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26/09/1991 | CANADA | N°[1991]_2_R.C.S._779

Canada | Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779 (26 septembre 1991)


Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779

Joseph John Kindler Appelant

c.

M. John Crosbie, ministre de la Justice

et procureur général du Canada Intimé

et

Amnistie internationale Intervenante

Répertorié: Kindler c. Canada (ministre de la Justice)

No du greffe: 21321.

1991: 21 février; 1991: 26 septembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de l

a Cour d'appel fédérale, [1989] 2 C.F. 492, 91 N.R. 359, 46 C.C.C. (3d) 257, 69 C.R. (3d) 38, 42 C.R.R. 262, qui a confirmé un jugem...

Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779

Joseph John Kindler Appelant

c.

M. John Crosbie, ministre de la Justice

et procureur général du Canada Intimé

et

Amnistie internationale Intervenante

Répertorié: Kindler c. Canada (ministre de la Justice)

No du greffe: 21321.

1991: 21 février; 1991: 26 septembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1989] 2 C.F. 492, 91 N.R. 359, 46 C.C.C. (3d) 257, 69 C.R. (3d) 38, 42 C.R.R. 262, qui a confirmé un jugement de la Section de première instance, [1987] 2 C.F. 145, 8 F.T.R. 222, 34 C.C.C. (3d) 78. Pourvoi rejeté, le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et Cory sont dissidents.

Julius H. Grey et Cheryl A. Buckley, pour l'appelant.

Douglas J. A. Rutherford, c.r., et Graham Garton, c.r., pour l'intimé.

David Matas et Emilio S. Binavince, pour l'intervenante Amnistie internationale.

Version française des motifs du juge en chef Lamer et du juge Sopinka rendus par

//Le juge Sopinka//

Le juge Sopinka (dissident) -- J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mes collègues les juges Cory, McLachlin et La Forest. J'arrive au même résultat que le juge Cory mais pour des motifs différents.

Les faits sont énoncés par le juge Cory. La question soulevée par le présent pourvoi est de savoir si la décision du ministre de la Justice d'extrader l'appelant aux États‑Unis, sans obtenir au préalable la garantie que la peine de mort ne sera pas infligée ou, si elle l'est, ne sera pas appliquée, viole les droits de l'appelant conférés par l'art. 7 ou l'art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Bien que je convienne avec le juge Cory que la peine de mort, en soi, constitue une peine cruelle et inusitée, je préfère ne pas trancher la question de savoir si l'art. 12 de la Charte s'applique parce que, à mon avis, l'art. 7 s'applique clairement et est la disposition appropriée pour trancher le présent pourvoi. Mes collègues, les juges La Forest et McLachlin, ont conclu que l'art. 12 de la Charte ne s'applique pas parce que la peine de mort serait infligée à l'extérieur du Canada. Selon mon interprétation de leurs motifs, ils admettent que l'art. 7 s'applique à la décision du ministre mais concluent qu'il n'y a pas de violation des principes de justice fondamentale. Je ne suis pas d'accord avec cette dernière conclusion et je limiterai mes motifs à l'examen de cette question.

L'extradition d'un fugitif passible de la peine de mort prive celui‑ci de la liberté et de la sécurité de sa personne, ce qui entraîne l'application de l'art. 7 de la Charte. Cette privation est‑elle conforme aux principes de justice fondamentale?

Notre Cour a reconnu que le traitement que l'État étranger réservera au fugitif extradé peut être contraire aux principes de justice fondamentale. Dans Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500, le juge La Forest pour le compte de la majorité, a dit (à la p. 522):

Je ne doute pas non plus que dans certaines situations le traitement que l'État étranger réservera au fugitif extradé, que ce traitement soit ou non justifiable en vertu des lois de ce pays‑là, peut être de telle nature que ce serait une violation des principes de justice fondamentale que de livrer un accusé dans ces circonstances. À ce propos, il suffit de se référer à une affaire portée devant la Commission européenne des droits de l'homme, Altun v. Germany (1983), 5 E.H.R.R. 611, dans laquelle il a été établi que des poursuites dans le pays requérant pourraient comprendre le recours à la torture. Il est fort possible que se présentent des cas bien moins graves où la nature des procédures criminelles dans un pays étranger ou des peines prévues choque suffisamment la conscience pour qu'une décision de livrer un fugitif afin qu'il y subisse son procès constitue une atteinte aux principes de justice fondamentale consacrés dans l'art. 7.

Selon mon interprétation de cet extrait, le juge La Forest n'avait pas l'intention de traiter de manière exhaustive des circonstances dans lesquelles l'extradition constitue une atteinte aux principes de justice fondamentale. De telles circonstances ne se limitent pas aux situations qui "choquent la conscience". Toute autre interprétation restreindrait indûment l'application de l'art. 7 dans le contexte de l'extradition. Les principes de justice fondamentale ne sont pas limités par l'opinion publique du jour. La protection conférée par l'art. 7 s'applique aux personnes qui sont aux prises avec des situations injustes qui ne sont pas reconnues comme telles par la majorité.

Dans l'arrêt États‑Unis c. Allard, [1987] 1 R.C.S. 564, le juge La Forest, encore une fois pour le compte de la majorité de la Cour, a dit (à la p. 572):

Pour en arriver à la conclusion que l'extradition des intimés porterait atteinte aux principes de justice fondamentale, il faudrait démontrer que les intimés feraient face à une situation qui est simplement inacceptable.

Une fois de plus, l'exigence selon laquelle le fugitif doit faire face à une situation qui est "simplement inacceptable" doit entraîner plus qu'un simple examen de l'opinion de la majorité. Elle doit être interprétée dans le contexte des valeurs sous‑jacentes à l'art. 7. Comme l'a dit le juge Lamer, maintenant Juge en chef, au nom de la majorité de la Cour dans le Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486 (à la p. 512):

[Les principes de justice fondamentale] représentent des principes reconnus, en vertu de la common law, des conventions internationales et de l'enchâssement même dans la Charte, comme des éléments essentiels d'un système d'administration de la justice fondé sur la foi en la dignité et la valeur de la personne humaine et en la primauté du droit.

Compte tenu de ces considérations, je suis d'avis qu'il est contraire aux principes de justice fondamentale de ne pas chercher à obtenir des garanties contre la condamnation à une peine qui constituerait une violation de l'art. 12 si elle était exécutée au Canada.

Même si les observations de la majorité dans l'arrêt Schmidt, précité, visaient l'ensemble des circonstances qui constituent une violation des principes de justice fondamentale, je suis d'avis que l'extradition du fugitif passible de la peine de mort sans chercher à obtenir des garanties choque la conscience et, comme telle, est contraire aux principes de justice fondamentale.

En 1976, lors d'un vote libre, la majorité des députés de la Chambre des communes a favorisé l'abolition de la peine capitale relativement à toutes les infractions prévues au Code criminel. Le rétablissement de celle‑ci a été rejeté au cours d'un autre vote libre en 1987. Ces votes sont l'expression de l'opinion de la majorité des députés selon laquelle la peine de mort est incompatible avec le respect de la dignité humaine et de la valeur de la vie humaine. Par conséquent, la politique d'intérêt public au Canada, confirmée il y a à peine quatre ans, est clairement opposée à la peine de mort. Les actes du ministre doivent être évalués en fonction de ces faits.

Le ministre n'a même pas demandé aux États‑Unis de lui donner la garantie que la peine de mort ne serait pas infligée ou, si elle l'était, ne serait pas appliquée. Il est fort possible que, si elle avait été demandée, cette garantie aurait été donnée. L'appelant aurait alors été extradé, remis au système judiciaire de la Pennsylvanie et aurait probablement été condamné à perpétuité. Par conséquent, il n'est pas du tout évident que l'espèce porte sur le choix entre extrader l'appelant pour qu'il subisse la peine de mort et le laisser échapper entièrement au processus judiciaire. Avec la collaboration de l'État requérant, il est possible d'atteindre les objectifs d'un système d'extradition efficace d'une manière qui ne prive pas le fugitif de la protection conférée par la Charte. Dans ces circonstances, il est fondamentalement injuste pour le gouvernement canadien d'extrader un fugitif sans au moins demander des garanties contre la condamnation à la peine de mort. Le refus de chercher à obtenir de telles garanties constitue une reconnaissance officielle de la peine de mort, malgré le fait que la politique d'intérêt public au Canada soit fermement opposée à son utilisation.

Les situations dans lesquelles une violation de l'art. 7 peut être justifiée aux termes de l'article premier seront extrêmement rares, et une telle situation ne se présente pas en l'espèce. À cet égard, je fais mienne l'analyse du juge Cory en ce qui a trait à l'application de l'article premier dans le présent pourvoi. Par conséquent, je suis d'avis d'annuler la décision du ministre d'extrader l'appelant tant que n'aura pas été présentée une demande en vue d'obtenir la garantie prévue à l'article 6 du Traité d'extradition entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, R.T. Can. 1976 no 3. Je suis d'avis de répondre aux questions constitutionnelles de la manière suivante :

1. L'article 25 de la Loi sur l'extradition, L.R.C. (1985), ch. E‑23, est‑il incompatible avec les art. 7 ou 12 de la Charte canadienne des droits et libertés dans la mesure où il autorise le ministre de la Justice à ordonner la remise d'un fugitif pour un crime à l'égard duquel le fugitif a été ou peut être condamné à mort dans un État étranger, sans obtenir au préalable la garantie de cet État étranger que la peine de mort ne sera pas infligée ou, si elle l'est, ne sera pas appliquée?

Réponse : Oui, il est incompatible avec l'art. 7 de la Charte.

2. Si la réponse à la première question est affirmative, l'art. 25 de la Loi sur l'extradition, L.R.C. (1985), ch. E‑23, est‑il une restriction raisonnable des droits d'un fugitif au sens de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, et donc compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Réponse: L'article 25 de la Loi sur l'extradition n'est pas une restriction raisonnable au sens de l'article premier de la Charte.

Version française des motifs du juge en chef Lamer et du juge Cory rendus par

//Le juge Cory//

Le juge Cory (dissident) — Le présent pourvoi porte sur la décision du ministre de la Justice, prise conformément à l'art. 25 de la Loi sur l'extradition, L.R.C. (1985), ch. E‑23, d'extrader un fugitif accusé d'une infraction punissable de mort, sans chercher d'abord à obtenir, conformément à l'article 6 du Traité d'extradition entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique, R.T. Can. 1976 no 3 (le "Traité"), des garanties selon lesquelles la peine de mort ne serait pas infligée ou, si elle l'était, ne serait pas appliquée. Il s'agit principalement de savoir si la décision du ministre de livrer l'appelant aux autorités américaines sans obtenir les garanties prévues par l'article 6 va à l'encontre des droits conférés à celui‑ci par la Charte canadienne des droits et libertés. À cet égard, deux questions primordiales se posent. En premier lieu, la peine de mort en soi viole‑t‑elle les droits reconnus par la Charte? En second lieu, dans l'affirmative, quel est l'effet de cette conclusion sur la constitutionnalité de la décision du ministre?

Avant d'examiner les questions de fond qui se posent en l'espèce, nous parlerons brièvement de l'extradition. Les traités d'extradition sont depuis longtemps reconnus comme étant à la fois valables et nécessaires pour assurer l'efficacité des poursuites et l'application du droit criminel. Il faut se rappeler que ce n'est pas le régime salutaire d'extradition qui est attaqué en l'espèce; il s'agit plutôt de savoir s'il y a lieu de livrer un fugitif qui est passible d'une peine capitale dans l'État requérant, sans obtenir de garanties à ce sujet.

I Les faits

Le 15 novembre 1983, à Philadelphie (Pennsylvanie), Kindler a été reconnu coupable de meurtre au premier degré, de complot en vue de commettre un meurtre et d'enlèvement. À la suite de sa déclaration de culpabilité, le jury a entendu d'autres éléments de preuve et a recommandé la peine de mort. En septembre 1984, avant que la sentence ne soit officiellement prononcée, Kindler s'est évadé de prison et s'est enfui au Canada.

Il a été arrêté près de Ste‑Adèle (Québec) le 26 avril 1985 et a été accusé d'infractions à la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-1977, ch. 52, et au Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34. Le 27 mai 1985, il a présenté à la Cour fédérale une demande visant à empêcher la tenue d'une enquête commencée en vertu de l'art. 28 de la Loi sur l'immigration de 1976. Le juge Rouleau a accueilli la demande le 23 juillet 1985: [1985] 1 C.F. 676.

Dans l'intervalle, le 3 juillet 1985, les États‑Unis ont demandé l'extradition de Kindler conformément au Traité. Kindler a été arrêté et une audience d'extradition a eu lieu à Montréal le 26 août.

L'audience a été tenue devant le juge Pinard, de la Cour supérieure du Québec. L'avocat de Kindler a reconnu que la preuve fournie par les États‑Unis remplissait les conditions et les exigences du Traité aux fins de l'extradition de Kindler en sa qualité de fugitif condamné. Il s'agissait simplement de déterminer si l'article 6 du Traité obligeait le juge chargé de se prononcer sur l'extradition ou le ministre de la Justice à demander aux États‑Unis des garanties au sujet de la peine de mort avant de livrer Kindler. Voici ce que prévoit l'article 6:

Article 6

Lorsque l'infraction motivant la demande d'extradition est punissable de la peine de mort en vertu des lois de l'État requérant et que les lois de l'État requis n'autorisent pas cette peine pour une telle infraction, l'extradition peut être refusée à moins que l'État requérant ne garantisse à l'État requis, d'une manière jugée suffisante par ce dernier, que la peine de mort ne sera pas infligée ou, si elle l'est, ne sera pas appliquée.

Le 30 août 1985, le juge Pinard a statué qu'il n'avait pas compétence pour demander les garanties prévues par l'article 6 et il a fait incarcérer Kindler en attendant la décision du ministre au sujet de l'extradition: [1985] C.S. 1117. Le même jour, il a fait parvenir au ministre de la Justice un rapport sur l'affaire ainsi qu'une copie de son jugement.

Kindler a demandé l'examen de la décision rendue par le juge Pinard au sujet de l'article 6 du Traité et a sollicité un bref d'habeas corpus. Cette demande a été rejetée par le juge Greenberg le 20 septembre 1985. Ce dernier croyait lui aussi que seul le ministre de la Justice pouvait demander les garanties mentionnées à l'article 6 du Traité. Toutefois, il a ajouté qu'à son avis, Kindler avait le droit de faire examiner son cas en conformité avec les principes de justice naturelle en vertu des dispositions de l'art. 7 de la Charte. Cela laissait clairement entendre que la décision du ministre pouvait être assujettie à un contrôle judiciaire. Le juge a dit qu'il était trop tôt pour déterminer si l'extradition susceptible d'entraîner l'application de la peine de mort constituait une peine cruelle et inusitée et allait donc à l'encontre de l'art. 12 de la Charte.

Le ministre de la Justice de l'époque, l'honorable John Crosbie, dans l'exercice du pouvoir conféré par l'art. 25 de la Loi sur l'extradition, a accepté d'entendre des observations. L'article 25 prévoit:

25. Sous réserve des autres dispositions de la présente partie et sur demande de l'État étranger, le ministre de la Justice peut, par arrêté, ordonner que le fugitif soit remis à l'agent ou aux agents de cet État qui, à son avis, sont autorisés à agir au nom de celui‑ci dans l'affaire.

Des documents ont été remis au ministre, notamment des lettres des parents de Kindler et de sa femme, ainsi que des docteurs Fugère et Cormier, de la clinique de psychiatrie médico‑légale de l'Université McGill, au sujet de l'examen que ces derniers ont fait subir à Kindler. Un affidavit a été produit par l'avocate de Kindler, qui devait s'occuper des requêtes postérieures au procès en Pennsylvanie. À son avis, Kindler n'aurait pas gain de cause dans les appels qu'il avait interjetés contre les verdicts de culpabilité et la sentence; il serait donc exécuté dès que la procédure d'appel serait terminée.

L'avocate de Kindler a également cherché à faire témoigner son client à l'audience devant le ministre et à présenter des études sur la peine de mort. Le ministre a rejeté la demande relative au témoignage oral et a refusé d'entendre Kindler en personne, mais il a tenu compte de la documentation écrite.

Dans une lettre adressée à l'avocate de Kindler le 17 janvier 1986, le ministre de la Justice s'est dit d'avis que le Canada devrait livrer Kindler sans demander aux autorités américaines de garantir que la peine de mort ne serait pas infligée ou, si elle l'était, ne serait pas appliquée. Selon le ministre, l'intérêt du peuple canadien exigeait que les personnes qui commettent un meurtre dans un État étranger soient dissuadées de chercher refuge au Canada comme moyen de réduire ou limiter la sévérité de la peine qui pourrait être prononcée en vertu des lois de l'État dans lequel l'infraction a été commise.

II Examen de la décision du ministre

Le 21 janvier 1987, le juge Rouleau, de la Cour fédérale, a rejeté avec dépens la demande d'examen de la décision du ministre de la Justice: [1987] 2 C.F. 145.

Un appel de la décision du juge Rouleau a été interjeté devant la Cour d'appel fédérale qui a conclu, à la majorité, que l'appel devait être rejeté: [1989] 2 C.F. 492.

Le juge Marceau, qui a rédigé une des opinions de la majorité, a fondé sa décision sur deux propositions. En premier lieu, on ne peut pas dire que la peine capitale, qu'elle soit infligée de quelque manière et pour quelque infraction que ce soit, est inévitablement cruelle et inusitée au sens de l'art. 12 de la Charte. En second lieu, le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par l'article 6 du Traité ne doit se transformer en obligation, de sorte que la demande et l'obtention de garanties constituent une condition de l'extradition, que si la peine de mort est en soi une punition cruelle et inusitée au sens de la Charte.

Le juge Pratte partageait l'opinion que l'appel devait être rejeté. À son avis, la peine de mort n'était pas en soi une peine cruelle et inusitée allant à l'encontre de l'art. 12 de la Charte. En outre, il a déclaré que même si un fugitif peut être assujetti à une peine cruelle et inusitée par suite de l'infraction qu'il a commise ou qu'on le soupçonne d'avoir commise dans un autre État, la peine cruelle est infligée par ce dernier et non par le gouvernement canadien. Par conséquent, les dispositions de la Charte ne s'appliquent pas à la décision du ministre.

Le juge Hugessen, dissident, a conclu que la peine de mort constitue en soi une peine cruelle et inusitée.

IIIOppositions fondées sur le droit administratif concernant l'examen effectué par le ministre de la Justice

Avant d'étudier les principales questions en litige, il faut examiner les arguments de l'appelant fondés sur le droit administratif. Ce dernier soutient que le ministre de la Justice a violé les principes de justice fondamentale de deux façons. Premièrement, en rejetant la demande que Kindler avait faite au sujet de la présentation d'une preuve orale, le ministre aurait violé son droit à une audience. Deuxièmement, le ministre aurait omis de déterminer expressément si le fait d'être condamné à la chaise électrique constitue une peine cruelle et inusitée.

À mon avis, ces arguments sont fondés sur une mauvaise compréhension de la procédure d'extradition. Au Canada, l'extradition se fait en deux étapes. Le juge d'extradition examine d'abord les faits sur lesquels est fondée l'accusation et s'assure qu'il s'agit d'une accusation pour laquelle l'extradition est permise en vertu de la Loi sur l'extradition. La première étape est complète lorsque le juge est convaincu quant aux faits et à la possibilité d'extrader. Ce n'est qu'à ce moment‑là que le ministre de la Justice peut entreprendre la seconde étape. Sur demande, ce dernier peut entendre des observations et exercer son pouvoir discrétionnaire pour déterminer s'il doit livrer le fugitif. De toute évidence, cette seconde étape oblige le ministre à prendre une décision qui est largement de nature politique. Comme l'a dit le juge La Forest dans l'arrêt Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500, à la p. 523: "il y va de la bonne foi et de l'honneur du Canada dans ses relations avec d'autres États."

Dans cette procédure à deux étapes, le juge d'extradition doit examiner toute question de crédibilité ou prétention d'innocence. Kindler a amplement eu l'occasion, devant le juge Pinard, de contester la crédibilité des témoignages présentés contre lui au procès. Il ne l'a pas fait. Il ne pouvait donc pas chercher à présenter devant le ministre de la Justice de nouveaux éléments de preuve concernant la crédibilité des témoins ou son innocence. Le ministre n'était pas obligé de tenir compte de ces questions, ni d'entendre des témoignages de vive voix.

Le ministre n'était pas tenu de fournir les motifs détaillés de sa décision. Néanmoins, dans la lettre qu'il a envoyée à l'avocate de Kindler, le ministre a expressément déclaré qu'il avait [traduction] "minutieusement et attentivement étudié l'affaire" et que la décision était [traduction] "fondée sur un examen de la preuve produite au procès, sur la procédure d'extradition ainsi que sur la documentation et les observations présentées". Il y avait notamment les observations orales et écrites de l'avocate, au sujet de divers aspects de l'affaire, notamment de la méthode d'exécution employée en Pennsylvanie. La documentation comprenait une lettre de Kindler. Dans sa lettre, le ministre laissait savoir qu'il avait tenu compte des arguments et de la documentation et qu'il les avait jugés insuffisants pour l'emporter sur les considérations de principe contraires.

En déterminant la preuve dont il devait tenir compte en l'espèce et en prenant sa décision, le ministre a respecté tous les principes de justice naturelle. Les arguments de l'appelant ne peuvent donc pas être retenus. Il y a maintenant lieu d'examiner les questions plus difficiles et plus fondamentales.

IVL'application de la Charte à la décision du ministre

Il est certain que les décisions de l'exécutif sont assujetties au contrôle prévu par la Charte. Voir par exemple l'arrêt Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441. En outre, il ressort clairement de l'arrêt Schmidt de notre Cour, précité, aux pp. 521 et 522, que le principe établi dans l'arrêt Operation Dismantle s'applique dans le contexte de l'extradition. Comme le juge La Forest l'a dit, au nom de la majorité, à la p. 518:

Il ne fait pas de doute que les actes entrepris par le gouvernement du Canada en matière d'extradition, comme dans d'autres domaines, sont assujettis au contrôle prévu par la Charte (art. 32).

Par conséquent, la décision du ministre en l'espèce peut faire l'objet d'un examen en vertu de la Charte. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu'on peut donner à la Charte un effet extraterritorial qui la rendrait applicable à la conduite de procédures criminelles dans un État étranger. Voir l'arrêt Schmidt, précité, à la p. 518.

VL'origine historique de la peine de mort

Au coeur même du présent pourvoi se trouve un conflit entre deux notions, soit, d'une part, la notion de dignité humaine et la croyance que celle‑ci a une importance primordiale dans une société démocratique et, d'autre part, la notion de justice punitive et la croyance que la peine capitale est nécessaire en vue de dissuader les meurtriers. Un examen historique révèle une tendance croissante à résoudre ce conflit en faveur de la dignité humaine.

La conduite des jurys

En Angleterre, jusqu'au siècle dernier, la peine de mort était, du moins en théorie, la punition infligée pour toutes les infractions majeures. Toutefois, un bref examen de l'historique de la peine de mort montre que depuis très longtemps les jurys ont manifesté énormément de réticence à cet égard.

Pendant la période qui a immédiatement suivi la conquête, en 1066, le droit criminel au sens strict du terme n'existait pas. On demandait plutôt une indemnisation dans les cas d'homicide, de vol, de viol et de lésions corporelles, bien que la justice punitive royale ou privée ne fût pas pour autant éliminée. Toutefois, à la fin du XIIe siècle, des mesures régulières avaient été adoptées à l'égard des poursuites se rapportant aux infractions les plus graves, et notamment aux cas de vol, de meurtre, de vol qualifié et d'incendie criminel.

Le jury a été créé parce qu'en 1215 on a interdit au clergé de participer aux ordalies. C'est à compter de ce moment‑là que le jury qui, auparavant, ne faisait que présenter les infractions, est également devenu juge des faits lorsqu'il s'agissait de déterminer la culpabilité ou l'innocence.

Selon des dossiers datant du XIVe siècle qui sont parvenus jusqu'à nous, les jurys ne voulaient pas condamner un accusé pour une infraction majeure. Les jurys qui présentaient encore les infractions sous‑estimaient souvent la valeur des biens volés de façon que la personne en cause soit accusée d'intrusion plutôt que d'une infraction majeure, et évite ainsi la condamnation à mort. De plus, il semble y avoir eu un taux très faible de condamnations pour infractions majeures, peut‑être pas plus de 18 p. 100, et un taux encore plus bas de condamnations à mort, soit apparemment environ 10 p. 100 des accusés traduits en justice. (Voir B. W. McLane, "Juror Attitudes toward Local Disorder: The Evidence of the 1328 Lincolnshire Trailbaston Proceedings" dans J. S. Cockburn et T. A. Green, dir., Twelve Good Men and True: The Criminal Trial Jury in England, 1200‑1800 (1988), 36, aux pp. 54 et 55.)

Au début du XVe siècle, le taux de condamnation au criminel est demeuré bas. Il est vrai que ce taux a passé à peut‑être 50 p. 100 à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècles, particulièrement pendant les périodes économiques difficiles, lorsque le nombre d'infractions contre les biens a augmenté, mais au milieu du XVIIe siècle, cette tendance avait été inversée.

Avec le temps et, fait certain, après 1600, les jurys se sont de plus en plus prévalus de leur pouvoir de déclarer un accusé coupable d'une infraction incluse moins grave, de façon à éviter la peine de mort. J. S. Cockburn, auteur de "Twelve Silly Men? The Trial Jury at Assizes, 1560‑1670" dans Cockburn et Green, op. cit., 158, aux pp. 171 et 172, dit qu'on avait habituellement recours à ce qu'on appelle ces verdicts partiaux pour réduire l'accusation capitale de cambriolage à celle de vol ou de vol donnant droit au privilège du clergé et l'accusation de vol important à celle de larcin, qui était un délit punissable du fouet. On employait la même procédure pour réduire les accusations de meurtre à celle d'homicide donnant droit au privilège du clergé. Pendant l'interrègne et après le rétablissement de la monarchie, cette tendance a continué à se manifester.

Au XVIIIe siècle, lorsque le nombre d'infractions punissables de mort a augmenté de beaucoup par rapport au siècle précédent, le nombre de condamnations et la sévérité des peines infligées ont diminué. Voir D. Hay, "Property, Authority and the Criminal Law" dans D. Hay et autres, Albion's Fatal Tree: Crime and Society in Eighteenth‑Century England (1975), 17, à la p. 22, et M. Foucault, Surveiller et Punir: naissance de la prison (1975). Bref, les jurys avaient tendance à refuser de déclarer un accusé coupable ou, s'ils le faisaient, ils refusaient de reconnaître celui‑ci coupable d'un crime capital.

La réticence des jurys à prononcer la peine de mort est particulièrement importante compte tenu de leur composition à cette époque. Au XVIIIe siècle, les jurés étaient des propriétaires fonciers, des marchands, des commerçants et des fermiers, dont le revenu figurait parmi les premiers 25 p. 100 du pays. Le jury était choisi dans la classe sociale même qui était la plus susceptible d'intenter des poursuites pour vol. Pourtant, ces jurés omettaient de déclarer l'accusé coupable dans la plupart des cas où la peine capitale était possible. Voir D. Hay, "The Class Composition of the Palladium of Liberty: Trial Jurors in the Eighteenth Century", dans Cockburn et Green, op. cit., 305, à la p. 354.

Cette réticence marquée à l'égard de la peine de mort montre jusqu'à quel point les jurés faisaient preuve d'une réserve et d'une compassion fondamentales. Elle se manifeste dans les décisions qu'ils ont rendues au fil des ans et constitue un témoignage long et durable des valeurs sociales qui mérite d'être noté. La compassion des jurés se reflète dans trois cents ans d'écrits rédigés par les réformateurs.

Les demandes de réforme de la peine de mort

Les réformateurs se sont longuement opposés à la peine de mort. Ainsi, après que Charles Ier eût été défait par le parti parlementaire, un groupe appelé les "Levellers" a prôné la réforme du droit criminel et a préconisé la notion de proportionnalité entre l'infraction commise et sa punition. Leur attaque visait en bonne partie la peine capitale; en effet, ils soutenaient que cette dernière n'était proportionnelle à aucune infraction, à l'exception de la trahison et du meurtre. Ils déploraient, en particulier, la condamnation à la peine capitale dans les cas d'infraction contre les biens, faisant observer qu'un grand nombre d'inculpés étaient de pauvres travailleurs qui volaient par nécessité des objets de faible valeur.

Au XVIIe siècle, un autre réformateur, Gerrard Winstanley, a soutenu que la peine capitale était à priori immorale. À ce sujet, il aurait apparemment dit:

[traduction] Il n'appartient pas à une créature appelée l'homme d'en tuer une autre, car c'est là une chose abominable pour l'Esprit, et c'est la calamité qui a entraîné l'asservissement de la Création; si je tue quelqu'un, je suis un meurtrier et si un tiers survient et me pend ou me tue parce que j'ai commis un meurtre, il commet également un meurtre; or, depuis les premiers temps de l'humanité, le meurtre a été appelé Justice alors qu'il est la calamité.

(R. Zaller, "The Debate on Capital Punishment During the English Revolution" (1987), 31 Am. J. Legal Hist. 126, à la p. 141.)

La clause 10 de la Declaration of Rights qui figure dans le préambule du Bill of Rights de 1689 est ainsi libellée:

[traduction] 10. Un cautionnement excessif ne doit pas être exigé et des amendes excessives ne doivent pas être infligées, non plus qu'une peine cruelle et inusitée.

Ce libellé se rapproche beaucoup de celui du Huitième amendement de la Constitution américaine. La Declaration of Rights pourrait bien être considérée comme reconnaissant la nécessité de rendre toutes les peines appropriées et proportionnelles à l'infraction commise. De fait, la notion de proportionnalité entre la peine et l'infraction semble dater au moins de l'époque des lois du roi Alfred au Xe siècle; elle était garantie par le chapitre 14 de la Grande Charte et a continué à exister dans les lois d'Édouard le Confesseur (1042‑1066): A. F. Granucci, ""Nor Cruel and Unusual Punishments Inflicted:" The Original Meaning" (1969), 57 Cal. L. Rev. 839, aux pp. 844 à 847.

En 1764, dans Dei delitti e delle pene, Cesare Beccaria a soutenu que la peine devait être appropriée à l'infraction. À son avis, l'effet de dissuasion de la peine capitale était moindre que celui de l'emprisonnement. Il a écrit:

La simple considération des vérités exposées jusqu'ici montre à l'évidence que le but des peines n'est ni de tourmenter et affliger un être sensible, ni de faire qu'un crime déjà commis ne l'ait pas été. Un corps politique, qui, bien loin d'agir lui‑même par passion, a pour objet d'apaiser celles des particuliers, peut‑il être le foyer d'une inutile cruauté, instrument de la fureur, du fanatisme ou de la faiblesse des tyrans? Les cris d'un malheureux seraient‑ils capables de faire revenir le temps passé et de révoquer les actes qu'il a commis? Le but des châtiments ne peut être dès lors que d'empêcher le coupable de causer de nouveaux dommages à ses concitoyens et de dissuader les autres d'en commettre de semblables. Il faut donc choisir des peines et une manière de les infliger qui, toute proportion gardée, fassent l'impression la plus efficace et la plus durable possible sur l'esprit des hommes, et la moins cruelle sur le corps du coupable.

(Traduit par M. Chevallier, Des délits et des peines (1965), à la p. 24.)

Fait important, Beccaria a déclaré que dans une société vouée au maintien de la vie, l'État ne devait pas, comme punition, enlever la vie. Il ajoute à la p. 52:

La peine de mort est nuisible par l'exemple de cruauté qu'elle donne. Si les passions ont rendu la guerre inévitable et enseigné à répandre le sang, les lois, dont le but est d'assagir les hommes, ne devraient pas étendre cet exemple de férocité, d'autant plus funeste qu'elles donnent la mort avec plus de formes et de méthode. Il me paraît absurde que les lois, qui sont l'expression de la volonté générale, qui réprouvent et punissent l'homicide, en commettent elles‑mêmes et, pour détourner les citoyens de l'assassinat, ordonnent l'assassinat public.

Les réformateurs ont finalement eu gain de cause. En 1860, au Royaume‑Uni, la peine capitale ne s'appliquait qu'à quelques infractions dont la trahison et le meurtre.

Résumé

Bref, nous constatons qu'à compter du XIIe siècle, les jurés hésitaient à infliger la peine de mort. Les jurés, soit les gens mêmes qui auraient dû s'intéresser d'une manière toute particulière à l'application du droit criminel, notamment dans le cas des infractions contre les biens, répugnaient à condamner à mort l'accusé. Par leurs verdicts, ils ont reconnu dès le début l'importance fondamentale de la dignité humaine et la nécessité d'accorder à tous cette dignité. En outre, les réformateurs ont préconisé, pendant plus de 300 ans, non seulement la réduction, mais également l'abolition totale de la peine de mort. Cet examen montre que l'opposition à la peine de mort a un historique long et honorable.

VIÉvolution de la question au XXe siècle: la protection internationale de la dignité humaine

L'engagement de la collectivité internationale

La fin des hostilités de la Seconde Guerre mondiale a été le signal d'un mouvement massif en faveur d'une plus grande protection des droits de la personne. Avant la guerre, les droits de la personne entraient peu en ligne de compte en droit international. Toutefois, les atrocités commises pendant la guerre ont entraîné la reconnaissance internationale de l'importance fondamentale de la dignité humaine et des droits de la personne. La Charte des Nations Unies d'octobre 1945, R.T. Can. 1945 no 7, prévoit:

NOUS, PEUPLES DES NATIONS UNIES

RÉSOLUS

à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l'espace d'une vie humaine a infligé à l'humanité d'indicibles souffrances,

à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites . . .

Le préambule et les divers articles de la Déclaration universelle des droits de l'homme, A.G. Rés. 217 A (III), Doc A/810 N.U., à la p. 71, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1948, à la suite d'un vote que le Canada a appuyé, montrent l'importance accordée à la dignité et à la valeur humaines:

Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde,

. . .

Article premier

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

. . .

Article 3

Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne.

. . .

Article 5

Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Outre qu'il proclame de nouveau l'importance de la dignité humaine, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 999 R.T.N.U. 187, des Nations Unies qui est entré en vigueur en 1976 parle expressément de la peine de mort:

Article 6. 1. Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie.

2. Dans les pays où la peine de mort n'a pas été abolie, une sentence de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves, conformément à la législation en vigueur au moment où le crime a été commis et qui ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du présent Pacte ni avec la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Cette peine ne peut être appliquée qu'en vertu d'un jugement définitif rendu par un tribunal compétent.

. . .

6. Aucune disposition du présent article ne peut être invoquée pour retarder ou empêcher l'abolition de la peine capitale par un État partie au présent Pacte.

De même, l'Organisation des États américains a adopté la Convention américaine relative aux droits de l'homme, O.A.S.T.S. no 36, à la p. 1, qui est entrée en vigueur en 1978. L'article 4 de cette Convention prévoit ceci:

[traduction] 1. Toute personne a droit au respect de sa vie. Ce droit est protégé par la loi, en général, depuis le moment de la conception. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie.

2. Dans les pays où la peine de mort n'a pas été abolie, celle‑ci ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves, en vertu d'un jugement définitif rendu par un tribunal compétent et conformément à une loi établissant cette punition, adoptée avant que l'infraction n'ait été commise. Cette peine ne s'applique pas aux infractions qu'elle ne vise pas à l'heure actuelle.

3. La peine de mort ne doit pas être rétablie dans les États où elle a été abolie.

La reconnaissance internationale de l'importance de la dignité humaine a abouti à l'abolition de la peine de mort dans de nombreux pays. Par exemple, en 1973, le Royaume‑Uni a officiellement aboli la peine de mort pour toutes les infractions (à part certaines relevant du droit martial). La dernière exécution a eu lieu en 1964. En France, la peine de mort a été abolie en 1949 dans le cas des infractions civiles. Elle a été totalement abolie en 1981 et la dernière exécution a eu lieu en 1977. En Australie et en Nouvelle‑Zélande ainsi que dans la plupart des pays de l'Europe de l'Ouest, on a voté en faveur de l'abolition de la peine capitale. Récemment, de nombreux pays de l'Europe de l'Est comme la Tchécoslovaquie, la Hongrie et la Roumanie, ont aboli la peine de mort. La liste des pays où cette peine a été abolie et la date d'adoption de la législation à ce sujet figurent à l'annexe A des présents motifs.

D'autre part, la position prise par les États‑Unis montre un contraste marqué par rapport à celle des autres pays occidentaux. La majorité des États américains et le Congrès américain ont opté pour le maintien de la peine de mort à l'égard de certaines infractions civiles. En outre, dans l'affaire Gregg v. Georgia, 428 U.S. 153 (1976), la Cour suprême des États‑Unis a déclaré que la peine de mort n'était pas en soi invalide. La Cour a fait remarquer que le libellé de la Constitution reconnaissait l'existence de la peine capitale et que, pendant 200 ans, elle avait elle‑même à maintes reprises conclu que la peine capitale n'était pas en soi invalide.

L'engagement de la collectivité internationale à l'égard de la dignité humaine et la tendance des pays occidentaux à abolir la peine de mort vont de pair avec la position internationale du Canada.

L'engagement international du Canada

L'engagement du Canada à l'égard de la dignité humaine a un passé long et respecté dans les affaires internationales. Cet engagement se manifeste par l'adhésion du Canada à la Charte des Nations Unies le 9 novembre 1945, par le fait qu'il a voté en faveur de la Déclaration universelle des droits de l'homme le 10 décembre 1948, par son adhésion au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 999 R.T.N.U. 306, le 19 mai 1976, ainsi qu'à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants le 24 juin 1987.

Au Conseil économique et social des Nations Unies le 10 décembre 1971, le Canada a voté pour la résolution confirmant le but de l'abolition de la peine capitale. Il a également voté en faveur du Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, (le "Deuxième Protocole facultatif") le 15 décembre 1989. Le Deuxième Protocole facultatif prévoit:

Les États parties au présent Protocole,

Convaincus que l'abolition de la peine de mort contribue à promouvoir la dignité humaine et le développement progressif des droits de l'homme,

Rappelant l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée le 10 décembre 1948, ainsi que l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté le 16 décembre 1966,

Notant que l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques se réfère à l'abolition de la peine de mort en des termes qui suggèrent sans ambiguïté que l'abolition de cette peine est souhaitable,

Convaincus que toutes les mesures prises touchant l'abolition de la peine de mort doivent être considérées comme un progrès quant à la jouissance du droit à la vie,

Désireux de prendre, par le présent Protocole, l'engagement international d'abolir la peine de mort,

Sont convenus de ce qui suit:

Article premier

1. Aucune personne relevant de la juridiction d'un État partie au présent Protocole ne sera exécutée.

2. Chaque État partie prendra toutes les mesures voulues pour abolir la peine de mort dans le ressort de sa juridiction.

Article 2

1. Il ne sera admis aucune réserve au présent Protocole, en dehors de la réserve formulée lors de la ratification ou de l'adhésion et prévoyant l'application de la peine de mort en temps de guerre à la suite d'une condamnation pour un crime de caractère militaire, d'une gravité extrême, commis en temps de guerre.

En appuyant le Deuxième Protocole facultatif, le Canada a déclaré que les Nations Unies honoreraient la dignité humaine en consacrant l'abolition de la peine de mort dans un instrument international. La position du Canada a été énoncée de la façon suivante devant le Conseil économique et social des Nations Unies, Commission des droits de l'homme, Élaboration d'un deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à l'abolition de la peine capitale, le 29 juin 1987, à la p. 29:

Le Canada, ayant aboli la peine de mort en 1977, considérait que la rédaction d'un deuxième protocole facultatif présentait beaucoup d'intérêt. Il s'agissait là d'un sujet difficile et qui soulevait beaucoup de passion dans bon nombre de pays, mais qui était digne de retenir l'attention de l'Assemblée générale, même si ledit protocole impliquait une série de mesures que les États ne seraient pas en mesure d'adopter du jour au lendemain. Il ne faisait pas de doute que les Nations Unies feraient honneur à la dignité humaine en consacrant le principe de l'abolition de la peine de mort dans un instrument international.

Indépendamment des engagements internationaux pris par le Canada, il est à noter que deux autres organisations internationales ont pris des mesures similaires à celles des Nations Unies en vue d'abolir la peine capitale. La Communauté européenne a adopté le Protocole no 6 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort, S.T. Europ. no 114, qui est entré en vigueur le 3 mars 1985, et l'Organisation des États américains a approuvé le Protocole à la Convention américaine relative aux droits de l'homme traitant de l'abolition de la peine de mort le 8 juin 1990.

Résumé

La collectivité internationale a confirmé son engagement à l'égard du principe de la dignité humaine au moyen des divers instruments internationaux dont il a ci‑dessus été question. À l'exception des États‑Unis, le monde occidental a renforcé cet engagement, sur les plans tant international que national, en abolissant expressément la peine capitale. Les actions du Canada dans le milieu international confirment son propre engagement envers le maintien et la promotion de la dignité humaine ainsi que l'abolition de la peine de mort.

Nous parlerons maintenant de la situation à l'intérieur du Canada.

VIILa situation au Canada

Il faut maintenant examiner la place que la peine de mort occupe dans la société canadienne dans le contexte de la Charte. En particulier, il faut déterminer si la peine de mort viole la protection fournie par la Charte contre les peines cruelles et inusitées. L'article 12 de la Charte prévoit:

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

L'état constitutionnel de la peine capitale en vertu de l'art. 12 de la Charte doit découler de l'expérience canadienne en ce qui concerne tant la peine de mort que la notion plus générale de peine cruelle et inusitée.

La situation antérieure à l'adoption de la Charte

Dans l'arrêt Miller c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680, notre Cour a examiné la validité d'une loi qui prévoyait la peine capitale lorsqu'un accusé était condamné pour le meurtre d'un policier ou d'un gardien de prison dans l'exercice de ses fonctions. La Cour a confirmé à la majorité la disposition législative concernant la peine de mort pour le motif qu'il y a lieu de faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de la volonté expresse du législateur. Je tiens à faire remarquer dès le début que ce raisonnement est incompatible avec la façon dont la question a été abordée depuis l'adoption de la Charte. La retenue judiciaire absolue à l'égard de l'intention perçue du législateur ne constitue plus un élément déterminant. Voir Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, aux pp. 496 à 500; R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045, aux pp. 1070 et 1071.

Dans l'arrêt Miller le juge en chef Laskin, au nom de la minorité, a défini la protection contre les peines cruelles et inusitées par rapport à la proportionnalité. Dans son examen, il a mis l'accent sur la question de savoir si la peine capitale constitue une peine appropriée dans les cas de meurtre d'un policier ou d'un gardien de prison. Il ne s'est pas demandé si la peine de mort était elle‑même inacceptable. À la page 694, il a énoncé ainsi sa position:

En règle générale, toute peine, que ce soit l'emprisonnement ou autre chose, est dégradante, mais on ne peut s'attendre à ce que la société tolère, sans les punir, les violations du droit pénal pour la simple raison que la peine encourue porte atteinte à la dignité du criminel. Ce qui nous occupe présentement n'est pas seulement la dégradation par laquelle la société exprime sa désapprobation du comportement criminel, mais également sa portée, par rapport à l'infraction commise et, dans certains cas, au coupable. La gravité et le caractère irréversible de la peine de mort lorsqu'elle est exécutée révèlent certainement une sévérité injustifiée dans l'abstrait, mais la présente affaire porte sur la proportionnalité et sur l'imposition obligatoire de la peine de mort non pas à toute la catégorie des infractions les plus odieuses qui soient, c.‑à‑d. les meurtres, mais à des cas de meurtres précis et limités qui méritaient, selon le législateur, la peine de mort.

Selon ce raisonnement, le châtiment corporel pourrait être considéré comme approprié dans certains cas.

Le juge en chef Laskin estimait également que la disposition législative devait être confirmée à moins que ceux qui la contestaient ne puissent établir que la peine capitale n'a pas un effet dissuasif plus grand que la peine d'emprisonnement à perpétuité. Je remarque en passant que la lourde charge qu'il a imposée aux personnes qui attaquent la disposition législative, bien qu'elle soit appropriée dans le cas de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44 (reproduit dans L.R.C. (1985), app. III), ne convient pas lorsque la Charte est contestée.

L'arrêt Miller ne constitue plus un fondement approprié pour l'examen de la question soulevée en l'espèce. Le raisonnement de la majorité ne s'applique tout simplement pas à la Charte. La position minoritaire que le juge en chef Laskin a prise, et sur laquelle l'intimé s'appuie fortement, ne doit pas non plus être suivie et ce, non seulement parce que la minorité a imposé une charge très lourde à la partie qui conteste la peine de mort, mais également parce qu'elle ne s'est pas demandé si la peine de mort est elle‑même inacceptable. De plus, il faut se rappeler que depuis ce jugement, la Charte est entrée en vigueur à titre de loi suprême du pays.

Les votes de la Chambre des communes concernant l'abolition de la peine de mort

Au cours de votes libres, en 1976 et en 1987, la majorité des députés fédéraux ont appuyé l'abolition de la peine de mort. Ces votes, qui ont eu lieu après des débats prolongés et approfondis, prouvent que les représentants élus de la population canadienne jugeaient que la condamnation à mort pour une infraction civile constitue un affront à la dignité humaine qui ne peut pas être toléré par la société canadienne. Ces votes montrent clairement que la peine capitale est considérée comme contraire aux valeurs fondamentales canadiennes.

Le rejet de la peine de mort, à deux reprises, par la majorité des députés fédéraux peut être interprété comme étant le signe d'une répugnance fondamentale à infliger la peine capitale, que ce soit directement, au Canada, ou par suite de la participation du Canada aux actions d'un État étranger.

La situation en vertu de la Charte

Quel est donc l'état constitutionnel de la peine de mort relativement à l'art. 12 de la Charte?

L'expérience américaine ne nous aide pas. Les arrêts portant sur la constitutionnalité de la peine de mort sont fondés sur des motifs fort restreints qui s'appliquent uniquement au libellé de la Constitution américaine et qui découlent de décisions antérieures rendues par la Cour suprême des États-Unis. Les tribunaux canadiens devraient aborder la question des peines cruelles et inusitées d'une façon différente, en se fondant sur les traditions et valeurs canadiennes.

À mon avis, pour déterminer si la peine capitale va à l'encontre de l'art. 12 de la Charte, notre Cour doit se fonder sur deux considérations primordiales. La première est le principe de la dignité humaine, qui est au c{oe}ur de l'art. 12. La dignité et l'importance de la personne constituent l'essence et sont la pierre angulaire d'un gouvernement démocratique. La seconde est l'arrêt Smith, précité, de notre Cour.

1. La dignité humaine et la Charte

L'importance fondamentale de la dignité humaine dans la société canadienne a été reconnue dans de nombreux arrêts. Dans R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, le juge en chef Dickson parlait, à la p. 136, des valeurs et principes fondamentaux consacrés par la Charte:

Les tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente de l'être humain, la promotion de la justice et de l'égalité sociales, l'acceptation d'une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société. Les valeurs et les principes sous‑jacents d'une société libre et démocratique sont à l'origine des droits et libertés garantis par la Charte et constituent la norme fondamentale en fonction de laquelle on doit établir qu'une restriction d'un droit ou d'une liberté constitue, malgré son effet, une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer.

Dans ses motifs de l'arrêt R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, le juge Wilson a souligné, à la p. 166, l'importance de la dignité humaine lorsqu'il s'agit d'interpréter les protections fournies par la Charte:

La notion de dignité humaine trouve son expression dans presque tous les droits et libertés garantis par la Charte. Les individus se voient offrir le droit de choisir leur propre religion et leur propre philosophie de vie, de choisir qui ils fréquenteront et comment ils s'exprimeront, où ils vivront et à quelle occupation ils se livreront.

Encore une fois, dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, notre Cour a souligné l'importance de la dignité humaine. À la p. 171, le juge McIntyre a dit:

Il est clair que l'art. 15 a pour objet de garantir l'égalité dans la formulation et l'application de la loi. Favoriser l'égalité emporte favoriser l'existence d'une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération.

Dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., précité, la Cour a de nouveau fait remarquer l'importance fondamentale de la dignité humaine en ce qui concerne les dispositions de la Charte. À la p. 512, le juge Lamer, maintenant Juge en chef, a dit:

Les articles 8 à 14 visent des atteintes spécifiques au "droit" à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, qui contreviennent aux principes de justice fondamentale et qui, en tant que telles, violent l'art. 7. Ils constituent donc des illustrations du sens, en droit pénal ou criminel, de l'expression "principes de justice fondamentale"; ils représentent des principes reconnus, en vertu de la common law, des conventions internationales et de l'enchâssement même dans la Charte, comme des éléments essentiels d'un système d'administration de la justice fondé sur la foi en la dignité et la valeur de la personne humaine et en la primauté du droit.

Examinons maintenant la seconde considération, soit l'arrêt Smith de notre Cour.

2. L'article 12 et l'arrêt Smith

Dans l'arrêt Smith, précité, on avait contesté la disposition de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, ch. N‑1, concernant une peine minimale. La peine prévue par cette loi dans les cas d'importation de stupéfiants au Canada était l'emprisonnement pour une période d'au moins sept ans et pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement à perpétuité. La peine minimale était contestée pour le motif qu'elle constituait une peine cruelle et inusitée au sens de l'art. 12 de la Charte. Il a été soutenu qu'il s'agissait d'une peine indûment sévère qui n'était pas proportionnée à l'infraction commise. L'arrêt a mis l'accent sur l'élément de proportionnalité.

Le juge Lamer, maintenant Juge en chef, a minutieusement examiné la nature de la protection fournie par l'art. 12 de la Charte. En donnant au droit reconnu par l'art. 12 une interprétation large, il a conclu, à la p. 1072, que la peine "ne doit pas être exagérément disproportionné[e] à ce qui aurait été approprié". Plus loin, aux pp. 1073 et 1074, il a conclu que certaines peines sont toujours, de par leur nature, exagérément disproportionnées:

Enfin, je dois ajouter que certaines peines ou certains traitements seront toujours exagérément disproportionnés et incompatibles avec la dignité humaine: par exemple, l'imposition d'un châtiment corporel comme la peine du fouet, sans égard au nombre de coups de fouet imposé ou, à titre d'exemple de traitement, la lobotomie de certains criminels dangereux, ou la castration d'auteurs de crimes sexuels.

Deux principes ressortent de cet arrêt. Premièrement, les peines ne doivent jamais être exagérément disproportionnées à ce qui aurait été approprié en vue de punir, de réadapter ou de dissuader le contrevenant particulier ou de protéger le public contre ce dernier. Deuxièmement, ce qui est encore plus important à nos fins, les peines ne doivent pas elles‑mêmes être inacceptables, et ce, quel que soit le crime et quel que soit le contrevenant. Une peine, quelle qu'elle soit, peut porter un coup à la dignité humaine, mais le fonctionnement ordonné de la société exige qu'une forme quelconque de peine soit infligée. Toutefois, lorsque la peine devient si dégradante que toute dignité humaine est perdue, elle doit être considérée comme cruelle et inusitée. À tout le moins, la condamnation à un châtiment corporel, la lobotomie des criminels dangereux et la castration des auteurs de crimes sexuels ne seront pas tolérées.

3. La peine de mort va‑t‑elle à l'encontre de l'art. 12 de la Charte?

Compte tenu des décisions dans lesquelles sont reconnus l'importance de la dignité humaine en vertu de la Charte et les principes énoncés dans l'arrêt Smith, il reste à déterminer si la peine de mort va à l'encontre de l'art. 12 de la Charte. À mon avis, c'est de toute évidence le cas.

Il est bon d'examiner l'effet que la condamnation à mort a sur la dignité humaine. Les descriptions d'exécutions montrent qu'il s'agit d'une mort infligée par l'État qui va totalement à l'encontre de toute croyance en l'importance de la dignité humaine. Les méthodes d'exécution employées viennent uniquement s'ajouter à l'affront qui est fait au condamné.

Dans son ouvrage intitulé Condemned to Die: Life Under Sentence of Death (1981), aux pp. 86 et 87, Johnson parle ainsi de la condamnation à la chaise électrique:

[traduction] La condamnation à la chaise électrique a été décrite par un médecin comme "une sorte de torture [qui] équivaut au supplice du bûcher". Il est reconnu que l'électrocution n'en finit pas, qu'elle cuit littéralement les prisonniers. Dans un cas, on a constaté que le cerveau d'un homme "avait été "cuit dur", que le sang dans sa tête était carbonisé, et que tout son dos était noir de brûlures". Un autre homme a pour une raison quelconque survécu; quelques mois plus tard, il a été renvoyé à la chaise électrique (cette fois‑là pour de bon), avec l'approbation de la Cour suprême. Plus récemment, l'exécution de John Spenkelink a duré plus de six minutes et a nécessité trois décharges électriques massives avant qu'il ne meure. Nous ne disposons d'aucun compte rendu des blessures que l'exécution a causées à Spenkelink, mais des allégations selon lesquelles les gardiens de prison de la Floride lui avaient mis de la ouate dans l'anus et lui avaient fermé la bouche avec du ruban adhésif laissent entendre que ceux‑ci prévoyaient peut‑être le spectacle atroce qu'offre normalement la condamnation à la chaise électrique, et se sont efforcés de rendre la sanction acceptable sur le plan esthétique.

Cette description d'une exécution montre clairement que les personnes exécutées par l'État sont privées de tout semblant de dignité humaine. Le fait qu'on a bourré d'ouate l'anus du condamné et qu'on lui a mis du ruban adhésif sur la bouche laisse entendre que les autorités chargées de l'exécution étaient non seulement insensibles à la dignité humaine, mais s'attendaient aussi pleinement à la réaction horrible qu'entraînerait une punition épouvantable. Même alors, ces dégradations viennent simplement s'ajouter à l'attaque ultime à la dignité humaine, qu'est la destruction de la vie par l'État.

La description de l'exécution au gaz d'Eddie Daniels que le révérend Myer Tobey a faite est similaire:

[traduction] Dans la chambre, il était attaché à la chaise. Le cyanure avait été préparé et placé sous la chaise, sur une cuvette d'acide dont la réaction avec le cyanure formerait le gaz toxique. Les fils de l'électrocardiographe étaient attachés aux avant‑bras et aux jambes de Daniels, et reliés à un moniteur dans l'aire d'observation. Cela permet au médecin de savoir à quel moment le coeur cesse de battre.

Puis, les gardiens de prison ont quitté la chambre, en fermant la lourde porte et en la scellant pour empêcher les fuites de gaz. J'ai pris place à l'une des fenêtres; j'ai regardé Eddie et il m'a regardé. Nous avons à maintes reprises récité la prière ensemble.

Le directeur lui ayant fait signe, un gardien de prison a ensuite tiré un levier pour libérer le cyanure qui était sous la chaise. Eddy a entendu les boulettes tomber, et il s'est raidi. Nous avions les yeux fixés l'un sur l'autre.

Des bouffées d'une légère fumée blanche ont bientôt commencé à s'élever. Daniels a vu la fumée, et a bougé la tête pour tenter d'éviter de la respirer. Pendant que le gaz continuait à s'élever, il a bougé la tête d'un côté et de l'autre, en se débattant autant que les courroies le lui permettaient pour tenter d'éviter de respirer. Il était comme un animal pris au piège, qui ne pouvait pas s'échapper, ses compagnons humains le regardant tout le temps par les fenêtres qui entouraient la chambre. Pris de panique, il ne pouvait que m'entrevoir, mais je continuais à répéter: "Jésus, je Vous aime", et il essayait lui aussi de prononcer ces paroles.

Puis, les convulsions ont commencé. Son corps se tendait autant que les courroies le permettaient. Il avait inhalé le gaz toxique, et tous les muscles de son corps semblaient réagir en se contractant. Il semblait avoir les yeux qui sortaient des orbites, à peu près comme un homme qui étouffe parce qu'une corde lui coupe la trachée‑artère. Mais il n'y avait pas d'air dans la chambre.

Puis, sa tête est tombée en avant. Le médecin qui était dans la salle d'observation a dit que c'était fini. Quelques minutes à peine venaient de s'écouler depuis que les boulettes étaient tombées. Sa tête est restée baissée pendant plusieurs secondes. Puis, alors que nous avions cru que c'était fini, il s'est de nouveau convulsé en levant la tête. Il avait les yeux ouverts; il s'est tendu et il m'a regardé. J'ai dit une autre fois, automatiquement: "Jésus, je Vous aime." Et il a murmuré la prière avec moi. Après plusieurs minutes, il était encore vivant; j'étais horrifié. Il souffrait énormément. Puis, il s'est tendu et il a commencé à réciter de nouveau la prière avec moi. Je savais qu'il était conscient, qu'il ne s'agissait pas de la réaction automatique d'un homme inconscient. Cependant, il n'a pas fini. Sa tête est de nouveau tombée en avant.

Il y a ensuite eu plusieurs convulsions, mais il avait les yeux fermés. Je ne sais pas s'il était conscient à ce moment‑là. Lorsqu'il a arrêté de bouger, à peu près dix minutes après que le gaz eut commencé à s'élever, on l'a officiellement prononcé mort.

Non seulement la peine de mort prive le détenu de tous les vestiges de la dignité humaine, mais c'est également la profanation ultime de la personne en sa qualité d'être humain. C'est l'anéantissement de l'essence même de la dignité humaine.

Examinons maintenant les principes énoncés dans l'arrêt Smith afin de déterminer si la peine de mort est de la nature du châtiment corporel, de la lobotomie ou de la castration, peines qui ont été jugées cruelles et inusitées.

Ce qui est une peine acceptable pour une société dépend de la nature de cette dernière, de son degré de stabilité et de son niveau de maturité. La peine du fouet à neuf lanières et le supplice de la cale étaient des punitions acceptées dans la marine britannique, au XIXe siècle. Or, ces deux peines pouvaient entraîner la mort et il est arrivé que ce fût le cas. Toutefois, à la fin du XIXe siècle, ces peines étaient impensables. Une société plus sensible les avait rendues répugnantes.

De même, le châtiment corporel est maintenant considéré comme cruel et inusité; pourtant, jusqu'à ce qu'il soit aboli en 1973, il s'agissait d'un genre de peine accepté au Canada. L'explication, il me semble, est qu'une société évoluée a reconnu que la condamnation au fouet serait maintenant une peine cruelle et intolérable.

Si le châtiment corporel, la lobotomie et la castration ne sont plus acceptables et vont à l'encontre de l'art. 12, la peine de mort ne peut pas être considérée comme autre chose qu'une peine cruelle et inusitée. C'est l'affront suprême, le châtiment corporel ultime, la lobotomie finale et complète et la castration absolue et irrévocable.

En tant que profanation ultime de la dignité humaine, la condamnation à mort au Canada va clairement à l'encontre de la protection fournie par l'art. 12 de la Charte. La peine capitale est en soi cruelle et inusitée.

Si Kindler avait commis le meurtre au Canada, l'abolition de la peine de mort au pays et, fait encore plus important, les dispositions de l'art. 12 de la Charte empêcheraient son exécution. Il s'agit maintenant de savoir si le fait que les autorités américaines, plutôt que les autorités canadiennes, se chargeraient de l'exécution porte un coup fatal à l'argument invoqué par Kindler au sujet de l'art. 12. En somme, la décision du ministre de livrer Kindler aux autorités américaines, qui peuvent le condamner à mort, a‑t‑elle pour effet de le "soumettre" à une peine cruelle et inusitée au sens de l'art. 12?

VIIILa pertinence du fait que la peine de mort serait infligée par les États-Unis et non par le Canada

Selon l'intimé, à supposer que la peine de mort soit une peine cruelle, les protections fournies par la Charte ne devraient pas s'appliquer aux fugitifs. À l'appui de cette position, l'intimé affirme que l'extradition de Kindler ne veut pas dire que le Gouvernement du Canada soumettrait le fugitif à une peine cruelle et inusitée, puisque la peine serait infligée par l'État requérant. On a soutenu que, dans la mesure où le procès que le fugitif a subi ou subira dans l'État requérant est équitable, la peine découlant du verdict de culpabilité ne peut pas être visée par les dispositions de la Charte. Compte tenu des arrêts de notre Cour au sujet de la Charte, cet argument doit être rejeté.

La façon d'aborder la question de l'application de la Charte

Bien que la Charte ne s'applique pas extraterritorialement, les personnes qui sont assujetties à la procédure d'extradition au Canada doivent se voir conférer tous les droits qu'elle garantit. Notre Cour a indiqué la façon d'aborder la question dans l'arrêt Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177. Dans cette affaire, les revendicateurs du statut de réfugié ont soutenu qu'à la suite de la décision du Canada de ne pas leur accorder le statut de réfugié au sens de la Convention, ils risquaient de faire l'objet de poursuites dans leur propre pays en raison de leurs convictions politiques. Au nom de la pluralité des juges, le juge Wilson a conclu que la décision privait les revendicateurs du droit à la sécurité de la personne prévu par l'art. 7 et que cela suffisait pour que la protection fournie par la Charte s'applique. Le juge Wilson a souligné tout particulièrement que la Charte assure une protection non seulement contre la punition elle‑même, mais également contre la menace de punition.

Le principe énoncé dans l'arrêt Singh a été appliqué dans le contexte de l'extradition dans l'arrêt Schmidt, précité, où le juge La Forest a conclu que la manière dont l'État étranger traitera le fugitif extradé peut, dans certains cas, violer la Charte. Lorsque cette possibilité existe, le Canada, en sa qualité d'État requis, doit accepter la responsabilité de la conséquence finale de l'extradition. À mon avis, telle est la conclusion à tirer des motifs prononcés par le juge La Forest, à la p. 522:

Je ne doute pas non plus que dans certaines situations le traitement que l'État étranger réservera au fugitif extradé, que ce traitement soit ou non justifiable en vertu des lois de ce pays‑là, peut être de telle nature que ce serait une violation des principes de justice fondamentale que de livrer un accusé dans ces circonstances. À ce propos, il suffit de se référer à une affaire portée devant la Commission européenne des droits de l'homme, Altun v. Germany (1983), 5 E.H.R.R. 611, dans laquelle il a été établi que des poursuites dans le pays requérant pourraient comprendre le recours à la torture. Il est fort possible que se présentent des cas bien moins graves où la nature des procédures criminelles dans un pays étranger ou des peines prévues choque suffisamment la conscience pour qu'une décision de livrer un fugitif afin qu'il y subisse son procès constitue une atteinte aux principes de justice fondamentale consacrés dans l'art. 7. [Je souligne.]

Cette position a été reprise dans les arrêts Argentine c. Mellino, [1987] 1 R.C.S. 536, et États‑Unis c. Allard, [1987] 1 R.C.S. 564. Il est vrai que ces arrêts sont fondés sur l'examen de l'art. 7 de la Charte, mais les mêmes principes s'appliquent à l'art. 12. La même conclusion a été tirée en Europe, où des arguments similaires à ceux que l'intimé a invoqués ont été fermement rejetés.

La position européenne

Les arrêts européens sont dans une large mesure fondés sur les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 213 R.T.N.U. 223, mais ils servent à montrer la tendance judiciaire dans les affaires d'extradition où le fugitif peut être soumis à des peines ou traitements cruels et inusités.

L'article 3 de la Convention européenne prévoit que "[n]ul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants". Dans l'arrêt X. c. République fédérale d'Allemagne, requête no 6315/73, 30 septembre 1974, D.R. 1, p. 73, à la p. 73, la Commission européenne des droits de l'homme a examiné l'application de l'article 3 en matière d'expulsion et d'extradition. Elle a déclaré:

La Commission rappelle à cet égard que si la matière de l'extradition, de l'expulsion et du droit d'asile ne compte point, par elle‑même, au nombre de celles que régit la Convention, les États contractants n'en ont pas moins accepté de restreindre le libre exercice des pouvoirs que leur confère le droit international général, y compris celui de contrôler l'entrée et la sortie des étrangers, dans la mesure et la limite des obligations qu'ils ont assumées en vertu de la Convention [. . .] Dès lors, l'expulsion ou l'extradition d'un individu peut, dans certains cas exceptionnels, se révéler contraire à la Convention et notamment à son article 3, lorsqu'il y a des raisons sérieuses de croire qu'il sera soumis, dans l'État vers lequel il doit être dirigé, à des traitements prohibés par ce dernier article. [Je souligne.]

Dans l'arrêt Altun c. République fédérale d'Allemagne, requête no 10308/83, 3 mai 1983, D.R. 36, p. 209 (décision que le juge La Forest a citée et approuvée dans l'arrêt Schmidt, précité, à la p. 522), la Commission européenne a donné des précisions au sujet de l'application de l'article 3 de la Convention européenne à la procédure d'extradition. La Commission a jugé que la décision de remettre un fugitif à un pays où celui‑ci risque d'être soumis à la torture est visée par l'article 3. Dans cette affaire, le requérant a allégué que s'il était livré à l'État requérant, il risquerait d'être exécuté ou torturé. La Commission a rejeté l'argument concernant la peine de mort, car l'État requérant avait fourni des garanties selon lesquelles cette peine ne serait pas infligée au requérant. Toutefois, la Commission a conclu qu'Altun risquait d'être torturé et elle a donc rejeté la demande d'extradition.

Comme ces arrêts le montrent, la Commission européenne a jugé que le fait qu'un fugitif risque objectivement d'être torturé suffit pour entraîner la responsabilité de l'État requérant en vertu de l'article 3 de la Convention. Cette position a été confirmée dans l'arrêt Kirkwood c. Royaume‑Uni, requête no 10479/83, 12 mars 1984, D.R. 37, p. 158, aux pp. 215 et 216.

Mentionnons également l'affaire Soering, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 161, dans laquelle la Cour européenne des droits de l'homme, à la p. 35, a examiné une demande d'extradition présentée au Royaume‑Uni par les États‑Unis. Les autorités américaines voulaient intenter des poursuites contre Soering à la suite de meurtres brutaux commis en Virginie. Le Royaume‑Uni était prêt à livrer l'accusé à la condition que, si celui‑ci était reconnu coupable, on fasse observer au juge chargé de prononcer la peine que le Royaume‑Uni souhaitait que la peine de mort ne soit pas infligée ou appliquée. Apparemment, tel était habituellement l'engagement que les États‑Unis prenaient envers le Royaume‑Uni, mais de toute évidence, cela ne constituait pas une garantie que la peine de mort ne serait pas appliquée.

La Cour européenne des droits de l'homme a conclu qu'étant donné que le Royaume‑Uni (qui était partie contractante à la Convention européenne) avait décidé d'extrader le fugitif, on pouvait se demander si l'extradition allait entraîner la violation de l'article 3 de la Convention. Elle a jugé que l'extradition constituait pour Soering un risque réel d'être exposé au "syndrome du couloir de la mort", et d'être en fin de compte exécuté. Le fugitif serait donc soumis à des peines ou à des traitements inhumains ou dégradants en violation de l'article 3. La cour a exprimé ainsi sa position, aux pp. 35 et 36:

Un État contractant se conduirait d'une manière incompatible avec les valeurs sous‑jacentes à la Convention, ce "patrimoine commun d'idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit" auquel se réfère le Préambule, s'il remettait consciemment un fugitif — pour odieux que puisse être le crime reproché — à un autre État où il existe des motifs sérieux de penser qu'un danger de torture menace l'intéressé. Malgré l'absence de mention expresse dans le texte bref et général de l'article 3, pareille extradition irait manifestement à l'encontre de l'esprit de ce dernier; aux yeux de la Cour, l'obligation implicite de ne pas extrader s'étend aussi au cas où le fugitif risquerait de subir dans l'État de destination des peines ou traitements inhumains ou dégradants proscrits par ledit article.

. . .

En principe, il n'appartient pas aux organes de la Convention de statuer sur l'existence ou l'absence de violations virtuelles de celle‑ci. Une dérogation à la règle générale s'impose pourtant si un fugitif allègue que la décision de l'extrader enfreindrait l'article 3 au cas où elle recevrait exécution, en raison des conséquences à en attendre dans le pays de destination; il y va de l'efficacité de la garantie assurée par ce texte, vu la gravité et le caractère irréparable de la souffrance prétendument risquée . . .

En résumé, pareille décision peut soulever un problème au regard de l'article 3, donc engager la responsabilité d'un État contractant au titre de la Convention, lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé, si on le livre à l'État requérant, y courra un risque réel d'être soumis à la torture, ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Pour établir une telle responsabilité, on ne peut éviter d'apprécier la situation dans le pays de destination à l'aune des exigences de l'article 3. Il ne s'agit pas pour autant de constater ou prouver la responsabilité de ce pays en droit international général, en vertu de la Convention ou autrement. Dans la mesure où une responsabilité se trouve ou peut se trouver engagée sur le terrain de la Convention, c'est celle de l'État contractant qui extrade, à raison d'un acte qui a pour résultat direct d'exposer quelqu'un à des mauvais traitements prohibés.

L'intimé soutient que l'affaire Soering est peu pertinente, car le fugitif n'avait que 18 ans au moment du meurtre et son pays d'origine, l'Allemagne de l'Ouest, où la peine de mort avait été abolie, demandait également son extradition. Toutefois, la lecture de la décision ne m'a pas permis de constater que l'âge de Soering ou son pays d'origine avaient été des éléments cruciaux ou déterminants.

Bref, la position qui a été prise en vertu de la Convention européenne est que la décision de remettre un fugitif à un pays où il risque la torture, ou encore des peines ou traitements inhumains ou dégradants, constitue une violation du droit qu'il possède de ne pas être "soumis" à pareil traitement. Si par suite de l'extradition, l'article 3 risque d'être violé, une partie contractante à la Convention européenne doit, en l'absence d'un engagement approprié, rejeter la demande d'extradition. En outre, le fait de risquer d'être condamné à la peine de mort, qui donne lieu au "syndrome du couloir de la mort", constitue une violation de l'article 3. Ainsi, il est clair que la décision de livrer un fugitif qui encourt une peine cruelle et inusitée a pour effet de le soumettre à cette punition. Si l'on appliquait le même raisonnement dans le contexte canadien, la décision de livrer un fugitif qui, une fois condamné, risque d'être soumis à la peine de mort irait à l'encontre des dispositions de l'art. 12 de la Charte.

La responsabilité de l'État requis

Cela étant, la prétention de l'intimé selon laquelle la Charte ne s'applique pas aux peines cruelles et inusitées infligées par l'État requérant doit être rejetée. À mon avis, puisque la peine de mort est une peine cruelle, cet argument constitue un abandon indéfendable de la responsabilité morale. Cette position a toujours été condamnée. Le fait que Ponce Pilate s'en soit lavé les mains ne le libérait pas de sa responsabilité en ce qui concerne la peine de mort infligée par des tiers, et n'a jamais été vu d'un bon oeil.

Bien que ce soient les États‑Unis et non le Canada qui infligeraient la peine de mort, le Canada a l'obligation de ne pas extrader une personne qui serait soumise à des peines ou traitements cruels et inusités. Livrer un fugitif qui peut être soumis à la peine de mort va à l'encontre de l'art. 12 de la Charte, comme ce serait le cas si le fugitif était exécuté au Canada. Par conséquent, la décision du ministre d'extrader Kindler sans obtenir les garanties prévues par l'article 6 viole les droits reconnus à ce dernier par l'art. 12. Il reste uniquement à déterminer si cette violation est justifiable en vertu de l'article premier de la Charte.

IX L'article premier de la Charte

La peine capitale, dans le cas d'une infraction civile, ne peut pas être justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. De fait, il est difficile d'imaginer comment elle pourrait l'être. Toutefois, supposons qu'une peine, allant en soi à l'encontre de l'art. 12, soit justifiable en vertu de l'article premier. Même alors, la peine capitale ne pourrait pas satisfaire au critère de la proportionnalité, sauf peut‑être dans de rares cas, par exemple, une condamnation pour une infraction militaire très grave commise en temps de guerre ou en situation d'urgence.

L'argument fondé sur le refuge sûr

La principale justification en vertu de l'article premier avancée par l'intimé se rapporte à ce qu'on appelle "refuge sûr". L'intimé soutient que si l'on jugeait que la peine de mort est en soi une peine cruelle et inusitée, obliger le ministre à insister pour qu'une garantie soit donnée en vertu de l'article 6 dans chaque cas où la peine de mort pourrait être infligée aurait pour effet de faire du Canada un refuge sûr pour les meurtriers. Selon lui, le maintien de ce pouvoir discrétionnaire constitue une limite raisonnable à l'interdiction prévue par la Charte d'infliger une peine allant en soi à l'encontre de l'art. 12.

Je ne puis retenir cette prétention. Il s'agit d'un argument in terrorem invoqué sans preuve à l'appui.

Il n'est pas déraisonnable de supposer que les gens qui font face à des accusations au criminel puissent s'enfuir. Cependant, en Europe, la décision de ne pas extrader sans obtenir de garanties au sujet de la peine de mort n'a pas donné lieu à un exode évident de criminels violents d'un État à l'autre. L'intimé exclurait toute comparaison avec l'Europe en raison de la surveillance plus étroite des frontières nationales et des différences linguistiques qui font qu'il est plus difficile pour un fugitif de s'enfuir. Toutefois, même si la frontière relativement ouverte et la similarité des langues facilitent la fuite des États‑Unis au Canada, les raisons de cette fuite ne sont pas nécessairement liées à la présomption selon laquelle le Canada cherchera à obtenir des garanties en vertu de l'article 6 avant de livrer le fugitif. Ce dernier peut dans bien des cas s'enfuir pour éviter d'être découvert ou de subir son procès. Ce sont là des raisons suffisantes de s'enfuir, indépendamment des garanties prévues par l'article 6. Il faut se rappeler que tout fugitif doit d'abord échapper aux autorités américaines, puis réussir à entrer au Canada. Le fugitif qui réussit à le faire doit en outre éviter d'être découvert au Canada.

L'intimé allègue que le Canada cherche à empêcher une arrivée massive de meurtriers. C'est à l'aide du passé que l'on peut le mieux établir le bien‑fondé d'une allégation selon laquelle un danger se présentera à l'avenir. Or, dans ce cas‑ci, le passé ne nous permet pas vraiment de supposer qu'une multitude de problèmes se poseront à l'avenir. L'article 6 existe depuis 1976; pourtant, on n'a pu constater que deux cas dans lesquels des meurtriers ou de présumés meurtriers américains se sont enfuis au Canada: Kindler et Ng. En ce qui concerne Ng, il n'est pas étonnant qu'il ait tenté de s'enfuir à Calgary, où sa soeur habitait. Il n'est tout simplement pas prouvé que l'existence de l'article 6 a donné lieu à une arrivée massive de meurtriers américains au Canada. Il n'y a pas non plus lieu de croire que cela se produirait si les ministres de la Justice cherchaient uniformément à obtenir les garanties prévues par l'article 6.

L'intimé ne soutient pas que les garanties prévues par l'article 6 ne devraient jamais être demandées; il affirme plutôt que la décision de les exiger doit être prise dans chaque cas. Cependant, une fois qu'on saura que le Canada cherche parfois à obtenir des garanties, il y aura autant de fugitifs américains qui voudront s'enfuir au Canada que si les garanties étaient toujours demandées. La différence, entre exiger uniformément des garanties et en exiger occasionnellement est une différence quantitative seulement.

On ne peut pas dire que la position de l'intimé est fondée sur des principes. Il est inacceptable que certaines personnes soient arbitrairement soumises à une peine cruelle et inusitée uniquement pour dissuader les meurtriers américains de s'enfuir au Canada. Accorder au ministre le pouvoir discrétionnaire arbitraire de demander à l'occasion des garanties fondées sur l'article 6 ne peut pas servir de justification en vertu de l'article premier. Dire qu'il est justifiable de chercher à obtenir des garanties dans certains cas seulement ne peut pas satisfaire au critère de la proportionnalité requis pour déterminer la limite raisonnable prescrite par la loi. Cet argument doit être rejeté.

Les obligations fondées sur le Traité

On a également soutenu que, pour respecter ses engagements internationaux en vertu du Traité, le Canada ne devrait pas uniformément chercher à obtenir les garanties prévues par l'article 6. L'intimé soutient essentiellement que Kindler est un homme mauvais. Indépendamment du fait que Kindler est passible de la peine de mort, dit‑on, il devrait être livré aux autorités américaines de façon que le Canada s'acquitte des obligations qui lui incombent en vertu du Traité.

Toutefois, il faut se rappeler qu'indépendamment de la nature ignoble du meurtre, Kindler ne serait pas exécuté au Canada, s'il y avait commis le meurtre. En outre, le Canada s'est engagé envers la collectivité internationale à reconnaître et à promouvoir la dignité humaine et à abolir la peine de mort. Ces engagements n'ont pas été pris à la légère; ils témoignent des valeurs et des principes existant au pays. Le Canada ne peut pas, d'une part, s'engager, sur le plan international, à appuyer l'abolition de la peine de mort et, d'autre part, livrer un fugitif sans chercher à obtenir les garanties mêmes prévues par le Traité. Cela voudrait dire soit que le Canada ne respecte pas ses engagements internationaux, soit qu'il applique une norme à l'égard des autorités américaines et une autre à l'égard des autres pays. Ni l'une ni l'autre de ces propositions n'est acceptable car elles vont à l'encontre des valeurs et engagements canadiens.

X:Résumé

Au Canada, il est interdit de condamner un meurtrier à la peine capitale. L'article 12 de la Charte prévoit que nul ne doit être soumis à une peine cruelle et inusitée. Or, la peine de mort est en soi une peine cruelle et inusitée. C'est la dénégation ultime de la dignité humaine. Nul ne peut y être assujetti. La décision du ministre de livrer un fugitif qui risque d'être exécuté, sans obtenir une garantie en vertu de l'article 6, peut être examinée en vertu de l'art. 12 de la Charte. Par conséquent, le ministre ne doit pas livrer Kindler sans obtenir la garantie décrite à l'article 6 du Traité. S'il le faisait, l'art. 25 de la Loi sur l'extradition serait incompatible avec la Charte lorsqu'il s'agit de l'appliquer aux fugitifs passibles de la peine de mort.

Cette conclusion est fondée sur la réticence que les jurés ont toujours manifestée depuis des siècles à infliger la peine de mort, sur les dispositions de l'art. 12 de la Charte, sur les arrêts de notre Cour au sujet de cette disposition, sur les arrêts dans lesquels notre Cour souligne l'importance fondamentale de la dignité humaine ainsi que sur les déclarations et engagements du Canada, sur le plan international, mettant l'accent sur l'importance de la dignité de la personne et prônant l'abolition de la peine de mort.

La Charte, les jugements prononcés à ce sujet ainsi que les déclarations et engagements du Canada, sur le plan international, témoignent des principes qui s'appliquent au pays. Pour maintenir l'intégrité et la réputation du Canada dans la collectivité internationale, l'extradition doit être refusée à moins qu'une garantie ne soit obtenue conformément à l'article 6. Prendre cette position ne constitue pas un refus absolu d'extrader une personne. Cela oblige simplement l'État requérant à s'engager à remplacer la condamnation à mort par une peine d'emprisonnement à perpétuité si le détenu est reconnu coupable de l'infraction.

XIDispositif

Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler l'arrêté d'extradition et de demander au ministre de chercher à obtenir les garanties prévues à l'article 6 du Traité. Si ces garanties ne sont pas obtenues, l'arrêté d'extradition ira à l'encontre de l'art. 12 de la Charte et ne pourra pas être justifié en vertu de l'article premier. Il s'ensuit que les réponses aux questions constitutionnelles sont les suivantes:

1. L'article 25 de la Loi sur l'extradition, L.R.C. (1985), ch. E‑23, est‑il incompatible avec les art. 7 ou 12 de la Charte canadienne des droits et libertés dans la mesure où il autorise le ministre de la Justice à ordonner la remise d'un fugitif pour un crime à l'égard duquel le fugitif a été ou peut être condamné à mort dans un État étranger, sans obtenir au préalable la garantie de cet État étranger que la peine de mort ne sera pas infligée ou, si elle l'est, ne sera pas appliquée?

Oui, il est incompatible avec l'art. 12 de la Charte.

2. Si la réponse à la première question est affirmative, l'art. 25 de la Loi sur l'extradition, L.R.C. (1985), ch. E‑23, est‑il une restriction raisonnable des droits d'un fugitif au sens de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, et donc compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Non.

ANNEXE A

1. Abolition pour toutes les infractions

Pays

Date de l'abolition

Date de l'abolition pour les infractions ordinaires

Date de la dernière exécution

Andorre

1990

1943

Australie

1985

1984

1967

Autriche

1968

1950

1950

Cambodge

1989

Cap‑Vert

1981

1835

Colombie

1910

1909

Costa Rica

1877

Danemark

1978

1933

1950

Équateur

1906

État de la cité du Vatican

1969

Finlande

1972

1949

1944

France

1981

1977

Haïti

1987

1972*

Honduras

1956

1940

Hongrie

1990

1988

Îles Marshall

**

Îles Salomon

1966

**

Irlande

1990

1954

Islande

1928

1830

Kiribati

**

Liechtenstein

1987

1785

Luxembourg

1979

1949

Micronésie (États fédérés)

**

Monaco

1962

1847

Mozambique

1990

1986

Namibie

1990

1988*

Nicaragua

1979

1930

Norvège

1979

1905

1948

Nouvelle‑Zélande

1989

1961

1957

Panama

1903*

Pays‑Bas

1982

1870

1952

Philippines

1987

1976

Portugal

1976

1867

1849*

République dominicaine

1966

République fédérale d'Allemagne

1949/

1987***

1949***

Roumanie

1989

1989

San Marino

1865

1848

1468*

Sao Tomé et Principe

1990

**

Suède

1972

1921

1910

Tchécoslovaquie

1990

1988

Tuvalu

**

Uruguay

1907

Vanuatu

**

Venezuela

1863

*Date de la dernière exécution connue.

**Aucune exécution depuis l'indépendance.

*** La peine de mort a été abolie en République fédérale d'Allemagne

(RFA) en 1949 et en République démocratique allemande (RDA) en 1987. En RFA, la dernière exécution a eu lieu en 1949; la date de la dernière exécution en RDA n'est pas connue. La RFA et la RDA ont été réunies en un seul pays, la République fédérale d'Allemagne, en octobre 1990.

2. Abolition pour les infractions ordinaires seulement

Pays

Date de

l'abolition

Date de la dernière exécution

Argentine

1984

Brésil

1979

1855

Canada

1976

1962

Chypre

1983

1962

El Salvador

1983

1973*

Espagne

1978

1975

Fiji

1979

1964

Israël

1954

1962

Italie

1947

1947

Malte

1971

1943

Mexique

1937

Népal

1990

1979

Papouasie- Nouvelle‑Guinée

1974

1950

Pérou

1979

1979

Royaume‑Uni

1973

1964

Seychelles

**

Suisse

1942

1944

*Date de la dernière exécution connue.

**Aucune exécution depuis l'indépendance.

Renseignements recueillis par Amnistie internationale.

Version française du jugement des juges La Forest, L'Heureux-Dubé et Gonthier rendu par

//Le juge La Forest//

Le juge La Forest — J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mes collègues les juges Cory et McLachlin et je suis pour l'essentiel d'accord avec le juge McLachlin. Toutefois, je désire ajouter mes propres motifs.

Étant donné que les faits ont déjà été énoncés d'une manière détaillée, il suffit que je les souligne brièvement. L'appelant, Joseph John Kindler, a été déclaré coupable de meurtre, d'enlèvement et de complot criminel par un tribunal compétent de l'État de la Pennsylvanie. Une audience pour fixer la peine a été tenue conformément au droit de la Pennsylvanie et le jury, qui a conclu que les circonstances aggravantes entourant ces infractions étaient plus importantes que les circonstances atténuantes, a infligé une peine de mort à l'unanimité. L'appelant s'est évadé avant que la peine n'ait pu être appliquée et a été arrêté dans la province de Québec plusieurs mois plus tard. Les États‑Unis ont demandé l'extradition de l'appelant en application du Traité d'extradition entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique, R.T. Can. 1976 no 3.

La question générale soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si la décision du ministre de la Justice de livrer l'appelant aux autorités américaines sans obtenir la garantie que la peine de mort ne serait pas infligée ou, si elle l'était, ne serait pas appliquée, viole les droits reconnus à l'appelant par la Charte canadienne des droits et libertés.

L'appelant a fondé ses arguments sur l'art. 7 et l'art. 12 de la Charte, mais il a mis l'accent plus directement sur l'art. 12, qui interdit les traitements ou peines cruels et inusités. Toutefois, le juge McLachlin souligne à bon droit que l'art. 7 de la Charte constitue la disposition appropriée en vertu de laquelle les actions du ministre doivent être évaluées. Celles‑ci ne constituent pas une peine cruelle et inusitée. Si, en fin de compte, l'exécution a lieu, ce sera l'exécution aux États-Unis, en vertu du droit américain, d'un citoyen américain pour un crime commis aux États‑Unis. Elle ne résulte pas d'une initiative prise par le gouvernement canadien. Le lien avec le Canada dans l'affaire découle du fait que le fugitif s'y est réfugié volontairement, et la question qui doit être tranchée est de savoir si l'action du gouvernement canadien de le remettre à son propre pays porte atteinte à sa liberté et à sa sécurité d'une manière qui est interdite.

Il ne fait aucun doute que le droit de l'appelant à la liberté et à la sécurité de sa personne est très gravement atteint parce qu'il s'expose à l'exécution de la peine de mort à son retour. La véritable question est de savoir si l'extradition dans ces conditions viole les principes de justice fondamentale. Tout d'abord, je dois dire que je conviens avec le juge Cory que la procédure suivie par le ministre n'a pas porté atteinte à ces principes. La question est donc de savoir si ces principes ont été violés relativement à des aspects de fond.

Pour répondre à cette question, le juge McLachlin reconnaît à bon droit que les valeurs qui découlent de l'art. 12 jouent un rôle important pour définir la justice fondamentale dans ce contexte. Par conséquent, notre Cour a conclu que l'extradition doit être refusée si la remise placerait le fugitif dans une situation tellement inacceptable qu'elle «choque [. . .] la conscience»; voir Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500.

Évidemment, il y a des situations où la peine infligée à la suite de l'extradition — par exemple, la torture — porterait tellement atteinte aux valeurs de la société canadienne que la remise serait inacceptable. Toutefois, je ne crois pas que la remise des fugitifs qui sont passibles de la peine de mort à l'étranger risquerait dans tous les cas de choquer la conscience des Canadiens. Selon mon collègue, le juge Cory, les votes libres pris à la Chambre des communes en 1976 et 1987 rejetant le rétablissement de la peine de mort sont le signe d'une «répugnance fondamentale» à l'égard de la peine de mort et montrent «clairement que la peine capitale est considérée comme contraire aux valeurs fondamentales canadiennes» (p. 000). Toutefois, le rejet, il y a seulement quatre ans, du rétablissement de la peine de mort par la faible marge de 148 à 127 indique le contraire. Comme le juge Marceau le dit dans son arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1989] 2 C.F. 492, le fait qu'un vote ait été tenu sur la question donne à penser que la peine de mort n'est pas considérée comme un affront à la conscience publique. On ne saurait envisager un vote semblable en vue de savoir s'il faut rétablir la torture. De plus, il faut souligner que nous tentons d'évaluer la conscience publique, non pas en rapport avec l'application de la peine de mort au Canada, mais en ce qui a trait à l'extradition d'un particulier dans des circonstances où il serait passible de la peine de mort dans un autre pays. Je devrais peut-être signaler que, à mon avis, les tribunaux ne devraient pas déterminer ce qui est inacceptable en fonction de données statistiques sur l'approbation ou la désapprobation par le public en général, mais il est juste de dire que ces données permettent de se faire une idée des valeurs publiques de la société. Une position semblable ressort des motifs du juge en chef Laskin dans l'arrêt Miller c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680, qui ont eu une influence considérable dans la définition des «peines cruelles et inusitées» aux termes de la Charte; voir R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045; R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309.

Compte tenu de ces faits, j'analyse d'une manière plus détaillée la question de savoir si l'extradition contestée viole les principes de justice fondamentale consacrés dans l'art. 7 de la Charte. Notre Cour a dit, à plusieurs reprises, que dans l'étude de la question de la justice fondamentale elle est engagée dans un processus de pondération. Pour appliquer ce processus en l'espèce, il faut carrément tenir compte du contexte global. Au Canada, les lois s'appliquent d'une manière générale et le législateur a beaucoup de choix. Par exemple, le législateur peut abolir la peine de mort et atteindre son but par d'autres moyens. C'est ce qui a été fait, sauf en ce qui concerne certaines infractions militaires. Il y a de bons motifs de croire que, compte tenu de la faible mesure dans laquelle la peine de mort fait progresser tout objectif pénologique valide et de l'atteinte grave à la dignité humaine qu'elle engendre, cette peine ne peut, sauf dans des circonstances exceptionnelles, être justifiée dans notre pays. Toutefois, je le répète, là n'est pas la question en litige.

Contrairement à la situation interne, la décision du ministre en l'espèce s'applique dans un cas précis où les faits particuliers sont d'une grande importance pour l'évaluation constitutionnelle. Ce qui est le plus important, c'est qu'elle s'inscrit dans un cadre global où la grande majorité des nations dans le monde conserve la peine de mort. Il est vrai qu'au cours des cinquante dernières années il y a eu une tendance croissante et, à mon avis, souhaitable dans les nations occidentales à abolir la peine de mort, mais certaines sont allées à l'encontre de ce courant, notamment les États‑Unis, fait qui a un intérêt particulier compte tenu de la taille de ce pays et de sa proximité avec le nôtre. Un certain nombre d'accords internationaux importants, mentionnés par le juge Cory, appuient le courant en faveur de l'abolition mais, à l'exception du Protocole no 6 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort, S.T. Europ. no 114, aucun n'interdit vraiment l'utilisation de la peine de mort. Cette situation contraste avec la condamnation générale dans le monde de pratiques comme le génocide, l'esclavage et la torture; voir par exemple, les articles 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 999 R.T.U.N. 187.

Par conséquent, malgré ces tendances, il n'existe aucune norme internationale. En fait, le Traité type d'extradition présenté aussi récemment qu'en 1990 au Huitième congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants tenu à La Havane reflète plus directement l'attitude internationale à l'égard de l'extradition d'une personne passible de la peine de mort. L'article 4 du Traité type d'extradition, qui énumère des «motifs facultatifs» pour refuser l'extradition et prévoit le même genre de pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de l'obtention d'une garantie concernant la peine de mort que celui qui se trouve à l'article 6 du Traité d'extradition entre le Canada et les États‑Unis, envisage clairement la possibilité d'une extradition sans condition dans des circonstances comme celles de l'espèce.

Le gouvernement a le droit et le devoir d'empêcher des étrangers d'entrer dans notre pays et d'en expulser s'il le juge à propos. Évidemment, ce droit existe indépendamment de l'extradition. Si un étranger dont le dossier criminel grave est notoire tente d'entrer au Canada, on peut lui refuser l'entrée. De la même façon, il pourrait être déporté une fois entré au Canada. Ce pouvoir d'État fondamental a été décrit par lord Atkinson dans l'arrêt Attorney‑General for Canada v. Cain, [1906] A.C. 542, à la p. 546:

[traduction] Parmi les droits que possède le pouvoir suprême de chaque État il y a le droit d'en refuser l'entrée à un étranger [. . .] et d'expulser ou de déporter de l'État, s'il le juge à propos, même un étranger amical. . .

S'il en était autrement, le Canada pourrait devenir un refuge pour les criminels et les autres personnes que, légitimement, nous ne voulons pas avoir parmi nous. Je sais que, pour des raisons humanitaires, des dispositions prévoient maintenant l'admission de réfugiés politiques mais, bien entendu, ce cas n'est pas pertinent en l'espèce. Il serait étrange que le Canada puisse expulser des auteurs de crimes moins graves mais soit obligé par la Charte d'accorder le droit d'asile à des personnes recherchées pour des crimes tellement graves qu'ils entraînent la peine de mort dans leur pays d'origine. Ce point a en fait été soulevé à l'égard de l'appelant en l'espèce devant la Cour d'appel fédérale qui a conclu que l'expulsion de l'appelant ne violerait pas les principes de justice fondamentale (Kindler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34). On est arrivé au même résultat dans un autre arrêt récent: Shepherd v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1989), 52 C.C.C. (3d) 386 (C.A. Ont.), rejeté pour des motifs de compétence, à la p. 399, autorisation de pourvoi devant notre Cour refusée, [1989] 2 R.C.S. xi. Voir également Blanusa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 27 F.T.R. 107.

Je ne vois pas pour quelle raison la même démarche générale ne devrait pas s'appliquer à l'extradition. L'un des buts fondamentaux de cette procédure est de veiller à ce qu'un genre précis d'étranger indésirable ne soit pas en mesure de demeurer au Canada. Il est sans doute vrai que l'extradition et l'expulsion n'ont pas toujours le même but car il peut y avoir des cas où elles servent à des fins différentes et l'équité peut exiger qu'une procédure soit utilisée plutôt que l'autre. Toutefois, ce n'est pas le cas en l'espèce et je m'inquiéterais de favoriser le recours à l'expulsion plutôt qu'à l'extradition qui contient des mesures de protection relatives au processus criminel.

Dans les deux cas, il peut y avoir des situations où un arrêté est inconstitutionnel. En plus de la torture, il y a la nature de l'infraction, l'âge ou la capacité mentale de l'accusé (voir Cour eur. D. H., affaire Soering, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 161, aux pp. 44 et 45) et d'autres circonstances qui peuvent vicier un arrêté d'extradition du point de vue constitutionnel. Toutefois ces considérations ne sont pas soulevées en l'espèce ni relativement à Charles Ng, dont le renvoi a été entendu conjointement avec le présent pourvoi. Le crime dont Kindler a été déclaré coupable peut seulement être décrit comme un meurtre brutal et prémédité. Selon le rapport d'extradition, après avoir frappé la victime à la tête avec un bâton de base-ball, Kindler l'aurait traînée à une rivière voisine, aurait attaché un bloc de ciment à son cou et l'aurait lancée dans la rivière alors qu'elle était encore en vie. Ng, pour sa part, a été accusé d'une série d'infractions d'une nature abominable. Ces personnes me sembleraient être précisément le genre d'individus que le ministre voudrait garder hors du Canada pour la protection du public.

Par conséquent, la question qui nous est posée en l'espèce est de savoir si le fait de livrer des personnes qui ont été accusées du pire genre de crime et qui sont passibles de la peine de mort aux États‑Unis choque la conscience. En l'absence de preuve de circonstances atténuantes, je ne crois pas que ce soit le cas. C'est particulièrement vrai compte tenu du fait que le défaut d'extrader sans restriction pourrait avoir comme conséquence que le Canada devienne une destination plus attirante pour les fugitifs américains dans l'avenir. Il est également important, comme le souligne le juge McLachlin, que la partie qui demande l'extradition en l'espèce est les États‑Unis — un pays dont le système de justice pénale est, à de nombreux égards, semblable au nôtre et qui accorde des protections importantes au criminel défendeur.

L'importance de la possibilité qu'un accusé soit tenté de s'enfuir vers le Canada ne devrait pas être écartée. L'avocat nous a présenté des éléments de preuve pour démontrer que, depuis 1976, environ 300 000 homicides ont été commis aux États‑Unis. Comme notre Cour l'a reconnu précédemment, les deux pays partagent une longue frontière relativement ouverte et ont des cultures semblables, ce qui rend beaucoup plus probable une évasion de l'autre côté de la frontière; voir États‑Unis d'Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469, à la p. 1490. Le fait que l'appelant en l'espèce, comme le fugitif Charles Ng dans le renvoi connexe, n'a finalement été retrouvé au Canada que parce qu'il y avait commis des crimes, souligne le danger auquel nous nous exposons si nous permettons au Canada de devenir un «refuge sûr» pour les personnes soupçonnées de meurtre. Il n'était pas entièrement imprévisible que Ng, qui était au courant des conséquences possibles d'une arrestation dans son cas, ait été prêt à risquer d'utiliser une arme à feu pour tenter d'éviter la capture même pour l'infraction relativement mineure de vol à l'étalage. J'ajouterais que les autres affaires récentes que j'ai mentionnées ne permettent pas de dissiper ces préoccupations.

Je sais qu'il arrive qu'un fugitif ait des motifs pour s'enfuir dans un autre pays qui n'ont pas grand‑chose à voir avec la question de savoir si ce pays insistera pour que la peine de mort ne soit pas appliquée, mais ces motifs ne réduisent pas la force des arguments qui ont déjà été présentés. Ces arguments ont persuadé le ministre. Il a décidé, dans l'intérêt de la sécurité des Canadiens, qu'il ne devrait pas, en l'espèce, demander des garanties que la peine de mort ne sera pas appliquée. On ne peut déduire de la preuve qui nous a été présentée que cette décision était déraisonnable. Comme notre Cour l'a dit précédemment, bien que les décisions du pouvoir exécutif soient, bien entendu, assujetties au contrôle judiciaire, la compétence des tribunaux de s'immiscer dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'exécutif dans ce domaine «doit s'exercer avec la plus grande circonspection de manière à respecter la position prééminente de l'exécutif en matière de relations extérieures»; voir Argentine c. Mellino, [1987] 1 R.C.S. 536, à la p. 558. L'exécutif a des connaissances beaucoup plus grandes que la Cour dans le domaine des relations extérieures et est en meilleure position pour évaluer un grand nombre des éléments qui ont été présentés précédemment. Je ne crois pas que l'appelant se soit acquitté de la charge d'établir que ses droits en vertu de Charte ont été violés.

Par conséquent, je suis d'avis de conclure que la décision d'extrader l'appelant sans restriction, qui a été prise dans le but de dissuader les fugitifs de chercher un refuge sûr au Canada pour éviter la peine de mort, a été prise en vue d'atteindre un but social légitime et, en fait, impérieux. L'extradition sans restriction de l'appelant aux États‑Unis ne va pas plus loin que ce qui est nécessaire pour atteindre ce but, car il est évident que la remise de l'appelant avec la restriction que la peine de mort ne sera pas appliquée diminuerait complètement l'effet dissuasif que le gouvernement cherche à atteindre. Comme notre Cour l'a souvent signalé, le but social visé est une considération importante dans l'appréciation faite en fonction de l'art. 7; voir Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, à la p. 539, où les arrêts sont étudiés.

Il ne me reste qu'à ajouter quelques mots sur les moyens subsidiaires présentés par l'appelant. Celui‑ci soutient que la peine de mort dans son application pratique est infligée de façon arbitraire et sans distinction. Cet argument vise directement en réalité le système de justice pénale des États‑Unis et, de la façon qu'il est présenté, exigerait une application extraterritoriale de la Charte; voir États‑Unis d'Amérique c. Cotroni, précité, à la p. 1501. Rien en l'espèce n'indique que le caractère arbitraire allégué s'applique de quelque façon au fugitif. Il n'a rien à voir avec la politique du gouvernement canadien de protéger le public canadien contre les criminels dangereux qui cherchent un refuge au pays. Il se peut qu'il existe des situations dans lesquelles certains genres de conduites arbitraires «choquent [. . .] la conscience» suffisamment pour entraîner l'application de l'art. 7, mais une telle situation n'a pas été établie en l'espèce. En outre, il convient de souligner que la Cour suprême des États‑Unis est au courant de la question du caractère arbitraire et a démontré une volonté d'agir pour éviter qu'elle n'entre en jeu; voir Furman v. Georgia, 408 U.S. 238 (1972).

L'appelant a accordé beaucoup d'importance au syndrome du «couloir de la mort» et à la méthode d'exécution. Le syndrome du couloir de la mort doit son existence en grande partie au fait qu'il n'est pas rare que des prisonniers passent un grand nombre d'années dans le couloir de la mort en attendant l'issue de leurs divers appels dans le système judiciaire des États‑Unis. La lourdeur et la lenteur de ce processus d'appel généreux a fait l'objet de nombreuses critiques aux États‑Unis au cours des dernières années et des efforts sont faits actuellement pour le réformer. On ne peut pas écarter à la légère le stress psychologique inhérent au syndrome du couloir de la mort, mais il perd de son importance lorsqu'on le compare à la peine de mort. En outre, le fait demeure qu'un défendeur n'est jamais obligé d'avoir recours à la procédure d'appel dans son entier, mais la grande majorité choisit de le faire. Il serait paradoxal qu'un retard causé par le fait qu'un appelant tire avantage de toutes les voies de recours généreuses auxquelles il a droit soit considéré comme une violation de la justice fondamentale; voir Richmond v. Lewis, 921 F.2d 933 (9th Cir. 1990), à la p. 950. Comme dans l'arrêt Soering, précité, il peut y avoir des situations où l'âge et la capacité mentale du fugitif peuvent avoir un effet sur la question mais, encore une fois, ce n'est pas le cas en l'espèce.

Pour ce qui est de la méthode particulière d'exécution, soit l'électrocution, il faut dire que, peu importe la méthode choisie, un certain degré d'horreur se dégage de l'exécution. Toutefois, il est loin d'être clair qu'il existe des méthodes moins cruelles comme choix possibles; voir Ian Gray et Moira Stanley, A Punishment In Search of a Crime: Americans Speak Out Against the Death Penalty (1989), à la p. 39; Amnistie Internationale, La peine de mort dans le monde -- Quand l'État assassine (1989), aux pp. 60 et 61. L'argument de l'appelant en l'espèce a [traduction] «été rejeté uniformément et sommairement» par de nombreux tribunaux aux États‑Unis, y compris la Cour suprême; voir Glass v. Louisiana, 471 U.S. 1080 (1984).

Pour ces motifs, je suis donc d'avis que l'extradition de l'appelant sans condition ne violerait pas les principes de justice fondamentale dans les circonstances de l'espèce. J'arrive à cette conclusion principalement pour deux motifs. Premièrement, à mon avis on ne peut pas dire que l'extradition d'une personne qui a été accusée de la pire forme de meurtre et qui risque la peine de mort aux États‑Unis choque la conscience du peuple canadien et viole les normes de la communauté internationale. Deuxièmement, j'estime qu'il est raisonnable de croire que l'extradition en l'espèce ne va pas plus loin que ce qui est nécessaire pour atteindre le but social légitime d'empêcher que le Canada devienne un refuge attrayant pour les fugitifs.

Par conséquent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l'arrêté d'extradition qui a été pris en l'espèce. Je répondrais à la première question constitutionnelle par la négative. Il n'est pas nécessaire de répondre à la seconde question.

Version française du jugement des juges L'Heureux-Dubé, Gonthier et McLachlin rendu par

//Le juge McLachlin//

Le juge McLachlin — Le présent pourvoi et l'arrêt connexe, Renvoi relatif à l'extradition de Ng (Can.), soulèvent la question de savoir si le ministre de la Justice peut ordonner l'extradition de fugitifs aux États‑Unis sans obtenir une garantie de l'administration de ce pays que la peine de mort ne sera pas infligée. Le droit canadien n'inflige pas la peine de mort sauf dans le cas de certaines infractions militaires. La question est de savoir si notre gouvernement est tenu, dans tous les cas, d'obtenir de l'État qui demande l'extradition des garanties selon lesquelles la peine de mort ne sera pas appliquée. À mon avis, les mêmes questions se posent dans ces deux arrêts et j'ai donc choisi de les examiner ensemble dans les présents motifs.

Les arrêtés d'extradition du ministre sont contestés sur le fondement de deux moyens: (1) l'inconstitutionnalité de l'article de la Loi sur l'extradition, L.R.C. (1985), ch. E‑23, aux termes duquel ils sont pris et (2) l'inconstitutionnalité de l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire aux termes de l'arrêté.

Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis de conclure qu'il n'est pas contraire à la Charte canadienne des droits et libertés d'accorder au ministre le pouvoir discrétionnaire de trancher la question de savoir s'il doit demander des garanties de l'État requérant selon lesquelles la peine de mort ne sera pas appliquée. En outre, je conclus que le ministre n'a pas commis d'erreur dans sa manière d'exercer son pouvoir discrétionnaire dans les affaires Ng et Kindler.

Les faits

Kindler a été déclaré coupable dans l'État de Pennsylvanie de meurtre au premier degré, de complot en vue de commettre un meurtre et d'enlèvement. Le jury qui l'a déclaré coupable, après avoir entendu d'autres éléments de preuve, a recommandé la peine de mort. Toutefois, avant que sa sentence soit prononcée, Kindler s'est évadé de prison et s'est enfui au Canada, où il a été par la suite arrêté et, après une audience devant le juge Pinard, incarcéré en vue de son extradition, [1985] C.S. 1117.

Ng fait l'objet dans l'État de Californie de dix‑neuf chefs d'accusation découlant de meurtres multiples et brutaux. Relativement à douze de ces accusations, s'il était déclaré coupable il serait passible de la peine de mort. Il a été arrêté à Calgary à la suite d'une tentative ratée de vol à l'étalage au cours de laquelle il a tiré un coup de feu et blessé un agent de sécurité du magasin. À la fin d'une audience de six semaines, le juge Trussler a incarcéré Ng en vue de son extradition: (1988), 93 A.R. 204.

L'article 25 de la Loi sur l'extradition laisse au ministre de la Justice la décision finale en matière d'extradition. L'article 6 du Traité d'extradition entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique, R.T. Can. 1976 no 3, prévoit que le pays duquel l'extradition d'un fugitif a été demandée peut chercher à obtenir du pays requérant des garanties que la peine de mort ne sera pas infligée lorsque les infractions visées sont punissables de la peine capitale. Dans le cas de Kindler et de Ng, le ministre a ordonné l'extradition finale sans demander ces garanties.

Dans le cas de Kindler, une demande d'examen de la décision du ministre a été présentée à la Cour fédérale. La demande a été rejetée, [1987] 2 C.F. 145, ainsi que l'appel de ce rejet devant la Cour d'appel fédérale, [1989] 2 C.F. 492. Les juges Marceau et Pratte de la Cour d'appel n'étaient pas prêts à conclure que la peine de mort violait la Charte. Le juge Pratte a également exprimé l'avis que la Charte ne s'appliquait pas parce que la peine en question ne serait pas infligée par le gouvernement canadien mais par un État étranger. Le juge Hugessen, dissident, a conclu que la peine de mort constituait en soi une peine cruelle et inusitée.

L'action de Ng contre le ministre n'a jamais été entendue, le gouverneur en conseil ayant renvoyé les questions devant notre Cour.

Les motifs du ministre pour extrader les fugitifs sans chercher à obtenir de garanties que la peine de mort ne sera pas infligée ou si elle l'est qu'elle ne sera pas appliquée, peuvent être résumés de la manière suivante:

1. N'est pas fondé l'argument selon lequel le procès ou l'audience sur la peine d'un fugitif aux États‑Unis ne serait pas équitable (Ng);

2. L'argument relatif à ce qu'on appelle le "syndrome du couloir de la mort" n'est pas fondé; la méthode d'exécution de l'État a été acceptée par les tribunaux américains (Kindler);

3. L'article 6 du Traité ne devrait pas être appliqué systématiquement: [traduction] "[s]i on avait voulu que des garanties soient demandées pour autre chose que des circonstances spéciales, cette intention aurait été clairement et simplement exprimée dans le Traité" (Ng);

4. Les personnes qui ont commis un meurtre dans un État étranger, particulièrement quand celui‑ci a une longue frontière commune avec le Canada, devraient être dissuadées de chercher refuge au Canada pour réduire ou limiter la gravité de la peine qui pourrait leur être infligée aux termes des lois de l'État dans lequel le crime a été commis (Ng et Kindler);

5. Les États‑Unis et le Canada doivent collaborer pour faciliter l'exécution des lois dans les deux pays (Ng).

Les questions en litige

L'essentiel des affaires qui nous occupent n'est pas de savoir si la peine de mort porte atteinte à la Charte. Il s'agit plutôt de savoir si la procédure canadienne en matière d'extradition, exprimée dans la Loi sur l'extradition et dans la décision du ministre, viole la Charte. En plus des arguments présentés par les fugitifs, notre Cour a énoncé deux questions constitutionnelles qui visent à déterminer si l'art. 25 de la Loi sur l'extradition viole l'art. 7 ou l'art. 12 de la Charte et, le cas échéant, si cette violation est justifiée en vertu de l'article premier.

Je propose d'examiner les questions suivantes:

I.L'importance de l'extradition dans notre système de justice

II.Les articles de la Charte qui s'appliquent

III.L'article 25 de la Loi sur l'extradition viole‑t‑il la Charte?

IV.L'arrêté du ministre portant extradition sans condition viole‑t‑il la Charte?

Les questions constitutionnelles suivantes ont été formulées par le juge en chef Dickson:

1. L'article 25 de la Loi sur l'extradition, L.R.C. (1985), ch. E‑23, est‑il incompatible avec les art. 7 ou 12 de la Charte canadienne des droits et libertés dans la mesure où il autorise le ministre de la Justice à ordonner la remise d'un fugitif pour un crime à l'égard duquel le fugitif a été ou peut être condamné à mort dans un État étranger, sans obtenir au préalable la garantie de cet État étranger que la peine de mort ne sera pas infligée ou, si elle l'est, ne sera pas appliquée?

2. Si la réponse à la première question est affirmative, l'art. 25 de la Loi sur l'extradition, L.R.C. (1985), ch. E‑23, est‑il une restriction raisonnable des droits d'un fugitif au sens de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, et donc compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Les traités et les textes législatifs

Charte canadienne des droits et libertés:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

Traité d'extradition entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique, R.T. Can. 1976 no 3, en vigueur le 22 mars 1976:

Article 6

Lorsque l'infraction motivant la demande d'extradition est punissable de la peine de mort en vertu des lois de l'État requérant et que les lois de l'État requis n'autorisent pas cette peine pour une telle infraction, l'extradition peut être refusée à moins que l'État requérant ne garantisse à l'État requis, d'une manière jugée suffisante par ce dernier, que la peine de mort ne sera pas infligée ou, si elle l'est, ne sera pas appliquée.

Loi sur l'extradition, L.R.C. (1985), ch. E‑23:

25. Sous réserve des autres dispositions de la présente partie et sur demande de l'État étranger, le ministre de la Justice peut, par arrêté, ordonner que le fugitif soit remis à l'agent ou aux agents de cet État qui, à son avis, sont autorisés à agir au nom de celui‑ci dans l'affaire.

Analyse

I. L'importance de l'extradition dans notre système de justice

L'extradition occupe une position unique et importante dans la structure de l'application de la loi. Comme les juges de la majorité l'ont souligné dans l'arrêt États‑Unis d'Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469, à la p. 1485, "[l]es enquêtes et les poursuites criminelles ainsi que la répression du crime pour la protection des citoyens et le maintien de la paix et de l'ordre public constituent un objectif important de toute société organisée. Il ne serait pas réaliste que la poursuite de cet objectif se confine à l'intérieur de frontières nationales. Il en est ainsi depuis longtemps, mais cela est de plus en plus évident aujourd'hui."

L'extradition est une pratique qui a des racines profondes dans notre pays. En raison de la longue frontière commune avec les États‑Unis, des mesures efficaces pour la remise de présumés criminels ou autres fugitifs ont constitué, avant même la Confédération, une composante nécessaire de l'administration de la justice. Le traité Ashburton‑Webster, qui était le fondement des accords en matière d'extradition entre notre pays et les États‑Unis jusqu'à l'entrée en vigueur du traité actuel en 1976, a été conclu par la Grande‑Bretagne en 1842. Pour l'historique de ces accords, voir le chapitre premier de G. V. La Forest, Extradition to and from Canada (2e éd. 1977).

Bien que le processus d'extradition constitue une partie importante de notre système de justice pénale, il serait erroné de le faire correspondre au processus d'instance criminelle. Il est différent du processus criminel par son objet et sa procédure et, ce qui est le plus important, par les facteurs qui le rendent équitable. Contrairement à la procédure criminelle, la procédure en matière d'extradition est fondée sur des concepts de réciprocité, de courtoisie et de respect des différences dans d'autres ressorts.

En raison de cette situation unique, le droit de l'extradition doit tenir compte d'un grand nombre de facteurs étrangers à notre droit criminel interne. Bien que notre conception d'un droit criminel équitable soit importante en ce qui a trait au processus d'extradition, elle est nécessairement tempérée par d'autres facteurs.

Fait le plus important, bien qu'il soit fondé sur la manière de concevoir ce qui est fondamentalement juste, notre processus d'extradition doit tenir compte des différences entre notre système de justice pénale et les systèmes en vigueur dans les autres États qui pratiquent la réciprocité. Simplement, si nous devions insister sur le strict respect de notre propre système, il n'y aurait à toutes fins pratiques aucun État avec lequel nous pourrions entretenir des liens de réciprocité. Incapable d'obtenir l'extradition de personnes qui ont commis des crimes ici et qui se sont enfuies ailleurs, le Canada serait le perdant. Pour ce motif, nous exigeons un degré de similarité limité mais non absolu entre nos lois et celles de l'État qui entretient des rapports de réciprocité. Il n'y aura pas d'extradition pour des actes qui ne constituent pas des infractions dans notre pays. Nous ne signons des traités qu'avec les États qui peuvent nous assurer que leur système de justice pénale est équitable et offre aux accusés des protections suffisantes en matière de procédure. Nous permettons à notre ministre de demander des garanties qui se rapportent aux peines lorsque celui‑ci est d'avis qu'il convient de faire une telle demande. Toutefois, à part ces conditions fondamentales à la réciprocité, il est nécessaire de tolérer une grande diversité.

Ainsi, notre Cour, par l'entremise du juge La Forest, a reconnu dans l'arrêt Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500, aux pp. 522 et 523, que notre processus en matière d'extradition n'exige pas le respect des normes canadiennes. Le système judiciaire étranger ne sera pas nécessairement considéré comme foncièrement injuste parce que, par exemple, il n'applique pas la présomption d'innocence ni d'autres garanties juridiques que nous exigeons dans notre propre système de justice pénale.

Pour les mêmes motifs, notre Cour a souligné que nous devons éviter d'appliquer dans un pays étranger les garanties que confère notre Charte sous le couvert de décisions qui déclarent inconstitutionnelles des procédures en matière d'extradition. Comme le juge La Forest l'a dit dans l'arrêt Schmidt, à la p. 518, "on ne saurait donner à la Charte un effet qui la rendrait applicable à la conduite de procédures criminelles dans un pays étranger."

Ces considérations ont un effet sur l'application de la Charte relativement aux affaires dont nous sommes saisis et sur la décision quant à savoir si notre droit en matière d'extradition porte atteinte aux principes de justice fondamentale qui sont consacrés dans la Charte. J'examine maintenant ces questions.

II. Les articles de la Charte qui s'appliquent

De toute évidence, la Charte s'applique en matière d'extradition y compris à la décision de l'exécutif prise par le ministre qui a un effet sur la remise du fugitif: Schmidt, précité; Argentine c. Mellino, [1987] 1 R.C.S. 536, et États‑Unis c. Allard, [1987] 1 R.C.S. 564.

La question plus précise est de savoir quelles dispositions de la Charte s'appliquent aux procédures d'extradition — l'art. 12, l'art. 7 ou les deux?

À mon avis, la garantie contre tous traitements ou peines cruels et inusités que prévoit l'art. 12 de la Charte ne s'applique pas à l'art. 25 de la Loi sur l'extradition ou à l'égard des actes du ministre accomplis en application de cet article. La portée de la Charte se limite aux actes législatifs et exécutifs des gouvernements canadiens. La question est alors de savoir si la décision de livrer un fugitif aux termes de l'art. 25, peut constituer l'application d'une peine cruelle et inusitée par un gouvernement canadien. À mon avis, ce n'est pas le cas. Ni l'article 25 ni les arrêtés pris aux termes de celui‑ci n'infligent ni n'autorisent de peine. La disposition a pour objet et pour effet de permettre que le fugitif soit extradé pour faire face aux conséquences du processus judiciaire ailleurs. Toute peine qui est infligée résultera de lois et d'actes dans ce ressort.

Le fait que le ministre peut demander des garanties que la peine de mort ne sera pas exigée ou appliquée dans le pays étranger ne change pas cette situation. La peine, le cas échéant, à laquelle le fugitif est en fin de compte assujetti sera infligée non pas par le Gouvernement du Canada mais par l'État étranger. En d'autres termes, l'effet de toute loi canadienne ou de tout acte du gouvernement canadien est trop éloigné de la possibilité que la peine dont on se plaint soit infligée pour entraîner l'application de l'art. 12. Si on applique l'art. 12 directement à l'acte d'extradition dans un pays où une peine en particulier peut être infligée, on outrepasse l'objet de la garantie et d'une manière générale on jette les filets de la Charte dans des eaux extraterritoriales. Pour que les différents États aient de bonnes relations entre eux nous devons respecter les différences de nos voisins et nous abstenir d'imposer nos garanties constitutionnelles à d'autres États sous le couvert d'un refus de les aider (et l'extradition est une forme d'aide) à moins qu'ils ne se conforment à notre Charte.

Notre Cour a, dans le passé, refusé d'appliquer les garanties de la Charte à des défauts dans les procédures de pays étrangers. Dans l'arrêt Schmidt, précité, le juge La Forest, au nom de la majorité, a rejeté l'argument selon lequel les droits que confère l'art. 11 pourraient servir de moyen indépendant sur lequel fonder un examen en vertu de la Charte étant donné que le fugitif n'avait été accusé d'aucun crime au Canada. Le juge La Forest a examiné le début de l'art. 11 qui confère les divers droits qu'il contient à "[t]out inculpé". À son avis, les droits que confère l'art. 11 ne s'appliquent qu'à des procédures criminelles menées par les gouvernements visés à l'art. 32 de la Charte, c'est‑à‑dire le Parlement et les législatures des provinces. Toute autre interprétation accorderait à l'article un effet extraterritorial: Schmidt, précité, aux pp. 518 et 519. Voir également Spencer c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 278.

Cela ne veut pas dire que l'extradition n'entraînera jamais d'examen en raison d'une procédure ou d'une peine inadmissible dans l'État requérant. Bien qu'il soit possible que l'art. 12 de la Charte ne s'applique pas étant donné que les actes qu'il vise se produisent à l'extérieur du Canada, nos textes législatifs en matière d'extradition et les actes du ministre accomplis en application de ces textes relèvent de la Charte et des garanties générales qui se trouvent à l'art. 7. Ils doivent satisfaire aux exigences de l'art. 7 de la Charte selon lesquelles il ne peut être porté atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. L'article 12 peut avoir un effet sur l'interprétation de l'art. 7: Schmidt, précité, à la p. 522; Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486; R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, à la p. 176. Toutefois, l'art. 12 n'est pas le seul facteur à examiner pour déterminer la constitutionnalité d'une procédure d'extradition. Puisque le processus d'extradition comporte des considérations qui dépassent notre droit criminel interne, une évaluation de son équité fondamentale doit tenir compte de ces facteurs.

III. L'article 25 de la Loi sur l'extradition viole‑t‑il la Charte?

A.Le critère de l'art. 7

Pour vérifier les principes de justice fondamentale applicables aux termes de l'art. 7 de la Charte, nous devons examiner les préceptes fondamentaux de notre système judiciaire et du système qui fait l'objet d'un examen — en l'espèce notre système en matière d'extradition: Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., précité; R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387. Cela peut nous amener à faire des examens historiques et comparatifs: Beare, précité; R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309; R. c. Milne, [1987] 2 R.C.S. 512, et entraîne nécessairement l'étude des objets de la disposition ou de la loi visée: Beare, précité.

Pour évaluer s'il y a eu violation des principes de justice fondamentale, il faut adopter une démarche contextuelle qui tient compte de la nature de la décision qui doit être rendue. Dans l'arrêt R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, à la p. 304, le juge La Forest dit:

Un certain pragmatisme entre en jeu dans l'équilibrage de l'équité et de l'efficacité. Les provinces doivent avoir la possibilité de faire des choix quant au type de structure administrative qui répondra à leurs besoins, à moins que le recours à une telle structure ne soit en lui‑même nettement injuste, compte tenu des décisions qu'elle est appelée à prendre, au point de violer les principes de justice fondamentale. [Souligné dans l'original.]

De même, le juge Sopinka dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, a souligné à la p. 896:

. . . les règles de justice naturelle que l'obligation d'agir équitablement sont des normes variables. Leur contenu dépend des circonstances de l'affaire, des dispositions législatives en cause et de la nature de la question à trancher.

Par conséquent, pour définir les principes de justice fondamentale pertinents en matière d'extradition, la Cour se fonde sur les principes et les politiques qui se rapportent au droit et à la procédure en cette matière. La disposition contestée est‑elle conforme aux usages dans le domaine de l'extradition, interprétés sur le plan historique et à la lumière des circonstances actuelles? La disposition répond‑elle aux buts et aux préoccupations qui se trouvent au coeur de la politique en matière d'extradition? La question est de savoir si, sur le fondement de ces considérations, le pouvoir conféré par l'art. 25 d'extrader sans imposer de condition qui empêcherait l'application de la peine de mort est conforme aux conceptions fondamentales de justice et d'équité dans la société canadienne.

En reconnaissance des considérations diverses et complexes qui entrent nécessairement dans le processus d'extradition, notre Cour a élaboré une position plus prudente dans l'examen des décisions du pouvoir exécutif dans le domaine de l'extradition, et a jugé que l'examen judiciaire ne devrait pas être trop exigeant. Comme les juges de la majorité l'ont souligné dans l'arrêt Schmidt, la cour qui procède à l'examen doit reconnaître que l'extradition fait intervenir des intérêts et des questions complexes dont les juges peuvent ne pas être en mesure de traiter (p. 523). La position supérieure dans laquelle se trouve l'exécutif pour évaluer et examiner les intérêts divergents visés dans certaines affaires en matière d'extradition donne à penser que les tribunaux devraient être particulièrement prudents avant d'annuler des dispositions qui lui confèrent un pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, les tribunaux doivent se montrer "extrêmement circonspects" afin d'éviter toute ingérence indue dans un domaine où l'exécutif est bien placé pour prendre ce genre de décisions: Schmidt, à la p. 523. En outre, ils doivent éviter toute application de la Charte à un État étranger: Schmidt, précité.

Le critère servant à déterminer si une loi ou une action en matière d'extradition porte atteinte à l'art. 7 de la Charte relativement à la peine qui peut être infligée dans l'État requérant, est de savoir si l'application de la peine par l'État étranger "choque suffisamment" la conscience canadienne: Schmidt, le juge La Forest, à la p. 522. Le fugitif doit démontrer qu'il fait face "à une situation qui est simplement inacceptable": Allard, précité, à la p. 572. Ainsi le tribunal qui procède à l'examen doit tenir compte de l'infraction à l'égard de laquelle la peine peut être infligée, ainsi que de la nature du système judiciaire de l'État requérant et des garanties qu'il accorde au fugitif. D'autres facteurs comme la courtoisie et la sécurité au Canada peuvent également être pertinents quant à la décision d'extrader et, le cas échéant, à quelles conditions. En fin de compte, il s'agit de déterminer si la disposition ou l'action en question porte atteinte au sens de ce qui est juste et équitable au Canada, si l'on tient compte de la nature de l'infraction et de la peine, du système judiciaire étranger et des considérations relatives à la courtoisie et à la sécurité, et si l'on accorde toute la latitude voulue au ministre pour prendre en compte les arguments contraires.

Pour déterminer si, en tenant compte de tous ces facteurs, l'extradition en question est "simplement inacceptable", le juge doit éviter d'imposer ses opinions subjectives sur ce sujet et chercher plutôt à évaluer de façon objective les attitudes des Canadiens sur la question de savoir si le fugitif fait face à une situation qui est choquante et fondamentalement inacceptable pour notre société.

B.Application du critère de l'art. 7 à l'art. 25 de la Loi sur l'extradition

L'article 25 de la Loi sur l'extradition est contesté parce qu'il permet au ministre d'ordonner l'extradition d'un fugitif dans un État où il est passible de la peine de mort s'il est déclaré coupable. On soutient que permettre une telle situation porte atteinte aux principes de justice fondamentale.

Je ne suis pas d'accord. Je souligne encore une fois que la question n'est pas de savoir si la peine de mort est constitutionnelle, ou même souhaitable dans notre pays, mais si l'extradition d'un fugitif qui en est passible dans un autre État porte atteinte au sens de ce qui est juste et équitable au Canada. La réponse à cette question repose sur les attitudes dans notre pays à l'égard de la peine capitale et de l'extradition, compte tenu d'autres facteurs comme la nécessité de garantir une politique efficace en matière d'extradition et de dissuader les criminels américains de s'enfuir au Canada pour y trouver un "refuge sûr".

Comme je l'ai déjà mentionné, l'usage de l'extradition a des racines profondes dans notre pays et, en soi, il n'a jamais été controversé. Cela découle du fait que l'on croit fermement que le crime ne doit pas rester impuni. L'équité exige que les prétendus criminels soient traduits en justice, et l'extradition est le moyen d'y parvenir lorsque l'infraction a été commise à l'étranger.

Lorsqu'un accusé doit être jugé au Canada il n'y a pas de conflit entre notre désir de voir un accusé traduit en justice et celui que la justice à laquelle il sera soumis soit conforme aux normes les plus sévères émanant de notre système judiciaire. Cependant, lorsqu'un fugitif doit subir son procès dans un ressort étranger, si procès il y a, il peut y avoir contradiction entre ces deux souhaits. Dans certains cas, le consensus social peut nettement favoriser l'une de ces valeurs plutôt que l'autre, et la solution du conflit sera alors facile. Ce serait le cas, par exemple, si le fugitif risque la torture s'il est retourné dans son pays. Dans de nombreux cas, toutefois, il sera impossible d'accorder la priorité absolue à l'une ou l'autre de ces valeurs; chacune servant plutôt à tempérer l'autre. Il est peut‑être moins inéquitable d'exiger qu'un accusé soit soumis à un processus judiciaire qui n'est pas parfait selon nos normes que de faire en sorte qu'il y soit totalement soustrait.

Pour ce motif, lorsque nous étudions l'attitude des Canadiens à l'égard de la peine capitale, nous devons tenter de déterminer non seulement s'ils la jugent inacceptable, mais aussi s'ils jugent qu'elle est si totalement inacceptable qu'il est préférable qu'un fugitif ne soit pas traduit en justice s'il risque la peine de mort.

Compte tenu de ce qui précède, j'examinerai maintenant l'attitude des Canadiens à l'égard de la peine capitale. Il y a eu beaucoup de commentaires à ce sujet dans notre pays. Bien qu'il soit difficile de généraliser à l'égard d'un sujet aussi controversé, on peut se permettre de dire qu'aucun consensus ne se dégage clairement dans notre pays quant à savoir si la peine de mort est moralement répréhensible et absolument inacceptable.

La peine capitale a fait partie du droit criminel canadien depuis les débuts coloniaux du pays jusqu'à son abolition par le Parlement en 1976. Pendant la majeure partie de cette période, la peine a été acceptée sans beaucoup de contestation, même si les exécutions sont devenues de plus en plus rares dans les dernières années de son existence au Canada. La dernière exécution au Canada remonte à 1962. Toutefois, bien que la peine de mort ait été officiellement abolie dans notre pays, on continue à discuter de la possibilité de son rétablissement. En 1987, en réponse aux demandes persistantes de rétablissement de la peine de mort, les députés ont tenu un vote libre sur une résolution à ce sujet. La motion a finalement été battue, mais le résultat du vote — 148 à 127 — est loin d'avoir fait ressortir un large consensus même parmi les parlementaires.

Jusqu'à présent, la peine capitale continue de s'appliquer à certaines infractions militaires. Par ailleurs, les sondages continuent à démontrer un appui considérable parmi les Canadiens pour le rétablissement de la peine de mort dans le cas de certaines infractions. Peut‑on dire, à la lumière de ces indications, que la possibilité qu'un fugitif soit passible de la peine de mort en Californie ou en Pennsylvanie "choque" la conscience des Canadiens ou les amène à conclure que la situation à laquelle fait face le fugitif est "simplement inacceptable"? C'est loin d'être évident.

Lorsque d'autres facteurs entrent en ligne de compte, la question devient encore moins claire. Dans certains cas, la remise sans condition d'un fugitif passible de la peine de mort peut "choquer suffisamment" la conscience nationale pour obliger le ministre à demander une garantie que la peine ne sera pas infligée. Toutefois dans d'autres cas, la situation peut être différente. Les affaires qui nous occupent en sont un exemple. Les deux fugitifs sont recherchés pour des crimes comportant des meurtres brutaux et, dans le cas de Ng, multiples. En Pennsylvanie et en Californie le système juridique a été établi par un gouvernement démocratique et comprend des protections importantes conférées par un document prévoyant des droits constitutionnels qui a plus de deux siècles. La diversité des affaires vient appuyer la mesure législative qui accorde au ministre une certaine latitude pour déterminer s'il y a lieu de demander une garantie que la peine de mort ne sera pas infligée.

L'importance de conserver des accords efficaces en matière d'extradition avec d'autres pays dans un monde où l'application du droit a une portée de plus en plus internationale vient également appuyer le pouvoir discrétionnaire du ministre prévu à l'art. 25. Comme je l'ai mentionné précédemment, un processus d'extradition efficace est fondé sur le respect de la souveraineté et des différences des systèmes judiciaires des diverses nations. Le Canada fait preuve de confiance dans l'équité des systèmes de justice des autres pays en concluant des traités avec eux. S'il veut obtenir de la coopération lorsqu'il demande une extradition à certains États dont les lois peuvent ne pas être exactement conformes aux nôtres, le Canada doit être prêt à faire la même chose en retour.

Une autre considération pertinente pour déterminer si l'extradition sans garantie relativement à la peine de mort constituerait une violation de la justice fondamentale est le danger que si de telles garanties devaient être obligatoires, le Canada pourrait devenir un refuge sûr pour les criminels des États‑Unis qui cherchent à éviter la peine de mort. Il ne s'agit pas d'une préoccupation nouvelle. La facilité avec laquelle les contrevenants américains peuvent s'enfuir au Canada est reconnue depuis le XIXe siècle: Cotroni, précité, à la p. 1490.

On a soutenu qu'il y avait peu d'éléments de preuve statistique selon lesquels des criminels traversent de façon régulière la frontière pour entrer au Canada. Par contre, il doit en fait n'y avoir que de rares cas où une personne passible de la peine de mort aux États‑Unis est en mesure de s'évader et de se rendre à la frontière. De toute évidence, c'est ce qui s'est précisément produit dans les deux affaires dont nous sommes saisis, et cela a eu pour effet de mettre en danger la vie de Canadiens; Ng, qui a été arrêté en train de commettre un crime au Canada, a déchargé son arme et blessé un agent de sécurité. À cause de notre longue frontière ouverte et commune avec les États‑Unis, il n'est pas déraisonnable que le ministre, pour déterminer s'il doit chercher à obtenir les garanties que la peine de mort ne sera pas infligée, tienne compte du danger d'encourager d'autres fugitifs à faire la même chose que Ng et Kindler.

Lorsque les fugitifs soutiennent que l'art. 25 devrait être annulé, ils sont en fait d'avis que la seule disposition valide sur le plan constitutionnel est celle qui interdit absolument l'extradition en l'absence de garanties que la peine de mort ne sera pas infligée. L'analyse qui précède donne à entendre qu'une telle disposition peut ne pas être assez souple pour permettre au Gouvernement du Canada de traiter de situations particulières d'une manière qui conserve la courtoisie requise à l'égard d'autres pays, tout en allant plus loin que ce qui est nécessaire pour se conformer à notre sens fondamental de l'équité. Ce qui est exigé c'est une disposition qui permette au ministre, dans le cas particulier qui lui est présenté, d'agir d'une manière qui assure l'efficacité du processus d'extradition tout en se conformant au sens de ce qui est fondamentalement juste pour les Canadiens. C'est ce que fait l'art. 25; l'autre solution moins souple que proposent les fugitifs n'aurait pas cet effet.

Je conclus que les fugitifs n'ont pas démontré que la disposition qui permet leur extradition sans garantie que la peine de mort ne sera pas appliquée dans les États requérants porte atteinte aux principes de justice fondamentale consacrés à l'art. 7 de la Charte.

IV.L'arrêté du ministre portant extradition sans condition viole‑t‑il la Charte?

J'ai conclu que l'art. 25 de la Loi sur l'extradition ne viole pas la Charte. Il reste à déterminer si le ministre, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire conféré par l'art. 25, a porté atteinte à l'art. 7 de la Charte.

Pour trancher cette question, la cour doit rester sensible aux dangers d'une trop grande ingérence dans un système d'extradition, que le juge La Forest a mentionnés dans l'arrêt Canada c. Schmidt. Ces dangers comprennent la nécessité de ne pas compromettre l'intégrité du processus judiciaire, le rôle approprié du ministre dans l'évaluation des arguments contradictoires qui portent sur une extradition en particulier et le besoin de s'assurer que la Cour, en fait, n'applique pas la Charte à un pays étranger. Le juge La Forest a dit dans l'arrêt Schmidt, à la p. 522:

. . . selon moi, il n'est pas injuste de livrer à un pays étranger une personne accusée d'y avoir commis un crime pour qu'elle y soit jugée en conformité de son système judiciaire simplement parce que ce dernier diffère sensiblement du nôtre et comporte des mécanismes différents. Le processus judiciaire d'un pays étranger ne doit pas être soumis à des évaluations minutieuses en fonction des règles applicables aux voies judiciaires canadiennes.

Étant donné ces préoccupations, l'ingérence judiciaire dans les décisions de l'exécutif sur des questions d'extradition doit être limitée. Il convient de citer encore une fois le juge La Forest dans l'arrêt Schmidt (à la p. 523):

La question à trancher est de savoir si, dans les circonstances particulières de l'espèce, l'extradition d'un fugitif en vue de son procès va à l'encontre des exigences fondamentales de la justice. Pour répondre à cette question, les tribunaux doivent partir de l'idée que l'exécutif a dû d'abord décider que le système général d'administration de la justice existant dans le pays étranger présentait une correspondance suffisante avec notre conception de la justice pour justifier la conclusion du traité au départ et a dû reconnaître qu'il a lui aussi une obligation de s'assurer de la conformité de ses actes avec les normes constitutionnelles. Bien sûr, on ne peut pas s'attendre que les tribunaux défèrent aveuglément au jugement du pouvoir exécutif. Il incombe aux tribunaux de faire respecter la Constitution. Nous parlons néanmoins d'un domaine dans lequel l'exécutif sera vraisemblablement bien mieux renseigné que les tribunaux et dans lequel ces derniers doivent se montrer extrêmement circonspects afin d'éviter toute ingérence indue dans des décisions où il y va de la bonne foi et de l'honneur du Canada dans ses relations avec d'autres États. En un mot, l'intervention des tribunaux doit se limiter aux cas où cela s'impose réellement. [Je souligne.]

À mon avis, les décisions du ministre dans les affaires qui nous occupent ne violent pas l'art. 7. Les crimes qu'aurait commis Ng dans l'État de Californie sont parmi les pires que l'on puisse imaginer. Si l'allégation de l'État est bien fondée, il s'agissait de meurtres délibérés commis de sang froid contre une série de victimes innocentes choisies au hasard pour aucun autre motif que sa satisfaction personnelle. Les crimes dont Kindler a été déclaré coupable sont également brutaux et choquants. Les systèmes de justice de la Californie et de la Pennsylvanie sont fondés sur des dispositions constitutionnelles qui ne sont pas différentes des nôtres et qui accordent une garantie raisonnable d'un procès équitable. Il reste seulement le fait que, à la fin du processus, le fugitif est passible de la peine de mort. Toutefois, comme nous l'avons vu précédemment, cette seule possibilité dans le contexte du système d'extradition de notre pays est insuffisante pour rendre la décision inconstitutionnelle. Suivant les faits des affaires qui nous occupent dans lesquelles les motifs d'extradition sont impérieux et les garanties en matière de procédure dans l'État qui a des rapports de réciprocité sont grandes, je suis convaincue que la décision du ministre n'a pas violé la Charte.

La décision du ministre d'extrader sans garantie que la peine de mort ne serait pas infligée ou appliquée ne va pas à l'encontre des tendances de la collectivité internationale. Par exemple, le Royaume Uni a, à deux reprises, extradé des fugitifs accusés de meurtre aux États‑Unis sans exiger de telles garanties. Dans l'arrêt Kirkwood c. Royaume‑Uni, requête no 10479/83, 12 mars 1984, D.R. 37, p. 158, la Commission européenne des droits de l'homme a approuvé l'extradition compte tenu des importantes garanties constitutionnelles et des nombreux examens des conditions relatives au couloir de la mort en Californie. Elle a rejeté l'argument selon lequel cette extradition violait l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 213 R.T.N.U. 223, qui prévoit que "[n]ul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants". Dans l'autre affaire, Soering, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 161, la Cour européenne des droits de l'homme a conclu que l'extradition violait l'article 3. L'argumentation était axée sur le syndrome du couloir de la mort, l'article 2 de la Convention reconnaissant expressément la peine de mort. Dans l'arrêt Soering, la cour a mentionné l'importance de l'extradition et a dit que les considérations relatives à ses objets constituaient des facteurs légitimes pour déterminer l'existence d'une violation aux termes de l'article 3 (p. 35). Le fait que deux tribunaux soient arrivés à des opinions différentes sur des affaires qui ne sont pas différentes illustre la complexité de la question et appuie l'opinion selon laquelle les tribunaux ne devraient pas s'ingérer à la légère dans les décisions de l'exécutif en matière d'extradition.

En ce qui a trait aux autres arguments, il n'a pas été démontré que le ministre a commis une erreur de droit ou exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière inadmissible dans l'une ou l'autre affaire. Je rejette l'argument de Kindler selon lequel il avait le droit d'être entendu par le ministre. Il a obtenu ce droit à l'étape de l'audience judiciaire. Aucune autre audience n'est nécessaire à la deuxième étape de la décision finale du ministre.

Je conclus qu'il n'a pas été démontré que les arrêtés du ministre portent atteinte à la Charte ou qu'ils sont par ailleurs invalides.

Conclusion

Il convient de répondre par la négative à la première question constitutionnelle. Il n'est pas nécessaire de répondre à la seconde. Il n'y a aucun fondement pour modifier la décision du ministre dans l'affaire Ng ou Kindler. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi de Kindler et de confirmer les arrêtés d'extradition.

Pourvoi rejeté, le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et Cory sont dissidents.

Procureurs de l'appelant: Grey, Casgrain, Montréal.

Procureur de l'intimé: John C. Tait, Ottawa.

Procureurs de l'intervenante: Cogan & Cogan, Ottawa.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté. L'arrêté d'extradition est confirmé. L'article 25 de la Loi sur l'extradition ne viole ni l'art. 7 ni l'art. 12 de la Charte

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Justice fondamentale - Extradition - Remise d'un fugitif à un État étranger - Fugitif reconnu coupable de meurtre aux États-Unis - Décision du ministre de la Justice d'extrader le fugitif sans obtenir des autorités américaines la garantie que la peine de mort ne sera pas infligée - La décision du ministre contrevient‑elle à l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés? - L'article 25 de la Loi sur l'extradition contrevient‑il à l'art. 7 de la Charte? - Loi sur l'extradition, L.R.C. (1985), ch. E‑23, art. 25 - Traité d'extradition entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique, R.T. Can. 1976 no 3, art. 6.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Peine cruelle et inusitée - Extradition - Remise d'un fugitif à un État étranger - Fugitif reconnu coupable de meurtre aux États‑Unis - Décision du ministre de la Justice d'extrader le fugitif sans obtenir des autorités américaines la garantie que la peine de mort ne sera pas infligée - L'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés s'applique‑t‑il aux procédures d'extradition? - Loi sur l'extradition, L.R.C. (1985), ch. E‑23, art. 25 - Traité d'extradition entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique, R.T. Can. 1976 no 3, art. 6.

Extradition - Remise d'un fugitif à un État étranger - Fugitif reconnu coupable de meurtre aux États‑Unis - Décision du ministre de la Justice d'extrader le fugitif sans obtenir des autorités américaines la garantie que la peine de mort ne sera pas infligée - La décision du ministre contrevient‑elle à l'art. 7 ou 12 de la Charte canadienne des droits et libertés? - Loi sur l'extradition, L.R.C. (1985), ch. E‑23, art. 25 - Traité d'extradition entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique, R.T. Can. 1976 no 3, art. 6.

Droit administratif - Justice naturelle - Extradition - Décision du ministre de livrer un fugitif prise sans audience - Les exigences de la justice naturelle ont‑elles été respectées? - Loi sur l'extradition, L.R.C. (1985), ch. E‑23, art. 25.

L'appelant a été reconnu coupable dans l'État de Pennsylvanie de meurtre au premier degré, de complot en vue de commettre un meurtre et d'enlèvement et le jury a recommandé la peine de mort. Avant le prononcé de sa sentence, l'appelant s'est évadé de prison et s'est enfui au Canada où il a été arrêté. Après audience, le juge d'extradition a accueilli la demande d'extradition présentée par les États‑Unis et a fait incarcérer l'appelant. Après examen des documents présentés par l'appelant, le ministre de la Justice du Canada a ordonné son extradition en application de l'art. 25 de la Loi sur l'extradition sans demander de garantie aux États‑Unis, en vertu de l'art. 6 du Traité d'extradition entre les deux pays, que la peine de mort ne serait pas infligée ou, si elle l'était, ne serait pas appliquée. La Section de première instance et la Section d'appel de la Cour fédérale ont toutes deux rejeté la demande d'examen de la décision du ministre qu'a présentée l'appelant. Le présent pourvoi vise à déterminer si la décision du ministre de livrer l'appelant aux États‑Unis sans d'abord obtenir la garantie que la peine de mort ne sera pas infligée ou appliquée viole les droits que l'art. 7 ou l'art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés reconnaît à l'appelant. De plus, notre Cour a énoncé deux questions constitutionnelles: savoir si l'art. 25 de la Loi sur l'extradition viole l'art. 7 ou l'art. 12 de la Charte; et, dans l'affirmative, si cette violation est justifiée en vertu de l'article premier.

Arrêt (le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et Cory sont dissidents): Le pourvoi est rejeté. L'arrêté d'extradition est confirmé. L'article 25 de la Loi sur l'extradition ne viole ni l'art. 7 ni l'art. 12 de la Charte.

Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé et Gonthier: L'article 7 de la Charte, et non l'art. 12, est la disposition appropriée en vertu de laquelle les actions du ministre doivent être évaluées. Celles‑ci ne constituent pas une peine cruelle et inusitée. Si, en fin de compte, l'exécution a lieu, ce sera l'exécution aux États‑Unis, en vertu du droit américain, d'un citoyen américain pour un crime commis aux États‑Unis. Elle ne résulte pas d'une initiative prise par le gouvernement canadien. La véritable question est de savoir si l'action du gouvernement canadien de remettre l'appelant à son propre pays porte atteinte à sa liberté et à sa sécurité d'une manière qui est interdite.

Le droit de l'appelant à la liberté et à la sécurité de sa personne est gravement atteint par son extradition sans condition. Il s'agit de déterminer si l'extradition viole les principes de justice fondamentale dans les circonstances de l'espèce. Les valeurs qui découlent de l'art. 12 jouent un rôle important pour définir la justice fondamentale dans ce contexte. Notre Cour a conclu que l'extradition doit être refusée si la remise placerait le fugitif dans une situation tellement inacceptable qu'elle "choque la conscience". Il y a des situations où la peine infligée à la suite de l'extradition -- par exemple, la torture -- serait si atroce qu'elle choquerait la conscience des Canadiens, mais ce n'est pas le cas de la peine de mort. Il y a de bons motifs de croire que, sauf dans des circonstances exceptionnelles, la peine de mort ne peut être justifiée au Canada, compte tenu de la faible mesure dans laquelle elle fait progresser tout objectif pénologique et de l'atteinte grave à la dignité humaine qu'elle engendre, mais là n'est pas la question en litige. La question est de savoir si l'extradition aux États-Unis d'une personne qui s'expose à l'exécution de la peine de mort dans ce pays choque la conscience.

Pour déterminer si cette extradition peut avoir lieu, l'évaluation constitutionnelle doit tenir compte du cadre global où la grande majorité des nations dans le monde conserve la peine de mort. Il y a eu une tendance souhaitable dans les nations occidentales à abolir la peine de mort, mais certaines sont allées à l'encontre de ce courant, notamment les États-Unis, dont les frontières relativement ouvertes et l'affinité culturelle avec le Canada font de la fuite des criminels vers notre pays un problème urgent. Bien qu'un certain nombre d'accords internationaux importants appuient le courant en faveur de l'abolition, aucun, sauf un, n'interdit vraiment l'utilisation de la peine de mort. Le récent Traité type d'extradition, élaboré sous les auspices des Nations Unies, qui, comme le Traité d'extradition entre le Canada et les États-Unis, donne aux États le pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de l'obtention d'une garantie concernant la peine de mort, reflète plus directement l'attitude internationale.

Le gouvernement a le droit et le devoir d'empêcher des criminels d'entrer dans notre pays et de les en expulser. Sinon, le Canada pourrait devenir un refuge pour les criminels. La question a été soulevée dans plusieurs affaires récentes relatives à des personnes passibles de la peine de mort pour meurtre. Des préoccupations de principe semblables s'appliquent à l'extradition. Il serait étrange que le Canada puisse expulser des auteurs de crimes moins graves mais soit obligé d'accorder le droit d'asile aux personnes accusées ou reconnues coupables des pires crimes.

En résumé, on ne pourrait pas dire que l'extradition d'une personne accusée de la pire forme de meurtre aux États-Unis, dont le système de justice est semblable au nôtre, choque la conscience des Canadiens ou viole la norme internationale. L'extradition ne va pas plus loin que ce qui est nécessaire pour atteindre le but social légitime et impérieux d'empêcher que le Canada devienne un refuge attrayant pour les fugitifs. Le ministre a décidé, dans l'intérêt de la sécurité des Canadiens, qu'il ne devrait pas, en l'espèce, demander des garanties que la peine de mort ne sera pas appliquée. On ne peut déduire de la preuve présentée à la Cour que la décision du ministre était déraisonnable et notre Cour ne doit pas s'immiscer dans sa décision d'extrader sans condition.

La procédure suivie par le ministre pour arriver à sa décision d'extrader l'appelant ne porte pas atteinte aux principes de justice fondamentale. Les moyens subsidiaires -- le caractère arbitraire allégué, le syndrome du "couloir de la mort" et la méthode d'exécution -- ne permettraient pas non plus d'aboutir à un résultat différent.

Les juges L'Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin: Bien que la Charte s'applique en matière d'extradition, y compris à la décision de l'exécutif prise par le ministre qui a un effet sur la remise du fugitif, la garantie contre tous traitements ou peines cruels et inusités que prévoit l'art. 12 de la Charte ne s'applique pas à l'art. 25 de la Loi sur l'extradition ou à l'égard des actes du ministre accomplis en application de cet article. La décision de livrer un fugitif aux termes de l'art. 25 ne constitue pas l'application d'une peine cruelle et inusitée par un gouvernement canadien. L'article 25 a pour objet et pour effet de permettre que le fugitif soit extradé pour faire face aux conséquences du processus judiciaire ailleurs. La peine, le cas échéant, à laquelle le fugitif est en fin de compte assujetti sera infligée non pas par le Gouvernement du Canada mais par l'État étranger. Le fait que le ministre peut demander des garanties que la peine de mort ne sera pas exigée ou appliquée dans le pays étranger ne change pas cette situation. Puisque la portée de la Charte se limite aux actes législatifs et exécutifs des gouvernements canadiens, si on applique l'art. 12 directement à l'acte d'extradition dans un pays où une peine en particulier peut être infligée, on donne à l'article un effet extraterritorial. Pour que les différents États aient de bonnes relations entre eux nous devons respecter les différences de nos voisins et nous abstenir d'imposer nos garanties constitutionnelles à d'autres États.

L'article 25 de la Loi sur l'extradition, qui permet l'extradition des fugitifs sans garantie que la peine de mort ne sera pas appliquée dans les États requérants, ne porte pas atteinte aux principes de justice fondamentale consacrés à l'art. 7 de la Charte. L'article 25 est conforme aux usages dans le domaine de l'extradition, interprété sur le plan historique et à la lumière des circonstances actuelles, et est conforme aux conceptions fondamentales de justice et d'équité dans la société canadienne. Si l'on tient compte de la nature de l'infraction et de la peine, du système judiciaire de l'État requérant, y compris les garanties qu'il accorde au fugitif, et des considérations relatives à la courtoisie et à la sécurité, et si l'on accorde toute la latitude voulue au ministre pour prendre en compte les intérêts divergents visés dans certaines affaires d'extradition, l'extradition d'un fugitif dans un État où il est passible de la peine de mort s'il est déclaré coupable ne constitue pas une situation qui est choquante et fondamentalement inacceptable pour notre société. Aucun consensus ne se dégage clairement dans notre pays quant à savoir si la peine de mort est moralement répréhensible et absolument inacceptable. En outre, bien que dans certains cas le ministre soit obligé de demander une garantie que la peine de mort ne sera pas infligée, la diversité des affaires vient appuyer la mesure législative qui accorde au ministre une certaine latitude pour déterminer s'il y a lieu de demander une garantie. Si de telles garanties devaient être obligatoires, le Canada pourrait devenir un refuge sûr pour les criminels des États‑Unis qui cherchent à éviter la peine de mort. Finalement, l'importance de conserver des accords efficaces en matière d'extradition avec d'autres pays dans un monde où l'application du droit a une portée de plus en plus internationale vient également appuyer le pouvoir discrétionnaire du ministre prévu à l'art. 25. Un processus d'extradition efficace est fondé sur le respect de la souveraineté et des différences des systèmes judiciaires des diverses nations.

La décision du ministre d'extrader sans obtenir de garanties des États‑Unis concernant l'application de la peine de mort n'a pas violé l'art. 7 de la Charte. Les motifs d'extradition sont impérieux et les garanties en matière de procédures dans l'État qui a des rapports de réciprocité sont grandes. Le seul fait que, à la fin du processus, le fugitif est passible de la peine de mort est insuffisant dans le contexte du système d'extradition de notre pays pour rendre la décision inconstitutionnelle. Les tribunaux ne devraient pas s'ingérer à la légère dans les décisions de l'exécutif en matière d'extradition.

La décision du ministre d'extrader n'est pas invalide du fait que l'appelant n'a pas eu le droit d'être entendu par le ministre. L'appelant a obtenu ce droit à l'étape de l'audience judiciaire. Aucune autre audience n'est nécessaire à la deuxième étape de la décision finale du ministre.

Le juge en chef Lamer et le juge Sopinka (dissidents): Bien que la peine de mort, en soi, constitue une peine cruelle et inusitée, il est préférable de ne pas trancher la question de savoir si l'art. 12 de la Charte s'applique parce que l'art. 7 est la disposition appropriée pour trancher le présent pourvoi.

L'ordonnance d'extradition contrevient à l'art. 7 de la Charte. L'extradition de l'appelant, passible de la peine de mort, le prive de la liberté et de la sécurité de sa personne. Les circonstances dans lesquelles l'extradition constitue une atteinte aux principes de justice fondamentale ne se limitent pas aux situations qui "choquent [. . .] la conscience". La protection conférée par l'art. 7 s'applique aux personnes aux prises avec des situations "simplement inacceptables". Cette exigence entraîne plus qu'un simple examen de l'opinion de la majorité. Elle doit être interprétée dans le contexte des valeurs sous‑jacentes à l'art. 7. En l'espèce, la décision du ministre d'extrader l'appelant sans chercher à obtenir les garanties contre la condamnation à une peine qui constituerait une violation de l'art. 12 de la Charte si elle était exécutée au Canada, porte atteinte aux principes de justice fondamentale. En fait, l'extradition du fugitif pour faire face à la peine de mort sans chercher à obtenir la garantie qu'elle ne sera pas infligée ou, si elle l'est, ne sera pas appliquée, choque la conscience. Le ministre n'a même pas demandé aux États‑Unis de lui donner cette garantie. Il est fort possible qu'elle aurait été donnée. Avec la collaboration de l'État requérant, il est possible d'atteindre les objectifs d'un système d'extradition efficace d'une manière qui ne prive pas le fugitif de la protection conférée par la Charte. Le refus de chercher à obtenir de telles garanties constitue une reconnaissance officielle de la peine de mort, malgré le fait que la politique d'intérêt public au Canada soit fermement opposée à son utilisation. L'ordonnance d'extradition n'est pas justifiée aux termes de l'article premier de la Charte.

Le juge en chef Lamer et le juge Cory (dissidents): Au Canada, il est interdit de condamner un meurtrier à la peine capitale. En tant que profanation ultime de la dignité humaine, la peine de mort est en soi une peine cruelle et inusitée et viole l'art. 12 de la Charte. La décision du ministre de livrer un fugitif qui risque d'être exécuté, sans obtenir une garantie en vertu de l'art. 6 du Traité d'extradition peut être examinée en vertu de l'art. 12. Bien que la Charte ne s'applique pas extraterritorialement, les personnes qui sont assujetties à la procédure d'extradition au Canada doivent se voir conférer tous les droits qu'elle garantit. Bien que ce soient les États‑Unis et non le Canada qui infligeraient la peine de mort, le Canada a l'obligation de ne pas extrader une personne qui serait soumise à des peines ou traitements cruels et inusités. En fait, livrer un fugitif qui peut être soumis à la peine de mort va à l'encontre de l'art. 12 de la Charte, comme ce serait le cas si le fugitif était exécuté au Canada. Le Canada, en sa qualité d'État requis, doit accepter la responsabilité de la conséquence finale de l'extradition. Par conséquent, le ministre ne doit pas livrer l'appelant sans obtenir la garantie décrite à l'art. 6 du Traité. S'il le faisait, l'art. 25 de la Loi sur l'extradition serait incompatible avec la Charte lorsqu'il s'agit de l'appliquer aux fugitifs passibles de la peine de mort.

Cette conclusion est fondée sur la réticence que les jurés ont toujours manifestée depuis des siècles à infliger la peine de mort, sur les dispositions de l'art. 12 de la Charte et sur les arrêts de notre Cour au sujet de cette disposition. Elle est également fondée sur les arrêts dans lesquels notre Cour souligne l'importance fondamentale de la dignité humaine ainsi que sur les déclarations et engagements du Canada, sur le plan international, mettant l'accent sur l'importance de la dignité de la personne et prônant l'abolition de la peine de mort.

Si les garanties prévues à l'art. 6 ne sont pas obtenues, l'arrêté d'extradition va à l'encontre de l'art. 12 de la Charte et ne peut pas être justifié en vertu de l'article premier. Il n'est tout simplement pas prouvé que l'existence de l'art. 6 a donné lieu à une arrivée massive de meurtriers américains au Canada. Il n'y a pas lieu de croire non plus que cela se produirait si le ministre de la Justice cherchait uniformément à obtenir les garanties prévues par l'art. 6. En outre, le Canada s'est engagé envers la collectivité internationale à reconnaître et à promouvoir la dignité humaine et à abolir la peine de mort. Ces engagements, comme la Charte et les arrêts de notre Cour, témoignent des valeurs et des principes existant au pays. Pour maintenir l'intégrité et la réputation du Canada dans la collectivité internationale, l'extradition doit être refusée à moins qu'une garantie ne soit obtenue conformément à l'art. 6. Prendre cette position ne constitue pas un refus absolu d'extrader une personne. Cela oblige simplement l'État requérant à s'engager à remplacer la condamnation à mort par une peine d'emprisonnement à perpétuité si le détenu est reconnu coupable de l'infraction.

En rejetant la demande que l'appelant avait faite au sujet de la présentation d'une preuve orale, le ministre n'a pas violé son droit à une audience. En déterminant la preuve dont il devait tenir compte en l'espèce et en prenant sa décision, le ministre a respecté tous les principes de justice naturelle. Le juge d'extradition doit examiner toute question de crédibilité ou prétention d'innocence. L'appelant ne pouvait donc pas chercher à présenter devant le ministre de la Justice de nouveaux éléments de preuve concernant la crédibilité des témoins ou son innocence. Le ministre n'était pas obligé de tenir compte de ces questions, ni d'entendre des témoignages de vive voix.


Parties
Demandeurs : Kindler
Défendeurs : Canada (Ministre de la Justice)

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge La Forest
Arrêts mentionnés: Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500
Miller et Cockriell c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680
R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045
R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309
Kindler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34
Shepherd v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1989), 52 C.C.C. (3d) 386 (C.A. Ont.), autorisation de pourvoi à la Cour suprême refusée, [1989] 2 R.C.S. xi
Blanusa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 27 F.T.R. 107
Attorney‑General for Canada v. Cain, [1906] A.C. 542
Cour eur. D. H., affaire Soering, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 161
États‑Unis d'Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469
Argentine c. Mellino, [1987] 1 R.C.S. 536
Furman v. Georgia, 408 U.S. 238 (1972)
Richmond v. Lewis, 921 F.2d 933 (1990)
Glass v. Louisiana, 471 U.S. 1080 (1984)
Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425.
Citée par le juge McLachlin
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États‑Unis c. Allard, [1987] 1 R.C.S. 564
Spencer c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 278
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486
R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151
R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387
R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309
R. c. Milne, [1987] 2 R.C.S. 512
R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284
Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879
Requête no 10479/83, Kirkwood c. Royaume‑Uni, 12 mars 1984, D.R. 37, p. 158
Cour eur. D. H., affaire Soering, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 161.
Citée par le juge Sopinka (dissident)
Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500
États Unis c. Allard, [1987] 1 R.C.S. 564
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486.
Citée par le juge Cory (dissident)
Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500
Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441
Gregg v. Georgia, 428 U.S. 153 (1976)
Miller c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486
R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30
Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143
Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177
Argentine c. Mellino, [1987] 1 R.C.S. 536
États‑Unis c. Allard, [1987] 1 R.C.S. 564
Requête no 6315/73, X. c. République fédérale d'Allemagne, 30 septembre 1974, D.R. 1, à la p. 73
Requête no 10308/83, Altun c. République fédérale d'Allemagne, 3 mai 1983, D.R. 36, p. 209
Requête no 10479/83, Kirkwood c. Royaume‑Uni, 12 mars 1984, D.R. 37, p. 158
Cour eur. D. H., affaire Soering, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 161.
Lois et règlements cités
Bill of Rights de 1689 (Angl.), 1 Will. & Mar. 2e sess., ch. 2, clause 10.
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 12.
Charte des Nations Unies, R.T. Can. 1945 no 7.
Constitution des États‑Unis, Huitième amendement.
Convention américaine relative aux droits de l'homme, O.A.S.T.S. no 36, p. 1, art. 4.
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, A.G. Rés. 39/46 39 N.U. AGRO Suppl. (no 51), p. 197, Doc. A/RES/39/46 N.U. (1984).
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 213 R.T.N.U. 223, Art. 3.
Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44 (réimprimée L.R.C. (1985), app. III).
Déclaration universelle des droits de l'homme, A.G. Rés. 217 A (III), Doc A/810 N.U., à la p. 71 (1948), préambule, art. 1, 3, 5.
Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, préambule, art. 1, 2.
Loi sur l'extradition, L.R.C. (1985), ch. E‑23, art. 25.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 999 R.T.N.U. 187, art. 6, 7.
Protocole à la Convention américaine relative aux droits de l'homme traitant de l'abolition de la peine de mort.
Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 999 R.T.N.U. 306.
Protocole no 6 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort, S.T. Europ. no 114.
Traité d'extradition entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique, R.T. Can. 1976 no 3, art. 6.
Traité type d'extradition, art. 4.
Doctrine citée
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Beccaria, Cesare. Des délits et des peines. Traduit par Maurice Chevallier. Genève: Librairie Droz, 1965.
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Foucault, Michel. Surveiller et punir: naissance de la prison. Paris: Gallimard, 1975.
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Proposition de citation de la décision: Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779 (26 septembre 1991)


Origine de la décision
Date de la décision : 26/09/1991
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1991] 2 R.C.S. 779 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1991-09-26;.1991..2.r.c.s..779 ?
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