'importance que revêtent les procès criminels pour la vie publique exige que l'on protège le droit d'accès de la presse et du public aux procès criminels. Pour reprendre les termes du juge Brennan (qui a souscrit aux motifs du jugement), aux pp. 587 et 588:

[traduction] Mais le Premier amendement renferme plus qu'un engagement envers la libre expression et l'échange de communications en tant que tels; il a un rôle structurel à jouer en préservant et en favorisant notre système républicain d'autonomie gouvernementale [. . .] Font implicitement partie de ce rôle structurel non seulement «le principe selon lequel les débats sur les questions d'intérêt public doivent être libres, virils et ouverts à tous», New York Times Co. c. Sullivan, 376 U.S. 254, 270 (1964), mais également l'hypothèse précédente selon laquelle des débats publics valables — comme tout autre comportement civique — doivent être éclairés. Le modèle structurel relie le Premier amendement à ce processus de communication nécessaire à la survie d'une démocratie et entraîne donc une sollicitude à l'égard non seulement de la communication elle‑même, mais également des conditions indispensables d'une communication utile. [En italique dans l'original.]

À mon avis, l'aspect le plus important de la jurisprudence américaine est la reconnaissance, dans l'arrêt Richmond Newspapers, de l'importance de protéger l'accès à l'information afin de favoriser les débats publics libres et éclairés qui sont si essentiels au bon fonctionnement de toute forme démocratique de gouvernement. Ainsi, les décisions américaines ne peuvent être que d'une utilité limitée à l'appelant pour résoudre la présente question. La jurisprudence et la doctrine semblent plutôt appuyer la position de l'intimée.

Je répéterais qu'il faut garder un équilibre entre le fonctionnement efficace et digne de l'assemblée législative et le droit à la liberté d'expression. Il semble que le règlement qui est actuellement en vigueur avec l'accord de toutes les parties en ce qui concerne les caméras de télévision, et qui limite leur nombre et leur emplacement, est extrêmement juste et adéquat et pourrait se justifier en vertu de l'article premier de la Charte. Toutefois, le refus de toute caméra de télévision viole les dispositions de l'al. 2b) de la Charte et ne saurait se justifier en vertu de l'article premier.

VI. Dispositif

En définitive, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi accueilli, le juge Cory est dissident.

Procureurs de l'appelant: Graham D. Walker et Reinhold M. Endres, Halifax.

Procureurs de l'intimée: Boyne, Clarke, Dartmouth.

Procureurs de l'intervenant le président du Sénat: McCarthy Tétrault, Toronto.

Procureurs de l'intervenant le président de la Chambre des communes: Soloway, Wright, Ottawa.

Procureurs de l'intervenant le président de l'Assemblée législative de l'Ontario: Blake, Cassels & Graydon, Toronto.

Procureurs de l'intervenant le président de l'Assemblée nationale du Québec: Langlois, Robert, Montréal.

Procureurs des intervenants l'orateur de l'Assemblée législative du Manitoba et le président de l'Assemblée législative de la Saskatchewan: MacPherson, Leslie & Tyerman, Regina.

Procureurs de l'intervenant le président de l'Assemblée législative de la Colombie‑Britannique: Russell & DuMoulin, Vancouver.

Procureurs du président de l'Assemblée législative de l'Île‑du‑Prince‑Édouard: Roger B. Langille et Charles P. Thompson, Charlottetown.

Procureurs des intervenants le président de l'Assemblée législative de l'Alberta, le président de l'Assemblée législative des Territoires du Nord‑Ouest et le président de l'Assemblée législative du Yukon: Tarrabain & Company, Edmonton.

Procureur de l'intervenant le président de l'Assemblée législative de Terre‑Neuve: Le ministère de la Justice, St. John's.

Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario: Le ministère du Procureur général, Toronto.

Procureur de l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique: Le ministère du Procureur général, Victoria.

Procureurs de l'intervenante l'Association canadienne des journalistes: Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa.

* Le juge Stevenson n'a pas pris part au jugement.


Synthèse
Référence neutre : [1993] 1 R.C.S. 319 ?
Date de la décision : 21/01/1993
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Application de la Charte - Législatures provinciales - Privilèges parlementaires - L'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse refuse aux médias l'accès à la tribune du public pour filmer les débats avec leurs propres caméras - La Charte s'applique‑t‑elle à une assemblée législative? - L'exercice de privilèges par des membres d'une assemblée législative est‑il assujetti à un examen fondé sur la Charte? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 32(1)b).

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Liberté d'expression -- Législature provinciale refusant aux médias l'accès à la tribune du public pour filmer les débats avec leurs propres caméras -- Ce refus porte-t-il atteinte à la garantie de liberté d'expression? -- Charte canadienne des droits et libertés, art. 2b).

Droit constitutionnel - Privilèges parlementaires - Législatures provinciales - Les privilèges d'une législature provinciale font‑ils partie de la Constitution du Canada? - Loi constitutionnelle de 1867, préambule.

L'intimée a demandé, par requête à la Section de première instance de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, une ordonnance l'autorisant «à filmer les débats de l'assemblée législative avec ses propres caméras». La requête était fondée sur l'al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit la liberté d'expression, y compris la liberté de la presse. Les médias ont régulièrement accès à la tribune de la presse de l'Assemblée, d'où ils peuvent assister aux débats, et ils ont également accès au compte rendu officiel des débats mais, dans l'exercice de ses privilèges parlementaires, l'assemblée législative a interdit l'utilisation de caméras de télévision, sauf dans des occasions spéciales. L'intimée a prétendu qu'il était possible de filmer les débats à partir de la tribune du public au moyen de caméras portatives modernes qui sont silencieuses et n'exigent aucun éclairage ou équipement électrique spécial. Dans son témoignage, le président a indiqué que l'utilisation de caméras proposée par l'intimée nuirait au décorum et au bon déroulement des débats de l'Assemblée. En plus de la question du décorum, l'Assemblée n'exercerait aucun contrôle sur la production et l'utilisation du film. Le juge de première instance a accueilli la demande de l'intimée et la Section d'appel a confirmé son droit d'accès, conformément à l'al. 2b) de la Charte, afin de téléviser les débats de l'Assemblée à partir des tribunes en utilisant de façon discrète ses propres caméras. Il n'a pas été répondu à la question de savoir si ce droit d'accès peut être assujetti à certaines limites.

Depuis l'arrêt rendu par la Section d'appel, les débats de l'assemblée législative sont télévisés au moyen d'un système approuvé et contrôlé par l'Assemblée. Les caméras du «compte rendu officiel électronique» filment seulement le député à qui le président donne la parole. Les médias peuvent utiliser directement ce «compte rendu électronique» et peuvent donc télédiffuser les débats ou les enregistrer.

Les questions constitutionnelles en l'espèce demandent (1) si la Charte s'applique aux membres de l'assemblée législative lorsqu'ils exercent leurs privilèges de députés; (2) dans l'affirmative, si l'exercice d'un privilège pour refuser l'accès aux médias à la tribune du public, afin de les empêcher d'enregistrer et de retransmettre au public les débats de l'assemblée législative au moyen de leurs caméras, contrevient à l'al. 2b) de la Charte; et (3) dans l'affirmative, si pareil refus peut se justifier en vertu de l'article premier de la Charte.

Arrêt (le juge Cory est dissident): Le pourvoi est accueilli.

Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, McLachlin et Iacobucci: La Charte ne s'applique pas aux membres de l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse lorsqu'ils exercent leurs privilèges inhérents, puisque les privilèges inhérents d'un organisme législatif comme l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse bénéficient d'un statut constitutionnel.

—‑-‑-------

Les juges L'Heureux‑Dubé, Gonthier, McLachlin et Iacobucci: Une interprétation du par. 32(1) de la Charte, fondée sur le texte et sur l'objet visé, n'appuie pas la conclusion qu'une assemblée législative ne peut jamais être assujettie à la Charte. Aux termes de la Charte elle‑même, le terme «législature» utilisé au par. 32(1) ne saurait définitivement être interprété de façon restrictive de manière à viser seulement les actes dont l'organisme législatif et le représentant de la Reine sont conjointement responsables. En outre, la tradition de retenue judiciaire ne s'applique pas à tous les actes susceptibles d'être accomplis par une assemblée législative, mais se rattache fermement à certaines de ses activités spécifiques, c'est‑à‑dire les privilèges. Sans décider que l'assemblée législative est un acteur gouvernemental à quelque fin que ce soit, elle est susceptible, en tant qu'organisme public, de porter atteinte aux libertés individuelles dans des domaines non protégés par un privilège. En conséquence, l'assemblée législative pourrait être visée par le raisonnement justifiant de considérer de tels organismes comme des acteurs gouvernementaux assujettis à la Charte. En l'absence de termes spécifiques contraires dans la Charte, cependant, on ne saurait écarter à la légère la longue tradition de retenue judiciaire à l'égard de l'indépendance du corps législatif et des droits nécessaires à son fonctionnement, même en admettant que nos notions de ce que peuvent faire les acteurs gouvernementaux ont beaucoup changé depuis l'adoption et l'enchâssement de la Charte.

La Charte ne s'applique pas aux actes de l'assemblée législative en cause dans le présent pourvoi. Le privilège de l'assemblée législative d'exclure des étrangers bénéficie d'un statut constitutionnel en ce qu'il fait partie de la Constitution du Canada et ne peut donc être abrogé par une autre partie de la Constitution. L'assemblée législative a le pouvoir constitutionnel d'exclure des étrangers de son enceinte en vertu du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 qui exprime l'intention de mettre en place «une constitution semblable dans son principe à celle du Royaume‑Uni». Ce préambule garantit constitutionnellement le maintien du gouvernement parlementaire; compte tenu du fédéralisme canadien, cette garantie s'étend aux législatures provinciales de la même manière qu'au Parlement fédéral. La Constitution du Royaume‑Uni reconnaissait certains privilèges au Parlement britannique. Comme les corps législatifs canadiens se sont inspirés du système parlementaire du Royaume‑Uni, ils possèdent des pouvoirs similaires quoique non nécessairement identiques. Puisque les fondateurs de notre pays avaient l'intention claire et nette que le Canada conserve les préceptes constitutionnels fondamentaux qui sous‑tendaient la démocratie parlementaire britannique, il semble incontestable que les privilèges inhérents des organismes législatifs du Canada, qui ont traditionnellement été jugés nécessaires à leur bon fonctionnement, font partie du groupe de principes constitutionnalisés en vertu de ce préambule. Il s'agit non pas de transposer dans notre régime constitutionnel un concept inexprimé, mais plutôt de reconnaître un pouvoir juridique fondamental au régime constitutionnel que le Canada a adopté. La définition de l'expression «Constitution du Canada» au par. 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 ne se veut pas clairement exhaustif et il ne faudrait pas limiter l'interprétation de cette disposition de façon à écarter l'intention qui sous‑tend le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, et à refuser ainsi de reconnaître les privilèges inhérents minimes, mais reconnus depuis longtemps et essentiels, des organismes législatifs canadiens.

Du point de vue historique, les corps législatifs canadiens bénéficiaient, dès leur création, des privilèges nécessaires au maintien de l'ordre et de la discipline dans l'exercice de leurs fonctions. Ces privilèges font partie de notre droit fondamental et sont donc constitutionnels. Bien que les tribunaux puissent déterminer si le privilège revendiqué est nécessaire pour que la législature soit capable de fonctionner, ils ne sont pas habilités à examiner si une décision particulière prise conformément au privilège est bonne ou mauvaise.

Enfin, d'un point de vue pratique, un organisme législatif doit posséder les pouvoirs constitutionnels nécessaires à son bon fonctionnement. Le droit absolu d'exclure des étrangers de son enceinte, lorsqu'il estime que leur présence l'empêche de fonctionner efficacement, constitue une catégorie valide de privilège fondée sur la nécessité. Ce privilège est tout autant nécessaire pour la démocratie canadienne qu'il l'a été pour les démocraties d'ici et d'ailleurs au cours des siècles passés.

Le président de l'assemblée législative s'est opposé aux demandes des médias parce qu'il était d'avis qu'elles nuiraient au décorum et au déroulement efficace des débats de l'Assemblée. Ce faisant, il a agi dans les limites de son pouvoir constitutionnel de contrôler l'assistance aux travaux de l'Assemblée. Il s'ensuit que la Charte ne peut supprimer ce droit constitutionnel. C'est un pouvoir constitutionnel valide qui est contesté. Assujettir ce pouvoir à un examen de la Charte équivaudrait à le nier. S'il s'agissait en l'espèce d'une action fondée sur un pouvoir valide, cette action pourrait être assujettie à un examen fondé sur la Charte.

Les motifs rédigés par le juge La Forest sont acceptés.

Le juge La Forest: Les motifs du juge McLachlin sont acceptés dans leur ensemble, sous réserve des commentaires qui suivent. Lorsque le gouvernement anglais octroyait une assemblée législative à une colonie, il octroyait accessoirement au corps législatif les pouvoirs (ou privilèges parlementaires) nécessaires pour exercer ses fonctions, dont en particulier le pouvoir de réglementer ses procédures internes, mais pas les privilèges plus étendus du Parlement britannique. L'assemblée législative, et les privilèges concomitants, faisait partie de la constitution de la colonie et, dans le cas des provinces préexistantes comme la Nouvelle‑Écosse, a été maintenue dans la Loi constitutionnelle de 1867. Par conséquent, les privilèges de la législature en Nouvelle‑Écosse sont ancrés dans l'octroi d'une assemblée législative et incorporés dans la Loi constitutionnelle de 1867. Les nouveaux corps législatifs créés par cette loi et les textes constitutionnels qui ont suivi depuis sont régis par le même principe. La déclaration du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 exprimant le désir d'une "constitution semblable dans son principe à celle du Royaume‑Uni", exprime entre autres la nature des corps législatifs qu'elle a établis ou maintenus. Les privilèges de ces corps législatifs sont semblables dans leur principe, sans être identiques, aux privilèges du Parlement du Royaume‑Uni.

Le juge en chef Lamer: Les chambres du Parlement et les assemblées législatives des provinces, ainsi que leurs membres, détiennent et exercent des privilèges parlementaires qui sont nécessaires à l'exercice de leur fonction législative. Ils détiennent des privilèges vis-à-vis de la Couronne et de la magistrature. Les tribunaux peuvent vérifier l'existence et la portée du privilège, mais non son exercice. Comme des catégories générales de privilèges sont réputées nécessaires à l'exercice de la fonction de l'Assemblée, il n'y a pas lieu de démontrer que chaque cas précis d'exercice d'un privilège est nécessaire. Au Royaume‑Uni, le privilège a évolué à partir d'un conflit entre les chambres du Parlement, la Couronne et les tribunaux. Vu son évolution historique, il est d'origine constitutionnelle au sens le plus fondamental du fait qu'il a tout à voir avec les rapports entre les différentes branches du gouvernement. Au Canada, toutefois, on considérait que les assemblées législatives coloniales avaient certains pouvoirs inhérents du seul fait de leur création. Les pouvoirs inhérents des assemblées canadiennes n'étaient pas aussi étendus que ceux des chambres du Parlement du Royaume‑Uni. Une loi peut conférer aux législatures canadiennes des pouvoirs excédant leurs privilèges inhérents.

Bien que la Constitution du Canada repose sans aucun doute, dans une large mesure, sur les mêmes grands principes que la Constitution du Royaume‑Uni, les mots du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 — «une constitution semblable dans son principe à celle du Royaume‑Uni» — ne peuvent pas, sans mention précise, être considérés comme transplantant directement l'art. 9 du Bill of Rights anglais de 1689 dans notre Constitution et incorporant, de ce fait, les privilèges des corps législatifs. L'histoire vient préciser que les différentes voies de l'évolution du gouvernement des deux pays ont, dès le début, entraîné des différences importantes dans les branches de gouvernement elles‑mêmes. Au cours des dernières années, le Canada a divergé encore plus en raison du rapatriement de sa Constitution en 1982. Être semblable en principe ne signifie pas être identique quant aux pouvoirs accordés.

Vu la conclusion tirée ci-après concernant l'art. 32 de la Charte, il n'est pas nécessaire de déterminer si les privilèges des assemblées législatives provinciales ont un statut constitutionnel qui les soustrairait à un examen fondé sur la Charte.

L'article 32, en ce qui concerne l'application de l'al. 2b) de la Charte, ne vise pas les membres de l'assemblée législative lorsqu'ils exercent leurs privilèges inhérents. L'assemblée législative n'est pas visée par les mots «législature» ou «gouvernement» à l'art. 32 puisque le mot «gouvernement» renvoie à la branche exécutive ou administrative du gouvernement et que le mot «législature» renvoie à l'organisme qui peut légiférer et non à ses parties composantes prises individuellement. L'assemblée législative est une composante de la législature, car c'est seulement avec le lieutenant‑gouverneur qu'elle forme la législature. La formulation, la structure et l'historique du texte constitutionnel étayent cette conclusion. L'article 32 mentionne précisément «tous les domaines relevant de cette législature». Cette phrase, tirée du texte législatif, renvoie clairement à la compétence législative. L'article 33 de la Charte renforce cette interprétation. En outre, la Loi constitutionnelle de 1867 établit avec une uniformité raisonnable une distinction entre les législatures fédéral ou provinciales et leurs parties composantes, et il en est de même du texte des dispositions en matière de modification énoncées à la partie V de l'annexe B de la Loi constitutionnelle de 1982. Le contexte particulier de certaines dispositions de la Charte, notamment les art. 5, 17 et 18, commande un sens différent. Si ces articles montrent que l'emploi n'est pas tout à fait uniforme, ils ne dérogent en rien à la règle générale selon laquelle le terme «législature», à l'art. 32, désigne l'organisme qui légifère. La place et l'importance des privilèges législatifs dans notre vie politique et la longue pratique de non‑ingérence des tribunaux dissipent toute ambiguïté résiduelle relative à l'interprétation de l'art. 32 en ce qui concerne l'application à l'Assemblée des droits garantis à l'art. 2b) de la Charte.

Les privilèges sont clairement des «domaines relevant de [la] législature [de chaque province]» en ce sens que les législatures provinciales ont le pouvoir de légiférer en matière de privilèges. Les lois que les provinces ont adoptées en ce qui concerne les privilèges pourront faire l'objet d'un examen fondé sur la Charte comme toute autre loi. Toutefois, il ne s'ensuit pas que l'exercice par les membres de l'Assemblée de leurs privilèges inhérents (dont l'existence ne dépend pas d'une loi) peut faire l'objet d'un examen fondé sur la Charte. En l'espèce, étant donné que l'on reconnaît depuis longtemps que les pouvoirs d'exclure les étrangers et de contrôler les débats internes de l'Assemblée constituent des catégories valides de privilèges fondés sur la nécessité, dans notre pays et au Royaume‑Uni, l'interdiction faite par les membres de l'assemblée législative d'utiliser des caméras vidéo indépendantes dans l'Assemblée relevait de leurs privilèges inhérents.

Le juge Sopinka: La règle ou pratique contestée de l'assemblée législative est sujette à un examen fondé sur la Charte. Les privilèges des membres de l'assemblée législative sont assujettis aux lois de la province en ce qu'ils font partie de la constitution de la province. L'exercice de ces privilèges, par des lois ou par des règles ou pratiques de l'assemblée législative, est un domaine «relevant de cette législature» et donc assujetti à l'art. 32 de la Charte. Traiter ces privilèges comme s'ils faisaient partie de la Constitution du Canada aurait notamment pour effet qu'on pourrait soutenir qu'ils ne sont pas assujettis aux lois de la province et ne pourraient être modifiés que par modification constitutionnelle en vertu des art. 43 ou 38 de la Loi constitutionnelle de 1982. Pour produire un tel effet, on s'attendrait à plus que la simple mention générale, dans un préambule, d'une "constitution semblable dans [le] principe".

En raison du système utilisé actuellement pour télédiffuser les débats de l'assemblée législative, les médias ne sont pas autorisés à utiliser des caméras portatives dans la galerie du public. Son effet sur la publication des nouvelles est d'empêcher la diffusion de la réaction des députés qui n'ont pas la parole. L'impossibilité de réunir l'information peut occasionner une restriction à la liberté de la presse si elle fait obstacle à la diffusion de l'information, mais notre Cour n'a pas décidé si la protection de l'al. 2b) de la Charte s'étend aux moyens par lesquels l'information est réunie et diffusée. De toute façon, à supposer que la restriction contestée soit une violation de l'al. 2b), elle est justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. L'exercice du privilège historique en cause dans le présent pourvoi est un objectif urgent et réel. Cet objectif est de maintenir l'ordre et le décorum et d'assurer le bon fonctionnement de l'assemblée législative. La présente restriction relative au nombre de caméras et à leur emplacement favorise l'objectif. Même si une autre méthode aurait peut‑être été également efficace, la procédure adoptée semble éminemment logique et la Cour ne devrait pas prêter des intentions à l'assemblée législative qui a étudié la question et adopté une méthode qui garantit pour l'essentiel l'accès télévisé aux débats de l'Assemblée. Enfin, compte tenu de l'importance du maintien du décorum à l'assemblée législative, l'atteinte alléguée à la liberté de la presse n'est pas disproportionnée à l'objectif.

Le juge Cory (dissident): Selon une interprétation large et libérale, les mots «législature» et «gouvernement» au par. 32(1) de la Charte incluent l'assemblée législative. L'objet sous‑jacent du par. 32(1) est de restreindre l'application de la Charte aux acteurs publics. L'assemblée législative est une institution qui est non seulement essentielle au fonctionnement de la démocratie mais qui fait également partie intégrante d'un gouvernement démocratique. C'est un acteur public. Il s'ensuit que la Charte devrait s'appliquer aux actions de l'assemblée législative, qui comprennent non seulement les lois adoptées par l'Assemblée mais également ses propres règles et règlements. Si on conclut qu'ils portent atteinte à la Charte, les règles et les règlements, tout comme les lois adoptées par l'Assemblée, peuvent être sauvegardés en vertu de l'article premier. Une telle procédure empêcherait que les tribunaux ne viennent entraver indûment les droits et privilèges inhérents et édictés que possède une législature et qui lui permettent de jouer efficacement son rôle.

Le fait d'interdire les caméras de télévision constitue l'exercice d'un privilège de l'assemblée législative qui est assujetti à la Charte. Bien que les législatures de notre pays possèdent les privilèges constitutionnels nécessaires à leur fonctionnement, les tribunaux peuvent, lorsqu'ils sont appelés à juste titre à le faire, examiner si un exercice particulier de privilège parlementaire relève de la compétence privilégiée de la législature. L'exercice du pouvoir constitutionnel en matière de privilège n'est pas consacré dans la Constitution du Canada et la Charte doit s'appliquer à l'exercice de ce privilège parlementaire. En l'espèce, le privilège de l'assemblée législative représente un exercice de compétence législative à son propre égard et à l'égard de ceux qui font partie des médias, et peut donc faire l'objet d'un examen. Le critère d'examen en est un de nécessité. Une interdiction absolue de caméras n'est pas fondamentalement nécessaire au bon fonctionnement de l'Assemblée et la présence de caméras ne constituerait pas non plus automatiquement un obstacle immédiat. Une telle règle sort du champ d'application constitutionnel du privilège parlementaire. Lorsqu'elle a interdit toutes les caméras, l'assemblée législative a outrepassé la compétence inhérente que comporte le privilège parlementaire.

Il y a violation de l'al. 2b) de la Charte lorsqu'une assemblée législative interdit à tous les médias, ou à une forme de média, l'accès à ses débats publics. La protection de la collecte des nouvelles ne constitue pas un traitement préférentiel d'une élite ou d'un groupe désigné formellement -- les médias; elle constitue plutôt un droit accessoire essentiel à l'application utile de la Charte. Comme la télévision fait partie intégrante de la presse, l'interdiction des caméras de télévision est, par définition, une restriction de la liberté de la presse. Tant que la caméra n'est pas trop envahissante ni trop indiscrète, il n'y a pas de raison valable de l'exclure. L'assemblée législative a effectivement le droit, dans des circonstances appropriées, d'expulser des visiteurs, y compris les journalistes. Quant à la présence de la télévision, elle peut également limiter le nombre de caméras et réglementer leur emplacement et leur façon de fonctionner. Ce que l'Assemblée ne peut pas faire, c'est exclure complètement la télévision, au moyen d'un règlement, sans porter atteinte à l'al. 2b). Il faut garder un équilibre entre le fonctionnement efficace et digne de l'assemblée législative et le droit à la liberté d'expression. Le système utilisé actuellement à l'assemblée législative est extrêmement juste et adéquat et pourrait se justifier en vertu de l'article premier de la Charte. Toutefois, le refus de toute caméra de télévision viole les dispositions de l'al. 2b) de la Charte et ne saurait se justifier en vertu de l'article premier.


Parties
Demandeurs : New Brunswick Broadcasting Co.
Défendeurs : Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative)

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge McLachlin
Arrêt appliqué: Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148
distinction d'avec l'arrêt: Renvoi relatif à la délimitation de circonscriptions électorales provinciales (Sask.), [1991] 2 R.C.S. 158
arrêts mentionnés: McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229
SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573
Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441
Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211
Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753
Kielley c. Carson (1842), 4 Moore 63, 13 E.R. 225
Fielding c. Thomas, [1896] A.C. 600
Landers c. Woodworth (1878), 2 R.C.S. 158
Stockdale c. Hansard (1839), 9 Ad. & E. 1, 112 E.R. 1112
Payson c. Hubert (1904), 34 R.C.S. 400.
Citée par le juge en chef Lamer
Arrêts mentionnés: Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712
Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326
Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148
Bradlaugh c. Gossett (1884), 12 Q.B.D. 271
Stockdale c. Hansard (1839), 9 Ad. & E. 1, 112 E.R. 1112
Kielley c. Carson (1842), 4 Moore 63, 13 E.R. 225
Landers c. Woodworth (1878), 2 R.C.S. 158
Fielding c. Thomas, [1896] A.C. 600
Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56
Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313
SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573
McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229
Stoffman c. Vancouver General Hospital, [1990] 3 R.C.S. 483
Payson c. Hubert (1904), 34 R.C.S. 400
Dixon c. British Columbia (Attorney General) (1986), 7 B.C.L.R. (2d) 174
Jay c. Topham (1689), 14 East. 102 (note (a)), 104 E.R. 540
MacLean c. Attorney‑General of Nova Scotia (1987), 35 D.L.R. (4th) 306
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295
Southam Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 3 C.F. 465.
Citée par le juge Sopinka
Arrêts mentionnés: Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441
Fielding c. Thomas, [1896] A.C. 600
R. c. Mercure, [1988] 1 R.C.S. 234
Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148.
Citée par le juge Cory (dissident)
SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573
McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229
Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145
Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148
Renvoi relatif à la délimitation de circonscriptions électorales provinciales (Sask.), [1991] 2 R.C.S. 158
Landers c. Woodworth (1878), 2 R.C.S. 158
Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326
Société Radio‑Canada c. Lessard, [1991] 3 R.C.S. 421
Société Radio‑Canada c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), [1991] 3 R.C.S. 459
Sigma Delta Chi c. Speaker, Maryland House of Delegates, 310 A.2d 156 (1973)
Branzburg c. Hayes, 408 U.S. 665 (1972)
Houchins c. KQED, Inc., 438 U.S. 1 (1978)
Richmond Newspapers, Inc. c. Virginia, 448 U.S. 555 (1980).
Lois et règlements cités
Bills of Rights de 1689 (Angl.), 1 Will. & Mar. 2e sess., ch. 2, art. 9.
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2b), 5, 12, 17, 18, 24(1), 32(1), 33.
House of Assembly Act, R.S.N.S. 1989, ch. 10, art. 6.
Loi constitutionnelle de 1867, préambule, art. 17, 18, 20 [abrogé], 21 à 36, 37 à 52, 69, 71, 88, 92, 133.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 38, 43, 45, 52.
Doctrine citée
Dawson, R. MacGregor. The Government of Canada, 5th ed. Revised by Norman Ward. Toronto: University of Toronto Press, 1970.
Gibson, Dale. "Distinguishing the Governors from the Governed: The Meaning of "Government" under Section 32(1) of the Charter" (1983), 13 Man. L.J. 505.
Hatsell, John. Precedents of Proceedings in the House of Commons, vol. 1, 3rd ed. London: T. Payne, 1796.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, vol. 1, 3rd ed. (Supplemented). Scarborough, Ont.: Carswell, 1992 (loose-leaf).
Maingot, Joseph. Le privilège parlementaire au Canada. Cowansville: Yvon Blais, 1987.
May, Erskine. Treatise on The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 21st ed. By C. J. Boulton. London: Butterworths, 1989.
McLelland, A. Anne, and Bruce P. Elman. "To Whom Does the Charter Apply? Some Recent Cases on Section 32" (1986), 24 Alta. L. Rev. 361.
Redlich, Josef. The Procedure of the House of Commons, vol. I. Translated from the German by A. Ernest Steinthal. London: Archibald Constable & Co., 1908.
Shattuck, John H. F., and Fritz Byers. "An Egalitarian Interpretation of the First Amendment" (1981), 16 Harv. C.R.‑C.L. L. Rev. 377.
Swinton, Katherine. "Application de la Charte canadienne des droits et libertés". Dans Gérald‑A. Beaudoin et Walter S. Tarnopolsky, dir., Charte canadienne des droits et libertés. Montréal: Wilson & Lafleur/SOREJ, 1982, 49.
Tassé, Roger. "À qui incombe l'obligation de respecter les droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés?". Dans Gérald‑A. Beaudoin, dir., Vos clients et la Charte — Liberté et égalité. Actes de la Conférence de l'Association du Barreau canadien tenue à Montréal en octobre 1987. Cowansville: Yvon Blais, 1987, 35.

Proposition de citation de la décision: New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319 (21 janvier 1993)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1993-01-21;.1993..1.r.c.s..319 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award