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16/04/1992 | CANADA | N°[1992]_1_R.C.S._877

Canada | Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877 (16 avril 1992)


Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877

Glenn WilliamsAppelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: Williams c. Canada

No du greffe: 22116.

1991: 10 octobre; 1992: 16 avril.

Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Stevenson.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1990] 3 C.F. 169, 72 D.L.R. (4th) 336, 109 N.R. 223, 32 C.C.E.L. 1, 90 D.T.C. 6399, [1990] 2 C.T.C. 124, [1991] 2 C.N.L.R. 172, qui a ann

ulé un jugement de la Section de première instance, [1989] 2 C.F. 318, 24 F.T.R. 169, 24 C.C.E.L. 119, 89 D.T.C. 5...

Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877

Glenn WilliamsAppelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: Williams c. Canada

No du greffe: 22116.

1991: 10 octobre; 1992: 16 avril.

Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Stevenson.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1990] 3 C.F. 169, 72 D.L.R. (4th) 336, 109 N.R. 223, 32 C.C.E.L. 1, 90 D.T.C. 6399, [1990] 2 C.T.C. 124, [1991] 2 C.N.L.R. 172, qui a annulé un jugement de la Section de première instance, [1989] 2 C.F. 318, 24 F.T.R. 169, 24 C.C.E.L. 119, 89 D.T.C. 5032, [1989] 1 C.T.C. 117, [1989] 1 C.N.L.R. 184. Pourvoi accueilli et pourvoi incident rejeté.

G. S. Snarch et T. R. Wintjes, pour l'appelant.

David Sgayias, c.r., et Bonnie F. Moon, pour l'intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

//Le juge Gonthier//

Le juge Gonthier — Le présent pourvoi soulève la question du situs des prestations d'assurance‑chômage reçues par un Indien aux fins de l'exemption fiscale prévue à l'art. 87 de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I‑6 (maintenant L.R.C. (1985), ch. I‑5).

I -- Les faits et les procédures

L'appelant a reçu du ministre du Revenu national un avis de cotisation qui incluait dans son revenu, pour l'année d'imposition 1984, certaines prestations d'assurance‑chômage. L'appelant s'est opposé à la cotisation. Le ministre du Revenu national n'a pas fait droit à cette opposition. L'appelant a interjeté appel à la Cour fédérale, siégeant en première instance: [1989] 2 C.F. 318, 24 F.T.R. 169, 24 C.C.E.L. 119, 89 D.T.C. 5032, [1989] 1 C.T.C. 117, [1989] 1 C.N.L.R. 184. L'appel était appuyé d'un exposé conjoint des faits.

Pendant toute la période en cause, l'appelant, un membre de la bande indienne de Penticton, habitait la réserve indienne no 1 de Penticton. En 1984, il a reçu des prestations régulières d'assurance‑chômage auxquelles il était admissible parce qu'il avait travaillé pour une société d'exploitation forestière située sur la réserve, puis pour la bande, sur la réserve, dans le cadre d'un projet "RELAIS". Dans les deux cas, le travail a été accompli sur la réserve, l'employeur était situé sur la réserve et l'appelant a été payé sur la réserve. Pendant la durée de son emploi, l'appelant et ses employeurs ont tous deux contribué au régime d'assurance‑chômage.

Toutes les prestations régulières d'assurance‑chômage ont été versées au moyen de chèques du gouvernement fédéral, postés depuis le centre régional d'informatique de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, situé à Vancouver. (Bien que les instruments de paiement n'aient peut‑être pas été techniquement parlant des chèques, cela ne tire pas à conséquence dans le présent pourvoi.)

Outre les prestations régulières d'assurance‑chômage, l'appelant a reçu des prestations "majorées" versées dans le cadre d'un projet créateur d'emplois, administré par la bande sur la réserve, conformément à un accord écrit entre la bande et la Commission. L'appelant a travaillé, dans le cadre de ce projet qui s'est déroulé sur la réserve, pendant une période au cours de laquelle il aurait, par ailleurs, reçu des prestations régulières. La bande a versé à l'appelant la somme de 60 $ par semaine pendant la durée du programme. Les prestations majorées ont constitué la majeure partie de la rémunération de l'appelant pour sa participation au programme.

L'article 38 de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage, S.C. 1970‑71‑72, ch. 48, autorisait l'établissement de ces programmes de manière générale, sans en restreindre l'application aux Indiens. Les prestations majorées d'assurance‑chômage ont également été versées par le centre régional d'informatique de la Commission, situé à Vancouver.

La question en litige en première instance était de déterminer si les prestations d'assurance‑chômage reçues par l'appelant étaient exemptes d'impôt conformément à l'art. 87 de la Loi sur les Indiens. Quant aux exigences de cet article, il s'agissait de déterminer si les prestations reçues par l'appelant étaient "situées" sur une réserve.

Le juge Cullen a accepté l'argument de l'appelant que le situs des prestations était sur la réserve. Tout en reconnaissant que la jurisprudence antérieure avait mis l'accent sur la résidence du débiteur pour déterminer le situs d'une dette, le juge Cullen a estimé que la résidence du débiteur ne constituait que l'un des "facteurs pertinents" ou "de rattachement" dont il faut tenir compte pour déterminer le situs. En l'espèce, tous les facteurs de rattachement, sauf la résidence du débiteur, donnaient à entendre que le situs de la dette était sur la réserve.

Le juge Cullen a aussi conclu que les prestations majorées d'assurance‑chômage avaient été versées à l'appelant en raison notamment d'un accord entre la bande et le gouvernement, de sorte qu'elles étaient réputées situées sur une réserve en application de l'art. 90 de la Loi sur les Indiens.

En définitive, le juge Cullen a conclu que l'appelant avait prouvé que les dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63, et de la Loi sur les Indiens avaient pour effet d'exempter d'impôt tant les prestations régulières que les prestations majorées d'assurance‑chômage.

L'intimée a interjeté appel du jugement de la Cour fédérale, Section de première instance: [1990] 3 C.F. 169, 72 D.L.R. (4th) 336, 109 N.R. 223, 32 C.C.E.L. 1, 90 D.T.C. 6399, [1990] 2 C.T.C. 124, [1991] 2 C.N.L.R. 172. La Cour d'appel fédérale a établi une distinction entre les prestations régulières et les prestations majorées d'assurance‑chômage dans la détermination de leur assujettissement à l'impôt. Le juge Stone a statué que les prestations régulières ne sont pas exonérées de l'impôt sur le revenu en vertu de l'al. 87b) de la Loi sur les Indiens parce que ce ne sont pas des "biens [. . .] situés sur une réserve". Le juge Stone a rejeté le critère des "facteurs de rattachement" énoncé par le juge de première instance et a affirmé que les arrêts de principe en la matière étaient fondés sur le précepte contractuel bien établi qu'en l'absence d'une intention contraire dans le contrat, c'est la résidence du débiteur qui détermine le situs d'une simple dette contractuelle. En l'espèce, la dette était donc située en dehors de la réserve.

Toutefois, en ce qui concerne les prestations majorées d'assurance‑chômage, la Cour d'appel fédérale a souscrit à l'opinion du juge de première instance que l'al. 90(1)b) peut s'appliquer aux accords aux termes desquels une bande participe simplement à un programme national. La cour a décidé que ces prestations majorées étaient visées par l'al. 90(1)b) et se trouvaient donc exemptes d'impôt.

En conséquence, la Cour d'appel fédérale a accueilli l'appel en partie, annulé le jugement de la Cour fédérale, Section de première instance, et renvoyé l'affaire au ministre du Revenu national afin qu'il établisse une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que les prestations régulières d'assurance‑chômage reçues par l'appelant n'étaient pas exonérées de l'impôt sur le revenu mais que les prestations majorées l'étaient.

II -‑ Les dispositions législatives pertinentes

Les articles ci‑après de la Loi sur les Indiens sont pertinents pour trancher les questions en litige dans le présent pourvoi.

87. Nonobstant toute autre loi du Parlement du Canada ou toute loi de la législature d'une province, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation, à savoir:

a) l'intérêt d'un Indien ou d'une bande dans une réserve ou des terres cédées; et

b) les biens personnels d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve;

et nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation concernant la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage d'un bien mentionné aux alinéas a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l'un de ces biens. Aucun droit de mutation par décès, taxe d'héritage ou droit de succession n'est exigible à la mort d'un Indien en ce qui concerne un bien de cette nature ou la succession audit bien, si ce dernier est transmis à un Indien, et il ne sera tenu compte d'aucun bien de cette nature en déterminant le droit payable, en vertu de la Loi fédérale sur les droits successoraux, chapitre 89 des Statuts revisés du Canada de 1952, ou l'impôt payable en vertu de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès, sur d'autres biens transmis à un Indien ou à l'égard de ces autres biens.

89. (1) Sous réserve de la présente loi, les biens réels et personnels d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve ne peuvent pas faire l'objet d'un privilège, d'un nantissement, d'une hypothèque, d'une opposition, d'une réquisition, d'une saisie ou d'une exécution en faveur ou à la demande d'une personne autre qu'un Indien.

(2) Une personne, qui vend à une bande ou à un membre d'une bande un bien meuble en vertu d'une entente selon laquelle le droit de propriété ou le droit de possession y relatif demeure acquis en tout ou en partie au vendeur, peut exercer ses droits aux termes de l'entente, même si le bien meuble est situé sur une réserve.

90. (1) Pour l'application des articles 87 et 89, les biens personnels qui ont été

a) achetés par Sa Majesté avec des deniers des Indiens ou des fonds votés par le Parlement à l'usage et au profit d'Indiens ou de bandes, ou

b) donnés aux Indiens ou à une bande en vertu d'un traité ou accord entre une bande et Sa Majesté,

sont toujours tenus pour situés sur une réserve.

(2) Toute opération tendant à transporter le titre à un bien considéré, selon le présent article, comme situé sur une réserve, ou tout intérêt dans un semblable bien, est nulle à moins qu'elle n'ait lieu avec le consentement du Ministre ou ne soit conclue entre des membres d'une bande ou entre une bande et l'un de ses membres.

(3) Quiconque conclut une opération déclarée nulle par le paragraphe (2) est coupable d'une infraction; est aussi coupable d'une infraction quiconque détruit, sans le consentement écrit du Ministre, un bien personnel considéré, selon le présent article, comme situé sur une réserve.

L'article ci‑après de la Loi de l'impôt sur le revenu est également pertinent aux fins du présent pourvoi:

56. (1) Sans restreindre la portée générale de l'article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition,

a) toute somme reçue par le contribuable dans l'année au titre, ou en paiement intégral ou partiel,

. . .

(iv) d'une prestation versée en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage . . .

III -‑ Le contexte des questions en litige

Pour décider des éléments servant à déterminer le situs des prestations d'assurance‑chômage en l'espèce, il est nécessaire d'examiner les objets de l'exemption fiscale prévue à l'art. 87 de la Loi sur les Indiens, la nature des prestations en question ainsi que la façon dont l'incidence fiscale joue sur les prestations à taxer.

A -‑ La nature et l'objet de l'exemption fiscale

Le juge La Forest a analysé en profondeur la question de l'objet des art. 87, 89 et 90 dans l'arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85. Il a conclu que ces articles visent à préserver les droits des Indiens sur leurs terres réservées et à assurer que la capacité des gouvernements d'imposer des taxes, ou celle des créanciers de saisir, ne porte pas atteinte à l'utilisation de leurs biens situés sur leurs terres réservées. La conséquence de cette conclusion était que les articles en question ne visent pas à conférer un avantage économique général aux Indiens (aux pp. 130 et 131):

Historiquement, les exemptions de taxe et de saisie ont protégé de deux façons la capacité des Indiens de profiter de cette propriété. Premièrement, elles empêchent qu'un palier de gouvernement, par l'imposition de taxes, puisse porter atteinte à l'intégrité des bénéfices accordés par le palier de gouvernement responsable du contrôle des affaires indiennes. Deuxièmement, la protection contre les saisies assure que l'exécution de jugements obtenus par des non‑Indiens en matière civile ne pourra entraver les Indiens dans la libre jouissance des avantages qu'ils ont acquis ou pourront acquérir conformément à l'exécution par la Couronne de ses obligations prévues par traité. Dans les faits, ces articles ont protégé les Indiens contre l'imposition d'obligations de nature civile qui pouvaient conduire, quoique indirectement, à l'aliénation de leurs terres à la suite de ventes forcées et par d'autres moyens semblables; voir l'examen par le juge Brennan du but des exemptions de taxe accordées aux Indiens en contexte américain dans l'arrêt Bryan v. Itasca County, 426 U.S. 373 (1976), à la p. 391.

En résumé, le dossier historique indique clairement que les art. 87 et 89 de la Loi sur les Indiens, auxquels s'applique la présomption de l'art. 90, font partie d'un ensemble législatif qui fait état d'une obligation envers les peuples autochtones, dont la Couronne a reconnu l'existence tout au moins depuis la signature de la Proclamation royale de 1763. Depuis ce temps, la Couronne a toujours reconnu qu'elle est tenue par l'honneur de protéger les Indiens de tous les efforts entrepris par des non‑Indiens pour les déposséder des biens qu'ils possèdent en tant qu'Indiens, c'est‑à‑dire leur territoire et les chatels qui y sont situés.

Il est également important de souligner la conséquence de la conclusion que je viens de tirer. Le fait que la loi contemporaine, comme sa contrepartie historique, prenne tant de soin pour souligner que les exemptions de taxe et de saisie ne s'appliquent que dans le cas des biens personnels situés sur des réserves démontre que l'objet de la Loi n'est pas de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d'acquérir, de posséder et d'aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens. Un examen des décisions portant sur ces articles confirme que les Indiens qui acquièrent et aliènent des biens situés à l'extérieur des terres réservées à leur usage le font aux mêmes conditions que tous les autres Canadiens.

Le juge La Forest souligne également que la protection contre la saisie est un bien pour un mal en ce qu'elle soustrait du cours ordinaire des opérations commerciales les biens d'un Indien situés sur une réserve (aux pp. 146 et 147).

En conséquence, en vertu de la Loi sur les Indiens, un Indien jouit d'un choix en ce qui concerne ses biens personnels. L'Indien peut situer ces biens sur la réserve, auquel cas les biens sont protégés contre la saisie et la taxation, ou il peut les situer hors de la réserve, auquel cas les biens sont situés à l'extérieur de la zone protégée et peuvent davantage être utilisés dans le cours des opérations commerciales ordinaires dans la société. Il appartient à l'Indien de décider s'il désire bénéficier du système de protection que constitue la réserve ou s'il veut s'intégrer davantage dans l'ensemble du monde des affaires.

Le critère du situs, à l'art. 87, a pour objet de déterminer si l'Indien détient les biens en question en vertu des droits qu'il possède à titre d'Indien sur la réserve. Lorsqu'il est nécessaire de choisir entre diverses méthodes de détermination de l'emplacement des biens pertinents, le choix doit se faire en tenant compte de cet objet.

B ‑- La nature des prestations et l'incidence fiscale

L'article 56 de la Loi de l'impôt sur le revenu porte sur l'imposition du revenu tiré de prestations d'assurance‑chômage. Cet article précise que les prestations d'assurance‑chômage qui sont "reçue[s] par le contribuable dans l'année" doivent être incluses dans le calcul du revenu de ce contribuable. Selon les parties, ce qui est imposé est une dette de la Couronne envers le contribuable au titre de l'assurance‑chômage à laquelle ce dernier est admissible. Ce n'est pas tout à fait le cas puisqu'il y a assujettissement à l'impôt non pas au moment où la dette prend naissance (à supposer que ce soit vraiment une dette), mais plutôt au moment où le montant est reçu par le contribuable. Toutefois, il est exact que l'imposition vise non pas l'argent entre les mains du contribuable, mais bien la réception par celui‑ci de l'argent en question. En conséquence, dans le cas des prestations d'assurance‑chômage, c'est le contribuable qui assume les conséquences fiscales à l'égard de l'opération, c'est‑à‑dire la réception des prestations.

L'arrêt de notre Cour Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, établit que la réception d'un revenu provenant d'un salaire constitue un bien personnel aux fins de l'exemption fiscale prévue par la Loi sur les Indiens. Je ne puis voir aucune différence à cet égard entre le revenu provenant d'un salaire et celui provenant de prestations d'assurance‑chômage; j'estime donc que la réception d'un revenu provenant de prestations d'assurance‑chômage constitue également un bien personnel aux fins de la Loi sur les Indiens.

L'arrêt Nowegijick établit également que l'inclusion d'un bien personnel dans le calcul du revenu d'un contribuable donne lieu à un impôt à l'égard de ce bien personnel au sens de la Loi sur les Indiens, bien qu'il s'agisse d'un impôt personnel plutôt que d'un impôt direct sur les biens.

En conséquence, la plupart des exigences de l'art. 87 de la Loi sur les Indiens ont clairement été remplies en l'espèce. La réception des prestations d'assurance‑chômage constitue un bien personnel. Ce bien appartient à un Indien. L'Indien est imposé quant à ce bien, car il est inclus dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition. Il reste maintenant à savoir si le bien en question est situé sur une réserve.

Puisque c'est la réception de la prestation qui est imposée, le plus simple serait de faire valoir que le situs de la réception de la prestation est l'endroit où elle est reçue, ce qui serait généralement la résidence du contribuable. Toutefois, la Loi de l'impôt sur le revenu vient restreindre le sens du terme "reçue" au moyen de l'expression "dans l'année". Cela donne à entendre que la notion de "réception" dans la Loi de l'impôt sur le revenu vise davantage le moment plutôt que l'endroit où le revenu est reçu. Ainsi, outre le fait que l'incidence fiscale se rattache à l'opération elle‑même, plutôt qu'à l'argent entre les mains de l'employeur ou du contribuable, cette notion de réception a peu d'importance dans le présent contexte.

C -‑ Commentaires sur le critère de la "résidence du débiteur"

Selon la jurisprudence antérieure, la résidence du débiteur, c'est‑à‑dire la personne qui paie le revenu, constitue un facteur d'importance primordiale lorsqu'il s'agit de déterminer le situs de ce genre de bien. C'est ce qu'a clairement affirmé le juge en chef adjoint Thurlow dans la décision La Reine c. National Indian Brotherhood, [1979] 1 C.F. 103 (1re inst.), à la p. 109:

Un droit incorporel, comme le droit à un traitement, n'a véritablement pas de situs. Mais lorsque, pour une fin déterminée, la loi a jugé nécessaire de lui en attribuer un, et en l'absence de toute disposition contraire dans le contrat ou dans tout autre document, les tribunaux ont établi que le situs d'une simple dette contractuelle est la résidence du débiteur ou le lieu où il se trouve. Voir Cheshire, Private International Law, 7e édition, pages 420 et suivantes.

Cette conclusion a également été citée et approuvée par notre Cour dans l'arrêt Nowegijick c. La Reine, précité, à la p. 34:

Sa Majesté a reconnu au cours des plaidoiries, avec raison selon moi, que le situs du salaire de M. Nowegijick était la réserve parce que c'est là où la débitrice, Gull Bay Development Corporation, avait sa résidence ou son lieu d'affaires et parce que c'est là que le salaire devait être payé. Voir Cheshire et North, Private International Law (10e éd., 1979), aux pp. 536 et suiv. et aussi le jugement du juge en chef adjoint Thurlow dans l'affaire R. c. National Indian Brotherhood, [1979] 1 C.F. 103, particulièrement aux pp. 109 et suivantes.

La seule justification mentionnée, dans ces arrêts, à l'appui du choix de la résidence du débiteur comme situs d'une dette est qu'il s'agit là de la règle appliquée en droit international privé. La justification de cette règle en droit international privé est que c'est à la résidence du débiteur que l'on peut normalement faire exécuter le paiement d'une dette. Cheshire et North, dans Private International Law (11e éd. 1987), citent les propos du lord juge Atkin dans l'arrêt New York Life Insurance Co. c. Public Trustee, [1924] 2 Ch. 101 (C.A.), à la p. 119:

[traduction] . . . on a choisi la résidence du débiteur pour déterminer l'emplacement de la dette parce que c'était là que le créancier pouvait véritablement faire exécuter le paiement de la dette.

Dicey et Morris adoptent la même explication dans The Conflict of Laws (11e éd. 1987), vol. 2, à la p. 908, ainsi que Castel dans Canadian Conflict of Laws (2e éd. 1986), à la p. 401. Cela peut être raisonnable pour les fins générales du droit international privé. Cependant, il faut s'interroger sur son utilité aux fins qui sous‑tendent l'exemption fiscale prévue dans la Loi sur les Indiens.

L'intimée prétend que le situs de la réception des prestations d'assurance‑chômage devrait être déterminé de la même manière que le droit international privé détermine le situs d'une dette. Le débiteur est la Couronne fédérale ou la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada et ni l'une ni l'autre ne réside sur une réserve; en conséquence, la réception des prestations n'est pas située sur la réserve.

Selon l'appelant, bien qu'elles mettent l'accent sur la résidence du débiteur, les affaires National Indian Brotherhood et Nowegijick laissent ouverte la possibilité de tenir compte d'autres facteurs. Par exemple, la décision National Indian Brotherhood mentionne également "toute disposition contraire dans le contrat ou dans tout autre document" et l'arrêt Nowegijick parle du lieu où doit être versé le salaire. Il est donc loisible aux tribunaux d'examiner ces facteurs et d'autres éléments lorsqu'il s'agit de déterminer le situs d'une dette aux fins de cette exemption.

Cependant, l'intimée prétend que les autres facteurs visés dans les affaires National Indian Brotherhood et Nowegijick sont simplement des facteurs utilisés en droit international privé, lorsque le débiteur a plus d'une résidence et qu'il s'avère nécessaire d'en choisir une parmi celles‑ci (voir Castel, op. cit., aux pp. 401 et 402, et Cheshire et North, op. cit., aux pp. 804 et 805). C'est le critère de la résidence du débiteur qui demeurerait alors l'élément principal.

En répondant à cette question, il est évident qu'il serait complètement contraire à l'économie et aux objets de la Loi sur les Indiens et de la Loi de l'impôt sur le revenu d'adopter simplement les principes généraux du droit international privé dans le présent contexte. En effet, les objets du droit international privé ont peu sinon rien en commun avec ceux qui sous‑tendent la Loi sur les Indiens. On ne voit pas en quoi le lieu d'exécution normal d'une dette est pertinent pour décider si l'imposition de la réception du paiement de la dette représenterait une atteinte aux droits détenus par un Indien à titre d'Indien sur une réserve. Le critère du situs en vertu de la Loi sur les Indiens doit être interprété conformément aux objets de cette loi et non à ceux du droit international privé. En conséquence, il faut réexaminer attentivement, en fonction des objets de la Loi sur les Indiens, si l'on doit retenir la résidence du débiteur comme facteur exclusif pour déterminer le situs de prestations comme celles qui ont été versées en l'espèce. Il se peut que la résidence du débiteur demeure un facteur important, voire même le seul. Toutefois, on ne peut arriver directement à cette conclusion à partir d'une analyse de la façon dont le droit international privé tranche cette question.

IV -‑ Le critère approprié

Puisque l'opération en vertu de laquelle un contribuable reçoit des prestations d'assurance‑chômage ne constitue pas un bien matériel, la méthode par laquelle on pourrait en déterminer le situs ne saute pas aux yeux. Dans un sens, le problème est que l'opération n'a pas de situs. Toutefois, dans un autre sens, le problème est qu'elle en compte trop. Il y a le situs du débiteur, le situs du créancier, le situs du versement du paiement, le situs de l'emploi donnant droit au revenu en question et le situs de l'utilisation du paiement, et d'autres sans doute. Il faut ensuite déterminer quel est le lieu pertinent ou encore quelle est la combinaison de ces facteurs qui détermine le lieu de l'opération.

Selon l'appelant, un tribunal se doit, dans chaque cas, de soupeser tous les "facteurs de rattachement" pertinents pour décider quel est le situs de la réception d'un revenu. Cette méthode aurait l'avantage d'être souple, mais elle devrait être utilisée avec soin afin d'éviter plusieurs possibilités d'embûche. Dans l'interprétation des exemptions fiscales, il est souhaitable de concevoir des critères dont l'application est prévisible de sorte que les contribuables concernés puissent planifier leurs affaires en conséquence. Cela est également important puisque les mêmes critères régissent l'exemption de saisie.

De plus, il serait dangereux de soupeser les facteurs de rattachement de manière abstraite, indépendamment de l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens. Un facteur de rattachement n'est pertinent que dans la mesure où il identifie l'emplacement du bien en question aux fins de la Loi sur les Indiens. Dans des catégories particulières de cas, un facteur de rattachement peut donc avoir beaucoup plus de poids qu'un autre. On pourrait facilement perdre cette réalité de vue en soupesant les facteurs de rattachement cas par cas.

Cependant, un critère trop rigide qui accorderait une force déterminante à un ou deux facteurs comporte ses propres possibilités d'embûche. Un tel critère donnerait ouverture à des manipulations et à des abus et, en étant axé sur trop peu de facteurs, il pourrait ne pas donner effet aux objectifs de l'exemption contenue dans la Loi sur les Indiens aussi facilement qu'un critère qui est axé indifféremment sur un trop grand nombre de facteurs.

La méthode qui tient le mieux compte de ces préoccupations est celle qui analyse la situation sous le rapport des catégories de biens et des types d'imposition. Par exemple, la pertinence des facteurs de rattachement peut varier selon qu'il s'agit de prestations d'assurance‑chômage, de revenu d'emploi ou de prestations de pension. Il faut d'abord identifier les divers facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents. On doit ensuite analyser ces facteurs pour déterminer le poids à leur accorder afin d'identifier l'emplacement du bien, en tenant compte de trois choses: (1) l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, (2) le genre de bien en cause et (3) la nature de l'imposition de ce bien. Il s'agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l'imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l'Indien à titre d'Indien sur une réserve.

Cette méthode conserve la souplesse de la méthode cas par cas, mais à l'intérieur d'un cadre qui identifie correctement le poids à accorder à divers facteurs de rattachement. Il est évident que ce poids ne peut être déterminé avec précision. Cette méthode a cependant l'avantage de préserver la capacité de traiter de façon appropriée les cas qui, à l'avenir, présenteront des considérations jusque‑là non évidentes.

A -‑ Le critère du situs des prestations d'assurance‑chômage

Les prestations d'assurance‑chômage constituent une assurance de remplacement de revenu, dont le montant est versé à une personne en chômage, à certaines conditions. Bien qu'on les qualifie souvent de "prestations" d'assurance‑chômage, le régime est fondé sur les cotisations des employeurs et des employés. Ces cotisations sont elles‑mêmes déductibles tant pour l'employeur que pour l'employé.

Il existe plusieurs facteurs de rattachement susceptibles d'être pertinents pour déterminer le lieu de la réception de prestations d'assurance‑chômage. On a proposé les suivants: la résidence du débiteur, la résidence de la personne qui reçoit les prestations, l'endroit où celles‑ci sont versées et l'emplacement du revenu d'emploi ayant donné droit aux prestations. On est naturellement porté à appliquer le critère traditionnel, savoir la résidence du débiteur. En l'espèce, le débiteur est la Couronne fédérale, par l'intermédiaire de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada. En se fondant sur l'art. 11 de la Loi sur le ministère et sur la Commission de l'emploi et de l'immigration, S.C. 1976‑77, ch. 54 (maintenant L.R.C. (1985), ch. E‑5, art. 17), qui prévoit que le siège de la Commission est situé dans la région de la Capitale nationale, la Commission prétend que la résidence du débiteur, en l'espèce, est Ottawa.

Cependant, l'établissement du situs d'un organisme de la Couronne à un endroit particulier du Canada présente des difficultés de nature conceptuelle. Dans la plupart des cas, il n'est pas nécessaire d'établir le situs de la Couronne. En droit international privé, le situs est utile pour régler les questions de compétence et celles du choix du droit applicable. En ce qui concerne la Couronne, ces questions ne se posent pas car elle est omniprésente au Canada et peut être poursuivie partout au pays. Les prestations d'assurance‑chômage sont aussi disponibles partout au Canada, à tout Canadien qui y est admissible. En conséquence, les objets qui sous‑tendent la détermination du situs d'un citoyen ordinaire ne s'appliquent pas à la Couronne et, notamment, à la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada en ce qui concerne la réception des prestations d'assurance‑chômage.

Cela ne signifie pas nécessairement que l'emplacement matériel de la Couronne est sans importance pour ce qui est des objets sous‑jacents de l'exemption fiscale prévue par la Loi sur les Indiens. Toutefois, cela laisse supposer que l'importance de la Couronne comme source des paiements visés en l'espèce réside peut‑être davantage dans la nature spéciale de la politique d'ordre public à la base des paiements, plutôt que dans le situs de la Couronne, en supposant qu'il soit possible de le déterminer. Par conséquent, la résidence du débiteur est un facteur de rattachement dont l'importance est limitée dans le contexte des prestations d'assurance‑chômage. Pour des raisons semblables, l'endroit où les prestations sont versées est d'une importance limitée dans ce contexte.

Cela nous laisse deux facteurs à examiner: la résidence de la personne qui reçoit les prestations et l'emplacement du revenu d'emploi ayant donné droit à celles‑ci. Pour évaluer l'importance du second facteur, soit le lieu de l'emploi donnant droit aux prestations, il est nécessaire d'analyser plus en profondeur la nature des prestations d'assurance‑chômage et de leur imposition.

Dans l'arrêt Tétreault‑Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, à la p. 41, notre Cour cite les propos du juge Lacombe, dans cette affaire, suivant lesquels la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage a pour objet "d'établir un régime d'assurance sociale aux fins d'indemniser les chômeurs pour la perte de revenus provenant de leur emploi et d'assurer leur sécurité économique et sociale pendant un certain temps et les aider ainsi à retourner sur le marché du travail". Il ressort de ce passage que l'objet des prestations d'assurance‑chômage est orienté vers le passé, le présent et l'avenir. L'admissibilité aux prestations dépend de l'exercice, dans le passé, d'un emploi donnant droit aux prestations. Ces prestations visent à fournir un revenu et une sécurité pour le présent, en remplacement du revenu d'emploi perdu. Cependant, les prestations sont également orientées vers l'avenir en ce qu'elles permettent au bénéficiaire de trouver un nouvel emploi, sans souffrir de privations et tout en éprouvant un sentiment de sécurité.

En conséquence, il existe un lien entre la réception des prestations et le lieu de l'emploi à l'origine du versement de ces prestations. Toutefois, on ne saurait soutenir que les prestations d'assurance‑chômage sont exclusivement orientées vers le passé. Elles ne constituent pas une forme de rémunération différée.

Le régime fiscal global applicable aux cotisations et aux prestations d'assurance‑chômage mérite d'être examiné plus en profondeur à cet égard. Comme je l'ai mentionné, le régime d'assurance‑chômage est fondé sur les cotisations. Ce régime veut que les cotisations reçues correspondent généralement, dans l'ensemble, aux prestations versées. Cela n'implique pas que le régime s'autofinance entièrement. Cependant, il est plus juste de qualifier une prestation d'assurance‑chômage de paiement fait grâce aux cotisations d'employés plutôt que de prestation versée à même les recettes générales du gouvernement.

Cela devient important dans l'analyse des incidences fiscales du régime d'assurance‑chômage. La façon de traiter les cotisations et les prestations sur le plan fiscal est la suivante: les employés qui paient des cotisations peuvent en déduire le montant de leur revenu imposable, tandis que les chômeurs qui reçoivent des prestations doivent les inclure dans le calcul de leur revenu imposable. En permettant de déduire les cotisations du revenu imposable et en prescrivant l'inclusion des prestations dans le calcul du revenu imposable, on réduit l'effet du régime d'assurance‑chômage sur les recettes fiscales générales. La perte de recettes fiscales subie par le gouvernement par suite de la déductibilité des cotisations est compensée par les revenus tirés de l'imposition des prestations. Cela ne signifie pas que le régime d'assurance‑chômage n'a aucun effet sur les recettes fiscales, étant donné qu'il se peut que, dans l'ensemble, les cotisations ne correspondent pas exactement aux prestations versées et qu'on ne saurait ignorer l'effet de différents taux d'imposition. Toutefois, il est évident que le régime établi par le Parlement visait en principe à réduire au minimum les incidences fiscales de l'assurance‑chômage.

Vu que les prestations d'assurance‑chômage sont fonction des cotisations découlant de l'emploi antérieur et non des recettes fiscales générales, il y a un lien étroit entre l'emploi antérieur et les prestations. La façon dont les prestations d'assurance‑chômage sont traitées sur le plan fiscal renforce davantage ce lien puisqu'il y a concordance de traitement en matière d'imposition des cotisations et des prestations en ce que les cotisations sont déductibles mais les prestations imposables, ce qui a pour effet de réduire l'influence du régime d'assurance‑chômage sur les recettes fiscales générales.

L'emplacement du revenu d'emploi donnant droit aux prestations est donc un facteur important pour déterminer si l'imposition des prestations subséquentes porterait atteinte aux droits détenus par un Indien à titre d'Indien sur la réserve. En effet, dans le cas d'un Indien dont le revenu d'emploi qui donne droit à des prestations était situé sur la réserve, la concordance entre les incidences fiscales des cotisations et des prestations disparaît car, pour cet Indien, le revenu d'emploi initial était exonéré d'impôt. L'impôt payé sur les prestations subséquentes fait donc plus que compenser les économies d'impôt réalisées grâce au versement de cotisations. Il s'agit plutôt d'une atteinte aux droits engendrés par le fait que l'Indien travaillait sur la réserve.

De plus, puisque la durée et le montant des prestations sont liés aux conditions d'emploi pendant une période précise, c'est l'emplacement du revenu d'emploi donnant droit aux prestations durant cette période qui est pertinent.

Compte tenu de l'importance de l'emplacement du revenu d'emploi donnant droit aux prestations en tant que facteur dont il faut tenir compte pour identifier l'emplacement des prestations d'assurance‑chômage, le facteur restant, c'est‑à‑dire la résidence de la personne qui reçoit les prestations au moment de leur réception, ne peut avoir d'importance que s'il indique un emplacement différent de celui de l'emploi qui a rendu admissible aux prestations.

B -‑ Le situs des prestations d'assurance‑chômage de l'appelant

En l'espèce, l'appelant résidait sur la réserve quand il a reçu les prestations.

Les parties ont présumé que l'emploi antérieur de l'appelant qui l'a rendu admissible aux prestations d'assurance‑chômage était également situé sur la réserve puisque les deux employeurs en question étaient situés sur la réserve. Il faut réexaminer cette question à la lumière de notre décision que les principes de droit international privé ne permettent pas de tirer cette conclusion en toute confiance.

Cependant, il ne s'agit pas d'un cas qui justifie de définir un critère pour déterminer le situs de la réception d'un revenu d'emploi. Tous les facteurs possibles de rattachement indiquent la réserve comme lieu de l'emploi de l'appelant qui l'a rendu admissible aux prestations. L'employeur était situé sur la réserve, le travail a été accompli sur la réserve, l'appelant habitait la réserve et c'est sur la réserve qu'il a été payé. Un critère permettant de déterminer le situs d'un revenu d'emploi ne saurait donc être conçu que dans l'abstrait en l'espèce, puisque les facteurs pertinents ne s'opposent pas vraiment. Il en serait également ainsi de tout examen de l'importance, s'il en est, à accorder à la résidence de l'appelant au moment de la réception des prestations, car elle était également sur la réserve.

En outre, comme il ressort de notre analyse du critère applicable pour déterminer le situs des prestations d'assurance‑chômage, la formulation d'un critère permettant de déterminer l'emplacement d'un bien incorporel en vertu de la Loi sur les Indiens est une entreprise complexe. Dans le contexte de l'assurance‑chômage, nous avons été en mesure de mettre l'accent sur certaines caractéristiques du régime et sur ses incidences fiscales pour identifier un facteur ayant une importance particulière. Il n'est pas évident que cela soit possible dans le contexte d'un revenu d'emploi, ni qu'on soit en mesure de dire quelles caractéristiques du revenu d'emploi et de son imposition devraient être examinées à cette fin.

En conséquence, pour les fins de ce pourvoi, nous notons simplement que l'emploi de l'appelant, qui l'a rendu admissible aux prestations d'assurance‑chômage, était clairement situé sur la réserve, quel que soit le critère retenu pour déterminer le situs du revenu d'emploi. Parce que l'emploi donnant droit aux prestations était situé sur la réserve, les prestations reçues l'étaient aussi. La question de la pertinence de la résidence de la personne qui reçoit les prestations au moment de leur réception ne se pose pas en l'espèce puisqu'elle était également sur la réserve.

C -‑ Le situs des prestations majorées d'assurance‑chômage

Aux termes du par. 38(3) de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage, les prestations majorées doivent être considérées comme des prestations d'assurance‑chômage aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu:

38. . . .

(3) Aux fins de la présente Partie, toute semaine au cours de laquelle un prestataire occupe un poste dans un projet créateur d'emplois et reçoit des prestations en vertu du paragraphe (2), est considérée comme une semaine de chômage et, aux fins de la présente Partie, de la Partie IV, de la Loi de l'impôt sur le revenu et du Régime de pensions du Canada les prestations reçues par un prestataire ne sont pas considérées comme rémunération provenant d'un emploi.

C'est également la façon dont les prestations majorées devraient être qualifiées aux fins de l'exemption fiscale prévue dans la Loi sur les Indiens, puisque ceci ne fait que refléter la réalité de la situation. L'appelant était admissible à participer au programme créateur d'emplois seulement parce qu'il avait reçu des prestations régulières d'assurance‑chômage, c'est‑à‑dire à cause de son emploi antérieur qui était terminé. Les prestations qu'il a continué de recevoir n'auraient pas cessé s'il avait quitté son emploi dans le cadre du programme. Le programme lui‑même était situé sur la réserve. En conséquence, la conclusion que les prestations d'assurance‑chômage reçues par l'appelant étaient situées sur la réserve s'applique à la fois aux prestations régulières et aux prestations majorées.

À des fins autres que l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu, les prestations majorées d'assurance‑chômage peuvent être qualifiées d'une façon différente (voir l'arrêt YMHA Jewish Community Centre of Winnipeg Inc. c. Brown, [1989] 1 R.C.S. 1532). De même, la portion du revenu du chômeur qui lui est versée directement par l'employeur dans le cadre du programme créateur d'emplois ne constitue pas en soi une prestation d'assurance‑chômage et devrait être simplement qualifiée de revenu d'emploi.

La Cour fédérale s'est également demandée si l'accord à l'origine du versement des prestations majorées d'assurance‑chômage constituait le genre d'accord visé à l'art. 90 de la Loi sur les Indiens. Vu notre conclusion que les prestations majorées d'assurance‑chômage étaient, en tout état de cause, situées sur la réserve, nous n'avons pas à analyser cette question.

V -‑ Conclusion

Pour déterminer le situs d'un bien personnel incorporel, un tribunal doit évaluer divers facteurs de rattachement qui relient le bien à un endroit ou à l'autre. Dans le contexte de l'exemption fiscale prévue dans la Loi sur les Indiens, il y a trois facteurs importants: l'objet de l'exemption, la nature du bien en question et l'incidence fiscale sur ce bien. Compte tenu de l'objet de l'exemption, il s'agit, en fin de compte, de déterminer dans quelle mesure chaque facteur est pertinent pour décider si le fait d'imposer d'une certaine manière ce type de bien particulier porterait atteinte au droit d'un Indien à titre d'Indien de détenir des biens personnels sur la réserve.

En ce qui concerne les prestations d'assurance‑chômage reçues par l'appelant, un facteur particulièrement important est le lieu de l'emploi qui l'a rendu admissible aux prestations. En l'espèce, la réserve était le lieu de l'emploi donnant droit aux prestations et, en conséquence, les prestations reçues par l'appelant étaient aussi situées sur la réserve. La question de la pertinence de la résidence de la personne qui reçoit les prestations au moment de leur réception ne se pose pas en l'espèce.

Par conséquent, le pourvoi est accueilli et le pourvoi incident rejeté, avec dépens dans toutes les cours. L'affaire est renvoyée au ministre du Revenu national aux fins d'une nouvelle cotisation tenant compte du fait que toutes les prestations d'assurance‑chômage en cause sont exemptes d'impôt.

Pourvoi accueilli et pourvoi incident rejeté.

Procureurs de l'appelant: Snarch & Allen, Vancouver.

Procureur de l'intimée: Le sous‑procureur général du Canada, Ottawa.


Synthèse
Référence neutre : [1992] 1 R.C.S. 877 ?
Date de la décision : 16/04/1992
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et le pourvoi incident est rejeté

Analyses

Impôt sur le revenu - Exemptions - Prestations régulières et majorées d'assurance‑chômage reçues par un Indien habitant une réserve - Indien admissible aux prestations en raison du travail effectué sur la réserve - Critère du situs des prestations d'assurance‑chômage - Les prestations sont‑elles exemptes d'impôt en vertu de la Loi sur les Indiens? - Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I‑6, art. 87 - Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63, art. 56(1)a)(iv).

Indiens - Taxation - Exemptions - Prestations régulières et majorées d'assurance‑chômage reçues par un Indien habitant une réserve - Indien admissible aux prestations en raison du travail effectué sur la réserve - Critère du situs des prestations d'assurance‑chômage - Les prestations sont‑elles exemptes d'impôt en vertu de la Loi sur les Indiens? - Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I‑6, art. 87 - Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63, art. 56(1)a)(iv).

En 1984, l'appelant, un membre d'une bande indienne, a reçu des prestations régulières d'assurance‑chômage auxquelles il était admissible parce qu'il avait travaillé pour une société d'exploitation forestière, puis pour la bande dans le cadre d'un projet "RELAIS". Dans les deux cas, le travail a été accompli sur la réserve, l'employeur était situé sur la réserve et l'appelant a été payé sur la réserve. Outre les prestations régulières d'assurance‑chômage, l'appelant a reçu des prestations "majorées" versées dans le cadre d'un projet créateur d'emplois, administré par la bande sur la réserve, conformément à un accord écrit entre la bande et la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada. Les prestations régulières et majorées ont été versées par le centre régional d'informatique de la Commission, situé à Vancouver.

L'appelant a reçu du ministre du Revenu national un avis de cotisation qui incluait dans son revenu, pour l'année d'imposition 1984, les prestations régulières et les prestations majorées d'assurance‑chômage. L'appelant s'est opposé à la cotisation, mais le ministre n'a pas fait droit à cette opposition. L'appelant a alors interjeté appel à la Section de première instance de la Cour fédérale qui a conclu qu'en vertu de la Loi sur les Indiens, tant les prestations régulières que les prestations majorées d'assurance‑chômage étaient exemptes d'impôt. La Cour d'appel fédérale a annulé ce jugement et décidé que seules les prestations majorées étaient exemptes d'impôt. Le présent pourvoi soulève la question du situs des prestations d'assurance‑chômage reçues par un Indien aux fins de l'exemption fiscale prévue à l'art. 87 de la Loi sur les Indiens.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli et le pourvoi incident est rejeté.

Le situs de la réception des prestations d'assurance‑chômage ne peut être déterminé de la même manière que le droit international privé détermine le situs d'une dette. Il serait complètement contraire à l'économie et aux objets de la Loi sur les Indiens et de la Loi de l'impôt sur le revenu d'adopter simplement les principes généraux du droit international privé et d'appliquer le critère de la "résidence du débiteur" dans le présent contexte. Bien que la résidence du débiteur puisse demeurer un facteur important, voire même le seul, on ne saurait arriver directement à cette conclusion à partir d'une analyse de la façon dont le droit international privé tranche cette question.

Pour déterminer le situs d'un bien personnel incorporel, il faut qu'un tribunal évalue divers facteurs de rattachement qui relient le bien à un endroit ou à l'autre. Dans le contexte de l'exemption fiscale prévue dans la Loi sur les Indiens, les facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents devraient être évalués en fonction de trois choses importantes: l'objet de l'exemption, le genre de bien en cause et l'incidence fiscale sur ce bien. Compte tenu de l'objet de l'exemption, il s'agit de déterminer dans quelle mesure chaque facteur de rattachement est pertinent pour décider si le fait d'imposer d'une certaine manière ce type de bien particulier porterait atteinte au droit d'un Indien à titre d'Indien de détenir des biens personnels sur la réserve.

Le lieu de l'emploi qui a rendu admissible aux prestations d'assurance-chômage constitue un facteur particulièrement utile pour déterminer le situs des prestations. Il y a un lien étroit entre l'emploi antérieur et les prestations. Les prestations sont fonction des cotisations découlant de l'emploi antérieur et non des recettes fiscales générales, et la durée et le montant des prestations sont liés aux conditions d'emploi pendant une période précise. La façon dont les prestations d'assurance‑chômage sont traitées sur le plan fiscal renforce davantage ce lien puisqu'il y a concordance de traitement en matière d'imposition des cotisations et des prestations en ce que les cotisations sont déductibles mais les prestations imposables. Toutefois, dans le cas d'un Indien dont le revenu d'emploi qui donne droit à des prestations était situé sur la réserve, la concordance entre les incidences fiscales des cotisations et des prestations disparaît. Le revenu d'emploi initial était exonéré d'impôt et l'impôt payé sur les prestations subséquentes fait donc plus que compenser les économies d'impôt réalisées grâce au versement de cotisations. Il s'agit d'une atteinte aux droits engendrés par le fait que l'Indien travaillait sur la réserve.

En l'espèce, vu que la réserve était le lieu de l'emploi donnant droit aux prestations, les prestations reçues par l'appelant étaient elles aussi situées sur la réserve. La même conclusion vaut pour les prestations majorées. L'appelant était admissible à participer au programme créateur d'emplois seulement parce qu'il avait reçu des prestations régulières d'assurance‑chômage, c'est‑à‑dire à cause de son emploi antérieur qui était terminé. Il s'ensuit que les prestations tant régulières que majorées étaient exemptes d'impôt conformément à l'art. 87 de la Loi sur les Indiens.

La question de la pertinence de la résidence de la personne qui reçoit les prestations au moment de leur réception ne se pose pas en l'espèce puisqu'elle était également sur la réserve. La résidence du débiteur et l'endroit où les prestations sont versées sont des facteurs de rattachement dont l'importance est limitée dans le contexte des prestations d'assurance‑chômage.


Parties
Demandeurs : Williams
Défendeurs : Canada

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés: Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85
Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29
La Reine c. National Indian Brotherhood, [1979] 1 C.F. 103
New York Life Insurance Co. c. Public Trustee, [1924] 2 Ch. 101
Tétreault‑Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22
YMHA Jewish Community Centre of Winnipeg Inc. c. Brown, [1989] 1 R.C.S. 1532.
Lois et règlements cités
Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage, S.C. 1970‑71‑72, ch. 48, art. 38(3) [aj. 1976‑77, ch. 54, art. 41].
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63, art. 56(1)a)(iv) [mod. 1977-78, ch. 1, art. 101
mod. 1980‑81‑82‑83, ch. 140, art. 26].
Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I‑6, art. 87 [mod. 1980‑81‑82‑83, ch. 47, art. 25], 89, 90.
Loi sur le ministère et sur la Commission de l'emploi et de l'immigration, S.C. 1976‑77, ch. 54, art. 11.
Doctrine citée
Castel, J.‑G. Canadian Conflict of Laws, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1986.
Cheshire, G. C. and P. M. North. Private International Law, 11th ed. By P. M. North and J. J. Fawcett. London: Butterworths, 1987.
Dicey, A. V. and J. H. C. Morris. The Conflict of Laws, vol. 2, 11th ed. By Lawrence Collins and Others. London: Stevens & Sons, 1987.

Proposition de citation de la décision: Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877 (16 avril 1992)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1992-04-16;.1992..1.r.c.s..877 ?
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