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13/09/1990 | CANADA | N°[1990]_2_R.C.S._755

Canada | R. c. J.(J.T.), [1990] 2 R.C.S. 755 (13 septembre 1990)


R. c. J.(J.T.), [1990] 2 R.C.S. 755

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

J.(J.T.) Intimé

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général du Québec,

le procureur général de l'Alberta et

le procureur général de Terre‑NeuveIntervenants

répertorié: r. c. j.(j.t.)

No du greffe: 20758.

1990: 27 mars; 1990: 13 septembre.

Présents: Le juge en chef Dickson*, le juge en chef Lamer** et les juges Wilson, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel du manitoba
>POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1988), 50 Man. R. (2d) 300, 40 C.C.C. (3d) 97, [1988] 2 W.W.R. 509, qui a...

R. c. J.(J.T.), [1990] 2 R.C.S. 755

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

J.(J.T.) Intimé

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général du Québec,

le procureur général de l'Alberta et

le procureur général de Terre‑NeuveIntervenants

répertorié: r. c. j.(j.t.)

No du greffe: 20758.

1990: 27 mars; 1990: 13 septembre.

Présents: Le juge en chef Dickson*, le juge en chef Lamer** et les juges Wilson, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel du manitoba

POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1988), 50 Man. R. (2d) 300, 40 C.C.C. (3d) 97, [1988] 2 W.W.R. 509, qui a accueilli un appel de la déclaration de culpabilité prononcée par le juge en chef Hewak de la Cour du Banc de la Reine. Pourvoi rejeté et pourvoi incident accueilli, le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente.

J. G. Dangerfield, c.r., et Marva J. Smith, pour l'appelante.

Brenda Keyser et Jeff Harris, pour l'intimé.

Bruce MacFarlane, c.r., et Don Avison, pour l'intervenant le procureur général du Canada.

Jacques Gauvin, pour l'intervenant le procureur général du Québec.

Jack Watson, pour l'intervenant le procureur général de l'Alberta.

Wayne Gorman, pour l'intervenant le procureur général de Terre‑Neuve.

//Le juge Cory//

Version française du jugement du juge en chef Dickson, du juge en chef Lamer et des juges Wilson, Gonthier et Cory rendu par

LE JUGE CORY — Le présent pourvoi porte principalement sur la question de savoir si les dispositions de l'art. 56 de la Loi sur les jeunes contrevenants, S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 110 et modifications, ont été respectées, de sorte que les déclarations faites par J.T.J. à la police pouvaient être utilisées.

Historique des faits

Le crime commis en l'espèce est violent et brutal. Les faits qui s'y rapportent sont à la fois navrants et odieux.

Peu après 20 heures le vendredi 13 septembre 1985, une petite fille de trois ans a été entraînée dans un garage et agressée sexuellement. Parce qu'elle pleurait, son crâne a été écrasé avec un bloc de ciment de 50 livres. Elle est morte instantanément. Des cheveux semblables à ceux de J.T.J. et à ceux de la victime ont été trouvés sur le bloc de ciment près du corps de l'enfant. Un poil de pubis semblable à ceux de J.T.J. a été trouvé sur le sol du garage près de l'endroit où le corps avait été découvert. Des fibres semblables à celles des vêtements que J.T.J. portait à ce moment‑là ont été trouvées sur le corps de la victime et sur ses vêtements.

Au moment du crime, J.T.J. était âgé de 17 ans et, en tant qu'adolescent, il était visé par les dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants. Le lendemain du meurtre, vers 19 h 10, les policiers sont arrivés à la maison où vivait J.T.J. et l'ont emmené au poste de police pour l'interroger. Ils ne lui ont pas dit pour quelle raison. À 19 h 30, il a été placé dans une salle d'interrogatoire. Les policiers l'ont ensuite laissé seul pour aller chercher du café. Ils en ont offert une tasse à l'accusé qui l'a acceptée. Ensuite ils l'ont interrogé pendant quelque temps et finalement l'ont laissé à 22 h 23.

À 23 h 05, l'équipe de policiers est revenue dans la salle d'interrogatoire. Ils ont accusé J.T.J. de leur avoir menti. Ils lui ont demandé s'il se souvenait de la petite fille. J.T.J. a répondu qu'il s'était emparé d'elle, l'avait entraînée dans un garage sur la ruelle et qu'ensuite il ne se souvenait plus de rien.

Ce n'est qu'à ce moment‑là que les policiers lui ont demandé s'il voulait que son oncle soit présent et il a répondu par l'affirmative. Les policiers ont quitté la salle d'interrogatoire et ont fait venir "l'oncle", qui en réalité était un cousin avec lequel vivait l'accusé. À ce moment‑là, J.T.J. a été accusé du meurtre de la petite fille et a été informé de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat. J.T.J. a indiqué qu'il voulait communiquer avec un avocat. Son "oncle" a paru approuver cette décision. Il convient de souligner que l'oncle n'a été avec l'appelant que pendant trois minutes au cours de toute la durée de l'interrogatoire policier.

J.T.J. a eu accès à un téléphone pour appeler un avocat. Ensuite, il a été ramené dans la salle d'interrogatoire quelques minutes après son appel. Ses vêtements ont été confisqués et on a pris des échantillons de ses cheveux et fait des prélèvements sous ses ongles.

À 0 h 23, un avocat est arrivé et a parlé à J.T.J. À 1 h 09, l'avocat a laissé J.T.J. dans la salle d'interrogatoire et est allé parler à l'oncle‑cousin adulte, H.J. À 1 h 28, l'appelant J.T.J. a été emmené pour une prise d'empreintes digitales et de photographies. Lorsque ces formalités furent remplies, il a été ramené de nouveau à la salle d'interrogatoire. À 1 h 50, les policiers sont revenus dans la pièce et lui ont demandé les renseignements d'usage. À 1 h 55, ils ont demandé à J.T.J. s'il voulait faire une déclaration écrite et il a refusé. Les policiers ont alors commencé à l'interroger sur ce qu'il avait fait pendant la nuit du meurtre. Les policiers ont admis qu'ils ne lui avaient pas demandé s'il voulait que son cousin ou son avocat soit présent. J.T.J. a alors fait une déclaration incriminante. À la fin de la déclaration orale, les policiers ont encore une fois demandé à J.T.J. s'il voulait faire une déclaration écrite. Il a dit qu'il allait y réfléchir. Les policiers l'ont laissé pendant quelques minutes. Lorsqu'ils sont revenus à 2 h 10, il a encore une fois refusé de faire une déclaration écrite.

À 3 h 40, J.T.J. a été conduit en voiture de police à un établissement de détention pour les jeunes. En cours de route, les policiers ont arrêté la voiture en face de l'immeuble où la petite fille avait été tuée. On a posé des questions supplémentaires à J.T.J., comme sur le trajet qu'il avait emprunté pour aller au lieu du crime et la porte par laquelle il avait quitté le garage. Il a ensuite été amené dans le garage lui‑même et on lui a posé d'autres questions auxquelles il a répondu par hochements de tête, par signes ainsi que par quelques réponses verbales.

J.T.J. a subi son procès devant un tribunal pour adultes et a été déclaré coupable de meurtre au premier degré. Ce verdict a été infirmé en appel et un nouveau procès a été ordonné. Au second procès, l'accusé J.T.J. a encore une fois été déclaré coupable de meurtre au premier degré et pour une deuxième fois, il a interjeté appel. À cette occasion, l'appel a été accueilli en partie et la Cour d'appel, à la majorité, a remplacé le verdict de meurtre au premier degré par un verdict d'homicide involontaire coupable.

Arrêt de la Cour d'appel (1988), 50 Man. R. (2d) 300

Le juge Huband, au nom de la majorité, était d'avis que la déclaration orale faite en réponse à l'interrogatoire policier à 1 h 55, après que l'accusé eut consulté un avocat, n'était pas recevable car les exigences de l'art. 56 de la Loi sur les jeunes contrevenants n'avaient pas été respectées. Toutefois, il a conclu que les gestes et les déclarations de l'accusé sur le lieu du crime étaient recevables. Finalement, il aurait remplacé le verdict de meurtre par celui d'homicide involontaire coupable.

Le juge O'Sullivan a indiqué qu'il aurait jugé irrecevables tant la déclaration que les gestes et déclarations subséquents faits sur le lieu du crime. Toutefois, comme le juge Huband et le juge en chef Monnin auraient admis les gestes, il a souscrit à la conclusion du juge Huband selon laquelle le verdict de meurtre devait être remplacé par celui d'homicide involontaire coupable.

Le juge en chef Monnin a estimé qu'en substance l'art. 56 avait été respecté et que les déclarations et les gestes étaient recevables. Il aurait rejeté l'appel.

Les questions en litige

Les questions constitutionnelles suivantes ont été énoncées par le juge en chef Dickson dans son ordonnance du 4 octobre 1989:

1.L'alinéa 213a) du Code criminel (maintenant l'al. 230a) du Code criminel, L.R.C. (1985)) viole‑t‑il les droits et libertés garantis par l'art. 7 ou l'al. 11d), ou les deux à la fois, de la Charte canadienne des droits et libertés?

2.Si la réponse à la première question est affirmative, l'al. 213a) du Code criminel (maintenant l'al. 230a) du Code criminel, L.R.C. (1985)) est‑il justifié par l'article premier de la Charte et, par conséquent, compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

En plus des questions constitutionnelles, se pose la question de savoir si les dispositions de l'art. 56 de la Loi sur les jeunes contrevenants ont été respectées de sorte que les déclarations de J.T.J. pouvaient être utilisées.

Les exigences de la Loi sur les jeunes contrevenants

L'article 3 de la Loi sur les jeunes contrevenants énonce l'objet de la loi. En voici le texte:

3. (1) Les principes suivants sont reconnus et proclamés:

a) les adolescents ne sauraient, dans tous les cas, être assimilés aux adultes quant à leur degré de responsabilité et les conséquences de leurs actes; toutefois, les jeunes contrevenants doivent assumer la responsabilité de leurs délits;

b) la société, bien qu'elle doive prendre les mesures raisonnables qui s'imposent pour prévenir la conduite criminelle chez les adolescents, doit pouvoir se protéger contre toute conduite illicite;

c) la situation des jeunes contrevenants requiert surveillance, discipline et encadrement; toutefois, l'état de dépendance où ils se trouvent, leur degré de développement et de maturité leur créent des besoins spéciaux qui exigent conseils et assistance;

d) il y a lieu, dans le traitement des jeunes contrevenants, d'envisager, s'il est décidé d'agir, la substitution de mesures de rechange aux procédures judiciaires prévues par la présente loi, compte tenu de la protection de la société;

e) les adolescents jouissent, à titre propre, de droits et libertés, au nombre desquels figurent ceux qui sont énoncés dans la Charte canadienne des droits et libertés ou dans la Déclaration canadienne des droits, et notamment le droit de se faire entendre au cours du processus conduisant à des décisions qui les touchent et de prendre part à ce processus, ces droits et libertés étant assortis de garanties spéciales;

f) dans le cadre de la présente loi, le droit des adolescents à la liberté ne peut souffrir que d'un minimum d'entraves commandées par la protection de la société, compte tenu des besoins des adolescents et des intérêts de leur famille;

g) les adolescents ont le droit, chaque fois que la présente loi est susceptible de porter atteinte à certains de leurs droits et libertés, d'être informés du contenu de ces droits et libertés;

h) les père et mère assument l'entretien et la surveillance de leurs enfants; en conséquence les adolescents ne sauraient être entièrement ou partiellement soustraits à l'autorité parentale que dans les seuls cas où les mesures comportant le maintien de cette autorité sont contre‑indiquées.

(2) La présente loi doit faire l'objet d'une interprétation large garantissant aux adolescents un traitement conforme aux principes énoncés au paragraphe (1).

L'article 56 de la Loi précise ces principes dans le contexte des déclarations faites par des jeunes à des personnes en situation d'autorité. En 1985, le texte de cet article était le suivant:

56. (1) Sous réserve du présent article, les règles de droit concernant la recevabilité des déclarations faites par des personnes inculpées s'appliquent aux adolescents.

(2) La déclaration orale ou écrite faite par un adolescent à un agent de la paix ou à toute autre personne en autorité d'après la loi, n'est pas recevable en preuve contre l'adolescent, sauf si les conditions suivantes sont remplies:

a) la déclaration est volontaire;

b) la personne à qui la déclaration a été faite a, avant de la recueillir, expliqué clairement à l'adolescent, en des termes adaptés à son âge et à sa compréhension, que:

(i) il n'est obligé de faire aucune déclaration,

(ii) toute déclaration par lui faite pourra servir de preuve dans les poursuites intentées contre lui,

(iii) il a le droit de consulter une tierce personne conformément à l'alinéa c),

(iv) toute déclaration faite par lui doit l'être en présence de la personne consultée, sauf s'il en décide autrement;

c) l'adolescent s'est vu donner, avant de faire la déclaration, une occasion raisonnable de consulter soit son avocat soit son père ou sa mère, soit, en l'absence du père ou de la mère, un parent adulte, soit, en l'absence du père ou de la mère et du parent adulte, tout autre adulte idoine qu'il aura choisi;

d) l'adolescent s'est vu donner, au cas où il a consulté une personne conformément à l'alinéa c), une occasion raisonnable de faire sa déclaration en présence de cette personne.

(3) Les conditions prévues aux alinéas (2)b), c) et d) ne s'appliquent pas aux déclarations orales spontanées faites par l'adolescent à un agent de la paix ou à une autre personne en autorité avant que l'agent ou cette personne n'ait eu une occasion raisonnable de se conformer aux dispositions de ces alinéas.

(4) L'adolescent peut renoncer à son droit de consultation prévu aux alinéas (2)c) ou d); la renonciation doit être faite par écrit et comporter une déclaration signée par l'adolescent, attestant qu'il a été informé du droit auquel il renonce.

(5) Dans les poursuites intentées sous le régime de la présente loi, le juge du tribunal pour adolescents peut déclarer irrecevable une déclaration faite par l'adolescent poursuivi, si celui‑ci l'a convaincu que la déclaration lui a été extorquée par contrainte exercée par une personne qui n'est pas en autorité selon la loi.

Par l'adoption de l'art. 56, le législateur a reconnu les problèmes et les difficultés qu'affrontent les adolescents qui sont aux prises avec les autorités. Il peut sembler inutile et frustrant pour la police et pour la société qu'un jeune de 17 ans averti et suffisant, démontrant des tendances anti‑sociales, profite des avantages de cet article. Toutefois, il faut rappeler que l'article vise à protéger tous les adolescents de 17 ans ou moins. Un adolescent est habituellement beaucoup plus facile à impressionner et à influencer par des personnes en situation d'autorité. Peu importe l'attitude de bravade et d'arrogance que peuvent afficher les jeunes, ils n'évalueront vraisemblablement pas leurs garanties juridiques, dans un sens général, ni les conséquences de déclarations verbales faites à des personnes en situation d'autorité; ils n'apprécieront certainement pas la nature de leurs droits dans la même mesure que le feraient la plupart des adultes. Les adolescents peuvent également être plus sensibles à des menaces subtiles provenant de leur entourage et de la présence de personnes en situation d'autorité. Un adolescent peut être plus porté à faire une déclaration, même si elle est fausse, pour plaire à une personne en situation d'autorité. De toute évidence c'est parce qu'il a reconnu les pressions et les problèmes supplémentaires auxquels font face les adolescents que le législateur a adopté ce code de procédure.

De plus, ce n'est pas sans raison que, avant l'adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants, les tribunaux avaient reconnu que les aveux d'adolescents ne devaient pas être traités de la même manière que ceux des adultes. Par exemple, dans l'arrêt Re A, [1975] 5 W.W.R. 425, la Cour suprême de l'Alberta a proposé l'adoption d'un certain nombre de garanties avant que l'aveu d'un adolescent puisse être réputé admissible, y compris l'exigence qu'un parent adulte accompagne l'adolescent au lieu de l'interrogatoire et qu'un avertissement soit donné en des termes que l'adolescent puisse comprendre. Les tribunaux ont donc accordé certaines protections aux adolescents qui traitent avec la police et la loi a simplement élargi et codifié cette pratique.

L'application de l'art. 56

L'article 56 lui‑même vise à protéger tous les adolescents, particulièrement les timides et les craintifs, les nerveux et les naïfs. Toutefois la justice exige que la loi soit appliquée de façon uniforme dans tous les cas. Les exigences de l'art. 56 doivent être respectées, que les autorités traitent avec un adolescent nerveux et naïf ou avec un adolescent qui a l'expérience du monde et de la rue. Les conditions législatives préalables en matière de recevabilité d'une déclaration faite par un adolescent ne peuvent être assouplies ou contournées parce que les autorités sont convaincues, sur le fondement de ce qu'elles croient être une preuve solide, de la culpabilité du suspect. Si on assouplit des exigences parce qu'on croit qu'un adolescent est presque certainement coupable, on les assouplira ensuite dans le cas de ceux que les autorités croient probablement coupables, et par la suite dans le cas du suspect qui pourrait être coupable mais dont la conduite passée, de l'avis des personnes en situation d'autorité, est telle qu'il devrait être reconnu coupable de quelque chose pour la protection générale de la société. Les principes d'équité exigent que l'article soit appliqué uniformément à tous, indépendamment des caractéristiques de l'adolescent en cause.

Il est juste et convenable que les adolescents jouissent de garanties supplémentaires avant que leurs déclarations soient admises. Les paragraphes 56(2) à (6) inclusivement précisent la protection supplémentaire qui doit être accordée à tous les adolescents âgés de moins de 18 ans.

L'application du par. 56(2)

Lorsqu'on examine l'application du par. 56(2), il faut se rappeler qu'il commence par un avertissement selon lequel aucune déclaration faite par un adolescent à une personne en situation d'autorité n'est admissible à moins que les conditions qui suivent ne soient remplies. Un bref examen de ces conditions permet de constater, qu'elles sont parfaitement justes et raisonnables.

L'alinéa 56(2)a) dit que la déclaration doit être volontaire.

L'alinéa 56(2)b) exige que la personne à qui la déclaration est faite explique clairement à l'adolescent, en des termes adaptés à son âge et à sa compréhension (i) qu'il n'est obligé de faire aucune déclaration; (ii) que la déclaration pourra servir de preuve dans les poursuites intentées contre lui; (iii) qu'il a le droit de consulter un adulte; et (iv) que toute déclaration faite par lui doit l'être en présence de la personne consultée, sauf s'il en décide autrement.

L'alinéa 56(2)c) prévoit que, avant de faire la déclaration, l'adolescent doit avoir la possibilité de consulter soit son avocat, soit son père ou sa mère, soit, en l'absence du père ou de la mère, un parent adulte ou tout autre adulte idoine qu'il aura choisi.

L'alinéa 56(2)d) prévoit que, au cas où l'adolescent a consulté une personne conformément à l'al. c), il doit avoir la possibilité de faire sa déclaration en présence de cette personne.

Ces exigences ont‑elles été respectées en l'espèce? Il n'y a aucun doute que, en l'espèce, la déclaration était volontaire et qu'on a donc respecté l'al. 56(2)a). Toutefois, je ne peux admettre que toutes les exigences de l'al. 56(2)b) aient été respectées. Évidemment, il est incontestable qu'on a dit à J.T.J. qu'il n'était pas obligé de faire une déclaration et, en outre, que toute déclaration de sa part pourrait servir de preuve. Les policiers n'ont pas ajouté les termes "dans les poursuites intentées contre vous", mais cette omission n'a aucune incidence. Par conséquent, les sous‑al. 56(2)b)(i) et (ii) ont été respectés. Toutefois, à mon avis, ni le sous‑al. 56(2)b)(iii) ni (iv) n'ont été respectés en ce qui a trait aux déclarations faites par J.T.J. C'est‑à‑dire qu'on n'a pas dit à J.T.J. que, avant de faire une déclaration, il avait le droit de consulter un avocat ou un parent adulte. De plus, lorsqu'il a fait ses déclarations ni avocat ni aucun adulte n'était présent.

J.T.J. a fait trois déclarations incriminantes pendant qu'il était sous la garde des policiers. La première a été faite à 23 h 05, la deuxième à 1 h 55 et la troisième, formée de mots et de gestes faits sur le lieu du crime, à 3 h 45. On a soutenu pour le compte du ministère public que la première déclaration faite à 23 h 05 était spontanée et, par conséquent, s'inscrivait dans le cadre du par. 56(3). Je ne peux accepter cet argument. Les faits sont tels qu'on ne peut dire que J.T.J. était considéré autrement que comme un suspect aux yeux des policiers au moment où la déclaration a été faite. Il avait été gardé par les policiers dans la même salle d'interrogatoire pendant près de quatre heures. Pendant ce temps, il a été longuement interrogé par les policiers. Par la suite, il a été laissé seul pendant une courte période. Les policiers sont ensuite revenus et lui ont déclaré qu'il avait menti. C'est à ce moment‑là seulement que J.T.J. a fait la première déclaration incriminante.

Dès lors, J.T.J. était de toute évidence un suspect, voire le suspect principal. Compte tenu de l'interrogatoire continu de J.T.J. par les policiers, sa déclaration ne pouvait pas non plus être considérée comme spontanée. Si les policiers voulaient obtenir une déclaration de J.T.J. à 23 h 05 lorsqu'ils sont revenus dans la salle d'interrogatoire, ils auraient dû se conformer alors aux dispositions du par. 56(2), d'autant plus qu'ils ont admis connaître ses exigences. La première déclaration doit être réputée irrecevable.

Il y a des raisons encore plus fortes de conclure que la déclaration faite à 1 h 55 était irrecevable. Les policiers avaient averti l'avocat, qui était venu plus tôt et avait donné des conseils à J.T.J., qu'ils allaient poursuivre l'interrogatoire. Si telle était leur intention, ils étaient alors tenus de se conformer encore une fois aux exigences de l'art. 56. Chaque fois qu'on a demandé à J.T.J. s'il désirait la présence d'un adulte ou s'il voulait obtenir les services d'un avocat, il a répondu par l'affirmative. C'est donc une indication claire que, s'il avait été correctement informé, il se serait prévalu de la possibilité de demander qu'un avocat ou un adulte soit présent à cet autre interrogatoire.

Il est certain que, si les policiers voulaient continuer l'interrogatoire pour obtenir une déclaration de J.T.J., ils auraient alors dû l'aviser encore une fois de son droit à la présence de son cousin ou d'un avocat. Une erreur a été commise. Les policiers connaissaient les exigences de l'art. 56 mais ont jugé bon de ne pas en tenir compte. Si averti que puisse être J.T.J., il ne devait être, au moment de sa deuxième déclaration, qu'un jeune de 17 ans fatigué après les sept heures passées sous la garde des policiers. Il avait le droit d'être informé de ses droits. Son avocat et lui avaient le droit de s'attendre à ce que les policiers respectent les dispositions de l'art. 56.

Le ministère public soutient que le fait que J.T.J. ait refusé de faire une déclaration écrite démontre qu'il était au courant de ses droits et qu'il y a renoncé ou n'a pas voulu les exercer. Cet argument ne peut être accepté. L'élément de preuve selon lequel J.T.J. a refusé de rédiger une déclaration peut être utilisé tout aussi efficacement pour soutenir qu'il n'était pas totalement au courant de ses droits et qu'il croyait qu'une déclaration verbale n'avait pas la même importance qu'une déclaration écrite.

On a également soutenu qu'on avait respecté en substance le par. 56(2), de sorte que les déclarations de J.T.J. étaient recevables. Je ne peux accepter cet argument. Deux des exigences les plus importantes n'ont pas été remplies. Encore une fois, J.T.J. n'a pas été avisé de son droit d'avoir recours aux services d'un avocat ni de son droit à la présence d'un avocat ou d'un adulte lorsqu'il a fait ses déclarations. Dans ces circonstances, on ne peut dire qu'on a respecté en substance le par. 56(2).

Finalement, la déclaration représentée par des gestes faits et des réponses verbales données à 3 h 45 doit être jugée irrecevable. À ce moment‑là, l'accusé avait été sous garde pendant près de neuf heures. Là encore, les réponses verbales doivent être jugées irrecevables car on n'a pas respecté le par 56(2). Je ne peux non plus faire de distinction entre les gestes et la déclaration verbale. Les gestes et les réponses verbales sont partie intégrante de la déclaration finale faite en réponse à l'interrogatoire continu des policiers. Le ministère public a volontiers admis que si la déclaration faite à 1 h 55 était jugée irrecevable, alors la dernière déclaration y compris les réponses et les gestes, devait également être jugée irrecevable. Le ministère public a eu raison de faire une telle concession.

Par conséquent, les trois déclarations faites par J.T.J. aux policiers sont irrecevables.

L'alinéa 213a) du Code criminel

On a également soutenu que l'al. 213a) du Code criminel portait atteinte aux dispositions de l'art. 7 de la Charte. Pour les motifs exposés par le juge Lamer dans l'arrêt R. c. Martineau, je suis d'avis que l'al. 213a) doit être jugé inconstitutionnel.

Dispositif

En définitive, je suis d'avis de rejeter le pourvoi, d'accueillir l'appel incident et d'ordonner un nouveau procès de J.T.J. sur l'accusation d'homicide involontaire coupable. On a soutenu que si les déclarations étaient jugées irrecevables, il faudrait prononcer un acquittement. Je ne peux accepter cet argument. Il y a, à mon avis, des éléments de preuve qui pourraient permettre à un jury, ayant reçu des directives appropriées, de déclarer J.T.J. coupable d'homicide involontaire coupable.

Les réponses aux questions constitutionnelles sont les suivantes:

1.L'alinéa 213a) du Code criminel (maintenant l'al. 230a) du Code criminel, L.R.C. (1985)) viole‑t‑il les droits et libertés garantis par l'art. 7 ou l'al. 11d), ou les deux à la fois, de la Charte canadienne des droits et libertés?

R. Oui.

2.Si la réponse à la première question est affirmative, l'al. 213a) du Code criminel (maintenant l'al. 230a) du Code criminel, L.R.C. (1985)) est‑il justifié par l'article premier de la Charte et, par conséquent, compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

R. Non.

//Le juge L'Heureux-Dubé//

Version française des motifs rendus par

LE JUGE L'HEUREUX‑DUBÉ (dissidente) — Ruby Adriaenssens fut tuée à l'âge de trois ans. Son cadavre fut découvert abandonné dans un garage, nu de la ceinture jusqu'aux pieds. Elle portait un t‑shirt rouge et blanc. Une culotte bleu clair était à ses pieds. Elle avait le rectum meurtri et déchiré. Les blessures infligées à la région anale correspondaient à celles qu'une agression sexuelle aurait causées. On a observé qu'elle avait du sang du côté gauche de la tête et à l'oreille droite. Sa mort est survenue à la suite de fractures multiples des deux côtés du crâne et d'une fracture de la colonne comme si elle avait eu la tête écrasée contre le sol avec un objet lourd.

J.T.J. fut d'abord amené à un poste de police par les agents à titre de témoin. Cependant, par sa déposition il a vite fourni des détails que seul l'auteur du crime aurait pu connaître comme [TRADUCTION] "Ah oui! Comme je l'ai dit, il est revenu et il a dit avoir vu une petite fille dans les marches. Il l'a amenée au garage, mais elle pleurait et réclamait sa grand‑mère". Puis, à un moment donné, il a laissé échapper [TRADUCTION] "Ah! Je l'ai empoignée. Je l'ai amenée au garage par l'allée. Je ne me souviens plus très bien. J'ai eu un trou de mémoire".

Les policiers ont immédiatement interrompu l'interrogatoire, ils ont localisé à Winnipeg, H.J., le plus proche parent adulte de J.T.J., et l'ont amené au poste de police. Ils ont en outre informé l'accusé de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat, ce dont il s'est prévalu. Son avocate, Brenda Keyser, est arrivée au poste, a conféré avec l'accusé pendant 37 minutes, et s'est ensuite entretenue avec H.J. H.J. est resté au poste de police.

Les policiers ont continué d'interroger l'accusé et lui ont demandé s'il voulait faire une déclaration écrite au sujet des événements de la nuit en question. L'accusé a répondu: [TRADUCTION] "Non. Elle m'a dit de ne pas le faire". Les policiers ont alors mentionné certains des éléments de preuve qu'ils avaient recueillis et ont posé d'autres questions à l'accusé. Celui‑ci a répondu volontairement, révélant comment il avait empoigné l'enfant dans l'escalier d'une maison d'appartements, l'avait amenée dans le garage par l'allée. Rendu là, il a agressé sexuellement la fillette, qui criait et réclamait sa grand‑mère. L'accusé a alors révélé qu'il a eu peur que quelqu'un ne vienne et qu'il a matraqué l'enfant avec une brique pour la faire taire.

J.T.J. fut alors amené de la centrale de police à un centre de détention pour jeunes délinquants. En cours de route, les agents se sont arrêtés en face de la maison d'appartements où l'enfant habitait. Lorsqu'on lui a demandé par quelle porte la fillette était sortie, l'accusé a pointé du doigt en disant [TRADUCTION] "celle‑ci". Il a alors indiqué aux policiers ce qu'il avait fait avec l'enfant jusqu'au garage où l'homicide s'est produit. Rendu là, il a montré aux policiers le bloc de béton dont il s'était servi pour faire taire l'enfant.

J.T.J. fut accusé de meurtre au premier degré et, même s'il n'avait que 17 ans, l'affaire a été déférée au tribunal pour adultes conformément au par. 16(2) de la Loi sur les jeunes contrevenants S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 110. Il fut déclaré coupable de meurtre au premier degré par un juge et un jury. En appel, sa déclaration de culpabilité fut infirmée et un nouveau procès fut ordonné. La Cour d'appel a conclu que les déclarations faites par J.T.J., alors qu'il était encore considéré comme témoin, auraient dû être exclues. La Cour d'appel a toutefois aussi conclu que les déclarations et les gestes faits par J.T.J., alors qu'il était considéré comme suspect, exclus par le juge du procès, auraient dû être reçus en preuve.

Le second procès eut aussi lieu devant un juge et un jury et se termina de la même façon par une déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré. La Cour d'appel renversait cependant la décision qu'elle avait rendue lors du premier appel et concluait que seuls les gestes, et non les déclarations, étaient admissibles en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants. Elle infirma donc le verdict du jury et y substitua un verdict d'homicide involontaire coupable.

Le présent pourvoi vise le second arrêt de la Cour d'appel du Manitoba et il soulève deux questions distinctes: soit la constitutionnalité de l'al. 213a) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, et les règles d'exclusion de preuve prescrites par l'art. 56 de la Loi sur les jeunes contrevenants. J'ai pris connaissance de l'opinion du juge Cory et, avec égards, je ne saurais souscrire à la façon dont il dispose de l'une et l'autre question. Pour les motifs que j'ai exposés dans l'arrêt R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 000, dont le pourvoi a été entendu et l'arrêt prononcé en même temps que celui‑ci, je suis d'avis que l'al. 213a) du Code criminel ne viole ni l'art. 7, ni l'al. 11d) de la Charte. Dans cet arrêt, j'ai conclu qu'une prévisibilité objective de mort était valide du point de vue constitutionnel pour l'infraction de meurtre et j'ai distingué cette affaire de l'arrêt R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636.

En conséquence, le présent pourvoi porte plus précisément sur l'applicabilité de l'art. 56 de la Loi sur les jeunes contrevenants. Cet article est ainsi rédigé:

56. (1) Sous réserve du présent article, les règles de droit concernant la recevabilité des déclarations faites par des personnes inculpées s'appliquent aux adolescents.

(2) La déclaration orale ou écrite faite par un adolescent à un agent de la paix ou à toute autre personne en autorité d'après la loi, n'est pas recevable en preuve contre l'adolescent, sauf si les conditions suivantes sont remplies:

a) la déclaration est volontaire;

b) la personne à qui la déclaration a été faite a, avant de la recueillir, expliqué clairement à l'adolescent, en des termes adaptés à son âge et à sa compréhension, que:

(i) il n'est obligé de faire aucune déclaration,

(ii) toute déclaration par lui faite pourra servir de preuve dans les poursuites intentées contre lui,

(iii) il a le droit de consulter une tierce personne conformémentà l'alinéa c),

(iv) toute déclaration faite par lui doit l'être en présence de la personne consultée, sauf s'il en décide autrement;

c) l'adolescent s'est vu donner, avant de faire la déclaration, une occasion raisonnable de consulter soit son avocat soit son père ou sa mère, soit, en l'absence du père ou de la mère, un parent adulte, soit, en l'absence du père ou de la mère et du parent adulte, tout autre adulte idoine qu'il aura choisi;

d) l'adolescent s'est vu donner, au cas où il a consulté une personne conformément à l'alinéa c), une occasion raisonnable de faire sa déclaration en présence de cette personne.

(3) Les conditions prévues aux alinéas (2)b), c) et d) ne s'appliquent pas aux déclarations orales spontanées faites par l'adolescent à un agent de la paix ou à une autre personne en autorité avant que l'agent ou cette personne n'ait eu une occasion raisonnable de se conformer aux dispositions de ces alinéas.

(4) L'adolescent peut renoncer à son droit de consultation prévu aux alinéas (2)c) ou d); la renonciation doit être faite par écrit et comporter une déclaration signée par l'adolescent, attestant qu'il a été informé du droit auquel il renonce.

(5) Dans les poursuites intentées sous le régime de la présente loi, le juge du tribunal pour adolescents peut déclarer irrecevable une déclaration faite par l'adolescent poursuivi, si celui‑ci l'a convaincu que la déclaration lui a été extorquée par contrainte exercée par une personne qui n'est pas en autorité selon la loi.

Il est incontestable que, n'eût été de l'âge de J.T.J., tous les éléments de preuve ici en question seraient recevables. Cela ne veut pas dire que les adultes ne bénéficient pas d'une protection importante au plan procédural en vertu des principes de justice fondamentale constitutionnalisés par la Charte canadienne des droits et libertés. Ils en bénéficient. En l'espèce, toutes ces mesures de protection ont été strictement respectées.

Dès que J.T.J. eut commencé à faire une déclaration le moindrement inculpatoire, les agents de police l'ont empêché de continuer. L'agent qui procédait à l'interrogatoire lui a immédiatement dit: [TRADUCTION] "Attends un instant. Je vais faire venir ton oncle. Veux‑tu que ton oncle vienne?" Manifestement, J.T.J. fut avisé de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un adulte. Il choisit d'exercer ce droit. Les policiers firent venir H.J., le plus proche parent adulte de l'accusé qui habitait Winnipeg, qui était son employeur et chez qui l'accusé habitait. Lorsque l'interrogatoire reprit, en présence de H.J., l'accusé fut mis en état d'arrestation, accusé de meurtre au premier degré et informé de son droit à l'assistance d'un avocat. On l'informa qu'il n'était pas obligé de faire quelque déclaration que ce soit, mais que tout ce qu'il dirait serait consigné par écrit et pourrait être invoqué contre lui. L'accusé a expressément reconnu qu'il comprenait ces mises en garde et il a exercé son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat. Aucun interrogatoire n'eut lieu avant que son avocate arrive. L'accusé eut un entretien de 37 minutes avec son avocate. L'avocate s'est aussi entretenue avec H.J. avant de quitter les lieux.

Cette procédure satisfait à toutes les précautions normales prescrites afin de préserver les droits d'une personne arrêtée. Cependant, lorsque la personne arrêtée est âgée de moins de 18 ans, la Loi sur les jeunes contrevenants s'applique également. Dans le présent pourvoi, l'application de la Loi soulève deux questions spécifiques. La procédure prescrite par ces dispositions a‑t‑elle été observée par les policiers qui ont procédé à l'interrogatoire et les actes et gestes sont‑ils visés par la définition que donne la loi de "déclarations orales ou écrites"?

Quant à la seconde question, deux des trois juges de la Cour d'appel du Manitoba ont établi une distinction entre les déclarations orales faites au poste de police et les gestes accomplis sur la scène du crime, statuant que la Loi sur les jeunes contrevenants n'affectait pas l'admissibilité de ces derniers. Le ministère public appelant concède toutefois que les gestes faits par J.T.J. en présence des policiers ne doivent pas être soustraits à la protection de l'art. 56 au motif qu'ils ne seraient ni des déclarations orales ni des déclarations écrites. On soutient plutôt que ces gestes devraient être recevables au même titre que les déclarations orales faites au poste de police. Il n'est donc pas nécessaire de toucher à cette conclusion de la Cour d'appel du Manitoba et la question peut être tranchée sur la base que toutes les communications, déclarations orales ou gestes, doivent être considérées globalement.

On ne saurait trop insister sur l'importance des dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants. Les policiers doivent être particulièrement vigilants pour respecter, en raison de leur jeune âge, les droits des jeunes contrevenants qu'on considère comme suspects, compte tenu en outre du risque qu'ils se laissent influencer. De plus, les jeunes sont sans aucun doute plus susceptibles d'intimidation par les interrogateurs de la police. Leur réserve et leur capacité d'agir dans leur meilleur intérêt sont quelque peu atténuées. C'est la responsabilité des policiers et des personnes en autorité d'apprécier cette différence et d'agir en conséquence.

La Loi sur les jeunes contrevenants a une double fonction à cet égard. Elle établit les principes et les règles essentielles qui régissent la conduite des policiers et qui assurent concrètement la protection des jeunes contre la possibilité d'atteinte à leurs droits dans la cueillette de la preuve. La Loi énonce aussi ses propres règles d'exclusion en définissant les normes qu'il faut respecter outre celles qui existent déjà en vertu de la Constitution. Ces règles reconnaissent que les adolescents ne sont pas adultes; que leur naïveté et leur manque d'expérience justifient la préservation de leurs droits par des mesures supplémentaires de protection.

Cependant, les jeunes contrevenants soupçonnés d'avoir commis une infraction doivent être traités d'une façon qui correspond à leur âge. La Loi sur les jeunes contrevenants dit clairement que les adolescents doivent porter la responsabilité de leurs infractions. Le mot "adolescent" ne peut s'interpréter dans l'abstrait et hors du temps. On ne peut voir l'adolescence comme un moment figé dans le temps. Il est impossible de regrouper tous les jeunes de 12 à 18 ans et de les traiter de façon uniforme sans égard aux différences de capacités intellectuelles et de compréhension.

L'esprit de la Loi vise à refléter l'évolution de ce processus de développement. La Loi établit un régime diversifié qui fait en sorte que le traitement des adolescents soit proportionné à leurs capacités et à leur compréhension. Le procureur général d'alors, Robert Kaplan, a énoncé l'objet et les fins de la Loi comme ceci:

Ils doivent atteindre un juste équilibre entre l'obligation d'aider les jeunes contrevenants et celle de protéger la société contre un comportement nuisible. Ils doivent sauvegarder les droits des jeunes qui ont des démêlés avec la justice tout en décourageant les contrevenants de commettre d'autres crimes.

Débats de la Chambre des communes, 12 mai 1981, à la p. 9517.

Cette recherche de l'équilibre est mouvante et, comme l'a dit M. Wenman pendant le débat parlementaire:

Jusqu'à l'adoption du projet de loi à l'étude, les jeunes contrevenants sont ceux qui sont âgés de 7 à 18 ans. Si le projet de loi est adopté, ils constitueront un groupe encore plus restreint de cette tranche d'âge entre l'enfance et l'âge adulte, soit plus précisément les jeunes de 12 à 17 ans. Il s'agira donc d'un groupe bien délimité qui est celui des adolescents. Il sera donc question désormais d'adolescents délinquants.

Qui sont ces adolescents délinquants? Nous pouvons restreindre cette désignation encore davantage. Les statistiques montrent que les contrevenants qui nous intéressent dans le groupe des 12 à 17 ans sont les jeunes de 14 et 15 ans. [Je souligne.]

Débats de la Chambre des communes, 12 mai 1981, à la p. 9517.

Dans cette "tranche d'âge entre l'enfance et l'âge adulte", il y a ceux qui sont plutôt "enfants" et ceux qui sont plutôt "adultes". Nous devons surtout protéger ceux qui ont 12 et 13 ans, soit ceux qui se situent à l'extrémité jeune de ce groupe d'âge. Leur jeunesse suit immédiatement cet âge où les enfants sont jugés trop jeunes pour être totalement assujettis à la Loi. Par contre, ceux de 17 ans sont presque à l'âge adulte qu'ils atteindront quelques mois plus tard et ils jouiront alors de toute la protection offerte par la Charte canadienne des droits et libertés, mais de rien de plus.

D'où la nécessité de tenir compte de certains "signes de maturité", particulièrement lorsqu'il s'agit d'un contrevenant qui approche la fin de la période où il jouit encore de la protection de la Loi. Ce point de vue est en accord avec une interprétation libérale de la Loi. Bien qu'une application progressive puisse donner l'impression d'une atteinte aux droits d'un contrevenant plus âgé, elle a aussi pour effet d'augmenter la protection offerte à ceux qui en réalité sont des enfants. Bien que j'acquiesce à la proposition de mon collègue, à la p. 000, selon laquelle "Les principes d'équité exigent que l'article [56] soit appliqué uniformément", il faut tenir compte de toutes les circonstances d'un cas particulier pour évaluer si les dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants ont été respectées.

Dans la publication intitulée La Loi sur les jeunes contrevenants: Points saillants (1981), le bureau du Solliciteur général explicite, à la p. 4, l'attitude, aujourd'hui incorporée à la déclaration de principe comprise dans l'art. 3, que la nouvelle Loi entend adopter à l'égard des jeunes contrevenants:

La philosophie de la nouvelle Loi est exposée dans un article formant un énoncé de principes, qui servira de guide dans la recherche de l'esprit et du but de la Loi pour quiconque s'intéresse à son application partout au Canada.

L'approche de la Loi est axée sur les trois principes suivants: les jeunes doivent répondre davantage de leurs actes sans en être tenus entièrement responsables vu qu'ils n'ont pas encore atteint la maturité; la société a le droit d'être protégée; les jeunes ont les mêmes droits que les adultes en ce qui a trait à l'application régulière de la loi et à un traitement juste et égal, et ces droits doivent être protégés par des garanties spéciales. Ainsi, la Loi a pour but d'atteindre un équilibre raisonnable et acceptable entre les besoins des jeunes et ceux de la société.

Selon l'énoncé de principes que renferme la nouvelle Loi:

. . .

◼Les jeunes contrevenants ont des besoins spéciaux en raison de leur état de dépendance et de leur degré de développement et de maturité. Ils ont aussi besoin d'aide et de directives. [Je souligne.]

Ces différents niveaux de développement et de maturité donnent à la Loi un esprit de souplesse et d'adaptation. Les jeunes contrevenants ont les mêmes droits que les adultes. La Loi fait en sorte que les garanties nécessaires pour la protection de ces droits ne soient pas diluées. Le principe sous‑jacent porte sur l'application proportionnée de la Loi selon les besoins particuliers du jeune contrevenant et selon la responsabilité parens patriae de l'État.

Monsieur Hawkes a dit au sujet de cet énoncé de principe:

Quels sont les jeunes de 17 ans, qui ont besoin de surveillance, tous ceux qui enfreignent la loi? L'idée de surveillance comporte‑t‑elle un élément utile? Qu'entendons‑nous par là? Dans le contexte de la société, cela signifie des agents de libération conditionnelle. Ils ont constitué de tout temps notre mode de surveillance. Ce mode a‑t‑il donné de bons résultats? Si je ne m'abuse, les résultats de recherches scientifiques tendent à démontrer que la surveillance n'est pas nécessairement la solution à tous les cas de délinquance. Les jeunes contrevenants ont‑ils tous besoin d'être disciplinés et contrôlés? Sont‑ils tous dans un état de dépendance?

Débats de la Chambre des communes, 12 mai 1981, à la p. 9516.

À l'origine, le projet de loi proposait que l'âge maximal de 18 ans puisse être ramené à 16 ans, si une province le demandait. Cependant, cette particularité a été écartée à cause de la possibilité d'une violation de l'art. 15 de la Charte parce que l'âge d'application de la loi aurait varié d'une province à l'autre. Voir les Débats de la Chambre des communes, 15 mai 1981, à la p. 9647; 29 mai 1981, à la p. 10073.

Cette interprétation de la Loi sur les jeunes contrevenants est aussi conforme à la jurisprudence américaine. La règle générale selon laquelle un suspect d'acte criminel doit avant d'être interrogé, être informé du droit de garder le silence et de celui d'avoir recours à l'assistance d'un avocat dont il jouit en vertu du Cinquième amendement de la Constitution des États‑Unis a été consacrée par l'arrêt Miranda v. Arizona, 384 U.S. 436 (1966). Ces droits ont été appliqués à des jeunes contrevenants dans l'arrêt In re Gault, 387 U.S. 1 (1967). Pour être valide, toute renonciation à ces droits doit avoir été faite [TRADUCTION] "volontairement, en connaissance de cause et de façon éclairée":

L'interprétation de cette norme d'application de la Constitution fédérale a été clarifiée par l'arrêt Fare v. Michael C., 442 U.S. 707 (1979), aux pp. 724 et 725, qui précise qu'il faut tenir compte de [TRADUCTION] "l'ensemble des circonstances" pour établir si la renonciation à ces droits a été faite "volontairement, en connaissance de cause et de façon éclairée":

[TRADUCTION] Nous avons signalé dans l'arrêt North Carolina v. Butler, 441 U.S., à la p. 373, que la question de savoir si l'accusé a renoncé à ses droits "ne relève pas de la forme, mais de savoir si le défendeur a bien renoncé aux droits mentionnés dans l'arrêt Miranda en connaissance de cause et volontairement". Il faut donc déterminer si les déclarations faites pendant l'interrogatoire sous garde sont recevables par un examen de l'ensemble des circonstances de l'interrogatoire pour vérifier si l'accusé a bien renoncé à ses droits de garder le silence et d'avoir recours à l'assistance d'un avocat volontairement et en connaissance de cause.

. . .

La méthode globale rend possible, elle rend obligatoire même, un examen de toutes les circonstances de l'interrogatoire. Ces circonstances englobent l'âge de l'adolescent, son expérience, sa scolarité, son milieu, son intelligence et exigent de déterminer s'il pouvait comprendre les mises en garde qui lui ont été faites, la nature des droits dont il jouit en vertu du Cinquième amendement et les conséquences de renoncer à ces droits.

Dans les circonstances précises de ce cas, la Cour suprême des États‑Unis était aux prises avec la déclaration de culpabilité de meurtre d'un adolescent de 16 ans, infirmée par la Cour suprême de la Californie, qui avait déclaré les aveux de l'adolescent irrecevables. La Cour suprême des États‑Unis a infirmé cet arrêt et a conclu, à la p. 726 que:

[TRADUCTION] La transcription de l'interrogatoire indique que les agents de police qui l'ont conduit ont pris soin de s'assurer que l'accusé comprenait ses droits. Ils ont clairement expliqué à l'intimé qu'il était interrogé en rapport avec un meurtre. Ils l'ont alors avisé de tous les droits énoncés dans l'arrêt Miranda et ont vérifié que l'intimé comprenait ces droits. Il n'y a rien au dossier qui indique que l'intimé n'a pas compris ce que les agents lui disaient.

À mon avis, cet extrait s'applique à l'espèce. De plus, les déclarations ici en cause ont été faites après consultation d'un parent adulte et d'un avocat. La plupart des États Américains ont adopté en matière de Constitution fédérale la norme de "l'ensemble des circonstances" énoncée dans l'arrêt Fare v. Michael C. pour l'interprétation de leurs lois relatives aux jeunes contrevenants. Cependant, certains États ont adopté des dispositions législatives qui optent pour la méthode per se en vertu de laquelle les renonciations sont jugées irrecevables à moins qu'un adulte n'ait été présent pour conseiller l'adolescent avant son interrogatoire. Dans l'arrêt State in the Interest of Dino, 359 So.2d 586, cert. refusé, 439 U.S. 1047 (1978), la Cour suprême de la Louisiane a statué que:

[TRADUCTION] . . . pour satisfaire au lourd fardeau qui lui incombe de démontrer que la renonciation a été faite "en connaissance de cause et de façon éclairée", l'État doit démontrer que l'adolescent a eu un entretien efficace avec un avocat ou un parent, un tuteur ou un autre adulte bien renseigné et intéressé à son bien‑être avant que l'adolescent ne renonce à son droit à l'assistance d'un avocat et à celui de ne pas s'incriminer.

Grisso, dans "Juveniles' Capacities to Waive Miranda Rights: An Empirical Analysis" (1980), 68 Cal. L. Rev. 1134 traite à la fois de la méthode globale et de la méthode per se, aux pp. 1141 et 1142:

[TRADUCTION] En vertu de la méthode intrinsèque, les tribunaux conservent un pouvoir discrétionnaire limité de déterminer si les critères applicables en vertu de la méthode intrinsèque ont été respectés. Parmi les critères, ils doivent surtout déterminer si l'adulte avait de l'intérêt, c.‑à‑d. un souci sincère du bien‑être de l'adolescent. Ils doivent aussi déterminer si l'adulte était renseigné sur les droits de l'adolescent, s'il comprenait ces droits, si l'enfant et l'adulte ont eu une possibilité raisonnable de se parler seul à seul et si cet entretien a été efficace.

Certains commentateurs ont critiqué la méthode intrinsèque parce qu'elle ne s'occupe pas suffisamment de protéger les droits de l'adolescent alors que d'autres soutiennent qu'elle va trop loin et entrave le travail des policiers. D'une part, les commentateurs ont soutenu qu'exiger la présence d'un parent lors de l'acte de renonciation n'est pas suffisant; ses intérêts divergents, ses réactions émotives à l'arrestation de son enfant ou ses limitations intellectuelles peuvent l'empêcher de fournir à l'enfant les conseils et le soutien dont il a besoin. Cette critique a donné lieu à une tendance à écarter systématiquement en vertu de dispositions législatives les aveux faits par des jeunes contrevenants sans l'assistance d'un avocat.

Grisso reconnaît aussi que cette méthode a fait l'objet de fréquentes critiques parce qu'elle limite inutilement la poursuite de jeunes contrevenants sophistiqués. Cette opinion est conforme à l'arrêt Fare de la Cour suprême des États‑Unis par lequel elle assigne aux tenants de la méthode per se le fardeau de prouver que la grande majorité des jeunes contrevenants ne comprend, ni ne peut apprécier les droits auxquels on leur demande de renoncer.

Notre Cour a aussi récemment adopté la méthode globale dans l'arrêt R. c. Debot, [1989] 2 R.C.S. 1140, à la p. 1168; le Juge en chef Dickson, dissident, l'a aussi adoptée dans l'arrêt R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755. Ces deux arrêts portent sur l'exclusion d'éléments de preuve obtenus à l'occasion de fouilles en matière de drogues et déterminent si cette exclusion est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Par analogie, il s'agit ici de décider si l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants exige l'exclusion des déclarations faites à la police par J.T.J. À mon avis, la Loi ne saurait être intégralement respectée que si l'on reçoit en preuve les actes et gestes en cause.

Dans les crimes commis par de jeunes contrevenants, on craint que la méthode globale ne permette un minimum de consultation de l'adolescent avec un adulte ou un avocat et, même en vertu de la méthode per se, que la consultation d'un adulte ne soit pas suffisante, J.T.J. a eu droit aux deux. Donc, même en vertu des normes les plus strictes de la méthode per se, l'accusé en l'espèce a reçu toute la protection qu'il pouvait recevoir en matière de procédure. De plus, le ministère public ne soutient pas que l'accusé a renoncé à ses droits. Loin d'y renoncer, J.T.J. a exercé ses droits. L'attention se porte plutôt sur sa conduite après qu'il eut invoqué ses droits constitutionnels et ses droits en vertu de la loi et sur la question de savoir s'il a, en réalité, agi "volontairement, en connaissance de cause et avec discernement".

J.T.J. était âgé de 17 ans au moment de l'infraction. Auparavant, il avait vécu en union de fait pendant environ 10 mois. Un enfant est né de cette union. Même s'il ne cohabitait plus avec la mère de l'enfant, il lui a fait quelques versements de pension alimentaire. J..T.J. travaillait comme couvreur pour son cousin H.J. qui était présent au poste de police pour le conseiller et le soutenir. Lorsque J.T.J. a été avisé par les policiers de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat il a tiré de sa poche la carte d'affaire d'une avocate. Il a ensuite eu un entretien de 37 minutes avec son avocate. L'avocate a, soit accepté la déclaration des policiers qu'ils devaient reparler à J.T.J., soit dit aux policiers que son client ne ferait pas de déclaration.

Ces faits indiquent que l'accusé a manifesté un niveau mental relativement avancé et était bien conscient de sa situation. Sa maturité aurait dû lui faire voir le danger de répondre à certaines questions après qu'il eut été expressément mis en garde aussi bien par les policiers que par son avocate. Ces indices de maturité n'autorisent pas le non‑respect de la Loi. Ils définissent plutôt avec plus d'acuité les mesures qu'il était nécessaire de prendre pour fournir à cet adolescent en particulier les garanties prescrites, en fonction de son âge et de son développement.

Dans l'arrêt R. v. G. (1985), 20 C.C.C. (3d) 289, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a infirmé à l'unanimité la décision d'un juge de première instance d'exclure des éléments de preuve parce que l'art. 56 de la Loi sur les jeunes contrevenants n'avait pas été respecté. Dans cette affaire, l'accusé avait signé une renonciation à ses droits et sa capacité de le faire était en litige. La Cour d'appel a souligné que [TRADUCTION] "le juge du procès a conclu que l'adolescent en cause était à la fois mûr et futé", et qu'il fallait tenir compte de ces facteurs au moment d'appliquer la Loi.

Si l'on analyse des exigences imposées par le par. 56(2), on se rend compte qu'il a été intégralement respecté dans le présent pourvoi:

(1)la déclaration doit être volontaire [al. 56(2)a)] ‑- toutes les déclarations de J.T.J. ont été faites volontairement;

(2)les policiers doivent expliquer à l'adolescent qu'il n'est pas obligé de faire une déclaration [al. 56(2)b)(i)] ‑- la chose a été faite;

(3)les policiers doivent expliquer que toute déclaration peut servir contre l'adolescent dans des procédures dirigées contre lui [al. 56(2)b)(ii)] ‑- la chose a aussi été faite;

(4)les policiers doivent encore expliquer qu'il a le droit de prendre l'avis d'un avocat ou de son père ou de sa mère, ou en l'absence du père et de la mère, d'un parent adulte [al. 56(2)b)(iii)] ‑- la chose a aussi été faite;

(5)les policiers doivent encore expliquer que toute déclaration que fait l'adolescent doit être faite en présence de la personne dont il pris l'avis à moins qu'il ne veuille qu'il en soit autrement [al. 56(2)b)(iv)] ‑- c'est l'objet du litige.

En Cour d'appel du Manitoba, la majorité a conclu que la dernière condition n'avait pas été respectée en l'espèce. Je ne suis pas de cet avis. Compte tenu des signes de maturité déjà mentionnés, et en raison des premiers mots du par. 56(2), je crois que toutes les conditions énoncées dans cette disposition ont été respectées. Les policiers doivent fournir à l'adolescent des explications "en des termes adaptés à son âge et à sa compréhension". C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre l'expression "sauf [si l'adolescent] en décide autrement".

Je désire souligner particulièrement que ceci ne fait pas dépendre de la volonté des agents de police le degré de protection dont l'adolescent jouit en vertu de la disposition législative. Il n'appartient pas aux policiers de décider de l'interprétation de la Loi. Si le comportement des policiers est par la suite mis en doute, le juge des faits doit déterminer, compte tenu de l'ensemble des circonstances, si les droits dont l'adolescent jouissait ont été respectés.

Platt dit ceci dans Young Offenders Law in Canada (1989), aux pp. 15‑13 et 15‑14:

[TRADUCTION] Puisque le critère de l'al. 56(2)b) est subjectif, la "personne en situation d'autorité" doit déterminer quel est le niveau de l'adolescent pour ce qui est de l'âge, de la scolarité et de la facilité d'expression.

. . .

. . . les droits et les mises en garde doivent être expliqués d'une façon que peut comprendre l'adolescent qui se trouve devant le tribunal. Chaque cas doit être considéré individuellement afin de déterminer si, compte tenu de l'âge et de la situation de l'adolescent, l'al. 56(2)b) a été respecté. [Je souligne.]

J.T.J. a pu jouir de toutes les garanties possibles en matière de procédure jusqu'aux déclarations en cause. Il a eu la possibilité de se prévaloir du droit à la présence d'un adulte et à l'assistance d'un avocat. Il s'est prévalu de ces droits. Il a consulté à la fois un parent adulte et son avocat. Il a reçu instruction de ne faire aucune déclaration; il en a même fait part aux policiers explicitement. Donc, puisqu'il a répondu volontairement à d'autres questions tout de suite après ces instructions, il est difficile de soutenir qu'il l'a fait contre sa volonté.

De plus, le fait que son avocate lui ait recommandé de ne signer aucune déclaration écrite n'invalide pas ce qui précède. Il se peut très bien qu'elle ait voulu s'assurer que son client ne renonce pas aux droits que le par. 56(4) lui conférait. Cette renonciation doit être écrite. Elle doit comporter une déclaration signée par l'adolescent qu'il a été informé du droit auquel il renonce. Introduire ces exigences explicites dans le sous‑al. 56(2)b)(iv) rendrait le par. 56(4) superflu. On a expressément demandé à J.T.J. s'il voulait signer une renonciation. Il a refusé. En conséquence, il a conservé tous ses droits et on les a également respectés.

Bien que l'accusé n'ait pas expressément déclaré: "Nonobstant mon droit de faire toute déclaration en présence d'un parent ou de mon avocat, j'affirme que je choisis de le faire en leur absence", une telle déclaration n'était pas nécessaire, surtout pas de la part d'un contrevenant ayant le niveau de maturité de J.T.J. Compte tenu de tous les événements qui avaient précédé, de la présence de H.J. qui se trouvait encore au poste de police, le consentement de l'accusé à répondre peut certainement être considéré comme "un consentement implicite".

Le juge Huband, qui a rédigé les motifs de la majorité de la Cour d'appel du Manitoba, a d'abord opté pour cette façon de voir après le premier appel de J.T.J. à la Cour d'appel du Manitoba (1987), 44 Man. R. (2d) 265, à la p. 271:

[TRADUCTION] En vertu du sous‑al. 56(2)b)(iv), toute déclaration faite par un adolescent doit l'être en présence d'un avocat, que l'accusé a consulté, à moins que l'adolescent ne souhaite le contraire. En l'espèce, l'accusé a consulté une avocate. Ensuite, l'accusé a refusé de fournir une déclaration écrite, mais il a répondu aux questions des policiers. L'accusé avait eu la possibilité de faire une déclaration en présence de son avocate, mais il a manifestement choisi de ne pas la faire quand celle‑ci était présente à la centrale de police. En donnant volontairement des renseignements après qu'elle fut partie, il est clair, à mon avis, qu'il a répondu volontairement aux questions hors de la présence de son avocate. Nous ne savons rien de ce qui s'est passé au cours de l'entretien survenu entre l'accusé et son avocate, mais on peut raisonnablement supposer que l'accusé a été informé de ses droits, y compris de celui de garder le silence ou de celui faire toute déclaration, s'il choisissait d'en faire une, en présence de son avocat. L'avocate était présente à la centrale de police, si l'accusé avait voulu faire une déclaration en présence de son avocate, il aurait pu le faire. Il aurait pu se prévaloir du droit de faire une déclaration en présence de son avocate, mais il a choisi de ne pas le faire. Il a volontairement fait une déclaration après le départ de son avocate. [Je souligne.]

Bala, écrit dans "The Young Offenders Act: A Legal Framework", dans Hudson, Hornick, et Burrows, éd., Justice and the Young Offender in Canada, à la p. 17:

[TRADUCTION] L'article 56 découle de l'acceptation du fait que les adolescents peuvent manquer du raffinement et de la maturité qu'il faudrait pour bien apprécier les conséquences juridiques de faire une déclaration et qu'en conséquence ils ont besoin d'une protection spéciale quand ils sont interrogés par les policiers. Il découle également de l'idée que certains adolescents sont facilement intimidés par un adulte en situation d'autorité et peuvent dire ce qu'ils croient que ces personnes en situation d'autorité veulent entendre, même si ce qu'ils disent est faux. On espère que la consultation d'un parent ou d'un avocat empêchera l'adolescent de faire une déclaration fausse. [Je souligne.]

Cette possibilité de consulter a été accordée. Les conseils et les instructions fournis par un parent et par son avocate ont permis à l'accusé de prendre une décision éclairée. Il lui appartenait, en définitive, de choisir.

Dans le présent pourvoi (1988), 50 Man. R. (2d) 300, le juge Huband a résumé son opinion antérieure, mais il a estimé nécessaire de changer d'avis, à la p. 307:

[TRADUCTION] Après avoir eu l'avantage de consulter son avocat, l'accusé a volontairement répondu aux questions que les policiers lui posaient. On pourrait soutenir que connaissant ses droits, l'accusé a manifestement voulu faire sa déclaration en répondant aux questions des policiers sans l'avantage de la présence de son avocat. C'était ma première impression. Mais en définitive, cet argument est impossible à soutenir. En vertu de l'al. 56(2)b), il faut expliquer à l'adolescent que son avocat doit être présent à moins que l'accusé ne choisisse expressément de faire une déclaration hors de la présence de son avocat.

Compte tenu de l'ensemble des circonstances présentes, il doit avoir été clair pour J.T.J. qu'il pouvait refuser de faire quelque commentaire que ce soit hors de la présence de son avocat tout comme il a refusé de signer une déclaration écrite. Sa conduite correspond à la prise d'une décision réfléchie et éclairée qu'on ne peut qualifier autrement que "de choix conscient de faire une déclaration en l'absence de son avocat".

Le juge Huband a aussi mentionné l'al. 56(2)d) qui porte sur "la possibilité de faire une déclaration en présence" de son avocate et il a estimé que cet alinéa n'avait pas été respecté, puisque [TRADUCTION] "l'accusé n'a pas eu l'intention de faire une déclaration pendant que son avocate était présente". Ce n'est pas là, à mon avis la portée de cette disposition. L'accusé connaissait ces faits au moment où l'avocate était présente et il aurait pu facilement les mentionner à ce moment‑là. Cependant, l'accusé n'a pas choisi d'agir de la sorte. On ne peut que spéculer sur le fait qu'en agissant ainsi, il obéissait aux directives de l'avocat. Cependant, l'intention qu'il a eue subséquemment ne peut affecter la recevabilité de ses déclarations du simple fait qu'il ait choisi ou ait reçu le conseil de ne pas révéler ces faits plus tôt.

Platt aborde aussi l'al. 56(2)c), (le droit de consultation), l'al. 56(2)d), (la possibilité suffisante de faire une déclaration) et le par. 56(4) (la renonciation à ces droits). Elle conclut à la p. 15‑19 que:

[TRADUCTION] Probablement que, quand il y a eu consultation conformément à l'al. 56(2)c) et quand l'adolescent a eu une possibilité suffisante de faire une déclaration en présence de la personne consultée, mais a refusé de le faire, il n'est pas nécessaire de faire signer une renonciation. Il en est ainsi parce que, selon le texte même de l'al. 56(2)d), il doit y avoir renonciation au droit seulement si l'adolescent ne veut pas avoir "une possibilité suffisante de faire sa déclaration en présence de cette personne".

Essentiellement, suivant l'interprétation de Platt cette série de dispositions substitue à l'obligation relative à la renonciation une possibilité suffisante de faire la déclaration en présence de la personne consultée. Bien que je ne croie pas que le droit à une renonciation ait été remplacé en l'espèce, les faits indiquent que J.T.J. a eu la possibilité suffisante de parler en présence de son parent ou de son avocate. Si l'on interprète ces dispositions comme exigeant que toutes les déclarations faites par un accusé soient faites en présence d'un parent ou d'un avocat, alors, comme le dit le juge en chef Monnin de la Cour d'appel, à la p. 308:

[TRADUCTION] Aucune déclaration ne pourra être exigée d'un adolescent sans lui accorder une possibilité suffisante de faire cette déclaration en présence d'un avocat ou de la personne consultée. Si c'est le sens de la loi, les interrogatoires de police, qui constituent une procédure légitime et normale d'enquête criminelle, deviendront impossibles et les interrogatoires en présence d'un avocat de la défense seront une pure perte de temps.

Une telle inefficacité du système de justice criminelle serait incompatible avec les objectifs et les fins de la Loi sur les jeunes contrevenants dont j'ai déjà discuté. Le juge O'Sullivan, qui a été du même avis que le juge Huband, présume que la volonté de J.T.J. de répondre aux questions révèle [TRADUCTION] "son manque d'intelligence, d'instruction et de finesse" à comprendre [TRADUCTION] "et voir la valeur des avertissements de son avocate de son droit de garder le silence". Je ne partage pas cet avis.

La preuve révèle que J.T.J. avait la capacité de prendre une décision éclairée. Il n'y a pas de violation de la Loi si l'adolescent choisit de répondre aux questions. Il y a manquement à la Loi seulement si ce choix n'est pas éclairé ou fondé sur des conseils et des directives appropriées. Le but de la consultation est d'élever la capacité de l'adolescent du niveau de l'imprudence de la jeunesse à l'équilibre et à la discipline plus propres aux adultes. Toute lacune en l'espèce aura certainement été compensée par des instructions délibérées de la part de la police et leurs efforts fructueux pour assurer une supervision adéquate. On ne peut soutenir qu'en dépit de toutes ces précautions, le fait que l'accusé fasse des déclarations volontairement révèle forcément une faute dans la conduite des policiers.

Je dois insister de nouveau sur le fait que cette conclusion ne repose pas sur l'appréciation d'un pouvoir discrétionnaire par les policiers dans l'application de la Loi. Les policiers ne possèdent pas de tel pouvoir discrétionnaire. Cependant, la disposition législative elle‑même permet de déterminer si les déclarations en cause ont été faites "volontairement, en connaissance de cause et de façon intelligente".

Comme le dit le juge en chef Monnin, à la p. 317:

[TRADUCTION] L'accusé a pu s'entretenir avec Mme Keyser [son avocate] pendant 37 minutes. Je ne puis que supposer qu'elle l'a valablement informé de ses droits, y compris de celui de faire une déclaration en sa présence et d'avoir une possibilité suffisante de faire une telle déclaration s'il voulait la faire en sa présence et aussi de son droit de garder le silence. Quelle serait la valeur du droit à l'assistance d'un avocat si les tribunaux doivent supposer et conclure que l'avocat n'a pas suffisamment, ni adéquatement renseigné son client? Il n'y a pas d'élément de preuve dans les dépositions des deux agents de police indiquant qu'ils ont offert à l'accusé la possibilité que Mme Keyser soit présente quand ils ont repris leur interrogatoire puisqu'ils lui avaient déjà expressément dit que l'accusé aurait la possibilité de répondre à l'accusation de meurtre. En apprenant cela, l'avocate aurait bien pu demander à être présente lors de la reprise de l'interrogatoire.

Il ressort nettement de l'ensemble du dossier que les policiers ont pris grand soin de respecter les droits dont l'accusé jouissait en vertu de la Charte et en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants. J.T.J. a eu la possibilité de choisir comment se comporter, et ses conseillers de voir à ce que son avis soit réfléchi et éclairé. Dans ces conditions, les éléments de preuve recueillis ne peuvent être exclus simplement parce qu'ils sont défavorables à l'accusé.

Le juge en chef Monnin a conclu, à la p. 321, que:

[TRADUCTION] Les faits sont clairs. Il y a eu homicide et l'accusé en est l'auteur. Deux jurys sont arrivés à cette conclusion sans difficulté. De plus, nous avons une déclaration faite volontairement par l'adolescent qui reconnaît avoir commis cette infraction. Arriver à toute autre conclusion que celle qu'il est coupable de meurtre revient à ne pas tenir compte des faits de l'espèce. [Je souligne.]

J'irais plus loin. Dans les circonstances particulières de l'espèce, tenir un troisième procès après deux déclarations successives de culpabilité de meurtre au premier degré reviendrait, à mon avis, non seulement à ne pas tenir compte du droit, c'est‑à‑dire de l'esprit de la Loi sur les jeunes contrevenants, mais aussi à engendrer une déconsidération certaine de la justice et à porter gravement atteinte à l'équilibre et aux avantages de la Loi. De plus, selon les avocats de l'intimé, ordonner un nouveau procès en écartant toutes les déclarations et les gestes forcerait le juge du procès à retirer l'affaire des mains du jury pour ordonner un verdict d'acquittement. Si on s'en tient aux seuls éléments indépendants de preuve circonstancielle soumis par le ministère public, toutes les accusations devraient être rejetées.

La Loi sur les jeunes contrevenants vise à ce que les droits des adolescents soient sauvegardés en leur offrant des garanties additionnelles qui doivent être respectées. La mesure de respect doit être fonction de l'adolescent en cause, ainsi que de toutes les circonstances et de tous les facteurs de l'espèce. Ordonner un troisième procès menacerait, à mon avis, l'intérêt de la justice et la protection de nos adolescents. Seule une application logique de la loi en assurera le respect. Une application uniforme dans tous les cas ne tiendrait pas compte du vaste éventail de personnes qui jouissent de sa protection et, de ce fait, détournerait la loi elle‑même de ses objectifs et de ses fins.

De plus, la Loi a été respectée en l'espèce. Dès que J.T.J. est devenu suspect, on a fait venir à la centrale de police son plus proche parent qui habitait Winnipeg. J.T.J. a eu la possibilité d'exercer son droit à l'assistance d'un avocat et il l'a de fait exercé. Après consultation de ces deux personnes, J.T.J. a volontairement fait des déclarations incriminantes en raison desquelles il a été déclaré coupable de meurtre au premier degré deux fois. Les exigences de procédure dictées par la Loi ont été respectée et, à mon avis, ordonner un troisième procès saperait gravement l'utilité de la Loi sur les jeunes contrevenants plutôt qu'il la servirait. Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, de rejeter le pourvoi incident et de rétablir la déclaration de culpabilité et la peine prononcées au procès.

//Le juge Sopinka//

Version française des motifs rendus par

LE JUGE SOPINKA — J'ai pris connaissance des motifs des juges L'Heureux-Dubé et Cory. Pour les motifs que j'ai exposés dans l'affaire R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 000, je suis d'avis de répondre aux questions constitutionnelles de la même manière que le juge Cory. Pour les raisons données par le juge Cory, je suis d'accord pour dire que les déclarations de J.T.J. à la police sont inadmissibles et qu'un nouveau procès doit avoir lieu. J'aurais été porté à ordonner la tenue d'un nouveau procès relativement à l'accusation initiale de meurtre. Je suis persuadé que le par. 695(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, nous habilite à le faire en l'espèce. Néanmoins, je partage l'avis du juge Cory que, compte tenu de la façon dont l'affaire a été présentée, il y a lieu d'ordonner la tenue d'un nouveau procès relativement à l'accusation d'homicide involontaire coupable.

Pourvoi rejeté et pourvoi incident accueilli, le juge L'HEUREUX‑DUBÉ est dissidente.

Procureur de l'appelante: Le ministère du Procureur général, Winnipeg.

Procureurs de l'intimé: Keyser, Harris & Rusen, Winnipeg.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada: John C. Tait, Ottawa.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Québec: Le procureur général du Québec, Ste‑Foy.

Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Alberta: Le procureur général de l'Alberta, Edmonton.

Procureur de l'intervenant le procureur général de Terre‑Neuve: Le procureur général de Terre‑Neuve, St. John's.

* Juge en chef à la date de l'audition.

** Juge en chef à la date du jugement.


Synthèse
Référence neutre : [1990] 2 R.C.S. 755 ?
Date de la décision : 13/09/1990
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté et le pourvoi incident est accueilli. La première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative et la seconde, une réponse négative

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne - Droit d'être présumé innocent - Meurtre par imputation - L'article 213a) du Code criminel porte‑t‑il atteinte aux art. 7 ou 11d), ou les deux à la fois, de la Charte? - Dans l'affirmative, est‑il justifié en vertu de l'article premier? - Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 213a) - Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 11d).

Droit criminel - Meurtre par imputation - L'article 213a) du Code criminel porte‑t‑il atteinte aux art. 7 ou 11d), ou les deux à la fois, de la Charte? - Dans l'affirmative, est‑il justifié en vertu de l'article premier?.

Droit criminel - Jeunes contrevenants - Preuve - Recevabilité de déclarations et d'actes - Recevabilité dépendant du respect de garanties prévues dans la Loi sur les jeunes contrevenants - Loi prévoyant la présence d'un parent adulte - Adolescent de 17 ans mature interrogé par la police - Adolescent accusé de meurtre après avoir fait une déclaration incriminante - On a demandé à l'adolescent s'il voulait communiquer avec un avocat et s'il voulait qu'un parent adulte soit présent - Parent adulte présent brièvement et adolescent conseillé par un avocat - Poursuite de l'interrogatoire hors de la présence de l'avocat et du parent adulte - Autres déclarations incriminantes - Adolescent refusant de faire une déclaration par écrit - Les déclarations incriminantes sont‑elles recevables? - L'article 56 de la Loi sur les jeunes contrevenants a‑t‑il été respecté? - Loi sur les jeunes contrevenants, S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 110, art. 56.

L'intimé, un jeune de 17 ans qui avait vécu en union de fait et qui était le père d'un enfant, a subi son procès dans un tribunal pour adultes et a été déclaré coupable de meurtre au premier degré. Après un long interrogatoire, le soir au poste de police, il avait fait une déclaration incriminante et on lui avait alors demandé s'il voulait qu'un parent adulte soit présent. Le parent est venu et était présent pendant environ trois minutes d'interrogatoire. J.T.J. a été accusé de meurtre et avisé de son droit à l'assistance d'un avocat. Ses vêtements ont été saisis et des échantillons de cheveux et d'ongles ont été pris avant l'arrivée de son avocate après minuit. L'avocate a parlé avec J.T.J. et ensuite avec le parent adulte. Les policiers ont à nouveau interrogé J.T.J. quand ni son avocate ni le parent n'étaient présents. En fait, les policiers ne lui ont pas demandé cette fois‑là s'il voulait qu'un parent adulte soit présent. J.T.J. a fait une déclaration incriminante au cours de cet interrogatoire mais a refusé deux fois de faire une déclaration par écrit. En route vers un établissement de détention pour jeunes délinquants, très tôt le matin, après neuf heures environ de détention, les policiers se sont arrêtés sur les lieux du crime et lui ont posé d'autres questions. J.T.J. a répondu par hochements de tête, par signes ainsi que par quelques réponses verbales.

Le verdict a été infirmé en appel et un nouveau procès a été ordonné. J.T.J. a été de nouveau déclaré coupable de meurtre au premier degré et, une deuxième fois, a interjeté appel. À cette occasion, l'appel a été accueilli en partie et un verdict d'homicide involontaire coupable a remplacé le verdict de meurtre au premier degré. Le ministère public a interjeté appel et l'intimé a formé un appel incident.

Les questions constitutionnelles soulevées devant notre Cour sont de savoir si l'al. 213a) du Code criminel viole l'art. 7 ou l'al. 11d), ou les deux à la fois, de la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l'affirmative, s'il est justifié par l'article premier. La question se pose également de savoir si les dispositions de l'art. 56 de la Loi sur les jeunes contrevenants ont été respectées de sorte que les déclarations de l'intimé pouvaient être utilisées.

Arrêt (le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente): Le pourvoi est rejeté et le pourvoi incident est accueilli. La première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative et la seconde, une réponse négative.

Le juge en chef Dickson, le juge en chef Lamer et les juges Wilson, Gonthier et Cory: L'alinéa 213a) est inconstitutionnel pour les motifs exposés par le juge en chef Lamer dans l'arrêt R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 000.

Par l'adoption de l'art. 56 de la Loi sur les jeunes contrevenants, le législateur a reconnu les problèmes et les difficultés qu'affrontent les adolescents qui sont aux prises avec les autorités. L'article vise à protéger tous les adolescents de 17 ans ou moins et doit être appliqué de façon uniforme indépendamment des caractéristiques de l'adolescent en cause. Peu importe leur attitude de bravade, les jeunes n'apprécieraient pas la nature de leurs droits dans la même mesure que le feraient la plupart des adultes et ils sont plus sensibles à des menaces subtiles provenant de leur entourage et de la présence de personnes en situation d'autorité. Il est juste et convenable que les adolescents jouissent de garanties supplémentaires avant que leurs déclarations soient admises. Aux termes du par. 56(2), aucune déclaration faite par un adolescent à une personne en situation d'autorité n'est admissible à moins que les conditions qui sont énoncées ne soient remplies. Ces conditions sont parfaitement justes et raisonnables.

Les déclarations de J.T.J. respectaient l'al. 56(2)a) parce qu'elles étaient volontaires. Elles respectaient également les exigences des sous‑al. 56(2)b)(i) et (ii) parce qu'on a dit à J.T.J. qu'il n'était pas obligé de faire une déclaration et que toute déclaration qu'il ferait pourrait servir de preuve. Toutefois, les sous‑al. 56(2)b)(iii) et (iv) n'ont pas été respectés en ce qui a trait à toutes les déclarations faites par J.T.J. On ne lui a pas dit que, avant de faire une déclaration, il avait le droit de consulter un avocat ou un parent adulte et, lorsqu'il a fait ses déclarations, ni avocat ni adulte n'était présent.

La première déclaration de J.T.J. était irrecevable parce qu'elle n'était pas spontanée et, par conséquent, n'était pas visée par le par. 56(3). J.T.J. n'était qu'un suspect au moment où elle a été faite. Si les policiers voulaient obtenir une déclaration de J.T.J. à ce moment‑là, ils auraient dû se conformer aux dispositions du par. 56(2), d'autant plus qu'ils connaissaient ses exigences. Ils auraient dû aviser encore une fois J.T.J. de son droit à la présence d'un adulte ou de son avocat s'ils voulaient continuer l'interrogatoire pour obtenir une déclaration. Son avocate et lui avaient le droit de s'attendre à ce que les policiers respectent les dispositions de l'art. 56.

Le refus de J.T.J. de faire une déclaration écrite ne démontrait pas qu'il était au courant de ses droits et qu'il y avait renoncé ou ne voulait pas les exercer. Cela pourrait être utilisé tout aussi efficacement pour dire qu'il n'était pas complètement au courant de ses droits et qu'il croyait qu'une déclaration verbale n'avait pas la même importance qu'une déclaration écrite.

La déclaration représentée par des gestes faits et des réponses verbales données en route vers l'établissement de détention pour jeunes était irrecevable car on n'a pas respecté le par. 56(2). Les gestes et les réponses verbales sont partie intégrante de la déclaration finale faite en réponse à l'interrogatoire continu des policiers et on ne peut les distinguer l'un de l'autre.

Le juge Sopinka: Pour les raisons données dans R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 000, il faut répondre aux questions constitutionnelles de la façon proposée par le juge Cory. Pour les motifs prononcés par le juge Cory, les déclarations faites à la police par J.T.J. sont irrecevables et il convient d'ordonner un nouveau procès sur l'accusation d'homicide involontaire coupable, compte tenu de la façon dont l'affaire a été présentée.

Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente): Pour les motifs énoncés dans l'arrêt R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 000, l'al. 213a) du Code criminel ne viole pas l'art. 7 et l'al. 11d) de la Charte.

N'eût été l'âge de J.T.J., tous les éléments de preuve en cause auraient été recevables. On a strictement respecté toutes les mesures de protection importantes au plan procédural accordées aux adultes en vertu des principes de justice fondamentale constitutionnalisés par la Charte canadienne des droits et libertés.

On ne saurait trop insister sur l'importance des dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants. Les policiers doivent être particulièrement vigilants pour respecter les droits des jeunes contrevenants considérés comme suspects, en raison de leur jeune âge et du risque qu'ils se laissent influencer.

Les jeunes contrevenants soupçonnés d'avoir commis une infraction criminelle doivent être traités d'une façon qui correspond à leur âge. Le mot "adolescent" ne peut s'interpréter dans l'abstrait; l'esprit de la Loi vise à refléter l'évolution du processus de développement. Il faut tenir compte de certains "signes de maturité", surtout quand il s'agit d'un contrevenant qui arrive à la fin de l'époque où il jouit encore de la protection de la Loi. Bien que des principes d'équité exigent que l'art. 56 soit appliqué uniformément, il faut tenir compte de toutes les circonstances d'un cas particulier pour évaluer le respect des dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants. Une telle interprétation s'accorde avec une interprétation libérale de la Loi. Dans les crimes commis par de jeunes contrevenants, on craint que la méthode globale ne permette pas un minimum de consultation de l'adolescent avec un adulte ou un avocat et que, même en vertu de la méthode per se, la consultation d'un adulte ne soit pas suffisante. J.T.J. a eu droit aux deux. Donc, même en vertu des normes les plus strictes de la méthode per se, l'accusé en l'espèce a reçu toute la protection qu'il pouvait recevoir en matière de procédure.

L'accusé avait un degré de maturité relativement élevé et il était bien conscient de sa situation, ce qui aurait dû lui faire voir le danger de répondre à certaines questions après qu'il eut été expressément mis en garde aussi bien par les policiers que par son avocate. Ces indices de maturité n'autorisent pas le non‑respect de la Loi.

Le consentement de l'accusé à répondre peut être considéré comme un "consentement implicite" compte tenu de tous les événements qui avaient précédé et de la présence continue du parent adulte de J.T.J. au poste de police. Compte tenu de l'ensemble des circonstances, il doit avoir été clair pour l'accusé qu'il pouvait refuser de faire des commentaires hors de la présence de son avocate tout comme il a refusé de signer une déclaration écrite. Sa conduite correspond à la prise d'une décision réfléchie et éclairée indiquant un choix conscient de faire une déclaration en l'absence de son avocate.

Les policiers ne possèdent pas de pouvoir discrétionnaire dans l'application de la loi. Cependant, la loi elle‑même permet de déterminer si les déclarations en cause ont été faites "volontairement, en connaissance de cause et de façon intelligente".

Tenir un troisième procès dans cette affaire reviendrait à ne pas tenir compte de l'esprit de la Loi sur les jeunes contrevenants, ainsi qu'à engendrer une déconsidération certaine de la justice et à porter gravement atteinte à l'équilibre et aux avantages de la Loi.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : J.(J.T.)

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Cory
Arrêt appliqué: R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 000
arrêt mentionné: Re A, [1975] 5 W.W.R. 425.
Citée par le juge Sopinka
Arrêt appliqué: R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 000.
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente)
R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 000
R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636
Miranda v. Arizona, 384 U.S. 436 (1966)
In re Gault, 387 U.S. 1 (1967)
Fare v. Michael C., 442 U.S. 707 (1979)
State in the Interest of Dino, 359 So.2d 586, cert. refusé, 439 U.S. 1047 (1978)
R. c. Debot, [1989] 2 R.C.S. 1140
R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755
R. v. G. (1985), 20 C.C.C. (3d) 289.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 11d), 15.
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 213a).
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 695(1).
Loi sur les jeunes contrevenants, S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 110, art. 3, 16(2), 56.
Doctrine citée
Bala, Nicholas. "The Young Offenders Act: A Legal Framework," in Joe Hudson, Joseph P. Hornick and Barbara A. Burrows, eds., Justice and the Young Offender in Canada. Toronto: Wall & Thompson, 1988.
Canada. Ministère du Solliciteur général. Loi sur les jeunes contrevenants: Points saillants. Ottawa: Division des communications, Ministère du Solliciteur général, 1981.
Débats de la Chambre des communes, 1re Sess., 32e Parl., 30 Eliz. II, 1981, vol. IX, pp. 9517, 9647, 10073.
Grisso, Thomas. "Juveniles' Capacities to Waive Miranda Rights: An Empirical Analysis" (1980), 68 Cal. L. Rev. 1134.
Platt, Priscilla. Young Offenders Law in Canada. Toronto: Butterworths, 1989.

Proposition de citation de la décision: R. c. J.(J.T.), [1990] 2 R.C.S. 755 (13 septembre 1990)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1990-09-13;.1990..2.r.c.s..755 ?
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