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20/12/1990 | CANADA | N°[1990]_3_R.C.S._1303

Canada | R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303 (20 décembre 1990)


R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303

Robert Matthew Chaulk et

Francis Darren Morrissette Appelants

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général de l'Ontario,

le procureur général du Québec,

le procureur général du Nouveau‑Brunswick et

le procureur général de l'Alberta Intervenants

répertorié: r. c. chaulk

Nos du greffe: 21012 et 21035.

1990: 29 et 30 mai; 1990: 20 décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson*, le juge en chef Lamer** et les

juges Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1988), 4 W.C....

R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303

Robert Matthew Chaulk et

Francis Darren Morrissette Appelants

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général de l'Ontario,

le procureur général du Québec,

le procureur général du Nouveau‑Brunswick et

le procureur général de l'Alberta Intervenants

répertorié: r. c. chaulk

Nos du greffe: 21012 et 21035.

1990: 29 et 30 mai; 1990: 20 décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson*, le juge en chef Lamer** et les juges Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1988), 4 W.C.B. (2d) 218, [1988] Man. D. 5400‑03, qui a rejeté l'appel des appelants contre leur déclaration de culpabilité relativement à une accusation de meurtre au premier degré. Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné, les juges L'Heureux‑Dubé, Sopinka et McLachlin sont dissidents.

John Scurfield, c.r., pour l'appelant Chaulk.

G. G. Brodsky, c.r., pour l'appelant Morrissette.

George Dangerfield, c.r., pour l'intimée.

S. R. Fainstein, c.r., pour l'intervenant le procureur général du Canada.

R. Libman, pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.

Jacques Gauvin, pour l'intervenant le procureur général du Québec.

Bruce Judah, pour l'intervenant le procureur général du Nouveau‑ Brunswick.

Michael Watson, pour l'intervenant le procureur général de l'Alberta.

//Le juge en chef Lamer//

Version française du jugement du juge en chef Dickson, du juge en chef Lamer et des juges La Forest et Cory rendu par

Le juge en chef Lamer — Ce pourvoi met en cause la validité constitutionnelle, au regard de l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, de la clause portant inversion de la charge de la preuve énoncée au par. 16(4) des dispositions du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, relatives à l'aliénation mentale. Notre Cour est également appelée à revoir l'interprétation qu'elle a donnée au mot "mauvais" employé au par. 16(2). D'autres questions particulières au pourvoi sont exposées plus loin dans les présents motifs.

Les faits

Le 3 septembre 1985, les appelants Chaulk et Morrissette faisaient irruption dans une maison de Winnipeg, la vidant de ses objets de valeur pour ensuite poignarder et assommer mortellement son seul occupant. Une semaine plus tard, ils se rendaient et faisaient des aveux complets.

Par suite d'une demande de renvoi présentée devant le tribunal pour adolescents (Chaulk et Morrissette étaient alors âgés respectivement de 15 et 16 ans), les appelants ont été jugés et déclarés coupables de meurtre au premier degré par un jury de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba. Le seul moyen de défense invoqué était l'aliénation mentale au sens de l'art. 16 du Code. Selon la preuve d'expert produite au procès, les appelants souffraient d'une psychose paranoïde qui les a amenés à se croire investis du pouvoir de régner sur le monde, l'homicide qu'il ont commis étant un moyen nécessaire à cette fin. Ils savaient que les lois du Canada existaient, mais se croyaient au‑dessus de la loi commune et estimaient qu'ils n'y étaient pas assujettis. Ils pensaient avoir le droit de tuer la victime parce que c'était un "perdant".

L'appel à la Cour d'appel du Manitoba a été rejeté à l'unanimité, le 13 mai 1988.

Dispositions pertinentes

Code criminel

16. (1) Nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction à l'égard d'un acte ou d'une omission de sa part alors qu'il était aliéné.

(2) Pour l'application du présent article, une personne est aliénée lorsqu'elle est dans un état d'imbécillité naturelle ou atteinte de maladie mentale à un point qui la rend incapable de juger la nature et la qualité d'un acte ou d'une omission, ou de savoir qu'un acte ou une omission est mauvais.

(3) Une personne qui a des idées délirantes sur un point particulier, mais qui est saine d'esprit à d'autres égards, ne peut être acquittée pour le motif d'aliénation mentale, à moins que ses idées délirantes ne lui aient fait croire à l'existence d'un état de choses qui, s'il eût existé, aurait justifié ou excusé son acte ou omission.

(4) Jusqu'à preuve du contraire, chacun est présumé être et avoir été sain d'esprit.

Charte canadienne des droits et libertés

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

11. Tout inculpé a le droit:

. . .

d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable

Jugements et arrêts des juridictions inférieures

Cour du Banc de la Reine du Manitoba

Les appelants ont subi leur procès devant le juge Ferg de la Cour du Banc de la Reine siégeant avec jury. Ils ont été déclarés coupables de meurtre au premier degré. Le seul moyen invoqué en défense au procès a été l'aliénation mentale, moyen qui a été rejeté par le jury. Chaulk et Morrissette ont été condamnés à l'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de bénéficier de la libération conditionnelle avant vingt‑cinq ans.

Cour d'appel du Manitoba (le juge O'Sullivan au nom de la cour)

Les appelants ont interjeté appel de leur déclaration de culpabilité devant la Cour d'appel du Manitoba, invoquant comme moyens que le par. 16(4) violait la Charte, que les directives du juge de première instance concernant le par. 16(3) et l'effet du déséquilibre mental sur la capacité d'agir avec préméditation et de propos délibéré, étaient erronées, que le juge de première instance avait également erré en refusant de répondre à des questions précises du jury concernant les par. 16(2) et (3), en n'ordonnant pas la tenue de procès séparés pour les deux accusés et en admettant certaines déclarations faites par l'accusé Chaulk à un avocat sans procéder à un voir‑dire et, enfin, en rejetant une requête pour précisions présentée par la défense.

La Cour d'appel a estimé que l'exposé du juge Ferg aux jurés, de même que ses réponses à leurs questions, [TRADUCTION] "exposaient correctement les questions soumises à l'examen du jury". Elle a conclu que tout jury raisonnable, ayant reçu les directives appropriées, rejetterait en l'espèce la défense d'aliénation. Le juge O'Sullivan s'est exprimé ainsi:

[TRADUCTION] À mon avis, la preuve révèle que les accusés souffraient certes de mégalomanie, mais il est clair qu'ils connaissaient et étaient bien à même de juger la nature et les conséquences de leurs actes et qu'ils savaient que ce qu'ils faisaient était illégal (voir R. v. Abbey (1982), 29 C.R. (3d) 193). On n'a présenté aucune preuve d'idées délirantes sur un point particulier.

. . .

À mon avis, une personne aliénée au sens médical peut être tenue responsable de ses actes si l'aliénation dont elle souffre ne tombe pas dans le champ d'application des dispositions de l'art. 16 du Code criminel.

La cour a rejeté l'argument selon lequel la charge de la preuve énoncée au par. 16(4) du Code contrevient à l'al. 11d) de la Charte. S'appuyant sur le jugement qu'elle avait rendu dans l'affaire R. v. Godfrey (1984), 11 C.C.C. (3d) 233, la cour a conclu que le par. 16(4) n'était pas incompatible avec la Charte. Le juge O'Sullivan a vu dans l'argument présenté à l'encontre de la présomption que chacun est sain d'esprit une menace potentielle à la liberté, étant donné que l'aliénation peut être soulevée par le ministère public ou par le juge. Il a affirmé qu'en l'absence de cette présomption, [TRADUCTION] "il serait loisible à un jury qui a un doute raisonnable quant à la capacité mentale d'un prévenu de condamner ce dernier à l'incarcération à titre de personne aliénée".

En ce qui a trait à l'admission en preuve de la déclaration de Chaulk en l'absence d'un voir‑dire, la Cour d'appel a conclu que la déclaration n'avait pas été faite à une personne en situation d'autorité et elle n'a constaté aucune erreur donnant lieu à révision dans la décision du juge Ferg de l'admettre sans procéder à un voir‑dire.

Les questions en litige

Le juge en chef Dickson a formulé, le 13 juillet 1989, les questions constitutionnelles suivantes:

1.Le paragraphe 16(4) du Code criminel du Canada est‑il incompatible avec l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés?

2.Si la réponse à la première question est affirmative, le par. 16(4) est‑il justifié par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Les appelants soulèvent trois autres questions en cette Cour:

[TRADUCTION]

3.Quelle est l'interprétation du mot "mauvais" employé au par. 16(2) du Code criminel du Canada? Signifie‑t‑il seulement "illégal" ou peut‑il aussi être interprété au sens plus large d'"illégal ou moralement répréhensible"?

4.Quelle interprétation devrait‑on donner au par. 16(3) du Code criminel du Canada? Cette question aurait‑elle dû être laissée en l'espèce à l'appréciation du jury et, dans l'affirmative, quelles directives aurait‑il fallu donner au jury?

5.Le juge du procès a‑t‑il commis une erreur en permettant au ministère public de scinder sa preuve afin d'en soumettre l'essentiel en contre‑preuve?

Analyse

Le paragraphe 16(4) du Code est‑il incompatible avec l'al. 11d) de la Charte?

Le paragraphe 16(4) du Code établit la présomption que chacun est sain d'esprit. Cette présomption s'applique "[j]usqu'à preuve du contraire". Dans l'arrêt Smythe v. The King, [1941] R.C.S. 17, notre Cour a conclu que lorsque l'aliénation est invoquée en défense, c'est à l'accusé qu'il incombe de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il était aliéné au moment de l'infraction. Dans R. v. Simpson (1977), 35 C.C.C. (2d) 337 (C.A. Ont.), le juge Martin, citant l'arrêt Smythe, a déclaré à la p. 363:

[TRADUCTION] Il est, naturellement, bien établi que si l'accusé allègue qu'il était aliéné au moment de la perpétration de l'acte, c'est en démontrant l'aliénation selon la prépondérance des probabilités qu'il s'acquitte de la charge de preuve qui lui incombe: ...

L'appelant Morrissette fait valoir que les mots "[j]usqu'à preuve du contraire" employés au par. 16(4) devraient être interprétés, conformément à la common law, comme obligeant simplement l'accusé à susciter un doute raisonnable quant à son aliénation. Il part de l'hypothèse que si les mots devaient en effet recevoir cette interprétation, le par. 16(4) n'enfreindrait pas la présomption d'innocence et il n'y aurait pas lieu d'examiner en l'espèce les arguments fondés sur la Charte.

Or à mon avis, les mots "[j]usqu'à preuve du contraire" ne sauraient être interprétés comme exigeant simplement que l'accusé s'acquitte d'une charge de présentation (soit susciter un doute raisonnable quant à l'aliénation mentale); la rédaction du par. 16(4) impose en effet clairement à l'accusé un fardeau de persuasion. Dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, le juge en chef Dickson a examiné les différents types de présomption existant en droit criminel en vue de déterminer si l'art. 8 de la Loi sur les stupéfiants imposait à l'accusé une charge de présentation ou de persuasion. La disposition en question obligeait l'accusé à "démontrer" qu'il n'était pas en possession d'un stupéfiant pour en faire le trafic. Le juge en chef Dickson a déclaré que le terme "établir" équivaut au terme "prouver" et que l'emploi du mot "démontrer" signifiait que l'accusé devait prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'était pas en possession d'un stupéfiant pour en faire le trafic (pp. 114 à 118). Il ressort donc nettement du raisonnement suivi dans Oakes qu'une disposition présumant l'existence d'un certain fait (en l'espèce, le fait que l'accusé soit sain d'esprit) "[j]usqu'à preuve du contraire" oblige l'accusé qui veut repousser ce fait à en établir la preuve contraire (l'aliénation) selon la prépondérance des probabilités.

Par conséquent, il convient en l'espèce d'examiner le par. 16(4) en regard de l'al. 11d) de la Charte.

Les appelants soutiennent que l'obligation faite à l'inculpé d'apporter la preuve prépondérante de son aliénation est contraire à la présomption d'innocence garantie par l'al. 11d) de la Charte. Pour résoudre cette question, il importe d'examiner la nature des dispositions relatives à l'aliénation dans notre droit criminel.

Nature des dispositions relatives à l'aliénation

Il existe dans les milieux universitaires une controverse sur la question de savoir si l'aliénation a pour effet de nier une "condition préalable" à la responsabilité légale ou si elle constitue un moyen de défense au sens où elle écarte la mens rea. Disons d'abord que j'utiliserai le terme "moyen de défense" pour désigner une défense d'aliénation mentale fondée sur l'art. 16, mais seulement au sens large et général d'"argument qu'une personne peut opposer à une accusation criminelle" (Commission de réforme du droit du Canada, Document de travail 29, Droit pénal, Partie générale: — Responsabilité et moyens de défense (1982), à la p. 37), ou encore au sens de [TRADUCTION] "toute allégation qui, si elle est acceptée, entraîne nécessairement l'acquittement" (Colvin, Principles of Criminal Law (1986), à la p. 163).

Il est vrai que la nature exacte de la défense d'aliénation n'est pas facile à saisir. La rédaction de l'art. 16 ne nous aide pas particulièrement à cet égard. On y apprend qu'une fois prouvée, la défense d'aliénation mentale empêchera une déclaration de culpabilité, mais non s'il s'agit d'un moyen de défense qui écarte la mens rea, fournit une excuse ou une justification ou qui exonère simplement l'accusé d'une déclaration de culpabilité criminelle pour des raisons de principe. D'autres dispositions du Code sont plus explicites: l'art. 17 par exemple édicte qu'une personne qui commet une infraction sous la contrainte exercée par certaines menaces sera, dans certaines circonstances, excusée d'avoir commis cette infraction.

Il convient de souligner, cependant, que la rédaction du par. 16(1) est très semblable à celle de l'art. 13, lequel dispose:

13. Nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction à l'égard d'un acte ou d'une omission de sa part lorsqu'il était âgé de moins de douze ans.

La disposition modifie la common law, selon laquelle un enfant âgé de moins de sept ans était, de façon irréfragable, présumé incapable de former une intention criminelle, alors que, l'enfant âgé de plus de sept ans mais de moins de quatorze ans était présumé incapable tant qu'une preuve claire de "précocité" n'avait pas démontré sa capacité réelle de juger du mal commis (voir Perkins et Boyce, Criminal Law (3e éd. 1982), ch. 8). Une fois atteint l'âge de quatorze ans, la présomption d'incapacité pénale de la common law disparaissait pour faire place à une présomption réfutable de capacité de former une intention criminelle. Ces principes sont conformes à la présomption que chacun est sain d'esprit reconnue en common law (et formulée dans les règles M'Naghten), adoptée en droit criminel canadien dans le premier code criminel (voir Code criminel, 1892, S.C. 1892, ch. 29, art. 11, et les commentaires du juge Taschereau (The Criminal Code (1893), aux pp. 8 et 9)), et maintenue dans l'actuel par. 16(4).

En d'autres termes, pour découvrir la nature de la défense d'aliénation mentale, il suffit de considérer l'évolution des présomptions concernant la capacité pénale. En common law, cette évolution commençait avec la présomption irréfragable selon laquelle l'enfant âgé de moins de sept ans ne pouvait avoir la capacité nécessaire pour former une intention criminelle. Dans le Code actuel, l'art. 13 établit la présomption irréfragable que l'enfant âgé de moins de douze ans n'a pas la capacité pénale. Dans la common law, la présomption d'incapacité devenait réfutable pour les enfants de sept à quatorze ans. Selon Perkins et Boyce, [TRADUCTION] "cette présomption est extrêmement forte à l'âge de sept ans et elle diminue graduellement pour disparaître entièrement à l'âge de quatorze ans" (p. 936). Le Code criminel actuel fixe la ligne de démarcation à douze ans, âge à partir duquel s'applique la présomption que chacun est sain d'esprit établie au par. 16(4). Ainsi, à cette étape de l'évolution, chacun est présumé avoir la capacité pénale tant que cette présomption n'est pas repoussée par une preuve prépondérante (c'est bien sûr la Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. (1985), ch. Y‑1, établissant le principe de la responsabilité atténuée, qui s'applique aux adolescents âgés de douze à dix‑huit ans).

Bien qu'on ne puisse assimiler l'état d'aliéné à celui d'enfant, il y a manifestement un lien entre ces deux conditions aux fins du droit criminel. Ces deux situations ont ceci de commun qu'elles font ressortir que l'individu en cause ne répond pas à certains postulats fondamentaux de notre modèle de droit criminel: savoir que l'accusé est un être autonome et rationnel, capable de juger la nature et la qualité d'un acte et de distinguer le bien du mal. Pour ce qui est de l'enfance, ces postulats fondamentaux sont mis en doute par l'immaturité de l'individu, celui‑ci n'ayant pas encore acquis la capacité minimale exigée par la justice et l'équité pour être jugé au regard des normes du droit criminel. En ce qui concerne l'état d'aliéné, les mêmes postulats sont rendus suspects du fait que l'accusé souffre d'une forme de maladie mentale ou d'hallucinations qui l'amènent à avoir un cadre de référence sensiblement différent de celui de la plupart des gens. En raison de cette condition mentale, l'accusé est largement incapable de former une intention criminelle et ne devrait donc pas, de façon générale, être assujetti à la responsabilité pénale comme le sont les gens sains d'esprit. (Soulignons que l'art. 16 n'exonère pas tous ceux qui sont atteints de maladie mentale. La défense d'aliénation y revêt en effet un sens particulier et ce n'est qu'à la condition de satisfaire aux critères établis que l'accusé pourra échapper à une déclaration de culpabilité.)

Il ressort à mon avis de l'examen qui précède que les dispositions relatives à l'aliénation agissent, au niveau le plus fondamental, comme une exemption de responsabilité pénale fondée sur l'incapacité de former une intention criminelle. Dans chaque cas toutefois, cette incapacité fondamentale se traduira de diverses façons suivant les prétentions de l'accusé. La défense d'aliénation mentale, que sous‑tend l'allégation d'incapacité pénale peut, dans un cas particulier, donner lieu à une négation de l'actus reus ou de la mens rea. Ainsi, l'accusé pourrait prétendre que sa condition mentale était telle qu'il n'agissait pas consciemment au moment où a été perpétré le crime reproché. Cette allégation s'apparente à celle d'automatisme démentiel, laquelle nie l'élément essentiel du caractère volontaire de l'actus reus en raison d'une cause interne — la maladie mentale de l'accusé (Rabey c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 513). L'accusé pourrait aussi faire valoir que sa condition mentale était telle que, tout en agissant consciemment et volontairement, il n'avait pas la mens rea requise. Une personne inculpée de meurtre pourrait, par exemple, prétendre qu'au moment où consciemment et volontairement elle faisait l'acte de trancher, elle croyait qu'elle tranchait un pain en deux alors qu'en fait, elle tranchait la tête de la victime (voir Kenny's Outlines of Criminal Law (19e éd. 1966), à la p. 83, note 1). En pareil cas, la défense d'aliénation mentale se traduit par une négation de la mens rea, l'accusé n'ayant eu aucune intention de causer la mort. Ou encore, une personne inculpée de meurtre pourrait soutenir que même si, consciemment et volontairement, elle a posé l'acte de tuer et qu'elle désirait causer la mort de la victime, c'est que sa condition mentale l'avait portée à croire sincèrement que la victime était l'incarnation du mal et qu'elle détruirait la terre entière si elle ne la tuait pas. Dans ce cas, la défense d'aliénation mentale se traduit non pas par une négation de l'actus reus ou de la mens rea, mais plutôt par un moyen de la nature d'une excuse ou d'une justification fondée sur le fait que la condition mentale de l'accusé l'avait rendu incapable de savoir que son acte était mauvais. Le professeur Eric Colvin traite des différents rôles que joue la défense d'aliénation mentale dans "Exculpatory Defences in Criminal Law" (1990), 10 Oxford J. Legal Stud. 381. Voici ce qu'il en dit (aux pp. 394 et 401):

[TRADUCTION] Le point de vue traditionnel en matière de défense d'aliénation mentale consiste à concevoir celle‑ci comme écartant toute culpabilité. Certes, l'aliénation mentale peut soit servir de moyen particulier de nier un élément moral de l'infraction, soit de moyen de défense exculpatoire...

. . .

Le défaut de capacité mentale peut servir à asseoir divers moyens de défense. Le trouble mental peut être invoqué pour nier les éléments constitutifs de l'infraction, comme moyen de défense exculpatoire relié particulièrement au problème de l'altération des facultés, ou encore comme l'un des moyens exculpatoires fondés sur la légitimité de l'acte en fonction du contexte.

Ces trois types de défense peuvent être illustrés à l'aide des règles M'Naghten gouvernant l'aliénation mentale en common law. Au c{oe}ur de ces règles figure le principe voulant que l'aliénation puisse être invoquée par toute personne qui, en raison d'une "déficience de la raison" résultant d'une "maladie mentale", ne "connaissait pas la nature et la qualité de son acte; ou si elle les connaissait, [. . .] ne savait pas que ce qu'elle faisait était mauvais". Le premier volet vise la situation où l'aliénation mentale écarte les éléments moraux constitutifs des infractions. Le second constitue une défense exculpatoire particulière fondée sur la déficience de la faculté de discernement. Il existe de fait une exception à la règle générale selon laquelle "l'ignorance de la loi n'est pas une excuse". La troisième façon dont l'aliénation mentale peut toucher la culpabilité criminelle est par un effondrement cognitif conduisant à une croyance erronée quant à la légitimité d'un acte compte tenu du contexte. Les règles M'Naghten visaient cette situation en énonçant qu'il devait y avoir détermination de la responsabilité comme si les faits étaient tels que l'agent croyait qu'ils étaient. [Références omises.]

Les exemples qui précèdent illustrent le fait que la défense d'aliénation mentale peut revêtir différents aspects, suivant la condition mentale de l'accusé. Tous ces exemples ont cependant un dénominateur commun. Chacun d'eux repose en effet sur la prétention sous‑jacente que l'accusé n'est pas capable d'une intention criminelle parce que sa condition mentale a faussé son cadre de référence. Lorsqu'une personne plaide l'aliénation mentale, elle peut fort bien ainsi, dans un cas donné, nier l'existence de la mens rea, ou encore, dans un autre cas, faire valoir une excuse empêchant la responsabilité criminelle; mais cette personne peut également faire une allégation plus fondamentale qui va au‑delà de la mens rea ou de l'actus reus, savoir qu'elle échappe aux postulats normaux de notre modèle de droit criminel parce qu'elle n'a pas la capacité de former une intention criminelle. Cette allégation peut être ou non jugée valable. Mais si l'incapacité est telle qu'elle entre dans le cadre de la défense d'aliénation énoncée à l'art. 16, elle empêchera une déclaration de culpabilité.

En raison de ce qui précède, je préfère considérer la défense d'aliénation mentale comme une exemption de responsabilité pénale fondée sur l'incapacité de former une intention criminelle. Soulignons toutefois que cette demande d'exemption se traduira habituellement, sous le régime de l'art. 16, soit par une négation de la mens rea dans un cas particulier, soit par une excuse à l'égard de ce qui aurait autrement constitué une infraction criminelle. Il s'agit là d'une conséquence du libellé de l'art. 16.

C'est aux par. 16(2) et (3) du Code qu'est définie la notion d'"aliénation légale", ou aliénation écartant toute déclaration de culpabilité. La première partie du par. 16(2) forme ce que l'on appelle le "premier volet" de la défense d'aliénation mentale:

[U]ne personne est aliénée lorsqu'elle est dans un état d'imbécillité naturelle ou atteinte de maladie mentale à un point qui la rend incapable de juger la nature et la qualité d'un acte ou d'une omission . . .

Dans l'arrêt R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24, notre Cour a statué (par la voix du juge Dickson, alors juge puîné) que "juger la nature et la qualité d'un acte ou d'une omission" se rapportait à l'aptitude de l'accusé à percevoir les conséquences, l'effet et les résultats d'un acte physique et non à son aptitude à juger qu'il peut encourir les conséquences légales de cet acte. En arrivant à cette conclusion, le juge Dickson a déclaré qu'une hallucination qui relève du "premier volet" de la défense d'aliénation mentale neutralise l'élément de la mens rea relativement aux circonstances ou aux conséquences qui font partie de l'actus reus. Compte tenu du libellé du "premier volet" du par. 16(2), cela est vrai dans la grande majorité des cas. Une allégation d'aliénation mentale présentée en vertu du "premier volet" se traduira, dans un cas particulier, par une négation de la mens rea. Il est aussi possible, cependant, qu'une allégation de cette nature se traduise, dans un autre cas, par une négation du caractère volontaire de l'actus reus. C'est ce qu'a clairement établi l'arrêt Rabey de notre Cour qui a notamment analysé la défense d'automatisme démentiel.

Notre Cour a également conclu dans l'arrêt Abbey que le "second volet" du par. 16(2) "vise la faculté cognitive, c'est‑à‑dire la connaissance et non pas l'appréciation des conséquences" (p. 36). Cette disposition est aussi fondée sur l'incapacité de former une intention criminelle. Cette incapacité est due au fait qu'en raison de sa condition mentale, l'accusé n'est pas en mesure de distinguer le bien du mal. Dans ce cas particulier, la défense d'aliénation mentale n'équivaut pas à une négation de la mens rea. Le droit criminel ne se préoccupe pas en effet de déterminer si un accusé sain d'esprit savait que son acte était mauvais. La connaissance du caractère mauvais d'un acte ne fait pas partie de l'exigence de la mens rea. Il en est ainsi parce que les individus sains d'esprit sont présumés avoir la capacité de distinguer le bien du mal — si une personne saine d'esprit est d'avis que tuer n'est pas mal, son avis en fait un être "mauvais" (par opposition à un être "malade") en raison de cette capacité de distinguer le bien du mal. Par contre, l'accusé qui allègue l'aliénation mentale en vertu du "second volet" du par. 16(2) met en cause le postulat voulant qu'il soit capable de distinguer le bien du mal. S'il est prouvé que cette incapacité est imputable à sa condition mentale, il sera à l'abri de la responsabilité pénale en dépit du fait que les éléments de l'actus reus et de la mens rea ont été établis dans un cas particulier. Ainsi, bien qu'une allégation d'aliénation mentale reposant sur le "second volet" soit fondée sur la même négation fondamentale de la capacité pénale qu'une allégation faite en vertu du "premier volet", elle se traduit non par une négation de l'actus reus ou de la mens rea, mais plutôt par une excuse à l'égard de ce qui serait autrement une conduite criminelle.

Vu l'analyse qui précède, je me dois à l'égard de certaines des parties à ce pourvoi d'examiner l'argument particulier qu'elles ont soulevé, savoir que le par. 16(4) ne viole pas la présomption d'innocence puisque l'accusé bénéficie de l'al. 11d) tant que le ministère public n'a pas prouvé à la fois l'actus reus et la mens rea, et que ce n'est qu'après ce point qu'il y a ouverture à la défense d'aliénation mentale. Selon certaines parties, cela signifie que si l'accusé est incapable de convaincre le jury qu'il était aliéné au sens de l'art. 16, ce n'est pas de cette incapacité que résultera la déclaration de culpabilité, mais plutôt des autres éléments de preuve dont le jury doit être convaincu hors de tout doute raisonnable.

(Je m'arrête ici pour souligner que ce pourvoi a été entendu conjointement avec un certain nombre d'autres pourvois connexes. La présente affaire, ainsi que les affaires R. c. Romeo, [1991] 1 R.C.S. 000, et R. c. Ratti, [1991] 1 R.C.S. 000, soulèvent toutes en effet la question de savoir si le par. 16(4) viole la Charte. Dans l'examen de cette question constitutionnelle commune, je me reporterai donc aux arguments de toutes les parties (y compris les divers intervenants) qui ont présenté leur opinion à cet égard.)

L'argument est ainsi formulé dans le mémoire du procureur général du Nouveau‑Brunswick dans l'affaire Romeo:

[TRADUCTION] 67. Bien que le lien entre la mens rea et la présomption de capacité mentale ne fasse aucun doute, le rôle de chacun dans le processus pénal est fondamentalement différent. Le plaidoyer d'aliénation intervient uniquement après qu'a été établie la mens rea. En pareil cas, il devient nécessaire pour l'accusé d'établir que l'intention provenait d'un esprit malade. L'intention demeure, elle n'est pas niée. C'est l'état mental ayant donné naissance à cette intention qui est expliqué.

. . .

71. La présomption d'innocence signifie que la poursuite doit établir, hors de tout doute raisonnable, tant l'actus reus que la mens rea d'un crime donné. La charge de preuve associée à la défense d'aliénation mentale présuppose que la poursuite a établi ces éléments de l'infraction.

...

73. . . . Tout ce que fait la présomption, c'est d'obliger l'accusé à démontrer l'existence d'un trouble mental particulier -‑ une fois que la poursuite a établi la preuve de la mens rea. Si l'accusé ne réussit pas à convaincre le jury de l'existence de ce trouble suivant la prépondérance des probabilités, il sera déclaré coupable non pas parce qu'il est présumé sain d'esprit, mais parce que la poursuite aura prouvé par ailleurs les éléments essentiels de l'infraction — y compris la mens rea.

Avec égards, je suis d'avis de rejeter cet argument, et ce pour deux motifs. En premier lieu, il n'est pas nécessairement vrai que le plaidoyer d'aliénation mentale est présenté uniquement après que la preuve de la mens rea a été établie par le ministère public. Qu'en est‑il lorsque la condition mentale de l'accusé est telle qu'elle écarte la mens rea dans une espèce donnée? L'exemple précédent où une personne tranche consciemment et volontairement la tête de la victime tout en croyant, à cause de sa condition mentale, qu'elle tranche un pain en deux, en est l'illustration. Si, dans un cas semblable, l'accusé présentait une preuve de sa condition mentale (soulevant ainsi la question de sa capacité mentale), le juge du procès serait fondé à donner au jury des directives sur l'art. 16. Dans les circonstances, ce n'est que lorsque le juge des faits a rejeté la défense d'aliénation qu'il peut examiner la preuve de la condition mentale de l'accusé uniquement à l'égard de la mens rea; or cela n'a été autorisé que dans les cas où l'accusé cherchait à nier soit la préméditation ou le propos délibéré, soit l'intention spécifique au meurtre, pour être plutôt déclaré coupable d'une infraction moindre et incluse (par exemple, meurtre au second degré ou homicide involontaire coupable). Par conséquent, il est faux de dire qu'une preuve d'aliénation mentale peut être présentée par un accusé simplement pour nier la mens rea d'une infraction, indépendamment de la défense d'aliénation.

Je soumets donc avec égards qu'il n'est pas exact d'affirmer que la question de l'aliénation mentale ne se pose qu'après preuve faite par le ministère public tant de l'actus reus que de la mens rea. Si l'aliénation de l'accusé met en question l'existence de la mens rea propre à une infraction donnée, on ne saurait affirmer que la mens rea a été prouvée par le ministère public avant que ne se pose la question de l'aliénation. Ce n'est d'ailleurs pas avant la fin du procès qu'on peut conclure que le ministère public a prouvé quoi que ce soit hors de tout doute raisonnable. Il se peut en effet fort bien que la preuve présentée par l'accusé suscite un doute raisonnable quant à l'existence d'un élément essentiel et ce, même si la preuve présentée par le ministère public suffirait à faire rejeter une requête en non‑lieu.

Par conséquent, je ne puis souscrire à l'argument suivant lequel "[l]e plaidoyer d'aliénation intervient uniquement après qu'a été établie la mens rea" (je souligne). Dans les cas où la défense d'aliénation se traduit par une négation de la mens rea requise, on ne peut dire que la preuve de celle‑ci n'a été établie qu'après le rejet de ce plaidoyer.

L'argument soulevé pose un second problème, savoir que même s'il était vrai que le plaidoyer d'aliénation n'intervient qu'une fois établie la mens rea, cela ne signifie pas qu'il y aura, advenant le rejet de la défense d'aliénation, déclaration de culpabilité parce que le ministère public a démontré les éléments essentiels de l'infraction et non parce que l'accusé n'a pu s'acquitter de son fardeau de prouver l'aliénation. Cet argument suppose que les seuls éléments nécessaires à la culpabilité sont la preuve de l'actus reus et de la mens rea. Or il n'en est rien, même en faisant abstraction momentanément de l'art. 16. S'il est mis en preuve, au cours d'un procès pour meurtre, que l'accusé a pu agir en état de légitime défense, c'est au ministère public qu'il incombe, s'il veut obtenir une déclaration de culpabilité, de réfuter l'existence de cette justification hors de tout doute raisonnable. Si le ministère public réussit à nier suffisamment l'allégation de légitime défense, on ne pourra soutenir que la déclaration de culpabilité consécutive résulte de la preuve de l'actus reus et de la mens rea, et non de l'échec du moyen invoqué. Par conséquent, il serait faux de dire qu'une clause portant inversion de la charge de la preuve en matière de légitime défense n'enfreindrait pas l'al. 11d); c'est pourtant la conclusion qui découlerait logiquement de l'argument qu'avance entre autres le procureur général du Nouveau‑Brunswick.

Le raisonnement qui précède s'applique également à la défense d'aliénation mentale. Il ressort en effet clairement de l'art. 16 que le fait pour l'accusé d'être sain d'esprit est essentiel pour qu'il y ait culpabilité (c'est‑à‑dire qu'il est essentiel que l'accusé ne soit pas visé par la définition de l'aliénation énoncée à cet article). Celui qui était aliéné au moment de la perpétration de l'infraction ne peut être déclaré coupable. Par conséquent, même lorsque le ministère public a prouvé l'actus reus et la mens rea, s'il y a plaidoyer d'aliénation mentale et rejet de ce plaidoyer parce que l'accusé n'a pu réfuter la présomption qu'il était sain d'esprit, la culpabilité doit alors découler de cette présomption et non simplement de la preuve des "éléments essentiels". Les conséquences pratiques de ce dernier point seront examinées en détail plus loin.

S'il est utile, aux fins de mettre en perspective les questions soulevées dans ce pourvoi, de réfléchir à la nature de l'allégation fondée sur les dispositions relatives à l'aliénation, on peut toutefois se demander dans quelle mesure une conclusion à cet égard est déterminante dans l'analyse fondée sur l'al. 11d).

La nature de l'art. 16 détermine‑t‑elle la réponse à l'argument fondé sur la Charte?

Le ministère public soutient que le fait d'être sain d'esprit ne constitue pas un élément essentiel d'une infraction (à la différence de la mens rea) et qu'il ne déclenche donc pas l'opération de la présomption d'innocence.

Selon le ministère public, l'aliénation soulève la question de la capacité mentale, ce qui n'équivaut pas à la négation de la mens rea dans un cas particulier. En invoquant la défense d'aliénation mentale, l'accusé nie en effet être un "agent moral" et affirme qu'il devrait en conséquence être à l'abri de la responsabilité pénale. Cette position est largement conforme à l'analyse qui précède, savoir que la défense d'aliénation mentale constitue une négation de capacité pénale. Cependant, je ne suis pas convaincu que cette qualification des dispositions relatives à l'aliénation mentale mène à la conclusion que la présomption que toute personne est saine d'esprit ne viole pas la présomption d'innocence.

Le ministère public soutient que la preuve de l'aliénation ne vient pas "réfuter" l'infraction (ni, je présume, un élément essentiel de l'infraction) et partant, que la présomption d'innocence est inapplicable à l'art. 16. Le ministère public s'appuie sur l'opinion du juge McIntyre dans l'arrêt R. c. Holmes, [1988] 1 R.C.S. 914, savoir que dans le cas où une loi oblige l'accusé à apporter la preuve prépondérante d'un moyen de défense une fois que le ministère public a déjà prouvé l'infraction hors de tout doute raisonnable, il n'y a pas violation de l'al. 11d). Cet argument postule implicitement que les dispositions relatives à l'aliénation mentale accordent une exemption à l'accusé qui, n'eût été son aliénation, serait déclaré coupable hors de tout doute raisonnable. Or, il peut ou non en être ainsi, suivant la manière dont l'aliénation mentale est invoquée — comme il ressort des exemples donnés précédemment. Le ministère public fait valoir qu'invoquer l'aliénation mentale est un moyen d'échapper à la responsabilité pénale "au‑delà et par delà" la présomption d'innocence qui s'applique à l'égard de l'infraction spécifique. Il prétend en substance que la présomption d'innocence n'opère qu'à l'égard des éléments essentiels de l'infraction, ainsi qu'à l'égard des moyens de défense reconnus en common law. Une allégation d'aliénation fondée sur l'art. 16 équivaut à une demande d'exemption de responsabilité pénale; elle n'écarte pas un élément essentiel de l'infraction non plus qu'elle ne soulève un moyen de défense reconnu en common law (justification ou excuse). Par conséquent, l'obligation faite à l'accusé au par. 16(4) d'apporter la preuve prépondérante de son aliénation ne viole pas la présomption d'innocence.

À mon avis, cet argument n'est pas conforme aux principes que notre Cour a énoncés dans R. c. Whyte, [1988] 2 R.C.S. 3. Cet arrêt porte sur la constitutionnalité de l'al. 237(1)a) du Code qui établissait, à l'égard d'une infraction de conduite avec facultés affaiblies, une présomption de garde ou de contrôle d'une automobile sur preuve d'occupation de la place du conducteur. Le juge en chef Dickson affirme à la p. 18:

La préoccupation véritable n'est pas de savoir si l'accusé doit réfuter un élément ou démontrer une excuse, mais qu'un accusé peut être déclaré coupable alors que subsiste un doute raisonnable. Lorsque cette possibilité existe, il y a violation de la présomption d'innocence.

La qualification exacte d'un facteur comme élément essentiel, facteur accessoire, excuse ou moyen de défense ne devrait pas avoir d'effet sur l'analyse de la présomption d'innocence. C'est l'effet final d'une disposition sur le verdict qui est décisif. Si une disposition oblige un accusé à démontrer certains faits suivant la prépondérance des probabilités pour éviter d'être déclaré coupable, elle viole la présomption d'innocence parce qu'elle permet une déclaration de culpabilité malgré l'existence d'un doute raisonnable dans l'esprit du juge des faits quant à la culpabilité de l'accusé. Un procès en matière criminelle ne peut être divisé en étapes bien définies de sorte que le fardeau de la preuve incombe à l'accusé à une étape intermédiaire et le fardeau ultime au ministère public. L'alinéa 237(1)a) exige que l'accusé démontre une absence d'intention suivant la prépondérance des probabilités. Si un accusé ne le fait pas, la loi oblige le juge des faits à reconnaître que l'accusé avait la garde ou le contrôle et à le déclarer coupable. Mais évidemment, il n'en découle pas que le juge des faits est convaincu hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait la garde ou le contrôle du véhicule. [Je souligne.]

À mon avis, les principes posés dans l'arrêt Whyte sont applicables à la présente espèce et établissent que la présomption que toute personne est saine d'esprit prévue au par. 16(4) viole la présomption d'innocence. Si l'on juge que l'accusé était aliéné au moment de l'infraction, il ne sera pas déclaré coupable; le "fait" de l'aliénation empêche donc un verdict de culpabilité. Que l'allégation d'aliénation soit qualifiée de négation de la mens rea, de défense exculpatoire ou, plus généralement, d'exemption fondée sur l'incapacité pénale, il n'en reste pas moins que le fait d'être sain d'esprit est une condition essentielle à la culpabilité. Or, le par. 16(4) permet que l'existence d'un facteur essentiel de culpabilité soit présumée, au lieu d'être prouvée par le ministère public hors de tout doute raisonnable. Par surcroît, il oblige l'accusé à réfuter qu'il était sain d'esprit (ou à démontrer l'aliénation) selon la prépondérance des probabilités; il viole par conséquent la présomption d'innocence parce qu'il permet une déclaration de culpabilité malgré l'existence d'un doute raisonnable dans l'esprit du juge des faits quant à la culpabilité de l'accusé.

Avant de terminer sur ce point, examinons l'arrêt récent de notre Cour R. c. Schwartz, [1988] 2 R.C.S. 443. Dans cet arrêt, notre Cour a conclu que le par. 106.7(1) du Code, qui obligeait l'accusé à prouver qu'il était titulaire d'une autorisation d'acquisition d'armes à feu pour éviter une déclaration de culpabilité à l'égard de l'infraction de possession d'une arme à autorisation restreinte sans certificat d'enregistrement, n'enfreignait pas l'al. 11d) de la Charte. Le ministère public s'appuie sur les motifs majoritaires du juge McIntyre pour fonder son argument selon lequel le par. 16(4) ne viole pas la présomption d'innocence parce qu'il établit une exemption et non un moyen de défense.

À mon avis, les motifs du juge McIntyre dans l'arrêt Schwartz montrent que les principes que notre Cour a énoncés dans l'arrêt Whyte ne s'appliquaient pas dans cette affaire. Le résultat dans Schwartz découle en effet d'une conclusion, fondée sur les faits particuliers de l'espèce, à laquelle on ne pouvait parvenir dans l'arrêt Whyte; l'arrêt Schwartz n'infirme donc aucunement l'arrêt Whyte. Dans Schwartz, le juge McIntyre s'exprime ainsi, à la p. 485, après avoir résumé le fondement de l'arrêt Whyte:

J'estime cependant que ces principes ne sont d'aucun secours à l'appelant en l'espèce. Malgré les termes qu'il emploie, le par. 106.7(1) n'impose pas la charge de la preuve à l'accusé. Le titulaire d'un certificat d'enregistrement ne peut être déclaré coupable aux termes du par. 89(1). Il n'a pas à prouver l'existence ou l'inexistence d'un élément de l'infraction ni même quoi que ce soit qui a trait à cette infraction.

Il ressort de la suite de l'opinion du juge McIntyre que la conclusion selon laquelle le par. 106.7(1) ne porte pas inversion de la charge de la preuve reposait sur la constatation qu'en raison de la nature factuelle particulière de l'infraction, on ne pouvait pas affirmer que l'accusé, dans l'incapacité d'établir qu'il était titulaire d'un certificat d'enregistrement, était susceptible d'être déclaré coupable en application du par. 89(1) malgré l'existence d'un doute raisonnable sur cette question. En d'autres termes, la majorité était d'avis que la production ou la non production du certificat d'enregistrement était concluante quant à la question de savoir si l'accusé était titulaire d'un certificat d'enregistrement.

À l'inverse, dans l'arrêt Whyte, notre Cour a estimé que la preuve que l'accusé occupait la place du conducteur dans un véhicule à moteur n'était pas déterminante quant à savoir si l'accusé avait la garde et le contrôle du véhicule. Par suite de l'application de la présomption légale énoncée à l'al. 237(1)a) du Code, l'accusé pouvait donc être déclaré coupable malgré l'existence d'un doute raisonnable dans l'esprit du juge des faits quant à sa culpabilité. Aussi a‑t‑on jugé que l'al. 237(1)a) enfreignait la présomption d'innocence.

Par conséquent, les principes posés dans l'arrêt Whyte restent intacts et sont applicables en l'espèce, à moins que celle‑ci ne tombe dans le champ étroit de l'arrêt Schwartz. Or tel n'est pas le cas à mon avis. La présomption établie au par. 16(4) s'applique en effet différemment des présomptions légales en cause dans les arrêts Whyte et Schwartz. La présomption que chacun est sain d'esprit n'est pas une inférence tirée de l'existence ou de la preuve d'un fait sous‑jacent (comme l'incapacité de produire un certificat d'enregistrement pour une arme à autorisation restreinte, ou le fait d'être trouvé à la place du conducteur d'un véhicule moteur). La santé mentale est plutôt un facteur dont l'existence est postulée dès le départ (voir Charles, Cromwell et Jobson, Evidence and the Charter of Rights and Freedoms (1989), aux pp. 130 et 131). Ainsi, en édictant le par. 16(4), le législateur n'a désigné aucun "fait" qui, une fois établi, écarterait toute possibilité de doute raisonnable quant à l'absence d'aliénation (et par conséquent tout doute raisonnable quant à la culpabilité). Il a simplement inversé la charge de la preuve sur un facteur essentiel à la culpabilité. Si l'accusé ne peut s'acquitter du fardeau de persuasion quant à son aliénation, le juge des faits peut donc fort bien se voir obligé de déclarer l'accusé coupable malgré l'existence d'un doute raisonnable quant à la santé mentale et, partant, quant à la culpabilité.

Certaines parties ont fait valoir qu'une défense d'aliénation mentale accueillie en vertu de l'art. 16 n'entraîne pas la reconnaissance de l'"innocence" de l'accusé et sa libération, mais conduit plutôt à un verdict spécial suivi de la détention de l'accusé dans un établissement psychiatrique en vertu d'un mandat décerné par le lieutenant‑gouverneur en conformité avec le par. 614(2) (l'ancien par. 542(2)). Puisqu'une allégation sous le régime de l'art. 16 ne résulte pas en un "véritable acquittement", l'argument veut que la présomption d'innocence soit inapplicable.

Le procureur général du Nouveau‑Brunswick a fait valoir cet argument, de même que les procureurs généraux du Québec et de l'Alberta. Le procureur général de l'Alberta soutient qu'une constatation d'aliénation mentale en vertu de l'art. 16 n'équivaut pas à une décision quant à la culpabilité ou à l'innocence, mais plutôt à une réserve apportée au verdict de "non‑culpabilité". Il souligne que l'accusé déclaré aliéné passe du "stade punition" du Code au "stade traitement" et prétend que puisqu'un verdict de "non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale" n'est [TRADUCTION] "manifestement pas un acquittement complet au sens traditionnel", il importe que l'accusé démontre son aliénation afin que ce mode spécial de détention s'appuie sur une "constatation positive". Le procureur général de l'Alberta fait valoir que la charge de la preuve établie au par. 16(4) n'a pas pour effet de laisser subsister un doute raisonnable quant à l'"innocence". Il affirme que [TRADUCTION] "le par. 16(4) ne soulève pas la possibilité que l'accusé soit déclaré coupable malgré l'existence d'un doute raisonnable quant à la légalité de ses actes".

Soutenir cet argument semble revenir à prétendre que la détention en vertu d'un mandat du lieutenant‑gouverneur, consécutive à une déclaration de "non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale", est le résultat que recherche activement l'accusé se prévalant de l'art. 16. En d'autres termes, l'accusé qui demande à "bénéficier" d'une déclaration d'aliénation porte à juste titre le fardeau de prouver qu'il répond aux critères requis pour la détention spéciale. À mon avis, cet argument passe à côté de l'essentiel. En effet, l'accusé qui invoque l'art. 16 le fait pour éviter d'être déclaré coupable d'une infraction criminelle. Il nie, sur la base de sa condition mentale, qu'il y ait culpabilité criminelle et il ne "cherche" pas nécessairement à bénéficier d'une détention spéciale. La détention spéciale est une mesure que le droit criminel lui impose pour diverses raisons de principe. Il est incorrect de dire que l'accusé la choisit; ce qu'il cherche à faire, c'est de nier sa culpabilité criminelle avec comme résultat (hors de son contrôle) qu'il est soumis au régime du mandat du lieutenant‑gouverneur.

Le procureur général de l'Alberta affirme qu'une déclaration de "non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale" n'équivaut pas à une déclaration d'"innocence". À mon sens, l'accusé qui invoque l'aliénation mentale affirme qu'il est incapable d'intention criminelle et, partant, non criminellement coupable — et c'est pourquoi le verdict prononcé en conformité avec le par. 16 en est un de "non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale". L'accusé allègue qu'il est "innocent" eu égard à la responsabilité pénale; il allègue qu'il n'est pas criminellement responsable. Il se peut fort bien (comme le soutient le procureur général de l'Alberta) que, par le biais de l'art. 16, le droit criminel détermine quelle est la réponse appropriée dans les circonstances mais, en cela, il dit assurément que ce n'est pas dans la responsabilité pénale que réside cette réponse. Dans ce sens, l'accusé qui invoque l'art. 16 recherche, de fait, un "acquittement véritable" eu égard à la culpabilité criminelle et a droit, par conséquent, à la présomption d'innocence garantie par l'al. 11d) de la Charte.

Enfin, un certain nombre de parties ont soutenu que le par. 16(4) n'enfreint pas la Charte parce que la présomption de santé mentale est nécessaire à la protection de l'accusé lorsque c'est le ministère public qui soulève la question de l'aliénation mentale. Les appelants ont répliqué qu'un tel raisonnement postulait erronément que le fardeau de démontrer l'aliénation était nécessairement le même, peu importe qui invoque l'art. 16. En supposant, sans toutefois trancher la question, que le ministère public peut, selon la Constitution, soulever la question de l'aliénation, je suis d'accord avec l'appelant Chaulk pour dire qu'il n'y a aucune raison pour laquelle l'accusé et le ministère public devraient nécessairement porter le même fardeau de preuve. Or l'argument qu'avance le ministère public, conjointement avec d'autres intervenants, n'est valide qu'en autant qu'on accepte ce postulat.

En résumé, j'estime que la présomption de santé mentale énoncée au par. 16(4) du Code limite la présomption d'innocence garantie par l'al. 11d) de la Charte. J'en viens maintenant à la question de savoir si le par. 16(4) peut néanmoins être justifié en tant que limite raisonnable en vertu de l'article premier de la Charte.

Le paragraphe 16(4) constitue‑t‑il une limite raisonnable en vertu de l'article premier de la Charte?

Il ne fait aucun doute que la présomption d'innocence, garantie par l'al. 11d) de la Charte, est une garantie juridique fondamentale dont le rôle est primordial dans notre système de justice criminelle. On en parle comme du "fil d'or" du droit criminel anglais (Woolmington v. Director of Public Prosecution, [1935] A.C. 462 (C.L.), aux pp. 481 et 482). Toutefois, à l'instar des autres droits et libertés garantis par la Charte, il est assujetti à certaines restrictions permises en vertu de l'article premier de la Charte. Notre Cour a indiqué, dans l'arrêt Oakes, précité, les étapes à suivre lorsque l'État tente de justifier, en vertu de l'article premier, la limite imposée à un droit ou à une liberté:

1. L'objectif que vise la disposition attaquée doit être suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution; il doit se rapporter à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique, pour qu'on puisse le qualifier de suffisamment important.

2. En présumant qu'a été établi le caractère suffisamment important d'un objectif, les moyens choisis pour atteindre cet objectif doivent satisfaire au critère de la proportionnalité, en ce sens qu'ils doivent:

(a) avoir un "lien rationnel" avec l'objectif et ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondés sur des considérations irrationnelles;

(b) porter "le moins possible" atteinte au droit ou à la liberté en question; et

(c) être de telle nature que leurs effets sur la restriction des droits et libertés sont proportionnels à l'objectif.

L'objectif

Les parties ont avancé diverses suggestions quant à la façon de qualifier l'objectif poursuivi par le par. 16(4). Selon le procureur général du Nouveau‑Brunswick, la présomption établie au par. 16(4) vise à assurer que le blâme ou la responsabilité ne soient pas imputés à des individus inconscients ou incapables de juger la nature de leurs actes. Cette disposition fournit également le cadre grâce auquel les individus aliénés peuvent recevoir un traitement au lieu d'une punition. [TRADUCTION] "Les dispositions relatives à l'aliénation mentale servent également de bouclier protégeant l'individu du stigmate d'une condamnation criminelle". Le procureur général de l'Ontario avance un argument semblable, affirmant que la présomption joue un rôle essentiel en établissant une distinction entre les inculpés dont l'état d'esprit est blâmable et ceux dont l'état mental nécessite un traitement.

Avec égards pour les opinions contraires, je suis d'avis que ces qualifications de l'objectif poursuivi passent à côté de la question. Les facteurs qu'évoquent les parties sont en effet davantage reliés aux objectifs que vise le par. 16(1) qu'à ceux du par. 16(4). En édictant le par. 16(1), le législateur a décrété que nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction commise alors qu'il était aliéné; l'objectif de cette règle de droit est d'éviter de stigmatiser et de punir comme criminels les êtres "malades", par opposition aux êtres "mauvais". En édictant le par. 16(4), le législateur a par ailleurs décrété la règle selon laquelle tout accusé qui allègue qu'il était aliéné au moment de l'infraction doit démontrer son aliénation selon la prépondérance des probabilités. Le paragraphe 16(4) n'a pas été édicté pour promouvoir l'objectif que vise le par. 16(1); au contraire, la charge qu'impose le par. 16(4) pourrait vouloir dire qu'un certain nombre de "malades" seront à tort stigmatisés et punis comme "mauvais". Le paragraphe 16(4) fait donc en réalité obstacle à l'objectif qu'évoquent les procureurs généraux du Nouveau‑Brunswick et de l'Ontario.

Avant de qualifier l'objectif en cause, j'estime qu'il est nécessaire d'attirer l'attention sur ce qui, dans le par. 16(4), contrevient à l'al. 11d). Le paragraphe 16(4) pose un double problème. Premièrement, le fait que l'accusé est sain d'esprit (essentiel pour qu'il y ait culpabilité) y est présumé, ce qui va à l'encontre du principe fondamental (posé dans l'arrêt Oakes) selon lequel c'est à l'État qu'incombe le fardeau de prouver la culpabilité hors de tout doute raisonnable. Deuxièmement, la disposition oblige l'accusé à démontrer son aliénation suivant la prépondérance des probabilités afin de repousser la présomption qu'il est sain d'esprit. Cela donne lieu à une inversion de la charge de la preuve, de sorte que l'accusé pourrait être déclaré coupable d'une infraction criminelle malgré l'existence d'un doute raisonnable dans l'esprit du juge des faits quant à son aliénation.

Il importe par conséquent de s'attarder à la présomption et à l'inversion de la charge de la preuve, et de se poser la question suivante: quel objectif spécifique le législateur visait‑il en obligeant l'accusé qui se prévaut de l'art. 16 à apporter la preuve prépondérante de son aliénation? La seule réponse possible est qu'en faisant échec aux acquittements fondés sur l'existence d'un doute quant à l'aliénation, le législateur a voulu éviter d'imposer au ministère public la charge écrasante de prouver l'inexistence de l'aliénation, et assurer ainsi la condamnation des coupables (qui ne sont pas "malades"). Par analogie avec mes motifs (dissidents) dans l'arrêt Schwartz, précité, je dirai que le par. 16(4) n'est pas davantage "spécifique ou essentiel" à la législation en matière d'aliénation que ne l'est le par. 106.7(1) en matière d'armes. Le paragraphe 16(4) est une pure règle de preuve dont l'objectif est de dispenser la poursuite de l'énorme difficulté de prouver que l'accusé est sain d'esprit, de façon à ce qu'on puisse le trouver coupable.

La qualification attribuée ci‑dessus à l'objectif du par. 16(4) devient plus claire si l'on considère quelle serait la situation si notre connaissance du cerveau et de la maladie mentale faisait soudainement un bond prodigieux. Qu'arriverait‑il en effet si l'état de nos connaissances et de la technologie permettait à un médecin de procéder à un simple test pour déterminer avec certitude si la personne était aliénée au sens de l'art. 16 au moment de l'infraction? Si tel était le cas, le par. 16(4) ne serait pas justifié (et ne respecterait même pas le premier volet du critère de l'arrêt Oakes). Tout ce qui serait nécessaire serait une disposition obligeant l'accusé alléguant l'aliénation mentale à se soumettre à ce test. C'est au ministère public qu'incomberait alors entièrement le fardeau de prouver dans tous les cas l'inexistence de l'aliénation hors de tout doute raisonnable. Soulignons, toutefois, que les autres dispositions de l'art. 16 (ou d'autres dispositions très semblables) seraient encore nécessaires et souhaitables. L'objectif consistant à éviter de soumettre une personne à la stigmatisation et à la punition en vertu du droit criminel et à maintenir la distinction entre les "êtres mauvais" et les "malades" existerait toujours et continuerait d'être visé par le par. 16(1). Or, si l'objectif du par. 16(4) est tel que le disent les procureurs généraux du Nouveau‑Brunswick et de l'Ontario, cette disposition prévaudrait quel que soit l'état des connaissances de la société. Le fait qu'elle disparaîtrait s'il devenait raisonnablement possible pour le ministère public de repousser une défense d'aliénation mentale montre donc bien que l'objectif essentiel du par. 16(4) est de soulager le ministère public de la tâche quasi impossible de prouver l'inexistence de l'aliénation mentale dès que ce moyen de défense est invoqué.

Plusieurs des parties ont énuméré les difficultés auxquelles aurait à faire face le ministère public s'il devait faire la preuve que l'accusé était sain d'esprit. Le procureur général du Nouveau‑Brunswick affirme que, sans la collaboration de l'accusé, il serait virtuellement impossible pour la poursuite d'obtenir la preuve de la maladie mentale. Si le fardeau incombait au ministère public, rien ne permettrait d'assurer cette collaboration. Le procureur général du Manitoba a insisté sur l'impossibilité pratique qu'il y aurait à charger le ministère public de cette preuve. Le Code ne prévoit en effet aucune méthode pour forcer l'accusé à se soumettre à des examens psychiatriques, à moins que ne soit mise en question l'aptitude à subir un procès. Le procureur général du Canada a pour sa part exposé en détail la difficulté d'obtenir une opinion psychiatrique concluante quant à la condition mentale d'un accusé. Il affirme à cet égard que l'objectif du par. 16(4) est de [TRADUCTION] "répartir de manière pratique le fardeau de la preuve quant à la question de l'aliénation mentale". Une autre difficulté se pose en ce que le ministère public serait tenu de démontrer que l'accusé était sain d'esprit non pas au moment du procès, mais au moment de l'infraction. Du fait qu'il arrive souvent que ce n'est qu'un certain temps après la perpétration de l'infraction que le ministère public apprend que la question de l'aliénation sera soulevée, les difficultés évoquées ci‑dessus se trouvent multipliées.

L'objectif du par. 16(4) est, en conséquence, d'éviter d'imposer au ministère public un fardeau dont il ne pourrait s'acquitter et d'assurer ainsi la condamnation des coupables. À mon avis, cet objectif est suffisamment important pour justifier la restriction de droits protégés par la Constitution et le par. 16(4) satisfait donc au premier volet du critère de l'arrêt Oakes.

Critère de proportionnalité

1. Le lien rationnel

La question que l'on doit examiner à cette étape de l'analyse proposée dans l'arrêt Oakes est de savoir s'il existe un lien rationnel entre l'objectif, identifié ci‑dessus en vertu du premier volet du critère, et le moyen choisi pour atteindre cet objectif, savoir la disposition portant inversion de la charge de la preuve énoncée au par. 16(4).

À mon avis, plusieurs parties ont mal conçu leurs arguments quant à cette portion du critère de l'arrêt Oakes. Le ministère public a correctement formulé le critère du lien rationnel, mais comme il a attribué au par. 16(4) le mauvais objectif, il a, à mon avis, appliqué incorrectement le critère aux faits de la présente espèce. Le ministère public a bien exposé le critère du lien rationnel dans les termes suivants:

[TRADUCTION] À la différence des affaires Oakes et Whyte, précitées, il ne s'agit pas en l'espèce d'une présomption fondée sur un fait établi. La présomption que chacun est sain d'esprit s'applique sans preuve d'un fait connu, et jusqu'à preuve du contraire.

Compte tenu de cette distinction, le "lien rationnel" doit, en l'espèce, être établi directement entre l'objectif et les mesures employées.

Si l'on applique le critère du lien rationnel, tel que l'a formulé le ministère public, à l'objectif proposé ci‑dessus (savoir, éviter d'imposer au ministère public un fardeau quasi impossible), il en résulte que le par. 16(4) respecte ce critère. En effet, imposer à l'accusé qui se prévaut de l'art. 16 la charge de prouver son aliénation selon la prépondérance des probabilités favorise assurément l'objectif consistant à dégager le ministère public d'un fardeau dont il lui serait virtuellement impossible de s'acquitter. La présomption que toute personne est saine d'esprit et l'inversion de la charge de la preuve établie au par. 16(4) sont donc rationnellement liées à l'objectif poursuivi.

Par conséquent, il convient de passer à l'autre partie du volet de la proportionnalité au regard de l'arrêt Oakes: le par. 16(4) porte‑t‑il "le moins possible" atteinte à l'al. 11d)?

2. L'atteinte minimale

Les procureurs généraux du Nouveau‑Brunswick, de l'Ontario et du Québec soutiennent que le par. 16(4) porte le moins possible atteinte à la présomption d'innocence en ce que le fardeau de persuasion n'est imposé à l'accusé qu'après que le ministère public a prouvé, hors de tout doute raisonnable, tant l'actus reus que la mens rea. Ainsi, pendant que le ministère public s'acquitte de son fardeau initial, l'accusé bénéficie pleinement de l'al. 11d).

Comme je l'ai dit précédemment, il n'est pas nécessairement vrai que le fardeau incombant à l'accusé en vertu de l'art. 16 n'intervient qu'après que le ministère public a prouvé l'actus reus et la mens rea hors de tout doute raisonnable. S'il en est parfois ainsi, il arrive par contre souvent que la défense d'aliénation se traduise par une négation de l'actus reus ou de la mens rea. Par conséquent, cet argument ne me convainc pas que le par. 16(4) porte le moins possible atteinte à la présomption d'innocence.

Plusieurs autres arguments ont été avancés en vertu de ce volet du critère de proportionnalité (par exemple, que les cas d'inversion de la charge de la preuve ne sont pas très fréquents, que le fardeau imposé à l'accusé n'est "pas un lourd fardeau", etc.). Aucun de ces arguments n'emporte non plus mon adhésion. À mon avis, la question que l'on doit résoudre à ce stade de l'examen en vertu de l'article premier est de savoir si le législateur aurait pu raisonnablement choisir un autre moyen qui aurait permis d'atteindre de façon aussi efficace l'objectif identifié.

Il ressort de récents arrêts de notre Cour (R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; et Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123) que le législateur n'est pas tenu de rechercher et d'adopter le moyen le moins envahissant, dans l'absolu, en vue d'atteindre son objectif. De plus, lorsqu'on examine les solutions de rechange à la disposition du législateur, il importe de se demander si un moyen moins envahissant permettrait soit d'atteindre le "même" objectif, soit d'atteindre le même objectif de façon aussi efficace.

Les appelants font valoir que le par. 16(4) ne porte pas le moins possible atteinte à la présomption d'innocence en ce que l'objectif que vise la disposition pourrait être rempli d'une manière moins intrusive à l'égard des droits garantis par la Charte. Par exemple, le législateur aurait pu adopter une disposition obligeant simplement l'accusé qui invoque l'aliénation à s'acquitter d'un fardeau de présentation (c.‑à‑d. soulever un doute raisonnable), après quoi il y aurait déplacement de la charge de la preuve et le ministère public aurait alors à démontrer l'inexistence de l'aliénation (ou le fait que l'accusé était sain d'esprit) hors de tout doute raisonnable. Certaines parties ont réfuté cet argument en alléguant que l'imposition d'un fardeau de présentation à l'accusé ne suffirait pas à atteindre l'objectif. En d'autres termes, le par. 16(4) porte le moins possible atteinte aux droits garantis par l'al. 11d) parce qu'aucun autre moyen moins envahissant ne permettrait d'atteindre le "même" objectif ou encore d'y parvenir de manière aussi efficace.

Les procureurs généraux du Québec et de l'Ontario soutiennent tous deux qu'un fardeau de présentation serait inefficace parce qu'il est très facile pour un accusé de "simuler" l'aliénation et de soulever un doute raisonnable. Réduire le fardeau de l'accusé à un simple fardeau de présentation irait ainsi à l'encontre du but même de la présomption de santé mentale. Les appelants répliquent que seul l'accusé désireux d'être interné en vertu d'un mandat du lieutenant‑gouverneur sera susceptible d'invoquer l'aliénation. Étant donné la grave privation de liberté découlant de l'acceptation d'un plaidoyer d'aliénation mentale, il est peu probable que les inculpés se mettent à invoquer l'art. 16 de façon routinière.

Il est vrai que l'art. 16 est rarement invoqué, compte tenu de la restriction substantielle à la liberté consécutive au maintien du plaidoyer d'aliénation. J'en viens néanmoins à la conclusion que l'objectif que vise l'actuelle disposition correspond à des préoccupations "urgentes et réelles", vu le fardeau quasi impossible que se verrait imposer le ministère public si le par. 16(4) n'existait pas. S'il était plus facile pour l'accusé d'établir l'aliénation, ce moyen de défense serait utilisé avec succès plus fréquemment (même si, statistiquement, il est encore rarement invoqué). Ainsi, imposer un fardeau moindre à l'accusé n'aurait pas permis d'atteindre l'objectif que vise le par. 16(4).

Il est certes possible d'imaginer une combinaison de dispositions relatives à l'aliénation qui permettrait d'atteindre l'objectif identifié tout en portant atteinte à l'al. 11d) dans une mesure moindre que ne le fait la présente disposition. Par exemple, le législateur aurait pu édicter une disposition obligeant l'accusé qui invoque l'aliénation à soulever un doute raisonnable quant à sa santé mentale afin d'imposer au ministère public le fardeau de prouver l'inexistence de l'aliénation (ou de prouver que l'accusé était sain d'esprit) selon la prépondérance des probabilités. La disposition pourrait aussi prévoir que l'accusé souhaitant invoquer l'aliénation devra se soumettre à des examens psychiatriques à la demande du ministère public. Ces dispositions hypothétiques devraient également s'attaquer au problème que pose l'obtention de la preuve de l'aliénation au moment de l'infraction. La question de savoir si une telle combinaison de dispositions touchant l'aliénation mentale permettrait d'atteindre l'objectif identifié aussi efficacement que le fait le par. 16(4) appartient, bien sûr, au domaine de la spéculation. Il est en effet impossible de savoir quels seraient les effets d'une telle solution de rechange tant qu'elle n'aurait pas été mise en pratique.

Certaines parties ont soutenu que toute solution de rechange au par. 16(4) susceptible de remplir l'objectif identifié pourrait fort bien entraîner la violation d'autres droits garantis par la Charte. Par exemple, la Charte pourrait être invoquée par un individu détenu en vertu d'un mandat du lieutenant‑gouverneur, quand il n'y a qu'un doute raisonnable au sujet de son aliénation mentale. Certaines parties ont aussi suggéré que l'imposition au ministère public d'un fardeau plus lourd pourrait aboutir à des violations de l'art. 8 pendant le processus d'obtention de la preuve. En dépit de leur caractère nécessairement spéculatif, ces arguments font ressortir la difficulté qu'éprouverait le législateur à choisir parmi les mesures possibles en vue de satisfaire à son objectif "urgent et réel". Comme il est dit dans l'arrêt Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), précité, il n'appartient pas à notre Cour d'évaluer après coup la sagesse des choix politiques du législateur. En édictant le par. 16(4), celui‑ci n'a peut‑être pas choisi le moyen le moins envahissant entre tous pour parvenir à son objectif, mais il a choisi parmi une gamme de moyens de nature à porter aussi peu que possible atteinte à l'al. 11d). Parmi cette variété de moyens, il est pratiquement impossible de savoir, et encore moins de savoir avec certitude, lequel de ces moyens viole le moins les droits garantis par la Charte.

En résumé, j'arrive à la conclusion qu'en remplissant son objectif, le par. 16(4) porte le moins possible atteinte à l'al. 11d). Il convient donc d'appliquer la dernière partie du critère de proportionnalité: les effets préjudiciables qu'exerce le par. 16(4) sur la présomption d'innocence sont‑ils proportionnels à l'objectif poursuivi?

3. Proportionnalité entre les effets et l'objectif

La présomption que chacun est sain d'esprit et l'inversion de la charge de la preuve contenues au par. 16(4) ont pour raison d'être de dispenser le ministère public d'un fardeau dont il lui serait virtuellement impossible de se dégager. La charge que supporte l'accusé tenu d'apporter la preuve de son aliénation n'est pas la charge pénale complète, mais bien celle de la prépondérance des probabilités. S'il lui était possible de repousser la présomption simplement en suscitant un doute raisonnable quant à son aliénation, le but même de la présomption serait mis en échec et l'objectif ne serait pas atteint. Tout autre moyen de parvenir à cet objectif est par ailleurs susceptible de donner lieu à la violation d'autres droits garantis par la Charte.

Le paragraphe 16(4) représente un compromis entre trois intérêts sociétaux importants: éviter qu'incombe au ministère public un fardeau quasi impossible à supporter, condamner les coupables et acquitter ceux dont la capacité de former une intention criminelle est véritablement déficiente. Ce compromis a comme résultat que certains coupables seront acquittés et assujettis au régime des mandats du lieutenant‑gouverneur, alors que certains aliénés (donc des non‑coupables) seront déclarés coupables, stigmatisés et punis comme des criminels. Bien sûr, ce serait encore le cas si le fardeau imposé à l'accusé était allégé de façon à exiger qu'il soulève un doute raisonnable quant à l'aliénation mentale; certains accusés aliénés pourraient être incapables de même soulever un doute raisonnable sur l'aliénation mentale. C'est la conséquence inévitable de l'incertitude de nos connaissances scientifiques ainsi que de notre volonté (consacrée à l'al. 11d)) de ne pas déclarer coupables les personnes qui étaient aliénées au moment de l'infraction. Les solutions de rechange à ce compromis soulèvent leurs propres problèmes au regard de la Charte et ne présentent aucune garantie quant à l'atteinte de l'objectif. Comme je l'ai mentionné précédemment, la Charte n'exige pas que le Parlement, dans les efforts qu'il déploie pour atteindre des objectifs "urgents et réels", "lance les dés" dans l'espoir d'adopter la disposition législative qui, dans l'absolu, serait la moins envahissante possible.

Bien que le par. 16(4) ait clairement pour effet de porter atteinte à la présomption d'innocence, je suis d'avis, compte tenu de l'importance que revêt l'objectif de ne pas encombrer le ministère public d'un fardeau trop lourd et vu ma conclusion précédente selon laquelle le par. 16(4) porte aussi peu que possible atteinte à l'al. 11d), qu'il y a proportionnalité entre les effets de la mesure et l'objectif poursuivi.

En conséquence, le par. 16(4) constitue une limite raisonnable à la présomption d'innocence qui peut être maintenue en vertu de l'article premier de la Charte.

Ayant terminé l'examen des questions constitutionnelles, je m'attacherai maintenant aux autres questions litigieuses soulevées par les appelants.

La signification du mot "mauvais" employé au par. 16(2)

Les appelants soutiennent, d'une part, que le juge du procès a donné au jury des directives erronées quand il lui a dit que le mot "mauvais" utilisé au par. 16(2) voulait dire "prohibé par les lois du Canada" et, d'autre part, que la Cour d'appel a décidé erronément que le juge du procès n'avait pas commis d'erreur à cet égard. Selon leur argument, notre Cour doit donner au mot "mauvais" employé au par. 16(2) du Code le sens de "moralement répréhensible" ou "moralement mauvais" et non pas simplement d'"illégal". Le paragraphe 16(2) est ainsi conçu:

16. ...

(2) Pour l'application du présent article, une personne est aliénée lorsqu'elle est dans un état d'imbécillité naturelle ou atteinte de maladie mentale à un point qui la rend incapable de juger la nature et la qualité d'un acte ou d'une omission, ou de savoir qu'un acte ou une omission est mauvais.

Au procès, on a chargé le jury de se demander si les appelants n'étaient pas coupables en raison de leur aliénation mentale aux termes des deux volets du critère prévu au par. 16(2). Le jury a repoussé le plaidoyer d'aliénation mentale et les appelants ont été déclarés coupables de meurtre au premier degré. Notre Cour n'est pas appelée à statuer sur la question de la bonne interprétation et de l'application du premier volet du critère touchant l'aliénation mentale contenu au par. 16(2), savoir la question suivante: les appelants étaient‑ils capables de juger la nature et la qualité de l'acte commis? Toutefois, l'interprétation qu'il convient de donner au second volet du critère — les appelants étaient‑ils capables de savoir que leur acte était mauvais? — est directement visée par ce pourvoi.

Dans ses directives au jury, le juge Ferg a précisé clairement le sens qu'il y avait lieu de donner au mot "mauvais" employé au par. 16(2):

[TRADUCTION] Vient ensuite la seconde hypothèse: même si l'accusé était en mesure de juger la nature et la qualité de l'acte qu'il accomplissait, ce qu'il vous appartient de décider, je vous le répète, l'accusé est aussi aliéné s'il avait une maladie mentale qui le rendait incapable de savoir que son acte était mauvais. Par mauvais, j'entends que c'était une infraction criminelle ou un acte illégal.

Encore une fois, si vous êtes convaincus, selon la prépondérance des probabilités, que l'accusé était incapable, à cause d'une maladie mentale, de savoir que son acte était illégal, vous le déclarerez non coupable pour cause d'aliénation mentale.

Après avoir délibéré pendant quelque temps, le jury a posé au juge la question suivante:

[TRADUCTION] Au sujet de la connaissance des lois du Canada:

a) cela signifie‑t‑il simple connaissance des règles, telle que manifestée par la conscience des conséquences, par exemple, police et emprisonnement ou;

b) cela signifie‑t‑il conscience, au moment du meurtre, de l'applicabilité des lois du Canada à leur égard . . .

Le juge Ferg a répondu à cette question en répétant pour l'essentiel ce qu'il avait déjà dit. Il a résumé ses propos comme suit:

[TRADUCTION] C'est la seconde hypothèse, la seconde partie de l'alternative, qui se rapporte à la connaissance, à la capacité de savoir que son acte était mauvais. Dans cette hypothèse, même si l'accusé — d'après vous, c'est à vous qu'il revient de le décider — était en mesure de juger la nature et la qualité de ce qu'il faisait, et c'est à vous qu'il appartient d'en décider, je le répète, il était aliéné si, en raison d'une maladie mentale, il était incapable de savoir que son acte était mauvais et le mot mauvais veut dire qu'il savait que c'était une infraction criminelle ou que c'était illégal, c'est‑à‑dire contraire aux lois du Canada.

La Cour d'appel a estimé que le juge du procès n'avait pas commis d'erreur en donnant ses directives au jury. Selon elle, les appelants à l'évidence [TRADUCTION] "connaissaient et étaient bien à même de juger la nature et les conséquences de leurs actes et ils savaient que ce qu'ils faisaient était illégal".

Comme nous l'avons vu, les appelants soutiennent qu'il faut donner au mot "mauvais", aux fins du par. 16(2) du Code, le sens de "moralement" répréhensible et non pas d'"illégal". L'intimée n'a pas présenté d'argument sur cette question dans son mémoire, mais elle a affirmé à l'audience que, peu importe le sens qui sera donné au mot "mauvais" dans cette affaire, la différence entre moralement répréhensible et illégal, par rapport à un crime aussi grave que le meurtre, [TRADUCTION] "est tellement ténue qu'il ne vaut pas la peine à vrai dire de s'y arrêter". Elle a en outre soutenu dans sa plaidoirie que, comme le mot "mauvais" employé au par. 16(2) qui provient de l'arrêt charnière de la Chambre des lords M'Naghten's Case (1843), 10 Cl. & Fin. 200, 8 E.R. 718, avait non seulement une connotation morale, mais encore une connotation juridique, qu'il était impossible de dissocier. Ainsi la personne qui sait qu'un acte est illégal doit également savoir qu'il est moralement répréhensible.

Cette Cour s'est prononcée sur la signification du mot "mauvais", aux fins du par. 16(2), dans l'arrêt Schwartz c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 673. Exprimant le point de vue de la majorité, le juge Martland a décidé que la capacité de savoir qu'un acte est mauvais, dans ce contexte, s'entendait tout au plus de la capacité de savoir que l'acte accompli est une infraction réprimée par les lois du pays.

Les juges de la majorité ont étudié les principes énoncés dans l'arrêt M'Naghten et leur application par la Cour des appels criminels en Angleterre et par la Haute Cour d'Australie. Dans l'arrêt M'Naghten, le lord juge en chef Tindal dit (aux pp. 722 et 723):

[TRADUCTION] . . . pour faire valoir l'aliénation mentale comme moyen de défense, il faut prouver clairement qu'au moment où l'acte a été commis, l'accusé souffrait d'une imperfection de la raison, due à une maladie mentale telle qu'il ignorait la nature et la qualité de l'acte par lui commis, ou s'il les connaissait, telle qu'il ignorait que ce qu'il faisait était mauvais.

. . .

S'il fallait poser la question de la connaissance de l'accusé simplement et exclusivement en fonction de la loi du pays, cela pourrait jeter le jury dans la confusion en le portant à croire qu'une connaissance réelle de la loi du pays est indispensable pour entraîner une déclaration de culpabilité; alors que l'application de la loi repose sur le principe que chacun est présumé connaître la loi sans preuve de sa connaissance de fait. Si l'accusé avait conscience que l'acte était une chose qu'il ne devait pas accomplir, et si cet acte était en même temps contraire à la loi du pays, il est justiciable d'une peine; et la méthode employée a consisté à laisser le jury décider si l'accusé jouissait suffisamment de sa raison pour savoir qu'il commettait un acte mauvais; et nous croyons que cette méthode est juste si elle est accompagnée des observations et explications qu'exigent les circonstances de chaque cas. [Je souligne.]

Les juges formant la majorité ont ensuite examiné l'application des règles M'Naghten par la Cour des appels criminels dans R. v. Codere (1916), 12 Cr. App. R. 21 et R. v. Windle, [1952] 2 Q.B. 826. Dans l'arrêt Codere, le lord juge en chef Reading a dit (aux pp. 27‑28):

[TRADUCTION] On reconnaît maintenant que la question à se poser est de savoir si, conformément aux principes ordinaires adoptés par les gens raisonnables, l'acte est bon ou mauvais. Il peut être parfois difficile de trancher cette question, mais ce n'est pas le cas en l'espèce.

. . .

C'est là le critère reconnu et, si on l'applique en l'espèce, il ne peut subsister aucun doute; une fois établi que l'appelant savait que l'acte était mauvais en droit, il accomplissait un acte qu'il savait interdit, et, comme cet acte était contraire à la loi, il était punissable en droit; donc, si l'on présume qu'il connaissait la nature et la qualité de l'acte, il était coupable de meurtre et c'est à bon droit qu'il a été déclaré coupable.

La difficulté provient sans doute des mots "avait conscience que l'acte était une chose qu'il ne devait pas accomplir", mais, si l'on examine toutes les réponses données dans l'arrêt M'Naghten, il semble que si l'acte est punissable en droit, c'est un acte que l'accusé n'aurait pas dû accomplir, et c'est le sens dans lequel les mots en question sont employés dans cette affaire.

Dans l'arrêt Windle, le lord juge en chef Goddard dit clairement que le mot "mauvais" employé dans les règles M'Naghten signifie "légalement mauvais" (à la p. 833):

[TRADUCTION] Les tribunaux ne peuvent faire une distinction qu'entre ce qui est conforme à la loi et ce qui lui est contraire. [. . .] La loi ne peut pas se mettre à déterminer si un acte donné est moralement bon ou mauvais, et il serait regrettable qu'on confie ce soin au jury. Il s'agit donc de déterminer si l'acte est illégal.

Enfin, les juges de la majorité dans l'arrêt Schwartz ont étudié le jugement de la Haute Cour d'Australie dans l'affaire Stapleton v. The Queen (1952), 86 C.L.R. 358. Dans l'affaire Stapleton, la Haute Cour a refusé d'appliquer l'arrêt Windle. Elle a plutôt cité les directives que le juge en chef Dixon avait données à un jury en qualité de juge du procès et elle a décidé qu'il y avait lieu de tenir compte de la capacité de l'accusé de distinguer le bien du mal et qu'il ne fallait pas interpréter restrictivement le mot "mauvais" comme signifiant illégal (à la p. 367):

[TRADUCTION] La question est de savoir s'il était capable de se rendre compte que l'acte était mauvais au moment où il l'accomplissait. Peut‑on dire que cet homme savait, dans ce sens, que son acte était mauvais si, en raison d'une maladie, d'une déficience mentale ou de troubles mentaux, il ne pouvait concevoir de façon rationnelle les motifs qui, pour les gens ordinaires, rendent cet acte bon ou mauvais? Si, en raison de son état mental, il ne pouvait raisonner sur la question avec un certain degré de bon sens et de calme, on peut dire qu'il ne pouvait savoir que ce qu'il faisait était mauvais.

Dans Schwartz, la Cour à la majorité a rejeté l'application des règles M'Naghten dans l'arrêt Stapleton, préférant suivre l'arrêt Codere de la Cour des appels criminels. À son avis, l'effet du par. 16(2) est de mettre la défense d'aliénation mentale à la portée de l'accusé qui, en raison de sa maladie mentale, ne savait pas qu'il commettait un crime. Les juges de la majorité ne croyaient pas que le critère adopté par la Haute Cour d'Australie dans l'arrêt Stapleton différait du critère touchant l'acte "illégal", puisque, "selon les principes ordinaires des gens raisonnables, commettre un crime est "mauvais""(p. 701). Même s'il existait une différence entre ces critères, ils ne pouvaient pas accepter qu'un aliéné, qui a commis sciemment un crime, pourrait être acquitté s'il croyait que l'acte était acceptable selon les principes ordinaires des gens raisonnables, alors qu'une personne saine d'esprit ne pourrait être acquittée si elle croyait la même chose. Au surplus, les juges de la majorité ont rejeté le critère adopté dans l'arrêt Stapleton pour la raison qu'il demandait une accroche subjective, consistant à examiner la capacité de l'accusé de raisonner sur le caractère mauvais de l'acte (aux pp. 701 et 702):

[TRADUCTION] J'estime que le critère prévu au par. 16(2) n'est pas de savoir si l'accusé, en raison d'une maladie mentale, pouvait ou ne pouvait pas réfléchir calmement sur la question de savoir si le crime qu'il commettait était ou non moralement mauvais. On ne doit pas le considérer comme aliéné au sens du par. 16(2) s'il savait ce qu'il faisait et savait aussi qu'il commettait un acte criminel.

Dans l'arrêt Schwartz, le juge Dickson, alors juge puîné, a été dissident. Il a fait remarquer que le mot "mauvais" employé au par. 16(2) est ambigu et peut signifier soit "illégal", soit "moralement répréhensible". Il a également fait observer que la question avait donné naissance à deux courants de jurisprudence divergents en Angleterre, en Australie et au Canada.

Pour résoudre cette question, le juge Dickson a d'abord étudié l'économie du Code afin de déterminer le sens que le Parlement a voulu donner au mot. Par souci de cohérence, a‑t‑il affirmé, le Parlement aurait utilisé le terme "illégal" s'il avait voulu donner au mot "mauvais" le sens de "contraire à la loi". Par surcroît, dans la version française du par. 16(2), c'est le mot "mauvais" qui est employé; c'est donc que le Parlement a voulu donner à ce terme une acception plus large que celle de "illégal". Pour terminer, l'art. 13 disposait antérieurement que l'enfant de sept à treize ans ne devait pas être déclaré coupable d'infraction criminelle "à moins qu'il ne fût en état de comprendre la nature et les conséquences de sa conduite et de juger qu'il agissait mal"; il serait intolérable dans ce contexte d'assimiler la connaissance du caractère mauvais d'un acte et la connaissance de l'illégalité de l'acte.

Le juge Dickson a ensuite examiné la jurisprudence et la doctrine antérieures à l'arrêt M'Naghten et a conclu que le critère historique de la common law selon lequel est établie la responsabilité pénale des aliénés est celui de savoir si l'accusé était capable de distinguer le bien du mal. Il était d'avis que l'arrêt M'Naghten n'avait pas écarté cette norme. De fait, l'arrêt établit une distinction claire entre la connaissance de l'illégalité de l'acte et la connaissance de son caractère moralement répréhensible; cette distinction ressort du passage suivant de l'arrêt M'Naghten (à la p. 723):

[TRADUCTION] Si l'accusé avait conscience que l'acte était une chose qu'il ne devait pas accomplir, et si cet acte était en même temps contraire à la loi du pays, il est justiciable d'une peine;

Cet extrait indique nettement qu'un accusé ne sera déclaré coupable que s'il commet un acte qu'il sait qu'il ne doit pas accomplir et qui est en même temps contraire à la loi. Ayant ainsi interprété l'arrêt M'Naghten et la common law antérieure, le juge Dickson a conclu que la décision rendue dans Windle était erronée et qu'il fallait restreindre le jugement dans l'affaire Codere aux faits de cette affaire. Il a plutôt retenu le raisonnement de l'arrêt Stapleton.

S'attachant aux principes, le juge Dickson a conclu qu'il ressortait de l'ensemble du par. 16(2) que le mot "mauvais" signifiait contraire aux principes moraux ordinairement acceptés par les gens raisonnables. L'objet du par. 16(2) est de protéger les personnes qui n'ont pas la capacité de juger si un acte est mauvais; on ne doit pas cesser de s'interroger sur la capacité de l'accusé de raisonner simplement parce que l'on a établi qu'il savait que l'acte était un crime. Il a affirmé que ce critère ne protégerait pas les personnes amorales car l'incapacité doit résulter d'une maladie mentale (aux pp. 689 et 690):

Le paragraphe (2) de l'art. 16 doit être traité comme un tout. L'élément important, c'est la capacité de l'accusé de raisonner et d'arriver à des décisions rationnelles sur la question de savoir si l'acte est moralement mauvais. Si le mot mauvais veut dire simplement "illégal", on n'aurait à toute fin pratique pas à s'interroger sur la capacité. La question que doit se poser le jury est celle de savoir si la maladie mentale de l'accusé entravait son processus mental au point de le rendre incapable de savoir que ses actes étaient moralement mauvais. Certains prétendent qu'un critère fondé sur la notion de moralité favorise le criminel amoral et que se trouvent ainsi privilégiés ceux qui se sont débarrassés de tout scrupule. Cet argument ne tient pas compte du facteur que constitue la maladie mentale. Si, par suite d'une maladie mentale, le criminel est totalement incapable de discernement moral et agit sous l'empire du délire, on peut dire avec raison qu'il n'est pas criminellement responsable.

À son avis, donner au mot "mauvais" le sens de "moralement répréhensible" n'aurait pas pour effet de permettre à un nombre beaucoup plus grand d'accusés d'invoquer la défense d'aliénation mentale. Premièrement, l'interdiction légale et les normes morales de la société divergent rarement. Deuxièmement, "[u]n acte n'est pas "moralement mauvais" parce que le contrevenant le juge tel d'après ses critères personnels, mais parce qu'il sait que la société le considère mauvais" (p. 678). Il a conclu qu'il n'est pas, par voie de conséquence, loisible à l'accusé, par suite de cette interprétation, de substituer son propre jugement à celui de la société, mais il doit être acquitté si, en raison d'une maladie mentale, il est incapable de se rendre compte que la société considère qu'en règle générale, un acte donné est immoral.

Je me trouve malheureusement dans l'obligation d'affirmer que notre Cour a commis une erreur en rendant l'arrêt Schwartz et qu'il convient de préférer l'opinion dissidente du juge Dickson (à laquelle ont souscrit le juge en chef Laskin, et les juges Spence et Beetz). À mon sens, les juges formant la majorité n'ont pas tenu compte de la manière dont l'aliénation mentale rend nos principes ordinaires de la responsabilité pénale inapplicables à un individu et aux objectifs particuliers de l'art. 16 du Code.

Je ne mets pas en doute le principe que notre Cour ne doit pas renverser à la légère ses arrêts antérieurs. À cet égard, je reprends les propos du juge en chef Dickson, auxquels j'ai souscrit, dans l'arrêt R. c. Bernard, [1988] 2 R.C.S. 833, à la p. 849 (le juge en chef Dickson était dissident, quoique les juges qui n'ont pas souscrit à ses conclusions n'aient pas été en désaccord avec lui sur ce point):

Je souligne immédiatement que, même si une affaire a été décidée de façon erronée, le principe de la certitude en droit demeure une considération importante. Il doit en effet y avoir des circonstances impérieuses pour justifier qu'on s'écarte d'un précédent. D'un autre côté, il est évident que cette Cour peut renverser ses propres arrêts, pouvoir discrétionnaire qu'elle a d'ailleurs exercé à plusieurs reprises.

À mon avis, il est opportun en l'espèce de renverser l'arrêt Schwartz rendu à la majorité quant au sens du mot "mauvais" au par. 16(2). Dans l'arrêt Bernard, le juge en chef Dickson a énuméré quatre facteurs qui justifient la décision de notre Cour de renverser un arrêt antérieur. Ils n'étaient pas censés représenter une liste exhaustive et il n'était pas nécessaire que tous les facteurs soient présents dans une affaire donnée pour que soit justifiée la décision de renverser un jugement antérieur. Ils ne constituent que des principes directeurs qui doivent guider notre Cour dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Le quatrième facteur qu'a examiné le juge en chef Dickson et qui se rapporte directement à l'espèce est que l'arrêt antérieur, dans le contexte du droit pénal, joue contre l'accusé en élargissant la portée de la responsabilité pénale au‑delà des limites acceptables. Le juge en chef Dickson dit (aux pp. 860 et 861):

Le respect du principe de la certitude et les restrictions institutionnelles imposées aux tribunaux en ce qui concerne l'élaboration du droit prétorien devraient inciter la Cour à refuser de renverser un arrêt antérieur quand cela aurait pour effet d'élargir la responsabilité criminelle. Il n'appartient pas aux tribunaux de créer de nouvelles infractions ni de donner plus d'extension à la responsabilité, d'autant plus que les changements apportés au droit par des décisions judiciaires ont un effet rétroactif. Le même argument ne peut toutefois pas être invoqué lorsque le fait de renverser un arrêt antérieur a pour conséquence la création d'une règle favorable à l'accusé.

À mon avis, l'arrêt Schwartz a eu pour effet d'élargir d'une manière inacceptable la portée de la responsabilité pénale, en l'étendant aux personnes qui, en raison d'une maladie mentale, étaient incapables de savoir qu'un acte était mauvais selon les principes ordinaires de la société, bien qu'elles se soient rendu compte que l'acte constituait formellement un crime. Il est maintenant nécessaire que notre Cour réexamine la décision qu'elle a rendue dans Schwartz afin de redéfinir le champ de la responsabilité pénale de façon à le rendre conforme aux principes fondamentaux de notre droit pénal.

Comme je l'ai exposé précédemment sous la rubrique "Nature des dispositions relatives à l'aliénation", au Canada, la défense d'aliénation mentale a pour fondement la conviction que les aliénés devraient être soustraits à l'application des règles habituelles de la responsabilité pénale et, par le fait même, aux peines et à la stigmatisation qu'elles comportent. Cette conviction découle du principe que c'est parce que l'individu sait distinguer le bien du mal qu'on lui impute la responsabilité pénale.

Le paragraphe 16(2) du Code traduit cette conception de la responsabilité pénale car il porte que nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction si, au moment où il a accompli l'acte en question, il était dans un état d'"imbécillité naturelle" ou atteint de maladie mentale à un point qui le rend incapable de "savoir qu'un acte ou une omission est mauvais". La principale question en litige sous ce rapport est la capacité de l'accusé de savoir qu'un acte ou une omission donné est mauvais. Se demander simplement quel est le sens du mot "mauvais", pour l'application du par. 16(2), c'est restreindre indûment la portée de la question. Pour reprendre la formule de la Chambre des lords dans l'arrêt M'Naghten, les tribunaux doivent décider dans chaque cas si l'accusé était incapable, en raison d'un désordre mental, de savoir que l'acte commis était une chose qu'il ne devait pas accomplir.

Dans cette optique, il me paraît clair que le mot "mauvais" employé au par. 16(2) signifie nécessairement autre chose qu'"illégal". Quand il s'agit de statuer sur la capacité d'une personne de savoir si l'acte qu'elle accomplit est une chose qu'elle ne doit pas accomplir, il ne suffit pas de se demander si l'accusé savait que l'acte était contraire au droit positif. Une personne peut très bien se rendre compte qu'un acte est contraire à la loi, mais être en même temps incapable, en raison de son état d'"imbécillité naturelle" ou de maladie mentale, de savoir que l'acte est moralement répréhensible dans les circonstances, selon les normes morales de la société. Ce serait notamment le cas si la personne atteinte de maladie mentale, tout en sachant qu'il est illégal de tuer, mais, dans la situation décrite par le juge Dickson dans Schwartz, tuait "en croyant agir en conformité d'une ordonnance divine et donc sans encourir de responsabilité morale" (p. 678).

Il se peut que, dans un cas d'application du par. 16(2), la preuve révèle que l'accusé qui invoque la défense d'aliénation mentale était capable de savoir qu'il ne devait pas accomplir l'acte parce qu'il savait, premièrement, que l'acte était contraire au droit positif ou, deuxièmement, que l'acte transgressait la norme de conduite morale que la société impose aux individus. À cet égard, sauf quant à la restriction analysée ci‑après, j'approuve l'interprétation que le professeur Alan Mewett donne au par. 16(2) dans "Section 16 and "Wrong"" (1976), 18 Crim. L.Q. 413, aux pp. 415 et 416:

[TRADUCTION] La question qu'il faut se poser, à notre avis, est de savoir si l'accusé, en raison d'une maladie mentale (première condition), était incapable (deuxième condition) de savoir que son acte était une chose qu'il ne devait pas accomplir (troisième condition). S'il était capable de savoir que l'acte était contraire à la loi et qu'il ne devait pas faire une chose contraire à la loi, alors le moyen de défense ne devrait pas être retenu. S'il était incapable de savoir que l'acte était contraire à la loi, mais capable de savoir que l'acte était condamné par les gens en général, alors le moyen de défense encore là ne devrait pas être admis. Mais s'il était incapable de savoir que l'acte était contraire à la loi et incapable de savoir que c'était un acte réprouvé par la morale publique, alors le moyen de défense devrait être admis. Reste seulement le cas où il serait capable de savoir que l'acte est contraire à la loi, mais incapable de savoir à la fois que la morale publique réprouve les actes contraires à la loi et que cet acte en particulier est condamné par les gens de façon générale. J'estime que cet accusé (qui doit constituer une rare exception) serait précisément celui qui doit être acquitté pour cause d'aliénation mentale.

J'apporterais une restriction aux observations du professeur Mewett. La défense d'aliénation mentale ne doit pas être exclue pour la seule raison que l'accusé sait qu'un acte en particulier est contraire à la loi et qu'il sait que, normalement, il ne doit pas commettre d'acte qui constitue un crime. Il se peut qu'une personne se rende compte qu'il est mal d'ordinaire de commettre un crime mais qu'en raison d'une maladie mentale, elle croie qu'il serait "juste", selon la morale publique, de le perpétrer dans un contexte donné. En pareil cas, l'accusé aurait le droit d'être acquitté pour cause d'aliénation mentale.

Comme je l'ai souligné précédemment, le critère d'application du par. 16(2) implique une analyse de la capacité de l'accusé de raisonner et de comprendre la notion du "bien" et du "mal", notion dont la mise en pratique exige de chacun la capacité de discernement moral. On ne peut pas affirmer qu'un accusé est dépourvu de discernement moral simplement parce qu'il n'a pas la faculté de se souvenir, par exemple, la faculté de savoir qu'un acte donné est un crime au sens formel. Dans son ouvrage Principles of Criminal Law, op. cit., le professeur Colvin fait observer ce qui suit, aux pp. 253 et 255:

[TRADUCTION] La capacité de connaître la loi au sens formel suppose tout au plus, en règle générale, la capacité d'absorber et d'assimiler des connaissances normatives. [. . .] Pour la majeure partie, la connaissance formelle de la loi ne fait pas intervenir la capacité d'analyser et d'apprécier un éventail d'éléments qui peuvent être porteurs de messages divergents et contradictoires.

. . .

La faculté de discernement englobe certainement la capacité de comprendre ce que les autres penseront de la violation d'une règle et quelle sera leur réaction. Si une personne psychotique tue, sachant que son acte est un crime, mais avec l'idée délirante que chacun l'en félicitera et qu'elle sera soustraite à l'application de la loi, dans ce cas sa faculté de discernement est tellement diminuée qu'il ne convient pas de lui imputer la responsabilité pénale. On peut affirmer qu'elle est incapable de savoir que l'acte est moralement répréhensible. On peut également soutenir qu'elle est incapable de savoir que l'acte est illégal dans ce contexte. Le choix du terme est sans conséquence. Le point crucial est que, bien qu'elle soit capable de savoir que son acte est mauvais au sens formel, elle est incapable de savoir qu'il est mauvais dans ce contexte.

Jacques Fortin et Louise Viau exposent un principe comparable dans leur Traité de droit pénal général (1982), à la p. 184:

En effet, la responsabilité pénale est fondée historiquement et culturellement sur la notion de blâme moral, d'une part, et sur la règle que l'ignorance de la loi ne constitue pas une excuse, d'autre part.

Il nous apparaît incorrect de déterminer la capacité à l'aide d'une règle qui, par définition, ne s'applique qu'aux gens sains d'esprit. En effet, la capacité est une dimension purement subjective et personnelle du sujet, alors que la règle qui exclut l'ignorance de la loi a un caractère purement utilitaire qui permet de retenir la culpabilité d'un accusé dans le cas où ce dernier commet une infraction dans l'ignorance de la prohibition légale.

Voir aussi Don Stuart, Canadian Criminal Law (2e éd. 1987), aux pp. 340 et 341, et Anne‑Marie Boisvert, "Psychanalyse d'une défense: Réflexions sur l'aliénation mentale" (1990), 69 R. du B. can. 46, aux pp. 61 et 62.

L'interprétation du par. 16(2) qui fait bénéficier de cette défense l'accusé qui a sciemment commis un crime, mais qui était incapable de comprendre que l'acte était moralement répréhensible, ne profitera pas à tous les criminels amoraux ou complètement dénués de scrupules. Premièrement, l'incapacité de discernement moral doit être causée par une maladie mentale; si la preuve d'un grave désordre mental n'est pas faite, la culpabilité ne peut pas être écartée. Deuxièmement, comme l'a souligné le juge Dickson dans l'arrêt Schwartz, précité, "un acte n'est pas "moralement mauvais" parce que le contrevenant le juge tel d'après ses critères personnels, mais parce qu'il sait que la société le considère mauvais" (p. 678). L'accusé n'y gagnera pas à substituer son propre code moral à celui de la société. Au lieu de cela, il ne bénéficiera de la protection du par. 16(2) que s'il est incapable de comprendre que l'acte est mauvais selon les normes morales adoptées par les gens raisonnables.

En l'espèce, le juge du procès a informé le jury que les appelants ne pouvaient pas invoquer la défense d'aliénation mentale conformément au second volet du critère énoncé au par. 16(2) s'il arrivait à la conclusion que les appelants savaient, au moment où ils ont commis l'infraction, que l'acte était contraire aux lois du Canada. Naturellement, on ne saurait lui reprocher d'avoir suivi notre arrêt Schwartz. Néanmoins, pour les motifs que j'ai exposés, notre interprétation du par. 16(2) dans l'arrêt Schwartz était erronée. Par conséquent, je suis d'avis d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.

Paragraphe 16(3): idées délirantes sur un point particulier

Les appelants prétendent que le par. 16(3) du Code permet à l'accusé de faire valoir une défense indépendante du par. 16(2) et qu'ils auraient droit à l'acquittement conformément au par. 16(3) même s'ils ne remplissaient pas les conditions énoncées au par. 16(2). Le paragraphe 16(3) est ainsi libellé:

16. ...

(3) Une personne qui a des idées délirantes sur un point particulier, mais qui est saine d'esprit à d'autres égards, ne peut être acquittée pour le motif d'aliénation mentale, à moins que ses idées délirantes ne lui aient fait croire à l'existence d'un état de choses qui, s'il eût existé, aurait justifié ou excusé son acte ou omission.

Plus exactement, ils soutiennent qu'il faut interpréter le par. 16(3) de la manière suivante:

[TRADUCTION]

(1)Il faut donner son sens usuel à l'expression "idée délirante sur un point particulier", soit celui de "croyance précise, fixe, inébranlable".

(2)Il faut donner aux mots "saine d'esprit à d'autres égards" le sens de "n'est pas visée par le par. 16(2)".

(3)Il faut interpréter les derniers mots du par. 16(3) de façon à accorder à l'accusé le droit de faire valoir les moyens de défense de common law s'il croyait à l'existence d'un état de choses qui, en common law, lui aurait permis de les invoquer.

Les appelants soutiennent que le juge du procès aurait dû, dans ses directives au jury, lui demander clairement de prendre en considération et d'appliquer le par. 16(3) conformément à cette interprétation. Selon leur argument, ils avaient des idées délirantes telles que, même si le par. 16(2) ne s'appliquait pas à eux, ils auraient dû être acquittés en vertu du par. 16(3), car ils croyaient à l'existence d'un état de choses qui, s'il eût existé, aurait justifié ou excusé leurs actions. À leur avis, bien que le juge du procès n'ait pas exclu l'application du par. 16(3), il n'a pas bien spécifié que, suivant l'interprétation donnée à cette disposition par les appelants, celle‑ci pouvait aussi être invoquée à titre de défense subsidiaire si les conditions du par. 16(2) n'étaient pas réunies.

L'interprétation et l'application du par. 16(3), depuis son insertion dans le Code criminel en 1892, ont posé des difficultés dont le nombre n'est pas négligeable. Les tribunaux ont été saisis de diverses questions: le par. 16(3) fournit‑il un moyen de défense d'aliénation mentale séparé et indépendant pour les personnes qui ont des idées délirantes sur un point particulier? Apporte‑t‑il simplement une restriction à l'application du par. 16(2) en imposant un critère plus rigoureux à l'égard de ces personnes? Confirme‑t‑il simplement le droit de ces personnes de faire valoir le moyen de défense prévu au par. 16(2)? Le professeur Dennis Klinck examine les diverses interprétations plausibles du par. 16(3) dans ""Specific Delusions" in the Insanity Defence" (1983), 25 Crim. L.Q. 458, aux pp. 464 à 467.

Bon nombre des problèmes suscités par l'interprétation du par. 16(3) résultent de la signification incertaine des termes utilisés. Comme nombre d'auteurs l'ont signalé à juste titre, l'obstacle préliminaire à surmonter réside dans la définition de l'idée délirante qui ne rend pas une personne purement aliénée. Ce n'est pas une mince tâche, car on ne sait pas avec certitude à quel moment une idée délirante sur un point particulier se généralise ou à quel moment une personne ordinairement saine d'esprit devient aliénée. En outre, on peut se demander si les mots "saine d'esprit à d'autres égards" se rapportent au critère prévu au par. 16(2) ou s'ils concernent des notions de santé autres que juridiques. Une dernière incertitude subsiste à propos de la question de savoir si le par. 16(3) vise les justifications et excuses proprement dites, que la common law permet à l'accusé d'opposer à une accusation, ou les justifications et les excuses en général, au sens usuel.

Ces questions ont amené nombre de commentateurs à mettre en doute l'importance pratique du par. 16(3). Le Rapport de la Commission royale chargée d'étudier la défense d'aliénation mentale en matière criminelle (rapport McRuer) (1956), cité par le professeur Stuart dans son ouvrage intitulé Canadian Criminal Law, op. cit. à la p. 342, recommande que la disposition soit abrogée parce qu'elle est redondante:

La majeure partie des témoignages de médecin condamnaient la rédaction de ce paragraphe pour le motif qu'il décrit une personne qui ne pourrait exister. Ces témoins étaient d'avis que personne ne peut souffrir d'"hallucinations spécifiques" tout en "étant par ailleurs sain d'esprit".

De même, la Commission de réforme du droit du Canada a proposé que la règle soit supprimée dans Document de travail 29, (confirmé par Rapport 31, Pour une nouvelle codification du droit pénal (1987)) à la p. 52:

[Le paragraphe 16(3)] a fait l'objet de nombreuses critiques et, de fait, a rarement été appliqué. D'une part, les autorités médicales rejettent l'idée de l'aliénation mentale partielle, et d'autre part, les juristes insistent sur le fait qu'il est injuste et illogique d'appliquer une règle qui suppose des réactions normales chez celui qui est mentalement anormal. Par exemple, le paranoïaque qui tue son persécuteur ne pourra être acquitté que si, eu égard à la persécution imaginée, ce meurtre constitue de la légitime défense; autrement dit, la loi exige de lui qu'il soit conséquent dans sa folie.

Mewett et Manning partagent ce point de vue (Criminal Law (2e éd. 1985) aux pp. 255 et 256).

La jurisprudence relative au par. 16(3) est peu abondante. Dans R. v. Budic (No. 3) (1978), 43 C.C.C. (2d) 419, la Cour d'appel de l'Alberta a décidé que le par. 16(3) ne pouvait pas priver l'accusé du bénéfice de la défense d'aliénation mentale si les conditions du par. 16(2) étaient réunies. Autrement dit, l'accusé qui a des idées délirantes sur un point particulier, s'il remplit les conditions énoncées au par. 16(2) à l'égard du moyen de défense, ne peut pas être privé du droit de s'en prévaloir à cause de la condition apparemment plus restrictive que comporte le par. 16(3). De même, notre Cour a confirmé dans l'arrêt Abbey, précité, que le par. 16(3) ne complète ni ne restreint le moyen de défense général prévu au par. 16(2). Le juge Dickson dit, à la p. 37:

Je suis d'accord avec le substitut du procureur général qui a soutenu que le par. 16(3) du Code ne peut être d'aucun secours à Abbey, puisque son hallucination ne pouvait en aucune manière "justifier" ou "excuser" ses actes. Quoi qu'il en soit, tout moyen de défense qui peut être invoqué en vertu du par. (3), peut l'être également en vertu du par. (2). Voir le Rapport McRuer [référence omise], à la p. 36. [Je souligne.]

À mon avis, il n'est pas nécessaire que notre Cour cherche à accomplir la tâche difficile, voire peut‑être impossible, d'élucider le par. 16(3) ou de pénétrer l'intention qu'avait le Parlement en adoptant la disposition. Étant donné le réexamen que notre Cour a fait de la signification du mot "mauvais" employé au par. 16(2), il n'y a aucun doute qu'une défense d'aliénation mentale qui réussirait en vertu du par. 16(3) réussirait également en vertu du par. 16(2). Au surplus, si l'accusé ne remplit pas les conditions énoncées au par. 16(2), il ne peut pas non plus tirer profit du par. 16(3). Le paragraphe 16(3) ne serait donc d'aucun secours pour l'accusé s'il était tenu en réalité pour un moyen de défense séparé et indépendant.

L'accusé pourra invoquer la défense d'aliénation mentale en vertu du par. 16(2) s'il peut établir qu'il était incapable de savoir que l'acte en cause était moralement répréhensible dans les circonstances. À l'inverse, s'il est prouvé qu'il était capable de savoir ou qu'il savait de fait que l'acte était moralement répréhensible dans ces circonstances, il ne pourra pas se prévaloir du moyen de défense. Un moyen de défense indépendant en vertu du par. 16(3) ne serait valable que si l'accusé avait une idée délirante sur un fait particulier qui, s'il eût été réel, aurait justifié son acte, même s'il savait ou était capable de savoir que cet acte était mauvais dans ces circonstances.

À mon avis, pareille hypothèse serait absurde du point de vue logique. Prenons l'exemple suivant. Une personne a l'idée délirante qu'une autre personne tente de la tuer et qu'elle mourra à moins de tuer elle‑même son agresseur apparent. Elle donne suite à son idée délirante et tue la personne. On ne peut nier que sa conduite est excusée ou justifiée dans les limites de son idée délirante, car il était nécessaire qu'elle tue pour rester en vie. Par voie de conséquence, on ne peut affirmer qu'elle savait ou était capable de savoir que l'acte était moralement répréhensible dans les circonstances. Certes, elle a bien pu savoir que son acte constituait un meurtre et que le meurtre, en règle générale, est réprouvé par la morale, mais son idée délirante l'a empêchée d'être à même de savoir que le meurtre commis dans ces circonstances était un acte blâmable. En effet, l'idée délirante l'a portée à croire que, si le meurtre est normalement contraire à la morale publique, il était en revanche conforme à la morale dans son cas.

L'on peut suivre le raisonnement inverse. Si, en raison de son idée délirante sur un point particulier, la personne ne savait pas ou était incapable de savoir qu'il était mal de perpétrer l'infraction dans les circonstances, il faut reconnaître que l'acte aurait été excusé ou justifié, si l'idée délirante avait été conforme à la réalité. Si la personne ne sait pas qu'un acte est moralement répréhensible dans une situation donnée, cet acte est justifié.

De la même façon, le professeur Klinck, loc. cit., pose la question suivante en faisant l'analyse du par. 16(3), à la p. 469:

[TRADUCTION] D'autre part, dire qu'une personne est capable de savoir qu'un acte est mauvais, mais qu'elle avait tout de même une idée délirante sur l'existence d'un état de choses qui, s'il eût existé, aurait excusé ou justifié son acte, c'est soulever de nouvelles questions. Reprenons l'exemple ci‑dessus: A frappe B, sachant ce qu'il fait et sachant que son agression est illégale, ou qu'il est mal de blesser autrui. Lui serait‑il interdit de se prévaloir du par. (2) si, sachant ces choses, il a eu une idée délirante qui lui a fait croire qu'il agissait en légitime défense? Ne pourrait‑on pas dire que son idée délirante l'a amené à percevoir des circonstances qui rendraient son acte ni mauvais ni illégal? Ou devrait‑il recourir au par. (3), qui semble permettre à une personne d'accomplir un acte "mauvais" si son idée délirante lui fournit une excuse ou une justification?

La réponse à cette question est hors de doute. L'accusé pourra se prévaloir du second volet du critère énoncé au par. 16(2) s'il prouve qu'il était incapable de savoir que sa conduite était moralement répréhensible dans les circonstances, par exemple, s'il croyait que l'acte était nécessaire pour protéger sa vie. S'il ne peut pas établir ce fait, il faut conclure qu'il savait ou qu'il était capable de savoir que l'acte était mauvais dans ces circonstances. Il ne peut donc pas obtenir l'acquittement en prétendant que l'acte aurait été justifié ou excusé si les faits perçus avaient été conformes à la réalité.

Je conclus donc que le juge du procès n'a pas commis d'erreur en rendant son ordonnance, excepté dans la mesure où il dit estimer que les appelants auraient pu être acquittés conformément au par. 16(3) s'ils ne remplissaient pas les conditions énoncées au par. 16(2). Encore une fois, on ne saurait le lui reprocher, étant donné le caractère hautement incertain du droit relativement à l'effet du par. 16(3).

La règle interdisant de scinder la preuve

L'appelant Morrissette soutient que le juge du procès a commis une erreur quand il a permis au ministère public de scinder sa preuve, en présentant en réplique une contre‑preuve touchant l'aliénation mentale.

L'appelant affirme que la défense d'aliénation mentale est devenue la principale question en litige dès le début, peu après que les appelants eurent retenu les services de leur avocat. Par conséquent, le ministère public a su longtemps avant le procès que la défense d'aliénation mentale serait invoquée et il a pu ainsi obtenir l'opinion de plusieurs psychiatres avant la tenue du procès. Les appelants soutiennent que le ministère public aurait dû présenter ces témoignages au moment de la présentation de sa preuve principale. L'appelant Morrissette déclare ce qui suit, au paragraphe 158 de son mémoire:

[TRADUCTION] En l'espèce, la défense était bien connue et le ministère public a de toute évidence décidé d'essayer de diviser sa preuve. Nous affirmons que l'accusé a été victime d'une injustice par suite de cette action, car il a ainsi été privé de la possibilité d'entendre toute la preuve de l'accusation avant de présenter sa défense. [Je souligne.]

L'appelant Morrissette soutient en outre qu'il a avancé cet argument au cours du procès. En effet, sa requête visant à obtenir des précisions sur la preuve du ministère public concernant la question de l'aliénation mentale a été rejetée. La Cour d'appel n'a pas étudié cette question, quoique l'avis d'appel de l'appelant Chaulk adressé à la Cour d'appel du Manitoba, en date du 14 juillet 1987, indique que la question a été soumise à la cour.

Je suis d'avis que le juge du procès a permis à bon droit au ministère public de présenter une contre‑preuve relativement à l'aliénation mentale. Il est indubitable que le ministère public doit produire en preuve les témoignages qui sont censés étayer l'inculpation portée contre l'accusé. Il ne peut pas fractionner sa preuve en présentant ces témoignages en réplique, puisque l'accusé doit avoir la possibilité raisonnable de présenter sa défense. Dans R. v. Bruno (1975), 27 C.C.C. (2d) 318 (C.A. Ont.), à la p. 320, le juge MacKinnon résume comme suit la règle qui interdit au ministère public de fractionner sa preuve:

[TRADUCTION] La déclaration suivante du juge McPherson dans R. v. Drake (1970), 1 C.C.C. (2d) 396, à la p. 397, [. . .] est pertinente:

Selon un principe bien établi, le ministère public doit offrir en preuve les éléments qui sont clairement pertinents et qui sont en sa possession; ces éléments ne peuvent pas être admis légitimement à titre de contre‑preuve après que la défense a présenté sa preuve. Autrement dit, le droit tient pour inéquitable que le ministère public attende que l'accusé s'enferre. Ce principe ne s'applique cependant pas à la preuve dont la pertinence est minime ou douteuse.

Il est donc évident que le ministère public doit produire la preuve tendant à établir tous les éléments de l'infraction qui fait l'objet de l'inculpation.

Le principe selon lequel le ministère public est obligé de présenter en preuve seulement les éléments qui sont pertinents, par rapport aux éléments de l'infraction qu'il doit prouver, est confirmé par le corollaire selon lequel le ministère public n'est pas tenu de produire de preuve principale pour réfuter un moyen de défense que l'accusé est susceptible de faire valoir. À cet égard, j'approuve l'analyse que fait Peter K. McWilliams, c.r., dans Canadian Criminal Evidence (3e éd. 1990), à la p. 31‑5:

[TRADUCTION] Dans R. v. Campbell (1977), 38 C.C.C. (2d) 6 (C.A. Ont.), le juge Martin dit, à la p. 26:

La contre‑preuve du poursuivant est limitée à la preuve destinée à répliquer à des faits nouveaux présentés par la défense. La simple dénégation par la défense des témoignages produits par l'accusation ne permet pas à celle‑ci de répliquer en réitérant sa preuve ni d'offrir des preuves supplémentaires à l'appui. En pratique, toutefois, il peut souvent s'avérer difficile de distinguer la preuve qui peut légitimement être faite en réplique de la preuve de faits pertinents, destinés à établir la culpabilité, que le ministère public aurait dû prouver dès le début en présentant toute sa preuve: voir Wigmore on Evidence, 3e éd., 1940, vol. VI, aux pp. 510 et 511.

La défense peut, en présentant sa preuve, soulever des points nettement pertinents que le poursuivant ne pouvait pas raisonnablement prévoir avant d'avoir terminé son exposé. En effet, c'est là que réside le critère de la recevabilité de la contre‑preuve. Le poursuivant peut soupçonner que la défense va se prévaloir d'une défense, par exemple, la bonne foi, l'accident, l'erreur, la nécessité ou l'alibi, ou que la défense va faire déposer des experts au sujet de l'état mental de l'accusé ou de la cause des blessures, comme dans R. v. Campbell [. . .], etc. La défense peut, au cours du contre‑interrogatoire des témoins à charge, donner une indication quant aux moyens qu'elle entend invoquer, mais dans bon nombre de cas, il serait spéculatif et présomptueux pour le ministère public de le prévoir: R. v. Perka et al., (1982) 69 C.C.C. (2d) 405 (C.A.C.‑B.). Au surplus, le ministère public aurait une tâche difficile et perdrait son temps, car le substitut du procureur général ne pourrait pas être certain de la nature exacte de la question soulevée ou de la preuve qu'il aurait à réfuter. Néanmoins, le poursuivant doit présenter toute la preuve afin d'établir l'élément matériel de l'infraction.

À mon avis, c'est à bon droit que le juge du procès a permis en l'espèce au ministère public de présenter une contre‑preuve à l'égard de la question de l'aliénation mentale. Premièrement, on ne peut pas s'attendre à ce que le poursuivant produise dans le cadre de sa preuve principale les témoignages tendant à réfuter une défense que l'accusé pourrait peut‑être faire valoir; ce principe vaut même si l'accusé prévient le poursuivant qu'il a l'intention d'invoquer un moyen de défense donné. Deuxièmement, exiger que l'accusation produise sa preuve principale en vue d'établir que l'accusé était sain d'esprit, ce serait annihiler la présomption énoncée au par. 16(4). Nous l'avons vu, le par. 16(4) porte que, jusqu'à preuve du contraire, chacun est, pour l'application du Code criminel, présumé être sain d'esprit. Par conséquent, le fait que la personne inculpée d'une infraction criminelle soit saine d'esprit n'est pas en litige, à moins que l'accusé ne conteste ce fait. Le ministère public n'est pas tenu de prouver que l'accusé est sain d'esprit, en faisant la preuve de sa culpabilité. McWilliams avance là‑dessus l'argument suivant (à la p. 31‑8):

[TRADUCTION] L'article 16 du Code impose à la défense la charge de persuasion dans le cas de la défense d'aliénation mentale et, par conséquent, l'accusation a la possibilité de réfuter la preuve de l'aliénation mentale. De la même façon, si la défense d'aliénation mentale a été invoquée, le poursuivant peut présenter une contre‑preuve. R. v. Kasparek (1951), 101 C.C.C. 375 (C.A. Ont.); voir aussi R. v. Browne (1943), 29 Crim. App. R. 106.

Enfin, les arguments présentés par l'appelant Morrissette dans son mémoire, selon lesquels le ministère public aurait dû être obligé de produire la preuve en question dans le cadre de sa preuve principale, ne sont pas convaincants. Puisque les appelants ont eu la possibilité de répliquer en l'espèce, ils ne peuvent sérieusement soutenir qu'ils ont subi un préjudice du fait que le ministère public a présenté des éléments de preuve en contre‑preuve plutôt qu'en preuve principale.

Dispositif

Je suis d'avis de répondre aux questions constitutionnelles de la manière suivante:

1.Le paragraphe 16(4) du Code criminel du Canada est‑il incompatible avec l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés?

Réponse: Oui.

2.Si la réponse à la première question est affirmative, le par. 16(4) est‑il justifié par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Réponse: Oui.

Vu l'interprétation que j'ai donnée au mot "mauvais" employé au par. 16(2), je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.

//Le juge Wilson//

Version française des motifs rendus par

Le juge Wilson — J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement du juge en chef Lamer. Je partage son avis que le par. 16(4) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, porte atteinte à l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés et que la question clé dans le présent pourvoi est celle de savoir si le par. 16(4) constitue, à l'égard de la présomption d'innocence, une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer aux termes de l'article premier de la Charte. J'adopte, toutefois, une perspective différente de celle de mon collègue à l'endroit des préoccupations urgentes et réelles visées par le par. 16(4) et à l'endroit du niveau de contrôle que devrait exercer notre Cour sur l'aspect "proportionnalité" des critères énoncés dans l'arrêt Oakes.

Avant de traiter de l'article premier, je veux soulever brièvement le conflit qui existe à l'heure actuelle entre la présomption d'innocence que garantit l'al. 11d) de la Charte et la présomption du par. 16(4) du Code criminel que toute personne est saine d'esprit. À première vue, il peut sembler étrange qu'on parle d'un conflit entre ces deux présomptions puisqu'elles semblent avoir coexisté en bonne intelligence dans la common law pendant des siècles. Pour comprendre comment le conflit est né, il faut étudier brièvement l'histoire de chacune d'elles.

La présomption que toute personne est saine d'esprit

Le paragraphe 16(4) est la version actuelle d'une disposition qui figure dans le Code criminel depuis sa première adoption en 1892. Notre Cour, dans l'affaire Clark v. The King (1921), 61 R.C.S. 608, a étudié l'interprétation qu'il fallait donner à cette disposition. À cette époque le paragraphe (par. 19(3)) se lisait comme suit:

Tout individu est présumé sain d'esprit lorsqu'il commet ou omet un acte quelconque, jusqu'à ce que le contraire soit prouvé.

Comme le signale l'arrêt Clark, l'arrêt M'Naghten (1843), 10 Cl. & Fin. 200, 8 E.R. 718 (C.L.), l'arrêt qui, dans tout le Commonwealth, a servi depuis de modèle à l'expression législative de la défense d'aliénation mentale, est à l'origine de cette présomption légale. Dans cette affaire, le lord juge en chef Tindal avait déclaré, à la p. 722:

[TRADUCTION] [D]ans tous les cas, on doit expliquer aux jurés qu'à moins d'une preuve contraire qu'ils estiment suffisante, chacun est présumé sain d'esprit et doué d'une raison suffisante pour être responsable de ses crimes; et que pour faire valoir l'aliénation mentale comme moyen de défense, il faut prouver clairement qu'au moment où l'acte a été commis, l'accusé souffrait d'une imperfection de la raison, due à une maladie mentale telle qu'il ignorait la nature et la qualité de l'acte par lui commis, ou s'il les connaissait, telle qu'il ignorait que ce qu'il faisait était mauvais. [Je souligne.]

Bien que le lord juge en chef Tindal n'ait pas précisé le degré de force probante que devait avoir une preuve "suffisante", sauf en disant que le fait devait être "clairement prouvé", on a établi par la suite que le degré de preuve dont il s'agissait était la preuve par prépondérance des probabilités (Clark v. The King, précité, le juge Duff, à la p. 621). Ainsi, la présomption en droit pénal que toute personne est saine d'esprit fait partie des traditions de nos lois et de notre common law depuis au moins 150 ans.

La présomption d'innocence

De façon traditionnelle, on considère que la présomption d'innocence est la clé de voûte de notre système de justice pénale. La présomption d'innocence est manifeste dans l'axiome "Il vaut mieux laisser un coupable échapper à la justice que de condamner un innocent". Dans l'affaire Woolmington v. Director of Public Prosecutions, [1935] A.C. 462 (C.L.), le vicomte Sankey, lord Chancelier, écrit, aux pp. 481 et 482:

[TRADUCTION] Si, à l'issue des débats, la preuve produite, soit par la poursuite, soit par le prévenu, fait naître un doute raisonnable quant à savoir si ce dernier a tué la victime avec intention mauvaise, la poursuite a échoué et le prévenu a droit à un acquittement. Peu importe la nature de l'accusation ou le lieu du procès, le principe obligeant la poursuite à prouver la culpabilité du prévenu est consacré dans la common law d'Angleterre et toute tentative d'y porter atteinte doit être repoussée. [Je souligne.]

La présomption d'innocence a été enchâssée dans la Charte.

L'alinéa 11d) de la Charte a souvent été interprété par les tribunaux dans le cadre de ce que l'on appelle les dispositions de renversement de fardeau. Dans l'affaire R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, le juge en chef Dickson a expliqué le fondement de l'al. 11d). Il a déclaré, aux pp. 119 et 120:

La présomption d'innocence est un principe consacré qui se trouve au c{oe}ur même du droit criminel. Bien qu'elle soit expressément garantie par l'al. 11d) de la Charte, la présomption d'innocence relève et fait partie intégrante de la garantie générale du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, contenue à l'art. 7 de la Charte [. . .] La présomption d'innocence a pour effet de sauvegarder la liberté fondamentale et la dignité humaine de toute personne que l'État accuse d'une conduite criminelle. Un individu accusé d'avoir commis une infraction criminelle s'expose à de lourdes conséquences sociales et personnelles, y compris la possibilité de privation de sa liberté physique, l'opprobre et l'ostracisme de la collectivité, ainsi que d'autres préjudices sociaux, psychologiques et économiques. Vu la gravité de ces conséquences, la présomption d'innocence revêt une importance capitale. Elle garantit qu'un accusé est innocent tant que l'État n'a pas prouvé sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Voilà qui est essentiel dans une société qui prône l'équité et la justice sociale. La présomption d'innocence confirme notre foi en l'humanité; elle est l'expression de notre croyance que, jusqu'à preuve contraire, les gens sont honnêtes et respectueux des lois. [Je souligne.]

Dans l'affaire Oakes, on avait contesté la validité constitutionnelle d'une disposition légale qui imposait à l'accusé le fardeau de démontrer qu'il n'était pas en possession de stupéfiants pour en faire le trafic. La majorité de la Cour a jugé que ce fardeau portait atteinte à l'al. 11d). Le juge en chef Dickson a écrit, aux pp. 132 et 133:

[U]ne disposition qui oblige un accusé à démontrer selon la prépondérance des probabilités l'inexistence d'un fait présumé qui constitue un élément important de l'infraction en question, porte atteinte à la présomption d'innocence de l'al. 11d). S'il incombe à l'accusé de réfuter selon la prépondérance des probabilités un élément essentiel d'une infraction, une déclaration de culpabilité pourrait être prononcée en dépit de l'existence d'un doute raisonnable. Cela se présenterait si l'accusé produisait une preuve suffisante pour soulever un doute raisonnable quant à sa culpabilité, mais ne parvenait pas à convaincre le jury selon la prépondérance des probabilités que le fait présumé est inexact. [Je souligne.]

Dans l'affaire Oakes, on a confiné la portée de la présomption d'innocence aux "éléments essentiels" de l'infraction. La poursuite a la charge de prouver tous les éléments essentiels. Le renversement du fardeau de prouver l'un de ces éléments essentiels contrevient donc à la présomption d'innocence.

Depuis l'arrêt Oakes, la portée de l'al. 11d) s'est graduellement élargie. Les décisions de notre Cour dans les affaires R. v. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636, R. v. Holmes, [1988] 1 R.C.S. 914, et R. v. Whyte, [1988] 2 R.C.S. 3, ont fait disparaître la réserve contenue dans l'arrêt Oakes qui limitait l'application de la présomption d'innocence aux éléments essentiels de l'infraction. Dans l'affaire Whyte, le juge en chef Dickson (au nom de la Cour) a écarté cette réserve de façon non équivoque. Il a écrit, à la p. 18:

La réponse simple [. . .] est que la distinction entre les éléments de l'infraction et d'autres aspects de l'accusation n'est pas pertinente quand l'examen se fonde sur l'al. 11d). La préoccupation véritable n'est pas de savoir si l'accusé doit réfuter un élément ou démontrer une excuse, mais qu'un accusé peut être déclaré coupable alors que subsiste un doute raisonnable. Lorsque cette possibilité existe, il y a violation de la présomption d'innocence.

La qualification exacte d'un facteur comme élément essentiel, facteur accessoire, excuse ou moyen de défense ne devrait pas avoir d'effet sur l'analyse de la présomption d'innocence. C'est l'effet final d'une disposition sur le verdict qui est décisif. Si une disposition oblige un accusé à démontrer certains faits suivant la prépondérance des probabilités pour éviter d'être déclaré coupable, elle viole la présomption d'innocence parce qu'elle permet une déclaration de culpabilité malgré l'existence d'un doute raisonnable dans l'esprit du juge des faits quant à la culpabilité de l'accusé. [Je souligne.]

En d'autres termes, la Cour a jugé que si nous prenons au sérieux la présomption d'innocence, il importe peu que le renversement de fardeau vise un élément essentiel de l'infraction telle que définie par le Code criminel ou qu'elle vise une défense, une excuse ou une justification indépendante. Autrement, la culpabilité ou l'innocence d'un accusé serait tributaire, en dernier ressort, des accidents de la rédaction législative plutôt que des fondements philosophiques plus fondamentaux de la présomption d'innocence. Comme le souligne le juge en chef Dickson, "[c]'est l'effet final d'une disposition sur le verdict qui est décisif".

Toutefois l'intimée se fonde sur les motifs de la majorité dans R. c. Schwartz, [1988] 2 R.C.S. 443, pour étayer son argument selon lequel le par. 16(4) ne porte pas atteinte à la présomption d'innocence puisqu'il crée une exemption plutôt qu'une défense. Je crois que l'intimée se fonde à tort sur l'arrêt Schwartz. Il me semble que dans cette affaire, le juge McIntyre, au nom de la majorité, a refusé d'appliquer la présomption d'innocence avec autant de rigueur à des régimes réglementaires ou d'émission de licences qu'à des interdictions criminelles, même si ces régimes se présentaient dans le cadre du droit pénal. Je cite un extrait de ses motifs (à la p. 486):

La théorie sous‑jacente à tout système de permis est que, lorsque la possession d'un permis est en question, c'est l'accusé qui est le mieux placé pour résoudre cette question. Autrement, la délivrance du certificat ou du permis ne servirait à rien.

Ainsi, le juge McIntyre n'a pas interprété l'exigence selon laquelle l'accusé devait établir qu'il était en possession d'une licence comme comportant un renversement du fardeau de la preuve au sens de l'arrêt Whyte. À mon avis, l'on peut distinguer l'arrêt Schwartz de la série jurisprudentielle Vaillancourt, Holmes et Whyte pour le motif que cet arrêt porte sur des comportements réglementés plutôt que sur des comportements interdits.

Comme on l'a déjà vu, l'arrêt Whyte affirme le principe que l'al. 11d) oblige à considérer l'ensemble des répercussions d'une disposition portant renversement du fardeau de la preuve sur la question ultime de la culpabilité ou de l'innocence de l'accusé plutôt que la nature précise d'une disposition. C'est cet élargissement de la règle de l'arrêt Oakes par l'arrêt Whyte qui a donné lieu à la contestation constitutionnelle en vertu de l'al. 11d) de la Charte de la présomption que chacun est sain d'esprit. La présomption que chacun est sain d'esprit oblige l'accusé à démontrer son aliénation mentale par la prépondérance des probabilités et, de quelque façon que l'on qualifie le plaidoyer d'aliénation mentale, qu'il s'agisse d'une exemption, d'une défense, d'une justification ou d'une excuse, le fardeau de persuasion qu'impose à l'accusé le par. 16(4) donne ouverture à la possibilité d'une condamnation malgré l'existence d'un doute raisonnable quant à sa culpabilité. Aux termes de l'arrêt Whyte, cela porte atteinte à la présomption d'innocence.

La validité constitutionnelle du par. 16(4) repose donc sur la possibilité de l'appuyer sur l'article premier.

Article premier de la Charte

L'application des critères de l'arrêt Oakes exige, comme première démarche, que l'on identifie la préoccupation urgente et réelle que vise la loi contestée. L'objectif recherché par le gouvernement doit être suffisamment important pour justifier qu'on passe outre à un droit garanti par la Charte; s'il ne l'est pas, on peut arrêter là l'examen, la législation étant inconstitutionnelle. La première démarche est donc d'identifier l'objectif que cherche à atteindre le par. 16(4) du Code criminel et d'évaluer s'il est suffisamment important pour justifier une atteinte à ce qui est certainement un des préceptes fondamentaux de notre système de justice pénale, sinon le plus fondamental de tous.

Je pars de la prémisse que le gouvernement doit avoir été d'avis qu'il était nécessaire d'imposer à l'accusé le fardeau de démontrer son aliénation par une prépondérance de probabilités pour éviter que des personnes tout à fait saines d'esprit qui ont commis des crimes échappent à la responsabilité criminelle en soulevant une défense peu fondée d'aliénation mentale. En d'autres termes, le gouvernement doit avoir conclu qu'il n'était pas suffisant d'imposer à l'accusé le simple fardeau de la présentation de la preuve, c'est‑à‑dire l'obligation de présenter une preuve suffisante pour susciter chez les membres du jury un doute raisonnable sur sa santé mentale. De là la présomption et le renversement du fardeau de la preuve, ce qui met le par. 16(4) en conflit avec l'al. 11d) de la Charte, comme l'explique l'arrêt Whyte.

Si ma prémisse est exacte, il me semble qu'en vertu de la première partie des critères de l'arrêt Oakes il incomberait au gouvernement, pour se prévaloir de l'article premier, de montrer qu'il s'agissait là d'un véritable problème social, qu'un nombre important de personnes tout à fait saines d'esprit qui avaient commis des crimes arrivaient à échapper à la responsabilité criminelle grâce à des défenses d'aliénation mentale peu fondées et qu'il fallait corriger cette situation.

Cette thèse rencontre toutefois une difficulté: comme nous l'avons vu, le par. 16(4) ne fait que reprendre la common law qui était en vigueur depuis longtemps avant l'adoption de l'article originel dans le premier Code criminel du Canada. Nous n'avons donc pas au Canada l'expérience d'un simple fardeau de présentation, qui nous permettrait de démontrer qu'un tel fardeau n'est pas approprié pour permettre au gouvernement d'atteindre ses objectifs.

Mon collègue envisage de façon quelque peu différente cette préoccupation urgente et réelle. Il dit que l'objectif du gouvernement était de libérer la poursuite de la "charge écrasante" de prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé est sain d'esprit, obligation qui incomberait au ministère public si l'accusé n'était seulement tenu que de la présentation des éléments de preuve. En d'autres termes, mon collègue restreint l'objectif recherché par le gouvernement à un objectif purement procédural dans le cadre du procès. Il voit le par. 16(4) comme "une pure règle de preuve dont l'objectif est de dispenser la poursuite de l'énorme difficulté de prouver que l'accusé est sain d'esprit, de façon à ce qu'on puisse le trouver coupable" (p. 000). Il n'identifie aucune préoccupation urgente et réelle à laquelle cela a effectivement donné lieu. En réalité, la disposition est une mesure préventive destinée à prévenir un problème qui pourrait surgir en l'absence de ce renversement du fardeau de la preuve.

Je suis d'avis qu'il s'agit là d'un changement important dans la manière dont notre Cour a envisagé jusqu'à maintenant l'article premier. Notre Cour a toujours abordé la question de la justification des lois contestées en vertu de la Charte en considérant ces dernières comme des réactions à des problèmes sociaux. Le problème social urgent que vise le par. 16(4) doit, me semble‑t‑il, être celui que je viens d'identifier, c'est‑à‑dire que des personnes coupables échappaient à la responsabilité criminelle grâce à des défenses peu fondées d'aliénation mentale. Par conséquent, si l'accusé voulait plaider qu'il était aliéné mental, il était essentiel de l'obliger à assumer le fardeau de la persuasion. On fait la "courte échelle" à la poursuite en adoptant la présomption que chacun est sain d'esprit et en imposant à l'accusé la charge de prouver son aliénation mentale par la prépondérance des probabilités. Autrement, comme le dit mon collègue, un accusé dont la santé mentale est en doute pourrait échapper à une déclaration de culpabilité.

Je m'arrête pour souligner que, à mon avis, par analogie à la présomption d'innocence, il vaut mieux déclarer non coupable pour cause d'aliénation mentale une personne coupable et qu'elle soit détenue en traitement psychiatrique, que déclarer coupable d'un crime une personne aliénée.

Contrairement à mon collègue, je ne crois pas que le par. (4) de l'art. 16 puisse être isolé des par. (2) et (3). Il faut donc présumer en vertu du par. (4) que l'accusé n'était pas atteint d'une maladie mentale (ou d'imbécillité naturelle) qui le rendait incapable de juger la nature ou la qualité de son acte ou de savoir que cet acte était mauvais. Si le fardeau qui incombait à l'accusé n'était que celui de présenter des éléments de preuve et s'il arrivait par ce moyen à soulever un doute dans l'esprit des membres du jury quant à la présence d'un de ces éléments, il est clair que la poursuite devrait dissiper ce doute. Même si je conviens que le fardeau qui incombe à la poursuite n'est pas léger, je pense qu'on exagère en disant qu'il s'agit d'une "charge écrasante". Il ne s'agit pas, selon moi, d'une question que la poursuite doit établir dans l'abstrait; il s'agit plutôt de dissiper un doute soulevé par l'accusé dans l'esprit des membres du jury concernant la présence d'un des éléments prévus aux par. (2) ou (3). L'importance de l'obligation de la Couronne variera d'une affaire à l'autre, selon la preuve de l'aliénation que l'accusé sera en mesure de présenter, en assumant qu'une telle preuve serait suffisante pour soulever un doute dans l'esprit des membres du jury quant à sa capacité mentale. La tâche de la poursuite est seulement de s'attaquer aux doutes que soulève la preuve présentée par l'accusé pour étayer son plaidoyer d'aliénation mentale. La poursuite fait face à des défis de ce genre chaque fois, par exemple, qu'on soulève une défense fondée sur l'ivresse. Selon moi, il ne s'agit pas là d'une "charge écrasante".

Quoi qu'il en soit, je ne crois pas que la préoccupation urgente et réelle identifiée par le juge en chef Lamer réussisse à franchir l'obstacle posé par l'absence, dans l'histoire de notre droit, d'une expérience d'un simple fardeau de présentation.

La question que pose la perspective adoptée par le Juge en chef, me semble‑t‑il, est donc de savoir si le par. 16(4) du Code peut se justifier en vertu de l'article premier, comme mesure préventive destinée à régler un problème social hypothétique qui pourrait survenir si les accusés qui invoquent la défense d'aliénation mentale n'avaient qu'à assumer une obligation de présentation. Cela me conduit à me demander: est‑ce la voie que nous voulons suivre, celle de justifier les atteintes au droit constitutionnel par des arguments purement conjecturaux? Voulons‑nous, notamment, suivre cette voie lorsqu'un principe aussi fondamental pour notre système de justice pénale que la présomption d'innocence est en cause? Même si la conjecture était probable (et pour des raisons que j'expliquerai plus loin je ne la crois pas telle en espèce) j'aurais de graves réserves au sujet de cette voie. Avant de la suivre, je préférerais regarder ailleurs et voir ce qu'a été l'expérience d'autres sociétés libres et démocratiques qui ont pratiqué le régime d'un simple fardeau de présentation.

1. L'expérience des États‑Unis

Vu le manque de renseignement au Canada et dans le Commonwealth, il est utile, lorsqu'on applique l'article premier de la Charte, de s'intéresser à d'autres sociétés où l'on applique la règle que l'accusé qui plaide une défense d'aliénation mentale est soumis à un fardeau de preuve moins exigeant. Notre Cour, dans l'affaire Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, a adopté cette façon d'envisager les choses: voir le jugement du juge Estey aux pp. 367 et 368. Les États‑Unis constituent une excellente source pour ce genre de renseignement puisque le droit pénal américain relève de la compétence législative des États et ceux‑ci sont partagés à peu près également sur la question du fardeau approprié de la preuve qui incombe à un accusé qui invoque la défense d'aliénation mentale.

(a) La jurisprudence des États‑Unis

Le point de départ d'une analyse du droit américain concernant la preuve que doit présenter l'accusé dans une affaire d'aliénation est la décision charnière de la Cour suprême des États‑Unis dans l'affaire Davis v. United States, 160 U.S. 469 (1895). Dans cette affaire, l'assistant Attorney General, intimé, avait soutenu qu'il était relativement facile de feindre ou de simuler l'aliénation et qu'il y avait de bonnes raisons relevant de la politique criminelle pour imposer l'obligation de convaincre. Il décrit les raisons de principe de la manière suivante (à la p. 473):

[TRADUCTION] La probabilité qu'un jury trouvera coupable une personne atteinte d'aliénation mentale, sous le régime selon lequel l'aliénation doit être prouvée à la satisfaction raisonnable du jury, est minime en comparaison du tort qui serait causé à la société par l'application de la règle qu'un doute raisonnable que l'accusé est sain d'esprit doit donner lieu à un acquittement.

Le "tort" auquel il faisait allusion était que [TRADUCTION] "une preuve douteuse d'aliénation mentale ferait déferler sur le pays une vague de criminels acquittés" (Ortwein v. Commonwealth, 76 Pa. 414 (1874), à la p. 425). Après une étude très poussée des autorités, la Cour suprême, dans un jugement unanime, a carrément rejeté cette argumentation (par le juge Harlan aux pp. 492 et 493 et à la p. 488):

[TRADUCTION] Il nous semble que dans certains des arrêts on attache une importance indue au fait que la défense d'aliénation mentale est fréquemment invoquée dans des poursuites pour meurtre et qu'on l'étaye par des expertises de spécialistes subtiles dont les théories sont difficiles à réfuter. Ainsi, dit‑on, les crimes les plus atroces sont souvent impunis et la sécurité du public est ainsi compromise. Mais une telle situation est toujours possible dans un système conçu pour déceler et punir les crimes et elle ne devrait pas conduire les tribunaux à déroger aux principes fondamentaux du droit pénal, dont le respect est commandé par les sentiments d'humanité et de justice. . . .

Comment peut‑on alors concilier avec les principes ou avec les sentiments humanitaires un verdict de culpabilité s'il reste au jury un doute raisonnable quant à l'existence d'un fait qui est essentiel à la culpabilité, c'est‑à‑dire la capacité légale de l'accusé de commettre ce crime? [Je souligne.]

Le juge Harlan était d'avis que le crime de meurtre "comporte nécessairement" une capacité mentale chez l'accusé qui est suffisante pour permettre l'imputation de la responsabilité criminelle. Il a souligné que le risque d'acquitter des coupables est un risque dans tout système de justice pénale qui exige que l'on prouve la culpabilité hors de tout doute raisonnable et que la défense d'aliénation mentale ne présentait à cet égard rien d'exceptionnel. Les considérations de politique criminelle ne justifiaient donc pas une dérogation au principe fondamental qu'il incombait à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité. Ce raisonnement a été approuvé de façon constante par les arrêts subséquents de la Cour suprême: voir In Re Winship, 397 U.S. 358 (1970); Mullaney v. Wilbur, 421 U.S. 684 (1975); Jackson v. Virginia, 443 U.S. 307 (1979). Ainsi, l'arrêt Davis a établi la règle qui régit la procédure criminelle fédérale aux États‑Unis depuis les dernières 95 années, à savoir que lorsque la preuve devant le juge des faits tend à indiquer que l'accusé était aliéné mental au sens de la loi au moment de l'infraction, il y a renversement du fardeau de la preuve et la poursuite doit établir hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait la capacité mentale nécessaire pour être jugé criminellement responsable.

À mon avis, les facteurs qui ont été considérés par la Cour suprême des États‑Unis dans l'arrêt Davis sont exactement ceux‑là que le juge en chef Lamer nous invite à prendre en considération dans le présent pourvoi. Le juge Harlan devait décider si le fait d'imposer à l'accusé une charge réduite en matière de preuve aurait pour conséquence de grever la poursuite d'une charge écrasante et donnerait lieu à des acquittements non justifiés. Il a jugé que cela ne se produirait pas. Le fait que cette décision n'a pas été contestée pendant près d'un siècle contribue à me convaincre que la charge plus légère qu'on impose à l'accusé n'a pas créé dans la société américaine un problème urgent et réel.

Il faut toutefois signaler que la ratio decidendi dans l'arrêt Davis repose sur l'étendue des pouvoirs de contrôle de la Cour suprême et non sur des principes constitutionnels de fond. Ainsi, dans l'affaire Leland v. Oregon, 343 U.S. 790 (1952), on a expressément jugé qu'un État pouvait renverser le fardeau de la preuve en matière d'aliénation mentale en imposant à l'accusé l'obligation de convaincre. En conséquence, bon nombre d'États ont imposé à l'accusé une obligation de convaincre à l'égard d'infractions dans le cadre de leur compétence en matière criminelle. L'arrêt Leland a été confirmé par l'arrêt Rivera v. Delaware, 351 A.2d 561 (Del. 1976), appel rejeté (les juges Brennan et Marshall étant dissidents), 429 U.S. 877 (1976). La procédure criminelle dans les États qui imposent à l'accusé l'obligation de convaincre est sensiblement la même qu'au Canada. Il incombe à l'accusé de démontrer son aliénation mentale par une prépondérance de probabilités.

La First Circuit Court of Appeal, dans United States v. Pasarell, 727 F.2d 13 (1984), demande de certiorari rejetée, 105 S. Ct. 107 (1984), à la p. 14, explique les règles, y compris celles qui régissent le fardeau de preuve de la poursuite, dans les ressorts où l'accusé n'est tenu que du fardeau de présentation:

[TRADUCTION] Lorsqu'un accusé présente des éléments de preuve tendant à faire conclure à l'aliénation mentale, la charge de prouver qu'il est sain d'esprit incombe à la poursuite. [. . .] Dans l'affaire U.S. v. Dube, notre cour a décrit la charge de la poursuite de la façon suivante:

"L'aliénation mentale est une question à trancher par le jury à moins qu'un homme raisonnable qui considère les faits et les présomptions qui en découlent dans une perspective entièrement favorable à la poursuite soit nécessairement contraint à douter que les accusés soient sains d'esprit. La nature et la suffisance des contre‑preuves qui sont nécessaires pour saisir le jury de la question sont dans une certaine mesure déterminées par la force probante des preuves d'aliénation. Il n'existe aucun principe général en vertu duquel la poursuite est tenue de contrer, par ses propres experts, la preuve médicale de la défense. Le témoignage des experts n'est pas concluant même s'il n'est pas contredit; c'est au jury de déterminer sa force probante et sa crédibilité . . ." [Je souligne; les références sont omises.]

Dans ces ressorts, les tribunaux hésitent à intervenir pour remettre en cause les conclusions du jury quant à l'état mental de l'accusé: voir United States v. Voice, 627 F.2d 138 (8th Cir. 1980); United States v. Samuels, 801 F.2d 1052 (8th Cir. 1986); People v. Stockwell, 242 N.W.2d 559 (Mich. Ct. App. 1976). Il est également important de rappeler que le jury n'est pas lié par les témoignages d'experts:

[TRADUCTION] C'est le jury qui se prononce en dernier ressort sur la question de savoir si l'accusé au moment de l'infraction était sain d'esprit et, dans la présente affaire, puisqu'il avait devant lui des éléments de preuve quant au comportement et quant à l'état d'esprit de l'accusé, éléments de preuve lui permettant de juger que l'accusé était sain d'esprit, il n'était pas lié par le témoignage expert du médecin.

(People v. Krugman, 141 N.W.2d 33, (Mich. 1966), à la p. 35.)

La poursuite n'est pas non plus, comme l'indique clairement l'arrêt Pasarell, obligée d'opposer ses propres experts à ceux de la défense. Cela semble réfuter l'argument souvent proposé par les tenants d'une règle imposant l'obligation de convaincre que la règle n'imposant à l'accusé qu'une obligation de présenter des éléments de preuve donnerait souvent lieu à un "combat des experts" qui laisse les jurés dans la confusion et entraîne souvent des acquittements non fondés. Il semble que dans ces ressorts le fait de laisser au bon sens et au jugement attentif du jury la question de l'aliénation mentale, comme on le fait pour d'autres questions essentielles, n'a pas créé de problème.

Les affaires américaines, selon moi, n'étayent pas la conclusion que la saine administration de la justice pénale exige qu'on impose à l'accusé une charge plus lourde; elle ne confirme pas non plus l'existence du genre de préoccupation urgente et réelle que le juge en chef Lamer craint de voir surgir si l'on dispensait l'accusé de l'obligation de convaincre.

(b) Commentaires sur l'expérience américaine

Les auteurs canadiens ont cherché, dans ce domaine, à s'inspirer de l'expérience américaine. Dans son article "A Critique of Proposals to Reform the Insanity Defence" (1989), 14 Queen's L.J. 135, le professeur G. Ferguson évalue ce qu'il appelle les "considérations d'ordre pragmatique" en faveur du maintien de l'obligation de convaincre. Ces considérations sont (à la p. 148):

[TRADUCTION]

i)l'importance de réduire la possibilité que l'on puisse réussir à fabriquer la défense d'aliénation mentale;

ii)le fait qu'il soit trop facile de créer un doute que l'accusé est sain d'esprit; [et]

iii)l'impossibilité de prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé est sain d'esprit.

Il écrit, à la p. 148:

[TRADUCTION] Ces considérations pragmatiques ne résistent pas à l'analyse. L'expérience aux États‑Unis est particulièrement révélatrice. En 1982, dans la moitié des États et devant tous les tribunaux fédéraux, dès qu'il existe un élément de preuve de l'aliénation mentale, la poursuite est obligée de prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé est sain d'esprit. Cette obligation permet‑elle la réussite d'une foule de défenses fabriquées d'aliénation mentale? Impose‑t‑elle au ministère public une charge intolérable ou impossible à relever? J'ai étudié les affaires rapportées dans ces ressorts pour l'année 1982. Dans presque toutes les affaires, il y avait au moins une certaine preuve par témoin‑expert pour étayer la défense d'aliénation mentale. Mais la défense d'aliénation mentale n'a pas réussi dans 28 affaires sur 30. Le ministère public a fait sa preuve; l'accusé n'a pas réussi à soulever un doute raisonnable. Ces chiffres, s'ils veulent dire quelque chose, indiquent que le fardeau de soulever un doute raisonnable en matière d'aliénation peut être un fardeau trop lourd plutôt que trop léger. (Signalons que dans les ressorts où l'accusé avait l'obligation de convaincre, la défense d'aliénation mentale a échoué 16 fois sur 17.) [Je souligne.]

Il semble qu'aux États‑Unis la règle n'imposant qu'un fardeau de présentation à l'accusé n'a pas donné lieu à une foule d'acquittements pour cause d'aliénation mentale. Les Américains n'ont pas constaté un afflux de plaidoyers d'aliénation mentale. Comme le signale l'American Psychiatric Association dans son Statement on the Insanity Defense publié en 1982:

[TRADUCTION] (I)l est rare qu'on invoque avec succès la défense [d'aliénation mentale] (sans doute dans moins de 1 % de toutes les accusations de félonie). Bien qu'elle présente un intérêt théorique considérable, sur le plan empirique la défense d'aliénation mentale n'est pas importante.

(Voir R. J. Simon et D. E. Aaronson, The Insanity Defense: A Critical Assessment of Law and Policy in the Post‑Hinckley Era (1988), à la p. 8.)

Des statistiques provenant d'études de suivi sur les acquittements pour cause d'aliénation mentale dans les deux pays tend à démontrer qu'il y a assez peu d'erreurs. Un document statistique canadien produit par les parties (S. Hodgins et autres, Annual Report, Year 1 Canadian Data Base: Patients held on Lieutenant Governors' Warrants (1989), Tableau 5, "A Description of Patients Under Lieutenant Governors' Warrant March 1, 1988"), signale que les troubles mentaux les plus fréquemment signalés chez les détenus sont: la schizophrénie (65,3 %), les troubles de personnalité (11,9 %), les troubles affectifs (7,6 %), les troubles de délire paranoïde (6,9 %), et la débilité mentale (4,2 %). Par ailleurs, la mention [TRADUCTION] "aucun diagnostic" n'apparaissait que dans 0,2 % des cas. Ce chiffre veut dire qu'on avait jugé que sur les 1 007 détenus en vertu du régime des mandats du Lieutenant gouverneur en 1988, deux seulement n'étaient pas atteints de troubles mentaux.

Aux États‑Unis, une étude moins récente des personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale admises à l'hôpital Saint Elizabeths à Washington, D.C., étaye également l'hypothèse que la plupart des personnes acquittées ont réellement besoin de traitements psychiatriques. Arthur Matthews Jr. a colligé les diagnostics psychiatriques des personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale au cours d'une période de 12 ans (1954‑1965). Il a constaté que le trouble mental le plus fréquent était la schizophrénie (39,1 %). Sa recherche démontre que seulement 5,5 % des personnes acquittées ont été jugées [TRADUCTION] "sans trouble mental": voir Mental Disability and the Criminal Law: a Field Study (1970), à la p. 35 Bien que ces chiffres soient considérablement plus élevés que les chiffres canadiens, ils n'indiquent pas, selon moi, qu'aux États‑Unis des défenses d'aliénation mentale fabriquées ont donné lieu à un problème urgent et réel.

(c)Recommandations visant le fardeau de la preuve dans les États américains

Le Standing Committee on Association Standards for Criminal Justice de la American Bar Association a mené des recherches approfondies sur les problèmes posés par les troubles mentaux dans le contexte du système de justice pénale. Le First Tentative Draft: Criminal Justice Mental Health Standards (1983) passe en revue le droit positif actuel et présente des recommandations pour l'attribution du fardeau de la preuve en matière d'aliénation mentale (aux pp. 291 à 293):

[TRADUCTION] Norme 7‑6.9. Obligation de présenter, obligation de convaincre

(a)L'obligation de présenter une preuve d'aliénation mentale incombe à l'accusé.

(b)Lorsqu'une preuve d'aliénation mentale a été présentée lors du procès, l'obligation de convaincre est attribuée comme suit:

(i) dans les ressorts où la définition de l'aliénation mentale ne vise que les cas où l'accusé, par suite de maladie ou de déficience mentale est incapable de connaître, comprendre ou juger le caractère mauvais de son comportement au moment de l'infraction, la poursuite devrait avoir l'obligation de réfuter la défense d'aliénation mentale hors de tout doute raisonnable;

(ii) dans les ressorts où l'on définit l'aliénation mentale selon le modèle proposé par le Model Penal Code du ALI l'accusé devrait être obligé de prouver son aliénation mentale par une prépondérance des probabilités.

(c)Le paragraphe (b) du présent article ne dispense aucunement la poursuite de l'obligation de prouver hors de tout doute raisonnable tous les éléments de l'infraction faisant l'objet de l'accusation, y compris l'élément moral qu'exige l'infraction en question.

Commentaire

. . . La difficulté est celle de l'attribution de l'obligation de convaincre une fois que la question a été soulevée . . .

À l'heure actuelle, les États se partagent à peu près également là‑dessus: vingt‑six États (et le district de Columbia dans les affaires non fédérales) imposent à l'accusé l'obligation de prouver l'aliénation mentale (ordinairement) par une prépondérance des probabilités. Par contre, vingt‑quatre États imposent à la poursuite la preuve hors de tout doute raisonnable que l'accusé est sain d'esprit. Dans les cours fédérales, l'obligation incombe à la poursuite . . .

...

... Le paragraphe (b) prévoit que l'obligation devrait incomber à la poursuite de réfuter la défense d'aliénation mentale de l'accusé dans les États où l'aliénation mentale se définit comme l'incapacité de connaître, de comprendre ou de juger le caractère mauvais du comportement. Cette adoption de la règle de l'arrêt Davis reconnaît qu'une définition plus étroite de l'aliénation mentale commande que le "risque d'erreur" soit assumé par la poursuite. Au contraire, la seconde partie prévoit que dans les ressorts qui ont adopté une définition combinant des aspects cognitifs et volitifs, il devrait y avoir inversion de la charge de la preuve, ce qui reconnaît le droit de l'État d'imposer le fardeau de la preuve à l'accusé lorsque cet accusé bénéficie d'une définition plus large de l'aliénation mentale. Le renversement est donc la contrepartie de la plus grande latitude que comporte l'aspect volitif de la définition.

La formule d'attribution est fondée sur le point de vue que des erreurs dans l'administration de la défense d'aliénation mentale se produisent surtout lorsque la définition de cette défense comporte l'aspect volitif selon le modèle actuel du Code pénal de l'ALI. [...] Inversement, puisque le risque d'erreur est beaucoup plus faible lorsque la définition ne comporte que l'aspect cognitif, le transfert à l'accusé du fardeau de la preuve ne semble pas justifié. [Je souligne.]

Or, l'aliénation mentale telle que formulée au par. 16(2) du Code renvoie aux fonctions cognitives. À cause de cela, les recommandations de la ABA indiqueraient, toute autre chose étant par ailleurs égale, que le fardeau moins rigoureux convient dans le contexte canadien.

2. Recommandations au Canada

Les auteurs canadiens sont arrivés à des conclusions semblables au sujet du fardeau de preuve qu'il convient d'imposer en matière d'aliénation mentale. Le professeur Patrick Healy a rédigé pour le compte de la Commission de réforme du droit du Canada une étude non publiée intitulée The Presumption of Innocence in the Draft Code of Substantive Criminal Law (1986), dans laquelle il étudie la question de l'aliénation mentale dans le cadre des dispositions renversant le fardeau de la preuve. Il écrit (aux par. 29 et 32):

[TRADUCTION] 29. . . . On renverse le fardeau de la preuve pour des raisons d'efficacité et de commodité; la finalité de ce mécanisme est essentiellement pratique. [...] [I]l faut donc se demander si des considérations d'ordre pratique peuvent l'emporter sur les règles générales régissant le fardeau de la preuve...

32. Nous estimons que ni la difficulté de prouver une proposition négative ni celle de recueillir la preuve de faits au sujet desquels l'accusé est peut‑être le témoin le plus compétent sont d'une telle importance qu'elles justifient une règle en vertu de laquelle l'accusé doit prouver son innocence...

Il signale encore (aux par. 35 et 36) que:

[TRADUCTION] 35. Le renversement du fardeau en ce qui concerne l'aliénation mentale est un vestige anachronique de l'époque où l'accusé était tenu d'établir qu'il n'était pas coupable dès que la poursuite avait établi la preuve prima facie de l'actus reus de l'infraction. L'attribution du fardeau de la preuve dans ce cas, toutefois, était renforcée par la prétendue présomption que toute personne est saine d'esprit et la présomption que l'accusé veut la réalisation des conséquences naturelles et probables de son acte. Ces deux présomptions créaient une présomption de mens rea et leur force combinée a assuré la survie de ce renversement de fardeau en common law longtemps après la fin du dix‑neuvième siècle, alors que les tribunaux avaient largement renversé l'ancienne règle selon laquelle la poursuite n'était tenue que d'établir l'actus reus et que la présomption de mens rea contraignait l'accusé, pour éviter la condamnation, de prouver son innocence en faisant la preuve d'une justification, d'une excuse ou d'une défense valable.

36. La présomption générale de mens rea, du moins à titre de présomption découlant de façon nécessaire de la preuve prima facie de la poursuite est maintenant chose du passé et bien que la présomption que toute personne est saine d'esprit a survécu, elle ne sert qu'à affirmer que la capacité mentale de l'accusé ne fait pas partie, ni de façon implicite, ni de façon nécessaire des éléments dont la preuve incombe à la poursuite. À une époque plus récente la raison d'être que l'on attribue le plus souvent au renversement du fardeau de la preuve en matière d'aliénation mentale ne diffère pas essentiellement de la raison d'être des autres renversements de fardeau. Il est particulièrement difficile de connaître l'état mental de l'accusé; seul ce dernier est le plus en mesure d'apporter à cet égard une preuve pertinente. Si la raison la plus importante pour imposer la charge de la preuve de l'aliénation mentale à l'accusé est d'empêcher ce dernier de bénéficier de cette défense si elle n'est pas fondée solidement sur des éléments de preuve, ni la présomption que l'accusé est sain d'esprit ni l'attribution du fardeau de preuve ne sont nécessaires ou souhaitables dans un nouveau code. En conséquence, le projet devrait préciser les éléments essentiels de chaque infraction et la question de la santé mentale (ou celle de l'aliénation mentale) ne serait donc pas en cause à moins d'avoir été soulevée par l'une ou l'autre des parties. On respecte les impératifs de la politique criminelle non pas en exigeant une preuve prépondérante de l'aliénation mentale quand la question est soulevée mais plutôt en s'assurant que la preuve de la capacité mentale n'est nécessaire que si elle est remise en cause par des éléments de preuve suffisants présentés par la défense. Le fardeau de présenter ces éléments de preuve n'est pas entrepris à la légère ni facilement satisfait et il n'y a aucun motif de principe ou d'opportunité pour l'envisager différemment de celle qu'on retrouve dans les défenses de provocation, de contrainte ou de légitime défense de la personne. [Je souligne.]

Le professeur Colvin est lui aussi d'avis qu'il faut sérieusement envisager un fardeau plus léger. Il affirme, à la p. 241 des Principles of Criminal Law (1986):

[TRADUCTION] L'attribution de l'obligation de convaincre devrait maintenant prêter flanc à une contestation constitutionnelle en vertu de l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. [. . . À] l'heure actuelle, l'aliénation mentale est la seule défense d'absence de capacité mentale pour laquelle le fardeau de la preuve est renversé. Si l'efficacité du système peut tolérer que l'obligation de convaincre incombe à la Couronne dans le cas des autres défenses, pourquoi le renversement du fardeau serait‑il si crucial en matière d'aliénation mentale?

Dans son rapport 31 intitulé Pour une nouvelle codification du droit pénal (1987), la Commission de réforme du droit se rallie à ce fardeau de preuve plus léger. La Commission déclare, à la p. 4:

Selon la Commission, la poursuite devrait établir toutes les conditions de la responsabilité au moyen de preuves qui sont admissibles et qui, selon le juge des faits, sont de nature à démontrer l'existence de ces conditions au‑delà du doute raisonnable; l'accusé ne devrait pas être obligé de fournir la preuve d'un fait en litige dans un procès pénal. Ce fardeau de la preuve oblige la poursuite non seulement à prouver tous les éléments constitutifs du crime mais aussi à réfuter tout moyen de défense pouvant être fondé sur les preuves rapportées (peu importe par quelle partie). Par contraste, l'accusé qui cherche à invoquer un moyen de défense auquel les preuves déjà produites ne donnent pas ouverture, n'a qu'à fournir une preuve suffisante pour en établir le fondement. La poursuite, quant à elle, n'a pas à réfuter un moyen de défense, une justification ni une excuse si ceux‑ci ne paraissent pas fondés sur les preuves rapportées.

C'est pourquoi, la Commission n'a pas voulu [. . .] imposer à l'accusé la charge ultime des moyens de défense. D'une part, il se peut fort bien qu'une telle inversion de la charge de la preuve soit contraire à la présomption d'innocence et à l'alinéa 11d) de la Charte. D'autre part, elle est aussi inutile puisque l'exigence de prouver le fondement d'un moyen de défense protège suffisamment contre les acquittements injustifiés. [Je souligne.]

3. Recommandations en Grande‑Bretagne

Il est intéressant de constater que l'English Criminal Law Revision Committee en est arrivé à la même conclusion concernant le fardeau de preuve qu'il convient d'adopter. Dans le Eleventh Report of the English Criminal Law Revision Committee, Evidence (General) (1972) les éminents juristes affirment, aux pp. 88 à 90:

[TRADUCTION] 140. Nous sommes d'avis que pour des motifs de principe et pour des raisons de clarté et de commodité dans la pratique, seule l'obligation de présenter des éléments de preuve devrait incomber à la défense. [. . .] Voici nos raisons:

(i)Dans le cas typique où la qualité substantielle d'un crime est que l'accusé a agi avec une intention coupable et où la défense dont la preuve revient à l'accusé est qu'il n'avait pas une telle intention mais a agi de façon tout à fait innocente, il nous semble contraire aux principes que le jury ou la cour de magistrat soient obligés en vertu de la loi, s'ils ont un doute quant à cette intention coupable, de condamner l'accusé. Pourtant, c'est ce qu'exige la loi. [. . .] Il se peut bien que cette situation ne se produise pas fréquemment et qu'en pratique la poursuite prenne sur elle de prouver tous les éléments de la culpabilité; en effet, dans notre 6e rapport nous avons signalé (en réaction à une proposition de créer une infraction qui imposerait à l'accusé une obligation de convaincre) que "l'expérience des membres du comité en ce qui concerne des dispositions semblables rattachées à des infractions existantes leur indique qu'en pratique, des dispositions de ce genre s'avèrent moins efficaces qu'on l'aurait souhaité lorsqu'on les a adoptées, parce que les jurys hésitent parfois à condamner à moins que la poursuite présente une preuve suffisante pour écarter la défense". Mais même si cela se produit, il ne nous semble pas souhaitable que la possibilité à laquelle nous avons fait allusion continue à exister même de façon purement théorique. Si des dispositions de ce genre n'ont pas d'effet, ou en ont peu, l'argument en faveur du changement n'en est que plus fort.

. . .

(v)Le changement dispenserait le juge d'avoir à donner au jury des directives compliquées concernant la différence entre la preuve hors de tout doute raisonnable, qui incombe à la poursuite, et la preuve par prépondérance des probabilités, qui incombe à l'accusé. Bon nombre de juges ont déclaré qu'ils trouvent difficile, voire impossible de donner au jury des directives satisfaisantes ou même intelligibles sur cette question.

Nous proposons également que la charge de prouver la défense d'aliénation mentale consiste en une obligation de présenter des éléments de preuve. La règle actuelle en vertu de laquelle ce fardeau comporte l'obligation de convaincre constitue, selon nous, une anomalie et prête flanc à la plupart des critiques qu'énonce ce paragraphe à l'endroit des dispositions prévoyant l'obligation légale de convaincre. [. . .] La grande majorité de ceux que nous avons consultés en 1968 étaient en faveur du changement proposé. Certains, toutefois, s'y opposaient, principalement parce que cela dérogerait sans justification à la politique du Parlement dans bon nombre de textes législatifs. Nous ne considérons pas que cet argument doive l'emporter sur les arguments déjà énoncés. [Je souligne.]

Ils soulignent aussi que le fardeau plus léger n'est ni insignifiant ni trivial (aux pp. 87 et 88):

[TRADUCTION] 138. ...

Les mots "une question sérieuse dont il convient de saisir le jury" montrent qu'il ne suffit pas pour la défense de simplement alléguer le fait: il revient à la cour de décider si la question se pose réellement en l'espèce. Par conséquent, lorsque le fardeau en est un de présentation, il n'est pas nécessaire que le juge en fasse mention au jury. S'il décide que la preuve n'est pas suffisante pour mettre la question en litige, il commande à ce dernier de considérer la question comme si elle avait été prouvée contre la défense. S'il décide que la preuve est suffisante pour mettre une question en litige, il donne ses directives au jury de la façon ordinaire et leur dit que la poursuite, en ce qui concerne cette question, doit les convaincre hors de tout doute raisonnable. [Je souligne.]

En somme, le fait d'imposer à l'accusé qui plaide l'aliénation mentale un fardeau plus léger paraît à la fois une règle plus conforme aux principes fondamentaux du droit pénal et un seuil suffisamment élevé pour empêcher que l'on plaide l'aliénation mentale dans des affaires où cette défense est peu justifiée.

L'intimée, pour les motifs dont nous avons déjà traité, n'a pu établir que le par. 16(4) du Code criminel visait une préoccupation urgente et réelle qui existe à l'heure actuelle et, bien que la législature ne soit peut‑être pas tenue d'attendre qu'une telle préoccupation se soulève, je ne crois pas que l'intimée a réussi à établir que cette préoccupation est susceptible de se soulever. J'en conclus donc que la première condition des critères de l'arrêt Oakes n'a pas été remplie. Cependant, dans l'hypothèse où je serais dans l'erreur à cet égard, je me propose d'étudier si le par. 16(4) est conforme à l'exigence de proportionnalité qu'énonce l'arrêt Oakes.

4. L'exigence de proportionnalité

L'exigence de proportionnalité de l'arrêt Oakes comporte trois volets. Je ne conteste pas la conclusion du juge en chef Lamer concernant le premier de ces volets, à savoir que le par. 16(4) présente un lien de connexité rationnel avec l'objectif législatif recherché, que cet objectif soit conçu dans les termes plus étroits qu'il propose ou dans les termes plus larges que j'emploie pour le décrire. Le second volet, qu'on qualifie fréquemment de "critère de l'atteinte minimale" pose une difficulté plus grande.

La question qu'il faut se poser à l'égard de ce volet des critères de l'arrêt Oakes est de savoir si quelqu'autre mesure législative pourrait permettre d'atteindre l'objectif recherché tout en portant "le moins possible atteinte" au droit garanti par la Charte. Le juge en chef Lamer est d'avis que le Parlement n'est pas tenu de chercher et d'adopter "le moyen le moins envahissant, dans l'absolu, en vue d'atteindre son objectif" (p. 000). Il indique qu'il n'accepte pas de "remettre en cause" la sagesse du choix que le Parlement a fait des mesures législatives et cite des décisions récentes de notre Cour pour étayer cette attitude de respect. Selon moi, il ne s'agit pas d'un cas où le respect s'impose. Dans une des affaires sur lesquelles se fonde le Juge en chef, Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, notre Cour a indiqué qu'il pourrait y avoir des exceptions à l'examen rigide demandé par l'arrêt Oakes. Qu'une telle exception soit ou non justifiée, dépend du rôle que jouait le Parlement en adoptant la législation contestée.

Selon mon interprétation de cet aspect de l'arrêt Irwin Toy, on peut faire une exception dans les cas où le législateur cherche à concilier des revendications opposées ou à répartir des ressources limitées, et doit trouver un compromis sur la base de preuves contradictoires. Dans ces cas, il existe un élément important de politique dans les choix des moyens choisis par le législateur et ces choix doivent être respectés même si on ne peut dire qu'ils représentent les "moyens les moins envahissants". À mon avis, l'arrêt Irwin Toy n'affirme pas la proposition selon laquelle, quand il s'agit de soupeser l'objectif gouvernemental et le droit garanti au citoyen, en vertu de l'article premier, différents degrés d'examen peuvent être appliqués selon la nature du droit. La condition préalable à l'exception au critère de l'atteinte minimale selon Oakes est que le droit garanti à divers groupes de citoyens, selon Irwin Toy, ne peut être pleinement respecté. Afin de respecter pleinement le droit d'un groupe il faut nécessairement porter atteinte au droit d'un autre groupe. Dans ce cas, l'arrêt Irwin Toy dit qu'il convient que le gouvernement trouve une solution de compromis sur le fondement de considération de politique.

Dans Irwin Toy, notre Cour a ensuite distingué les cas des "revendications opposées" des cas où ne peut être autorisée aucune exception au critère rigoureux de l'arrêt Oakes. Le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a souscrit au passage suivant des motifs de la majorité (p. 994). Il semble s'appliquer en l'espèce:

Il arrive parfois qu'au lieu d'arbitrer entre des groupes différents, le gouvernement devienne plutôt ce qu'on pourrait appeler l'adversaire singulier de l'individu dont le droit a été violé. Par exemple, pour justifier une atteinte à des droits consacrés par les art. 7 à 14 de la Charte, l'État fera valoir, au nom de toute la société, sa responsabilité de poursuivre les criminels alors que la personne fera valoir le caractère prépondérant des principes de justice fondamentale. Il est possible qu'il n'y ait pas de demandes contradictoires venant de différents groupes. Dans de tels cas, et d'ailleurs chaque fois que l'objet du gouvernement se rapporte au maintien de l'autorité et de l'impartialité du système judiciaire, les tribunaux peuvent décider avec un certain degré de certitude si les [TRADUCTION] "moyens les moins radicaux" ont été choisis pour parvenir à l'objectif compte tenu de la somme d'expérience acquise dans le règlement de ces questions . . . [Je souligne.]

J'ai de nouveau signalé cette distinction dans l'affaire États‑Unis d'Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469, aux pp. 1515 et 1516:

En arrivant à cette conclusion je n'oublie pas les commentaires du juge La Forest portant qu'il faut adopter dans certains cas une interprétation souple du critère de proportionnalité de l'arrêt R. c. Oakes. Cependant, cela ne me semble pas être un de ces cas. C'est une chose que d'être moins strict dans l'examen d'une disposition législative et d'assouplir la façon générale d'aborder l'"ajustement parfait" dans le cas d'autres formes de réglementation commerciale (voir R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, le juge en chef Dickson à la p. 772), et c'est une toute autre chose que de ne pas examiner attentivement un programme législatif qui restreint directement un droit garanti, particulièrement s'il est lié à un aspect du droit criminel. [Je souligne.]

À mon avis, il ne s'agit pas ici d'une situation qui commande que l'on déroge de la norme de contrôle rigoureux qu'énonce l'arrêt Oakes. Au contraire, la question qui fait l'objet du pourvoi semble le cas par excellence où l'État joue le rôle "d'adversaire singulier" d'un droit très fondamental de l'accusé plutôt que "d'arbitre [...] des revendications contraires", aux termes de l'arrêt Irwin Toy. Selon moi, il s'agit ici d'une affaire où il convient d'appliquer une norme plus rigoureuse de contrôle quant à l'aspect "atteinte minimale".

Les appelants soutiennent que l'objectif du gouvernement peut être atteint en n'imposant qu'une charge de présentation à l'accusé et ils invoquent l'expérience américaine pour étayer leur allégation. Je suis d'accord que l'expérience américaine est pertinente tant en ce qui concerne l'atteinte minimale qu'à l'égard de l'existence d'une préoccupation urgente et réelle. En effet de nombreux États prévoient le fardeau plus léger selon lequel le fait pour la défense de mettre en jeu la question de l'aliénation mentale oblige la poursuite à prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé était sain d'esprit: en 1983, 24 États en disposaient ainsi: voir le First Tentative Draft: Criminal Justice Mental Health Standards, op. cit., de l'American Bar Association, à la p. 292. C'est également la règle qui régit tout le droit pénal fédéral aux États‑Unis depuis l'affaire Davis.

Comme nous l'avons déjà signalé, la Cour suprême des États‑Unis a expressément rejeté dans l'affaire Davis l'argument selon lequel l'aliénation mentale était relativement facile à simuler et que "une preuve douteuse d'aliénation mentale ferait déferler sur le pays une vague de criminels acquittés". L'argument du juge Harlan, au nom d'une cour unanime, est peut‑être encore plus fort du fait de l'approfondissement des connaissances en psychologie et en psychiatrie. On prétend parfois qu'il est facile de feindre la maladie mentale mais il semble que cela ne soit pas vrai. À mesure que se développent les connaissances scientifiques et les habilités diagnostiques en matière de maladie mentale et à mesure que ces connaissances sont raffermies par une recherche interdisciplinaire, la maladie est de plus en plus clairement définie. Comme le déclare le professeur Weihofen dans l'ouvrage Mental Disorder as a Criminal Defense (1954), à la p. 46:

[TRADUCTION] De fait, dans la plupart des cas, il serait très difficile pour un imposteur de tromper un psychiatre compétent.

Le simulateur moyen ne se rend pas compte que les diverses formes de maladie mentale ont leurs symptômes caractéristiques et que le fait de manifester un méli‑mélo de symptômes non seulement ne convaincra pas le psychiatre mais dévoilera à ce dernier la simulation.

Il signale, toutefois, qu'il est nécessaire pour déceler la simulation dans des affaires difficiles, de permettre des examens et des observations par des experts impartiaux. Néanmoins, on peut affirmer qu'en règle générale, toutes choses étant égales par ailleurs, qu'à mesure qu'augmente la connaissance scientifique de la maladie mentale, la possibilité de simuler avec succès une défense d'aliénation mentale diminue.

En présumant pour les fins de la discussion que le fardeau de la preuve qui incombe à l'accusé est réduite à la seule obligation de présentation, quel fardeau incombe à la poursuite? Le juge en chef Lamer l'a qualifié, aux pp. 000 et 000 le "fardeau quasi impossible [. . .] de prouver que l'accusé est sain d'esprit, de façon à ce qu'on puisse le trouver coupable". (Je souligne.)

Comme je l'ai déjà dit, je crois que le Juge en chef a exagéré la lourdeur du fardeau qui incomberait à la Couronne en l'absence du par. 16(4). Si l'on considérait le plaidoyer d'aliénation mentale aux termes de l'art. 16 du Code comme une défense, une justification ou une excuse la procédure exposée par le juge en chef Dickson dans l'arrêt R. c. Holmes supra s'appliquerait. Il a déclaré à la p. 935:

Selon le principe fondamental de la common law, l'accusé n'est pas tenu de prouver une défense. Dès qu'un accusé soulève la possibilité de l'existence d'une défense, que ce soit en utilisant certains faits de la preuve à charge ou en présentant une preuve en défense, la poursuite est tenue de réfuter la défense hors de tout doute raisonnable. La common law ne fait pas de distinction dans ce domaine entre les défenses qui contestent l'existence d'un élément nécessaire de l'infraction et celles qui admettent la mens rea et l'actus reus, mais nient la responsabilité criminelle à cause de circonstances qui excusent ou justifient la conduite. [Je souligne.]

En l'absence du par. 16(4) il incomberait toujours à l'accusé de présenter des éléments de preuve pour faire de l'aliénation mentale [TRADUCTION] "une question réelle dont il convient de saisir le jury" (R. v. Gill (1963), 47 Cr. App. R. 166, à la p. 172). Le fardeau incombant alors au ministère public serait de dissiper tout doute qui aurait été suscité dans l'esprit du jury par la présence possible de quelqu'élément d'aliénation mentale, aux termes des par. 16(2) et (3).

Le juge en chef Lamer reconnaît que la défense d'aliénation mentale est rarement invoquée, étant donné la privation de liberté qu'entraîne la réussite de cette défense. Néanmoins, il est d'avis que la défense serait invoquée plus souvent si la norme de preuve était moins rigoureuse, au point de n'imposer à l'accusé qu'une charge de présentation. Rien n'étaye cette hypothèse et l'expérience des États‑Unis semble indiquer un résultat contraire. Cela n'est pas surprenant puisqu'un plaidoyer d'aliénation mentale qui est retenu n'ouvre pas la porte vers la liberté. Il est en réalité un mandat de détention dans une institution spécialisée aux fins de traitement et non une incarcération proprement dite. Le temps moyen de détention sur mandat du lieutenant‑gouverneur est en moyenne de 6 ans et 4 mois: voir Hodgins et autres, op. cit., Tableau 5. De plus, le principe mentionné précédemment selon lequel il vaut mieux déclarer un coupable non coupable pour cause d'aliénation mentale et l'interner pour des traitements psychiatriques que de condamner un aliéné mental pour un crime est pleinement conforme à la fois aux valeurs de la Charte et aux principes les plus fondamentaux de notre système de justice pénale.

Pour ces raisons, je ne suis pas convaincue que le par. 16(4) porte atteinte le moins possible au droit de l'accusé d'être présumé innocent. Je suis plutôt d'avis que les objectifs étatiques seraient tout aussi bien atteints en imposant à l'accusé une charge de preuve qui ne comporte que l'obligation de présentation. L'atteinte à l'al. 11d) de la Charte qui résulte du par. 16(4) n'est par conséquent pas bonifiée par l'article premier.

Bien que le fait d'annuler le par. 16(4) constitue une dérogation importante à notre tradition en droit pénal, je crois que cette dérogation est commandée par l'interprétation large que notre Cour a donnée à l'al. 11d) de la Charte dans l'arrêt Whyte et par l'absence de toute preuve factuelle démontrant que la disposition constitue une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer aux termes de l'article premier.

Il découle, naturellement, de l'analyse plus haut que le principe de common law que reflète le par. 16(4) porte également atteinte à l'al. 11d) et n'est pas sauvé par l'article premier.

Moralement ou légalement mauvais: par. 16(2)

En ce qui concerne la question de savoir si le mot "mauvais" au par. 16(2) du Code doit s'interpréter étroitement au sens de "légalement mauvais" ou de façon plus large au sens de "moralement mauvais", je souscris à l'opinion du Juge en chef que l'interprétation juste de ce terme est "moralement mauvais".

Idées délirantes sur un point particulier: par. 16(3)

En ce qui concerne la question des "idées délirantes sur un point particulier" en vertu du par. 16(3) du Code, bien que je partage l'avis du Juge en chef que dans la plupart des cas les idées délirantes sur un point particulier relèveront maintenant de la seconde condition du par. 16(2), j'hésite à souscrire à son affirmation selon laquelle "il n'y a aucun doute qu'une défense d'aliénation mentale qui réussirait en vertu du par. 16(3) réussirait également en vertu du par. 16(2)" (p. 000). Je ne suis pas certaine qu'il ne pourrait pas y avoir des "idées délirantes sur un point particulier" imputables à des causes autres que la "maladie mentale". Notre Cour, dans l'affaire R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24, a accepté (sans commentaire) la conclusion du juge de première instance que l'idée délirante sur un point particulier qu'avait l'accusé dans cette affaire constituait une "maladie mentale" au sens du par. 16(2). Cet arrêt, cependant, n'appuie pas l'énoncé plus général selon lequel toutes les idées délirantes sur un point particulier sont imputables à une maladie mentale. Puisqu'on ne doit pas conclure trop aisément à la redondance des dispositions légales, notamment celles qui favorisent l'accusé, je préfère ne pas fermer la porte à un accusé qui pourrait invoquer le par. 16(3), alors qu'il ne remplit pas la deuxième condition que prévoit le par. 16(2) pour invoquer la défense d'aliénation mentale.

Fractionnement de la preuve

Je partage l'avis du juge en chef Lamer que l'affaire ne soulève pas la question de la scission de la preuve de la Couronne et que le juge de première instance a régulièrement reçu la preuve présentée pour réfuter la défense d'aliénation mentale.

Dispositif

J'accueillerais le pourvoi et j'ordonnerais un nouveau procès à tenir sous le régime des principes juridiques énoncés plus haut. Je réponds aux questions constitutionnelles formulées par le juge en chef Dickson comme suit:

1. Le paragraphe 16(4) du Code criminel du Canada est‑il incompatible avec l'al. 11(d) de la Charte canadienne des droits et libertés?

Oui.

2. Si la réponse à la première question est affirmative, le par. 16(4) est‑il justifié par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Non.

//Le juge McLachlin//

Version française des motifs des juges L'Heureux‑Dubé et McLachlin rendus par

Le juge McLachlin (dissidente) — La présente affaire soulève des questions fondamentales concernant la présomption que chacun est sain d'esprit selon le Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. Tout d'abord cette présomption contrevient‑elle à la présomption d'innocence énoncée à l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés? Deuxièmement, comment doit‑on interpréter la définition de l'aliénation mentale au par. 16(2) du Code: quand le Code dit "savoir qu'un acte ou une omission est mauvais", s'agit‑il de "mauvais" au sens juridique ou "mauvais" au sens moral? Avec égards, je suis en désaccord avec le juge en chef Lamer et avec le juge Wilson sur chacun de ces points.

Le par. 16(4) du Code est‑il incompatible avec l'al. 11d) de la Charte?

Interprétation de l'art. 16 du Code criminel

La question est de savoir si le par. 16(4) du Code criminel qui prévoit la présomption selon laquelle chacun est sain d'esprit jusqu'à preuve du contraire est invalide parce qu'il viole la présomption d'innocence énoncée à l'al. 11d) de la Charte.

On peut aborder la question de deux manières. La première est de considérer aux fins de l'analyse que la santé mentale se rattache à un élément essentiel d'une infraction criminelle ou à un moyen de défense exonératoire: Colvin, "Exculpatory Defences in Criminal Law" (1990), 10 Oxford J. Legal Stud. 381, à la p. 394. Comme le démontrent les motifs du Juge en chef, cette méthode mène inexorablement à la conclusion que la présomption que chacun est sain d'esprit viole l'al. 11d) de la Charte. Il faut alors se demander si elle est justifiée en vertu de l'article premier de la Charte.

La deuxième façon est de considérer la question de la santé mentale pertinente, non pas à l'égard des éléments essentiels de l'infraction ou de moyens de défense exonératoires, mais comme la condition préalable fondamentale de la responsabilité criminelle. Selon ce point de vue, la question de la santé mentale se rattache non plus à la culpabilité ou à l'innocence, mais à la question plus fondamentale de savoir s'il est équitable d'imputer à l'accusé la responsabilité criminelle de ses actes ou omissions.

Le professeur Alan Mewett a dégagé trois moyens différents d'aborder le problème dans "Insanity, Criminal Law and the Charter" (1989), 31 Crim L.Q. 241. Il dit ceci à la p. 241:

[TRADUCTION] On peut supposer qu'il ne sera pas difficile de maintenir la validité de [la présomption que chacun est sain d'esprit] soit par le recours à l'article premier de la Charte, car il est impossible de prouver la santé mentale, soit par la simple raison que la question de l'aliénation est soulevée par le biais des principes de base en matière de responsabilité criminelle et n'affecte pas l'obligation pour la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable tout ce qui constitue la culpabilité.

Le juge en chef Lamer estime que la présomption du par. 16(4) selon laquelle chacun est sain d'esprit, viole la présomption d'innocence de l'al. 11d) mais que, comme l'indique le professeur Mewett, la disposition est justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. Pour ma part, je préfère l'autre démarche décrite par le professeur Mewett: puisque la question de l'aliénation mentale "est soulevée par le biais des principes de base en matière de responsabilité criminelle", la présomption énoncée au par. 16(4) ne contrevient pas à l'al 11d) de la Charte. À mon avis, cette démarche est celle qui concorde le mieux avec la raison d'être des dispositions sur l'aliénation mentale de notre droit pénal et avec le libellé de l'art. 16 du Code criminel.

La raison d'être

J'aborde en premier la raison d'être des dispositions pénales concernant l'aliénation mentale.

Au c{oe}ur même de notre système pénal on trouve le postulat cardinal selon lequel les êtres humains sont doués de raison et sont autonomes: G. Ferguson, "A Critique of Proposals to Reform the Insanity Defence" (1989), 14 Queen's L.J. 135, à la p. 140. C'est la condition fondamentale de la responsabilité pénale. Les personnes ont la capacité de distinguer par la raison le bien du mal et donc la capacité de choisir entre le bien et le mal. Ferguson poursuit (à la p. 140):

[TRADUCTION] C'est cette double capacité — la raison et le choix — qui constitue la justification morale de l'imputation de la responsabilité criminelle et l'imposition de peines aux contrevenants. Si une personne peut distinguer le bien du mal et si elle a la capacité de choisir entre le bien et le mal, alors l'imputation de la responsabilité et l'imposition de peines sont moralement justifiées et méritées quand la personne choisit consciemment le mal.

L'exigence du caractère moralement blâmable pour l'attribution de la responsabilité et l'imposition de peines remonte aux origines de la pensée juridique et éthique de l'Occident: I. Keilitz et J. P. Fulton, The Insanity Defense and its Alternatives: A Guide for Policymakers (1984), à la p. 5. Aristote, par exemple, pense que la capacité de choisir est au c{oe}ur même de la question de la culpabilité morale: J. M. Quen, "Anglo‑American Concepts of Criminal Responsibility: A Brief History", in S. J. Hucker, C. D. Webster, M. H. Ben‑Aron, éd., Mental Disorder and Criminal Responsibility (1981), 1, à la p. 1. Quand une personne n'a pas la capacité de choisir, parce qu'elle n'est pas capable de savoir que ses actes sont mauvais, la justification morale de l'imputation de responsabilité et de l'imposition de peines disparaît car, comme Ferguson, loc. cit., le fait observer à la p. 140: [TRADUCTION] "Il est immoral de punir ceux qui ne sont pas capables de raisonner ou de choisir entre le bien et le mal".

La longue histoire des dispositions relatives à l'aliénation mentale en droit anglo-canadien montre bien le lien de connexité fondamental entre la capacité de faire un choix rationnel et l'imputation légale de blâme. Expliquant la raison d'être de l'art. 16 actuel du Code criminel, la Commission de réforme du droit du Canada s'est fondée sur le postulat suivant (Document de travail 29: Droit pénal: — Partie générale -- Responsabilité et moyens de défense (1982), à la p. 45):

[L]e moyen de défense fondé sur l'aliénation mentale tire sa source du principe moral fondamental selon lequel l'aliéné n'est pas responsable de ses actes et ne peut, par conséquent, être puni pour les avoir commis.

Le Parlement, par l'art. 16, définit la possibilité d'être puni en termes de capacité de distinguer entre le bien et le mal plutôt qu'en termes d'affaiblissement de la volonté (voir Ferguson, loc. cit., à la p. 143).

Telles sont donc les assises historiques et philosophiques de l'idée que l'aliéné mental ne devrait pas être tenu criminellement responsable de ses actes ou de ses omissions comme le serait la personne saine d'esprit. Elles traduisent la conviction fondamentale que la responsabilité criminelle n'est appropriée que lorsque l'agent est une personne douée de discernement moral, capable de choisir entre le bien et le mal. Telle est donc la condition préalable et fondamentale de l'imputation de la responsabilité pénale.

Le fait que la santé mentale soit une condition préalable et fondamentale de la responsabilité pénale n'est pas contredit par le fait que l'aliénation mentale puisse aussi être jugée pertinente lorsqu'il faut décider si les éléments essentiels de l'infraction criminelle ont été établis ou s'il existe un moyen de défense exonératoire. Comme le fait observer le juge en chef Lamer, on peut considérer que l'aliénation mentale nie la mens rea de l'infraction ou la présence d'un acte volontaire et conscient exigé pour l'actus reus de l'infraction: voir par exemple, Rabey c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 513. De même l'aliénation mentale peut être pertinente à l'égard d'un moyen de défense exonératoire de la nature d'une excuse ou d'une justification, telles la provocation ou la légitime défense. Mais le fait que l'aliénation mentale puisse être pertinente à l'égard des éléments d'une infraction criminelle ou des moyens de défense ne signifie pas qu'elle doive être considérée comme pertinente à leur égard seulement ou que l'art. 16 du Code criminel soit axé sur eux. Le fait que l'aliénation mentale pourrait être pertinente à ces questions n'élimine pas l'idée acceptée depuis l'époque d'Aristote que la question de la culpabilité ou de l'innocence ne se pose que lorsque l'agent est sain d'esprit, responsable et capable de discerner le bien et le mal.

Ce point est souligné par Mewett et Manning, Criminal Law (2e éd. 1985) qui mettent spécifiquement en garde contre l'examen des dispositions pénales du Code criminel relatives à l'aliénation mentale uniquement en fonction des éléments essentiels d'une infraction ou de moyens de défense exonératoires (aux pp. 254 et 255):

[TRADUCTION] Un problème surgit quand on tente de confiner l'aliénation mentale aux limites restreintes de l'actus reus et de la mens rea. Si l'aliénation mentale peut neutraliser l'actus reus ou la mens rea, ce fait est purement accessoire, nous dit-on, au principe selon lequel, en résumé, une personne remplissant les conditions de l'art. 16 a droit à l'acquittement, que soient ou non touchés l'actus reus et la mens rea.

Le libellé de l'art. 16

Ayant établi que la justification des dispositions pénales en matière d'aliénation mentale tient à l'idée générale selon laquelle seules les personnes capables de discerner le bien et le mal peuvent être criminellement responsables, j'en viens à l'art. 16 du Code lui‑même. À mon avis, le libellé et l'économie de l'art. 16 confirment qu'il faut l'interpréter en corrélation avec cette condition préalable et fondamentale à l'imputation de la responsabilité criminelle plutôt qu'en corrélation avec les éléments d'une infraction ou des moyens de défense précis.

Il ressort clairement des termes du Code que l'art. 16 vise uniquement la capacité d'être tenu criminellement responsable. Le paragraphe 16(2) prévoit qu'une personne est aliénée lorsque, en raison d'une maladie mentale elle est incapable de juger la nature ou la qualité d'un acte ou d'une omission, ou de savoir qu'un acte ou une omission est mauvais. Comme le soulignent Mewett et Manning (à la p. 234) il ne faut pas se demander ce que l'accusé a réellement jugé, mais plutôt quelle était sa capacité de juger.

[TRADUCTION] [E]n matière d'aliénation mentale, la question déterminante est la capacité de l'accusé — il ne s'agit pas de ce qu'il a réellement jugé et il ne s'agit donc pas de la mens rea réelle ni de l'actus reus réel. L'aliénation mentale est une défense parce qu'elle affecte la capacité de l'accusé.

Par contre, l'aliénation mentale en ce qu'elle se rapporte aux éléments essentiels d'une infraction ou aux défenses opposables concerne non pas la capacité mais l'état d'esprit réel de l'accusé. Une analyse axée sur l'idée que, d'une manière ou d'une autre, l'aliénation mentale neutralise un élément essentiel de l'infraction ou fournit une défense ne tient pas compte du fonctionnement approprié des dispositions de l'art. 16 du Code sur l'aliénation mentale. Elle confond en effet la question de la capacité d'être tenu criminellement responsable et la question très différente de ce que l'accusé a réellement jugé.

Il est vrai bien sûr qu'un accusé qui n'a pas la capacité de juger une chose ne peut l'avoir jugée; le fait est toutefois que l'examen de l'aliénation mentale ne porte jamais plus loin que la capacité pour englober la mens rea réelle ou l'actus reus réel. À toutes fins pratiques, quand se pose la question de l'aliénation mentale au procès, il existe une preuve objective à partir de laquelle, indépendamment de l'aliénation mentale invoquée en vertu de l'art. 16 du Code, le juge des faits est justifié d'inférer l'existence des éléments essentiels de l'infraction, l'actus reus et la mens rea. La défense d'aliénation mentale fait échec toutefois au processus traditionnel d'inférence puisqu'une personne incapable de faire un choix selon la définition de l'art. 16 du Code criminel n'est pas moralement coupable. Vu l'absence de capacité, la question de l'actus reus et de la mens rea ne se pose jamais.

La capacité de choisir est une condition préalable et fondamentale à l'attribution de la responsabilité et des peines criminelles. Une application des dispositions sur l'aliénation mentale qui serait limitée aux cas où une maladie mentale au sens de l'art. 16 neutralise la mens rea ne serait pas conforme avec ce principe; en outre, et, cela vaut d'être souligné, ce n'est pas ce que dit l'art. 16 du Code. Une personne peut être jugée aliénée au sens de l'art. 16 même lorsque la mens rea, au sens strict, peut être inférée. Comme Ferguson, loc. cit., l'explique, toute autre démarche serait dénuée de justification morale (à la p. 140):

[TRADUCTION] L'aliéné mental, et, en particulier, le psychotique qui a des idées délirantes, peut avoir la mens rea au sens strict du terme, comme par exemple l'intention de tuer, mais c'est une mens rea concoctée par un esprit irrationnel. Chez l'aliéné mental les contrôles normaux, les croyances et la perception de la réalité qui influent sur le citoyen bien pensant sont soit absents soit affaiblis. La capacité de raisonner ou de choisir est affaiblie même si la mens rea au sens étroit existe.

La même logique s'applique aux défenses exonératoires concernant les éléments de mens rea et d'actus reus. Un moyen de défense peut se définir comme [TRADUCTION] "toute allégation qui, si elle est acceptée, entraîne nécessairement l'acquittement": Colvin, Principles of Criminal Law (1986), à la p. 163. Cependant l'acceptation d'une prétention d'aliénation mentale n'entraîne pas un acquittement sans réserve. Le professeur Colvin, dans "Exculpatory Defences in Criminal Law", loc. cit., souligne le point suivant (à la p. 392):

[TRADUCTION] Quand l'aliénation mentale fournit une défense exonératoire, l'agent n'en demeure pas moins sous le coup du droit criminel. Les règles en matière d'aliénation mentale définissent des états mentaux particuliers qui font qu'on ne peut s'attendre que les personnes atteintes puissent faire en sorte que leur conduite soit conforme aux exigences de la loi. L'agent est acquitté de façon formelle parce que le désordre mental rend inadéquates les sanctions pénales ordinaires. D'autres mesures coercitives peuvent cependant être prises en raison du danger potentiel que comporte cet état mental. [Je souligne.]

Un régime qui dégage une personne de sanctions pénales traditionnelles pour y substituer d'autres mesures coercitives, comme le fait le Code criminel quand on constate qu'une personne accusée d'un acte criminel est aliénée, ne traite pas l'aliénation mentale comme une vraie défense exonératoire. Comme le dit le professeur Richard Mahoney dans "The presumption of Innocence: A New Era" (1988), 67 R. de B. can. 1, à la p. 14, une véritable défense comporte implicitement l'idée que:

[TRADUCTION] . . . un accusé qui invoque un vrai moyen de défense est tout aussi "innocent" qu'un accusé dont on n'a pas démontré qu'il a commis tous les éléments essentiels du crime dont il est accusé.

Si l'aliénation mentale était une véritable défense en vertu de l'art. 16 du Code, on pourrait s'attendre à ce que la constatation de l'aliénation mentale au sens de l'art. 16 du Code ait le même résultat, du point de vue de l'accusé, que la conclusion selon laquelle il n'a pas été démontré que l'accusé a commis les éléments essentiels de l'infraction. Bien sûr, ce n'est pas le cas: un accusé jugé aliéné mental selon l'art. 16 du Code est détenu aux fins de traitement en vertu d'un mandat du lieutenant‑gouverneur. Un tel verdict comporte la décision implicite que si l'accusé ne peut être tenu moralement coupable à l'égard de sa conduite, il ne bénéficie pas d'un acquittement complet comme y aurait droit une personne dont on n'a pas démontré qu'elle a commis les éléments essentiels de l'infraction ou qui invoque un véritable moyen de défense.

Je n'attache pas trop d'importance au libellé du verdict spécial — "acquitté pour cause d'aliénation mentale" — qu'impose l'art. 614 du Code criminel à l'égard de personnes accusées d'un acte criminel et jugées atteintes d'aliénation mentale au sens de l'art. 16 du Code. Pour revenir au passage précité du texte du professeur Colvin, bien que l'aliéné soit "acquitté de façon formelle", "d'autres mesures coercitives" sont imposées — en l'occurrence la détention de durée indéterminée en vertu d'un mandat du lieutenant‑gouverneur. Assimiler l'acquittement pour cause d'aliénation mentale à l'acquittement "pour cause d'innocence" (je veux dire par là l'absence des éléments essentiels de l'infraction ou la présence d'un moyen de défense exonératoire) revient à nier les conséquences très différentes qui résultent de ces deux verdicts et, en vérité, à faire triompher la forme sur le fond.

La conclusion que l'aliénation mentale ne peut être considérée comme une défense au vrai sens du terme est étayée par le fait que le ministère public peut apporter la preuve de l'aliénation mentale, même si l'accusé a nié cette prétention et sous réserve du pouvoir discrétionnaire qu'a le juge du procès d'exclure la preuve de l'aliénation mentale quand les intérêts de la justice l'exigent: R. v. Simpson (1977), 35 C.C.C. (2d) 337 (C.A. Ont.); R. v. Saxell (1980), 59 C.C.C. (2d) 176 (C.A. Ont.). Ce principe traduit l'opinion que l'aliénation mentale n'est pas une défense en soi mais que, par contre, la santé mentale est une condition nécessaire à l'imputation de la responsabilité criminelle et à l'imposition de peines; il faut que l'accusé soit sain d'esprit avant que l'examen des éléments essentiels de l'infraction ou des défenses exonératoires puisse avoir une pertinence quelconque.

L'endroit où se trouvent placées dans le Code criminel les dispositions relatives à l'aliénation mentale appuie aussi l'idée que le Parlement les considérait comme définissant les conditions préalables et fondamentales de la responsabilité pénale plutôt qu'en termes d'éléments précis des infractions criminelles ou de moyens de défense pertinents. L'article 16 est près du début du Code. On peut logiquement le rattacher à l'art. 13 du Code qui dit que "Nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction à l'égard d'un acte ou d'une omission de sa part lorsqu'il était âgé de moins de douze ans". Dans l'un et l'autre cas, il s'agit de décider s'il est juste ou équitable de tenir criminellement responsable la personne en cause. Dans ni l'un ni l'autre de ces cas, les éléments de l'infraction ou les moyens de défense possibles n'entrent en jeu.

Enfin, si l'aliénation mentale n'intéressait que les éléments essentiels d'une infraction ou des moyens de défense pertinents, l'art. 16 serait inutile. Il suffirait de dire qu'il s'agit d'une question de preuve à considérer pour décider si le ministère public a démontré, comme cela lui incombe, la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable.

Cela m'amène donc à la conclusion suivante. Concevoir les dispositions du Code criminel relatives à l'aliénation mentale de façon restrictive, c'est‑à‑dire en termes d'éléments essentiels des infractions criminelles ou de défenses exonératoires, c'est faire totalement abstraction des origines historiques et philosophiques du principe fondamental selon lequel la santé mentale est une condition nécessaire de la responsabilité criminelle. Une telle conception fait violence au libellé de l'art. 16 du Code qui parle de capacité de responsabilité criminelle plutôt que d'états d'esprit réels. Elle est en conflit avec le fait que le ministère public peut soulever la question de l'aliénation mentale selon l'art. 16 dans des circonstances où n'entrent en jeu ni les éléments d'une infraction ni des moyens de défense pertinents. De plus, elle confond le véritable acquittement qui résulte de l'absence d'un élément essentiel d'une infraction ou de la présence d'un moyen de défense avec l'acquittement formel accompagné de mesures coercitives de rechange dans les cas où le trouble mental ne permet pas l'imposition d'une véritable responsabilité criminelle. Au lieu de s'efforcer de limiter les dispositions relatives à l'aliénation mentale au double carcan des "éléments" et des "défenses exonératoires", je préfère penser, pour ma part, que l'art. 16 renvoie à un principe plus fondamental de notre système de droit pénal, c'est‑à‑dire l'idée que l'imputation de la responsabilité criminelle et l'imposition de peines n'est moralement et juridiquement justifiable que dans les cas de personnes qui ont la capacité de raisonner et donc de choisir entre le bien et le mal.

L'article 16 du Code et de la Charte

Il faut se demander ensuite si la présomption que chacun est sain d'esprit, lorsqu'elle est considérée comme la condition préalable et fondamentale de la responsabilité pénale, viole la présomption d'innocence consacrée par l'al. 11d) de la Charte. Il faut répondre par la négative à cette question. La présomption d'innocence prévue à l'al. 11d) de la Charte est simplement un autre moyen d'exprimer le principe selon lequel le ministère public doit prouver la culpabilité de l'accusé au delà de tout doute raisonnable. Puisque tel est le but de la présomption d'innocence, la présomption que chacun est sain d'esprit ne peut être contraire à l'al. 11d) car, comme le professeur Mewett le fait observer dans l'extrait précité, la question de l'aliénation mentale "n'affecte pas l'obligation pour la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable tout ce qui constitue la culpabilité" (p. 241). La présomption que chacun est sain d'esprit, selon le par. 16(4) du Code, dégage simplement le ministère public de l'obligation d'établir que l'accusé a la capacité de faire un choix rationnel qui justifie moralement l'imputation de la responsabilité criminelle et l'imposition de peines. Le ministère public doit encore prouver la culpabilité de l'accusé — c'est‑à‑dire l'actus reus, la mens rea et l'absence de défenses exonératoires invoquées dans la preuve — hors de tout doute raisonnable.

Je conclus donc que du point de vue de la logique, la présomption que chacun est sain d'esprit ne viole pas l'al. 11d), mais comme l'al. 11d) traduit les principes de justice fondamentale qui sont à la base de la procédure criminelle et dont parle de façon plus générale l'art. 7, il n'est peut-être pas déplacé de se demander si ce résultat créera en fait une injustice. À mon avis, un tel examen peut être une vérification utile quand on considère la portée des principes de justice et il n'est pas limité à l'article premier.

Je conclus que la présomption que chacun est sain d'esprit, considérée comme je le propose ne viole pas la notion fondamentale de l'équité des procédures qui sous‑tend les garanties procédurales de la Charte, dont l'al. 11d). Le droit pénal — depuis des temps immémoriaux — a présumé que chaque personne est saine d'esprit et responsable. Cette présomption exprime le respect du droit envers la dignité de tous les êtres humains et permet d'éviter les difficultés pratiques associées à l'obligation imposée au ministère public de prouver dans chaque cas que l'accusé était assez sain d'esprit pour justifier l'imputation de la responsabilité criminelle. La démarche équitable et pratique consiste à présumer la santé mentale et la responsabilité sous réserve de certaines exceptions — comme pour les mineurs — et sous réserve du droit de l'accusé de réfuter la présomption en invoquant l'aliénation mentale. Vues de cette façon, les dispositions du Code criminel relatives à l'aliénation mentale, loin de violer un principe de justice fondamentale, expriment les préceptes fondamentaux de notre système juridique et de la Charte.

Rien ne permet de penser que le système actuel aboutit à une injustice. Ainsi le système actuel dans notre pays semble bien fonctionner. En fait, le débat entre le juge en chef Lamer et le juge Wilson ne concerne pas la question de savoir si le droit actuel crée une injustice d'ordre pratique à laquelle il faut remédier, mais si changer le système pourrait créer une injustice.

La réalité, telle qu'elle ressort de l'expérience canadienne, est que les accusés semblent n'avoir aucune difficulté à établir l'aliénation mentale, selon la prépondérance des probabilités, lorsqu'elle est présente. Le diagnostic puisqu'il dépend de l'état d'esprit de l'accusé, est clairement sous le contrôle de l'accusé. Rien n'indique non plus que les accusés ne sont pas en mesure d'obtenir l'aide d'experts dont ils peuvent avoir besoin pour faire la preuve nécessaire du plaidoyer. Ces caractéristiques permettent de faire une distinction entre la présomption que chacun est sain d'esprit et le préjudice que représenterait l'obligation pour l'accusé de prouver que les éléments d'une infraction ne sont pas présents, contrairement à la présomption d'innocence. L'obligation pour l'accusé de prouver que les éléments de l'infraction ne sont pas présents a été considérée depuis longtemps et universellement dans notre système de droit comme présentant un grave danger d'injustice; malgré le débat actuel, on ne peut dire la même chose de la présomption que chacun est sain d'esprit.

Ramenée à l'essentiel, la question posée en l'espèce est celle‑ci: la présomption d'innocence, un précepte fondamental du droit pénal, devrait‑elle être élargie pour écarter le principe tout aussi fondamental du droit pénal selon lequel l'accusé est présumé sain d'esprit aux fins de déterminer s'il peut être jugé capable de responsabilité criminelle? S'il était démontré que la présomption que chacun est sain d'esprit, une présomption consacrée depuis longtemps, donnait lieu aux mêmes préoccupations que celles auxquelles répond la présomption d'innocence ou donnait lieu à une injustice en imposant un fardeau indu à l'accusé, ou pourrait soutenir alors que la présomption d'innocence devrait être élargie. Mais les difficultés ne sont pas les mêmes et aucune injustice n'a été démontrée. Puisque ces considérations sont absentes, notre Cour ne devrait pas, sous l'autorité de la Charte, réécrire le droit criminel qui existe depuis des siècles, pour abroger la présomption que chacun est sain d'esprit.

Il reste à se demander si la jurisprudence antérieure de notre Cour s'oppose à l'opinion que j'avance. À mon avis, elle ne s'y oppose pas. Dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, notre Cour a jugé qu'il était contraire à la présomption d'innocence prévue à l'al. 11d) de la Charte d'obliger l'accusé à réfuter un élément essentiel d'une infraction. Dans R. c. Whyte, [1988] 2 R.C.S. 3, le juge en chef Dickson, au nom de la Cour, laisse entendre qu'une violation peut être établie quand l'accusé est tenu de réfuter un élément essentiel ou de prouver un "facteur accessoire, [une] excuse ou [un] moyen de défense" (p. 18). Quoique l'arrêt Whyte se limite aux moyens de défense (ce que n'est pas la présomption que chacun est sain d'esprit), il n'est pas déplacé de prendre en considération l'allusion faite en opinion incidente au "facteur accessoire".

Peut‑on considérer la présomption que chacun est sain d'esprit comme un "facteur accessoire" au sens de l'arrêt Whyte? Je ne crois pas. Dans l'arrêt Whyte, notre Cour traitait des conditions préalables et fondamentales à l'imputation de la responsabilité criminelle. Le précepte de base selon lequel la culpabilité morale dépend de l'existence de la capacité de choisir se situe totalement à l'extérieur de ce qu'entendait viser l'arrêt Whyte. La santé mentale n'est pas un simple "facteur accessoire" qu'il faut établir pour déclarer coupable; il s'agit plutôt d'une condition nécessaire à toute imputation de responsabilité criminelle ou imposition de peines.

Je conclus donc que les décisions de notre Cour concernant l'al. 11d) de la Charte sont compatibles avec la conclusion que le par. 16(4) du Code criminel ne viole pas la présomption d'innocence consacrée à l'al. 11d) de la Charte.

Compte tenu de ces conclusions, je n'ai pas besoin d'examiner l'application de l'article premier de la Charte.

Le sens du terme "mauvais" du par. 16(2) du Code

Le paragraphe 16(2) du Code criminel définit l'aliénation mentale. Il comporte deux exigences. La première est la présence d'une "maladie mentale". La seconde est que l'intéressé soit atteint par cette maladie à un point qui le rende incapable soit a) de juger la nature ou la qualité d'un acte ou d'une omission, soit b) de savoir qu'un acte ou une omission est mauvais.

C'est l'interprétation du deuxième volet de la deuxième exigence qui est débattue en l'espèce. Suivant des décisions moins récentes de notre Cour (notamment Schwartz c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 673), le juge du procès a dit dans ses directives au jury que cette exigence était remplie si les appelants étaient capables de savoir que leur acte était légalement mauvais. Le fait que les appelants n'aient peut‑être pas été capables de juger que leur acte était moralement mauvais ou moralement répréhensible, c'est‑à‑dire qu'ils aient pu penser qu'il était moralement justifié même s'il était illégal, était sans pertinence.

Le juge en chef Lamer a accepté de reconsidérer, à l'invitation des appelants, la conclusion antérieure de notre Cour selon laquelle suffisait la capacité de savoir que l'acte ou l'omission était légalement mauvais. À son avis, un accusé capable de savoir qu'un acte ou une omission est légalement mauvais n'est pas assujetti au processus criminel si la maladie mentale l'a rendu incapable de savoir si l'acte ou l'omission était moralement mauvais. Pour ma part, je pense qu'il importe peu que la capacité de savoir se rattache au caractère juridiquement ou moralement mauvais, car ce qui est requis c'est uniquement la capacité de l'accusé de savoir que l'acte commis était "mauvais" dans un sens ou dans un autre. Si l'accusé avait cette capacité, il n'est alors ni injuste ni inéquitable de lui imputer une responsabilité criminelle et d'imposer des sanctions pénales.

Ce point de vue est étayé à mon avis par: a) le libellé clair du par. 16(2); b) l'historique des dispositions relatives à l'aliénation mentale; c) l'objet et la théorie sous‑tendant ces dispositions; d) les problèmes pratiques tenant à la difficulté qu'il y a à déterminer ce qui est "moralement mauvais". Je vais examiner chacun de ces arguments.

Le libellé du par. 16(2)

Je traiterai en premier du libellé du par. 16(2) du Code criminel. Le mot "mauvais" y est utilisé sans qualificatif. Si le Parlement avait voulu parler d'un mal particulier, on peut penser qu'il l'aurait dit. Savoir qu'un acte est mauvais, c'est savoir qu'on ne devrait pas le commettre. La raison pour laquelle on ne devrait pas commettre l'acte est une question accessoire et distincte — une question que ne soulève pas la simple lecture du par. 16(2). Pour nier la condition préalable à la responsabilité criminelle tenant à la santé mentale il suffit en effet que la maladie mentale ait rendu l'accusé incapable de savoir qu'il n'aurait pas dû commettre l'acte ou omettre de faire ce qu'il devait faire.

Telle est l'opinion du professeur Mewett dans "Section 16 and 'Wrong'" (1976), 18 Crim. L.Q. 413. Voici ce qu'il dit à la p. 416:

[TRADUCTION] À mon avis, la question n'est pas de savoir si l'accusé pensait que l'acte était moralement ou légalement mauvais mais s'il était incapable de savoir qu'il ne devrait pas commettre l'acte. [Je souligne.]

L'historique des dispositions relatives à l'aliénation mentale

L'historique des dispositions canadiennes relatives à l'aliénation mentale appuie la conclusion selon laquelle "mauvais" au par. 16(2) signifie simplement "ne devrait pas être fait ou omis". Le paragraphe 16(2) tire ses origines de l'affaire M'Naghten's (1843), 10 Cl. & Fin. 200, 8 E.R. 718. Son libellé s'inspire des propos tenus par le lord juge en chef Tindal, à la p. 722:

[TRADUCTION] . . . pour faire valoir l'aliénation mentale comme moyen de défense, il faut prouver clairement qu'au moment où l'acte a été commis, l'accusé souffrait d'une imperfection de la raison, due à une maladie mentale telle qu'il ignorait la nature et la qualité de l'acte par lui commis, ou s'il les connaissait, telle qu'il ignorait que ce qu'il faisait était mauvais. [Je souligne.]

Le lord juge en chef Tindal explique ensuite ce qu'il entend par "mauvais" (à la p. 723).

[TRADUCTION] Si l'accusé avait conscience que l'acte était une chose qu'il ne devait pas accomplir, et si cet acte était en même temps contraire à la loi du pays, il est justiciable d'une peine... [Je souligne.]

Il est à peine surprenant que le professeur Colvin semble penser que la formulation initiale de la règle M'Naghten n'appuie ni la norme du "légalement mauvais" ni la norme du "moralement mauvais": Principles of Criminal Law, op. cit., à la p. 252.

C'est l'interprétation que les tribunaux ont donné à l'arrêt M'Naghten par la suite. Ainsi dans l'arrêt R. v. Codere (1916), 12 Cr. App. R. 21, le lord juge en chef Reading a déclaré (aux pp. 27 et 28):

[TRADUCTION] C'est là le critère reconnu et, si on l'applique en l'espèce, il ne peut subsister aucun doute; une fois établi que l'appelant savait que l'acte était mauvais en droit, il accomplissait un acte qu'il savait interdit, et, comme cet acte était contraire à la loi, il était punissable en droit . . .

La difficulté provient sans doute des mots "avait conscience que l'acte était une chose qu'il ne devait pas accomplir", mais, si l'on examine toutes les réponses données dans l'arrêt M'Naghten, il semble que si l'acte est punissable en droit, c'est un acte que l'accusé n'aurait pas dû accomplir... [Je souligne.]

Ces propos interdisent de douter que l'essentiel est que l'accusé sache qu'il ne devrait pas commettre l'acte en cause. Cette condition est remplie si l'accusé sait que l'acte est légalement mauvais.

Plus d'un siècle après l'arrêt M'Naghten, dans l'affaire R. c. Windle, [1952] 2 Q.B. 826 (C.C.A.), le lord juge en chef Goddard a décidé que "mauvais" devrait signifier seulement illégal. À toutes fins pratiques, il ne faisait que répéter ce que le lord juge en chef Reading avait dit dans Codere. Il faut donc déterminer si l'accusé était capable de savoir qu'il ne devrait pas commettre l'acte, et le fait de savoir que l'acte est légalement mauvais suffit pour satisfaire à ce critère et rend inutile tout autre examen de la conscience morale. (Il se peut que le lord juge en chef Goddard soit allé trop loin lorsqu'il a dit que seul le fait de savoir que l'acte est illégal a une pertinence quelconque. On peut imaginer le cas, même s'il doit être rare, où un accusé est incapable de juger qu'un acte est illégal, mais capable de juger qu'il est moralement répréhensible. Dans un tel cas, on pourrait soutenir que l'accusé devrait être tenu criminellement responsable selon le critère M'Naghten du "aurait dû savoir".)

Les débats sur la raison pour laquelle une personne est incapable de savoir ce qu'elle ne devrait pas faire remontent à l'arrêt Windle et au rejet de cette approche par la Haute Cour d'Australie dans l'arrêt Stapleton v. The Queen (1952), 86 C.L.R. 358. On trouve cette discussion dans les motifs dissidents de l'arrêt Schwartz de notre Cour. À ce stade de l'analyse, je souhaite souligner que ce débat est relativement récent et que, pendant l'essentiel de la période pendant laquelle la règle M'Naghten s'est appliquée, la seule question était de savoir si l'accusé était capable de savoir qu'il ne devrait pas commettre l'acte en cause, pour quelque raison que ce soit.

L'objet et la théorie sous‑tendant les dispositions relatives à l'aliénation mentale

J'aborde maintenant l'objet et la théorie sous‑tendant les dispositions relatives à l'aliénation mentale. À mon avis, ils appuient aussi l'opinion selon laquelle le terme "mauvais" au par. 16(2) du Code signifie simplement "ce qu'on ne devrait pas faire". Le raisonnement qui a donné naissance à ces dispositions, comme je le dis plus haut dans les présents motifs, veut qu'il soit injuste et inéquitable de tenir criminellement responsable une personne qui n'est pas capable de faire consciemment un choix entre le bien et le mal. Les sanctions pénales ne sont appropriées qu'à l'égard des personnes capables de distinguer par la raison le mal du bien et de déterminer ce qu'elles devraient ou ne devraient pas faire. Une personne peut conclure qu'elle ne devrait pas commettre un acte pour des raisons variées. L'une peut être que l'acte est illégal. Une autre peut être que l'acte est immoral. Les raisons pour lesquelles on conclut qu'on ne devrait pas faire quelque chose sont accessoires à la raison d'être des dispositions relatives à l'aliénation mentale — la déclaration de culpabilité criminelle n'est appropriée que lorsque la personne en cause est capable de comprendre qu'elle ne devrait pas commettre l'acte visé.

Une explication plus large et qui s'applique au droit pénal en général appuie aussi ce point de vue. Quoique d'autres facteurs puissent jouer, il existe deux mécanismes principaux qui permettent de maintenir la conduite des gens à l'intérieur de paramètres juridiques adéquats: (1) le sens moral et (2) le désir de respecter la loi. Dans la plupart des cas, loi et moralité concordent mais elles peuvent diverger dans des cas exceptionnels. Quand la moralité fait défaut, l'obligation légale ne doit pas pour autant disparaître. Le permettre serait ouvrir la porte aux arguments que l'absence de discernement moral devrait soustraire une personne à la sanction du droit criminel et éliminer ainsi un des facteurs de dissuasion des conduites inappropriées ou destructrices. On ne peut faire cela à la légère. Le fait qu'on ne pourrait pas prendre en compte ces arguments sans établir la "maladie mentale" n'aide pas à résoudre le problème puisqu'il est difficile de définir ou de diagnostiquer la "maladie mentale". Des recherches récentes permettent de penser que la vaste majorité des psychiatres et psychologues légistes, y compris ceux qui ont témoigné sur la question de l'aliénation mentale dans un grand nombre d'affaires, ne comprennent pas pleinement le critère juridique sur lequel ils expriment leurs opinions: R. Rogers et R. E. Turner, "Understanding of Insanity: A National Survey of Forensic Psychiatrists and Psychologists" (1987), 7 Health L. Can. 71. Voir aussi J. Ziskin et D. Faust, Coping with Psychiatric and Psychological Testimony (4e éd. 1988), vol. 1, aux pp. 389 à 408.

Conclure que l'absence de discernement moral due à la maladie mentale devrait exonérer la personne qui sait que légalement elle ne devrait pas commettre un certain acte introduirait en outre une rupture de parallélisme en droit pénal; en règle générale, l'absence de jugement moral n'est pas une excuse pour la conduite criminelle. Quand les mécanismes moraux ne fonctionnent plus chez un individu sain d'esprit, nous ne traitons pas cela comme une excuse à la désobéissance au droit; par exemple, dans le cas d'un psychopathe. La raison en est que l'individu connaît ou est censé connaître la loi, et le fait que ses principes moraux ne sont pas conformes à ceux de la société n'est pas une excuse. Alors pour quelle raison le mauvais fonctionnement des mécanismes moraux dû à la maladie mentale devrait‑il exonérer un individu de toute responsabilité criminelle alors qu'il savait ou était capable de savoir que l'acte commis était illégal et donc de ceux qu'il "n'aurait pas dû commettre"? Pourquoi la défaillance du jugement moral due à la maladie mentale aurait‑elle des conséquences différentes de la défaillance du jugement moral résultant par exemple d'une éducation pauvre en matière de moralité? Je ne vois aucune raison d'appliquer des principes juridiques différents dans les deux cas.

La difficulté de déterminer ce qui est moralement mauvais

J'aborde finalement les difficultés pratiques qu'il y aurait à permettre aux personnes qui savent qu'elles ne devraient pas commettre un acte donné pour des raisons juridiques d'échapper à la responsabilité criminelle parce qu'elles étaient incapables de se rendre compte de ce que l'acte était immoral. Comme le fait observer Colvin, Principles of Criminal Law, op. cit., à la p. 253, [TRADUCTION] "il n'existe pas de système d'énoncés en matière de moralité faisant autorité qui soit équivalent à celui de la loi".

Dans Mental Disorder and the Criminal Trial Process (1978), Marc Schiffer développe cette idée (à la p. 134):

[TRADUCTION] Nous pensons que s'il fallait juger ce qui est mauvais selon les normes morales de la société (comme le propose la minorité dans Schwartz), le critère du bien et du mal perdrait virtuellement tout son sens. Dans le cas de certains crimes (par exemple, l'avortement) même la personne la plus lucide aurait de la difficulté à déterminer l'opinion de la société sans procéder à des sondages. Dans le cas d'autres crimes (par exemple, le viol), même la personne la plus psychotique pourrait savoir qu'ils sont moralement condamnés par la société.

Quoique l'avortement ne soit plus l'objet de sanctions criminelles, il n'est pas difficile d'envisager d'autres actes proscrits par le droit pénal (par exemple, l'euthanasie) où ce qui est répréhensible aux yeux de la société ne coïncide pas nécessairement avec ce qui est condamnable en droit.

Le problème que suscite un critère de responsabilité criminelle fondé sur la capacité de juger le caractère moralement mauvais, quand l'incapacité est causée par la maladie mentale, tient à la détermination de ce que sera le jugement moral de la société dans chaque cas. Quel sera le résultat dans les cas où un accusé affirme être incapable de savoir que son acte illégal était moralement mauvais et où, objectivement, l'acte est de ceux dont le caractère moralement mauvais peut être contesté? Un tribunal n'est certainement pas en mesure de rendre des décisions sur des questions de moralité et il n'est pas équitable de demander à un jury de s'entendre sur ce qui est moralement bon ou moralement mauvais. La perspective d'une plus grande certitude et la possibilité d'éviter des arguments métaphysiques sur le bien et le mal sont les avantages principaux du maintien du critère traditionnel de l'arrêt M'Naghten pour la responsabilité pénale dans le cas de la maladie mentale -- la question étant alors de savoir si l'accusé, pour quelque raison que ce soit, était capable de juger que son acte était mauvais.

On ne peut surestimer l'importance de la certitude en droit criminel. Si le droit criminel doit avoir l'effet de dissuasion requis et s'il doit être considéré comme s'appliquant de façon juste et équitable à tous, il devrait indiquer de façon assez claire les cas où la responsabilité sera imputée et les cas où elle ne le sera pas. La responsabilité pénale d'une personne ne devrait pas dépendre de la question de savoir si un acte serait perçu en règle générale comme immoral.

Résumé

Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que "mauvais" au par. 16(2) du Code devrait être interprété simplement au sens de ce qu'on ne devrait pas faire, pour une raison quelconque, juridique ou morale. En pratique, dans la plupart des cas, l'effet sera que, lorsqu'un accusé est capable de savoir que son acte est illégal, il sera tenu responsable en droit criminel indépendamment de ce qu'ait pu être son jugement moral à ce sujet. En définitive, j'adopte la conclusion du professeur Mewett, "Section 16 and "Wrong"", loc. cit., aux pp. 415 et 416:

[TRADUCTION] Avec égards pour les juges qui se sont débattus avec la question et pour les universitaires qui ont écrit à ce sujet, il y a en réalité absence de problème [. . .] La question qu'il faut se poser, à notre avis, est de savoir si l'accusé, en raison d'une maladie mentale (première condition), était incapable (deuxième condition) de savoir que son acte était une chose qu'il ne devait pas accomplir (troisième condition). S'il était capable de savoir que l'acte était contraire à la loi et qu'il ne devait pas faire une chose contraire à la loi, alors le moyen de défense ne devrait pas être retenu. S'il était incapable de savoir que l'acte était contraire à la loi, mais capable de savoir que l'acte était condamné par les gens en général, alors le moyen de défense encore là ne devrait pas être admis. Mais s'il était incapable de savoir que l'acte était contraire à la loi et incapable de savoir que c'était un acte réprouvé par la morale publique, alors le moyen de défense devrait être admis. Reste seulement le cas où il serait capable de savoir que l'acte est contraire à la loi, mais incapable de savoir à la fois que la morale publique réprouve les actes contraires à la loi et que cet acte en particulier est condamné par les gens de façon générale. J'estime que cet accusé (qui doit constituer une rare exception) serait précisément celui qui doit être acquitté pour cause d'aliénation mentale. Loin de provoquer une avalanche quelconque, cette interprétation aurait une incidence minime sur le nombre de personnes qui disposerait d'un moyen de défense valide, mais aurait une importance extrême dans les rares occasions où elle serait pertinente.

À mon avis, la question n'est pas de savoir si l'accusé pensait que l'acte était moralement ou légalement mauvais mais s'il était incapable de savoir qu'il ne devrait pas commettre l'acte.

Idées délirantes

À supposer que le par. 16(3) concernant les idées délirantes puisse s'appliquer lorsque les conditions du par. 16(2) ne sont pas remplies, je suis convaincue que le juge du procès a laissé ouverte cette possibilité dans ses directives au jury et que son exposé était adéquat. Je n'ordonnerais pas de nouveau procès sur cette question.

Fractionnement de la preuve

L'appelant Morrissette soutient que le juge du procès a fait erreur lorsqu'il a autorisé le ministère public à fractionner sa preuve en présentant sa preuve sur l'aliénation mentale en contre‑preuve.

Pour les raisons mentionnées plus haut, j'estime que la preuve de l'aliénation mentale en l'espèce ne vise pas un élément essentiel de l'infraction. Le ministère public avait le droit de s'appuyer sur la présomption que chacun est sain d'esprit et n'avait pas l'obligation de présenter sa preuve sur cette question dans le cadre de sa preuve contre les accusés.

Conclusion

Je rejetterais le pourvoi et répondrais aux questions constitutionnelles de la façon suivante:

1.Le paragraphe 16(4) du Code criminel du Canada est-il incompatible avec l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés?

Non.

2.Si la réponse à la première question est affirmative, le par. 16(4) est-il justifié par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Il est inutile de répondre à cette question.

//Le juge Sopinka//

Version française des motifs rendus par

Le juge Sopinka (dissident) — J'ai eu l'avantage de lire les motifs rédigés par le juge en chef Lamer et les juge Wilson et McLachlin dans le présent pourvoi. Je suis d'accord avec le dispositif proposé dans ce pourvoi par le juge McLachlin et avec ses motifs concernant toutes les questions à l'exception de ma conclusion que le par. 16(4) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, est valide pour les motifs exprimés par le Juge en chef. Par conséquent, je répondrais aux questions constitutionnelles de la façon proposée par le Juge en chef mais je rejetterais le pourvoi.

//Le juge Gonthier//

Version française des motifs rendus par

Le juge Gonthier — J'ai eu l'avantage de lire les motifs rédigés par le juge en chef Lamer et les juge Wilson et McLachlin dans le présent pourvoi. Pour les raisons exprimées par le juge McLachlin, je suis d'avis que la présomption que chacun est sain d'esprit selon l'art. 16 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, ne viole pas la présomption d'innocence prévue à l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Par ailleurs, je suis d'accord avec les motifs du juge en chef Lamer concernant le sens de "mauvais" au par. 16(2) du Code criminel qu'il estime signifier "moralement mauvais", ainsi qu'avec ses motifs concernant les autres questions soulevées en l'espèce.

Par conséquent, je répondrais aux questions constitutionnelles de la manière suivante:

1.Le paragraphe 16(4) du Code criminel du Canada est‑il incompatible avec l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés?

Réponse: Non.

2.Si la réponse à la première question est affirmative, le par. 16(4) est‑il justifié par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Réponse: Il est inutile de répondre à cette question.

Puisque j'adopte l'interprétation que donne le juge en chef Lamer au mot "mauvais" au par. 16(2), je suis d'avis comme lui d'accueillir le pourvoi et d'ordonner un nouveau procès.

Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné, les juges L'Heureux‑Dubé, Sopinka et McLachlin sont dissidents.

Procureurs de l'appelant Chaulk: Wolch, Pinx, Tapper, Scurfield, Winnipeg.

Procureurs de l'appelant Morrissette: Walsh, Micay and Company, Winnipeg.

Procureur de l'intimée: Le procureur général du Manitoba, Winnipeg.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada: John C. Tait, Ottawa.

Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario: Le procureur général de l'Ontario, Toronto.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Québec: Jean‑François Dionne et Jacques Gauvin, Ste‑Foy.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick: Le sous‑procureur général du Nouveau‑Brunswick, Fredericton.

Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Alberta: M. J. Watson, Edmonton.

* Juge en chef à la date de l'audition.

** Juge en chef à la date du jugement.


Synthèse
Référence neutre : [1990] 3 R.C.S. 1303 ?
Date de la décision : 20/12/1990
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Présomption d'innocence - Accusé présumé sain d'esprit jusqu'à preuve du contraire - Obligation de l'accusé de prouver l'aliénation mentale selon une prépondérance des probabilités - L'article 16(4) du Code criminel viole‑t‑il l'art. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés? - Dans l'affirmative, l'art. 16(4) est‑il justifiable en vertu de l'article premier de la Charte?.

Droit criminel - Moyens de défense - Aliénation mentale - Une personne est aliénée en vertu de l'art. 16(2) du Code criminel si elle est atteinte d'une maladie mentale qui la rend incapable de savoir qu'un acte est mauvais - Sens du mot "mauvais" au par. 16(2) du Code.

Droit criminel - Moyens de défense - Aliénation mentale - Idées délirantes - Le paragraphe 16(3) du Code criminel constitue‑t‑il un moyen de défense distinct d'aliénation mentale? - Les directives du juge du procès étaient‑elles adéquates?.

Preuve - Contre‑preuve - Présentation de contre‑preuve par le ministère public pour établir que les accusés sont sains d'esprit - La preuve relative à la santé mentale des accusés aurait‑elle dû être présentée dans la preuve principale du ministère public?.

Les accusés ont été déclarés coupables de meurtre au premier degré. Le seul moyen de défense invoqué au procès a été l'aliénation mentale, mais le jury a rejeté ce moyen de défense. La Cour d'appel a confirmé leur déclaration de culpabilité. Le présent pourvoi vise à déterminer (1) si le par. 16(4) du Code criminel qui prévoit que "[j]usqu'à preuve du contraire, chacun est présumé être et avoir été sain d'esprit" viole la présomption d'innocence consacrée par l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés; et, dans l'affirmative, si le par. 16(4) est susceptible de justification en vertu de l'article premier de la Charte; (2) si le sens du mot "mauvais" au par. 16(2) du Code doit se limiter à celui de "légalement mauvais"; (3) si le par. 16(3) du Code constitue un autre moyen de défense quand les conditions établies au par. 16(2) ne sont pas remplies; et (4) si le juge du procès a commis une erreur en permettant au ministère public de scinder la présentation de sa preuve en soumettant sa preuve sur la santé mentale des accusés en contre‑preuve.

Arrêt (les juges L'Heureux‑Dubé, Sopinka et McLachlin sont dissidents): Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné.

(1) Présomption que chacun est sain d'esprit/Présomption d'innocence

Le juge en chef Dickson, le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka et Cory: La défense d'aliénation mentale prévue à l'art. 16 du Code doit être considérée comme une exemption de responsabilité pénale fondée sur l'incapacité de former une intention criminelle. Cette demande d'exemption se traduira habituellement, sous le régime de l'art. 16, soit par une négation de la mens rea dans un cas particulier, soit par une excuse à l'égard de ce qui aurait autrement constitué une infraction criminelle.

Le paragraphe 16(4) du Code viole la présomption d'innocence garantie en vertu de l'al. 11d) de la Charte. La préoccupation véritable n'est pas de savoir si l'accusé doit réfuter un élément de preuve ou démontrer une excuse, mais qu'un accusé peut être déclaré coupable alors que subsiste un doute raisonnable. Lorsque cette possibilité existe, il y a violation de la présomption d'innocence. En conséquence, c'est l'effet final d'une disposition sur le verdict qui est décisif. Que l'allégation d'aliénation soit qualifiée de négation de la mens rea, de défense exculpatoire ou, plus généralement, d'exemption fondée sur l'incapacité pénale, le par. 16(4) permet que l'existence d'un facteur essentiel de culpabilité soit présumée au lieu d'être prouvée par le ministère public hors de tout doute raisonnable. Par surcroît, le paragraphe oblige l'accusé à réfuter qu'il était sain d'esprit (ou à démontrer l'aliénation) selon la prépondérance des probabilités. Le paragraphe 16(4) viole donc la présomption d'innocence parce qu'il permet une déclaration de culpabilité malgré l'existence d'un doute raisonnable dans l'esprit du juge des faits quant à la culpabilité de l'accusé. Enfin, bien que le verdict prononcé en conformité de l'art. 16 en soit un de "non culpabilité pour cause d'aliénation mentale", l'accusé qui invoque le moyen de défense prévu à l'art. 16 recherche en réalité un "acquittement véritable" pour nier la responsabilité criminelle et il a droit à la présomption d'innocence.

Le paragraphe 16(4) du Code est une limite raisonnable à la présomption d'innocence. Le paragraphe 16(4) est une pure règle de preuve dont l'objectif est d'éviter d'imposer au ministère public la charge écrasante de prouver l'inexistence de l'aliénation afin d'obtenir une déclaration de culpabilité. Cet objectif est suffisamment important pour justifier la restriction d'un droit protégé par la Constitution. Les moyens choisis par le gouvernement sont proportionnels à l'objectif. Premièrement, la présomption que chacun est sain d'esprit et le renversement de la charge de la preuve établis au par. 16(4) sont rationnellement liés à l'objectif. Deuxièmement, le par. 16(4) porte aussi peu que possible atteinte à l'al. 11d). Réduire le fardeau de preuve imposé à l'accusé à un simple fardeau de présentation ne remplirait pas l'objectif aussi efficacement. Bien que l'art. 16 soit rarement invoqué, compte tenu de la restriction substantielle à la liberté consécutive au maintien du plaidoyer d'aliénation, s'il était plus facile pour l'accusé d'établir l'aliénation, ce moyen de défense serait utilisé avec succès plus fréquemment. Le Parlement n'a peut‑être pas choisi le moyen le moins envahissant entre tous pour parvenir à son objectif, mais il a choisi parmi une gamme de moyens de nature à porter aussi peu que possible atteinte à l'al. 11d). Il n'appartient pas à notre Cour d'évaluer après coup la sagesse des choix politiques du législateur. Troisièmement, il y a proportionnalité entre les effets de la mesure et son objectif. Le fardeau qui incombe à l'accusé n'est pas la charge pénale complète, mais bien celle de la prépondérance des probabilités. Le paragraphe 16(4) représente un compromis entre trois intérêts sociétaux importants: éviter qu'incombe au ministère public un fardeau quasi impossible à supporter, condamner les coupables et acquitter ceux dont la capacité de former une intention criminelle est véritablement déficiente. Les solutions de rechange à ce compromis soulèvent leurs propres problèmes au regard de la Charte et ne présentent aucune garantie quant à l'atteinte de l'objectif.

Les juges L'Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin: Les dispositions du Code relatives à l'aliénation mentale portent sur les conditions préalables à la responsabilité criminelle plutôt que sur les éléments essentiels des infractions criminelles ou sur les moyens de défense pertinents. Cette deuxième façon de voir ne tient pas compte des origines historiques et philosophiques du principe fondamental du système de droit criminel selon lequel l'attribution d'une responsabilité et l'imposition d'une peine criminelles ne peuvent se justifier que pour ceux qui ont la capacité de raisonner et de choisir entre le bien et le mal. L'accusé doit être sain d'esprit avant qu'on puisse tenir compte des éléments essentiels d'une infraction ou des moyens de défense exculpatoires. Une telle conception fait violence au libellé de l'art. 16 du Code qui parle de capacité de responsabilité criminelle plutôt que d'états d'esprit réels. Cette façon de voir est aussi en conflit avec le fait que l'aliénation mentale dont parle l'art. 16 peut être invoquée par la poursuite dans des circonstances où n'entrent en jeu ni les éléments de l'infraction, ni les moyens de défense. De plus, elle confond le véritable acquittement qui résulte de l'absence d'un élément essentiel de l'infraction ou de la présence d'un moyen de défense, avec l'acquittement formel accompagné de mesures coercitives de rechange puisque l'incapacité mentale rend inadéquate l'imposition d'une véritable responsabilité pénale.

La présomption que chacun est sain d'esprit au par. 16(4) du Code, considérée comme une condition préalable et fondamentale de la responsabilité criminelle, ne viole pas la présomption d'innocence consacrée par l'al. 11d) de la Charte ni la notion fondamentale de l'équité des procédures qui sous‑tend les garanties procédurales de la Charte. La présomption que chacun est sain d'esprit dégage simplement le ministère public de l'obligation d'établir que l'accusé a la capacité de faire un choix rationnel qui justifie l'imputation de la responsabilité criminelle et l'imposition d'une peine. Le ministère public doit encore prouver la culpabilité de l'accusé — c.‑à‑d. l'actus reus et la mens rea et l'absence de défense exonératoires invoquées dans la preuve — hors de tout doute raisonnable. La présomption d'innocence reflète les préceptes fondamentaux sur lesquels reposent notre système juridique et la Charte. On n'a pas soutenu que le système actuel comporte une injustice. Les accusés ne semblent n'avoir aucune difficulté à prouver l'aliénation mentale selon une prépondérance des probabilités, lorsqu'elle est présente.

Le juge Wilson: Le paragraphe 16(4) du Code viole l'al. 11d) de la Charte. La présomption que chacun est sain d'esprit oblige l'accusé à démontrer son aliénation mentale selon la prépondérance des probabilités. Qu'on qualifie le plaidoyer d'aliénation mentale comme une exemption, un moyen de défense, une justification ou une excuse, le fardeau de persuasion qu'impose à l'accusé le par. 16(4) donne ouverture à la possibilité qu'il soit condamné malgré l'existence d'un doute raisonnable quant à sa culpabilité. En vertu de l'al. 11d), il faut considérer l'effet final d'une disposition portant renversement du fardeau de la preuve sur la question ultime de la culpabilité ou de l'innocence de l'accusé plutôt que la nature précise d'une disposition.

Le paragraphe 16(4) du Code ne constitue pas une limite raisonnable à la présomption d'innocence qui peut se justifier en vertu de l'article premier de la Charte. Le paragraphe 16(4) a pour objectif d'empêcher que des personnes tout à fait saines d'esprit qui ont commis des crimes échappent à la responsabilité criminelle en soulevant une défense peu fondée d'aliénation mentale. Cependant rien n'indique que les défenses d'aliénation mentale fabriquées présentent un problème urgent et réel. Bien que le législateur ne soit pas tenu d'attendre qu'une telle préoccupation se soulève, le ministère public n'a pas réussi à établir même la probabilité de l'apparition de cette préoccupation. L'expérience américaine n'étaye pas la conclusion que l'application d'une norme de preuve moins exigeante entraînerait un plus grand nombre d'acquittements pour cause d'aliénation mentale. En outre, plusieurs rapports canadiens et d'autres pays proposent que le fardeau de preuve de l'aliénation mentale soit seulement un fardeau de présentation, qui est considéré comme un seuil assez élevé pour empêcher que l'on plaide l'aliénation mentale dans des cas où cette défense est faiblement justifiée.

De toute façon, le par. 16(4) ne satisfait pas au critère de proportionnalité. Il a un lien rationnel avec l'objectif législatif visé, mais il ne porte pas le moins possible atteinte au droit de l'accusé d'être présumé innocent. Il n'est pas approprié en l'espèce de déroger à la norme rigoureuse d'examen sur la question de "l'atteinte minimale". Le gouvernement n'arbitre pas entre différents groupes mais joue le rôle d'adversaire singulier d'un droit très fondamental de l'accusé. Les objectifs étatiques seraient tout aussi bien atteints en imposant à l'accusé une charge de preuve qui ne comporte que l'obligation de présentation. La possibilité de simuler avec succès une défense d'aliénation mentale diminue à mesure qu'augmente la connaissance de la maladie mentale. Bien que l'obligation alors imposée à la poursuite serait difficile à remplir, elle ne serait pas pour autant "une charge écrasante". En l'absence du par. 16(4), il incomberait toujours à l'accusé de présenter des éléments de preuve pour faire de l'aliénation mentale une question réelle dont il convient de saisir le jury. La charge incombant alors au ministère public serait de dissiper tout doute qui aurait été suscité dans l'esprit du jury par la présence possible de quelque élément d'aliénation mentale au termes des par. 16(2) et 16(3). Rien ne prouve qu'imposer un fardeau moins lourd à l'accusé permettrait à plus de personnes coupables d'échapper à la responsabilité criminelle grâce à des plaidoyers peu fondés d'aliénation mentale. Le par. 16(4) n'est donc pas justifié en vertu de l'article premier de la Charte. Il s'ensuit que le principe de common law que reflète le par. 16(4) porte atteinte à l'al. 11d) et n'est pas sauvegardé en vertu de l'article premier.

(2) Signification du mot "mauvais"

Le juge en chef Dickson, le juge en chef Lamer et les juges Wilson, La Forest, Gonthier et Cory: Le mot "mauvais" employé au par. 16(2) signifie "moralement répréhensible" et non pas "illégal". L'arrêt de notre Cour Schwartz c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 673, est renversé. En vertu du par. 16(2), les tribunaux doivent décider, dans chaque cas, si l'accusé était incapable, en raison d'une maladie mentale, de savoir que l'acte commis était une chose qu'il ne devait pas accomplir. Pour cela, il ne suffit pas de se demander si l'accusé savait que l'acte était contraire au droit positif. Une personne peut très bien se rendre compte qu'un acte est contraire à la loi, mais être en même temps incapable, en raison d'une maladie mentale, de savoir que l'acte est moralement répréhensible dans les circonstances, selon les normes morales de la société. En conséquence, le juge du procès a commis une erreur en informant le jury que les appelants ne pouvaient pas invoquer la défense d'aliénation mentale conformément au par. 16(2) du Code, si les accusés savaient, au moment où ils ont commis l'infraction, que l'acte était contraire aux lois du Canada. En raison de l'erreur du juge du procès, il y a lieu d'ordonner un nouveau procès.

Les juges L'Heureux‑Dubé, Sopinka et McLachlin (dissidents): La question que soulève le par. 16(2) du Code n'est pas de savoir si l'accusé pensait que l'acte était moralement ou légalement mauvais, mais de savoir si l'accusé était incapable de savoir qu'il ne devait pas l'accomplir. Si l'accusé est capable de savoir que l'acte est "mauvais" dans un certain sens, alors il n'est ni inéquitable, ni injuste de le soumettre à la responsabilité criminelle et à une sanction pénale. Il faut donc interpréter le mot "mauvais" au par. 16(2) comme signifiant simplement ce qu'une personne ne devrait pas faire pour quelque motif que ce soit, légal ou moral. Le libellé du par. 16(2), l'histoire et l'objet des dispositions relatives à l'aliénation mentale de même que la difficulté de savoir dans chaque situation ce qui est moralement mauvais étayent cette conclusion.

(3) Idées délirantes

Le juge en chef Dickson, le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Gonthier et Cory: Étant donné le réexamen que notre Cour a fait de la signification du mot "mauvais" employé dans le par. 16(2), chaque fois que l'on pourrait se prévaloir de la défense d'aliénation mentale en vertu du par. 16(3), on pourrait aussi invoquer le par. 16(2). Au surplus, si l'accusé ne remplit pas les conditions énoncées au par. 16(2), il ne peut pas non plus tirer profit du par. 16(3). Le paragraphe 16(3) ne serait donc d'aucun secours pour l'accusé s'il était tenu, en réalité, pour un moyen de défense séparé et indépendant.

Les juges L'Heureux‑Dubé, Sopinka et McLachlin: À supposer que le par. 16(3) du Code, concernant les idées délirantes sur un sujet particulier, puisse s'appliquer lorsque les conditions du par. 16(2) ne sont pas remplies, le juge du procès a laissé ouverte cette possibilité à la décision du jury et ses directives étaient adéquates.

Le juge Wilson: Bien que la plupart des cas d'idées délirantes en vertu du par. 16(3) du Code relèveront maintenant de la deuxième condition du par. 16(2), il peut y avoir des cas d'"idées délirantes sur un point particulier" qui ne sont pas nécessairement imputables à une "maladie mentale". Puisqu'on ne doit pas conclure trop aisément à la redondance des dispositions législatives, notamment celles qui favorisent l'accusé, il est préférable de laisser à un accusé la possibilité d'invoquer le par. 16(3) alors qu'il ne remplit pas la deuxième condition que prévoit le par. 16(2) pour invoquer la défense d'aliénation mentale.

(4) Fractionnement de la preuve

Le juge en chef Dickson, le juge en chef Lamer et les juges Wilson, La Forest, Gonthier et Cory: Le juge du procès a permis à bon droit au ministère public de présenter une contre‑preuve relativement à l'aliénation mentale. Bien que le ministère public soit tenu de produire la preuve tendant à établir tous les éléments de l'infraction qui fait l'objet de l'inculpation, le ministère public n'est pas tenu de produire de preuve principale pour réfuter un moyen de défense que l'accusé est susceptible de faire valoir. Ce principe vaut même si l'accusé prévient le poursuivant qu'il a l'intention d'invoquer un moyen de défense donné. De plus, exiger que l'accusation produise sa preuve principale en vue d'établir que l'accusé était sain d'esprit reviendrait à annihiler la présomption énoncée au par. 16(4). Puisque les appelants ont eu la possibilité de répliquer, en l'espèce, ils n'ont pas subi de préjudice du fait que le ministère public a présenté une contre‑preuve plutôt que de produire sa preuve principale.

Les juges L'Heureux‑Dubé, Sopinka et McLachlin: Le ministère public avait le droit de s'appuyer sur la présomption que chacun est sain d'esprit et n'avait pas d'obligation de présenter sa preuve sur cette question dans le cadre de sa preuve contre les accusés. La preuve de l'aliénation mentale ne visait pas à un élément essentiel de l'infraction.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Chaulk

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge en chef Lamer
Arrêt renversé: Schwartz c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 673
arrêts appliqués: R. c. Whyte, [1988] 2 R.C.S. 3
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
distinction d'avec l'arrêt: R. c. Schwartz, [1988] 2 R.C.S. 443
arrêts mentionnés: R. v. Godfrey (1984), 11 C.C.C. (3d) 233
Smythe v. The King, [1941] R.C.S. 17
R. v. Simpson (1977), 35 C.C.C. (2d) 337
Rabey c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 513
R. c. Abbey [1982] 2 R.C.S. 24
R. c. Holmes, [1988] 1 R.C.S. 914
Woolmington v. Director of Public Prosecutions, [1935] A.C. 462
R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713
Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927
Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123
M'Naghten's Case (1843), 10 Cl. & Fin. 200, 8 E.R. 718
R. v. Codere (1916), 12 Cr. App. R. 21
R. v. Windle, [1952] 2 Q.B. 826
Stapleton v. The Queen (1952), 86 C.L.R. 358
R. v. Bernard, [1988] 2 R.C.S. 833
R. v. Budic (No. 3) (1978), 43 C.C.C. (2d) 419
R. v. Bruno (1975), 27 C.C.C. (2d) 318.
Citée par le juge Wilson
Arrêts appliqués: R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
R. c. Whyte, [1988] 2 R.C.S. 3
distinction d'avec les arrêts: R. c. Schwartz, [1988] 2 R.C.S. 443
Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927
arrêts mentionnés: Clark v. The King (1921), 61 R.C.S. 608
M'Naghten's Case (1843), 10 Cl. & Fin. 200, 8 E.R. 718
Woolmington v. Director of Public Prosecutions, [1935] A.C. 462
R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636
R. c. Holmes, [1988] 1 R.C.S. 914
Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357
Davis v. United States, 160 U.S. 469 (1895)
Ortwein v. Commonwealth, 76 Pa. 414 (1874)
In Re Winship, 397 U.S. 358 (1970)
Mullaney v. Wilbur, 421 U.S. 684 (1975)
Jackson v. Virginia, 443 U.S. 307 (1979)
Leland v. Oregon, 343 U.S. 790 (1952)
Rivera v. Delaware, 429 U.S. 877 (1976), conf. 351 A.2d 561 (1976)
United States v. Pasarell, 727 F.2d 13 (1984), certiorari refusé, 105 S. Ct. 107 (1984)
United States v. Voice, 627 F.2d 138 (1980)
United States v. Samuels, 801 F.2d 1052 (1986)
People v. Stockwell, 242 N.W.2d 559 (1976)
États-Unis d'Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469
R. v. Gill (1963), 47 Cr. App. R. 166
R. v. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24
People v. Krugman, 141 N.W.2d 33 (1966).
Citée par le juge McLachlin (dissidente)
Rabey c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 513
R. v. Simpson (1977), 35 C.C.C. (2d) 337
R. v. Saxell (1980), 59 C.C.C. (2d) 176
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
R. c. Whyte, [1988] 2 R.C.S. 3
Schwartz c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 673
M'Naghten's Case (1843), 10 Cl. & Fin. 200, 8 E.R. 718
R. v. Codere (1916), 12 Cr. App. R. 21
R. v. Windle, [1952] 2 Q.B. 826
Stapleton v. The Queen (1952), 86 C.L.R. 358.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 8, 11(d).
Code criminel, 1892, S.C. 1892, ch. 29, art. 11.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 13, 16, 17, 614(2).
Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. (1985), ch. Y‑1.
Doctrine
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Proposition de citation de la décision: R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303 (20 décembre 1990)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1990-12-20;.1990..3.r.c.s..1303 ?
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