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16/04/1992 | CANADA | N°[1992]_1_R.C.S._901

Canada | United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901 (16 avril 1992)


United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901

United Nurses of Alberta Appelant

c.

Le procureur général de l'Alberta Intimé

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général du Québec et

le procureur général de la Colombie‑Britannique Intervenants

Répertorié: United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général)

No du greffe: 21870.

1991: 3 décembre; 1992: 16 avril.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et I

acobucci.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1990), 73 Alta. L.R. (2...

United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901

United Nurses of Alberta Appelant

c.

Le procureur général de l'Alberta Intimé

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général du Québec et

le procureur général de la Colombie‑Britannique Intervenants

Répertorié: United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général)

No du greffe: 21870.

1991: 3 décembre; 1992: 16 avril.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1990), 73 Alta. L.R. (2d) 152, 66 D.L.R. (4th) 385, 54 C.C.C. (3d) 1, 90 CLLC 14,022, qui a rejeté un appel contre des déclarations de culpabilité d'outrage criminel rendues par le juge O'Byrne et par le juge Sinclair. Pourvoi rejeté, le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et Cory sont dissidents.

Alexander D. Pringle et Sheila J. Greckol, pour l'appelant.

Paul C. Bourque et Robert C. Maybank, pour l'intimé.

I. G. Whitehall, c.r., et L. M. Huculak, pour l'intervenant le procureur général du Canada.

Jean‑François Jobin, pour l'intervenant le procureur général du Québec.

Deborah K. Lovett, pour l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

//Le juge Cory//

Version française des motifs du juge en chef Lamer et du juge Cory rendus par

Le juge Cory (dissident) — United Nurses of Alberta, un syndicat, a été déclaré coupable d'outrage criminel à deux reprises pour avoir violé des ordonnances de la Labour Relations Board de l'Alberta (la Commission). On a imposé au syndicat une amende totale de 400 000 $. Le présent pourvoi soulève des questions sur la délimitation de l'outrage criminel et sur sa relation avec l'outrage civil.

J'ai lu les motifs de mes collègues les juges McLachlin et Sopinka. Avec égards, je ne peux être d'accord avec les motifs du juge McLachlin. En grande partie d'accord avec ceux du juge Sopinka, je dois cependant émettre des réserves lorsqu'il conclut que si la violation d'ordonnances rendues en vertu de la Labour Relations Act, R.S.A. 1980, ch. L‑1.1, de l'Alberta pouvait entraîner des procédures en matière d'outrage criminel, on empiéterait sur la compétence fédérale en matière de droit criminel. Néanmoins, je suis moi aussi d'avis d'accueillir le pourvoi, mais pour des motifs un peu plus généraux.

Le droit en matière d'outrage criminel

a) Les syndicats sont‑ils exposés à l'outrage criminel?

Il n'y a pas de doute que les syndicats ont la capacité juridique d'ester en matière civile. Ils exercent leur pouvoir de soutenir et de défendre des causes devant les tribunaux qu'ils utilisent abondamment pour les réparations qu'ils offrent. Si les syndicats se prévalent des tribunaux, ils doivent être soumis à leurs règles et aux contraintes imposées au comportement de tous les plaideurs. Ils sont donc susceptibles d'être poursuivis pour l'infraction de common law d'outrage criminel. Comme les syndicats sont, de toute évidence, inclus dans le terme "sociétés" de la définition de personne du Code criminel, ils doivent également être exposés à une poursuite pour un crime reconnu en common law.

b) Définition de l'outrage criminel

Qu'est‑ce que l'outrage criminel? La common law reconnaît deux catégories distinctes d'outrage. L'un est civil, l'autre est criminel. L'outrage au tribunal peut se produire de maintes façons et se présenter sous différentes formes. En l'espèce, il s'agit évidemment d'une désobéissance à une ordonnance judiciaire. United Nurses of Alberta a violé une directive d'un tribunal administratif (la Commission) qui avait été déposée à la cour. Pour les fins de l'espèce, on peut supposer que le syndicat a transgressé une ordonnance de la cour. Nul doute que, par cette transgression, la partie commet un outrage civil. Toutefois, l'outrage civil et l'outrage criminel peuvent tous les deux s'appliquer et se rattacher au même comportement. En l'espèce, il faut déterminer l'élément qui fait de l'outrage civil un outrage criminel.

L'arrêt de principe canadien sur cette question est Poje c. Attorney General for British Columbia, [1953] 1 R.C.S. 516. Dans cet arrêt, le juge Kellock a étudié la jurisprudence anglaise dans laquelle on a examiné la distinction entre les deux catégories d'outrage. À titre de jurisprudence, il a cité l'arrêt Scott c. Scott, [1913] A.C. 419 (H.L.), où l'on avance que la simple désobéissance à une ordonnance de la cour n'est pas nécessairement criminelle. Il a remarqué, à la p. 520, que [traduction] ". . . il peut en être ainsi, selon la nature et le caractère du comportement en cause". Le juge Kellock a adopté, à la p. 522, l'énoncé formulé dans le traité d'Oswald, Contempt of Court, 3e éd., à la p. 36, sur le facteur déterminant qui transforme la désobéissance à une ordonnance de la cour en un outrage criminel, particulièrement le paragraphe suivant:

[traduction] Et, de manière générale, il semble que la différence entre les outrages criminels et ceux qui ne le sont pas c'est que les outrages susceptibles d'attirer le mépris sur l'administration de la justice ou d'entraver le cours normal de la justice, sont de nature criminelle; mais que n'est pas de nature criminelle l'outrage que commet quelqu'un qui ne tient aucun compte d'une ordonnance ou d'un jugement d'une cour civile, ou s'abstient de faire une chose qu'un tribunal lui avait ordonné de faire. En d'autres mots, si un outrage comporte un préjudice ou une infraction de caractère public, il est de nature criminelle, et le recours qui convient est l'incarcération — mais si l'outrage ne comporte qu'un préjudice de caractère particulier, il n'est pas de nature criminelle.

La distinction établie par Oswald est parfaitement sensée. Le droit criminel vise à protéger la société, alors que le droit civil régularise et facilite les rapports de nature privée. L'unique raison d'être d'une catégorie distincte d'outrage criminel est de combler le besoin de décourager et de punir les comportements qui causent des préjudices graves à l'intérêt public. Lorsque le préjudice causé par la désobéissance à une ordonnance est de nature privée, le pouvoir de punir pour outrage civil est suffisant. Pour déterminer si, par leur comportement, des personnes s'exposent à l'outrage criminel, la cour doit déterminer la victime et la nature du préjudice causé par la désobéissance.

Dans l'arrêt Poje, on a eu recours à la procédure pour outrage suite au comportement des syndiqués au cours d'une grève déclenchée par International Wood Workers of America. Les grévistes tentaient d'empêcher le chargement de bois aux quais. À cette fin, ils ont formé des lignes de piquetage à l'entrée des quais pour dissuader les débardeurs de charger du bois sur un navire. On a obtenu, contre le syndicat, une injonction ex parte lui interdisant de gêner l'accès au navire. Toutefois, des hommes en grand nombre ont persisté à bloquer l'entrée des quais. Lors des auditions portant sur l'outrage, les défendeurs ont prétendu qu'ils cherchaient simplement à informer les gens et non à gêner l'accès aux quais. Le juge Kellock a rejeté cette explication plutôt incroyable. Il a dit, à la p. 526:

[traduction] Le rassemblement d'un grand nombre d'hommes au moment où les débardeurs devaient arriver n'avait pas d'autre objet ou effet que d'opposer une contrainte.

Le juge Kellock était visiblement convaincu, sur la foi des faits présentés, que les piqueteurs présentaient une menace réelle de violence. Cette menace imminente d'un acte violent de la part d'un grand nombre d'hommes ayant publiquement transgressé une ordonnance de la cour a transformé la violation de l'injonction en un outrage criminel pouvant entraîner une poursuite. Il a conclu, à la p. 527:

[traduction] Le contexte dans lequel ces incidents se sont produits, le nombre important d'hommes en cause et la nature publique de la transgression de l'ordonnance de la cour déplace le comportement en question en l'espèce du domaine de l'outrage civil, dont fait notamment partie la simple violation d'une injonction accordée à l'égard de droits privés dans un brevet ou dans une marque de commerce, pour l'inscrire dans le domaine de la déconsidération publique de l'autorité de la cour qui tend à discréditer l'administration de la justice. Il faut remarquer qu'en raison de la nuisance causée par les incidents mentionnés, les appelants se situent dans la portée de l'art. 501 du Code criminel [. . .] Toutefois, outre ces infractions, la nature du comportement a causé un préjudice public qui équivaut à un outrage criminel.

La toute première préoccupation du juge Kellock en concluant ainsi portait sur le contexte dans lequel le comportement reproché a eu lieu et sur la nature publique du préjudice. Ce sont les facteurs dont il a tenu compte pour qualifier le comportement d'outrage criminel.

L'actus reus de l'infraction d'outrage criminel implique un comportement causant un préjudice public grave. Dans un contexte de conflit de travail, ce comportement menacerait la primauté du droit. On parle notamment d'actes de violence ou de menaces de violence par un groupe imposant ou d'activités susceptibles de causer un effondrement grave de l'ordre social. La mens rea, quant à elle, implique que l'auteur de l'infraction a volontairement ou sciemment causé ce préjudice ou qu'il ne s'est pas soucié de la conséquence raisonnablement prévisible de l'acte, savoir le préjudice. Voir R. c. Kopyto (1987), 61 C.R. (3d) 209 (C.A. Ont.), à la p. 287.

c) L'effet de la publicité

Ma collège le juge McLachlin conclut qu'essentiellement, il suffit, pour transformer la transgression d'une ordonnance de la cour en un outrage criminel, que le comportement survienne en public. Avec égards, je ne puis être d'accord. Accepter comme norme la nature publique du comportement serait faire abstraction du fondement de la distinction entre l'outrage criminel et l'outrage civil. On remplacerait ainsi la distinction fonctionnelle créée par les intérêts distincts que le droit en matière d'outrage civil et d'outrage criminel est conçu pour protéger, par une distinction arbitraire fondée sur le profil public d'un conflit qui a entraîné la violation d'une ordonnance de la cour. Je conviens certes que la transgression intentionnelle d'une ordonnance de la cour au vu et au su de tous peut très bien être un facteur déterminant qui amène la cour à conclure que l'intérêt public a subi un préjudice. Toutefois, en faire le seul facteur déterminant étend la portée des pouvoirs de punir pour outrage criminel bien au‑delà des limites nécessaires pour atteindre leur fin. L'outrage criminel investit la cour d'un pouvoir énorme qui risque d'avoir des conséquences dévastatrices. Ce pouvoir devrait être exercé avec la plus grande réserve et la plus grande prudence.

La Commission de réforme du droit du Canada a étudié l'infraction d'outrage criminel dans un rapport de 1982: L'outrage au tribunal, rapport no 17. Bien qu'elle y reconnaisse le rôle important de l'outrage criminel pour soutenir l'administration de la justice, elle préconise néanmoins une utilisation très limitée. Elle a recommandé que l'exercice du pouvoir de punir pour outrage criminel se limite aux rares situations où il est essentiel de protéger notre système judiciaire. Elle a remarqué, aux pp. 3 et 4:

La sanction pénale doit être réservée aux cas très graves et n'être utilisée qu'avec modération dans le but de réaffirmer d'une façon solennelle des valeurs fondamentales. Le droit criminel doit donc fixer des seuils de tolérance. En matière d'outrage, ces seuils doivent être établis en fonction des valeurs à protéger et en tenant compte du fait que l'outrage civil est bien souvent suffisant pour réaffirmer les valeurs transgressées ou pour rétablir une situation compromise par l'acte d'un individu.

Je conviens que le pouvoir de punir pour outrage criminel devrait être exercé avec modération, avec une grande réserve et dans les seules circonstances où il est nécessaire de protéger la primauté du droit. La réponse de la cour à une partie qui transgresse son ordonnance doit être proportionnée au préjudice causé. Si la sanction est injustement sévère et excessivement plus importante que ce qui est justifié, elle contribuera alors à amoindrir plutôt qu'à accroître le respect de l'administration de la justice.

Si l'outrage civil doit devenir criminel uniquement parce qu'il s'est produit sur la place publique, il aura alors un effet très sérieux sur toutes les relations du travail. Les conflits de travail aboutissant à des grèves et à un piquetage se déroulent nécessairement au grand jour. Tant les syndicats que la direction comptent sur la publicité pour informer le public des questions en cause dans le conflit. Les deux parties rechercheront son appui. Les ordonnances de la cour en matière de conflit de travail attirent plus d'attention sur celui‑ci et, inévitablement, la transgression d'une telle ordonnance capte encore plus l'attention du public. Dans le cours normal des événements, la violation d'une ordonnance d'une commission des relations de travail en période de recrutement par un syndicat, de négociations d'une convention ou de grève peut, et doit, entraîner des conséquences pécuniaires et juridiques. En règle générale, on devrait faire appel à celles qui sont prévues par la loi sur les relations de travail applicable ou celles qui résultent de l'outrage civil. La violation ne devrait que rarement entraîner les sanctions qui découlent de l'outrage criminel.

De tout temps, des conflits acharnés entre employeurs et employés ont sapé les principes fondamentaux de la société. Manifestement, il fallait trouver des moyens pour encourager les négociations et le règlement de conflits entre les travailleurs et la direction. À l'origine des conflits de travail, les tribunaux étaient fréquemment et violemment critiqués pour le rôle qu'ils jouaient ou paraissaient jouer. On les croyait en faveur de la direction. Que cette opinion ait été totalement justifiée ou non, elle était fréquemment exprimée. On a alors connu, inévitablement, une certaine diminution de la réputation des tribunaux à titre d'arbitres impartiaux des conflits, que ceux‑ci opposent l'État et un particulier ou deux particuliers.

Aujourd'hui, le règlement des conflits de travail est régi par des codes législatifs qui ont évolué au cours du siècle et qui, au cours des quarante dernières années, ont été fréquemment améliorés. Les commissions des relations de travail constituées par cette législation visent à régler des conflits et à maintenir l'équilibre précaire qui existe entre les travailleurs et la direction. Les commissaires sont des experts dans ce domaine et sont sensibles aux problèmes qui lui sont exclusifs. C'est normalement les commissions qui trouvent les solutions aux conflits. Ce sont elles aussi qui, agissant en vertu de leur loi, sont les mieux équipées pour sanctionner la violation de leurs ordonnances. Ainsi, les différentes lois sur les relations de travail prévoient les sanctions que la Législature ou le Parlement ont jugé opportunes dans le contexte du domaine complexe des relations du travail. Ce sont là les peines que, en règle générale, les tribunaux devraient appliquer.

Le recours illimité à des procédures en outrage criminel dans un contexte de relations du travail fera encore une fois naître l'impression que les cours s'ingèrent dans le processus des négociations collectives et qu'elles interviennent au nom de la direction. Si cette impression persiste, on ne verra plus les cours comme des arbitres impartiaux, mais comme les instruments utilisés par la société pour imposer des sanctions accablantes aux syndicats et à leurs membres. Dans son jugement dissident, le juge Veit de la Cour d'appel de l'Alberta (1990), 73 Alta. L.R. (2d) 152, a perçu ce danger et elle a, à juste titre, reconnu qu'il serait [traduction] "peu convenable" pour les cours de recourir à l'outrage criminel dans ces situations.

En outre, dans leur examen de la nature de l'outrage criminel, les cours devraient tenir compte des valeurs consacrées dans la Charte canadienne des droits et libertés et, particulièrement, de la protection de la liberté d'expression. L'infraction, il est vrai, vise à combler un besoin perçu de prémunir le public contre un préjudice. Cependant, son libellé ne doit pas être général au point qu'elle menace d'autres valeurs importantes pour la société canadienne. La grève est l'arme ultime des travailleurs. Il arrive fréquemment que le salaire de ces derniers ne représente qu'une partie du conflit. Les conditions de travail ou les pensions, entre autres, peuvent en être les questions fondamentales. La grève est souvent le seul moyen dont disposent les syndiqués pour rendre public et faire valoir le bien‑fondé de leur position à l'égard des questions en litige. Il est essentiel que les travailleurs et la direction soient tous les deux en mesure de faire valoir leur position afin que le public comprenne parfaitement les questions et puisse opter pour la partie qui mérite son appui. Historiquement, à ce chapitre, la direction a eu accès beaucoup plus facilement aux médias que les syndicats. À certains moments, ceux‑ci n'avaient d'autre choix que de déclencher une grève et de faire connaître leur position au public au moyen d'un piquetage pacifique. C'est souvent le cas aujourd'hui.

Notre Cour a reconnu que la diffusion de l'information était un aspect important des grèves. Voir SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573. Dans cet arrêt, le juge McIntyre a souligné que le piquetage pacifique relève de la liberté d'expression protégée par l'al. 2b) de la Charte. Il écrit à la p. 588:

Le piquetage, je le répète, comporte toujours un élément d'expression. Le syndicat informe le grand public qu'il est impliqué dans un conflit de travail, qu'il cherche à imposer sa volonté à l'entreprise qui fait l'objet du piquetage et qu'il demande aux membres du public de l'aider en respectant la ligne de piquetage.

Rappelons‑nous que le public a le droit de connaître et de comprendre les questions en cause dans une grève. Une grève importante aura inévitablement sur le public une conséquence grave et généralement désagréable. C'est le public qui a besoin d'être informé sur les causes du conflit. Et c'est principalement avec l'aide de la couverture médiatique qu'il pourra prendre connaissance des questions et des positions adoptées de part et d'autre. L'utilisation fréquente de l'outrage criminel risque fort de rendre la tâche difficile au syndicat qui souhaite expliquer sa position aux médias. Si, en raison de la publicité, l'outrage civil devient criminel, on refusera ainsi fréquemment au public, comme "auditeur", l'accès à cette importante information.

d) Autres recours

De toute évidence, il existait d'autres moyens de faire respecter les dispositions de l'ordonnance de la Commission. En premier lieu, la transgression d'une ordonnance de la cour rend automatiquement coupable d'outrage civil. La règle 704(1) des règles de pratique de la province de l'Alberta est ainsi libellée:

[traduction] 704. (1) Quiconque se rend coupable d'outrage civil est passible d'une ou plus d'une des peines suivantes:

a)l'emprisonnement jusqu'à ce qu'il ait fait amende honorable;

b) une peine d'emprisonnement d'un an;

c)une amende de 1 000 $ et, à défaut de paiement, une peine d'emprisonnement d'un an.

Bien qu'elle soit limitée à 1 000 $ par jour, l'amende infligée quotidiennement et assortie d'une peine d'emprisonnement éventuelle à défaut de paiement doit tout de même avoir un effet dissuasif.

Encore plus important, la Labour Relations Act, prévoit un code pour les relations du travail et pour le règlement des conflits dans ce domaine. Particulièrement, elle prévoit des sanctions pour la violation d'ordonnances de la Commission:

[traduction] 153 Commet une infraction tout employeur, employé ou autre personne qui

a) enfreint ou fait défaut de respecter une ordonnance, une décision, un avis, une déclaration ou une directive de la Commission;

. . .

154(1) Commet une infraction et est passible d'une amende maximale de 1 000 $ pour chaque jour que le lock‑out se poursuit tout employeur, association patronale ou employeur pour le compte duquel une association patronale négocie collectivement qui commence ou provoque un lock‑out en contravention de la présente loi.

(2) Commet une infraction et est passible d'une amende maximale de 10 000 $ quiconque, non visé au paragraphe (1), commence, provoque un lock‑out ou y consent en contravention de la présente loi.

155(1) Commet une infraction et est passible d'une amende maximale de 1 000 $ pour chaque jour que cette grève persiste tout syndicat qui provoque une grève en contravention de la présente loi.

(2) Commet une infraction et est passible d'une amende maximale de 10 000 $ tout dirigeant ou représentant d'un syndicat qui provoque une grève, y participe ou y consent en contravention de la présente loi.

. . .

156 Sous réserve des articles 154 et 155, commet une infraction toute personne, tout employé, employeur, toute association patronale ou tout syndicat qui enfreint ou fait défaut de respecter une disposition de la présente loi, ou une décision, ordonnance, directive, déclaration ou jugement rendu par la Commission en vertu de la présente loi et est passible

a) s'il s'agit d'une personne morale, d'une association patronale ou d'un syndicat, d'une amende maximale de 10 000 $;

b) s'il s'agit d'une personne physique, d'une amende maximale de 5 000 $.

157 Il ne peut être engagé de poursuites pour une infraction mentionnée à la présente loi sans l'autorisation écrite du ministre.

Ces dispositions indiquent clairement que le législateur a porté son attention sur la question de l'exécution des directives de la Commission. Il a conçu un régime complet et équilibré pour répondre à toute violation d'ordonnances. On a établi des plafonds aux amendes qui peuvent être infligées en vertu de ces articles. On laisse ainsi entendre que l'imposition d'amendes exorbitantes lors de conflits de travail, comme celle de 400 000 $ en l'espèce, est contraire à l'intention de la Labour Relations Act. Le recours à des procédures en matière d'outrage criminel et l'imposition de sanctions aussi accablantes ne sont appropriés que dans les cas de violence ou de menaces de violence grave. Étant donné l'existence d'autres recours, les préoccupations exprimées par l'intimé, savoir que sans un pouvoir de punir pour outrage criminel, les cours et les commissions des relations de travail pourront difficilement faire exécuter leurs ordonnances et que le respect de la primauté du droit sera ébranlé sont, à mon avis, sans fondement.

Application à l'espèce

Lorsqu'il a déclenché une grève en janvier 1988, United Nurses of Alberta transgressait manifestement une directive de la Commission. En conséquence, celle‑ci aurait très bien pu lui infliger les sanctions prévues à la Labour Relations Act ou celles prévues dans le cas d'outrage civil, sans plus. Déclenchée par des employés d'hôpital, cette grève ne pouvait que recevoir une énorme couverture médiatique. Le premier jour, Margaret Ethier, présidente du syndicat, a donné une conférence de presse à l'intention des médias qui demandaient une déclaration publique. Elle a utilisé la conférence de presse pour rendre publiques les demandes du syndicat. Elle a saisi cette occasion pour informer les Albertains que la grève des infirmiers et infirmières n'affecterait pas les services d'urgence. Elle n'a pas parlé spontanément du fait que le syndicat transgressait l'ordonnance rendue par la Commission et déjà déposée à la cour. Au contraire, elle a abordé ce sujet à contrec{oe}ur et en réponse seulement à des questions directes des journalistes. Il est important d'exposer la nature de l'interview:

[traduction]

EthierBien, je pense que si l'argent est la mesure, la valeur en vertu de laquelle nous sommes évalués dans notre société, et aussi [. . .] mais je pense qu'il y a plus que cela [. . .] c'est une question de respect dans la façon dont nous sommes traités dans nos conditions de travail et je soupçonne également, avec les récentes lois adoptées et les menaces proférées à l'endroit de nos membres [. . .] et non seulement dans les audiences de la Commission et les ordonnances de la cour dont nous faisons maintenant l'objet. Mais nous avons reçu des menaces, toutes les petites menaces formulées de toute façon, que la police viendra les arrêter. Que dès qu'ils sortiront, ils leur enlèveront leur permis d'infirmiers et d'infirmières [. . .] ce genre de chose.

Journaliste #1Alors gagnez‑vous le respect des gens en violant les lois provinciales?

EthierJe ne sais pas.

. . .

Journaliste #1Donc, vous violez les lois provinciales et vous menacez la vie des personnes hospitalisées pour mettre plus d'argent dans vos poches? Est‑ce cela?

EthierBien, nous ne sommes pas responsables des patients pendant la grève. Les infirmiers et infirmières sont responsables des patients qui leur sont assignés pendant leur journée de travail. Et je crois que les gens ont tendance à oublier cela, et il est tout à fait normal de blâmer les travailleurs lorsque le service est rétabli. Mais la direction de l'hôpital est responsable des patients 24 heures sur 24, et il incombe essentiellement au gouvernement de fournir les services de santé. C'est tout ce que je peux dire.

Journaliste #1Obéirez‑vous à la directive rendue par la Commission aujourd'hui?

EthierQuelle est‑elle?

Journaliste #2Que vous retourniez au travail.

EthierBien, j'imagine que vous devrez regarder nos lignes de piquetage pour obtenir une réponse.

Journaliste #2La province a insinué qu'elle espère que les événements des prochaines heures convainqueront les infirmiers et infirmières de retourner à la table des négociations. On semble avoir prévu une action. Premièrement: l'une d'elle, j'ai ouï‑dire, est une injonction provisoire qui mettrait fin à la grève immédiatement. Qu'en pensez‑vous?

EthierNous avons pour politique de suivre les directives de nos membres quelles qu'elles soient, soit de continuer la grève jusqu'à ce qu'il y ait un règlement.

Journaliste #2Alors l'injonction provisoire ne signifie rien à vos yeux?

EthierSi vous le prenez ainsi, nous essayons de faire notre travail, un conflit de nature privée nous oppose à notre employeur. Il porte sur les salaires et sur les conditions de travail, et la grève se poursuivra jusqu'à ce qu'on obtienne un règlement satisfaisant. C'est pourquoi nous avons déclenché une grève. Et c'est aussi ce que nos membres ont dit. Différentes menaces d'outrage, de peines d'emprisonnement et ainsi de suite, pèsent contre nous, et ils demandent maintenant des injonctions contre trois hôpitaux provinciaux.

Nous faisons la grève pour recevoir une meilleure offre et un règlement satisfaisant, alors il serait insensé de retourner au travail simplement parce que (mot manquant) a eu autre chose, mettre l'armée à nos trousses, je ne sais pas. Mais c'est là notre position et celle de nos membres. Ils sont dehors et ils y resteront. Ils ne retourneront au travail que s'ils obtiennent un règlement satisfaisant.

Journaliste #2Alors peu importe les actions de la province ou de l'AHA, vous demeurez ferme et vos membres aussi?

EthierBien, je ne parle pas en mon propre nom.

(Et plus tard au cours de la conférence de presse.)

[traduction]

EthierLa Commission, l'AHA et le gouvernement, qui est notre employeur à nous tous, tentent de mettre fin à la grève au moyen de procédures légales, de pressions et de menaces. Nous aimerions y mettre fin au moyen d'un règlement, et c'est ainsi qu'elle prendra fin, alors ils peuvent bien laisser tomber le reste.

Journaliste #16Margaret, au sujet de la loi, êtes‑vous en train de dire qu'elle est stupide?

EthierNon, je ne dirais pas cela. Je ne l'ai jamais vraiment étudiée. Nous avons une tâche à accomplir; c'est un conflit commercial privé, vous savez, c'est essentiellement une guerre de prix, et c'est là‑dessus que toute grève porte, soit sur le montant que les employés recevront pour leur travail et sur le prix que les employeurs devront payer pour obtenir leur profit. Si leurs profits augmentent, les salaires des employés diminuent dans le secteur public; si les salaires des employés et leurs avantages augmentent, le financement du gouvernement doit y répondre. Vous parlez de la provenance de l'argent. Les poches du gouvernement ou celles des infirmiers et infirmières? Eaton et Simpson mènent une guerre des prix; Eaton ne fait pas intervenir les policiers auprès de Simpson s'il constate que celui‑ci l'emporte. Ils n'ont pas de lois, en parlant de lois, disant qu'Eaton peut faire de la publicité et Simpson ne peut pas. Vous savez, je ne crois pas qu'ils devraient en avoir, mais la nécessité d'une loi quelconque qui intervient dans une négociation collective ou dans un contrat privé entre des employés, autre que, disons, un contrat, devrait être reconnue légalement.

Il est nécessaire de reproduire cette longue citation afin de démontrer qu'à lui seul, le comportement de la direction du syndicat en l'espèce ne suffisait pas à faire de l'outrage civil un outrage criminel. L'élément de préjudice public est absent de la violation de l'ordonnance. Les infirmiers et infirmières ne présentaient certainement pas une menace de violence, pas plus qu'ils n'ont fait étalage de leur désobéissance à l'ordonnance de la Commission. Au contraire, le manque d'assurance dont Ethier a fait preuve à ce sujet à la conférence de presse démontre que le syndicat n'avait pas l'intention de déconsidérer l'administration de la justice ni d'attirer le mépris sur elle. Le fait qu'elle n'ait pas acquiescé lorsque le journaliste a demandé si le syndicat soutenait que [traduction] "la loi est stupide", et sa réticence tout au long de la conférence de presse démontrent clairement qu'elle n'était pas insouciante quant aux conséquences de discréditer publiquement la cour. Elle a concentré ses commentaires à la presse sur la position de négociation adoptée par le syndicat dans le conflit de travail et non sur la désobéissance à l'ordonnance de la Commission. Cette transgression n'était qu'accessoire à la position du syndicat.

Il va sans dire que la décision de violer l'ordonnance de la Commission est inacceptable. Elle a exposé le syndicat à des procédures en outrage civil et à des sanctions prévues par la Labour Relations Act provinciale. Ces sanctions suffisaient tout de même pour punir le comportement d'un syndicat et pour décourager toute désobéissance future. Le geste du syndicat ne justifiait pas le recours au pouvoir de punir pour outrage criminel.

United Nurses of Alberta n'a pas cherché ni n'a pu éviter la couverture médiatique accordée à sa transgression de l'ordonnance. Si cette publicité suffit à transformer l'outrage civil en un outrage criminel, alors les procédures criminelles deviendront la norme lorsque les syndicats violeront des ordonnances. Il s'agirait là d'une intrusion injustifiée et inutilement grave des cours dans le domaine des relations du travail, lequel requiert de l'expérience, de la sensibilité et une certaine réserve afin de préserver l'équilibre fragile entre les droits de la direction, des travailleurs et de la collectivité.

Je suis d'avis qu'en l'espèce, les procédures en matière d'outrage criminel étaient injustifiées et inapplicables. La question est, de ce fait, tranchée. Toutefois, un deuxième motif permet d'accueillir le pourvoi.

Le droit du défendeur de contre‑interroger

L'audience pour outrage criminel est une procédure sommaire, et la preuve contre le défendeur peut être présentée sous forme d'affidavit. Cette procédure ne viole pas, en soi, le droit de l'accusé à un procès équitable, garanti par l'art. 7 de la Charte, dans la mesure où la cour tient l'audience en conformité avec les principes de justice fondamentale. Celle‑ci inclut le droit de contre‑interroger sur la preuve présentée par affidavit à l'audience: voir R. c. B.E.S.T. Plating Shoppe Ltd. and Siapas (1987), 32 C.C.C. (3d) 417 (C.A. Ont.), à la p. 422. Ce principe est conforme à la conclusion de notre Cour selon laquelle la partie qui subit des procédures criminelles a le droit de contre‑interroger les témoins: voir R. c. Potvin, [1989] 1 R.C.S. 525, à la p. 543.

Le droit de l'accusé de contre‑interroger sur la preuve présentée par affidavit ne peut s'étendre à des questions non pertinentes. La cour peut rejeter une certaine question, ou une série de questions parce qu'elles ne sont pas pertinentes aux questions en litige. Toutefois, en règle générale, la question de pertinence ne devrait pas être tranchée préalablement. Notre Cour a conclu que le droit de contre‑interroger devrait exister sans conditions préalables: voir R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421, aux pp. 1464 et 1465.

En l'espèce, le juge Sinclair a imposé des conditions préalables au droit de l'avocat du syndicat de contre‑interroger les témoins sur leurs affidavits. Il n'a pas permis le témoignage de certains témoins pour le motif que l'accusé ne pouvait préalablement justifier les questions qu'il entendait poser. Puisque la preuve a été présentée contre l'accusé sous forme d'affidavit, le contre‑interrogatoire aurait entraîné un retard. La raison d'être des procédures sommaires dans une audience pour outrage criminel est le degré d'urgence. Toutefois, cette urgence ne justifie pas l'imposition de conditions préalables au contre‑interrogatoire. Dans une audience pour outrage criminel, la cour peut agir de sa propre initiative. Si elle exerce un contrôle préventif sur le comportement de la défense, elle risque de porter ainsi atteinte à l'apparence d'équité et d'impartialité de ces procédures.

Pour l'accusé aux prises avec une accusation grave, le droit de contre‑interroger est d'une importance tellement fondamentale qu'il ne devrait pas être supprimé à la légère. Fréquemment, l'importance et la signification d'un contre‑interrogatoire ne seront révélées que lors de son déroulement. Interdire un contre‑interrogatoire sans étudier sa pertinence entraîne un déni de justice fondamentale. À mon avis, le juge Sinclair a commis une erreur en refusant le contre‑interrogatoire des témoins ayant soumis des affidavits. Compte tenu de ces circonstances, il serait erroné en principe d'appliquer les dispositions réparatrices du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46.

Dispositif

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'annuler la déclaration de culpabilité.

//Le juge McLachlin//

Version française du jugement des juges La Forest, Gonthier, McLachlin et Iacobucci rendu par

Le juge McLachlin — En janvier 1988, United Nurses of Alberta, a déclenché une grève, contrairement à des directives interdisant la grève données sous le régime de la Labour Relations Act de l'Alberta, R.S.A. 1980, ch. L‑1.1, et déposées à la Cour du Banc de la Reine. Le syndicat a été déclaré coupable d'outrage criminel au tribunal pour avoir violé les ordonnances et condamné à des amendes de 250 000 $ et de 150 000 $ à la suite de requêtes successives. La Cour d'appel de l'Alberta a rejeté l'appel du syndicat. Celui‑ci se pourvoit maintenant contre ce jugement devant notre Cour.

Le pourvoi soulève les questions suivantes:

1. Le syndicat possède‑t‑il la capacité juridique d'être reconnu coupable d'outrage criminel?

2. L'infraction que constitue l'outrage criminel porte‑t‑elle atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés?

3. Une directive émise par une commission provinciale et déposée à la cour peut‑elle donner lieu à un outrage criminel?

4. Le syndicat n'ayant pas été autorisé à contre‑interroger sur les affidavits déposés par le ministère public, les procédures ont‑elles violé la Charte?

Les faits

Le 22 janvier 1988, la Labour Relations Board de l'Alberta (la Commission) a déclaré que le syndicat appelant, United Nurses of Alberta, avait enfreint le par. 105(3) de la Labour Relations Act de l'Alberta, (modifiée par S.A. 1983, ch. 34), en menaçant de faire la grève ou de provoquer la grève en contravention de la Loi. La Commission a également décerné, en vertu du par. 142(5) de la Loi, une directive sous forme d'ordre de ne pas faire, à l'endroit du syndicat lui ordonnant de ne pas provoquer la grève et de ne pas menacer de faire la grève et lui ordonnant aussi de ne pas prendre un vote de grève et de mettre les membres au courant de la directive et de leur obligation de s'y conformer. Le même jour, les membres du syndicat ont voté en faveur de la grève et, le lendemain, le syndicat a informé l'employeur de la plupart des membres, l'Alberta Hospital Association (AHA), qu'il déclencherait la grève le lundi 25 janvier 1988. Le dimanche 24 janvier, la Commission a déclaré que le syndicat avait passé outre à la directive du 22 janvier, a réitéré qu'il avait violé le par. 105(3) de la Labour Relations Act et a précisé que la grève prévue pour le lundi était illégale. Ordre a de nouveau été donné au syndicat de cesser de menacer de faire la grève et, plus précisément, de ne pas entrer en grève le lundi 25 janvier. Cette directive précisait également que les directives seraient déposées à titre d'ordonnance de la Cour du Banc de la Reine. La première a été déposée, conformément au par. 142(7) de la Loi, le 24 janvier, la veille de la date prévue du début de la grève. La deuxième l'a été sur‑le‑champ. Par conséquent, le 25 janvier, deux ordonnances de la cour interdisaient au syndicat de faire la grève.

La grève a été déclenchée comme prévu le 25 janvier. L'après‑midi du même jour, il y a eu conférence de presse à laquelle ont assisté environ 30 journalistes. La présidente du syndicat, Margaret Ethier, a dit que la principale préoccupation du syndicat était d'obtenir un règlement satisfaisant, mais elle a reconnu l'existence des [traduction] "ordonnances de la cour dont nous faisons maintenant l'objet" et, lorsqu'on lui a demandé si le syndicat violait les lois provinciales, elle a répondu [traduction] "Oui, c'est exact". À la question de savoir si la possibilité d'une injonction signifiait quelque chose pour elle, elle a répondu que la grève se poursuivrait [traduction] "jusqu'à ce qu'il y ait un règlement". Elle a mentionné qu'elle savait que [traduction] "ils ont maintenant déposé [les ordres de ne pas faire] auprès de la cour". À une autre question concernant l'illégalité de la grève, elle a refusé de dire de la loi [traduction] "qu'elle est stupide", mais elle a ajouté [traduction] "Je ne l'ai jamais vraiment étudiée. Nous avons une tâche à accomplir; c'est un conflit commercial privé . . .".

Le 29 janvier, le procureur général de l'Alberta a déposé un avis de requête demandant que le syndicat soit accusé d'outrage criminel et, le 3 février, le syndicat a été déclaré coupable par le juge Sinclair et condamné à une amende de 250 000 $. Il y a eu une seconde conférence de presse à cette date et, lorsqu'on a demandé à la présidente du syndicat si la condamnation changerait la position du syndicat pour ce qui est de l'arrêt de travail, elle a répondu [traduction] "Et bien, comme je vous l'ai déjà dit, nous sommes prêts à rentrer dès que nous aurons un règlement satisfaisant et, d'après la réaction de l'AHA, nous n'en avons pas." Le 9 février, une deuxième requête a été déposée au motif que les membres du syndicat étaient toujours en grève et que l'outrage criminel se poursuivait. Le 18 février, le syndicat a été déclaré coupable d'outrage criminel une seconde fois par le juge O'Byrne et condamné à une amende de 150 000 $.

Analyse

1. La capacité juridique du syndicat

La Cour d'appel (1990), 73 Alta. L.R. (2d) 152, le juge Veit étant dissident, a statué que le syndicat possédait la capacité juridique requise pour être déclaré coupable d'outrage criminel. Le syndicat n'est pas constituée en personne morale. La Labour Relations Act de l'Alberta le reconnaît à titre d'agent négociateur et lui confère divers pouvoirs à ce titre.

La question est de savoir s'il est possible de tenir le syndicat responsable d'une infraction criminelle de common law, catégorie dont fait partie l'outrage criminel. Dans la jurisprudence, des syndicats ont été jugés responsables de délits civils et d'infractions à la législation: voir International Brotherhood of Teamsters c. Therien, [1960] R.C.S. 265; Association internationale des débardeurs c. Association des employeurs maritimes, [1979] 1 R.C.S. 120. Dans ce dernier arrêt, notre Cour a statué, à la p. 137:

Les sections locales sont des entités juridiques habiles à être poursuivies en justice et à comparaître devant la Cour pour répondre à la demande d'injonction présentée dans le but de leur interdire de participer à des activités qui ont été jugées constituer une grève illégale.

Je ne vois rien dans la jurisprudence qui laisse entendre que l'application générale de la loi aux syndicats ne devrait pas s'étendre à l'infraction de common law qu'est l'outrage au tribunal. Dans la mesure où la common law a refusé la capacité juridique aux syndicats, ce refus visait à gêner l'exécution efficace des conventions collectives: voir Young c. C.N.R., [1931] 1 D.L.R. 645 (C.P.). Cette notion s'est depuis longtemps dissipée. Puisqu'ils ont reçu la capacité juridique aux fins des négociations collectives, les syndicats sont maintenant soumis aux responsabilités qui vont de pair avec ce droit. S'ils exercent un droit illégalement, ils risquent de devoir en répondre devant la cour, qui peut utiliser tous les recours dont elle dispose, dont la poursuite pour l'infraction de common law que constitue l'outrage criminel.

Je remarque que les syndicats ont été assujettis au droit en matière d'outrage criminel au tribunal dans de nombreuses affaires: R. c. United Fishermen & Allied Workers Union, [1968] 2 C.C.C. 257 (C.A.C.‑B.); British Columbia Telephone Co. c. Telecommunications Workers Union (1981), 121 D.L.R. (3d) 326 (C.‑B.); New Brunswick Electric Power Commission c. International Brotherhood of Electrical Workers (1977), 16 R.N.‑B. (2d) 161 (C.A.). Il convient de signaler que dans l'affaire R. c. United Fishermen & Allied Workers Union, précité, notre Cour a refusé l'autorisation de pourvoi en donnant principalement comme raison que la Cour d'appel avait, à juste titre, rejeté comme étant [traduction] "mal fondées" les prétentions du syndicat, y compris une qui était identique à celle qui est avancée en l'espèce: voir [1968] R.C.S. 255, à la p. 257. Je tiens à signaler également que le par. 25(1) de la Labour Relations Act de l'Alberta dispose en termes généraux qu'un syndicat peut poursuivre ou être poursuivi en justice.

Le syndicat soutient que, bien que le Code criminel, S.R.C. (1985), ch. C-46, inclue les "sociétés" dans sa définition de "personne", lui‑même n'est pas une société puisque ce terme reçoit une définition différente dans la Societies Act de l'Alberta, R.S.A. 1980, ch. S‑18. Selon cette prétention le terme "sociétés" dans le Code se limite aux entités reconnues par la législation provinciale. Cette prétention tient également pour acquis que la définition de société dans la loi de l'Alberta est exhaustive. Or, elle ne l'est pas. L'alinéa 1c) porte que "[traduction] Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi. [. . .] "Société" Une société constituée en personne morale en vertu de la présente loi." Cette définition implique, de toute évidence, que certaines sociétés peuvent exister sans être constituées sous le régime de la Loi. Par conséquent, il m'apparaît que le syndicat peut être une "société" aux termes du Code. S'il est possible de poursuivre le syndicat pour une infraction criminelle en vertu du Code, il ne semble pas justifié de prétendre qu'il ne peut être poursuivi pour une infraction criminelle de common law.

2. La constitutionnalité du droit en matière d'outrage criminel

On soutient que l'infraction d'outrage criminel viole l'art. 7 de la Charte au motif qu'elle n'est pas codifiée et qu'elle est vague et arbitraire. Les alinéas 11a) et 11g) de la Charte sont également invoqués. Voici le texte de l'art. 7 de la Charte:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

De toute évidence, l'outrage criminel risque d'entraîner l'emprisonnement, qui constitue une atteinte à la liberté. À supposer, aux fins du présent pourvoi, que la Charte s'applique (voir les observations du juge en chef Dickson dans l'arrêt B.C.G.E.U. c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214, aux pp. 243 et 244), l'unique question est de savoir si cette atteinte est portée en conformité avec les principes de justice fondamentale.

En premier lieu, le syndicat soutient que tous les crimes de common law non codifiés sont inconstitutionnels. Selon un principe fondamental de justice, prétend‑il, tous les crimes doivent être prévus dans un code. L'outrage criminel au tribunal, bien que mentionné à l'art. 9 du Code, n'est pas codifié, tant son actus reus que sa mens rea étant définis en common law.

Aucune jurisprudence ne nous a été soumise pour étayer la prétention selon laquelle la justice fondamentale requiert la codification de tous les crimes. Le syndicat invoque le principe selon lequel tous les crimes et toutes les sanctions ne peuvent être créés qu'en conformité avec un droit établi et déterminé d'avance. Mais une loi non codifiée ne porte pas nécessairement atteinte à ce principe. Pendant des siècles, la plupart de nos crimes n'étaient pas codifiés et n'étaient pas perçus comme constituant une violation de cette règle fondamentale. Et, réciproquement, une codification n'apporte pas la garantie que tout est prévu dans le Code; la détermination de certains éléments de crimes codifiés nécessite fréquemment le recours aux notions de common law: voir l'arrêt R. c. Jobidon, [1991] 2 R.C.S. 714, dans lequel le juge Gonthier au nom de notre Cour signale le rôle important que la common law continue à jouer en droit criminel. Le syndicat s'appuie également sur la conclusion de notre Cour selon laquelle il appartient au législateur et non au tribunaux de créer de nouvelles infractions: Frey v. Fedoruk, [1950] R.C.S. 517; art. 9 du Code. Mais cela ne signifie pas que les tribunaux devraient refuser de reconnaître le crime de common law d'outrage au tribunal, qui a précédé la codification et qui est expressément maintenu à l'art. 9 du Code. Je conclus que l'absence de codification comme telle ne rend pas inconstitutionnel le crime de common law qu'est l'outrage criminel au tribunal.

En second lieu, le syndicat soutient que le crime d'outrage criminel est à ce point vague et difficile à appliquer qu'il porte atteinte au principe fondamental de justice selon lequel le droit doit être établi et déterminé d'avance, et doit, pour le public, être accessible et compréhensible. Cette prétention porte principalement sur la prétendue impossibilité d'établir une distinction entre l'outrage civil et l'outrage criminel.

À mon avis, il existe une distinction évidente entre ces deux infractions, et le droit en matière d'outrage criminel est suffisamment déterminé pour respecter les exigences de la justice fondamentale. L'outrage criminel diffère de l'outrage civil en ce qu'il englobe la notion de transgression publique.

Tant l'outrage civil au tribunal que l'outrage criminel au tribunal reposent sur le pouvoir de la cour de maintenir sa dignité et sa procédure. La primauté du droit est le fondement de notre société; sans elle, la paix, l'ordre et le bon gouvernement n'existent pas. La primauté du droit est directement tributaire de la capacité des tribunaux de faire observer leur procédure et de maintenir leur dignité et le respect qui leur est dû. Pour ce faire, les tribunaux ont, depuis le XIIe siècle, exercé le pouvoir de punir pour outrage au tribunal.

Ces mêmes tribunaux ont jugé nécessaire de distinguer l'outrage civil et l'outrage criminel. La personne qui viole simplement une ordonnance de la cour, par son omission de respecter les heures de visite prévues dans une ordonnance de garde d'enfant, par exemple, est considérée avoir commis un outrage civil. Toutefois, si la violation est accompagnée d'un élément de transgression publique de la procédure du tribunal qui vise à amoindrir le respect que la société a envers les tribunaux, l'outrage devient criminel. C'est ce qui ressort de l'arrêt Poje c. Attorney General for British Columbia, [1953] 1 R.C.S. 516, à la p. 527, où le juge Kellock affirme:

[traduction] Le contexte dans lequel ces incidents se sont produits, le nombre important d'hommes en cause et la nature publique de la transgression de l'ordonnance de la cour déplace le comportement en question en l'espèce du domaine de l'outrage civil, dont fait notamment partie la simple violation d'une injonction accordée à l'égard de droits privés dans un brevet ou dans une marque de commerce, pour l'inscrire dans le domaine de la déconsidération publique de l'autorité de la cour qui tend à discréditer l'administration de la justice. [Je souligne.]

Dans cette affaire, comme dans d'autres cas où on avait conclu à l'outrage criminel, les cours ont porté leur attention sur la notion de transgression publique qui "transcende les limites d'un différend entre les parties au litige et représente une atteinte à l'administration de la justice dans son ensemble": B.C.G.E.U. c. Colombie‑Britannique (Procureur général), précité, à la p. 237, le juge en chef Dickson, avec l'appui des juges Lamer, Wilson, La Forest et L'Heureux‑Dubé. L'essence de l'infraction n'est pas un préjudice réel ou potentiel à des personnes ou des biens; d'autres infractions traitent de ces cas. C'est plutôt la violation manifeste, constante et flagrante d'une ordonnance de la cour sans égard à l'effet que cette violation peut avoir sur le respect dû aux décisions de la cour.

Les juges de première instance ont, sur les requêtes qui ont entraîné ce pourvoi, porté leur attention sur ces notions de désobéissance publique et de transgression publique. Le juge Sinclair, après avoir cité l'arrêt Poje, a affirmé:

[traduction] . . . la désobéissance publique à une ordonnance de la cour constitue un outrage criminel parce qu'elle conteste publiquement l'autorité de la cour. [Je souligne.]

Le juge O'Byrne a reconnu le même élément de désobéissance publique et de transgression publique:

[traduction] La désobéissance à l'ordonnance était publique; en fait, elle était notoire. Le syndicat était au courant de la déclaration antérieure de culpabilité et de la peine infligée. Son comportement constitue une transgression manifeste de la loi, en pleine connaissance des conséquences. [Je souligne.]

Pour démontrer l'outrage criminel, le ministère public doit prouver que l'accusé a transgressé une ordonnance d'un tribunal ou y a désobéi publiquement (l'actus reus), tout en voulant que cette désobéissance publique contribue à miner l'autorité de la cour, en le sachant ou sans s'en soucier (la mens rea). Le ministère public doit prouver ces éléments hors de tout doute raisonnable. Cependant, comme pour d'autres infractions criminelles, il est possible de déduire des circonstances la mens rea requise. Une transgression patente et publique d'une ordonnance de la cour tendra à miner l'autorité de celle‑ci. Par conséquent, lorsqu'il ressort de la preuve que l'accusé devait savoir que sa transgression serait publique, il peut être inféré qu'à tout le moins, il ne se souciait pas de savoir s'il y aurait outrage à l'autorité de la cour. D'autre part, si les circonstances laissent planer un doute raisonnable quant à savoir si l'accusé devait s'attendre ou aurait dû s'attendre à ce que cette violation revête un caractère public, la mens rea requise fait alors défaut et l'accusé doit être acquitté, même si l'affaire a en fait été publicisée. Bien que l'infraction doive avoir un caractère public, l'outrage au tribunal ne devient pas criminel du simple fait qu'il attire la publicité, comme le soutient le syndicat, mais plutôt parce qu'il constitue un acte public de transgression à l'égard de la cour dans des circonstances où l'accusé savait que ce comportement porterait publiquement outrage au tribunal, en avait l'intention ou ne s'en souciait pas.

En l'espèce, il y avait une preuve abondante appuyant la conclusion que le syndicat a choisi de braver la cour ouvertement et de façon constante tout en sachant pertinemment que sa transgression recevrait beaucoup de publicité et, même dans le meilleur des cas, qu'il était indifférent au syndicat que cela puisse déconsidérer la cour.

L'outrage criminel, ainsi défini, ne viole pas la Charte. Il n'est ni vague ni arbitraire. Il est possible de prédire à l'avance si un comportement constituera un crime. Les juges de première instance n'ont éprouvé aucune difficulté à appliquer le bon critère, ce qui laisse supposer que la notion est applicable sans difficulté. Par conséquent, la prétention que le crime d'outrage porte atteinte aux principes de justice fondamentale n'a pas été établie. Pour les mêmes motifs, on n'a démontré aucune violation des al. 11a) et g) de la Charte, en supposant, pour les fins de la discussion, que ces dispositions s'appliquent dans les circonstances de l'espèce.

3.Une directive de la Commission déposée à la cour peut‑elle servir de fondement à une accusation d'outrage?

L'ordonnance sur laquelle repose l'accusation d'outrage est une directive de la Commission. Elle a été déposée à la Cour du Banc de la Reine, conformément au par. 142(7) de la Labour Relations Act, dont voici le libellé:

[traduction] 142. . . .

(7) En cas de violation d'une directive émise par la Commission en conformité avec les paragraphes (5) et (6), la Commission peut, à la demande d'un employeur, d'une association patronale, d'un employé, d'un syndicat ou de toute autre personne visée par la directive, déposer, au greffe de la Cour du district judiciaire dans lequel la plainte a été portée, une copie de la directive, qui est alors exécutoire au même titre qu'un jugement ou une ordonnance de la Cour.

Le syndicat soutient que le par. 142(7) porte atteinte à l'art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, en vertu duquel sont constitués les tribunaux de compétence fédérale. Il allègue que ce paragraphe constitue l'exercice, par une commission créée par une loi provinciale, de compétences qui n'appartiennent qu'à un juge nommé en vertu de l'art. 96 et, réciproquement, qu'en exécutant l'ordonnance rendue par la Commission, la cour constituée en vertu de l'art. 96 empiète sur le domaine appartenant à la législature provinciale.

Ce genre d'entente de partage est très fréquent. Dans notre société, de nombreuses décisions juridiques sont rendues par des tribunaux inférieurs, tant provinciaux que fédéraux. La législation prévoit fréquemment que ces décisions peuvent être déposées auprès d'une cour constituée en vertu de l'art. 96 aux fins de leur exécution. À l'occasion, la législation accorde à la cour la faculté de refuser d'exécuter l'ordonnance. Et, comme en l'espèce, il arrive qu'elle ne le fasse pas.

On soutient que le par. 142(7) de la Labour Relations Act soutire à tort une partie du pouvoir du juge dont la nomination relève du domaine fédéral en permettant à un tribunal inférieur d'établir un élément important de l'infraction. Le tribunal rend une ordonnance interdisant un certain comportement (en l'espèce une grève). Cette ordonnance est alors déposée à la cour. Une requête en outrage au tribunal est ensuite introduite pour le motif que l'ordonnance a été violée. Sans procédure d'examen judiciaire, le juge nommé en vertu de l'art. 96 doit accepter la validité de l'ordonnance du tribunal. Il appartient au juge de déterminer si le ministère public a démontré hors de tout doute raisonnable que l'accusé a violé la directive d'une manière qui constitue une transgression publique à l'égard de l'autorité de la cour et, dans ce cas, d'infliger la peine.

Ainsi envisagée, la question est de savoir si l'incapacité du juge d'examiner la validité de l'ordonnance lors de la procédure pour outrage au tribunal le dessaisit d'une responsabilité devant appartenir à une cour constituée en vertu de l'art. 96. On peut aborder la question en se demandant si le juge saisi d'une requête pour outrage portant sur une ordonnance rendue par un juge de la cour, et non par un tribunal inférieur, aurait le pouvoir de se prononcer sur la validité de l'ordonnance. Il semblerait que non. La validité de l'ordonnance n'est pas en cause lors de l'audience concernant l'outrage. À moins que l'ordonnance ait été annulée pour défaut de compétence, le juge qui entend la requête pour outrage criminel doit en accepter la validité. Bien que, dans un tel cas, la défense pourrait demander l'annulation de l'ordonnance pour des motifs de compétence, elle pourrait, lors d'un procès mettant en cause une ordonnance rendue par un tribunal inférieur, présenter la demande équivalente d'examen judiciaire visant l'ordonnance d'un tribunal administratif. Cette proposition donne à entendre que l'art. 142 ne diminue en rien le pouvoir du juge d'une cour supérieure.

La prétention du syndicat que le par. 142(7) risque de soustraire la décision du tribunal inférieur à l'examen ne résiste pas à l'étude. Il est vrai qu'une directive émise sans compétence pourrait être déposée à la cour et qu'une requête pour outrage pourrait être soumise, invoquant l'ordonnance non corrigée. Mais cette démarche ne soustrairait pas à l'examen la commission qui a rendu l'ordonnance. Dans l'arrêt Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220, notre Cour a statué qu'une législature ne pouvait soustraire les décisions d'un tribunal créé par une province à l'examen judiciaire, ce qui permet dans tous les cas à la partie touchée de contester directement la directive émise par la commission en invoquant des motifs de compétence. Je souligne que le juge qui entend la requête pour outrage peut refuser d'étudier la question jusqu'à ce que la procédure d'examen soit terminée, éliminant ainsi le risque de conclure à un outrage criminel en s'appuyant sur une ordonnance invalide. En l'espèce, le juge a rejeté la requête visant à suspendre l'instance en attendant l'issue de l'examen judiciaire de l'ordonnance de la Commission, mais le présent pourvoi n'en fait aucunement état.

On peut également envisager la question en se demandant si le par. 147(2) choque parce qu'il permet à une cour supérieure d'exécuter des ordonnances autres que les siennes. Dans un sens, la cour supérieure ne se contente pas d'exécuter l'ordonnance du tribunal; elle conclut également qu'on a démontré qu'une infraction criminelle a été commise. Même en admettant qu'elle ne fasse qu'exécuter une ordonnance d'un tribunal, il n'en résulte pas une diminution de ses pouvoirs, mais plutôt une attribution de pouvoirs supplémentaires. De plus, rien n'est retiré au tribunal inférieur, qui n'a pas le pouvoir de condamner pour outrage au tribunal.

En fait, le recours aux cours de compétence inhérente pour faciliter l'exécution d'ordonnances rendues par les tribunaux inférieurs a un passé riche et honorable. On a conclu qu'une cour supérieure peut protéger un tribunal inférieur contre l'outrage ex facie: R. c. Parke, [1903] 2 K.B. 432, R. c. Davies, [1906] 1 K.B. 32. Le Conseil privé a maintenu la validité d'une disposition de la Trade Union Act de la Saskatchewan par laquelle les ordonnances rendues par la commission étaient [traduction] "exécutoires au même titre que les ordonnances de la Cour du Banc du Roi": Labour Relations Board of Saskatchewan c. John East Ironworks, Ltd., [1949] A.C. 134 (C.P.). Enfin, dans l'arrêt Tomko c. Labour Relations Board (N.‑É.), [1977] 1 R.C.S. 112, notre Cour a maintenu une disposition de la Trade Union Act, S.N.S. 1972, ch. 19, de la Nouvelle‑Écosse, qui permettait à la commission des relations de travail de décerner des ordres de ne pas faire, dont la violation ne pouvait donner lieu qu'à une sanction imposée par les cours de justice. En confirmant la constitutionnalité de ce régime, le juge en chef Laskin, se prononçant au nom de la majorité de la Cour, a conclu qu'il équivalait à un régime antérieur identique à celui en question en l'espèce, ce qui confirme donc implicitement la constitutionnalité d'un régime en vertu duquel les ordonnances de la commission sont déposées à la cour et sont exécutoires au même titre que les ordonnances rendues par celle‑ci.

L'appelant soutient également que la prétention de l'intimé a pour effet de permettre à la province d'adopter une loi en matière criminelle, compétence réservée au Parlement. Je ne saurais être d'accord. La disposition fait intervenir le droit criminel tout comme elle est susceptible de faire intervenir le pouvoir de punir pour outrage civil, mais elle ne crée ni l'un ni l'autre. Il est bien établi que le défaut d'obéir à une ordonnance rendue pas une cour supérieure conformément à une loi provinciale peut entraîner, dans des circonstances appropriées, une accusation pour outrage criminel au tribunal. Dans un tel cas, nous ne dirions pas que la loi provinciale sur laquelle est fondée l'ordonnance est, de quelque façon, une loi en matière criminelle, bien qu'éventuellement, le pouvoir de punir pour outrage criminel puisse intervenir. En l'espèce, le par. 142(7) de la Labour Relations Act prévoit un mécanisme particulier en vue de mettre le processus judiciaire en marche lorsque la loi provinciale est appliquée essentiellement par un tribunal inférieur, et non par une cour de justice. Mais cette disposition ne crée pas en soi le pouvoir de punir pour outrage criminel (ou civil), pas plus que ne le fait une loi provinciale appliquée essentiellement par une cour de justice. Elle fait simplement intervenir le pouvoir de la cour supérieure (modifié par toute loi provinciale régissant l'outrage civil et par toute loi fédérale portant sur l'outrage criminel) de contrôler l'administration de la justice par l'entremise, si nécessaire, de procédures pour outrage civil et criminel, comme elle fait intervenir le pouvoir de la cour d'exercer son autorité au soutien de celle des cours inférieures et d'autres organismes assujettis à sa supervision et à son contrôle.

La différence entre créer une loi en matière criminelle et la faire intervenir est illustrée par l'examen de l'art. 127 du Code, en vertu duquel constitue une infraction la désobéissance à une ordonnance légale donnée par un tribunal judiciaire "ou par une personne ou un corps de personnes autorisé par une loi à donner ou décerner l'ordonnance". Le terme "loi" (à l'art. 2 du Code) s'entend "d'une loi provinciale". En ce sens, violer une ordonnance rendue par un tribunal provincial constitue toujours une infraction criminelle, même si ce tribunal n'est pas autorisé par une loi provinciale à déposer l'ordonnance au même titre qu'une ordonnance de la cour. Il est évident que la province n'adopte pas une loi en matière criminelle chaque fois qu'elle donne à un tribunal le pouvoir de rendre des ordonnances qui ne peuvent être déposées auprès de la cour, bien que ce soit une infraction criminelle de violer une telle ordonnance; la province a plutôt adopté, conformément à sa compétence, une loi non criminelle, et le Parlement, agissant lui aussi dans les limites de sa compétence, a choisi de faire de la violation de cette loi provinciale une infraction criminelle. De même, la province n'adopte pas une nouvelle loi en matière criminelle chaque fois qu'elle prévoit l'exécution des ordonnances d'un tribunal particulier au même titre qu'une ordonnance de la cour. Une telle disposition n'est pas de nature criminelle; c'est la common law qui fait de la violation d'une telle ordonnance, dans certaines circonstances, une infraction criminelle.

Mais, peut‑on se demander, est‑ce à bon droit qu'une ordonnance rendue par un tribunal inférieur peut revêtir le caractère d'une ordonnance d'une cour de justice par autorisation législative, avec pour résultat que la violation d'une ordonnance d'un tribunal devient un outrage au tribunal? Devrait‑on pouvoir utiliser l'infraction de common law d'outrage criminel pour protéger les ordonnances des tribunaux inférieurs, ou cette infraction devrait‑elle être restreinte aux ordonnances rendues par la cour elle‑même? L'outrage criminel est une infraction grave, prétend‑on, qu'il n'est ni justifié ni nécessaire d'invoquer lors d'un conflit de travail de nature civile.

Ce moyen porte non pas sur la compétence, mais sur une question de principe. Il soulève la question de savoir si le législateur provincial devrait décréter que la violation d'une ordonnance d'un tribunal est assujettie aux mêmes conséquences que la violation d'une ordonnance d'une cour de justice. Le pouvoir de la législature d'agir ainsi ne peut être mis en doute; les législatures apportent couramment à la loi des modifications qui exigent que les juges nommés par le gouvernement fédéral imposent certaines réparations ou qui leur en donnent le pouvoir. Par conséquent, il s'agit d'une question de principe qui, par ailleurs, peut être contestée. À la prétention que le pouvoir de condamner pour outrage est tellement important qu'il ne devrait être exercé que dans les cas de violation d'ordonnances rendues par les juges nommés en vertu de l'art. 96, on peut opposer la prétention que, en réalité, d'importantes parties de notre droit sont administrées non pas par ces juges, mais par des tribunaux inférieurs, et que ces décisions, comme celles des cours de justice, font partie du droit et méritent le respect et, par conséquent, le soutien qu'offre le pouvoir de condamner pour outrage. De la même façon, à l'encontre de la prétention que les conflits de travail devraient être réglés au moyen de réparations de nature civile, on peut invoquer la prétention que ces conflits, lorsqu'ils risquent de miner le respect du public pour les ordonnances de droit, transcendent les préoccupations d'ordre privé et deviennent à juste titre assujettis à des réparations de nature pénale, comme l'a statué notre Cour dans les arrêts Poje et B.C.G.E.U. c. Colombie-Britannique (Procureur général), précités. Quelles que soient les réponses à ces questions épineuses, si la législature a agi à bon droit à l'intérieur de sa compétence, il n'appartient pas aux cours de justice de substituer leurs opinions sur le principe juridique approprié à celle de la législature.

Il est vrai que la législature doit être explicite lorsqu'elle prend ainsi une décision de principe, et l'appelant fait valoir que l'on devrait interpréter le par. 142(7) de la Labour Relations Act comme excluant le recours à l'outrage criminel. L'appelant fonde cette prétention sur deux arguments. En premier lieu, la directive de la Commission déposée auprès de la cour ne revêt pas de ce fait la nature d'une ordonnance de la cour, mais elle demeure une directive de la Commission. Le pouvoir de punir pour outrage criminel, prétend‑on, ne peut être exercé qu'à l'endroit d'ordonnances de la cour. En deuxième lieu, l'appelant prétend que le terme "exécutoire" ne fait intervenir que le pouvoir de punir pour outrage civil, et non pas celui de punir pour outrage criminel, celui‑ci ayant trait non pas à l'exécution, mais à la punition.

Ces deux arguments ont été étudiés puis rejetés à la majorité par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Re Ajax & Pickering General Hospital and Canadian Union of Public Employees (1981), 132 D.L.R. (3d) 270. Je souscris à l'analyse et aux conclusions du juge Blair qui, à l'égard du premier argument et compte tenu de la jurisprudence, a conclu ainsi (à la p. 286):

[traduction] Ces affaires, comme d'autres semblables, établissent simplement qu'il existe une différence entre les ordonnances de la commission et celles de la cour; elles ne démontrent pas que les ordonnances de la commission sont, de quelque façon, moins exécutoires par la cour.

Au contraire, toutes les décisions où il était question de dispositions semblables en matière de relations du travail au Canada démontrent que les ordonnances rendues par la commission et déposées auprès de la cour ont la même force exécutoire que les ordonnances de la cour, et leur inobservation peut être punie au moyen d'une procédure en outrage et d'autres procédures semblables.

Quant au deuxième argument, le juge Blair en a dit ce qui suit, à la p. 284:

[traduction] À première vue, l'interprétation de l'art. 94 paraît soulever peu de difficulté. Cet article prévoit qu'une ordonnance de la commission est "consignée de la même façon qu'un jugement ou une ordonnance" de la cour et qu'elle "est exécutoire au même titre". Il existe une règle absolue selon laquelle on doit donner aux termes leur sens ordinaire dans une loi. Il est inutile de recourir à un dictionnaire pour établir que les termes "exécutoire au même titre" signifient qu'une ordonnance de la commission des relations de travail doit être exécutée par la cour au même titre qu'une ordonnance de celle‑ci.

Il a également examiné l'historique législatif de la disposition en question et il en est arrivé à la conclusion suivante (aux pp. 283 et 284):

[traduction] La législature a [. . .] démontré l'intention manifeste d'établir une méthode d'exécution, par la Cour, des ordonnances rendues par la commission, méthode qui, manifestement, se distingue des dispositions préexistantes prévoyant des poursuites judiciaires tout en s'ajoutant à elles. La Loi prévoit maintenant deux méthodes d'exécution possibles, soit l'exercice des pouvoirs de la Cour ou les poursuites judiciaires. Rien dans la loi ou dans son historique législatif n'indique qu'une méthode d'exécution doit être privilégiée par rapport à l'autre ou que l'une doit être subordonnée à l'autre.

De la même façon, dans l'affaire Citation Industries Ltd. c. United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America, Local 1928 (1988), 53 D.L.R. (4th) 360 (C.A.C.‑B.), le juge Seaton s'est dit d'avis que l'art. 30 de la Industrial Relations Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1979, ch. 212, visait l'exécution et non une punition, mais il a ensuite confirmé la possibilité de recourir au pouvoir de punir pour outrage criminel, bien que celui‑ci ne puisse être utilisé à la légère:

[traduction] À l'occasion, pour faire exécuter une ordonnance de l'Industrial Relations Council, il faut conclure à l'outrage et infliger une peine. Je ne crois pas qu'une pareille conclusion soit tirée fréquemment, ni, de toute évidence, à la légère. Le pouvoir de punir pour outrage est toujours exercé avec réserve.

Il en est ainsi de l'inobservation des ordonnances de la cour, et je crois qu'il devrait en être de même particulièrement à l'égard de l'inobservation d'ordonnances qui, bien que non rendues par la cour, sont présumées l'être.

Je conclus que le par. 142(7) fait intervenir le pouvoir de punir pour outrage criminel et qu'ainsi, il ne viole pas l'art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

4. Le contre‑interrogatoire

La procédure pour outrage au tribunal est de nature criminelle et offre toutes les garanties dont peut se prévaloir un accusé lors d'un procès au criminel. Ces garanties incluent le droit de contre‑interroger. Toutefois, celui‑ci n'est pas illimité. Tout contre‑interrogatoire est assujetti au pouvoir discrétionnaire du juge de le refuser s'il n'est pas pertinent.

Lors de l'audition de la requête devant le juge Sinclair, on a refusé à l'accusé le droit de contre‑interroger sur certains affidavits au motif qu'il était impossible de déterminer à l'avance si le contre‑interrogatoire serait pertinent. On a fait valoir que le juge de première instance aurait pu, à bon droit, exercer son pouvoir discrétionnaire et restreindre toute question non pertinente, mais qu'il n'avait pas le pouvoir discrétionnaire d'interdire complètement le contre‑interrogatoire au motif que l'accusé n'avait pas prouvé au préalable que les questions qu'il souhaitait poser étaient pertinentes. À supposer, sans en décider, que cet argument est valable, je souscris à l'opinion du juge Côté de la Cour d'appel qu'il n'y a eu aucun préjudice ou erreur judiciaire grave et que le sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code s'applique. L'avocat a demandé à contre‑interroger quant à la validité de la directive de la Commission, à la signification aux membres du syndicat et à la peine. Je suis convaincue que le verdict aurait été le même s'il y avait eu un contre‑interrogatoire complet. La validité de la directive de la Commission n'était pas en litige et la signification au président du syndicat était suffisante de toute façon. Quant à la peine, le juge de première instance a laissé entrevoir la possibilité de permettre le contre‑interrogatoire au moment où, le cas échéant, il en serait question. Le temps venu, l'avocat n'a pas renouvelé sa demande de contre‑interroger. L'article 686 s'applique manifestement en l'espèce car les appels contre les déclarations de culpabilité d'outrage criminel sont prévus au par. 10(3) du Code qui prévoit notamment: "Appel en vertu du présent article peut être interjeté à la cour d'appel de la province où les procédures sont exercées, et, pour l'application du présent article, la partie XXI s'applique, compte tenu des adaptations de circonstances" (je souligne). Or, l'art. 686 se trouve à la partie XXI.

Dispositif

Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

Version française des motifs rendus par

//Le juge Sopinka//

Le juge Sopinka (dissident) — J'ai eu le privilège de lire les motifs formulés en l'espèce par le juge McLachlin. Je ne peux toutefois souscrire à sa conclusion puisqu'à mon avis, le par. 142(7) de la Labour Relations Act de l'Alberta, R.S.A. 1980, ch. L‑1.1 (la Loi), ne transforme pas les directives de la Commission en ordonnances d'une cour de juridiction supérieure de façon à faire intervenir le pouvoir de cette cour de punir l'outrage criminel au tribunal.

La nature de l'outrage

Il importe de distinguer le droit en matière d'outrage criminel de l'outrage civil. L'outrage criminel vise, encore aujourd'hui, à punir la conduite qui, délibérément, déconsidère l'administration de la justice par les cours. D'autre part, l'objectif de l'outrage civil est d'assurer la conformité à la procédure d'un tribunal dont, notamment, celle d'une cour de justice. Voir B.C.G.E.U. c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214, R. c. Hill (1976), 73 D.L.R. (3d) 621 (C.A.C.‑B.), à la p. 629, Poje c. Attorney General for British Columbia, [1953] R.C.S. 516. Le Black's Law Dictionary (6e éd. 1990) donne un résumé utile des deux formes d'outrage, à la p. 319:

[traduction] L'outrage est soit civil soit criminel. Dans le premier cas, il s'agit d'un quasi‑outrage qui résulte du défaut, par une partie, d'obéir à une ordonnance que la cour a émise au profit ou à l'avantage de l'autre partie à l'affaire, alors que l'outrage criminel naît d'actes accomplis sans égards pour la cour ou sa procédure, ou qui entravent l'administration de la justice, ou sont susceptibles de discréditer la cour. L'outrage civil ne s'en prend pas à la dignité de la cour, mais plutôt à la partie au nom de laquelle la cour a émis un ordre, ce qui, en guise d'indemnité, entraîne une amende. Par contre, l'outrage criminel est une infraction commise contre la cour, comme la désobéissance délibérée à un bref, une procédure, une ordonnance ou un ordre légitimes de la cour pour lesquels, en guise de sanction, une amende ou une peine d'emprisonnement sont infligées à celui qui s'en rend coupable.

Dans le cas d'outrage criminel au tribunal commis ex facie, le procureur général intente généralement les poursuites, alors qu'en matière d'outrage civil, ce rôle revient à une partie ou à une personne visée par l'ordonnance que l'on cherche à faire exécuter. Dans une procédure pour outrage civil, la cour peut, pour assurer la conformité à une ordonnance, infliger une amende ou une autre peine qui sera exigée en cas de violation. Toutefois, dans tous les cas, l'objectif est d'obtenir la conformité et non de punir.

La common law a toujours jalousement restreint le pouvoir de punir pour outrage criminel. Cela est particulièrement vrai pour l'outrage ex facie qui est réservé aux cours de juridiction supérieure. Voir Société Radio‑Canada c. Commission de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618. Les dispositions législatives qui visent à élargir le pouvoir en matière d'outrage criminel doivent être interprétées strictement et elles doivent prévoir clairement leur application aux ordonnances étudiées. Voir Re Ajax & Pickering General Hospital and Canadian Union of Public Employees (1981), 132 D.L.R. (3d) 270 (C.A. Ont.), Attorney General c. British Broadcasting Corp., [1980] 3 All E.R. 161. En outre, le principe selon lequel l'ambiguïté doit profiter à ceux que l'on cherche à punir s'applique a fortiori. Par conséquent, avant que l'on puisse conclure à la compétence de punir pour outrage criminel, il doit y avoir eu de la part de la cour un acte exercé dans le cours de l'administration de la justice. On peut difficilement dire de celui qui, allègue‑t‑on, a commis un outrage, qu'il a déconsidéré l'administration de la justice par les cours si l'ordonnance à laquelle il a désobéi n'est, en fait, qu'une ordonnance d'un tribunal inférieur, et non de la cour.

Les dispositions législatives

L'article 142 de la Labour Relations Act de l'Alberta relève de la Section 2 de la Loi intitulée [traduction] "Pratiques déloyales de travail". Il prévoit la possibilité de porter plainte auprès de la Commission relativement à une pratique déloyale de travail. Celle‑ci peut alors nommer un agent qui fait enquête sur la plainte et s'efforce de régler la question. S'il échoue, la Commission peut elle‑même faire enquête et, si elle conclut que la Loi a été violée, elle peut émettre des directives. Ces directives, énumérées à l'al. 142(5)b), sont toutes de la nature d'une réparation civile. Le paragraphe (7) prévoit qu'en cas de violation d'une directive de la Commission, celle‑ci peut, à la demande d'un employeur, d'un employé ou de toute autre personne visée par la directive, déposer au greffe de la cour une copie de la directive qui est alors exécutoire au même titre qu'un jugement ou une ordonnance de la cour. À l'exception du geste du préposé au greffe qui reçoit la directive, ce qu'il est dans l'obligation de faire, la cour n'intervient pas. Elle n'a pas le pouvoir d'examiner ou de mettre en doute la validité ou le dépôt de la directive et, sur une requête en exécution, elle doit accepter l'ordonnance telle quelle. Il est vrai que, comme ma collègue le souligne, dans la mesure où les directives de la Commission donnent lieu à un examen en dépit d'une clause privative, il serait possible de suspendre une requête en exécution jusqu'à ce que la procédure d'examen soit terminée. Néanmoins, l'important est que l'examen de la directive n'est pas une condition préalable au dépôt mais qu'il ne peut être entrepris que dans une instance appropriée. Ce n'est pas exagérer que de dire que, dans le processus, le rôle de la cour se limite à une approbation automatique de l'ordonnance de la Commission.

Lorsque l'on tente d'interpréter le par. (7) et, en particulier, l'expression "exécutoire au même titre qu'un jugement", il est significatif que rien dans l'article ne renvoie à une peine. Tout l'accent est mis sur la conformité. En outre, la Loi comporte une partie expressément consacrée aux peines. La Partie 8 de la Loi, intitulée [traduction] "Infractions et peines", prévoit précisément une peine à l'égard, notamment, d'une infraction à une directive de la Commission. Les poursuites ne peuvent être intentées, par voie de procédure sommaire, qu'avec l'autorisation du ministre.

Ces dispositions législatives sont semblables à des dispositions comparables d'autres lois provinciales. Elles ne visent pas à faire des directives de la Commission des ordonnances ou des jugements de la cour. Elles sont un simple condensé législatif visant à incorporer dans les lois des dispositions relatives à l'exécution utilisées par les cours de justice. Nonobstant leur dépôt, elles demeurent des directives de la Commission. La jurisprudence est étonnamment constante à ce chapitre. Dans l'arrêt Re Ajax & Pickering General Hospital and Canadian Union of Public Employees, précité, la Cour d'appel de l'Ontario a traité d'une disposition semblable de la Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1980, ch. 228. L'alinéa 83a était ainsi libellé:

[traduction] 83a. La Commission dépose au greffe de la Cour suprême une copie du dispositif de la décision rendue en vertu des l'articles 82 ou 83. Elle est consignée de la même façon qu'un jugement ou une ordonnance de la Cour et est exécutoire au même titre.

Dans cette affaire, la question était de savoir si un ordre de ne pas faire décerné par la Commission, qui avait été violé, mais auquel on s'est ensuite conformé avant que des poursuites ne soient intentées devant la Haute Cour, pouvait donner lieu à une procédure en outrage. La cour à la majorité, le juge Cory étant dissident, a statué que c'était possible, mais elle a convenu que les ordonnances de la Commission déposées à la Cour suprême ne devenaient pas des ordonnances de la cour. À la page 285, le juge Blair, au nom de la majorité, a dit:

[traduction] De nombreuses affaires ont traité de la distinction entre les ordonnances d'une cour et les ordonnances de la Commission et de commissions semblables dans d'autres provinces. On a établi qu'elles demeurent des ordonnances de la Commission et ne deviennent pas des ordonnances de la cour.

À la page 274, le juge Cory a dit:

[traduction] Il semblerait qu'en vertu des précédents, la directive émise par la Commission et déposée à la cour conformément à l'art. 94 demeure une directive ou une ordonnance de la Commission et ne devient pas un jugement de la cour: voir, par exemple, Re Int'l Woodworkers of America and Patchogue Plymouth, Hawkesbury Mills (1976), 14 O.R. (2d) 118, 2 C.P.C. 98; Re Dylex Ltd. and Amalgamated Clothing & Textile Workers Union Toronto Joint Board et al., (1977), 17 O.R. (2d) 448; Re Amalgamated Transit Union Division No. 101‑134 and Ken Mar Handi Cabs Ltd. et al., (1971), 23 D.L.R. (3d) 220; Re Arpeg Holdings Ltd. (1968), 64 W.W.R. 93, 68 C.L.L.C. 437; Int'l Brotherhood of Electrical Workers, Local Union, No. 529 c. Central Broadcasting Co. Ltd., [1977] 2 C.F. 78, 76 C.L.L.C. par. 14,045, et Re Alcan Smelters & Chemicals Ltd., Division of Aluminium Co. of Canada Ltd. c. Canadian Ass'n of Smelter & Allied Workers et al. (1976), 77 C.L.L.C. par. 14,068.

La violation d'une ordonnance de la Commission et celle d'une ordonnance de la cour entraînent des conséquences très différentes.

Dans l'arrêt Parklane Private Hospital Ltd. c. B.C. Government Employees Union (1988), 88 C.L.L.C. par. 14,017, le juge Lysyk a dit à la p. 12,082:

[traduction] . . . les termes "présumés être" de l'article 30 ne transforment pas en eux‑mêmes une ordonnance du conseil en une ordonnance de la cour et ils ne justifient pas la conclusion qu'une ordonnance du conseil qui est déposée et une ordonnance de la cour sont équivalentes dans tous leurs aspects pour les fins du droit en matière d'outrage.

Selon la prétention de l'intimé, accueillie en Cour d'appel, la législation provinciale peut prévoir qu'une ordonnance qui demeure une ordonnance de la Commission peut servir de fondement à des procédures en outrage criminel au tribunal. Une province pourrait ainsi prévoir que la violation d'une ordonnance d'un tribunal administratif hors la présence du tribunal est une infraction criminelle. Puisqu'une telle infraction n'a, à ce jour, jamais existé en common law, cette interprétation permettrait à la province d'adopter des lois en matière criminelle, pouvoir réservé au Parlement. Une telle interprétation ne devrait être adoptée que s'il est impossible de donner au libellé un sens qui est conforme aux compétences d'une province. Le juge Beetz a adopté ce principe d'interprétation dans l'arrêt Société Radio‑Canada c. Commission de police du Québec, précité, où il a dit, aux pp. 641 et 642:

Pour mettre ce principe en {oe}uvre, une cour peut, au nom de la Constitution, restreindre la portée apparemment générale d'une disposition et ce, même lorsque la constitutionnalité de la disposition n'a pas été attaquée et que le procureur général n'a pas été mis en cause. C'est ce que cette Cour a fait dans McKay c. La Reine, [1965] R.C.S. 798. Le juge Cartwright, — il n'était pas encore juge en chef — écrit dans l'opinion majoritaire, aux pp. 803 et 804:

[traduction] La deuxième règle d'interprétation applicable est que, lorsqu'un texte législatif émanant du Parlement, d'une législature ou d'un organisme subalterne auquel le pouvoir de légiférer est délégué, peut être interprété de sorte que son application se limite aux domaines de compétence du corps législatif, cette interprétation doit prévaloir. Une autre façon de formuler la règle est de dire que si les termes d'une loi peuvent raisonnablement être interprétés de deux façons, l'une permettant de conclure au caractère intra vires de la loi alors que l'autre aurait l'effet contraire, ils doivent être interprétés de la première façon.

Interprétation du par. 142(7)

Dans ce paragraphe, les termes "exécutoire" et "jugement" sont déterminants. L'exécution est un terme ambigu qui peut revêtir plus d'un sens. Dans l'arrêt Toronto R. Co. c. City of Toronto (1920), 51 D.L.R. 69, à la p. 73, le vicomte Cave a souligné qu'il peut, selon son contexte, renvoyer à des peines, notamment à une amende, visant à punir, ou à une procédure quelconque visant à l'accomplissement de l'acte requis. Dans ce dernier sens, le terme signifie qu'une amende, ou une autre peine, peut être infligée en vue de faire respecter un ordre. Je suis d'avis que, dans ce paragraphe, on l'a utilisé dans ce deuxième sens afin que des mesures puissent être prises pour assurer la conformité plutôt que dans le sens pénal du terme qui met l'accent sur la punition. La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, dans l'arrêt Citation Industries Ltd. c. United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America, Local 1928 (1988), 53 D.L.R. (4th) 360 (C.A.C.‑B.), a interprété ainsi un libellé semblable. À la page 365, le juge Seaton a dit:

[traduction] L'article 30 vise à faire exécuter des ordonnances, et non à punir pour la violation d'ordonnances. L'article 138 prévoit une peine:

138. Quiconque refuse ou néglige de respecter ou d'exécuter une ordonnance émise en vertu de la présente loi est passible, sur déclaration de culpabilité,

a)s'il s'agit d'une personne physique, d'une amende d'au plus 1000 $;

b)s'il s'agit d'une personne morale, d'un syndicat ou d'une association patronale, d'une amende d'au plus 10 000 $.

L'article 30 de l'Industrial Relations Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1979, ch. 212, s'apparente au par. 142(7) de la Loi albertaine, alors que l'art. 138 suit le modèle de l'art. 156 qui se trouve à la partie 8 de la Loi. Le juge Seaton a ensuite poursuivi en disant que, dans certains cas, il serait possible d'infliger une peine pour faire exécuter une ordonnance, mais il ressort clairement du contexte qu'il a utilisé le terme "exécuter" comme mesure visant à assurer la conformité, plutôt que comme mesure visant à punir.

Par conséquent, je conclus que le par. 142(7) visait à prévoir qu'une directive de la Commission serait exécutoire avec l'aide des procédures offertes à la Cour du Banc de la Reine afin d'assurer la conformité. Ces procédures incluent le pouvoir de punir pour outrage civil, mais elles n'incluent pas le pouvoir de punir pour outrage criminel, qui est réservé à punir ceux qui ont fait fi de jugements et d'ordonnances rendus, de fait, par une cour de justice.

Cette conclusion respecte la limite constitutionnelle imposée aux compétences provinciales et elle est appuyée, outre les points mentionnés précédemment, par les facteurs suivants. Le paragraphe, dans son ensemble, et la Partie 7, Section 2 de la Loi, mettent l'accent sur la notion de réparation civile et de conformité plutôt que de punition. Lorsqu'elle a l'intention de punir, la Loi le prévoit. C'est le cas à la Partie 8 intitulée "[traduction] Infractions et peines". L'exécution d'une directive au moyen d'une procédure judiciaire intentée en vertu du par. 142(7) débute avec le dépôt d'une directive de la Commission à la demande de l'une ou l'autre partie ou d'une personne visée par la directive. Le fait que la première étape pour demander l'assistance de la cour doive être entamée par une partie ou par une personne visée donne fortement à entendre qu'il s'agit d'une réparation civile. Autrement, le paragraphe prévoirait vraisemblablement que la Commission et le procureur général peuvent prendre cette initiative. Je remarque qu'en l'espèce, les procédures en matière d'outrage civil ont, en fait, été introduites par les employeurs. Voir Edmonton General Hospital c. United Nurses of Alberta, Local 79 (1990), 104 A.R. 394.

Les procédures en matière d'outrage criminel au tribunal intentées à la suite de conflits de travail sont rares au Canada. Dans les quelques cas où cette mesure extraordinaire a été prise, on visait à punir les participants à un piquetage massif au cours d'une grève illégale. L'affaire Re Tilco Plastics Ltd. c. Skurjat, [1966] 2 O.R. 547, aff. [1967] 1 O.R. 609, en est un exemple. Dans cette affaire, des dirigeants syndicaux ont été emprisonnés pour non-respect d'une injonction de la cour. La Loi garantit expressément ce droit au par. 142(7.2) (ajouté par S.A. 1983, ch. 34, par. 2(33)). Dans le rare cas où il est souhaitable de recourir à des sanctions criminelles au cours d'un conflit de travail, les procédures peuvent être intentées au moyen d'une injonction. Ces éléments laissent à entendre qu'il n'y a aucune raison d'élargir l'utilisation du pouvoir de punir pour outrage criminel en vue de faire exécuter des directives de la Commission.

En résumé, j'ai conclu que, compte tenu des règles ordinaires d'interprétation, le par. 142(7) n'autorise pas la condamnation à une peine pour outrage criminel. À tout le moins, la nature équivoque ou ambiguë de l'expression "exécutoire au même titre qu'un jugement" laisse subsister un doute raisonnable sur la question. L'appelant est en droit de bénéficier de ce doute. Dans Maxwell on the Interpretation of Statutes (12e éd. 1969), à la p. 246, cette règle d'interprétation est ainsi formulée:

[traduction] On peut résumer l'effet de la règle d'interprétation stricte en disant que, lorsque le sens d'un mot équivoque ou d'une phrase ambiguë soulève un doute raisonnable que les règles d'interprétation ne permettent pas de dissiper, il faut accorder le bénéfice du doute au citoyen et non à la législature qui n'a pas su s'exprimer clairement. S'il n'y a aucune ambiguïté, et que l'acte ou l'omission en question relève clairement de l'infraction à la loi, l'interprétation d'une loi de nature pénale ne diffère guère, si elle diffère, de celle d'autres lois.

Cette règle adoptée par notre Cour a récemment été appliquée dans l'arrêt R. c. Green, [1992] 1 S.C.R. 614, afin de dissiper une ambiguïté dans l'interprétation de l'art. 254 du Code criminel, S.R.C. (1985), ch. C-46.

Compte tenu de cette conclusion, il est inutile d'étudier les autres moyens d'appel soulevés par l'appelant et mentionnés dans les motifs de ma collègue.

En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'annuler les deux déclarations de culpabilité pour outrage.

Pourvoi rejeté, le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et Cory sont dissidents.

Procureur de l'appelant: Alexander D. Pringle, Edmonton.

Procureur de l'intimé: Paul Bourque, Edmonton.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada: Le sous‑procureur général du Canada, Ottawa.

Procureurs de l'intervenant le procureur général du Québec: Bernard, Roy & Associés, Montréal.

Procureur de l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique: Le procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Outrage criminel au tribunal - Directives d'un tribunal provincial déposées en cour supérieure en tant qu'ordonnances de cette cour - Le syndicat ayant violé ces ordonnances, il a été reconnu coupable d'outrage criminel - Le syndicat avait‑il la capacité juridique d'être reconnu coupable d'outrage criminel? - L'infraction que constitue l'outrage criminel viole‑t‑elle à la Charte? - Une directive émise par une commission provinciale et déposée en cour supérieure peut‑elle donner lieu à un outrage criminel? - Labour Relations Act, R.S.A. 1980, ch. L‑1.1, art. 142(7) - Charte canadienne des droits et libertés, art. 2b), 7, 11a), g) - Loi constitutionnelle de 1867, art. 96 - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 686(1)b)(iii).

Droit constitutionnel - Charte des droits - Droit criminel - Outrage criminel au tribunal - Directives d'un tribunal provincial déposées en cour supérieure en tant qu'ordonnances de cette cour - Le syndicat ayant violé ces ordonnances, il a été reconnu coupable d'outrage criminel - Le syndicat avait‑il la capacité juridique d'être reconnu coupable d'outrage criminel? - L'infraction que constitue l'outrage criminel viole‑t‑elle la Charte? - Une directive émise par une commission provinciale et déposée en cour supérieure peut‑elle donner lieu à un outrage criminel?.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Garanties dont peut se prévaloir un accusé lors d'un procès au criminel - Contre‑interrogatoire - Refus du droit de contre‑interroger sur certains affidavits pour le motif que l'accusé ne pouvait préalablement établir la pertinence du contre‑interrogatoire - Le syndicat n'ayant pas été autorisé à contre‑interroger sur les affidavits, la procédure a‑t‑elle violé la Charte?.

En janvier 1988, United Nurses of Alberta a déclenché une grève contrairement à des directives interdisant la grève données sous le régime de la Labour Relations Act de l'Alberta et déposées à la Cour du Banc de la Reine. Le syndicat a été déclaré coupable d'outrage criminel au tribunal pour avoir violé les ordonnances, et condamné à des amendes de 250 000 $ et de 150 000 $ à la suite de requêtes successives. Le juge de première instance a refusé à l'accusé le droit de contre‑interroger sur certains affidavits pour le motif qu'il ne pouvait préalablement établir la pertinence du contre‑interrogatoire. La Cour d'appel de l'Alberta a rejeté l'appel du syndicat qui se pourvoit devant notre Cour. Le pourvoi soulève les questions suivantes: (1) Le syndicat a‑t‑il la capacité juridique d'être reconnu coupable d'outrage criminel? (2) L'infraction que constitue l'outrage criminel porte‑t‑elle atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés? (3) Une directive émise par une commission provinciale et déposée à la cour peut‑elle donner lieu à un outrage criminel? (4) Le syndicat n'ayant pas été autorisé à contre‑interroger sur les affidavits déposés par le ministère public, les procédures ont‑elles violé la Charte?

Arrêt (le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et Cory sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Les juges La Forest, Gonthier, McLachlin et Iacobucci: Il est possible de tenir le syndicat responsable d'une infraction criminelle (dont l'outrage criminel) en common law. En outre, les syndicats sont des sociétés aux termes du Code criminel. La définition de société dans la loi provinciale implique, de toute évidence, que certaines sociétés peuvent exister sans être constituées sous le régime de la Societies Act. S'il est possible de poursuivre un syndicat, à titre de société, en vertu du Code, il devrait également être possible de le poursuivre pour une infraction criminelle de common law. Les syndicats ont donc la capacité juridique d'être reconnus coupables d'outrage criminel.

L'atteinte à la liberté qui découle de l'outrage criminel est portée en conformité avec les principes de justice fondamentale. L'absence de codification ne viole pas en soi le principe selon lequel les crimes et les sanctions ne peuvent être crées qu'en conformité avec un droit établi et déterminé d'avance. La distinction entre l'outrage criminel et l'outrage civil n'est pas non plus difficile à établir au point de porter atteinte à ces principes. Cette distinction repose sur la notion de transgression publique qui accompagne l'outrage criminel. Pour démontrer l'outrage criminel, le ministère public doit prouver, hors de tout doute raisonnable, que l'accusé a transgressé une ordonnance d'un tribunal ou y a désobéi publiquement (l'actus reus), tout en voulant que cette désobéissance publique contribue à miner l'autorité de la cour, en le sachant ou sans s'en soucier (la mens rea). Lorsque l'accusé devait savoir que sa transgression serait publique, il peut être inféré qu'à tout le moins, il ne se souciait pas de savoir s'il y aurait outrage à l'autorité de la cour. D'autre part, si les circonstances laissent planer un doute raisonnable quant à savoir si l'accusé devait s'attendre ou aurait dû s'attendre à ce que cette violation revête un caractère public, la mens rea requise fait alors défaut et l'accusé doit être acquitté, même si l'affaire a en fait été publicisée. Bien que l'infraction doive posséder un caractère public, l'outrage civil ne devient pas criminel du simple fait qu'il attire la publicité, mais plutôt parce qu'il constitue un acte public de transgression à l'égard de la cour dans des circonstances où l'accusé savait que ce comportement porterait publiquement outrage au tribunal, en avait l'intention ou ne s'en souciait pas. L'accusé peut prédire à l'avance si son comportement constituera un crime. Par conséquent, l'outrage criminel ne viole pas l'art. 7 et les al. 11a) ou g).

L'incapacité du juge d'examiner la validité de l'ordonnance lors de la procédure pour outrage au tribunal ne le dessaisit pas d'une responsabilité devant appartenir à une cour constituée en vertu de l'art. 96. Il appartient au juge de déterminer si le ministère public a démontré hors de tout doute raisonnable que l'accusé a violé la directive d'une manière qui constitue une transgression publique à l'égard de l'autorité de la cour et, dans ce cas, d'infliger la peine. Le juge saisi d'une requête pour outrage portant sur une ordonnance rendue par un juge de la cour, et non par un tribunal inférieur, n'aurait pas le pouvoir de se prononcer sur la validité de l'ordonnance, qui n'est pas en cause lors de l'audience concernant l'outrage. Le paragraphe 142(7) ne peut soustraire la décision du tribunal inférieur à l'examen car la partie touchée peut toujours contester la directive émise par la commission en invoquant des motifs de compétence.

Le paragraphe 142(7) ne permet pas à la province d'adopter une loi en matière criminelle, compétence réservée au Parlement. La disposition fait plutôt intervenir le droit criminel tout comme elle est susceptible de faire intervenir le pouvoir de punir pour outrage civil, mais elle ne crée ni l'un ni l'autre. Les décisions où il était question de dispositions semblables en matière de relations du travail au Canada démontrent que les ordonnances rendues par la commission et déposées auprès de la cour ont la même force exécutoire que les ordonnances de la cour, et leur inobservation peut être punie au moyen d'une procédure en outrage et d'autres procédures semblables.

Le terme "exécutoire" ne fait pas intervenir que le pouvoir de punir pour outrage civil, il peut inclure également celui de punir pour outrage criminel. On doit donner aux termes leur sens ordinaire dans une loi. Il est inutile de recourir à un dictionnaire pour établir que les termes "exécutoire au même titre" signifient qu'une ordonnance de la commission des relations de travail doit être exécutée par la cour au même titre qu'une ordonnance de celle‑ci. Une directive de la commission peut donc faire l'objet d'un outrage criminel.

La procédure pour outrage au tribunal est de nature criminelle et offre toutes les garanties dont peut se prévaloir un accusé lors d'un procès au criminel. Ces garanties incluent le droit de contre‑interroger. Toutefois, celui‑ci n'est pas illimité. Tout contre‑interrogatoire est assujetti au pouvoir discrétionnaire du juge de le refuser s'il n'est pas pertinent.

Même à supposer que le juge de première instance, en restreignant toute question non pertinente, n'avait pas le pouvoir discrétionnaire d'interdire complètement le contre‑interrogatoire au motif que l'accusé n'avait pas prouvé au préalable que les questions qu'il souhaitait poser étaient pertinentes, il n'y a eu aucun préjudice ou erreur judiciaire grave. Le sous‑alinéa 686(1)b)(iii) du Code s'applique donc. Le verdict aurait été le même s'il y avait eu un contre‑interrogatoire complet.

Le juge en chef Lamer et le juge Cory (dissidents): Les syndicats sont susceptibles d'être poursuivis pour l'infraction de common law d'outrage criminel. Ils sont inclus dans le terme "sociétés" de la définition de personne du Code criminel et ils sont exposés à une poursuite pour un crime reconnu en common law.

L'outrage civil et l'outrage criminel peuvent tous les deux s'appliquer et se rattacher au même comportement. Les outrages susceptibles d'attirer le mépris sur l'administration de la justice ou d'entraver le cours normal de la justice sont de nature criminelle; mais n'est pas de nature criminelle l'outrage que commet quelqu'un qui ne tient aucun compte d'une ordonnance ou d'un jugement d'une cour civile, ou s'abstient de faire une chose qu'un tribunal lui avait ordonné de faire. L'actus reus de l'infraction d'outrage criminel implique un comportement causant un préjudice public grave. Dans un contexte de conflit de travail, ce comportement menacerait la primauté du droit. La mens rea implique que l'auteur de l'infraction a volontairement ou sciemment causé ce préjudice ou qu'il ne s'est pas soucié de la conséquence raisonnablement prévisible de l'acte, savoir le préjudice.

Il ne suffit pas, pour transformer la transgression d'une ordonnance de la cour en un outrage criminel, que le comportement survienne en public. Accepter comme norme le comportement public remplacerait la distinction fonctionnelle créée par les intérêts distincts que le droit en matière d'outrage civil et d'outrage criminel est conçu pour protéger, par une distinction arbitraire fondée sur le profil public d'un litige qui a entraîné la violation d'une ordonnance de la cour. En outre, en faire le seul facteur déterminant étend la portée des pouvoirs de punir pour outrage criminel bien au‑delà des limites nécessaires pour atteindre leur fin.

Le pouvoir de punir pour outrage criminel devrait être exercé avec modération, avec une grande réserve et dans les seules circonstances où il est nécessaire de protéger la primauté du droit. La réponse de la cour doit être proportionnée au préjudice causé. Si la sanction est injustement sévère et excessivement plus importante que ce qui est justifié, elle contribuera alors à amoindrir plutôt qu'à accroître le respect de l'administration de la justice.

Le recours illimité à des procédures en outrage criminel dans un contexte de relations du travail risque encore une fois de faire naître l'impression que les cours s'ingèrent dans le processus des négociations collectives et qu'elles interviennent au nom de la direction. Si cette impression persiste, on ne verra plus les cours comme des arbitres impartiaux, mais comme les instruments utilisés par la société pour imposer des sanctions accablantes aux syndicats et à leurs membres.

Le libellé de l'infraction ne doit pas être général au point qu'elle menace d'autres valeurs importantes pour la société canadienne. On doit tenir compte des droits garantis par la Charte et, particulièrement, de la liberté d'expression. En outre, l'utilisation fréquente de l'outrage criminel risque de rendre la tâche difficile au syndicat qui souhaite expliquer sa position aux médias, particulièrement si, en raison de la publicité, l'outrage civil devient criminel.

Il existait d'autres moyens de faire respecter l'ordonnance de la Commission. Le législateur a conçu un régime complet et équilibré, qui prévoit une échelle des amendes, pour répondre à toute violation d'ordonnances. Le recours à des procédures en matière d'outrage criminel et l'imposition de sanctions accablantes ne sont appropriés que dans les cas de violence ou de menaces de violence grave.

À lui seul, le comportement de la direction du syndicat ne suffisait pas à faire de l'outrage civil un outrage criminel. L'élément de préjudice public était absent de la violation de l'ordonnance. Les infirmiers et infirmières ne présentaient certainement pas une menace de violence, pas plus qu'ils n'ont fait étalage de leur désobéissance. Le manque d'assurance dont la porte‑parole a fait preuve à ce sujet à la conférence de presse démontre que le syndicat n'avait pas l'intention de déconsidérer l'administration de la justice ni d'attirer le mépris sur elle.

L'audience pour outrage criminel est une procédure sommaire, et la preuve contre le défendeur peut être présentée sous forme d'affidavit. Cette procédure ne viole pas, en soi, le droit de l'accusé à un procès équitable, garanti par l'art. 7 de la Charte, dans la mesure où la cour tient l'audience en conformité avec les principes de justice fondamentale. Celle‑ci inclut le droit de contre‑interroger sur la preuve présentée par affidavit à l'audience.

Le droit de l'accusé de contre‑interroger sur la preuve présentée par affidavit ne peut s'étendre à des questions non pertinentes. Toutefois, en règle générale, la question de pertinence ne devrait pas être tranchée préalablement. Le droit de contre‑interroger devrait exister sans conditions préalables. La défense aurait dû être autorisée à contre‑interroger les témoins ayant soumis des affidavits. Il serait erroné en principe d'appliquer les dispositions réparatrices du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code.

Le juge Sopinka (dissident): Le paragraphe 142(7) de la Labour Relations Act de l'Alberta ne transforme pas les directives de la Commission en ordonnances d'une cour de juridiction supérieure de façon à faire intervenir le pouvoir de cette cour de punir l'outrage criminel.

Il importe de distinguer le droit en matière d'outrage criminel de l'outrage civil. L'outrage criminel vise à punir la conduite qui, délibérément, déconsidère l'administration de la justice par les cours; l'outrage civil vise à assurer la conformité à la procédure d'un tribunal dont, notamment, celle d'une cour de justice.

Avant que l'on puisse conclure à la compétence de punir pour outrage criminel, il doit y avoir eu de la part de la cour un acte exercé dans le cours de l'administration de la justice. Celui qui, allègue‑t‑on, a commis un outrage ne peut pas déconsidérer l'administration de la justice par les cours si l'ordonnance à laquelle il a désobéi n'est, en fait, qu'une ordonnance d'un tribunal inférieur, et non de la cour.

La législation provinciale ne peut pas prévoir qu'une ordonnance, qui demeure une directive de la Commission, peut servir de fondement à des procédures en outrage criminel. Puisqu'une telle infraction n'existe pas en common law, une interprétation contraire permettrait à la province d'adopter des lois en matière criminelle, compétence réservée au Parlement. On peut donner au libellé de la disposition un sens qui est conforme aux compétences d'une province.

Les termes "exécutoire" et "jugement" à l'art. 147 sont déterminants. L'exécution peut avoir au moins deux sens: il peut renvoyer à une peine, visant à punir, ou à une procédure visant à l'accomplissement de l'acte requis. Dans ce dernier sens, le terme signifie qu'une amende, ou une autre peine, peut encore être infligée en vue de faire respecter un ordre et non en vue de punir. On a utilisé l'exécution à l'art. 147 dans ce deuxième sens afin que des mesures puissent être prises pour assurer la conformité, plutôt que dans le sens pénal du terme qui met l'accent sur la punition.


Parties
Demandeurs : United Nurses of Alberta
Défendeurs : Alberta (Procureur général)

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge McLachlin
Arrêts examinés: Re Ajax & Pickering General Hospital and Canadian Union of Public Employees (1981), 132 D.L.R. (3d) 270
Citation Industries Ltd. c. United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America, Local 1928 (1988), 53 D.L.R. (4th) 360
arrêts mentionnés: International Brotherhood of Teamsters c. Therien, [1960] R.C.S. 265
Association internationale des débardeurs c. Association des employeurs maritimes, [1979] 1 R.C.S. 120
Young c. C.N.R., [1931] 1 D.L.R. 645
R. c. United Fishermen & Allied Workers Union, [1968] 2 C.C.C. 257, autorisation de pourvoi refusée [1968] R.C.S. 255
British Columbia Telephone Co. c. Telecommunications Workers Union (1981), 121 D.L.R. (3d) 326
New Brunswick Electric Power Commission c. International Brotherhood of Electrical Workers (1977), 16 R.N.‑B. (2d) 161
B.C.G.E.U. c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214
R. c. Jobidon, [1991] 2 R.C.S. 714
Frey c. Fedoruk, [1950] R.C.S. 517
Poje c. Attorney General for British Columbia, [1953] 1 R.C.S. 516
Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220
R. c. Parke, [1903] 2 K.B. 432
R. c. Davies [1906] 1 K.B. 32
Labour Relations Board of Saskatchewan c. John East Ironworks, Ltd., [1949] A.C. 134
Tomko c. Labour Relations Board (N.‑É.), [1977] 1 R.C.S. 112.
Citée par le juge Cory (dissident)
Poje c. Attorney General for British Columbia, [1953] 1 R.C.S. 516
Scott c. Scott, [1913] A.C. 419
R. c. Kopyto (1987), 61 C.R. (3d) 209
SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573
R. c. B.E.S.T. Plating Shoppe Ltd. and Siapas (1987), 32 C.C.C. (3d) 417
R. c. Potvin, [1989] 1 R.C.S. 525
R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421.
Citée par le juge Sopinka (dissident)
B.C.G.E.U. c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214
R. c. Hill (1976), 73 D.L.R. (3d) 621
Poje c. Attorney General for British Columbia, [1953] R.C.S. 516
Société Radio‑Canada c. Commission de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618
Re Ajax & Pickering General Hospital and Canadian Union of Public Employees (1981), 132 D.L.R. (3d) 270
Attorney General c. British Broadcasting Corp., [1980] 3 All E.R. 161
Parklane Private Hospital Ltd. c. B.C. Government Employees Union (1988), 88 C.L.L.C. par. 14,017
Toronto R. Co. c. City of Toronto (1920), 51 D.L.R. 69
Citation Industries Ltd. c. United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America, Local 1928 (1988), 53 D.L.R. (4th) 360
Edmonton General Hospital c. United Nurses of Alberta, Local 79 (1990), 104 A.R. 394
Re Tilco Plastics Ltd. c. Skurjat, [1966] 2 O.R. 547, aff. [1967] 1 O.R. 609
R. c. Green, [1992] 1 R.C.S. 614.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 2b), 7, 11a), g).
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 9, 686(1)b)(iii).
Labour Relations Act, R.S.A. 1980, ch. L‑1.1, art. 142(5)(b), (7), (7.2), 153, 154(1), (2), 155(1), (2), 156a), b), 157.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 96.
Rules of Court (Alberta), Règle 704(1).
Societies Act, R.S.A. 1980, ch. S‑18, art. 1(c).
Doctrine citée
Black's Law Dictionary, 6th ed. St. Paul, Minn.: West, 1990.
Canada. Commission de réforme du droit. Rapport no 17. L'outrage au tribunal. Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1982.
Maxwell, Sir Peter Benson. Maxwell on the Interpretation of Statutes, 12th ed. By P. St. J. Langan. London: Sweet & Maxwell, 1969.

Proposition de citation de la décision: United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901 (16 avril 1992)


Origine de la décision
Date de la décision : 16/04/1992
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1992] 1 R.C.S. 901 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1992-04-16;.1992..1.r.c.s..901 ?
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