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05/04/1990 | CANADA | N°[1990]_1_R.C.S._1366

Canada | Starr c. Houlden, [1990] 1 R.C.S. 1366 (5 avril 1990)


Starr c. Houlden, [1990] 1 R.C.S. 1366

Patricia Starr, Tridel Corporation Inc.,

Mario Giampietri et Gordon Ashworth Appelants

c.

L'honorable juge Lloyd W. Houlden,

commissaire, et le gouvernement de l'Ontario Intimés

répertorié: starr c. houlden

No du greffe: 21777.

1990: 8 mars; 1990: 5 avril.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Lamer, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1990), 71 O.R

. (2d) 161, 64 D.L.R. (4th) 285, rejetant l'appel d'un jugement de la Cour divisionnaire (1989), 70 O.R. (2d) 408, 62 D.L...

Starr c. Houlden, [1990] 1 R.C.S. 1366

Patricia Starr, Tridel Corporation Inc.,

Mario Giampietri et Gordon Ashworth Appelants

c.

L'honorable juge Lloyd W. Houlden,

commissaire, et le gouvernement de l'Ontario Intimés

répertorié: starr c. houlden

No du greffe: 21777.

1990: 8 mars; 1990: 5 avril.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Lamer, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1990), 71 O.R. (2d) 161, 64 D.L.R. (4th) 285, rejetant l'appel d'un jugement de la Cour divisionnaire (1989), 70 O.R. (2d) 408, 62 D.L.R. (4th) 702. Pourvoi accueilli, le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente.

A. M. Cooper, c.r., et Peter West, pour l'appelante Patricia Starr.

Earl A. Cherniak, c.r., Mary Anne Sanderson et Martin I. Applebaum, c.r., pour l'appelante Tridel Corporation Inc.

Alan D. Gold, pour l'appelant Mario Giampietri.

Gina S. Brannan, pour l'appelant Gordon Ashworth.

John W. Brown, c.r., Kathryn N. Feldman et J. A. Prestage, pour l'intimé l'honorable juge Lloyd W. Houlden, commissaire.

Dennis R. O'Connor, c.r., et Freya J. Kristjanson, pour l'intimé le gouvernement de l'Ontario.

//Le juge Lamer//

Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges Lamer, La Forest, Sopinka, Gonthier et Cory rendu par

LE JUGE LAMER —

I. Les faits

Le présent pourvoi soulève des questions constitutionnelles touchant le partage des pouvoirs entre les ordres de gouvernement fédéral et provincial et les droits de certaines personnes en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, dans le contexte d'une enquête publique instituée par la province de l'Ontario.

Patricia Starr était présidente du conseil d'administration de la section de Toronto du Conseil national des femmes juives du Canada, un organisme de charité enregistré. Un certain nombre d'articles de journaux, particulièrement celui paru dans le Globe & Mail du 15 février 1989, ont allégué que Mme Starr avait fait des contributions à des partis politiques sur les fonds de l'organisme de charité. L'article mentionnait également des liens entre Mme Starr et Tridel Corporation Inc., une société de promotion immobilière. Les allégations et les spéculations concernant les rapports entre Mme Starr, l'organisme de charité et divers fonctionnaires publics, élus et non élus, se sont faites de plus en plus nombreuses dans les médias et à l'Assemblée législative. C'est pour cela que la province a institué plusieurs enquêtes, dont celle de la Commission sur le financement des élections pour examiner les violations possibles à l'Election Finances Reform Act, R.S.O. 1980, ch. 134, celle du commissaire sur les conflits d'intérêt pour examiner des conflits d'intérêt relatifs aux députés de l'Assemblée législative et celle de la Police provinciale de l'Ontario sur des infractions possibles au droit criminel ou à toute autre loi provinciale. Elles ont été annoncées le 12 juin 1989 par le procureur général agissant à titre de solliciteur général par intérim.

Le 22 juin 1989, Gordon Ashworth, directeur général du bureau du premier ministre, a démissionné de son poste après avoir révélé que, en septembre 1987, Mme Starr avait pris des dispositions pour que sa famille reçoive un réfrigérateur neuf et que leur maison soit repeinte gratuitement. Le lendemain, le 23 juin 1989, le premier ministre a annoncé qu'il avait ordonné la tenue d'une enquête publique sur les faits entourant les rapports entre Patricia Starr, toute personne ou société dont elle a pu être mandataire, y compris Tridel, et tout fonctionnaire public élu et nommé, y compris Gordon Ashworth. Je cite les extraits suivants de la déclaration que le premier ministre a prononcée ce jour‑là:

[TRADUCTION] Les récentes allégations sont extrêmement troublantes et profondément inquiétantes. Cette situation me préoccupe beaucoup et je crois qu'il est essentiel qu'une enquête publique indépendante fasse immédiatement toute la lumière.

J'estime essentiel, dans le cadre de cette enquête, que tout soit fait, que toutes les pistes soient suivies, que toute allégation soit minutieusement examinée jusqu'à ce que tous les faits nous aient été présentés de façon claire . . .

Rien n'est plus important que la confiance du public. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour veiller à ce qu'elle soit protégée.

Je crois très fermement que le système démocratique dépend de la confiance et de la foi du public dans l'intégrité des fonctionnaires publics . . .

Il est extrêmement important que les fonctionnaires publics puissent faire l'objet d'un examen public, et démontrer ainsi qu'ils sont sans reproche et qu'ils agissent conformément aux normes de conduite les plus élevées.

Je suis convaincu que cette enquête judiciaire permettra de démasquer ceux qui ne l'ont pas fait.

Je vous assure personnellement que ceux dont la conduite sera jugée insatisfaisante seront découverts, ceux qui ont commis des erreurs seront punis et ceux qui n'ont pas respecté la loi seront poursuivis.

Par décret du 6 juillet 1989, une commission d'enquête a été établie en application de la Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O 1980, ch. 411. Le décret prévoyait la nomination du juge Lloyd W. Houlden à titre de commissaire ayant le mandat suivant:

[TRADUCTION] ATTENDU que la Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O. 1980, ch. 411, prévoit que lorsque le lieutenant‑gouverneur en conseil juge qu'il y a lieu d'ordonner la tenue d'une enquête sur toute question qu'il déclare sujet d'intérêt public et que cette enquête n'est régie par aucune loi spéciale, il peut, par commission, nommer une ou plusieurs personnes pour effectuer cette enquête et peut conférer les pouvoirs d'assigner toute personne à témoigner sous serment et à produire les documents et les objets que le ou les commissaires jugent nécessaires à l'examen complet des questions qu'ils sont chargés d'examiner;

ET ATTENDU que le lieutenant‑gouverneur en conseil juge qu'il y a lieu d'ordonner la tenue d'une enquête sur la question mentionnée ci‑après qu'il déclare sujet d'intérêt public;

PAR CONSÉQUENT, aux termes de ladite Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O. 1980, ch. 411, une commission est délivrée pour nommer le juge Lloyd W. Houlden qui devra, sans formuler de conclusion de droit concernant la responsabilité civile ou criminelle d'une personne ou d'un organisme:

1) enquêter sur les questions suivantes:

(i)la nature et l'ampleur des relations d'affaires entre Patricia Starr et des fonctionnaires publics élus et non élus;

(ii)la nature et l'ampleur des relations d'affaires entre Patricia Starr et des personnes, sociétés, personnes morales et organismes de charité en rapport avec des fonctionnaires publics élus et non élus;

(iii)a nature et l'ampleur des relations d'affaires entre Tridel Corporation, les sociétés liées à Tridel Corporation, les représentants, dirigeants, employés ou cadres de Tridel Corporation, les représentants, dirigeants, employés ou cadres des sociétés liées à Tridel Corporation et des fonctionnaires publics élus et non élus;

(iv)la nature et l'ampleur des relations d'affaires entre Tridel Corporation, les sociétés liées à Tridel Corporation, les représentants, dirigeants, employés ou cadres de Tridel Corporation, les représentants, dirigeants, employés ou cadres des sociétés liées à Tridel Corporation et les personnes, sociétés, personnes morales et organismes de charité en relation avec des fonctionnaires publics élus et non élus.

2)faire enquête et rapport sur toutes ces circonstances ou relations d'affaires si, à son avis, il est établi qu'un bénéfice, avantage ou récompense quelconque a été accordé à un fonctionnaire public élu ou non élu ou à un membre de sa famille ou si, à son avis, il est établi qu'il existait une entente ou une tentative visant à conférer un bénéfice, un avantage ou une récompense quelconque à un fonctionnaire public élu ou non élu ou à un membre de sa famille.

Rien de ce qui a été énoncé précédemment ne doit être interprété de manière à limiter le droit du commissaire de demander au lieutenant‑gouverneur en conseil d'élargir son mandat à toute question qu'il pourrait juger nécessaire d'examiner par suite d'un renseignement porté à son attention au cours de l'enquête.

Tous les ministères du gouvernement, les organismes, les agences et les commissions doivent fournir toute l'aide possible au commissaire dans l'exercice de ses fonctions et l'accomplissement de son mandat; le commissaire a le pouvoir d'engager les avocats, enquêteurs et autres employés qu'il juge à propos, au taux de rémunération et de remboursement autorisé par le Bureau de gestion du Cabinet, afin de préparer et de présenter au gouvernement un rapport complet et détaillé.

Le ministère du Procureur général est chargé de fournir le soutien administratif à l'enquête.

La partie III de la Loi sur les enquêtes publiques est déclarée s'appliquer à l'enquête mentionnée précédemment.

L'enquête a débuté le 18 septembre 1989. Malgré l'opposition des appelants, la demande de télédiffusion de l'ensemble des procédures, présentée par Rogers Cable Television, a été accueillie. Après la déclaration d'ouverture du commissaire, on lui a demandé de soumettre un exposé de cause sur la compétence de la province d'instituer l'enquête et ses effets possibles sur les droits de la personne en common law et aux termes de la Charte; le commissaire a refusé. Les appelants ont demandé à la Cour divisionnaire de l'Ontario, en vertu de l'art. 6 de la Loi sur les enquêtes publiques, d'ordonner au commissaire de soumettre un exposé de cause. La Cour divisionnaire a entendu la demande et a rendu sa décision sur le fond, rejetant la demande. L'autorisation d'interjeter appel a été accordée par la Cour d'appel de l'Ontario. Le commissaire a suspendu les procédures de l'enquête après que l'autorisation d'appel à la Cour d'appel eut été accordée. La Cour d'appel a rejeté l'appel. Notre Cour a autorisé le pourvoi le 26 janvier 1990.

II. Les textes législatifs

Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O. 1980, ch. 411, art. 1 à 11

1 Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

"commission" La personne ou les personnes nommées pour effectuer une enquête en vertu de la présente loi. ("commission")

"enquête" Enquête effectuée en vertu de la présente loi. ("inquiry")

PARTIE I

2 Lorsque le lieutenant‑gouverneur en conseil juge qu'il y a lieu d'ordonner la tenue d'une enquête sur une question intéressant la bonne administration de l'Ontario, la conduite des affaires publiques ou l'administration de la justice dans la province, ou sur une question qu'il déclare sujet d'intérêt public, et lorsqu'une telle enquête n'est régie par aucune loi spéciale, il peut, par commission, nommer une ou plusieurs personnes pour effectuer cette enquête.

3 Sous réserve des articles 4 et 5, la commission chargée de l'enquête en fixe elle‑même le déroulement ainsi que la procédure.

4 Toutes les audiences tenues dans le cadre de l'enquête sont ouvertes au public, sauf lorsque, de l'avis de la commission:

a)des questions intéressant la sécurité publique pourraient être révélées à l'audience;

b)des questions financières ou personnelles de nature intime ou d'autres questions pourraient être révélées à l'audience, qui sont telles qu'eu égard aux circonstances, l'avantage qu'il y a à ne pas les révéler dans l'intérêt de la personne concernée ou dans l'intérêt public l'emporte sur le principe de la publicité des audiences.

Dans l'un ou l'autre cas, la commission peut entendre ces questions à huis clos.

5 (1) La commission donne à la personne qui la convainc qu'elle a un intérêt important et direct dans l'objet de l'enquête, la possibilité, au cours de celle‑ci, de témoigner, d'appeler, d'interroger ou de contre‑interroger des témoins, soit personnellement, soit par l'intermédiaire d'un avocat, sur les dépositions se rapportant à son intérêt.

(2) La commission ne doit pas constater, dans son rapport, l'inconduite d'une personne sans que celle‑ci ait reçu un avis suffisant de la nature de l'inconduite qui lui est reprochée et sans qu'elle ait eu pleinement la possibilité d'être entendue au cours de l'enquête, en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat.

6 (1) Si une personne concernée conteste la compétence de l'autorité qui constitue une commission en vertu de la présente loi, ou la compétence de la commission pour accomplir un acte qu'elle a accompli ou se propose d'accomplir dans le cours de l'enquête, la commission peut, de sa propre initiative ou à la demande de cette personne, soumettre à la Cour divisionnaire un exposé de cause portant sur les faits substantiels et sur les motifs de contestation de la compétence de l'autorité qui constitue la commission ou de la compétence de la commission pour accomplir cet acte.

(2) Si la commission refuse de soumettre un exposé de cause dans les conditions prévues au paragraphe (1), la personne qui en fait la demande peut présenter à la Cour divisionnaire une requête en vue d'obliger, par ordonnance, la commission à le faire.

(3) En cas d'exposé de cause soumis en vertu du présent article, la Cour divisionnaire instruit le point litigieux selon une procédure sommaire.

(4) En attendant la décision de la Cour divisionnaire sur l'exposé de cause soumis en vertu du présent article, la commission suspend tous les travaux se rapportant à la question faisant l'objet de l'exposé de cause, mais elle peut poursuivre son enquête à l'égard des questions qui n'intéressent pas celui‑ci.

PARTIE II

7 (1) La commission peut, par assignation, sommer toute personne:

a)de donner, sous serment ou par affirmation solennelle, des témoignages à l'enquête;

b)de produire en preuve à l'enquête les documents et objets que la commission peut préciser,

qui sont connexes à l'objet de l'enquête et ne sont pas inadmissibles en preuve à l'enquête en vertu de l'article 11.

(2) L'assignation prévue au paragraphe (1) est rédigée selon la formule 1 et signifiée à personne à son destinataire, qui reçoit au même moment les indemnités de témoin au même titre qu'un témoin assigné à comparaître devant la Cour suprême.

8 Lorsqu'une personne, sans justification légitime:

a)ne comparaît pas à l'enquête, après avoir reçu, en bonne et due forme, l'assignation prévue à l'article 7;

b)assistant comme témoin à l'enquête, refuse de prêter le serment ou de faire l'affirmation solennelle que la commission est en droit d'exiger, de produire tout document ou objet sous sa garde ou sous son contrôle et dont la commission est en droit d'exiger la production, ou de répondre à toute question à laquelle la commission est en droit d'exiger une réponse;

c)fait quelque chose qui constituerait, si la commission était un tribunal judiciaire investi du pouvoir d'incarcération pour outrage au tribunal, un outrage à ce tribunal,

la commission peut soumettre un exposé de cause relatant les faits à la Cour divisionnaire. Celle‑ci, à la requête de la commission ou du procureur général, peut instruire l'affaire et, après avoir entendu les témoins appelés pour ou contre cette personne ainsi que toute argumentation de la défense, punir ou prendre des mesures pour punir cette personne de la même façon que si elle était coupable d'outrage à cette Cour.

9 (1) Un témoin à une enquête est réputé s'être opposé à répondre à toute question qu'on lui pose, pour le motif que sa réponse pourrait tendre à l'incriminer ou à établir sa responsabilité dans une procédure civile, notamment à la demande de la Couronne. Nulle réponse donnée par un témoin au cours d'une enquête ne doit être utilisée ni être recevable en preuve contre lui dans un procès ou une instance subséquents où il sera le défendeur, sauf le cas de poursuite pour parjure relativement à cette réponse.

(2) La commission informe le témoin de son droit de s'opposer à répondre à n'importe quelle question, en vertu de l'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada.

10 La commission peut, au cours de l'enquête, admettre des témoignages qui n'ont pas été faits sous serment ou par affirmation solennelle.

11 Est inadmissible en preuve au cours d'une enquête ce qui serait inadmissible en preuve devant un tribunal judiciaire en raison d'un privilège reconnu en droit de la preuve.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, al. 121(1)b)

121. (1) Commet une infraction quiconque, selon le cas

. . .

b) traitant d'affaires avec le gouvernement, paye une commission ou récompense ou confère un avantage ou un bénéfice de quelque nature à un employé ou fonctionnaire du gouvernement avec lequel il traite, ou à un membre de sa famille ou à toute personne au profit de l'employé ou du fonctionnaire, à l'égard de ces relations d'affaires, à moins d'avoir obtenu, du chef de la division de gouvernement avec laquelle il traite, un consentement écrit dont la preuve lui incombe;

Loi constitutionnelle de 1867, par. 91(27), 92(4), (7), (13) et (16)

91. Il sera loisible à la Reine, sur l'avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets exclusivement assignés aux législatures des provinces par la présente loi mais, pour plus de certitude, sans toutefois restreindre la généralité des termes employés plus haut dans le présent article, il est par les présentes déclaré que (nonobstant toute disposition de la présente loi) l'autorité législative exclusive du Parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets énumérés ci‑dessous, à savoir:

27. le droit criminel, sauf la constitution des tribunaux de juridiction criminelle, mais y compris la procédure en matière criminelle;

92. Dans chaque province, la législature pourra exclusivement légiférer relativement aux matières entrant dans les catégories de sujets ci‑dessous énumérés, à savoir;

. . .

4. la création et la durée des charges provinciales, ainsi que la nomination et le paiement des fonctionnaires provinciaux;

. . .

7. l'établissement, l'entretien et l'administration des hôpitaux, asiles, institutions et hospices de charité dans la province, autres que les hôpitaux de marine;

. . .

13. la propriété et les droits civils dans la province;

. . .

16. généralement, toutes les matières d'une nature purement locale ou privée dans la province.

Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 8, 11c) et d) et 13

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

11. Tout inculpé a le droit:

c) de ne pas être contraint de témoigner contre lui‑même dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on lui reproche;

d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;

13. Chacun a droit à ce qu'aucun témoignage incriminant qu'il donne ne soit utilisé pour l'incriminer dans d'autres procédures, sauf lors de poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires.

III. Les jugements

La Cour suprême de l'Ontario, Cour divisionnaire

La Cour divisionnaire (1989), 70 O.R. (2d) 408, a choisi d'entendre en même temps la demande d'ordonnance d'exposé de cause et les arguments sur le fond. Trois questions étaient soumises à la Cour divisionnaire. La cour les a examinées dans l'ordre suivant, aux pp. 411, 418 et 420:

[TRADUCTION]

1.Le mandat viole‑t‑il les principes énoncés dans l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario Re Nelles and Grange (1984), 46 O.R. (d) 210?

2.Le mandat est‑il inconstitutionnel parce qu'il est ultra vires de la province et contraire à la Charte canadienne des droits et libertés?

3.La recherche peut‑elle se faire dans le cadre de l'enquête publique ou faut‑il une procédure en deux étapes?

La cour a d'abord souligné que, si les questions visaient la compétence du commissaire de tenir une enquête publique en vertu d'une loi provinciale, la préoccupation sous‑jacente des requérants concernait l'équilibre entre, d'une part, l'intérêt du public dans la divulgation et la révélation de la conduite qui se rattache au bon gouvernement de la province et, d'autre part, la juste protection des droits constitutionnels de la personne qui pourrait subir un préjudice en raison de la nature publique de l'enquête.

Pour répondre à la première question, la cour devait examiner les principes énoncés dans l'arrêt Re Nelles and Grange (1984), 46 O.R. (2d) 210. Cette affaire traitait de l'enquête d'une commission royale sur des décès mystérieux d'enfants entre juillet 1980 et mars 1981 à l'Hôpital des Enfants malades de Toronto. Le mandat de la Commission autorisait le commissaire, le juge Grange, [TRADUCTION] "sans qu'il formule de conclusion de droit concernant la responsabilité civile ou criminelle", à enquêter, à faire un rapport et des recommandations sur le décès des enfants, et à étudier et déterminer les circonstances entourant l'enquête et la poursuite visant l'infirmière qui avait été libérée après une enquête préliminaire, pour faire rapport sur celles‑ci. Au cours de l'enquête, le commissaire a formulé la question suivante: [TRADUCTION] "Ai‑je eu raison de décider que j'avais le droit dans mon rapport [. . .] d'exprimer mon opinion quant à savoir si le décès d'un enfant avait résulté de l'action, accidentelle ou non, d'une ou plusieurs personnes nommées?" La Cour d'appel a conclu que le commissaire n'avait pas le droit de nommer la ou les personnes responsables du décès d'un des enfants.

En l'espèce, la Cour divisionnaire a pris en considération les motifs de la Cour d'appel dans l'arrêt Re Nelles and Grange et a conclu que l'affaire se résumait dans la proposition suivante (à la p. 416):

[TRADUCTION] Cet arrêt n'a pas décidé qu'il ne fallait pas identifier des personnes dont la conduite faisait l'objet d'une enquête de la commission ni critiquer ou absoudre une personne nommée relativement à sa conduite; ce qui était interdit dans le rapport de la Commission, c'était de formuler des conclusions de fait qui divulgueraient des éléments d'une infraction criminelle et, en plus, de nommer les personnes visées, parce que cela constituerait une expression de la conclusion interdite quant à la responsabilité.

La Cour divisionnaire a rejeté l'argument des appelants selon lequel la Commission ne pouvait se conformer à l'interdiction d'exprimer des conclusions de droit quant à la responsabilité criminelle d'une personne ou d'un organisme en ce qui a trait aux infractions visées aux art. 119 ou 121 du Code criminel, précité. À cet égard, la cour a dit (à la p. 417):

[TRADUCTION] Il n'est pas juste de dire que la Commission ne sera pas en mesure d'arriver à des conclusions de fait sans divulguer les éléments d'une telle infraction. L'attribution d'un avantage à un fonctionnaire public élu ou non élu ne constitue pas en soi une infraction. Ces articles donnent des définitions restreintes de la conduite criminelle. Par exemple, celui qui accorde l'avantage doit agir "par corruption" et la mens rea doit être démontrée; ou l'avantage doit être accordé à titre de contrepartie d'un acte illégal ou incorrect.

Tout en reconnaissant que le commissaire peut avoir de la difficulté à se conformer à l'interdiction de tirer des conclusions quant à la responsabilité, criminelle ou civile, nous ne considérons pas à l'heure actuelle qu'il s'agit d'une tâche impossible. Il est à notre avis prématuré de tenter d'évaluer ce facteur sans aucun élément de preuve sur lequel la Commission peut faire un rapport. [Italique dans l'original.]

Relativement à la deuxième question, la cour a eu peu de difficulté à conclure que l'enquête portait sur une matière provinciale valide, savoir le rapport entre des fonctionnaires publics du gouvernement provincial, élus et non élus, et d'autres personnes et sociétés nommées. Plus précisément, la cour a dit (à la p. 418):

[TRADUCTION] . . . elle se rapporte à des questions d'intérêt et de compétence relevant indubitablement de la province, savoir la conduite de fonctionnaires publics provinciaux et de personnes qui ont traité avec eux, et l'intégrité de ces fonctionnaires et le fonctionnement du gouvernement provincial lui‑même.

La cour était d'avis que l'enquête ne tentait pas de s'immiscer dans le domaine fédéral du droit criminel et de la procédure en matière criminelle. L'enquête ne devenait pas inconstitutionnelle simplement parce qu'elle pouvait accessoirement porter sur une conduite qui pouvait être criminelle ou qui pouvait entraîner des accusations criminelles. À l'appui de cette conclusion, la Cour divisionnaire a cité un certain nombre de décisions dont trois arrêts de notre Cour: Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152, Procureur général (Qué.) et Keable c. Procureur général (Can.), [1979] 1 R.C.S. 218, et O'Hara c. Colombie‑Britannique, [1987] 2 R.C.S. 591.

La Cour divisionnaire a ensuite conclu que l'institution de l'enquête publique ne portait atteinte à aucun droit garanti par la Charte. La cour a souligné que pendant l'enquête, il pourrait survenir des situations dans lesquelles les droits d'une partie ou d'un témoin, en vertu de la Charte, devraient être protégés. La cour a conclu que le commissaire pouvait régler ces questions au moment où elles surviendraient.

Pour répondre à la troisième question, la Cour divisionnaire a dû interpréter le décret lui‑même. Les appelants soutenaient que le mandat prévoyait une procédure en deux étapes: premièrement, des recherches préparatoires pour déterminer s'il y a suffisamment de preuves pour mener une enquête et, deuxièmement, et seulement si les éléments de preuve présentés par suite des recherches préparatoires sont tels que le commissaire peut estimer la preuve suffisante pour passer à l'étape de l'enquête et du rapport, l'enquête proprement dite sur les circonstances qui selon le commissaire justifient une telle enquête. Cette procédure exigerait un "examen" privé et préliminaire des éléments de preuve avant de les présenter en audience publique. La Cour divisionnaire a conclu que cette description de la procédure était erronée.

Premièrement, elle a conclu que la procédure décrite par les appelants reposait sur l'opinion que la loi, la Loi sur les enquêtes publiques, créait trois étapes d'application — la recherche, l'enquête et le rapport. Selon la Cour divisionnaire, il s'agissait d'une interprétation insoutenable de la Loi. L'article 2 de la Loi autorise seulement le lieutenant‑gouverneur en conseil à ordonner la tenue d'une enquête. Par définition, le terme "enquête" comprend la notion de recherche et la loi prévoit implicitement que le commissaire fera un rapport sur les conclusions de sa recherche et de son enquête. La mention de l'expression "preuve suffisante" dans le mandat est destinée à établir clairement que les éléments de preuve présentés lors de l'enquête doivent être convaincants et non de simples rumeurs ou hypothèses. La décision quant au caractère suffisant de la preuve, dans ce sens, doit être prise au moment où elle est présentée par l'avocat à l'enquête. Cela ne revient pas à exiger que le commissaire examine les éléments de preuve en privé avant de les divulguer à l'audience publique.

Deuxièmement, donner au mandat une interprétation qui exige une procédure en deux étapes enlèverait à l'enquête son caractère essentiellement public. La Cour divisionnaire était d'avis que la procédure en deux étapes serait contraire à l'ensemble des principes qui sous‑tendent la Loi sur les enquêtes publiques et entraînerait une perte de la confiance du public dans la procédure. La cour a reconnu que le texte du décret portait à confusion. Toutefois, la cour a conclu qu'elle ne devait pas l'annuler si on pouvait lui donner une signification raisonnable dans le cadre des principes de la loi. Le commissaire aura des difficultés dans certains cas à rendre des décisions particulières sur l'admission des éléments de preuve présentés, mais il doit être laissé libre de rendre ses décisions sur chaque cas dans le cadre des lignes directrices de la Loi et du mandat. S'il excède sa compétence, une partie lésée peut alors recourir normalement au contrôle judiciaire. Par conséquent, la demande a été rejetée.

La Cour d'appel de l'Ontario

La Cour d'appel de l'Ontario (1990), 71 O.R. (2d) 161, a convenu avec la Cour divisionnaire que, en réalité, l'enquête relevait des pouvoirs de la province en vertu du par. 92(4), sur les charges provinciales et les fonctionnaires provinciaux, du par. 92(7), sur l'administration des institutions de charité, du par. 92(13), sur la propriété et les droits civils, et du par. 92(16), sur les matières d'une nature purement locale ou privée dans la province. L'enquête n'est pas une enquête policière déguisée. Relativement aux allégations de violations de la Charte, la cour a conclu de la manière suivante (aux pp. 166 et 167):

[TRADUCTION] En ce qui a trait à l'art. 7, la protection des "principes de justice fondamentale" se rapporte textuellement à l'atteinte au "droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne": Renvoi sur la Motor Vehicle Act, [1985] 2 R.C.S. 486 [à la p. 500 et aux pp. 511 à 513]. En l'espèce, comme c'est la pratique en matière d'enquêtes, le commissaire présente un rapport et des recommandations; il ne donne pas d'ordre. En ce qui a trait aux protections que prévoit la Charte relativement à la non‑contraignabilité et à la présomption d'innocence, elles sont énoncées à l'art. 11 — alinéas c) et d) respectivement — et elles peuvent être invoquées par "tout inculpé", ce qui n'est pas le cas et ne peut l'être dans le cadre d'une enquête. Si des accusations criminelles sont portées, les protections peuvent être invoquées au procès, tout comme la protection que prévoit l'art. 13 contre l'auto‑incrimination. Il est bien évident que la Charte s'applique aux enquêtes, mais aucune des allégations qui nous ont été présentées n'a trait à une violation de la Charte.

Selon la Cour d'appel, le problème le plus grave était la formulation du décret lui‑même, particulièrement la partie qui autorise une enquête sur des questions qui ressemblent [TRADUCTION] "de façon frappante" à l'al. 121(1)b) du Code criminel. Toutefois, la cour a d'abord souligné que le commissaire avait expressément déclaré qu'il n'allait pas permettre que les procédures se transforment en une sorte de procès criminel. En outre, après avoir examiné le décret, la cour a constaté qu'il manquait au mandat un [TRADUCTION] "élément très important" de l'infraction visée à l'art. 121 du Code (aux pp. 169 et 170):

[TRADUCTION] La clause 2) du mandat ne mentionne nullement le rapport entre le "bénéfice, avantage ou récompense" et les "relations d'affaires" entre les parties. L'importance du lien pour établir la responsabilité criminelle a été démontrée dans l'arrêt R. v. Cooper (1977), 74 D.L.R. (3d) 731, 34 C.C.C. (2d) 18, [1978] 1 R.C.S. 860 (C.S.C.) Il en découle que le commissaire pourrait conclure à l'existence de relations d'affaires et d'une récompense mettant en cause une personne ou une société nommée et pourtant ne faire aucune constatation de fait constituant l'expression d'une conclusion de responsabilité criminelle.

Finalement, la Cour d'appel a rejeté l'argument des appelants selon lequel le mandat prévoyait une procédure en "deux étapes". La cour a convenu avec la Cour divisionnaire qu'une telle procédure s'écarterait de manière radicale de la tenue normale des enquêtes et serait contraire aux principes de la Loi sur les enquêtes publiques.

IV. Les questions en litige

Le juge Wilson a formulé les questions constitutionnelles suivantes le 5 février 1990.

1.Le décret du 6 juillet 1989, pris conformément à l'art. 2 de la Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O. 1980, ch. 411, excède‑t‑il les pouvoirs de la province de l'Ontario à titre de matière relevant de la compétence exclusive du Parlement du Canada, en application du par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867?

2.Le décret du 6 juillet 1989 porte‑t‑il atteinte aux droits garantis par les art. 7 à 14 de la Charte canadienne des droits et libertés?

3.Si ce décret porte atteinte aux droits garantis par les art. 7 à 14 de la Charte, est‑il justifié en vertu de l'article premier de la Charte, et, par conséquent, compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Les appelants ont soulevé deux questions supplémentaires:

1. Le mandat viole‑t‑il les principes énoncés dans l'arrêt de la Cour d'appel Re Nelles and Grange (1984), 46 O.R. (2d) 210 parce qu'il impose au commissaire d'enquêter sur la conduite de personnes qui y sont nommées relativement à leur responsabilité civile ou criminelle tout en lui interdisant expressément de formuler des conclusions concernant cette responsabilité civile ou criminelle?

2. Si le décret est constitutionnel, l'enquête peut‑elle être tenue en même temps que l'enquête policière et, dans l'affirmative, quelle procédure est exigée par le décret et la nécessité de ne pas porter atteinte aux droits que garantit la Charte?

V. Analyse

Introduction

Vu ma conclusion sur la première question constitutionnelle formulée par le juge Wilson, je n'ai pas à me prononcer sur les autres questions soulevées dans le présent pourvoi. Je suis d'avis que la province de l'Ontario a excédé sa compétence par la manière dont elle a institué cette enquête publique. Même s'il se peut qu'elle n'ait pas voulu arriver à ce résultat, la province a institué une enquête qui, en réalité, remplace une enquête policière et une enquête préliminaire, dans lesquelles les accusés sont contraignables, relativement à une infraction criminelle précise visée à l'art. 121 du Code criminel. Par conséquent, cette enquête est ultra vires de la province car il s'agit en réalité d'un sujet relatif au droit criminel et à la procédure en matière criminelle qui relève de la compétence exclusive du Parlement en vertu du par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867.

Tout d'abord je tiens à faire quelques observations d'ordre général sur la question du partage des pouvoirs. La première étape du contrôle judiciaire dans le contexte du partage des pouvoirs consiste à identifier "l'objet" de la loi, en l'espèce du décret instituant l'enquête. À cette fin, il convient d'examiner la caractéristique principale de la loi ou, pour utiliser l'expression consacrée, son "caractère véritable". Le professeur Hogg dans Constitutional Law of Canada (2e éd. 1985), aux pp. 318 et 319, souligne que le caractère véritable est déterminé par l'examen de l'objet et de l'effet de la loi. Pour caractériser une loi, la cour doit examiner l'esprit de la loi, la jurisprudence et ce que le professeur Hogg appelle à la p. 323 un [TRADUCTION] "concept de fédéralisme" constitué de valeurs stables dans la répartition des compétences entre les deux ordres de gouvernement. Lorsque le sujet ou caractère véritable de la loi a été identifié, il est nécessaire de l'inscrire sous une rubrique des art. 91 ou 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.

En l'espèce, on demande à la Cour d'examiner un décret qui a établi une commission chargée de faire enquête et rapport sur des relations d'affaires entre une personne et une société, Patricia Starr et Tridel Corporation Inc., et des fonctionnaires publics et d'examiner s'il y a suffisamment d'éléments de preuve pour convaincre le commissaire qu'un avantage a été conféré à un fonctionnaire public. À mon avis, le mandat semble prévoir une procédure en deux étapes qui finalement restreint la portée de l'enquête. Dans le premier paragraphe du mandat, le commissaire doit enquêter sur "la nature et l'ampleur" des relations d'affaires entre Mme Starr et Tridel Corporation Inc. et des fonctionnaires publics élus et non élues. Essentiellement, on demande au commissaire de définir de façon générale toutes relations d'affaires, s'il en est, que les personnes nommées ont eues avec des fonctionnaires publics dans toutes circonstances. Cette tâche doit être effectuée indépendamment de toute considération d'avantages qui auraient pu être conférés ou non. Il s'agit d'un vaste mandat pour trouver et identifier des "relations d'affaires". En vertu du deuxième paragraphe du mandat, le commissaire doit faire enquête et rapport sur "toutes ces circonstances ou relations d'affaires" (les relations d'affaires identifiées dans le premier paragraphe du mandat), si, à son avis "il est établi qu'un [. . .] avantage [. . .] a été accordé à un fonctionnaire public élu ou non élu". Je remarque que les deux seules personnes nommées dans le mandat sont Mme Starr et Tridel Corporation Inc. qui ne sont ni l'une ni l'autre des fonctionnaires publics.

Le partage des pouvoirs en matière de commissions d'enquête

Pour analyser le système établi par le mandat de cette commission d'enquête, il faut examiner la jurisprudence assez abondante, provenant principalement de notre Cour, qui traite de la constitutionnalité des commissions d'enquête provinciales. D'emblée, il faut souligner que notre Cour a régulièrement confirmé la constitutionnalité des commissions d'enquête provinciales et a confirmé l'attribution de pouvoirs d'enquête assez étendus qui peuvent accessoirement avoir un effet sur les pouvoirs du fédéral en matière de droit criminel et de procédure criminelle. Toutefois, notre Cour a en même temps uniformément conclu que le pouvoir des provinces d'établir des commissions d'enquête n'est pas illimité du point de vue constitutionnel. Le présent pourvoi oblige la Cour à examiner de nouveau quelles sont ces limites et à décider si la présente enquête sort de la sphère de compétence provinciale.

Je veux tout d'abord examiner l'arrêt Faber c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 9. Cet arrêt traitait de l'enquête d'un coroner. Le pourvoi portait sur la question assez restreinte de savoir si un tribunal civil était sans compétence pour se prononcer sur le fond d'un bref de prohibition demandé contre un coroner pour le motif que l'enquête du coroner constituait une audience en matière criminelle. La décision de la Cour à la majorité a été rendue par le juge de Grandpré qui a conclu que la recherche du crime n'était qu'accessoire aux aspects prédominants de l'enquête qui relevaient de la compétence de la province. Aux pages 30 et 31 des motifs de la majorité, le juge de Grandpré a indiqué quelles étaient, en dehors de la recherche du crime, les fonctions de l'enquête du coroner:

a) la détermination des circonstances exactes entourant un décès met un frein à l'imagination du public, empêchant qu'il devienne la folle du logis;

b) l'examen des circonstances particulières d'un décès et l'étude répétée de plusieurs cas permettent à la collectivité de prendre conscience des facteurs qui mettent en danger la vie humaine dans des circonstances données;

c) le soin pris par les autorités, chaque fois que le décès n'est pas évidemment naturel ou accidentel, de se pencher sur les circonstances rassure la population en lui permettant de constater que l'État veille à ce que les garanties entourant la vie humaine soient dûment respectées.

Dans ce contexte, la recherche du crime, tout en étant importante, n'est pas l'élément déterminant des fonctions du coroner, de sorte que l'aspect "criminel" n'est pas prédominant.

La procédure elle‑même d'ailleurs ne vise pas en soi la recherche du crime. Comme il a été souligné à plusieurs reprises,

a) l'enquête n'est pas un procès;

b) il n'y a pas d'accusé. [Je souligne.]

À mon avis, les motifs du juge de Grandpré indiquent la bonne façon d'aborder la question du partage des pouvoirs. Il a correctement examiné l'enquête du coroner en fonction de l'objet et de l'effet et a conclu qu'il ne s'agissait pas d'une intrusion injustifiée dans le droit criminel et dans la procédure en matière criminelle. Selon mon interprétation de l'avis de la majorité, il signifie que les enquêtes du coroner ont un but principal autre que celui de rechercher si un crime précis a été commis.

Le prochain arrêt important est Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, précité. Cet arrêt concernait une enquête provinciale sur le crime organisé au Québec. Les appelants avaient été déclarés coupables d'outrage au tribunal pour refus de témoigner à l'enquête. Notre Cour à la majorité a confirmé la constitutionnalité de l'enquête, mais plusieurs avis ont été rédigés, ce qui ne permet pas de dégager facilement la raison déterminante de l'arrêt. Le juge Pigeon (avec l'appui des juges Martland, Judson et Ritchie) a conclu à la p. 192 que l'arrêt Faber était décisif:

Selon moi, la décision dans Faber est concluante à l'encontre de la prétention des appelants qu'il s'agit d'une matière "criminelle" [. . .] On ne peut pas dire que la conclusion tirée dans Faber repose sur le motif que la recherche du crime n'était pas le but principal de l'enquête du coroner. De fait, c'était le seul objet de l'enquête au moment où les procédures ont été entamées.

Avec les plus grands égards pour les motifs du juge Pigeon, je suis d'avis, comme je l'ai mentionné précédemment, que l'arrêt Faber appuie le principe selon lequel les enquêtes du coroner portent en réalité sur des questions autres que l'enquête sur la perpétration d'un crime précis. Il semble ressortir des motifs du juge Pigeon que l'arrêt Faber appuie la proposition selon laquelle les provinces ont la compétence d'établir une enquête dont le seul but est de rechercher si un crime précis a été commis. Avec égards, cette position constitue une interprétation de l'arrêt Faber plus large qu'il n'est nécessaire et qui constitue à proprement parler une opinion incidente étant donné que, d'après les faits de l'affaire Di Iorio, la Commission d'enquête s'intéressait au crime organisé en général et non à la question de savoir si un crime précis avait été commis.

Ma position est appuyée par les motifs du juge Dickson (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt Di Iorio. Les motifs du juge Dickson ont été appuyés par les juges Martland, Judson, Ritchie et Spence et, par conséquent, ont obtenu l'appui de la majorité de la Cour. Le juge Dickson, à la p. 217, a conclu que l'arrêt Faber n'était que d'une utilité "limitée":

Même si la validité constitutionnelle de la Loi des coroners du Québec n'était manifestement pas en litige, M. le juge de Grandpré a examiné le caractère de l'enquête afin de décider quel tribunal avait juridiction pour réviser les décisions des coroners. On ne doit pas transposer aveuglément des observations sur ce qui est "droit criminel" [dans] ce contexte à ce qui est "droit criminel" dans le contexte constitutionnel, quoique cela puisse être d'une certaine utilité.

En conséquence, le juge Dickson a examiné de façon explicite la question centrale des limites du pouvoir provincial de créer des commissions d'enquête, surtout en ce qui concerne l'enquête sur le crime organisé dont la Cour était saisie. À la p. 201, il a dit:

Selon les propres termes de l'arrêté, l'enquête vise les activités des organisations et réseaux, les ramifications de ces organisations et réseaux et les personnes qui y concourent, dans la mesure où ces organisations ou réseaux opèrent dans des domaines qui de façon notoire sont reliés au crime organisé . . .

La Commission d'enquête n'agit pas comme une cour criminelle et elle n'exerce aucune juridiction en matière criminelle. La tenue de l'enquête ne fait pas partie d'une poursuite criminelle en vertu du Code criminel et ne constitue pas non plus une recherche d'un crime ou d'une infraction spécifique qui pourrait plus tard faire l'objet d'une inculpation criminelle. Il ne s'agit pas en l'espèce d'un procès criminel, sous la forme d'un litige entre deux parties, le ministère public et l'accusé. Le rôle de la Commission d'enquête est simplement de faire enquête et de soumettre un rapport; personne n'est inculpé; ceux qui comparaissent le font à titre de témoins; il n'y a pas litige; on ne vise aucunement à modifier la procédure en matière criminelle. Les procédures devant la Commission ne sont pas des procédures criminelles au sens qu'elles auraient pour but l'imposition de sanctions. La loi contestée institue une enquête sur la nature et la fréquence de certaines activités illégales dans la province de Québec . . . [Je souligne.]

Puis, à la p. 210:

. . . on peut établir une distinction valable entre la procédure en matière criminelle et une enquête sur des actes criminels. Ce qui, en l'espèce, est en litige est une enquête sur des sujets donnés compris dans l'expression, administration de la justice dans la province. Le but et le rôle de l'enquête sont différents et distincts des procédures d'enquête et de poursuite dans une affaire criminelle. Même en admettant que toute enquête policière sur un citoyen doit respecter les normes fédérales de la procédure criminelle, je ne vois pas bien pourquoi on pourrait attaquer la constitutionnalité d'une enquête générale sur le crime, faite sur une base collective. [Je souligne.]

À mon avis, l'avis du juge Dickson dans l'arrêt Di Iorio correspond à celui du juge de Grandpré dans l'arrêt Faber et représente une conception semblable à celui‑ci. Les deux arrêts portent principalement sur les objets et les fonctions de l'enquête du coroner et de l'enquête publique respectivement qui sont différents de la recherche et de la poursuite de crimes précis.

Ceci m'amène à étudier l'arrêt de notre Cour Procureur général (Qué.) et Keable c. Procureur général (Can.), précité. Cet arrêt portait sur une commission d'enquête qui avait le pouvoir d'enquêter et de faire rapport sur divers actes illégaux de divers corps policiers, dont la GRC. Il est important de souligner que la Commission avait le mandat de traiter, non seulement de la question générale des actes répréhensibles de la GRC, mais également d'actes précis, dont une entrée illégale, un incendie et un vol. Le mandat ne mentionnait aucun nom. La Cour a confirmé la constitutionnalité de la commission d'enquête et c'est le juge Pigeon qui a rendu le jugement de la majorité. La plus grande partie de l'arrêt porte sur la question de savoir si une commission provinciale peut enquêter sur l'administration de la GRC. Les juges de la majorité ont répondu par la négative. L'arrêt traite également de la question plus générale des limites constitutionnelles de l'enquête. À cet égard, le juge Pigeon a dit à la p. 241:

D'un autre côté, l'opinion majoritaire dans l'arrêt Di Iorio c. Gardien de la prison commune de Montréal me paraît concluante sur la validité du mandat de la Commission dans la mesure où il s'agit d'une enquête sur des activités criminelles spécifiées. Je ne vois aucune possibilité de distinction entre ce genre d'enquête et une enquête sur le "crime organisé" comme dans l'arrêt Di Iorio, ou une enquête de coroner sur un homicide criminel, comme dans l'arrêt Faber c. La Reine . . .

À mon avis, compte tenu de mon interprétation des arrêts Faber et Di Iorio, cet extrait des motifs du juge Pigeon ne devrait pas être interprété comme signifiant que la province a le pouvoir d'enquêter directement sur des particuliers à l'égard d'infractions criminelles précises qu'ils auraient commises. Encore une fois, je tiens à préciser que, dans l'arrêt Faber, la raison déterminante était qu'une enquête du coroner avait des objets et des fonctions qui n'étaient pas reliés à la recherche de crimes. Dans l'arrêt Di Iorio, la position de la majorité qui ressort des motifs du juge Dickson signifie que la Commission n'enquêtait pas sur des actes criminels précis commis par des individus en particulier; elle avait le mandat d'enquêter sur la question générale du crime organisé au Québec. Bien que l'arrêt Keable ait traité d'allégations précises d'actes illégaux commis par des membres de la GRC, aucune personne n'était nommée dans le mandat et la Commission d'enquête n'avait pas le pouvoir d'examiner un crime précis qu'auraient commis des personnes en particulier. Je remarque également que, dans l'arrêt Keable, le mandat de la Commission lui donnait le pouvoir d'enquêter sur certains "actes illégaux ou répréhensibles" précis de manière à faire des recommandations pour éviter que ces actes ne soient répétés par la GRC à l'avenir. Ainsi, bien que de toute évidence la Commission ait eu le pouvoir d'enquêter sur certaines activités qui pouvaient être illégales, l'enquête portait essentiellement sur la question plus générale des méthodes d'enquête de la GRC et de méfaits commis dans ce contexte, une question qui relevait de la compétence provinciale.

Je ne peux terminer l'analyse de l'arrêt Keable sans mentionner les motifs concordants du juge Estey auxquels a souscrit le juge Spence. Ses motifs sont importants étant donné que, à mon avis, ils placent l'analyse du partage des pouvoirs relativement aux commissions d'enquête provinciales dans un cadre analytique utile et, d'une certaine manière, correspondent à la position adoptée par le juge Dickson dans l'arrêt Di Iorio. Le juge Estey fait remarquer tout d'abord que l'arrêt Di Iorio n'est pas allé jusqu'à permettre à une action provinciale de porter atteinte à l'inviolabilité du droit de garder le silence au cours de ce qui en fait est une enquête criminelle. Aux pp. 254 et 255, il dit:

Une enquête sur l'incidence des crimes ou sur l'ensemble des caractéristiques des crimes dans une province, ou une enquête sur le fonctionnement des forces de l'ordre provinciales sont des choses bien différentes d'une enquête sur un événement défini de façon précise ou sur une série d'événements, en vue d'intenter des poursuites criminelles. La première catégorie peut comprendre des enquêtes sur les crimes en général et on peut les entreprendre aux termes de la législation provinciale sur les enquêtes. La seconde catégorie exige qu'on enquête sur des crimes précis. Le Parlement a établi la procédure à cet égard et l'action provinciale aux termes de la législation générale sur les enquêtes ne saurait pas plus y faire échec que dans le cas des principes fondamentaux du droit criminel.

Selon le juge Estey, la solution est de déterminer où se situe la limite. Bien que la province soit compétente pour enquêter sur des allégations ou des soupçons de crime précis en vue d'appliquer le droit criminel par la poursuite de particuliers, elle doit le faire conformément aux procédures criminelles prescrites par le fédéral et non d'une autre manière, par exemple, par le processus de la commission d'enquête. Le juge Estey a étayé cette position de la manière suivante, à la p. 258:

Lorsque le but fondamental est de contourner la procédure criminelle prescrite par le moyen de l'enquête, avec, pour les personnes visées, toutes les graves conséquences susmentionnées, l'action provinciale est invalide car elle viole soit la procédure criminelle validement adoptée en vertu du par. 91(27), soit le droit criminel positif, soit les deux. Lorsque, comme je crois que c'est le cas en l'espèce, l'action provinciale est de façon prédominante et fondamentale une enquête sur des aspects du droit criminel et sur les activités des forces policières provinciales et municipales, et non un simple prélude à des poursuites intentées par la province pour activités criminelles précises, l'action provinciale est autorisée par le par. 92(14).

À ce stade de l'analyse, je tiens à mentionner un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario qui jette plus de lumière sur la question constitutionnelle soulevée dans le présent pourvoi. L'arrêt R. v. Hoffmann‑La Roche Ltd. (1981), 33 O.R. (2d) 694, portait sur une poursuite pour fixation de prix déraisonnablement bas, en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C-23. Le juge Martin a examiné les trois arrêts de notre Cour que je viens d'analyser et a dit à la p. 724:

[TRADUCTION] Il est bien établi qu'une province peut créer des agences provinciales comme les coroners, les commissaires aux incendies, les commissions des valeurs mobilières et les commissions d'enquête et leur accorder le pouvoir d'assigner des témoins et de les contraindre à déposer sous serment dans le cadre d'une enquête effectuée pour un objectif provincial valide, même si un témoin tenu de déposer peut être un défendeur dans une procédure criminelle subséquente . . .

Toutefois, l'enquête sur la plupart des crimes est menée par des agents de police agissant principalement en vertu de leur pouvoir de common law et des pouvoirs de fouille, de perquisition et de surveillance électronique prévus par la loi, aidés à l'occasion dans leur enquête par le résultat de commissions d'enquête comme celles qui sont mentionnées précédemment. Les agents de police sont autorisés à interroger toute personne, soupçonnée ou non, pour vérifier si un crime a été commis et, dans l'affirmative, pour en découvrir l'auteur. Toutefois, bien que les agents de police soient, en général, autorisés à interroger des suspects, ils n'ont pas le pouvoir de les obliger à répondre.

Malgré le chevauchement des par. 91(27) et 92(14), il ne serait manifestement pas de la compétence de la province d'adopter une loi qui permettrait à un agent de police de convoquer un suspect devant un fonctionnaire et de l'obliger à répondre, sous serment, à un interrogatoire relatif à sa participation à une infraction. Même si une telle loi pouvait être décrite comme portant sur les enquêtes relatives à des infractions et donc apparemment relever de l'administration de la justice, une telle loi porterait en réalité sur la procédure en matière criminelle et relèverait donc de la compétence exclusive du Parlement. [Je souligne.]

Il faut signaler que cette vue d'ensemble du juge Martin a expressément été adoptée par notre Cour à la majorité dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Transports Nationaux du Canada, Ltée, [1983] 2 R.C.S. 206, à la p. 242. À mon avis, l'interprétation donnée par le juge Martin aux trois arrêts que j'ai analysés jusqu'à maintenant correspond à leur principe directeur commun: la commission d'enquête ne peut être utilisée par une province pour enquêter sur la perpétration alléguée d'infractions criminelles précises par des personnes nommées. Une telle utilisation de la commission d'enquête, compte tenu de la possibilité d'obliger ces personnes nommées à témoigner, aurait pour effet de contourner la procédure en matière criminelle qui relève de la compétence exclusive du Parlement.

Mon interprétation de l'interaction des commissions d'enquête provinciales et de la recherche de crimes précis a plus récemment reçu l'appui de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Re Nelles and Grange, précité. Cette affaire visait une enquête publique provinciale sur des décès d'enfants survenus dans un hôpital de Toronto. Bien que l'effet de cet arrêt ait été soulevé à titre de moyen d'appel distinct par les appelants en l'espèce, je crois qu'il est pertinent en ce qui a trait à la première question constitutionnelle formulée par notre Cour. La question, présentée par voie d'exposé de cause, était de savoir si le commissaire, le juge Samuel Grange, pouvait exprimer une opinion quant à savoir qui était responsable, intentionnellement ou accidentellement, du décès des enfants. En d'autres termes, pour utiliser l'expression concise, pouvait‑il "donner des noms"? La cour a conclu qu'il ne pouvait le faire. Dans sa décision, la cour a fait cette observation importante aux pp. 215 et 216:

[TRADUCTION] Une enquête publique n'est pas le moyen de mener des enquêtes sur la perpétration de crimes précis [. . .] Une telle enquête est une procédure coercitive et elle est incompatible avec notre notion de justice dans la recherche d'un crime précis et quant à la détermination de la responsabilité civile ou criminelle réelle ou probable.

La cour a ensuite largement cité les motifs du juge Martin dans l'arrêt Hoffmann‑La Roche Ltd., précité, et a examiné, aux pp. 220 et 221, l'effet de certaines conclusions de fait que le commissaire pourrait tirer:

[TRADUCTION] Ce qui importe c'est qu'une conclusion du commissaire serait considérée comme une décision par le public et serait susceptible de causer un préjudice grave si une personne nommée par le commissaire comme étant responsable du décès dans les circonstances devait faire face à des accusations dans d'autres procédures. Ce qui importe tout autant, c'est que, si aucune accusation n'était portée par la suite, la personne déclarée responsable par le commissaire n'aurait aucun recours pour défendre sa réputation [. . .] En outre, on peut raisonnablement déduire qu'une personne a l'intention que se réalisent les conséquences naturelles de ses actes et une conclusion défavorable à une infirmière, comme en l'espèce, équivaudrait sans plus à une conclusion interdite par le décret.

Bien que la question de la constitutionnalité du décret n'ait pas été soulevée, les limites interprétatives imposées par la Cour d'appel avaient pour but de garantir qu'il reste dans les limites de la compétence provinciale.

Finalement, je termine mon analyse de la jurisprudence par un examen de l'arrêt le plus récent de notre Cour dans ce domaine, O'Hara c. Colombie‑Britannique, précité. Il s'agissait d'une enquête provinciale sur des blessures qu'aurait subies un détenu alors qu'il était sous garde dans un poste de police. Une audience tenue en vertu de la Police Act, R.S.B.C. 1979, ch. 331, avait blanchi la police à l'égard de tout méfait et, par conséquent, la commission d'enquête était chargée d'enquêter et de faire rapport, notamment, sur les facteurs entourant la détention du prisonnier, sur la manière dont il avait subi les blessures, sur les personnes qui les avaient infligées et sur la question de savoir s'il y avait eu des irrégularités ou des méfaits relativement à l'audience tenue en vertu de la Police Act. Le détenu était la seule personne nommée dans le mandat. Le Juge en chef a rendu le jugement au nom de la majorité de notre Cour confirmant la constitutionnalité de l'enquête. Ainsi, il a explicitement reconnu à la p. 607 qu'"Une province doit respecter la compétence fédérale relative au droit criminel et à la procédure en matière criminelle". Le Juge en chef a fait sienne la décision du juge Legg de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique qui avait conclu que le par. 92(14) autorisait une province à établir une commission pour enquêter et faire rapport sur les méfaits allégués de membres d'un corps de police relevant de sa compétence. À cet égard, il a ensuite conclu aux pp. 607 et 608:

Le paragraphe 92(14) autorise non seulement la création de commissions d'enquête provinciales dans certaines circonstances, mais constitue également le fondement du pouvoir provincial en matière de nomination, de surveillance et de discipline des agents de police municipaux et provinciaux.

En outre, aux pp. 610 et 611, le Juge en chef a expliqué les motifs qui lui ont permis de conclure que l'enquête relevait de la compétence provinciale en plaçant la discussion dans le contexte d'une décision générale sur le partage des pouvoirs:

Une matière peut très bien faire légitimement l'objet de mesures législatives provinciales relatives à l'administration de la justice et, pour d'autres fins, relever de la compétence fédérale sur le droit criminel et la procédure en matière criminelle. [. . .] C'est le cas en l'espèce [. . .] Une province a un intérêt constitutionnel valide et légitime pour déterminer la nature, la source et les motifs des activités répréhensibles, voire criminelles, exercées par les membres des corps de police qui relèvent de sa compétence. C'est la gestion des moyens d'administrer la justice dans la province qui est en jeu. À mon avis, le fait qu'une telle activité puisse par la suite constituer le fondement d'une accusation criminelle et ainsi toucher les intérêts du gouvernement fédéral relativement au droit criminel et à la procédure en matière criminelle, ne porte pas atteinte à ce principe fondamental. [. . .] [L]e but de la présente enquête est d'aller jusqu'au fond d'un cas de mauvaise conduite de la part de la police qui a porté atteinte à la bonne administration de la justice. Les autorités fédérales n'ont pas compétence pour imposer des mesures disciplinaires aux agents de police visés par l'enquête. [. . .] La commission d'enquête est chargée d'enquêter sur de présumés méfaits pour des fins différentes de celles qui sous‑tendent le droit criminel et la procédure en matière criminelle. L'enquête n'a pas pour but de déterminer la responsabilité criminelle. Comme tel, ce but n'est pas différent de celui de l'enquête d'un coroner dont la constitutionnalité a été confirmée par cette Cour dans l'arrêt Faber, précité.

À mon avis, cet extrait des motifs du Juge en chef permet dans une large mesure de concilier la jurisprudence antérieure dans ce domaine, tout en adhérant aux principes bien établis en matière de décisions concernant le partage des pouvoirs. Le Juge en chef, dans ses observations, reconnaît qu'une commission d'enquête peut avoir un "double aspect". Toutefois, il y a des cas dans lesquels la cour est en mesure d'identifier une caractéristique prédominante qui prévaut sur l'aspect accessoire contraire. Par exemple, dans l'arrêt Keable, la Commission avait le pouvoir d'enquêter sur certains actes criminels allégués avoir été commis par des forces de police mais elle avait1 axé principalement son examen sur les méthodes d'enquête policière, les abus relatifs à celles‑ci et des recommandations visant à assurer que les actes répréhensibles ne se reproduiraient pas. De même, dans l'arrêt O'Hara, le Juge en chef a identifié, à la p. 610, "la gestion des moyens d'administrer la justice dans la province" comme la caractéristique prédominante de l'enquête.

De plus, le Juge en chef dans l'arrêt O'Hara, tout en confirmant l'enquête sur un incident précis, dont les conclusions auraient pu entraîner des accusations criminelles, a indiqué clairement que l'enquête était intra vires de la province parce qu'elle ne permettait pas d'attribuer une responsabilité criminelle à une personne en particulier. En fait, elle portait plutôt d'une manière générale sur la conduite répréhensible de la police. Il convient de remarquer que, dans l'arrêt O'Hara, une audience tenue en vertu de la Police Act relativement à l'incident visé avait exonéré la police de tout méfait. Il n'y avait pas d'enquête policière indépendante en cours sur la possibilité de porter des accusations criminelles. Finalement, à mon avis, l'avertissement suivant, aux pp. 611 et 612, constitue un élément très important de la décision:

. . . une province ne peut porter atteinte aux intérêts du gouvernement fédéral en matière d'adoption et de mise sur pied d'un système uniforme de justice criminelle au pays tel que prévu dans le Code criminel. Une enquête instituée uniquement pour déterminer la responsabilité criminelle et pour contourner la protection que le Code criminel accorde à un accusé outrepasserait les pouvoirs d'une province, car il s'agirait d'une matière relative au droit criminel et à la procédure en matière criminelle. Cette limite à la compétence provinciale constitue la reconnaissance de la nature fédérale de notre système d'autonomie gouvernementale. [Je souligne.]

Cette restriction rappelle les termes utilisés par le juge Dickson (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt Di Iorio et à ceux du juge Estey dans ses motifs concordants de l'arrêt Keable. En somme, l'arrêt O'Hara vise autant les limites des commissions d'enquête provinciales que leur étendue. L'arrêt affirme clairement que le sujet véritable de l'enquête doit être fermement ancré à un chef de compétence provinciale et qu'elle ne peut être utilisée directement ou indirectement comme un moyen d'enquêter sur la responsabilité criminelle de personnes précises à l'égard d'infractions précises.

Application des principes à l'espèce

Malgré la longueur de l'analyse jurisprudentielle qui précède, l'application des principes à l'espèce me paraît assez simple. Je préfère donner mes conclusions dès le départ. À mon avis, la commission d'enquête dont le cas est soumis à notre Cour est, de par son caractère véritable, un substitut d'enquête de police et d'enquête préliminaire sur une infraction précise définie à l'art. 121 du Code criminel, reprochée à l'une ou l'autre ou l'une et l'autre des personnes désignées, qui sont Patricia Starr et Tridel Corporation Inc. Cela ne veut pas dire qu'un mandat d'enquête ne peut jamais comporter le nom de personnes précises. C'est plutôt l'effet combiné et cumulatif des noms et de l'incorporation de l'infraction visée au Code criminel qui rend l'enquête ultra vires de la province. Le mandat désigne des personnes nommément et le fait en utilisant des termes qui sont presque identiques à ceux de la disposition correspondante du Code criminel. Le même mandat enjoint au commissaire de faire enquête et de constater des faits qui constitueraient en réalité, contre les personnes désignées, une preuve prima facie suffisante pour obtenir le renvoi de ces personnes à leur procès pour infraction à l'art. 121 du Code. Même si la province n'a peut‑être pas visé ce résultat, l'enquête a pour conséquence ultime d'équivaloir à une enquête de police et à une enquête préliminaire régie par la Partie XVIII du Code criminel, relativement à des infractions criminelles précises reprochées à Mme Starr et à Tridel Corporation Inc. Bien que des fonctionnaires publics soient aussi visés par le mandat de la Commission, l'enquête à leur sujet est définie en fonction de leurs rapports avec Mme Starr ou Tridel Corporation Inc. et elle est accessoire à l'objet principal du mandat du commissaire.

Je procéderai maintenant à une analyse détaillée qui permettra d'étayer ces conclusions. Dans cette analyse, il faut commencer par le mandat de la Commission d'enquête. Je souligne, encore une fois, que cette enquête publique se distingue des autres en ce que le mandat désigne expressément les appelants Mme Starr et Tridel Corporation Inc. Ce fait différencie l'espèce de toutes les autres affaires que notre Cour a été appelée à juger. De plus, il semble n'y avoir absolument aucun principe général sous‑jacent à l'enquête. Il ne s'agit pas, par exemple, d'une commission d'enquête sur les liens entre les organismes charitables et les fonctionnaires publics. Le commissaire n'a pas le mandat exprès de faire enquête sur autre chose que des allégations précises d'un lien qui existerait entre des relations d'affaires intervenues entre des fonctionnaires publics et les deux personnes et les avantages qui peuvent avoir été conférés à ces fonctionnaires publics. Je reconnais que la loi applicable parle d'enquêtes qui se rapportent à "la bonne administration de l'Ontario" et que le mandat relatif à la présente enquête comporte la restriction habituelle selon laquelle le commissaire ne peut tirer de conclusion sur la responsabilité criminelle. Mais il est certain que c'est à partir des circonstances qui ont donné lieu à la création de la Commission et du mandat lui‑même, que notre Cour doit déterminer si le sujet véritable de l'enquête relève d'un domaine de compétence provinciale. Comme nous l'enseigne la jurisprudence sur le partage des compétences, la forme seule n'est pas déterminante de cette caractérisation: Attorney‑General for Alberta v. Attorney‑General of Canada (Alberta Bank Taxation Reference), [1939] A.C. 117. C'est alors que la théorie du "détournement de pouvoir" intervient. Cette théorie s'applique quand une loi qui semble porter sur un sujet relevant de la compétence d'un gouvernement, porte en réalité sur un sujet qui ne relève pas de cette compétence. L'extrait qui suit des motifs du juge Pigeon dans l'arrêt Keable, précité, à la p. 242, est particulièrement adapté au présent pourvoi:

La théorie du détournement de pouvoir s'applique tout autant à l'examen de la validité du mandat ou des décisions d'une commission qu'à celui de la constitutionnalité d'une loi.

L'intimé soutient que la présente enquête correspond à la définition que donne la Commission de réforme du droit du Canada dans son 13e rapport, Les commissions consultatives et les commissions d'enquête (1979). La Commission dit, à la p. 6

Les commission d'enquête, comme les commissions consultatives, apportent un complément aux institutions ordinaires du gouvernement en accomplissant des tâches que celles‑ci rempliraient sans doute moins bien. Bien souvent, les commissions font enquête sur le gouvernement lui‑même.

Cette remarque s'applique certainement à de nombreuses enquêtes. Dans les arrêts Keable et O'Hara, par exemple, les commissions d'enquête visaient dans les deux cas des agissements répréhensibles de policiers, sujet que le système de justice criminelle peut avoir de la difficulté à traiter en raison de la possibilité de conflits d'intérêts. En réalité, dans l'affaire O'Hara, une enquête interne de police n'avait rien trouvé à reprocher aux agents de police. En l'espèce, par contre, il y avait une enquête policière en cours et le dossier ne comporte aucune allégation que l'enquête était l'objet d'influences politiques ou qu'elle comportait des difficultés. L'intimé invoque la déclaration du premier ministre à l'occasion de la création de la Commission d'enquête pour étayer l'argument de l'existence d'un objet provincial valide. Il est assez ironique que l'on invoque la déclaration du premier ministre pour étayer la compétence de la province pour créer la commission d'enquête alors que le premier ministre a dit explicitement que l'un des objets de la Commission était d'assurer que [TRADUCTION] "ceux qui ont commis des erreurs seront punis et ceux qui n'ont pas respecté la loi seront poursuivis". De plus, la transcription des débats de l'Assemblée législative indique clairement que, jusqu'à deux jours avant la création de la Commission d'enquête, le premier ministre invoquait le fait que de nombreuses enquêtes étaient en cours, dont l'une menée par la police provinciale.

L'avocat du gouvernement de l'Ontario a aussi soutenu que l'enquête en l'espèce avait un objet plus général qui la différenciait d'une enquête de police. Il a parlé de la confiance du public envers le comportement et la conduite des fonctionnaires publics, élus et non élus, l'intégrité et la valeur du régime juridique qui régit le comportement des fonctionnaires et des députés de l'Assemblée législative. Malheureusement, le mandat de la Commission d'enquête ne comporte pas cet objet plus général. Le mandat ne mentionne tout simplement pas l'examen de l'ensemble du système qui régit le comportement des fonctionnaires publics envers les organismes de charité en particulier ou envers tous les autres. En réalité, bien que des fonctionnaires publics soient visés par l'enquête, l'investigation de leurs agissements dépend de ce qu'ils ont eu ou n'ont pas eu de relations d'affaires avec les deux personnes nommément désignées, qui ni l'une ni l'autre ne sont des fonctionnaires publics.

En résumé, je trouve peu convaincant l'argument selon lequel l'enquête en l'espèce est solidement ancrée aux par. 92(4), (7), (13) ou (16) de la Loi constitutionnelle de 1867. Il n'y a rien dans la formulation même du mandat, ni dans les circonstances qui ont donné lieu à l'enquête, qui me convainque qu'elle vise à rétablir la confiance en l'intégrité du gouvernement et de ses institutions ou à examiner le régime auquel les fonctionnaires publics sont assujettis. Ces objets sont manifestement accessoires à la caractéristique principale de l'enquête, qui consiste à mener une enquête et à constater des faits à l'égard de personnes nommément désignées au sujet d'une infraction criminelle précise. J'aborderai maintenant cet aspect de mon analyse.

En commençant, je veux souligner que je ne me fonde sur aucun fait particulier, considéré isolément, pour conclure que l'enquête visée est ultra vires de la province. Le processus de qualification dans le domaine du partage des pouvoirs n'est pas un exercice technique ou formaliste. Il s'agit plutôt de déterminer la nature et le caractère véritables de la loi en examinant son objet global et ses effets. En réalité, la qualification d'une loi fait appel à une méthode holistique plutôt qu'à une méthode analytique. À mon avis, il y a deux facteurs dont l'effet combiné et cumulatif m'amène à conclure que cette enquête est en réalité un substitut d'enquête criminelle et d'enquête préliminaire. Premièrement, les seules parties nommées sont des personnes privées, dont l'une est une société commerciale, qui ont été spécifiquement désignées comme objet de l'enquête. À la différence de l'affaire O'Hara, dans laquelle la personne désignée était la victime des actes reprochés, la présente enquête désigne les personnes qui seraient les auteurs des actes répréhensibles. Deuxièmement, l'enquête visant les deux personnes désignées se situe dans le cadre d'un mandat qui, comme la Cour d'appel l'a constaté, ressemble de "façon frappante" à l'al. 121(1)b) du Code criminel. La Cour d'appel a statué que la différence déterminante entre le mandat et la disposition du Code tient à huit mots que comporte l'art. 121, mais qui ne figurent pas dans le mandat. En vertu de l'art. 121, commet une infraction quiconque, selon le cas, traitant d'affaires avec le gouvernement, paye une commission ou récompense, confère un avantage ou un bénéfice de quelque nature à un employé ou fonctionnaire du gouvernement avec lequel il traite à l'égard de ces relations d'affaires. La Cour d'appel pensait que le mandat n'autorisait pas le commissaire à dire s'il existait un lien entre les relations d'affaires et les bénéfices. La Cour d'appel a donc conclu que, puisque le commissaire ne tire pas de conclusion sur le point de savoir si un avantage a été conféré à l'égard des relations d'affaires des personnes désignées et des fonctionnaires publics, il n'a pas besoin de tirer de conclusion de droit relativement à la responsabilité criminelle.

Avec égards pour la Cour d'appel, je ne puis souscrire à cette analyse. À mon avis, le raisonnement de la cour ne correspond tout simplement pas à ce que le mandat exige du commissaire. D'abord, la rédaction du mandat montre clairement qu'on y a presque incorporé l'al. 121(1)b) du Code. La formulation est trop semblable pour permettre de conclure autre chose. Deuxièmement, la facture du mandat lui‑même laisse supposer qu'il existe un lien entre les relations d'affaires et les avantages. Dans le premier paragraphe du mandat, le commissaire est chargé d'enquêter sur la nature et l'ampleur des relations d'affaires entre Mme Starr, Tridel Corporation Inc. et des fonctionnaires publics élus ou non élus. Le deuxième paragraphe du mandat charge le commissaire de faire enquête et rapport sur toutes ces circonstances ou relations d'affaires, c.‑à‑d. les relations d'affaires découvertes en vertu du premier paragraphe, à l'égard desquelles, à son avis, il est établi qu'un bénéfice, un avantage ou une récompense quelconque a été accordé à un fonctionnaire public élu ou non élu. On pourrait bien en conclure qu'il y a contemporanéité entre les relations d'affaires et les avantages, conclusion qui, faute d'explication, établirait avec certitude que la personne qui a eu des relations d'affaires avec les fonctionnaires publics a conféré un avantage à l'égard de ces relations d'affaires. Dans son sens ordinaire, le mandat signifie nettement, à mon avis, que le commissaire doit nécessairement dire s'il y a un lien entre les relations d'affaires et tout avantage qu'il constatera avoir été conféré. C'est essentiellement l'infraction définie à l'al. 121(1)b). Il est vrai, comme la Cour d'appel l'a souligné, que le deuxième paragraphe du mandat ne comporte pas les mots "à l'égard des relations d'affaires". Il ne s'ensuit pas qu'il n'y a pas de rapport entre les relations d'affaires et les avantages. L'analyse de la facture du mandat révèle, selon moi, que le lien est clairement présent.

Notre Cour a analysé l'al. 121(1)b) du Code dans l'arrêt R. c. Cooper, [1978] 1 R.C.S. 860. La Cour, à la majorité, a statué que l'intention, pour les personnes, de conférer des avantages à l'égard des relations d'affaires est un élément essentiel de l'infraction. On pourrait soutenir que, puisque le commissaire n'a pas été chargé de tirer des conclusions de fait relativement à l'intention de conférer des avantages à l'égard de certaines relations d'affaires, il ne se prononce pas sur la responsabilité criminelle. On peut réfuter cet argument de deux façons. D'abord, la conclusion à l'existence de l'élément d'intention, après les conclusions de fait tirées relativement à l'existence de relations d'affaires et d'avantages, est presque une conclusion nécessaire. Selon notre droit, on peut raisonnablement conclure qu'une personne avait l'intention que se réalisent les conséquences normales de ses actes. Ainsi, dans l'arrêt R. v. Brown (1956), 116 C.C.C. 287, le juge Laidlaw, au nom de la Cour d'appel de l'Ontario à la majorité, était prêt à inférer qu'un accusé inculpé d'avoir offert, par corruption, à un mandataire une récompense pour faire ou s'abstenir de faire quelque chose ayant trait aux affaires de son mandant, avait eu l'intention de contrevenir à la disposition du seul fait d'avoir donné la contrepartie.

En second lieu, il n'est pas nécessaire que le commissaire arrive à des conclusions relativement à la culpabilité dans le sens véritable du terme pour que l'enquête soit ultra vires de la province. Il suffit que l'enquête soit de fait un substitut d'enquête de police et d'enquête préliminaire relativement à une allégation précise de perpétration d'infractions criminelles par des personnes nommément désignées. À mon avis, l'enquête dont le commissaire est chargé et les constatations de fait qu'il fera après son enquête le placent dans la situation d'un juge procédant à une enquête préliminaire en vertu de l'art. 535 du Code criminel. L'article 535 est ainsi conçu:

535. Lorsqu'un prévenu inculpé d'un acte criminel est devant lui, le juge de paix doit, en conformité avec la présente partie, enquêter sur l'accusation ainsi que sur tout autre acte criminel qui découle de la même affaire fondé sur les faits révélés par la preuve recueillie conformément à la présente partie.

Dans la présente enquête, le commissaire a, comme le juge de paix en vertu de l'art. 535, le pouvoir d'enquêter sur une allégation fondée sur des faits révélés par la preuve. Dans le mandat, l'"allégation" est formulée presque dans les mêmes termes que l'al. 121(1)b) du Code et elle fait un lien entre Mme Starr et Tridel Corporation Inc. et le comportement répréhensible allégué. En vertu de l'art. 548 (auparavant l'art. 475) du Code, le juge a le pouvoir, après avoir entendu la preuve, de renvoyer l'accusé à son procès s'il estime la preuve suffisante pour justifier le renvoi de l'accusé à son procès. L'obligation que cet article impose au juge est la même que celle à laquelle le juge qui préside un procès avec jury est tenu lorsqu'il doit décider si l'état de la preuve exige qu'il retire l'affaire des mains du jury. Ainsi, un accusé doit être renvoyé à son procès quand il existe des éléments de preuve recevables qui, s'ils sont crus, pourraient entraîner sa déclaration de culpabilité: voir États‑Unis d'Amérique c. Shephard, [1977] 2 R.C.S. 1067. Le commissaire en l'espèce est appelé à formuler des conclusions dans les cas où, à son avis, il y a assez d'éléments de preuve que des avantages ont été conférés à l'égard de certaines relations d'affaires entre Mme Starr, Tridel Corporation Inc. et des fonctionnaires publics. À mon avis, de telles conclusions, si elles étaient formulées, suffiraient pour renvoyer à leur procès les personnes désignées par la Commission d'enquête sur une accusation d'infraction à l'al. 121(1)b) du Code.

Permettre à l'enquête de se poursuivre selon son mandat actuel aurait pour effet que le commissaire assumerait le rôle d'un juge qui préside une enquête préliminaire. Essen­tiel­lement, l'enquête entame les stades préliminaires du processus judiciaire en recueillant des preuves, en déterminant si elles sont suffisantes et enfin en décidant s'il existe une preuve prima facie contre Mme Starr, contre Tridel Corporation Inc. ou contre les deux. Il n'y a pas de doute qu'il existe une jurisprudence sanctionnant la validité d'enquêtes dont la fonction principale est de déterminer des faits, mais non de mener un procès criminel, même si leur objet porte en partie sur une activité criminelle. En fait, il est manifeste que le risque qu'un témoin devant une commission d'enquête devienne plus tard un accusé dans son procès sur une accusation criminelle ne rend pas la commission ultra vires de la province. Mais dans aucune affaire antérieure, notre Cour n'a examiné une enquête provinciale qui comporte à la fois la reproduction presque textuelle de la définition d'une infraction au Code criminel et la désignation de personnes précises alors que des enquêtes policières sont en cours à l'égard des mêmes personnes. Laisser l'enquête continuer dans sa forme présente aurait notamment comme conséquence de lui permettre de contraindre un "témoin", qui se trouve être l'un des "suspects" désignés, à déposer sous serment alors même que cette personne ne serait pas tenue de fournir des éléments de preuve incriminants pour elle ni à l'occasion d'une enquête policière ordinaire, ni à l'occasion d'une enquête préliminaire en vertu du Code (voir l'art. 541), ni à son procès. Le juge Williams explique succinctement la situation dans l'arrêt Cock v. Attorney‑General (1909), 28 N.Z.L.R. 405, à la p. 420:

[TRADUCTION] Dans une cour de justice, une personne inculpée d'un acte criminel n'est pas tenue de déposer. Une personne accusée par la Commission, par contre, peut être assignée et interrogée comme témoin et, si elle refuse de prêter serment et de répondre, elle est passible de sanctions.

L'affaire Cock portait sur une commission d'enquête établie pour examiner des allégations selon lesquelles cinq membres d'une commission de permis, qui n'étaient pas fonctionnaires, étaient soupçonnés d'avoir accepté des pots‑de‑vin. Le juge Williams a conclu qu'il y avait lieu d'interdire à la commission de poursuivre ses travaux et il a dit à la p. 425:

[TRADUCTION] . . . la Loi autorise la tenue d'une enquête sur les actes répréhensibles reprochés à un agent public. Cette enquête vise à déterminer s'il y a lieu de maintenir cet agent en fonction, de le renvoyer ou de lui imposer quelque autre sanction. Même si les actes reprochés constituent un acte criminel en droit, le commissaire peut quand même mener une enquête à leur sujet parce qu'ils sont accessoires à l'enquête légitime et nécessaires à ses fins. En l'espèce, la conséquence réelle et même le seul objet de cette enquête était de déterminer si des personnes désignées qui n'occupent pas de fonctions officielles ont commis une infraction précise. L'enquête constituerait, en pratique, un procès au sujet d'une infraction sans la protection que la loi confère aux accusés.

À mon avis, les propos du juge Williams s'appliquent au présent pourvoi et appuient éloquemment la conclusion que l'enquête en l'espèce est ultra vires de la province parce qu'elle est véritablement un substitut d'enquête de police et d'enquête préliminaire visant des personnes désignées relativement à une infraction précise. L'avocat du gouvernement de l'Ontario a indiqué dans sa plaidoirie qu'au moins vingt‑quatre commissions d'enquête provinciales ont soit nommé des personnes, soit porté sur des activités criminelles ou susceptibles de l'être. Il n'a pu cependant donner un seul exemple de commission qui ait nommément désigné des personnes pour déterminer ensuite s'il existait une preuve prima facie contre elles à l'égard d'une infraction précise.

Il est bien évident que des commissions d'enquête aux niveaux fédéral et provincial ont joué un rôle important dans le fonctionnement courant du gouvernement. De nombreux auteurs ont écrit à ce sujet: Lockwood, "A History of Royal Commissions", (1967) 5 Osgoode Hall L.J., 172, Le Dain, "The Role of the Public Inquiry in our Constitutional System", dans Ziegel (éd.), Law and Social Change; Sellar, "A Century of Commissions of Inquiry" (1947), 25 R. du B. can. 1; MacDonald, "The Commission of Inquiry in the Perspective of Administrative Law" (1980), 18 Alta L. Rev. 366, et Christie et Pross, Introduction to Commissions of Inquiry. La plupart des auteurs semblent convenir que les enquêtes publiques ont de nombreuses fonctions, dont permettre au gouvernement d'obtenir des renseignements pour élaborer ou appliquer des politiques, éduquer le public ou le pouvoir législatif, enquêter sur l'administration du gouvernement et permettre au public de faire connaître ses griefs. Les commissions d'enquête sont le complément des activités des institutions ordinaires de l'État. La Commission de réforme du droit du Canada dans son Document de travail 17, Droit administratif: Les commissions d'enquête (1977), dit à la p. 20 que les commissions d'enquête

. . . possèdent une objectivité et une liberté face aux pressions du court terme qu'on trouve rarement au sein de l'organe législatif. Elles peuvent traiter de questions qui n'exigent pas l'application du droit positif par les tribunaux. Elles peuvent aussi examiner et interpréter de manière satisfaisante des questions qui ne relèvent pas vraiment de la compétence des diverses forces policières du Canada.

Par conséquent, il est clair que les provinces doivent avoir suffisamment de latitude dans leur compétence constitutionnelle pour instituer des enquêtes publiques qui visent à examiner, étudier et recommander des modifications en vue d'assurer un meilleur gouvernement pour leurs citoyens. Ce qu'une province ne peut faire, et ce qu'elle a fait en l'espèce, c'est instituer une enquête publique, avec tous ses pouvoirs coercitifs, pour remplacer une enquête policière et une enquête préliminaire sur des individus nommément désignés relativement à des infractions criminelles précises. Il s'agit d'une ingérence dans les intérêts fédéraux dans l'adoption et l'organisation d'un système de justice pénale représenté par le Code criminel. Une telle enquête a directement pour effet de contourner la protection que le Code criminel accorde à une personne et, par conséquent, est ultra vires de la province en tant que matière relevant du par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867. Cette restriction de la compétence provinciale a été uniformément réitérée dans des arrêts de notre Cour qui ont confirmé la constitutionnalité d'autres enquêtes publiques provinciales. En fait, la présente enquête porte atteinte au principe selon lequel une province ne peut contraindre une personne à se soumettre à un interrogatoire sous serment relativement à sa participation à une présumée infraction criminelle dans le but de rassembler suffisamment d'éléments de preuve pour porter des accusations ou pour établir une preuve prima facie. En bref, l'enquête visée en l'espèce contourne la procédure criminelle prescrite pour la tenue d'une enquête policière et d'une enquête préliminaire, une question régie par la Partie XVIII du Code criminel. Il est donc évident qu'elle ne relève pas de la compétence d'une province d'établir une commission d'enquête et de la doter d'un pouvoir d'enquête coercitif. En conséquence, pour tous les motifs qui précèdent, je suis d'avis de déclarer que l'enquête est ultra vires de la province.

VI. Conclusion

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de répondre à la première question constitutionnelle énoncée par notre Cour de la manière suivante:

Q:Le décret du 6 juillet 1989, pris conformément à l'art. 2 de la Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O. 1980, ch. 411, excède‑t‑il les pouvoirs de la province de l'Ontario à titre de matière relevant de la compétence exclusive du Parlement du Canada, en application du par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867?

R:Oui.

Par conséquent, je n'ai pas à trancher les autres questions constitutionnelles ou les autres questions soulevées par les appelants. Il n'y aura pas d'adjudication de dépens.

//Le juge L'Heureux-Dubé//

Version française des motifs rendus par

LE JUGE L'HEUREUX‑DUBÉ (dissidente) — J'ai eu l'avantage de prendre connaissance de l'opinion de mon collègue le juge Lamer et, avec égards, je ne puis souscrire à sa conclusion selon laquelle le mandat donné à la commission d'enquête par le décret du 6 juillet 1989, est ultra vires de la province d'Ontario. Je suis d'accord avec la Cour divisionnaire et la Cour d'appel de l'Ontario et bien que je puisse m'en rapporter à leurs jugements, je désire ajouter certaines observations, particulièrement sur la question de la compétence provinciale.

À titre de remarque préliminaire, je souligne que ni mon collègue ni aucune des parties au présent litige ne contestent le fait que de telles commissions d'enquête ont joué un rôle utile et nécessaire au Canada. En outre, ces commissions ne sont ni des procédures criminelles ni des procès. Comme le juge Dickson (maintenant Juge en chef) l'a souligné dans l'arrêt Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152, à la p. 201:

La Commission d'enquête n'agit pas comme une cour criminelle et elle n'exerce aucune juridiction en matière criminelle. La tenue de l'enquête ne fait pas partie d'une poursuite criminelle en vertu du Code criminel et ne constitue pas non plus une recherche d'un crime ou d'une infraction spécifique qui pourrait plus tard faire l'objet d'une inculpation criminelle.

I. Le partage des pouvoirs

Il deviendra vite évident que mon désaccord avec mon collègue repose fondamentalement sur la caractérisation de la nature de cette enquête, son caractère véritable. Mon collègue conclut, à la p. 000, que la commission d'enquête "est, de par son caractère véritable, un substitut d'enquête de police et d'enquête préliminaire sur une infraction précise définie à l'art. 121 du Code criminel". Le juge Lamer fonde sa conclusion sur trois facteurs qui se retrouvent simultanément: la mention des noms de deux personnes; la ressemblance frappante entre les termes du mandat et l'al. 121(1)b) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, et la tenue parallèle d'une enquête policière. À mon avis, ces trois éléments, même pris ensemble, ne permettent pas d'écarter la validité constitutionnelle du décret du point de vue du partage des pouvoirs pour les raisons suivantes: le contexte dans lequel cette enquête a été ordonnée ainsi que sa portée, les termes mêmes du décret et la jurisprudence de notre Cour.

a) Le contexte et la portée de l'enquête

Mon collègue a fait une revue détaillée des faits et des jugements des tribunaux d'instance inférieure, je n'y reviendrai donc pas. Toutefois, cette affaire ne peut être proprement analysée sans un examen des réalités politiques et pratiques qui ont donné naissance à l'enquête. Il est essentiel à cette fin de connaître le contexte qui a suscité l'enquête ainsi que sa portée.

Cette affaire a débuté à la mi‑février 1989 lorsque les médias ont commencé à l'ébruiter -‑ bien avant qu'elle ne soit mentionnée à l'Assemblée législative de l'Ontario. À ce moment‑là, on visait principalement Mme Starr, un fonctionnaire public, qui avait été nommée présidente de la Place de l'Ontario. Une enquête policière semblait alors suffisante pour vérifier les allégations de conduite malhonnête. Le procureur général en décidait ainsi et en informait l'Assemblée législative:

[TRADUCTION] Le gouvernement a décidé qu'il y aura une enquête complète et détaillée dont le mandat sera d'examiner tous les aspects de ces allégations. Par conséquent, j'ai demandé aujourd'hui au commissaire de la police provinciale de l'Ontario de mener une enquête approfondie sur les contributions et les dépenses faites par Mme Starr relativement à ses activités au sein du Conseil national des femmes juives du Canada.

J'ai également nommé procureur spécial de la Couronne dans cette affaire Peter Griffiths, le substitut du procureur général à Etobicoke: M. Griffiths agira à titre de conseiller juridique permanent des enquêteurs de la police.

La police provinciale de l'Ontario et le procureur spécial auront pleine autorité pour déterminer s'il y a eu violation du droit criminel ou d'une autre loi provinciale. Les enquêteurs de la police collaboreront avec le Curateur public, la Commission sur le financement des élections et le commissaire sur les conflits d'intérêt, ainsi qu'avec l'administration fédérale, pour déterminer la portée de leur enquête. [Je souligne.]

L'honorable M. Scott, Hansard, 12 juin 1989, à la p. 1135.

Toutefois, il est vite devenu évident que l'affaire était loin d'être aussi limitée par sa nature, sa portée ou son effet. Il ressort du dossier d'appel que les allégations se sont faites chaque jour plus pressantes, du 15 mai 1989 jusqu'à la création de la commission d'enquête. On a affirmé que quatre ministres du cabinet, dont le ministre de la Culture et des Communications, le ministre du Logement, le ministre de l'Industrie, du Commerce et de la Technologie ainsi que le ministre de la Formation professionnelle, avaient reçu des contributions électorales illégales ou d'autres avantages de Mme Starr. En sa qualité de chef de l'opposition, M. Bob Rae faisait les commentaires suivants:

[TRADUCTION] Il y a longtemps que cette série d'allégations, qui revêtent une importance énorme en terme de confiance du public [. . .] de toutes les responsabilités qu'une personne a dans la société, les fiduciaires d'une fiducie, qui sont dans une position de confiance, et je vise les fonctionnaires publics à cet égard, sont parmi les plus importantes. S'il y a eu détournement de fonds d'un organisme de charité ou de fonds qui pouvaient provenir d'un organisme de charité à des fins de politique partisane et à des fins de lobby politique, il s'agit de toute évidence de quelque chose qui mérite de faire l'objet d'une enquête et qui doit tout simplement être supprimée et examinée à fond par les autorités publiques.

M. B. Rae, Hansard, 12 juin 1989, à la p. 1137.

Le 19 juin 1989, plusieurs autres membres du gouvernement avaient été accusés, à l'Assemblée législative, de s'être livrés à des activités illégales auxquelles étaient mêlées Tridel Corporation Inc. et Mme Starr. On a allégué que des fonds publics qui devaient être utilisés pour construire ou subventionner des logements pour des personnes handicapées, des personnes âgées et des personnes défavorisées avaient été détournés par un collecteur de fonds libéral dans une "caisse noire". On a soutenu que des fonds provenant du ministère du Logement avaient été détournés [TRADUCTION] "vers les coffres politiques de pratiquement chaque libéral sur terre". Il s'agissait d'allégations graves qui de toute évidence mettaient en cause l'intégrité de fonctionnaires publics:

[TRADUCTION] Je pourrais ajouter que, jusqu'à maintenant, neuf ministres ont reçu une certaine assistance financière de la part de Mme Starr. Compte tenu de toute la controverse qui entoure cette personne, ne paraît‑il pas raisonnable que les citoyens de l'Ontario soient informés de la manière dont Mme Starr a été nommée par le gouvernement de l'Ontario ‑ en fait, il y a eu deux nominations ‑ la dernière étant celle de la présidence de la Place de l'Ontario? Comment cela a-t‑il pu arriver et qui est le responsable?

M. Brandt, Hansard, 19 juin 1989, à la p. 1362.

Des allégations spécifiques ont été faites, selon lesquelles Mme Oddie Munro, ministre de la Culture et des Communications, avait demandé que sa mère reçoive un contrat de 5 000 $ du CNFJC:

[TRADUCTION] Le ministre a admis qu'elle avait recommandé sa mère pour ce travail. Elle a admis avoir donné à Mme Starr le numéro de téléphone de sa mère. Son ministère a des rapports importants avec Mme Starr. Celle‑ci a déjà reçu la médaille d'or du ministère des Affaires civiques et culturelles.

Le ministre est au courant de ce fait. Elle entretient des rapports depuis longtemps avec Mme Starr. Elle a parlé à des dîners en l'honneur de Mme Starr et a dit quelle personne remarquable elle était et combien elle l'estimait. Patti Starr a envoyé à sa mère un chèque de 5 000 $ pour du travail qui, dans tout autre organisme, aurait été effectué par des bénévoles et qui, dans cet organisme, est toujours effectué par des bénévoles. Le ministre ne reconnaît‑elle pas qu'elle a agi de façon incorrecte?

M. B. Rae, Hansard, le 19 juin 1989, à la p. 1361.

On s'est inquiété de l'effet que pourraient avoir ces allégations de patronage politique et d'atteintes à des politiques établies sur la perception du gouvernement par le public. Certains ont affirmé que les citoyens de l'Ontario [TRADUCTION] "recevaient clairement le message que certaines personnes seraient favorisées si elles comptaient parmi les amis du premier ministre (M. Peterson), des membres du cabinet ou du parti libéral de l'Ontario" et que les [TRADUCTION] "règles, politiques et procédures sont faites pour être violées":

[TRADUCTION] Il y a un modus operandi d'influence spéciale. Il y a apparemment ici un modus operandi d'attribution de centaines de milliers de dollars sans contrôle ni vérification adéquate de fonds qui étaient contrôlés par une seule personne.

M. B. Rae, Hansard, le 22 juin 1989, à la p. 1562.

Des question ont été posées quant à la valeur d'une enquête menée par le commissaire sur les conflits d'intérêt, à la lumière de l'art. 14 de la Loi de 1988 sur les conflits d'intérêts des membres de l'Assemblée, L.O. 1988, ch. 17, qui édicte que l'opinion et les recommandations du commissaire sont confidentielles et ne seront communiquées qu'avec l'autorisation du député visé. Les doutes quant à l'efficacité des procédures d'enquête mises en {oe}uvre par le gouvernement ont été aggravés par l'affirmation qu'on utilisait des déchiqueteuses à la Place de l'Ontario pour détruire des documents qui pouvaient présenter un intérêt pour ceux qui enquêtaient sur les activités de la présidente.

Avant même la veille de l'annonce par le premier ministre de la tenue d'une enquête publique, il était devenu évident que de nombreux aspects du gouvernement provincial pouvaient être visés. La nécessité d'une enquête beaucoup plus large et poussée qu'une enquête policière était manifeste. La nature et l'ampleur des irrégularités alléguées ainsi que la valeur des contrôles en vigueur allaient devoir être examinées. Des allégations qu'un des adjoints du premier ministre avait reçu des avantages de Mme Starr renforçaient cette préoccupation. Le 22 juin 1989, l'appelant Gordon Ashworth, directeur général du bureau du Premier ministre depuis mai 1985, a démissionné après avoir révélé que, en septembre 1987, Mme Starr avait pris des dispositions pour que sa famille reçoive un réfrigérateur neuf et que leur maison soit repeinte gratuitement. Le chef de l'opposition a qualifié la situation [TRADUCTION] "du plus grand scandale financier impliquant le processus électoral dans l'histoire récente de cette province": M. B. Rae, Hansard, 22 juin 1989, à la p. 1563.

C'est dans ce contexte que, le 23 juin 1989, le Premier ministre a annoncé la tenue d'une enquête publique sur les incidents qui avaient retenu l'attention du public. Je pense que les remarques du Premier ministre, lorsqu'il a ordonné l'enquête, décrivent bien l'intérêt public général qui était en jeu:

[TRADUCTION] Les récentes allégations sont extrêmement troublantes et profondément inquiétantes. Cette situation me préoccupe beaucoup et je crois qu'il est essentiel qu'une enquête publique indépendante fasse immédiatement toute la lumière sur cette affaire.

J'estime essentiel, dans le cadre de cette enquête, que tout soit fait que toutes les pistes soient suivies, que toute allégation soit minutieusement examinée jusqu'à ce que tous les faits nous aient été présentés de façon claire . . .

Rien n'est plus important que la confiance du public. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour veiller à ce qu'elle soit protégée.

Je crois très fermement que le système démocratique dépend de la confiance et de la foi du public dans l'intégrité des fonctionnaires publics . . .

Le public doit être assuré que les fonctionnaires publics ‑ tous les fonctionnaires publics ‑ élus ou nommés ‑ sont intègres. Il doit être assuré que ses fonctionnaires agissent d'une manière honnête, impartiale et objective ‑ sans préjugés, sans partialité, sans esprit partisan injustifié.

Plus important encore est le fait que les fonctionnaires publics puissent faire l'objet d'un examen public, et ainsi démontrer qu'ils sont au-dessus de tout reproche et qu'ils agissent conformément aux normes de conduite les plus élevées.

Je suis convaincu que cette enquête judiciaire permettra de démasquer ceux qui n'ont pas agi ainsi.

Je vous assure personnellement que ceux dont la conduite sera jugée insatisfaisante seront découverts, ceux qui ont commis des erreurs seront punis et ceux qui n'ont pas respecté la loi seront poursuivis.

Ces remarques reflètent l'inquiétude profonde qui avait été suscitée dans la province ‑- une inquiétude qui allait bien au‑delà des appelants devant notre Cour. Ce contexte a fourni le cadre nécessaire au mandat de la commission. La nature des allégations faites à l'Assemblée législative ainsi que le contexte dans lequel l'enquête a été ordonnée indiquent clairement un type d'enquête qui relève de la compétence provinciale ‑ une enquête sur des irrégularités reprochées à des fonctionnaires et des employés du gouvernement.

b) Le décret

La conclusion de cette affaire dépend également de la caractérisation du décret et du mandat de la commission en question. La Cour d'appel de l'Ontario (1990), 71 O.R. (2d), 161, à la p. 165 a rejeté l'argument selon lequel l'enquête provinciale était en réalité une enquête criminelle. Adoptant le langage très clair de la Cour divisionnaire (1989), 70 O.R. (2d) 408, à la p. 418, la Cour dit:

[TRADUCTION] L'enquête dont nous sommes saisis porte sur une matière provinciale valide, savoir le rapport entre des fonctionnaires publics du gouvernement provincial, élus et non élus, et d'autres personnes et sociétés nommées; elle se rapporte à des questions d'intérêt et de compétence relevant indubitablement de la province, savoir la conduite de fonctionnaires publics provinciaux et de personnes qui ont traité avec eux, et l'intégrité de ces fonctionnaires et le fonctionnement du gouvernement provincial lui‑même. Selon le texte de l'art. 2 de la Loi qui régit l'enquête, l'objet est "une question intéressant la bonne administration de l'Ontario, la conduite des affaires publiques..."

Cet appui éloquent d'un objectif provincial se passe de plus amples commentaires. Comme l'a souligné la Cour d'appel, l'intérêt provincial dans cette affaire est indéniable et sa constitutionnalité repose sur quatre chefs de compétence distincts en vertu de l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867:

‑ 92(4):la création et la durée des charges provinciales, ainsi que la nomination et le paiement des fonctionnaires provinciaux;

‑ 92(7):l'établissement, l'entretien et l'administration des [. . .] institutions et hospices de charité;

‑ 92(14):l'administration de la justice dans la province;

‑ 92(16):les matières d'une nature purement locale ou privée dans la province.

En outre, même s'il l'avait jugé utile, le gouvernement fédéral n'aurait eu aucune compétence pour établir une commission chargée d'enquêter sur la conduite de fonctionnaires d'un gouvernement provincial.

Les termes du mandat attribué par le décret sont autorisés de façon explicite par la Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O. 1980, ch. 411, qui n'a pas été contestée comme étant ultra vires de la province. L'article 2 de la Loi a une portée tout à fait large:

2. Lorsque le lieutenant‑gouverneur en conseil juge qu'il y a lieu d'ordonner la tenue d'une enquête sur une question intéressant la bonne administration de l'Ontario, la conduite des affaires publiques ou l'administration de la justice dans la province, ou sur une question qu'il déclare sujet d'intérêt public, et lorsqu'une telle enquête n'est régie par aucune loi spéciale, il peut, par commission, nommer une ou plusieurs personnes pour effectuer cette enquête.

Le préambule du décret, adopté en application de la disposition précitée est parfaitement clair:

[TRADUCTION] PAR CONSÉQUENT, aux termes de ladite Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O. 1980, ch. 411, une commission est délivrée pour nommer le juge Lloyd W. Houlden qui devra, sans formuler de conclusion de droit concernant la responsabilité civile ou criminelle d'une personne ou d'un organisme: [Je souligne.]

La procédure d'enquête doit nécessairement être régie par ces limites précises imposées par l'Assemblée législative aux pouvoirs du commissaire. C'est ici qu'il y a lieu de se demander comment le commissaire pourrait décider de la responsabilité criminelle lorsqu'on lui interdit précisément de formuler une telle conclusion.

Si on analyse les détails du mandat, la Partie 1 prévoit que le Commissaire doit:

[TRADUCTION] 1) enquêter sur les questions suivantes:

(i)la nature et l'ampleur des relations d'affaires entre Patricia Starr et des fonctionnaires publics élus et non élus;

(ii)la nature et l'ampleur des relations d'affaires entre Patricia Starr et des personnes, sociétés, personnes morales et organismes de charité en rapport avec des fonctionnaires publics élus et non élus;

(iii)la nature et l'ampleur des relations d'affaires entre Tridel Corporation, les sociétés liées à Tridel Corporation, les représentants, dirigeants, employés ou cadres de Tridel Corporation, les représentants, dirigeants, employés ou cadres des sociétés liées à Tridel Corporation et des fonctionnaires publics élus et non élus;

(iv)la nature et l'ampleur des relations d'affaires entre Tridel Corporation, les sociétés liées à Tridel Corporation, les représentants, dirigeants, employés ou cadres de Tridel Corporation, les représentants, dirigeants, employés ou cadres des sociétés liées à Tridel Corporation et les personnes, sociétés, personnes morales et organismes de charité en relation avec des fonctionnaires publics élus et non élus.

Même s'ils désignent certaines personnes par leur nom, ces paramètres sont larges. L'enquête, par sa nature et son ampleur, vise un grand nombre de personnes, de sociétés et de fonctionnaires publics. Il s'agit d'une formule standard pour les commissions d'enquête. Elle ne fait pas référence au Code criminel ni à une autre loi fédérale, ni ne les reproduit. De plus, la mention de certaines personnes en particulier doit être examinée à la lumière de la totalité du décret, y compris le préambule et la conclusion. La mention du nom de certaines parties fournit un cadre de référence nécessaire et limite l'enquête afin que la commission puisse remplir adéquatement sa fonction.

La Commission de réforme du droit du Canada dans son Document de travail 17, Droit administratif: Les commissions d'enquête (1977), aux pp. 32 et 33 traite du contexte nécessaire et de la juste portée des commissions d'enquête:

. . . l'importance [pour le bien public] d'une question donnée ne devrait pas faire de doute. Parmi les hypothèses susceptibles de faire envisager la création d'une commission d'enquête, on peut penser à de graves accusations d'incompétence ou de vénalité à l'intérieur de l'administration, à de graves insuffisances dans la mise en {oe}uvre ou l'application d'une décision politique . . .

Le Cabinet [. . .] doit aussi veiller à définir strictement la tâche de chaque commission dans le décret qui la crée. Ce mandat doit être très précis et aussi restreint que les circonstances le permettent. Il est contraire aux principes de la démocratie parlementaire et de notre droit de permettre des enquêtes illimitées. [Je souligne.]

Relativement à la portée de cette enquête en particulier, l'Opposition a proposé qu'une commission soit établie pour:

[TRADUCTION] . . . examiner l'ensemble des liens entre les sociétés de promotion immobilière et de construction et les gouvernements en Ontario, municipal et provincial ainsi que fédéral, de manière à obtenir certaines recommandations sérieuses sur le processus électoral, les contributions politiques, la planification de l'utilisation des terres, la spéculation et la propriété des terres.

M. B. Rae, Hansard, le 28 juin 1989, à la p. 1711.

La réponse du premier ministre a été à la fois mesurée et pratique:

[TRADUCTION] Mon honorable ami soulève un certain nombre de questions de politique et je le comprends. Je dois dire que le procureur général (M. Scott) examine ces questions d'intérêt général. Le député est au courant de ce qui a été proposé par certaines personnes en ce qui a trait à la nature de l'enquête et je comprends cela. Mais je suis d'avis qu'on pourrait envisager alors que l'enquête dure de 10 ou 20 ans.

. . .

L'enquête judiciaire que nous avons ordonnée traite d'un nombre précis d'allégations et de personnes en particulier. Je n'ai pas l'intention de la restreindre, parce que si on laisse entendre que des irrégularités ont été commises, de toute évidence le commissaire devrait avoir le pouvoir d'enquêter à ce sujet. Les allégations lui seront soumises. Toutefois, je crois que mon ami conviendrait avec moi que cela doit se faire, disons, dans un cadre qui peut être géré d'une manière ou d'une autre. Nous ne voulons pas que cet exercice se poursuive pendant les cinq ou 10 prochaines années. Je suis certain que ce n'est pas ce que suggère mon honorable ami. [Je souligne]

L'Honorable M. Peterson, Hansard, 28 juin 1989, aux pp. 1711 et 1712.

La conclusion du mandat écarte toute crainte concernant la portée de l'enquête:

[TRADUCTION] Rien de ce qui a été énoncé précédemment ne doit être interprété de manière à limiter le droit du commissaire de demander au lieutenant‑gouverneur en conseil d'élargir son mandat à toute question qu'il pourrait juger nécessaire d'examiner par suite d'un renseignement porté à son attention au cours de l'enquête.

Par conséquent, la Partie 1 du décret relève directement de la compétence constitutionnelle de la province. Le seul fait que le nom de certaines personnes y soit mentionné ne peut rendre le décret invalide du point de vue constitutionnel. Comme l'avocat de l'intimé, le gouvernement de l'Ontario, l'a souligné dans son argumentation, au moins vingt‑quatre enquêtes au Canada visaient des personnes nommément désignées qui ont fait l'objet d'une enquête relativement à des méfaits précis. Voir Commissions royales provinciales et commission d'enquêtes, 1967‑1982: Bibliographie sélective.

La partie du décret qui semble avoir le plus préoccupé mon collègue est la Partie 2:

[TRADUCTION]

2)faire enquête et rapport sur toutes ces circonstances ou relations d'affaires si, à son avis, il est établi qu'un bénéfice, avantage ou récompense quelconque a été accordé à un fonctionnaire public élu ou non élu ou à un membre de sa famille ou si, à son avis, il est établi qu'il existait une entente ou une tentative visant à conférer un bénéfice, un avantage ou une récompense quelconque à un fonctionnaire public élu ou non élu ou à un membre de sa famille.

Cette partie du mandat s'inscrit également dans le cadre de l'art. 2 de la Loi sur les enquêtes publiques. L'argument selon lequel le mandat constitue un empiétement sur la compétence fédérale en matière de droit criminel n'est pas convaincant. L'article 121 du Code criminel peut très bien avoir été utilisé comme modèle pour rédiger le mandat. C'est une question à l'égard de laquelle nous ne pouvons que formuler des hypothèses. Toutefois, même si c'était le cas, on ne doit pas oublier que les dispositions du Code criminel et le mandat énoncé dans le décret visent des objectifs totalement différents. Les premières sont des interdictions, dont la violation peut avoir des conséquences à caractère pénal et entraîner d'autres mesures coercitives. Le second sert simplement de point de repère et délimite la portée d'une enquête circonscrite, dans laquelle des conclusions de nature criminelle sont expressément interdites. Compte tenu de cette distinction concernant l'objet et l'effet, la ressemblance entre la Partie 2 du mandat et l'al. 121(1)b) du Code criminel n'est plus pertinente.

En outre, le mandat d'une commission d'enquête est complètement différent de celui d'une enquête policière. MacKay, dans "Mandates, Legal Foundations, Powers and Conduct of Commissions of Inquiry" (1990), 12 Dal. L.J. 29, dit, à la p. 34:

[TRADUCTION] Bien qu'elle soit créée par le gouvernement, l'un des principaux avantages d'une commission d'enquête comme instrument de politique publique est son indépendance par rapport au gouvernement en place. Ce sont des créations spéciales du pouvoir exécutif mais elles ne sont pas tenues de lui rendre compte comme le sont les ministères ordinaires du gouvernement. . .

Quelquefois, les commissions d'enquête, par leur procédure et leur fonctionnement, ressemblent à des tribunaux mais elles ne relèvent pas du pouvoir judiciaire.

La Commission de réforme du droit du Canada dans son Document de travail 17, précité, comparait les fonctions des commissions d'enquête à celles de la police:

Le corps policier n'est évidemment pas l'institution appropriée à ce genre d'enquête. En premier lieu, bien que les forces policières du Canada comprennent indubitablement d'excellents enquêteurs, leurs talents sont d'une nature particulière; ils ne paraissent guère adaptés, par exemple, à l'examen de questions de maladministration, de mauvaise exécution de directives politiques, d'organisation administrative, et ainsi de suite. En second lieu, bien que la police puisse exceller à découvrir et rassembler des faits, elle est peut‑être moins apte à en apprécier la portée; sans doute serait‑ce particulièrement le cas à l'égard de questions intéressant la vie politique et les décisions politiques. En troisième lieu, il est certainement inconcevable, dans notre régime, que la police juge ou commente la façon dont sont menées les affaires de l'État. Sa tâche consiste à faire enquête, non à juger. Enfin, les enquêtes policières sont nécessairement secrètes. Certaines allégations entraînent parfois un sentiment général d'inquiétude, voire une crise de confiance. Il s'agit alors de rétablir la confiance, ce qui ne peut être fait que par une enquête effectuée autant que possible au vu et au su de tous. [Je souligne.]

Macdonald a exprimé le même avis dans "The Commission of Inquiry in the Perspective of Administrative Law" (1980), 18 Alta. L. Rev. 366, à la p. 371:

[TRADUCTION] . . . bien que la police et d'autres fonctionnaires comme les coroners connaissent bien certains aspects relatifs aux enquêtes, leur expertise touche à des domaines très spécialisés et ne portent pas sur des sujets aussi divers que les erreurs administratives, la violation de politiques, la corruption ou des problèmes d'organisation. Bref, d'un point de vue externe ou politique, la commission d'enquête se justifie principalement en raison de sa souplesse et de son adaptabilité. L'enquête ad hoc joue un rôle accessoire important pour les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire du gouvernement précisément parce que, contrairement à ceux‑ci, il ne s'agit pas d'une institution bureaucratique.

Comme le juge Dickson (maintenant Juge en chef) l'a expliqué au nom de la majorité dans l'arrêt Di Iorio, précité, à la p. 201:

Le rôle de la Commission d'enquête est simplement de faire enquête et de soumettre un rapport; personne n'est inculpé; ceux qui comparaissent le font à titre de témoins; il n'y a pas litige; on ne vise aucunement à modifier la procédure en matière criminelle. Les procédures devant la Commission ne sont pas des procédures criminelles au sens qu'elles auraient pour but l'imposition de sanctions.

La possibilité évoquée de poursuites ultérieures ne peut constituer un obstacle absolu à une enquête provinciale qui par ailleurs serait constitutionnelle. Une approche contraire confond les différences fonctionnelles et pratiques qui existent entre ces enquêtes et les enquêtes préliminaires ou les dénonciations auxquelles elles ont été comparées. Ces dernières sont clairement accessoires aux poursuites criminelles, elles sont prévues dans le Code criminel et elles sont accompagnées de toutes les garanties procédurales qui sont le propre de l'application de la loi. Des personnes précises sont visées dans le but exprès et exclusif d'une mise en accusation.

De toute évidence, les commissions d'enquête jouent un rôle différent. Elles peuvent, comme en l'espèce, désigner nommément une personne aux fins d'identifier l'objectif général de l'enquête et définir sa portée. Cette enquête n'a pas pour but de déterminer la responsabilité criminelle. En fait, le mandat interdit expressément au commissaire de formuler une telle conclusion. Cette restriction rend les propos de mon collègue encore plus déconcertants. Il est évident qu'un rapport qui fait état de relations d'affaires ainsi que d'avantages conférés peut permettre de déduire l'existence d'un "lien" et la possibilité d'une infraction au Code criminel. Toutefois, cela ne confère aucun imprimatur judiciaire à une telle déduction ni n'adoucit les règles en matière d'admissibilité et de contraignabilité que les responsables de l'application de la loi devront par ailleurs respecter dans l'éventualité d'une poursuite. De plus, rien n'indique en l'espèce que des poursuites criminelles seront engagées par la suite et, même si tel était le cas, les conclusions de la commission ne constitueraient pas des éléments de preuve au procès. Le paragraphe 9(1) de la Loi sur les enquêtes publiques est dénué d'ambiguïté quant à la portée de la protection procédurale:

9 (1) Un témoin à une enquête est réputé s'être opposé à répondre à toute question qu'on lui pose, pour le motif que sa réponse pourrait tendre à l'incriminer ou à établir sa responsabilité dans une procédure civile, notamment à la demande de la Couronne. Nulle réponse donnée par un témoin au cours d'une enquête ne doit être utilisée ni être recevable en preuve contre lui dans un procès ou une instance subséquents où il sera le défendeur, sauf le cas de poursuite pour parjure relativement à cette réponse.

Étant donné que le commissaire ne peut se prononcer sur la responsabilité criminelle, la conclusion à laquelle en arrive mon collègue réduit en fait la capacité de la province de créer de futures commissions de crainte que des "déductions" de ce genre ne portent atteinte à la prérogative fédérale en matière de droit criminel. Tant que nous sommes conscients de la distinction nette qui existe entre les caractéristiques d'une commission d'enquête et celles d'une enquête policière en vertu du Code criminel, il est indéniable que la partie 2 du mandat est également intra vires et que le simple fait d'une similarité entre ce texte et l'al. 121(1)b) ne peut rendre le décret inconstitutionnel.

Peu importe le degré de ressemblance entre le mandat et l'art. 121 du Code criminel, ce sont et l'objet et l'effet plutôt que les termes stricts des dispositions habilitant la commission qui doivent être examinés. Dès lors qu'on reconnaît les limites internes quant à la portée du mandat de la commission, il est difficile de partager l'opinion qu'elle tirera des conclusions criminelles et que la province empiète sur la compétence fédérale. Les pouvoirs conférés à la Commission Houlden n'entraînent pas de conséquences pénales et la commission n'est pas dotée des mêmes mesures coercitives qu'une enquête policière. Par conséquent, la crainte d'un empiétement provincial dans un domaine strictement fédéral est sans fondement en l'espèce.

Je tiens à répondre brièvement à l'argument du juge Lamer, à la p. 000, selon lequel, étant donné que "la présente enquête désigne les personnes qui seraient les auteurs des actes répréhensibles", elle ressemble trop à une poursuite en vertu du Code criminel. Le juge Grange, qui avait été nommé commissaire dans l'enquête visée par l'arrêt Re Nelles and Grange (1984), 46 O.R. (2d) 210, dit ceci dans "How Should Lawyers and the Legal Profession Adapt?" (1990), 12 Dal. L.J. 151, aux pp. 154 et 155:

[TRADUCTION] Je me souviens d'avoir cru par pur égotisme, que tous les éléments de preuve, toute la procédure n'avaient qu'un seul but: convaincre le commissaire qui, après tout, rédigeait en fin de compte le rapport. J'ai rapidement découvert mon erreur. Il ne s'agit pas simplement d'enquêtes; il s'agit d'enquêtes publiques. Lorsqu'on m'a dit, dans le cadre de la commission sur l'Hôpital des Enfants malades que je ne pourrais pas donner de nom, c'est‑à‑dire identifier les meurtriers des bébés (même si la preuve le justifiait), je me suis demandé ce que signifiaient tous les témoignages, le temps et les dépenses et s'il s'agissait d'un gaspillage. Mais après avoir réfléchi un certain temps et surmonté mon dépit, j'ai compris que l'enquête avait un autre but tout aussi important que la solution du mystère: c'était d'informer le public. Le simple fait de présenter la preuve en public, preuve qui avait jusqu'ici été présentée seulement en privé, a permis de le faire. Le public a un intérêt spécial, le droit de savoir et le droit de se former une opinion grâce à ce qu'il apprend. [Je souligne.]

Mon collègue reconnaît qu'en soi, le fait de "donner des noms" ne rendrait pas ultra vires la création de cette commission. L'utilisation d'un texte qui ressemble à celui d'une disposition du Code criminel ou la tenue parallèle d'une enquête policière ne seraient pas fatales non plus. Chacune prise séparément, ne serait pas non plus fatale. Toutefois, en "additionnant" ces composantes, reconnues intra vires, pour définir la portée de l'enquête, la province, selon mon collègue, est allée trop loin et a usurpé la compétence fédérale en matière criminelle. Je ne suis pas convaincue qu'un tel principe de superposition existe et, s'il existe, qu'il y a lieu de l'appliquer aux commissions d'enquête. J'estime qu'il faut beaucoup plus pour apposer une étiquette d'inconstitutionnalité à une procédure qui, par ailleurs, est intra vires; en l'espèce, rien de moins qu'une enquête criminelle ne ferait l'affaire et ce n'est pas du tout ce qu'est l'enquête en cause.

En outre, le risque lointain et latent de "législation déguisée" ne devrait pas faire obstacle à des objectifs provinciaux légitimes. La Cour divisionnaire a conclu:

[TRADUCTION] Tout en reconnaissant que le commissaire peut avoir de la difficulté à se conformer à l'interdiction de tirer des conclusions quant à la responsabilité, criminelle ou civile, nous ne considérons pas qu'il s'agit à l'heure actuelle d'une tâche impossible. Il est à notre avis, prématuré de tenter d'évaluer ce facteur sans aucun élément de preuve sur lequel la Commission peut faire un rapport. [Je souligne.]

Je partage cette opinion. La présomption devrait jouer en faveur de la validité. L'argument, à la p. 000, selon lequel la commission "soit de fait un substitut d'enquête de police et d'enquête préliminaire relativement à une allégation précise de perpétration d'infractions criminelles par des personnes nommément désignées" est mal fondée. La composante coercitive est entièrement différente et il n'y a aucune menace d'incarcération.

Les enquêtes préliminaires, prévues à la Partie XVIII du Code criminel, visent un prévenu inculpé d'un acte criminel (art. 535). En l'espèce, il n'y a aucun prévenu et aucune accusation n'a été portée. De même, l'article 548 du Code criminel, qui permet à un juge de renvoyer l'accusé à son procès s'il estime la preuve suffisante pour ce faire, ne s'applique pas. Une telle ordonnance est complètement étrangère au mandat et aux objets de cette enquête. Comme mon collègue le reconnaît, à la p. 000 "il est manifeste que le risque qu'un témoin devant une commission d'enquête devienne plus tard un accusé dans son procès sur une accusation criminelle ne rend pas la commission ultra vires de la province."

Ceci rend extrêmement difficile de caractériser le commissaire comme une personne "assumant le rôle d'un juge qui préside une enquête préliminaire". Le juge David McDonald, dans Re Commission of Inquiry Concerning Certain Activities of the Royal Canadian Mounted Police (1978), 94 D.L.R. (3d) 365, à la p. 370, aborde la question de la manière suivante:

[TRADUCTION] La commission n'est pas un tribunal. Elle ne relève pas du pouvoir judiciaire. Elle exerce des fonctions administratives ou qui relèvent du pouvoir exécutif. [. . .] Il existe une grande différence entre la position d'un juge de cour de justice et celle d'un organisme chargé de faire enquête et de conseiller qui ne peut être décrit que comme administratif, même si les deux tiennent des audiences.

Le gouverneur en conseil, en instituant une telle commission, demande à cette section spécialement créée du pouvoir exécutif du gouvernement d'examiner un aspect particulier du gouvernement (c'est‑à‑dire le pouvoir exécutif). Le pouvoir exécutif, au moyen de l'outil exécutif qu'il a choisi, s'examine lui‑même. Ceux qui s'attendent à ce que la commission agisse comme ils le désirent ou comme elle le désire (si l'on présume qu'il s'agit des mêmes personnes) ne doivent pas l'oublier. La commission est instituée par le pouvoir exécutif (le gouverneur en conseil) et son mandat peut en fait être modifié, son existence même peut être abrogée ‑ en tout temps par un autre décret. [Je souligne.]

L'examen du mandat décrit dans le décret m'amène inexorablement à la conclusion que ce mandat ne peut être assimilé à une enquête criminelle sur des crimes particuliers perpétrés par des personnes nommément désignées. Par conséquent ce décret, qui traite à bon droit de questions provinciales, relève du pouvoir constitutionnel de la province de l'Ontario.

c) La jurisprudence

Notre Cour a régulièrement confirmé le pouvoir des commissions d'enquête dans des circonstances semblables à celles ici présentes. Dans l'arrêt R. c. Faber, [1976] 2 R.C.S. 9, une enquête a été jugée constitutionnelle malgré le fait qu'elle avait uniquement pour but de déterminer qui serait susceptible d'être accusé d'un homicide précis.

Dans l'arrêt Procureur général (Qué.) et Keable c. Procureur général (Can.), [1979] 1 R.C.S. 218, notre Cour a confirmé la constitutionnalité d'un décret provincial qui chargeait le commissaire, dans le cadre de son mandat, de faire enquête et rapport sur divers incidents ou actes illégaux ou répréhensibles de divers corps policiers, dont la Gendarmerie royale du Canada. Il s'agissait d'une enquête provinciale sur la conduite de la GRC! La Commission Houlden est chargée d'enquêter sur des fonctionnaires publics provinciaux, ce qui, de toute évidence, s'inscrit dans le cadre du par. 92(4) de la Loi constitutionnelle de 1867. La compétence d'une province sur la conduite de fonctionnaires publics provinciaux élus et non élus n'est pas moins valide que sa compétence sur des corps policiers.

L'arrêt Keable traitait d'événements précis, dont un vol de dynamite, une entrée illégale, une perquisition, un incendie, ainsi que de la conduite de toutes les personnes impliquées dans ces événements. Il était assez évident que, selon toute vraisemblance, l'enquête provinciale révélerait des preuves d'activités criminelles par des personnes identifiées et entraînerait des accusations criminelles ou en constituerait le fondement. En fait, de tels éléments de preuve ont été révélés et, finalement, des accusations criminelles ont été portées. R. c. Vermette, [1988] 1 R.C.S. 985. Comme le juge Pigeon l'a affirmé dans l'arrêt Keable, à la p. 241:

D'un autre côté, l'opinion majoritaire dans l'arrêt Di Iorio c. Gardien de la prison commune de Montréal me paraît concluante sur la validité du mandat de la Commission dans la mesure où il s'agit d'une enquête sur des activités criminelles spécifiées. Je ne vois aucune possibilité de distinction entre ce genre d'enquête et une enquête sur le "crime organisé" comme dans l'arrêt Di Iorio, ou une enquête de coroner sur un homicide criminel, comme dans l'arrêt Faber c. La Reine, ou une enquête de prévôt des incendies sur un incendie criminel comme dans l'arrêt Regina v. Coote. Malgré l'argumentation de l'avocat du Solliciteur général du Canada, je me vois obligé par cette jurisprudence de conclure que ces enquêtes relèvent de "l'administration de la justice dans la province". [Je souligne.]

Dans l'arrêt Di Iorio, notre Cour a conclu qu'une enquête sur le crime organisé dans la province de Québec était valide du point de vue constitutionnel. Se référant à l'arrêt Faber, le juge Pigeon a dit aux pp. 191 et 192:

La prétention essentielle de l'appelant en cette cause‑là, comme celle des appelants en l'espèce, c'est que l'affaire tombait sous la désignation de "procédure en matière criminelle" parce qu'il s'agissait d'une enquête sur des activités présumément criminelles. Si l'on doit accepter qu'une enquête tenue avant qu'aucune accusation ne soit portée en vertu du Code criminel tombe sous la désignation de "administration de la justice dans la province" et non sous celle de "procédure en matière criminelle", je ne puis voir comment on puisse adopter un point de vue différent lorsque l'enquête, au lieu de viser à recueillir des renseignements suffisants pour porter une accusation d'avoir criminellement causé la mort d'une personne, vise à recueillir des renseignements permettant l'identification des personnes qui concourent au crime organisé et la description de leurs activités.

. . .

Selon moi, la décision dans Faber est concluante à l'encontre de la prétention des appelants qu'il s'agit d'une matière "criminelle" parce que l'enquête vise des activités criminelles. Il est évident que dans le par. (27) de l'art. 91 de l'A.A.N.B., la portée du "droit criminel" et de la "procédure en matière criminelle" est limitée par l'attribution aux provinces de la compétence sur "l'administration de la justice" en toutes matières civiles et criminelles, ce que l'on a constamment jugé comprendre la recherche des activités criminelles. Le jugement dans Batary montre qu'après qu'une accusation a été portée en vertu du Code criminel, on peut considérer l'accusé comme faisant l'objet de procédures criminelles, mais Faber et les autres arrêts cités démontrent qu'une personne qui est simplement susceptible d'être accusée n'est pas dans la même situation. On ne peut pas dire que la conclusion tirée dans Faber repose sur le motif que la recherche du crime n'était pas le but principal de l'enquête du coroner. De fait, c'était le seul objet de l'enquête au moment où les procédures ont été entamées. [Je souligne.]

Dans l'arrêt le plus récent de notre Cour concernant des commissions d'enquête, O'Hara c. Colombie‑Britannique, [1987] 2 R.C.S. 591, trois commissaires avaient été nommés pour enquêter et faire rapport sur toutes les questions liées aux blessures subies par un prisonnier alors qu'il était en détention. Le détenu s'était plaint d'avoir été agressé et blessé par des agents de police pendant sa détention. Dans cette affaire, le mandat prévoyait en partie ceci (p. 596):

a)tous les facteurs entourant la détention de Jacobsen au poste de police de Vancouver le 30 septembre 1983, plus particulièrement, sur les motifs de cette décision et la durée de celle‑ci,

b)la question de savoir si Jacobsen a subi des blessures alors qu'il était détenu par la police et, dans l'affirmative, sur la gravité de celles‑ci, sur la ou les personnes qui les ont infligées, les motifs pour lesquels elles ont été infligées et le moment et l'endroit où les blessures ont été causées, [Je souligne.]

Ce mandat a été jugé parfaitement valide même si le commissaire était clairement chargé d'enquêter sur des activités qui pouvaient faire l'objet d'accusations criminelles. Dans ses motifs, le juge en chef Dickson a également déclaré que le fait que des accusations criminelles pouvaient être portées plus tard ne rendait pas l'enquête inconstitutionnelle. Tout en concluant que l'enquête était, notamment, l'exercice valide d'un pouvoir provincial conféré par le par. 92(14) (l'administration de la justice), il a dit aux pp. 610 et 611:

Une province a un intérêt constitutionnel valide et légitime pour déterminer la nature, la source et les motifs des activités répréhensibles, voire criminelles, exercées par les membres des corps de police qui relèvent de sa compétence. C'est la gestion des moyens d'administrer la justice dans la province qui est en jeu. À mon avis, le fait qu'une telle activité puisse par la suite constituer le fondement d'une accusation criminelle et ainsi toucher les intérêts du gouvernement fédéral relativement au droit criminel et à la procédure en matière criminelle, ne porte pas atteinte à ce principe fondamental. [. . .] La commission d'enquête est chargée d'enquêter sur de présumés méfaits pour des fins différentes de celles qui sous‑tendent le droit criminel et la procédure en matière criminelle. L'enquête n'a pas pour but de déterminer la responsabilité criminelle. Comme tel, ce but n'est pas différent de celui de l'enquête d'un coroner dont la constitutionnalité a été confirmée par cette Cour dans l'arrêt Faber, précité. [Je souligne.]

La présente enquête n'a pas donné naissance à un litige entre l'État et des accusés. Il s'agit, malgré sa portée plus restreinte, d'une enquête générale sur des irrégularités imputées à des personnes nommément désignées ou non, connues et inconnues. Dans l'arrêt O'Hara, on avait de fortes raison de croire que l'enquête révélerait lequel d'entre plusieurs agents de police avait blessé une personne détenue dans une prison relevant de la police municipale. Le mandat visait clairement la conduite de personnes précises. Six agents de police seulement étaient présents au cours de la nuit en question, donc un groupe beaucoup plus restreint que celui des "fonctionnaires publics élus ou non élus". En outre, le mandat était rédigé de manière que, à la fin de l'enquête, la "déduction" serait en réalité une conclusion. Y a‑t‑il eu des blessures? Dans l'affirmative de quelle manière et quand ont‑elles été subies? Quelle était leur gravité et qui les a infligées? Si ce genre d'enquête est intra vires de la province, alors la présente enquête l'est certainement aussi. En fin de compte, l'une des personnes visées par l'enquête dans l'arrêt O'Hara a été déclarée coupable de voies de fait graves relativement à l'incident qui avait provoqué cette enquête. R. v. Nixon (1989), 8 W.C.B. (2d) 246, Cour suprême de la Colombie‑Britannique, 28 septembre 1989, Vancouver, no CC890587. Voici ce que dit l'arrêt O'Hara, aux pp. 610 et 611:

À mon avis, le fait qu'une telle activité puisse par la suite constituer le fondement d'une accusation criminelle et ainsi toucher les intérêts du gouvernement fédéral relativement au droit criminel et à la procédure en matière criminelle, ne porte pas atteinte à ce principe fondamental. [. . . ] La commission d'enquête est chargée d'enquêter sur de présumés méfaits pour des fins différentes de celles qui sous‑tendent le droit criminel et la procédure en matière criminelle.

Je répondrai directement à la tentative de mon collègue de distinguer les arrêts antérieurs de notre Cour. Selon son interprétation, l'arrêt Faber appuie la proposition selon laquelle, à la p. 000, "les enquêtes du coroner portent en réalité sur des questions autres que l'enquête sur la perpétration d'un crime précis." Cette conclusion est fondée sur la délimitation par le juge de Grandpré dans l'arrêt Faber, aux pp. 30 et 31, de ce que ces enquêtes sont destinées à accomplir, à part l'investigation d'un crime:

a) la détermination des circonstances exactes entourant un décès met un frein à l'imagination du public, empêchant qu'il devienne la folle du logis;

b) l'examen des circonstances particulières d'un décès et l'étude répétée de plusieurs cas permettent à la collectivité de prendre conscience des facteurs qui mettent en danger la vie humaine dans des circonstances données;

c) le soin pris par les autorités, chaque fois que le décès n'est pas évidemment naturel ou accidentel, de se pencher sur les circonstances rassure la population en lui permettant de constater que l'État veille à ce que les garanties entourant la vie humaine soient dûment respectées.

Dans ce contexte, la recherche du crime, tout en étant importante, n'est pas l'élément déterminant des fonctions du coroner, de sorte que l'aspect "criminel" n'est pas prédominant.

La procédure elle‑même d'ailleurs ne vise pas en soi la recherche du crime. Comme il a été souligné à plusieurs reprises,

a) l'enquête n'est pas un procès;

b) il n'y a pas d'accusé. [Je souligne.]

De même, en l'espèce, la recherche du crime "n'est pas l'élément déterminant" de la fonction de la Commission. Il n'y a pas "d'accusé" devant la Commission. Le fait que le nom de Mme Starr soit mentionné dans le mandat en définit simplement les termes de façon plus précise; son inclusion à titre de témoin permet de restreindre le cadre du mandat. Cela correspond à la déclaration du premier ministre: "nous ne voulons pas que cet exercice se poursuive pendant les cinq ou dix prochaines années." (Hansard, le 28 juin 1989, à la p. 1712). Voir précité, à la p. 000. Mon collègue conclut qu'"il semble n'y avoir absolument aucun principe général sous‑jacent à l'enquête". Il fonde cette affirmation sur le fait que les noms de Mme Starr et de Tridel Corporation Inc. sont mentionnés dans le mandat. Toutefois, cela n'empêche pas la commission de faire enquête sur d'autres personnes, de chercher à obtenir un élargissement de ses pouvoirs ou de recommander au besoin des changements administratifs ou de politique.

De plus, sa portée doit être adaptée aux exigences et aux contraintes dictées par les faits de l'espèce. L'un des privilèges de l'Assemblée législative est de préciser la portée de l'enquête. Bien que l'adoption d'un texte général et non limitatif que proposait l'opposition puisse être attrayante en théorie pour certaines personnes, une telle entreprise pourrait n'avoir aucune utilité pratique car, comme le premier ministre l'a souligné, son travail pourrait ne jamais se terminer.

Le juge Lamer analyse ensuite de façon détaillée l'arrêt Di Iorio, en identifiant à bon droit le juge en chef Dickson (alors juge puîné) comme parlant au nom de la majorité. Il est aussi exact que la majorité n'était pas aussi catégorique que le juge Pigeon (les juges Martland, Judson et Ritchie ont donné leur appui tant au juge en chef Dickson qu'au juge Pigeon) lorsqu'elle a dit que l'arrêt Faber permettait à une province "d'établir une enquête dont le seul but est de rechercher si un crime précis a été commis" (à la p. 000). Le juge Dickson dit plutôt, à la p. 210:

. . . on peut établir une distinction valable entre la procédure en matière criminelle et une enquête sur des actes criminels. Ce qui, en l'espèce, est en litige est une enquête sur des sujets donnés compris dans l'expression, administration de la justice dans la province. Le but et le rôle de l'enquête sont différents et distincts des procédures d'enquête et de poursuite dans une affaire criminelle. Même en admettant que toute enquête policière sur un citoyen doit respecter les normes fédérales de la procédure criminelle, je ne vois pas bien pourquoi on pourrait attaquer la constitutionnalité d'une enquête générale sur le crime, faite sur une base collective. [Je souligne.]

À mon avis, ce raisonnement s'applique directement à l'espèce.

Dans son analyse de l'arrêt Keable, mon collègue explique, à la p. 000, que "cet extrait des motifs du juge Pigeon ne devrait pas être interprété comme signifiant que la province a le pouvoir d'enquêter directement sur des particuliers à l'égard d'infractions criminelles précises qu'ils auraient commises." Selon moi, toutefois, le juge Pigeon souligne que l'identification de ceux qui sont impliqués dans le "crime organisé" ou dans un "homicide criminel" peut faire l'objet d'une commission d'enquête provinciale. De même, l'identification de fonctionnaires publics impliqués dans l'obtention d'avantages indus peut être examinée. C'est la recherche de ceux qui participent à une activité criminelle et non la détermination de ce qui constitue une infraction criminelle qui est le juste objectif de l'enquête.

Par conséquent, l'accent que mon collègue met sur la perpétration d'infractions précises ne tient pas compte, à mon avis, de la seule chose que cette commission d'enquête ne pouvait absolument pas faire, c'est‑à‑dire formuler une conclusion de droit concernant la responsabilité civile ou criminelle d'une personne ou d'un organisme.

Mon collègue cite également les motifs du juge Martin dans l'arrêt R. v. Hoffmann‑La Roche Ltd. (1981), 33 O.R. (2d) 694 (C.A.), à la p. 724, à l'appui de l'argument selon lequel les provinces ne peuvent légiférer sur la procédure en matière criminelle:

[TRADUCTION] Malgré le chevauchement des par. 91(27) et 92(14), il ne serait manifestement pas de la compétence de la province d'adopter une loi qui permettrait à un agent de police de convoquer un suspect devant un fonctionnaire et de l'obliger à répondre, sous serment, à un interrogatoire relatif à sa participation à une infraction. Même si une telle loi pouvait être décrite comme portant sur les enquêtes relatives à des infractions et donc apparemment relever de l'administration de la justice, une telle loi porterait en réalité sur la procédure en matière criminelle et relèverait donc de la compétence exclusive du Parlement. [Je souligne.]

Toutefois ce n'est pas ce qui s'est produit en l'espèce. La situation est mieux décrite par le juge en chef Dickson dans l'arrêt O'Hara, à la p. 610:

Il y a implicitement un certain chevauchement dans l'attribution aux provinces du pouvoir de légiférer en matière d'administration de la justice et dans l'attribution au Parlement du pouvoir de légiférer relativement au droit criminel et à la procédure en matière criminelle. Une matière peut très bien faire légitimement l'objet de mesures législatives provinciales relatives à l'administration de la justice et, pour d'autres fins, relever de la compétence fédérale sur le droit criminel et la procédure en matière criminelle: Di Iorio, précité, à la p. 207. C'est le cas en l'espèce. L'administration de la justice en ce pays est représentée et assurée par la constitution de services de police et d'autres organismes d'exécution de la loi qui sont chargés d'enquêter, de découvrir et de réprimer le crime au sein de leurs provinces respectives. La surveillance des corps de police et la discipline à laquelle ils sont assujettis sont également nécessaires pour l'administration de la justice. Le paragraphe 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867 comprend l'administration de la justice criminelle: Di Iorio. [Je souligne.]

Compte tenu du mandat tel que formulé, il est incorrect de caractériser cette commission d'enquête de "Chambre étoilée", jouissant d'un pouvoir discrétionnaire absolu d'interroger les personnes nommées et de scruter tous les aspects de leurs activités. De plus, une telle interprétation des pouvoirs de la commission laisserait croire que, dès la publication du rapport, Mme Starr et "ses partenaires dans le crime" seraient transportés à la prison sur le fondement de l'enquête "terminée". Ce n'est tout simplement pas le cas.

Relativement à l'arrêt O'Hara, mon collègue conclut, à la p. 000, qu'il "vise autant les limites des commissions d'enquête provinciales que leur étendue", et cite, à la p. 000, la réserve que le Juge en chef apportait aux principes analysés précédemment:

Une enquête instituée uniquement pour déterminer la responsabilité criminelle et pour contourner la protection que le Code criminel accorde à un accusé outrepasserait les pouvoirs d'une province, car il s'agirait d'une matière relative au droit criminel et à la procédure en matière criminelle. Cette limite à la compétence provinciale constitue la reconnaissance de la nature fédérale de notre système d'autonomie gouvernementale. [O'Hara, aux pp. 611 et 612. Je souligne.]

De toute évidence, une commission d'enquête instituée uniquement pour déterminer la responsabilité criminelle serait ultra vires, mais si telle est la restriction apportée par cet arrêt, elle vise une clientèle limitée dont cette commission ne fait certainement pas partie.

Sans doute, comme le dit mon collègue, à la p. 000, "Le mandat désigne des personnes nommément et le fait en utilisant des termes qui sont presque identiques à ceux de la disposition correspondante du Code criminel." Toutefois, la disposition introductive prévoit un élément isolant, qui pour les participants à l'enquête érige un rempart contre le danger d'être tenus "civilement ou criminellement responsables". Il se peut que le Code criminel utilise la même formulation mais dans un but diamétralement opposé à l'objectif spécifique de la commission.

En fait, la plupart des commissions d'enquête instituées pour des irrégularités imputées à des fonctionnaires publics du gouvernement, élus ou non, examinent une conduite qui peut constituer une infraction criminelle lorsque tous les faits ont été vérifiés. Le texte du mandat de la commission peut ressembler ou non à la description d'une infraction au Code criminel et peut ou non identifier les coupables éventuels nommément. Dans chaque cas, le résultat final est le même. C'est alors se livrer à un exercice sémantique que de décider, en se fondant strictement sur les termes utilisés, si oui ou non le mandat est intra vires de la province dans un cas en particulier.

La province aurait pu formuler le mandat d'une manière différente. Elle aurait pu donner à la commission des pouvoirs d'enquête plus étendus. Elle aurait pu viser un plus grand nombre de personnes ou n'en viser aucune. Les possibilités sont nombreuses. Ce qu'elle ne pouvait pas faire c'est ce que le Juge en chef a dit dans l'arrêt O'Hara, à la p. 611, qu'on ne pouvait pas faire, c'est‑à‑dire qu'elle ne pouvait ordonner "Une enquête instituée uniquement pour déterminer la responsabilité criminelle et pour contourner la protection que le Code criminel accorde à un accusé". En dehors de cette restriction, la commission pouvait enquêter sur des matières qui relèvent légitimement de la compétence de la province.

La jurisprudence appuie entièrement la proposition selon laquelle cette enquête est intra vires de la province. D'un point de vue fonctionnel, la Commission Houlden ne peut être distinguée des commissions dont la constitutionnalité était contestée dans les arrêts Faber, Di Iorio, Keable et O'Hara. La gymnastique sémantique utilisée pour établir une distinction entre cette affaire et les arrêts précédents de notre Cour n'est pas, à mon avis, suffisante pour écarter la présomption de validité constitutionnelle.

d) Conclusion

En ce qui a trait au partage des pouvoirs, je ne connais aucun principe général qui pourrait limiter ou empêcher l'examen par des commissions d'enquête de questions qui autrement relèvent explicitement de la compétence provinciale. Je ne crois pas que la combinaison de plusieurs facteurs, qui, pris individuellement, sont intra vires, puisse rendre une enquête invalide du point de vue constitutionnel. Il n'est pas nécessaire en l'espèce d'examiner de façon plus approfondie la théorie constitutionnelle en ce qui a trait au pouvoir d'une province d'enquêter sur des fonctionnaires publics relativement à des allégations d'irrégularités. Toutefois, un texte législatif doit viser à atteindre des buts qui débordent les frontières juridictionnelles avant de pouvoir être qualifié d'ultra vires. Compte tenu du contexte et de la portée de l'enquête, du texte précis du mandat, et des arrêts de notre Cour, particulièrement dans les affaires Keable et O'Hara, je ne peux que conclure que le décret en cause est intra vires de la province d'Ontario.

À mon avis, cette enquête constitue un exercice légitime par la province d'Ontario de ses pouvoirs d'enquêter dans une matière purement provinciale. En définitive, la conclusion s'impose que cette enquête ne vise pas uniquement un crime particulier perpétré par des personnes nommément désignées, de manière à empiéter sur le pouvoir du fédéral en matière de droit criminel. Son rôle plus large se dégage clairement du contexte de sa création et d'un examen attentif de son mandat, à la lumière des arrêts de notre Cour dans des affaires semblables.

Compte tenu de cette conclusion, je dois maintenant examiner la deuxième question constitutionnelle; le décret du 6 juillet 1989 porte‑t‑il atteinte aux droits garantis par les art. 7 à 14 de la Charte canadienne des droits et libertés?

II. La Charte

Dans l'arrêt O'Hara, à la p. 612, le Juge en chef a explicitement laissée ouverte la possibilité que la Charte puisse jouer un rôle dans le cadre d'une commission d'enquête:

. . . ni une province ni le Parlement ne peuvent porter atteinte aux droits des citoyens canadiens en instituant des enquêtes de ce genre. Cette restriction est d'un genre différent. Il s'agit de la reconnaissance du respect des droits et libertés individuels et elle est incorporée dans la common law, dans diverses lois écrites des deux paliers de gouvernement, y compris la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E‑10, et plus récemment, la Charte. Par conséquent, aucun des deux paliers de gouvernement ne peut établir ni exiger des procédures qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux, comme le droit à la protection contre l'auto‑incrimination défini dans notre droit. [. . .] [O]n a seulement demandé à cette Cour d'en examiner la constitutionnalité en fonction du partage des pouvoirs entre les deux paliers de gouvernement. Par conséquent, je n'exprime aucune opinion quant à la nature et à l'étendue des droits que garantissent la Charte et le droit de la preuve relativement aux procédures de la commission d'enquête, sauf pour dire que ces droits doivent évidemment être respectés par les autorités concernées. [Je souligne.]

Je souscris entièrement à l'énoncé qui précède mais je suis d'avis qu'il n'y a eu aucune violation de ce genre en l'espèce. J'adopte l'interprétation et l'application de la Charte que fait en l'espèce la Cour d'appel de l'Ontario. La cour rejette toute contestation fondée sur les art. 7, 11 et 13 de la Charte. La nature de l'enquête, différente d'un procès, enlève toute pertinence à ces contestations en l'espèce. Les appelants ne sont pas d'accord et soutiennent que les présumées violations de la Charte résultent de la procédure d'enquête et de l'enquête policière simultanées. En outre, ils soutiennent que l'effet préjudiciable de l'enquête sur une poursuite criminelle ultérieure représente une menace à leur liberté.

Il convient de souligner que la Charte ne s'applique pas à Mme Starr, une personne, de la même manière qu'elle s'applique à Tridel, une société. Même si l'on présumait qu'il s'agissait d'"inculpés", ce qui n'est certainement pas le cas en vertu de la Loi sur les enquêtes publiques, les sociétés ne peuvent, en raison de leur nature même, subir le genre de préjudice visé par la garantie contre l'auto‑incrimination prévue à l'al. 11c) de la Charte: R. c. Amway Corp., [1989] 1 R.C.S. 21, aux pp. 40 et 41. En outre, comme notre Cour l'a décidé dans l'arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, à la p. 1004, les sociétés ne peuvent revendiquer la protection de l'art. 7 parce qu'elles sont, en principe, exclues de la portée de cette garantie constitutionnelle:

En effet, il nous semble que, pris globalement cet article [art. 7] avait pour but d'accorder une protection à un niveau individuel seulement. Une lecture ordinaire, conforme au bon sens, de la phrase "Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne", fait ressortir l'élément humain visé; seul un être humain peut avoir ces droits. Le terme "chacun" doit donc être lu en fonction du reste de l'article et défini de façon à exclure les sociétés et autres entités qui ne peuvent jouir de la vie, de la liberté et de la sécurité de la personne, et de façon à ne comprendre que les êtres humains.

Comme personne, Mme Starr peut invoquer la protection de l'art. 7. Elle soutient que certains de ses droits en matière de liberté ont été violés pour les motifs mentionnés précédemment. Toutefois, s'il fallait admettre cet argument, toutes les enquêtes qui pourraient éventuellement être liées à des procédures criminelles subséquentes seraient alors invalides du point de vue constitutionnel. Compte tenu des paramètres auxquels une commission d'enquête est soumise, on ne peut soutenir qu'il y a violation du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne d'une manière contraire à la justice fondamentale. Le commissaire ne rend pas d'ordonnances, il fait simplement un rapport et des recommandations.

On s'est inquiété de savoir si Mme Starr pouvait espérer subir un procès équitable au cas où des accusations criminelles étaient portées contre elle, compte tenu notamment de ce qui a été relaté dans les médias. Pourtant l'affaire Starr a fait l'objet de discussions, voire d'accusations, dans les médias bien avant que l'Assemblée législative n'envisage la création d'une commission d'enquête ou la poursuite de toute autre enquête. Bien au contraire la souplesse de l'enquête lui permettrait de répondre à toute atteinte à sa réputation qui aurait résulté de la publicité donnée par les médias à cette affaire. La commission devra l'entendre. Les médias ne lui doivent rien de tel.

L'article 4 de la Loi sur les enquêtes publiques prévoit que toutes les audiences dans une enquête sont publiques sauf lorsque la commission, à sa discrétion, est d'avis que la balance des inconvénients penche en faveur du huis clos. En conséquence, on ne peut admettre l'argument selon lequel le fait de permettre l'accès aux procédures d'enquête revient à remettre la décision entre les mains d'un "jury électronique dans la salle d'audience de l'opinion publique". Il confond le rôle du commissaire et celui des médias; il est acquis que les médias ne peuvent être utilisés comme une incitation à imposer une plus grande responsabilité aux témoins qui comparaissent à l'enquête, mais un tel effet est atténué par les règles de preuve strictes qui s'appliqueraient à toute procédure criminelle subséquente. De plus, la portée de l'enquête ne devrait pas être limitée par suite de cette "menace" des médias. Dans ce sens, les témoins ne peuvent l'invoquer pour leur protection à l'enquête. L'avocat de l'appelante a fait remarquer que les intimés "ne peuvent pas gagner sur les deux tableaux", mais du même coup, les appelants ne peuvent empêcher le public d'observer le jeu ou d'examiner si la mise est suspecte.

En outre, les art. 11 et 13 de la Charte canadienne des droits et libertés, le par. 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑5, et l'art. 9 de la Loi sur les enquêtes publiques garantissent qu'indépendamment des éléments de preuve présentés au cours de l'enquête ou de la façon dont les médias choisiront de présenter ces événements, Mme Starr ou toute autre personne impliquée sera protégée contre l'utilisation ultérieure des témoignages présentés à l'enquête si l'affaire devait faire l'objet de poursuites judiciaires.

Par conséquent, il n'y pas eu de violation de la Charte pour le même motif que la Commission est intra vires de la province de l'Ontario. On ne peut soutenir qu'il y a eu violation de l'art. 7 car la commission est uniquement un organisme doté d'un pouvoir de recommandation et non de décision. Les décisions sur la culpabilité ou l'innocence, la responsabilité civile ou criminelle, sont expressément exclues de la description de ses fonctions. Toute possibilité de menace à la liberté est pure spéculation. Tant que sont observés les principes de justice fondamentale, l'argument selon lequel la pression, l'anxiété ou la menace d'une atteinte à la réputation, liées à des mesures prises par l'État, violent la sécurité de la personne lorsque celle‑ci n'est pas accusée, constitue une extension injustifiée des droits énoncés à l'art. 7 de la Charte.

Relativement au droit à la protection contre l'auto‑incrimination, j'ai déjà mentionné la protection accordée par les art. 11 et 13 de la Charte, l'art. 5 de la Loi sur la preuve au Canada et l'art. 9 de la Loi sur les enquêtes publiques. L'alinéa 11c) de la Charte garantit à un accusé le droit de ne pas être contraint de témoigner contre lui‑même alors que les autres dispositions relatives à l'immunité interdisent l'utilisation d'un témoignage présenté dans une autre procédure pour incriminer le témoin dans une procédure civile ou criminelle subséquente. Étant donné que Mme Starr n'est pas une accusée, il est prématuré d'invoquer ces dispositions protectrices.

Comme le déclare l'arrêt O'Hara, la Charte s'applique effectivement aux enquêtes. Les principes de justice fondamentale doivent toujours être respectés. Si, par exemple, on refusait à une partie le droit à l'assistance d'un avocat ou le droit d'être entendu, ou si cette partie s'exposait en fait à des sanctions restreignant sa liberté ou sa sécurité, la situation serait différente. Toutefois, le simple fait que des procédures criminelles pourraient être engagées par la suite est une assise beaucoup trop fragile pour ancrer une violation de la Charte. Comme l'a dit le juge La Forest dans l'arrêt R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, aux pp. 354 et 361:

Il me semble que, dans le contexte de l'art. 7, la nature et la qualité des garanties en matière de procédure qu'il faut accorder à l'individu ne sauraient être fonction d'une logique stérile ni d'une classification formaliste du type d'instance dont il s'agit. On doit plutôt mettre l'accent sur le caractère pratique de l'instance et sur l'effet qu'elle risque d'avoir sur la liberté individuelle.

. . .

Il est également clair que les exigences de la justice fondamentale ne sont pas immuables; elles varient selon le contexte dans lequel on les invoque. Ainsi, certaines garanties en matière de procédure pourraient être requises par la Constitution dans une situation donnée et ne pas l'être dans une autre.

Tout en se rappelant les restrictions imposées aux pouvoirs et fonctions de la commission, il convient de souligner les nombreuses protections en matière de procédure accordées aux appelants dans la Loi sur les enquêtes publiques et les propres décisions du commissaire: la qualité pour comparaître à l'enquête; le contre‑interrogatoire des témoins; le droit à l'assistance d'un avocat; la possibilité de citer des témoins pour présenter des éléments de preuve; les privilèges dont jouissent les témoins en cour, comme le privilège client-avocat et la possibilité de requérir des audiences à huis clos. Les parties qui ont pleine qualité ou une qualité restreinte pour comparaître ont droit au remboursement de leurs dépens au taux de l'aide juridique. Encore une fois, on ne peut trop souligner qu'il est interdit au commissaire d'exprimer une opinion concernant la responsabilité civile ou criminelle ou d'imposer une sanction contre les appelants dont le nom est mentionné ou toute autre personne citée comme témoin à l'enquête publique.

La combinaison des restrictions internes imposées à la portée de l'enquête, avec les garanties procédurales en vigueur destinées à assurer le respect de la justice fondamentale, font en sorte qu'il n'y pas atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés en l'espèce. Vu ma conclusion qu'il n'y a pas eu violation de la Charte, il n'est pas nécessaire d'exprimer d'opinion sur l'article premier de la Charte.

III. Conclusion

Ayant conclu que le décret en question est intra vires de la province de l'Ontario et qu'il n'y pas eu de violation des droits garantis aux appelants par la Charte, je suis d'avis de rejeter le présent pourvoi. Je répondrais aux questions constitutionnelles de la manière suivante:

1.Le décret du 6 juillet 1989, pris conformément à l'art. 2 de la Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O. 1980, chap. 411, excède‑t‑il les pouvoirs de la province de l'Ontario à titre de matière relevant de la compétence exclusive du Parlement du Canada, en application du par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867?

R:Non.

2.Le décret du 6 juillet 1989 porte‑t‑il atteinte aux droits garantis par les art. 7 à 14 de la Charte canadienne des droits et libertés?

R:Non.

3.Si ce décret porte atteinte aux droits garantis par les art. 7 à 14 de la Charte, est‑il justifié en vertu de l'article premier de la Charte, et, par conséquent, compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

R:Il n'est pas nécessaire de répondre à cette question compte tenu de ma conclusion relativement à la question no 2.

Pourvoi accueilli, le juge L'HEUREUX‑DUBÉ est dissidente.

Procureurs de l'appelante Patricia Starr: Cooper, Sandler & West, Toronto.

Procureurs de l'appelante Tridel Corporation Inc.: Lerner & Associates, Toronto.

Procureurs de l'appelant Mario Giampietri: Gold & Fuerst, Toronto.

Procureurs de l'appelant Gordon Ashworth: Lyons, Goodman, Iacono, Smith & Berkow, Toronto.

Procureurs de l'intimé l'honorable juge Lloyd W. Houlden, commissaire: Blake, Cassels & Graydon, Toronto.

Procureurs de l'intimé le gouvernement de l'Ontario: Borden & Elliot, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : [1990] 1 R.C.S. 1366 ?
Date de la décision : 05/04/1990
Sens de l'arrêt : L'appel est accueilli. Il y a lieu de répondre par l'affirmative à la première question constitutionnelle; il n'est pas nécessaire de se prononcer sur les autres points et questions constitutionnelles

Analyses

Droit constitutionnel - Partage des pouvoirs - Droit criminel - Enquête provinciale sur des allégations de corruption politique - Mandat désignant nommément des particuliers - Mandat très similaire à une disposition du Code criminel mais interdisant expressément toute conclusion de méfait criminel - L'enquête instituée relève‑t‑elle de la compétence fédérale en matière de droit criminel? - Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27) - Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O. 1980, ch. 411.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Garanties juridiques - Enquête provinciale sur des allégations de corruption politique - Mandat désignant nommément des particuliers - Mandat très similaire à une disposition du Code criminel mais interdisant expressément toute conclusion de méfait criminel - Y a‑t‑il violation des art. 7 à 14 de la Charte? - Dans l'affirmative, la violation est‑elle justifiée en vertu de l'article premier? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.

Il a été allégué dans la presse que Starr, présidente d'une section d'un organisme de charité enregistré, avait fait des contributions à des partis politiques à même les fonds de cet organisme et qu'il y avait une association entre elle et Tridel Corporation Inc. Les allégations concernant les rapports entre Starr et divers fonctionnaires publics, élus et non élus, se sont faites de plus en plus nombreuses dans les médias et à l'Assemblée législative. Ashworth, le directeur général du bureau du premier ministre, a démissionné de son poste après avoir révélé que Starr avait pris des dispositions pour que sa famille bénéficie gratuitement de certains avantages personnels. La province a institué un certain nombre d'enquêtes.

Une commission d'enquête a été établie conformément à la Loi sur les enquêtes publiques pour examiner les faits entourant les rapports entre Starr, toute personne ou société dont elle a pu être mandataire, y compris Tridel Corporation Inc., et tout fonctionnaire public élu et nommé, y compris Ashworth. Les appelants ont demandé au commissaire de soumettre un exposé de cause sur la compétence de la province d'instituer l'enquête et ses effets possibles sur les droits de la personne en common law et aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés. La demande ayant été refusée, ils ont demandé à la Cour divisionnaire d'ordonner au commissaire de soumettre un exposé de cause. La cour a entendu la demande, a rendu sa décision sur le fond et a rejeté la demande. La Cour d'appel a rejeté l'appel de cette décision. Trois questions constitutionnelles ont été formulées: (1) Le mandat de l'enquête relève‑t‑il de la compétence du Parlement en matière de droit criminel? (2) Porte‑t‑il atteinte aux garanties juridiques contenues dans la Charte (art. 7 à 14)? (3) Et dans l'affirmative, l'enquête est‑elle justifiée en vertu de l'article premier? Les appelants ont soulevé deux questions supplémentaires. Premièrement, le mandat viole‑t‑il les principes énoncés par la Cour d'appel dans Re Nelles and Grange parce qu'il impose au commissaire d'enquêter sur la conduite de personnes nommément désignées relativement à leur responsabilité civile ou criminelle tout en lui interdisant expressément de formuler des conclusions concernant cette responsabilité civile ou criminelle? Deuxièmement, si le décret est constitutionnel, l'enquête peut‑elle être tenue en même temps que l'enquête policière et, dans l'affirmative, quelle procédure est exigée par le décret et la nécessité de ne pas porter atteinte aux droits que garantit la Charte?

Arrêt (le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente): L'appel est accueilli. Il y a lieu de répondre par l'affirmative à la première question constitutionnelle; il n'est pas nécessaire de se prononcer sur les autres points et questions constitutionnelles.

Le juge en chef Dickson et les juges Lamer, La Forest, Sopinka, Gonthier et Cory: Le mandat de l'enquête excède la compétence de la province. L'enquête remplace en fait une enquête policière et une enquête préliminaire, dans lesquelles les accusés sont contraignables, relativement à l'art. 121 du Code criminel, et elle constitue, de par son caractère véritable, un sujet relevant de la compétence exclusive du Parlement en matière de droit criminel.

Le mandat de l'enquête prévoit une procédure en deux étapes qui finalement restreint sa portée. Premièrement, le commissaire a le vaste mandat de trouver et d'identifier les relations d'affaires entre Starr et Tridel Corporation Inc. et des fonctionnaires publics élus et non élus. Deuxièmement, il doit faire enquête et rapport sur ces relations d'affaires en indiquant si un avantage a été accordé à un fonctionnaire public élu ou non élu. Seules Starr et Tridel sont nommées dans le mandat; aucun fonctionnaire public n'y est nommé.

La commission d'enquête ne peut être utilisée pour contourner la procédure en matière criminelle prescrite par le Parlement. Il s'agit d'une procédure coercitive qui est tout à fait incompatible avec notre notion de justice dans la recherche d'un crime particulier et quant à la détermination de la responsabilité civile ou criminelle réelle ou probable.

Le caractère véritable d'une commission provinciale doit être fermement ancré à un chef de compétence provinciale et elle ne peut être utilisée, directement ou indirectement, comme un moyen d'enquêter sur la responsabilité criminelle de personnes précises à l'égard d'infractions précises.

De par son caractère véritable, il s'agissait d'un substitut d'enquête de police et d'enquête préliminaire sur une infraction précise reprochée à l'une ou l'autre des personnes désignées. Le mandat désigne des personnes nommément et le fait en utilisant des termes presque identiques à ceux de la disposition correspondante du Code criminel; de plus, les conclusions du commissaire constitueraient en réalité une preuve suffisante à première vue contre les personnes nommément désignées. L'enquête sur des fonctionnaires publics serait accessoire à l'objet principal du mandat du commissaire, parce qu'elle est définie en fonction de leurs rapports avec Starr ou Tridel Corporation Inc.

Il n'y avait aucun objet plus général qui différenciait l'enquête d'un substitut d'enquête policière. Le mandat ne mentionne pas l'examen de l'ensemble du système qui régit le comportement des fonctionnaires publics envers les organismes de charité en particulier ou envers tous les autres. En réalité, bien que des fonctionnaires publics soient visés par l'enquête, l'investigation de leurs agissements dépend de ce qu'ils ont eu ou n'ont pas eu de relations d'affaires avec les deux personnes nommément désignées, qui ni l'une ni l'autre ne sont des fonctionnaires publics.

L'enquête n'est pas ancrée aux par. 92(4), (7), (13) ou (16) de la Loi constitutionnelle de 1867. Rien dans le mandat ni dans les circonstances qui ont donné lieu à l'enquête n'indique qu'elle visait à rétablir la confiance en l'intégrité du gouvernement et de ses institutions ou à examiner le régime auquel les fonctionnaires publics sont assujettis. Ces objets sont manifestement accessoires à la caractéristique principale de l'enquête, qui consiste à mener une enquête et à constater des faits à l'égard de personnes nommément désignées au sujet d'une infraction criminelle précise.

Bien qu'il lui soit expressément interdit de se prononcer sur la responsabilité criminelle, le commissaire pourrait néanmoins le faire implicitement. La conclusion à l'existence de l'intention, après les conclusions de fait tirées relativement à l'existence de relations d'affaires et d'avantages, est presque une conclusion nécessaire. On peut raisonnablement conclure qu'une personne avait l'intention que se réalisent les conséquences normales de ses actes. Il n'est pas nécessaire que le commissaire tire des conclusions sur la culpabilité, au sens véritable du terme, pour que l'enquête excède les pouvoirs de la province. Il suffit que l'enquête soit de fait un substitut d'enquête de police et d'enquête préliminaire relativement à une allégation précise de perpétration d'infractions criminelles par des personnes nommément désignées. L'enquête dont est chargé le commissaire et les constatations de fait qu'il fera après son enquête le placent dans la situation d'un juge procédant à une enquête préliminaire en vertu de l'art. 535 du Code criminel. Essentiellement, l'enquête entame les stades préliminaires du processus judiciaire en matière criminelle en recueillant des éléments de preuve, en déterminant s'ils sont suffisants et enfin en décidant s'il existe une preuve suffisante à première vue contre Starr, contre Tridel Corporation Inc., ou contre les deux.

Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente): Du point de vue du partage des pouvoirs, la constitutionnalité de l'enquête n'est pas écartée par la mention des noms de deux personnes, par la ressemblance frappante entre les termes du mandat et l'al. 121(1)b) du Code criminel et la tenue parallèle d'une enquête policière. Cette conclusion découle nécessairement du contexte dans lequel l'enquête a été ordonnée ainsi que de sa portée, des termes mêmes du décret et de la jurisprudence de notre Cour.

L'inquiétude profonde suscitée par les irrégularités reprochées à des fonctionnaires et employés du gouvernement allait bien au‑delà des appelants et fournissait le cadre nécessaire au mandat de la commission.

Les dispositions législatives autorisant la création de la commission et le décret lui‑même relèvent de la compétence de la province. L'intérêt provincial repose sur quatre chefs de compétence distincts: (1) le par. 92(4): la création et la durée des charges provinciales, ainsi que la nomination et le paiement des fonctionnaires provinciaux; (2) le par. 92(7): l'établissement, l'entretien et l'administration des institutions et hospices de charité; (3) le par. 92(14): l'administration de la justice dans la province; et (4) le par. 92(16): les matières d'une nature purement locale ou privée dans la province. Toutefois, aucun chef de compétence ne justifie une enquête fédérale sur la conduite de fonctionnaires d'un gouvernement provincial.

Le mandat de la Commission est large et vise un grand nombre de personnes, de sociétés et de fonctionnaires publics. La formule, qui est standard pour les commissions d'enquête, ne fait pas référence au Code criminel ni à une autre loi fédérale, ni ne les reproduit. La mention de certaines personnes en particulier fournit seulement un cadre de référence nécessaire de manière à permettre à la commission de bien définir son rôle. Le seul fait que le nom de certaines personnes y soit mentionné ne peut rendre le décret inconstitutionnel.

Le mandat n'empiète pas sur la compétence fédérale en matière de droit criminel, en dépit de sa similitude avec l'art. 121 du Code criminel. En fait, toute similitude est non pertinente. L'article 121 comporte une interdiction dont la violation peut avoir des conséquences pénales. Le mandat sert uniquement à définir la portée d'une enquête dans laquelle des conclusions de nature criminelle sont expressément interdites. La possibilité de poursuites ultérieures ne peut constituer un obstacle absolu à une enquête provinciale qui, par ailleurs, serait constitutionnelle.

Des différences fonctionnelles et pratiques existent entre une commission d'enquête et les procédures de droit criminel en matière d'enquêtes préliminaires ou de dénonciations. Ces dernières procédures sont clairement accessoires aux poursuites criminelles. Des personnes précises sont visées dans le but exprès et exclusif d'une mise en accusation. Les commissions d'enquête jouent un rôle différent. Elles peuvent, comme en l'espèce, désigner nommément une personne aux fins d'identifier l'objectif général de l'enquête et définir sa portée.

Peu importe le degré de ressemblance entre le mandat et l'art. 121 du Code criminel, ce sont l'objet et l'effet plutôt que les termes stricts des dispositions habilitant la commission qu'il faut considérer. Les pouvoirs conférés à cette commission n'entraînent pas de conséquences pénales. La crainte d'un empiétement provincial dans un domaine strictement fédéral est sans fondement en l'espèce.

Plusieurs aspects de l'enquête, comme le fait de donner les noms de certaines personnes, l'utilisation d'un texte qui ressemble à celui d'une disposition du Code criminel ou la tenue parallèle d'une enquête policière, sont tous, pris séparément, intra vires. Les "additionner" pour définir la portée de l'enquête ne constitue pas un empiétement sur la compétence en matière de droit criminel. Un tel principe de superposition n'existe pas et, même s'il existait, il n'y aurait pas lieu de l'appliquer aux commissions d'enquête. Il faut beaucoup plus pour apposer une étiquette d'inconstitutionnalité à une procédure qui, par ailleurs, est intra vires. En l'espèce, rien de moins qu'une enquête criminelle ne ferait l'affaire et ce n'est pas du tout ce qu'est l'enquête en cause.

Le risque lointain et latent d'une "législation déguisée" ne devrait pas faire obstacle à des objectifs provinciaux légitimes. L'interdiction de tirer des conclusions quant à la responsabilité criminelle ou civile n'est pas une tâche impossible. La présomption devrait jouer en faveur de la validité.

Cette commission n'est pas un substitut d'enquête policière et d'enquête préliminaire sur une allégation précise de conduite criminelle de la part de particuliers nommément désignés; la composante coercitive est entièrement différente et il n'y a aucune menace d'incarcération. Il n'y a aucun litige opposant l'État et des accusés; il n'y a pas d'accusés. En réalité, la seule chose que cette commission d'enquête ne peut absolument pas faire est de formuler une conclusion de droit concernant la responsabilité civile ou criminelle d'une personne ou d'un organisme.

La jurisprudence appuie la constitutionnalité de l'enquête. D'un point de vue fonctionnel, la commission Houlden ne peut être distinguée des commissions dont la constitutionnalité était contestée dans les arrêts R. c. Faber, Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, Procureur général (Qué.) et Keable c. Procureur général (Can.) et O'Hara c. Colombie‑Britannique. Les arguments de sémantique invoqués pour établir une distinction entre cette affaire et les arrêts précédents de notre Cour ne sont pas suffisants pour écarter la présomption de constitutionnalité.

La combinaison des restrictions internes imposées à la portée de l'enquête, avec les garanties procédurales en vigueur destinées à assurer le respect de la justice fondamentale, fait en sorte qu'il n'y a pas d'atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés.

Toute contestation fondée sur les art. 7, 11 et 13 de la Charte est inappropriée parce que l'enquête n'est pas un procès.

Le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne n'est pas violé d'une manière contraire à la justice fondamentale pour essentiellement la même raison que la commission relève de la compétence de la province. On ne peut soutenir qu'il y a eu violation de l'art. 7 car la commission est uniquement un organisme doté d'un pouvoir de recommandation et non de décision. Les décisions sur la culpabilité ou l'innocence, la responsabilité civile ou criminelle, sont expressément exclues de la description de ses fonctions. Toute possibilité de menace à la liberté est donc pure spéculation. Tant que sont observés les principes de justice fondamentale, ce serait élargir indûment les droits énoncés à l'art. 7 de la Charte que de conclure que la pression, l'anxiété ou la menace d'une atteinte à la réputation, liées à des mesures prises par l'État, violent la sécurité de la personne lorsque celle‑ci n'est pas accusée.

L'alinéa 11c) de la Charte garantit à un accusé le droit de ne pas être contraint de témoigner contre lui‑même alors que les autres dispositions relatives à l'immunité interdisent l'utilisation d'un témoignage présenté dans une autre procédure pour incriminer le témoin dans une procédure civile ou criminelle subséquente. Il est prématuré d'invoquer ces dispositions protectrices. Le simple fait que des procédures criminelles peuvent être engagées par la suite est une assise beaucoup trop fragile pour ancrer une violation de la Charte.


Parties
Demandeurs : Starr
Défendeurs : Houlden

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Lamer
Arrêts examinés: Re Nelles and Grange (1984), 46 O.R. (2d) 210
Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152
Procureur général (Qué.) et Keable c. Procureur général (Can.), [1979] 1 R.C.S. 218
O'Hara c. Colombie‑Britannique, [1987] 2 R.C.S. 591
Faber c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 9
R. v. Hoffmann‑La Roche Ltd. (1981), 33 O.R. (2d) 694
Cock v. Attorney‑General (1909), 28 N.Z.L.R. 405
arrêts mentionnés: Procureur général du Canada c. Transports Nationaux du Canada, Ltée, [1983] 2 R.C.S. 206
Attorney‑General for Alberta v. Attorney‑General for Canada (Alberta Bank Taxation Reference), [1939] A.C. 117
R. c. Cooper, [1978] 1 R.C.S. 860
R. v. Brown (1956), 116 C.C.C. 287
États‑Unis d'Amérique c. Shephard, [1977] 2 R.C.S. 1067.
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente)
Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152
Re Nelles and Grange (1984), 46 O.R. (2d) 210
Re Commission of Inquiry Concerning Certain Activities of the Royal Canadian Mounted Police (1978), 94 D.L.R. (3d) 365
Faber c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 9
Procureur général (Qué.) et Keable c. Procureur général (Can.), [1979] 1 R.C.S. 218
R. c. Vermette, [1988] 1 R.C.S. 985
O'Hara c. Colombie‑Britannique, [1987] 2 R.C.S. 591
R. v. Nixon, Cour suprême de la Colombie-Britannique, 6 octobre 1989, Vancouver no CC890587
R. v. Hoffmann‑La Roche Ltd. (1981), 33 O.R. (2d) 694
R. c. Amway Corp., [1989] 1 R.C.S. 21
Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927
R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 8, 9, 10, 11c), d), 12, 13, 14.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 119, 121, 535, 548.
Election Finances Reform Act, R.S.O. 1980, ch. 134.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27), 92(4), (7), (13), (14), (16).
Loi de 1988 sur les conflits d'intérêts des membres de l'Assemblée, L.O. 1988, ch. 17, art. 14.
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑5, art. 5(2).
Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O. 1980, ch. 411, art. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.
Doctrine citée
Canada. Commission de réforme du droit. Rapport 13. Les commissions consultatives et les commissions d'enquête. Ottawa: Commission de réforme du droit, 1979.
Canada. Commission de réforme du droit. Document de travail 17. Droit administratif: Les commissions d'enquête. Ottawa: Commission de réforme du droit, 1977.
Christie, Innis and Paul Pross. Introduction to Commissions of Inquiry. Toronto: Carswells, 1990.
Grange, Samuel. "How Should Lawyers and the Legal Profession Adapt?" (1990), 12 Dal. L.J. 151.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 2nd ed. Toronto: Carswells, 1985.
Le Dain, Gerald E. "The Role of the Public Inquiry in our Constitutional System", in Jacob S. Ziegel (ed.), Law and Social Change. Toronto: Osgoode Hall Law School/York University, 1973.
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Macdonald, R. A. "The Commission of Inquiry in the Perspective of Administrative Law" (1980), 18 Alta. L. Rev. 366.
MacKay, A. Wayne. "Mandates, Legal Foundations, Powers and Conduct of Commissions of Inquiry" (1990), 12 Dal. L.J. 29.
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Ontario. Legislative Assembly of Ontario. Hansard. Official Report of Debates. Second Session, 34th Parliament. Toronto: Legislative Assembly of Ontario, 1989.
Sellar, Watson. "A Century of Commissions of Inquiry" (1947), 25 R. du B. can. 1.

Proposition de citation de la décision: Starr c. Houlden, [1990] 1 R.C.S. 1366 (5 avril 1990)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1990-04-05;.1990..1.r.c.s..1366 ?
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