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08/12/1988 | CANADA | N°[1988]_2_R.C.S._495

Canada | R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495 (8 décembre 1988)


r. c. simmons, [1988] 2 R.C.S. 495

Laura Mary Simmons Appelante

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

et

Le procureur général de l'Ontario Intervenant

répertorié: r. c. simmons

No du greffe: 18767.

1988: 28 janvier; 1988: 8 décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey*, McIntyre, Lamer, Wilson, Le Dain*, La Forest et L'Heureux‑Dubé.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1984), 45 O.R. (2d) 609, 3 O.A.C. 1, 7 D.L.R. (4th) 719, 11

C.C.C. (3d) 193, 7 C.E.R. 159, qui a annulé l'acquittement de l'appelante relativement à des accusations d'importation de stu...

r. c. simmons, [1988] 2 R.C.S. 495

Laura Mary Simmons Appelante

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

et

Le procureur général de l'Ontario Intervenant

répertorié: r. c. simmons

No du greffe: 18767.

1988: 28 janvier; 1988: 8 décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey*, McIntyre, Lamer, Wilson, Le Dain*, La Forest et L'Heureux‑Dubé.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1984), 45 O.R. (2d) 609, 3 O.A.C. 1, 7 D.L.R. (4th) 719, 11 C.C.C. (3d) 193, 7 C.E.R. 159, qui a annulé l'acquittement de l'appelante relativement à des accusations d'importation de stupéfiants et de possession de stupéfiants pour en faire le trafic (1983), 5 C.E.R. 396, et qui a ordonné la tenue d'un nouveau procès. Pourvoi rejeté.

1. C. Jane Arnup, pour l'appelante.

2. J. E. Thompson et J. W. Leising, pour l'intimée.

3. Casey Hill, pour l'intervenant.

Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges Beetz, Lamer et La Forest rendu par

4. Le Juge en chef—L'appelante, Laura Mary Simmons, a fait l'objet de deux chefs d'accusation en matière de drogue: elle a été inculpée (i) [TRADUCTION] "d'avoir, le 14 novembre 1982 ou vers cette date, dans la ville de Mississauga, située dans le district judiciaire de Peel dans la province d'Ontario, illégalement importé au Canada un stupéfiant, savoir du cannabis sativa, ses préparations, ses dérivés et les préparations synthétiques semblables, c'est‑à‑dire de la résine de cannabis", contrairement au par. 5(1) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N‑1, et (ii) [TRADUCTION] "d'avoir, au même endroit et à la même date, eu en sa possession un stupéfiant pour en faire le trafic, savoir du cannabis sativa, ses préparations, ses dérivés et les préparations synthétiques semblables, c'est‑à‑dire de la résine de cannabis", contrairement au par. 4(2) de la Loi sur les stupéfiants. Ces drogues, qui étaient contenues dans un paquet attaché à la taille de l'appelante au moyen d'un bandage adhésif, ont été trouvées sur sa personne par des agents des douanes à l'aéroport international de Toronto. Le juge de première instance a décidé que les drogues soumises en preuve, qui avaient été saisies à la suite d'une fouille corporelle, étaient irrecevables, et il a déclaré l'appelante non coupable à l'égard des deux chefs de l'acte d'accusation.

5. L'acquittement de l'appelante au procès a été infirmé en appel et elle se pourvoit maintenant de plein droit devant cette Cour, conformément à l'al. 618(2)a) du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34.

6. Les principales questions qui se posent en l'espèce sont de savoir si les droits garantis à l'appelante par l'al. 10b) et l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés ont été violés lorsqu'elle a été soumise à une fouille à nu aux douanes et, dans l'affirmative, de savoir si les éléments de preuve constitués des stupéfiants obtenus par suite de cette fouille devraient être écartés en vertu du par. 24(2) de la Charte. Ces questions soulèvent les questions subsidiaires suivantes: d'abord, une fouille à nu effectuée par des agents des douanes constitue‑t‑elle une "détention" et donne‑t‑elle ainsi ouverture au droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit, que prévoit l'al. 10b) de la Charte? Ensuite, les dispositions relatives aux fouilles personnelles (art. 143 et 144) figurant dans l'ancienne Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C‑40, sont‑elles incompatibles avec le droit d'une personne à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives que garantit l'art. 8 de la Charte et, en conséquence, inopérantes dans la mesure de cette incompatibilité en raison de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982? Enfin, les violations de l'al. 10b) ou de l'art. 8, s'il en est, peuvent‑elles être justifiées en vertu de l'article premier de la Charte?

7. Les dispositions législatives mentionnées dans le paragraphe qui précède sont ainsi rédigées:

Charte canadienne des droits et libertés

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

10. Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention:

...

b) d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit;

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Loi constitutionnelle de 1982

52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

Loi sur les douanes

143. Un préposé, ou un individu par lui autorisé à cet effet, peut fouiller toute personne à bord d'un navire ou embarcation dans un port quelconque du Canada, ou à bord d'un navire ou embarcation entrant au Canada par voie de navigation intérieure, ou dans un véhicule y entrant par terre, ou toute personne qui est descendue ou sortie de ce navire, embarcation ou véhicule, ou qui est venue de quelque manière ou façon au Canada d'un pays étranger, si le préposé ou l'individu qui opère cette perquisition a raisonnablement lieu de supposer que la personne qui subit la visite peut avoir, cachés sur elle, des effets sujets à déclaration en douane, ou des articles prohibés.

144. (1) Avant qu'une personne puisse être fouillée, elle a la faculté d'exiger que le préposé la conduise devant un magistrat de police, ou un juge de paix, ou devant le receveur ou le préposé en chef du port ou lieu. Si l'un ou l'autre des susdits constate qu'il n'y a pas de motifs plausibles de faire des perquisitions, il renvoie cette personne; mais dans le cas contraire, il ordonne qu'elle soit fouillée. Toutefois, si cette personne est une femme, elle est fouillée par une femme, et ce magistrat, juge de paix ou receveur peut, s'il n'y a pas de femme nommée pour cette fin, employer et autoriser une femme propre à agir en tous cas particuliers.

En remontant aussi loin qu'à l'origine de la Confédération, l'on constate que les art. 143 et 144 de la Loi de 1970 et les dispositions équivalentes de l'Acte concernant les Douanes de 1867 (S.C. 1867, chap. 6) sont pratiquement les mêmes. Dans les deux cas, il est prévu qu'une personne peut être fouillée s'il y a lieu pour l'agent des douanes de supposer que la personne qui subit la fouille a, cachés sur elle, des articles prohibés. En outre, dans les deux cas, il est prévu qu'une personne peut demander à être conduite devant un juge de paix ou devant le receveur (dans la loi de 1867: "percepteur") ou le préposé en chef (dans la loi de 1867: "principal officier") du bureau de douane afin qu'une seconde autorisation soit donnée avant de procéder à la fouille. La disposition de 1970 ajoute le magistrat de police à la liste des fonctionnaires habilités à donner la seconde autorisation.

8. Les articles 143 et 144 ont, depuis, été abrogés et remplacés par l'art. 98 de la Loi sur les douanes, S.C. 1986, chap. 1. Cet article modifie la norme de soupçons en exigeant que ces derniers soient fondés sur "des motifs raisonnables", et il limite à l'agent principal du lieu de la fouille la personne devant laquelle le voyageur sur le point de subir la fouille peut être conduit.

I

Les faits

9. L'appelante est arrivée à l'aéroport international de Toronto au cours de la soirée du 14 novembre 1982 à bord du vol 071 d'Air Jamaica en provenance de la Jamaïque. Elle s'est présentée à l'inspection primaire des douanes, où un agent des douanes lui a posé les questions usuelles. L'appelante s'est identifiée comme "Maureen Claudia" Simmons; elle a déclaré qu'elle vivait à Montréal et que la valeur totale des effets qu'elle ramenait au pays était de 25 $. Trouvant l'appelante [TRADUCTION] "excessivement nerveuse et craintive et quelque peu agitée", l'agent des douanes préposé à l'inspection primaire a conclu qu'elle devrait être soumise à une inspection secondaire, et il a remis à l'appelante une carte d'inspection portant le numéro "86". Le chiffre 8 était le numéro de code indiquant que le voyageur en question devrait subir une inspection secondaire. Le chiffre 6 indiquait que le préposé à l'inspection primaire entretenait des doutes relativement à la déclaration faite par le passager au sujet des effets rapportés au pays.

10. L'agent des douanes préposé à l'inspection secondaire, l'inspecteur Kathy Badham, a demandé à l'appelante de s'identifier, après quoi elle a procédé à la fouille de ses bagages. L'appelante lui a remis une photocopie de son baptistaire et a déclaré que ses autres papiers d'identité avaient été volés à Montréal. La fouille des bagages de l'appelante n'a pas permis de découvrir de la contrebande. À un moment donné au cours de l'inspection secondaire, l'appelante a indiqué qu'elle était sans emploi et travaillait à son propre compte comme artiste commerciale. Comme elle avait des soupçons à l'égard de l'appelante, la préposée à l'inspection secondaire a demandé au surintendant des douanes l'autorisation de la fouiller. Ces soupçons étaient fondés sur les doutes qu'avait eus le préposé à l'inspection primaire au sujet de l'appelante, sur le défaut de l'appelante de s'identifier de façon satisfaisante et sur le fait que la préposée à l'inspection secondaire avait observé que l'appelante, par ailleurs très mince, était un peu forte et bombée dans la partie supérieure de l'abdomen.

11. La préposée à l'inspection secondaire a avisé l'appelante qu'elle serait fouillée ainsi que le permettait la Loi sur les douanes et, en compagnie d'un autre agent des douanes féminin, elle a conduit l'appelante dans une salle destinée aux fouilles située à l'arrière de l'aire des fouilles secondaires. Elle a demandé à l'appelante si elle dissimulait quoi que ce soit et celle‑ci a répondu qu'elle ne dissimulait rien. L'agent a alors attiré l'attention de l'appelante sur une affiche fixée au mur de la salle des fouilles sur laquelle était inscrit le texte des art. 143 et 144 précités de la Loi sur les douanes. La préposée à l'inspection a avisé l'appelante que ces articles conféraient le pouvoir d'effectuer des fouilles personnelles. Rien n'indique que l'appelante a lu ces dispositions.

12. La préposée à l'inspection secondaire a ordonné à l'appelante de se dévêtir. L'appelante a obtempéré en enlevant sa veste, sa robe et sa blouse. Il a semblé à la préposée à l'inspection que quelque chose se trouvait dissimulé sous la gaine de l'appelante, et elle a demandé à cette dernière si elle cachait quoi que ce soit. L'appelante a de nouveau répondu qu'elle ne dissimulait rien. Elle a alors retiré sa gaine, ce qui a permis de constater la présence de bandes adhésives à la hauteur de son estomac. Interrogée au sujet de ces bandes, l'appelante a répondu les porter en raison de son dos. La préposée à l'inspection a demandé à l'appelante de retirer ces bandes. L'appelante a répondu [TRADUCTION] "cela est‑il vraiment nécessaire?", après quoi elle a obtempéré. L'enlèvement de ces bandes a permis de découvrir six sacs de plastique contenant 1,98 kilogrammes de résine de cannabis, aussi appelée huile de haschich, d'une valeur de 22 000 $ sur le marché noir. L'appelante a alors été arrêtée pour importation de stupéfiants et elle a été informée de son droit à l'assistance d'un avocat. Elle a immédiatement téléphoné à un avocat.

13. Comme le juge en chef Howland de l'Ontario l'a fait observer en Cour d'appel, suivant une entente intervenue entre les avocats lors du procès, il a été mis en preuve qu'entre le 1er avril 1982 et le 31 mars 1983, 442 saisies de drogue avaient eu lieu à l'aéroport international de Toronto, dont 80 pour 100 étaient des saisies de cannabis importé à bord de vols en provenance de la Jamaïque.

II

Le procès

14. Lors du procès tenu devant le juge Kent de la Cour de comté, l'appelante a soutenu qu'en raison de la petite quantité de stupéfiants en jeu et des circonstances entourant l'infraction, le fait de la poursuivre pour importation de stupéfiants et pour trafic plutôt que de porter contre elle des accusations moindres constituait un traitement injuste et violait les droits que lui conféraient les art. 7 et 12 de la Charte. L'appelante a également prétendu que les fouilles et perquisitions effectuées conformément à l'art. 143 de la Loi sur les douanes enfreignaient l'art. 8 de la Charte, qu'il n'existait aucun motif au sens de l'art. 143 de la fouiller, qu'elle a été détenue arbitrairement contrairement à l'art. 9 de la Charte, et qu'il y a eu violation de l'al. 10b) de la Charte puisqu'elle n'a pas été informée de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat avant d'être fouillée.

15. Dans un jugement rendu le 13 mai 1983, le juge Kent a conclu que l'appelante n'était pas coupable des infractions reprochées: (1983), 5 C.E.R. 396. Ce jugement se fondait uniquement sur l'argument relatif à l'al. 10b). Rappelons que l'al. 10b) de la Charte, déjà cité, garantit à chacun le droit "en cas d'arrestation ou de détention" d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit. Le juge a conclu que l'appelante avait été détenue à partir du moment où elle avait été conduite dans la salle des fouilles pour y subir une fouille corporelle, étant donné qu'elle se trouvait alors soumise à une contrainte. En arrivant à cette conclusion, il a insisté sur la déposition de la préposée à l'inspection qui a effectué la fouille. Cette dernière a déclaré qu'à son avis l'appelante avait été détenue sous sa garde et n'était pas libre de quitter la salle destinée aux fouilles. Le juge a considéré que l'appelante aurait donc dû être informée de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat avant que la fouille ne soit pratiquée, et que, puisque cela n'avait pas été fait, il y avait eu violation du droit que lui conférait l'al. 10b) de la Charte.

16. Le juge du procès a, conformément au par. 24(2) de la Charte, écarté les éléments de preuve recueillis, pour le motif que, eu égard aux circonstances, leur utilisation serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Le juge a souligné que, si elle avait été avisée avant la fouille des droits qu'elle détenait en vertu de la Charte, l'appelante aurait très bien pu téléphoner à son avocat qui aurait été alors en mesure de lui conseiller de demander à être conduite devant un juge de paix, un magistrat de police ou le préposé en chef des douanes conformément à l'art. 144. De l'avis du juge, cela revêtait une importance particulière en l'espèce en raison du caractère limité des éléments de preuve donnant "raisonnablement lieu de supposer" qu'une fouille ou perquisition devait être pratiquée ainsi que l'exigeait l'art. 143 de la Loi sur les douanes. Il a donc conclu que la découverte des drogues illégales n'était pas inéluctable et n'aurait peut‑être pas eu lieu si les droits conférés à l'appelante par l'al. 10b) avaient été respectés. Il a jugé que l'appelante n'était pas coupable des accusations portées contre elle.

La Cour d'appel de l'Ontario

17. Une formation de cinq juges de la Cour d'appel de l'Ontario a infirmé la décision du juge Kent, le juge Tarnopolsky étant dissident en partie: (1984), 7 D.L.R. (4th) 719. Le juge en chef Howland de l'Ontario a conclu, au nom de la cour à la majorité, que l'appelante n'était pas détenue lorsqu'elle a été soumise à une fouille à nu à la frontière. À son avis, le mot "détention" figurant à l'art. 10 de la Charte devait recevoir le sens que cette Cour lui a donné dans le contexte de l'al. 2c) de la Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, app. III, dans l'arrêt Chromiak c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 471. Il faudrait noter que la Cour d'appel n'a pas bénéficié de l'arrêt de cette Cour R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613. Le juge en chef Howland a également examiné la jurisprudence américaine relative aux fouilles et perquisitions effectuées à la frontière. Il a noté que les tribunaux américains ont considéré les fouilles et perquisitions effectuées à la frontière comme une exception à la protection contre les perquisitions et saisies enchâssée dans le Quatrième amendement de la Constitution des États‑Unis. Le juge en chef Howland a partagé l'opinion voulant que les fouilles effectuées aux douanes constituent un type distinct de rapports entre l'État et le particulier et, pour ce motif, doivent être considérées différemment des autres fouilles. Il a dit, aux pp. 740 et 741:

[TRADUCTION] À mon avis, les fouilles effectuées à la frontière pour trouver de la contrebande relèvent d'une catégorie très particulière. Celui ou celle qui éveille des soupçons raisonnables en donnant l'impression de dissimuler quelque chose sur sa personne doit s'attendre à ce qu'on lui demande de se dévêtir suffisamment pour confirmer ou infirmer les soupçons suscités. Une telle demande n'a rien de dégradant. On a seulement demandé à l'intimée de retirer les vêtements qui devaient être retirés pour découvrir qu'elle dissimulait des drogues illégales. Elle n'a aucunement été touchée par l'inspecteur Badham. Le très grand nombre de saisies de drogues illégales effectuées à l'aéroport international de Toronto relativement à des vols en provenance de la Jamaïque témoigne de l'ampleur du problème.

Il serait erroné de conclure que la contrainte de brève durée qui est exercée à la frontière par un agent des douanes dans le cadre de la fouille progressive ordinaire effectuée conformément aux art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes pour découvrir de la contrebande constitue une détention au sens de l'art. 10 de la Charte.

Le juge en chef Howland a également noté que l'art. 143 de la Loi sur les douanes s'inscrivait dans une réglementation d'ensemble des frontières à laquelle les citoyens comme les non‑citoyens sont assujettis lorsqu'ils cherchent à entrer au Canada.

18. Le juge en chef Howland a considéré comme non fondé l'argument de l'appelante portant que les art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes contreviennent à l'art. 8 de la Charte. À son avis, une fouille corporelle effectuée en vertu des art. 143 et 144 ne devrait pas être considérée abusive au sens de l'art. 8 de la Charte. Il a dit, à la p. 746:

[TRADUCTION] Je ne crois pas qu'il soit abusif pour des nations souveraines comme le Canada de prescrire l'exercice d'une contrainte temporaire sur les personnes qui entrent au pays et de prévoir que, si nécessaire, elles pourront faire l'objet d'une fouille personnelle afin de vérifier si elles apportent avec elles de la contrebande au Canada.

19. Malgré sa conclusion qu'il n'y avait pas eu détention de l'appelante et que, par conséquent, le droit à l'assistance d'un avocat conféré à cette dernière par l'al. 10b) de la Charte n'avait pas été violé, le juge en chef Howland est passé à l'examen des arguments présentés par l'appelante relativement au par. 24(2). En examinant le critère applicable à la question de savoir si l'utilisation de certains éléments de preuve était susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, il a énoncé les facteurs suivants: la nature de l'illégalité, la manière dont les éléments de preuve ont été obtenus, la bonne foi des personnes qui ont recueilli ces éléments de preuve, la question de savoir si les droits conférés par la Charte à l'accusée ont été sciemment violés, et la gravité de l'accusation. Le juge en chef Howland était d'avis que, dans la présente espèce, tous les facteurs militaient en faveur de l'utilisation des éléments de preuve obtenus. La fouille avait été effectuée à la frontière et était expressément autorisée par une loi du Parlement. Elle n'était pas abusive et n'avait comporté aucune atteinte inutile à la vie privée de l'appelante. Les agents des douanes avaient agi de bonne foi en respectant entièrement les règles de droit énoncées dans la Loi sur les douanes. La saisie de drogue effectuée était assez importante et les accusations portées contre l'accusée étaient graves. En conséquence, l'utilisation de ces éléments de preuve ne choquerait aucunement la collectivité. Au contraire, l'exclusion des éléments de preuve obtenus serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

20. Le juge Tarnopolsky a convenu que les éléments de preuve en l'espèce n'auraient pas dû être écartés par le juge de première instance, mais il a exprimé une dissidence sur la question de la détention. Selon ce juge, l'arrêt Chromiak, précité, n'a traité que de la question des demandes d'échantillon d'haleine pour fin d'analyse immédiate et n'a pas tranché la question de savoir si une personne obligée de se soumettre à l'examen d'un mandataire gouvernemental est détenue. Il a également distingué à deux égards les fouilles à nu effectuées aux douanes et les demandes d'échantillons d'haleine pour fin d'analyse immédiate. Dans l'arrêt Chromiak, l'accusé était libre de quitter les lieux après avoir refusé de soumettre un échantillon d'haleine; l'appelante en l'espèce n'était pas libre de refuser de se soumettre à une fouille corporelle. En second lieu, la fouille dont il est question en l'espèce empiétait de façon beaucoup plus grave sur la dignité et la vie privée de la personne que ne le faisait le test d'haleine envisagé dans l'arrêt Chromiak. L'empiétement important sur l'intimité qui caractérisait la fouille ainsi que les conditions de contrainte dans lesquelles elle avait été effectuée obligeaient le juge Tarnopolsky à conclure que l'appelante était détenue lorsqu'elle a été soumise à une fouille à nu et que, par conséquent, son droit à l'assistance d'un avocat avait été violé.

III

Interventions et questions constitutionnelles

21. Le procureur général de l'Ontario et celui de l'Alberta ont déposé un avis d'intention d'intervenir dans le pourvoi formé devant cette Cour. Le procureur général de l'Alberta s'est ensuite désisté. Le procureur général de l'Ontario a déposé un mémoire appuyant les prétentions de Sa Majesté intimée.

22. Avant l'audition du pourvoi, les questions constitutionnelles suivantes ont été énoncées:

1. La personne qui, à son entrée au Canada, se voit demander par un agent des douanes, conformément aux art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C‑40, de se soumettre à une fouille personnelle parce qu'on la soupçonne de cacher de la contrebande sur elle, est‑elle détenue au sens de l'art. 10 de la Charte canadienne des droits et libertés, ce qui imposerait que cette personne soit informée de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat?

2. Les articles 143 et 144 de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C‑40, sont‑ils incompatibles avec le droit d'une personne à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives garanti par l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, inopérants dans la mesure de cette incompatibilité?

3. Si l'omission d'informer une personne fouillée conformément aux art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C‑40, de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat viole l'art. 10 de la Charte canadienne des droits et libertés, cette violation est‑elle justifiée par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

4. Si les articles 143 et 144 de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C‑40, sont jugés incompatibles avec l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, ces articles sont‑ils justifiés par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

IV

Les fouilles effectuées aux douanes

23. Devant cette Cour, l'avocat de l'appelante a avancé deux arguments principaux. En premier lieu, il a prétendu que l'appelante était "détenue" lorsqu'on lui a demandé de subir une fouille corporelle et que, par conséquent, il y a eu atteinte au droit que lui confère l'al. 10b) d'avoir recours à l'assistance d'un avocat et d'être informée de ce droit. En second lieu, cet avocat a prétendu que les art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes étaient incompatibles avec le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives garanti par l'art. 8 de la Charte. Il a fait valoir que ni l'une ni l'autre de ces violations ne pouvait être sauvegardée par l'article premier. L'avocat de l'appelante a prétendu qu'en raison de ces violations l'admission en preuve des stupéfiants serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, au sens du par. 24(2) de la Charte.

24. L'avocat de la poursuite a adopté le point de vue selon lequel l'appelante n'avait pas été détenue et les art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes n'étaient pas incompatibles avec l'art. 8 de la Charte. Ces deux arguments reposaient en grande partie sur la qualification des fouilles effectuées à la frontière comme étant un cas particulier. En conséquence, l'intimée a soutenu que la contrainte de brève durée exercée dans le cadre de la fouille ordinaire et progressive effectuée à la frontière conformément à la Loi sur les douanes ne constitue pas une détention au sens de l'art. 10 de la Charte. De la même manière, tout en concédant que les dispositions relatives aux fouilles et perquisitions figurant aux art. 143 et 144 ne respectaient pas le critère établi par cette Cour dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, la poursuite a prétendu que l'arrêt Hunter c. Southam Inc. était inapplicable aux circonstances de la fouille pratiquée à la frontière.

25. Avant d'examiner les questions précises soulevées en l'espèce relativement à la Charte, il est utile d'examiner brièvement l'importance des circonstances du passage à la frontière. L'intimée a fait valoir que les fouilles effectuées aux douanes devraient être traitées différemment des autres fouilles en raison de l'importance de l'intérêt national qui sert la réglementation des frontières. Selon la thèse de l'intimée, les fouilles à nu comme celle à laquelle l'appelante a été assujettie sont raisonnables dans le contexte du contrôle des marchandises qui entrent au pays. Le retard causé aux voyageurs qui doivent subir une fouille personnelle résulte de la progression raisonnable de l'empiétement sur l'intimité des fouilles effectuées aux douanes et, pour ce motif, ne constitue pas une détention au sens de l'art. 10 de la Charte.

26. Les tribunaux américains reconnaissent depuis longtemps que les situations rencontrées à la frontière constituent une exception à la protection générale contre les perquisitions et saisies déraisonnables accordée par le Quatrième amendement. Le premier congrès des États‑Unis a édicté en 1789 une loi sur les douanes exemptant les fouilles et perquisitions effectuées à la frontière de l'exigence d'un motif plausible (LaFave, Search and Seizure: A Treatise on the Fourth Amendment (2nd ed. 1987), vol. 3, à la p. 710). C'est ce même congrès qui, deux mois plus tard, a proposé l'adoption de la Déclaration américaine des droits comprenant le Quatrième amendement. Depuis l'adoption de cette première loi, les frontières américaines ont constamment été régies par une législation analogue.

27. La Cour suprême des États‑Unis n'a été appelée à se prononcer directement sur la constitutionnalité des dispositions relatives aux fouilles de la législation américaine sur les douanes qu'en 1977 dans l'affaire United States v. Ramsey, 431 U.S. 606 (1977), un litige ayant trait à l'examen du courrier international. Les tribunaux d'instance inférieure avaient toutefois maintenu de façon constante la validité des dispositions relatives aux douanes qui permettaient de procéder à des fouilles et à des perquisitions à la frontière sans avoir préalablement obtenu un mandat et établi l'existence d'un motif plausible (LaFave, op. cit., à la p. 712; voir United States v. Lincoln, 494 F.2d 833 (9th Cir. 1974), United States v. Chavarria, 493 F.2d 935 (5th Cir. 1974), United States v. King, 485 F.2d 353 (10th Cir. 1973), United States v. Beck, 483 F.2d 203 (3d Cir. 1973)). Des opinions incidentes contenues dans des arrêts de la Cour suprême font état d'une distinction entre les fouilles et perquisitions effectuées à l'intérieur des frontières nationales, qui étaient généralement assujetties aux exigences du mandat et du motif plausible inscrites au Quatrième amendement, et les fouilles et perquisitions effectuées à la frontière, qui n'étaient pas assujetties à de telles exigences. Dans l'arrêt Carroll v. United States, 267 U.S. 132 (1925), une affaire instruite à l'époque de la prohibition, la Cour suprême a succinctement énoncé la différence essentielle entre les fouilles et perquisitions effectuées à l'égard des personnes qui se présentent à la frontière pour entrer au pays et celles qui ont trait à des personnes qui se trouvent déjà au pays (aux pp. 153 et 154):

[TRADUCTION] Il serait intolérable et déraisonnable qu'un agent de la prohibition soit autorisé à arrêter chaque automobile pour le motif qu'il pourrait s'y trouver de l'alcool et, ainsi, à faire subir à toutes les personnes utilisant légalement les routes, les inconvénients et l'affront d'une telle perquisition. Les voyageurs peuvent être ainsi arrêtés en traversant une frontière internationale parce qu'il est raisonnable que le pays se protège lui‑même en exigeant que les personnes qui y entrent démontrent leur droit d'entrer au pays et que leurs effets sont des objets qui peuvent être introduits légalement au pays. Mais les personnes qui se trouvent légalement au pays [. . .] ont le droit de circuler librement, sans interruption ni perquisition ou fouille, à moins qu'un agent compétent habilité à effectuer une perquisition ou une fouille n'ait un motif plausible de croire que leur véhicule transporte de la contrebande ou des marchandises illégales. [Je souligne.]

L'arrêt Carroll a clairement indiqué que l'intérêt national qui réside dans la prévention de l'introduction de contrebande au pays rendait raisonnables des fouilles ou perquisitions qui, effectuées ailleurs qu'à la frontière, seraient déraisonnables ou abusives.

28. Dans l'affaire Ramsey, précitée, la Cour suprême a finalement été appelée à trancher une contestation, fondée sur le Quatrième amendement, des dispositions régissant les fouilles et perquisitions effectuées aux douanes. Le juge Rehnquist, s'exprimant au nom de la Cour, a assez longuement commenté le caractère particulier des fouilles et perquisitions effectuées aux douanes. Voici ce qu'il affirme, aux pp. 616 et 617:

[TRADUCTION] Aujourd'hui, point n'est besoin de longue démonstration pour établir que les fouilles et perquisitions effectuées à la frontière, conformément au droit que possède depuis longtemps le souverain de se protéger en arrêtant et en examinant les personnes et les biens qui entrent dans ce pays, sont raisonnables du seul fait qu'elles sont pratiquées à la frontière. Le Congrès qui a proposé la Déclaration des droits, y compris le Quatrième amendement, aux législatures des États le 25 septembre 1789, 1 Stat. 97, avait, environ deux mois avant la présentation de cette proposition, édicté la première loi sur les douanes, Loi du 31 juillet 1789, chap. 5, 1 Stat. 29. L'article 24 de cette Loi accordait aux agents des douanes «pleins pouvoirs» pour perquisitionner «tout bateau ou navire dans lequel ils ont des motifs de soupçonner que sont dissimulés des effets, des articles ou des marchandises sujets à la douane . . .» La reconnaissance de pleins pouvoirs aux agents des douanes était distinguée du pouvoir plus limité d'effectuer une perquisition dans «une maison d'habitation, un magasin ou un édifice particuliers ou quelque autre endroit . . .» lorsqu'un mandat fondé sur «un motif de soupçonner» était exigé. À notre avis, il ne fait pas de doute que le fait que cette loi sur les douanes a été édictée par le même Congrès qui avait proposé l'adoption du Quatrième amendement a son importance sur le plan historique.

Après avoir examiné d'autres arrêts de la Cour suprême des États‑Unis dans lesquels des situations rencontrées à la frontière avaient été mentionnées, le juge Rehnquist est arrivé à la conclusion suivante au sujet de la validité des fouilles et perquisitions effectuées à la frontière (à la p. 619):

[TRADUCTION] Alors, dès avant l'adoption du Quatrième amendement, les fouilles et perquisitions pratiquées à la frontière étaient considérées comme "raisonnables" du simple fait que la personne ou l'article qui était entré dans notre pays venait de l'extérieur. Il n'y a jamais eu d'exigence additionnelle voulant que le caractère raisonnable d'une fouille ou perquisition effectuée à la frontière dépende de l'existence d'un motif plausible. Historiquement, cette reconnaissance du principe que les fouilles ou perquisitions effectuées à nos frontières sans motif plausible et sans mandat sont néanmoins "raisonnables" remonte aussi loin que le Quatrième amendement lui‑même. Nous la confirmons à présent.

29. Bien qu'évidemment nous devions hésiter à adopter des interprétations américaines qui ne sont pas en harmonie avec le régime d'interprétation de notre Constitution, les tribunaux américains bénéficient d'une expérience de deux cents ans en matière d'interprétation constitutionnelle. Les tribunaux de notre pays peuvent puiser certaines lignes directrices à même cette riche expérience.

30. Il est, à mon avis, significatif que la jurisprudence et la doctrine semblent distinguer trois types de fouilles à la frontière. Premièrement, il y a l'interrogatoire de routine auquel est soumis chaque voyageur à un port d'entrée, lequel est suivi dans certains cas d'une fouille des bagages et peut‑être même d'une fouille par palpation des vêtements extérieurs. Il n'y a rien d'infamant à être l'un des milliers de voyageurs qui font, chaque jour, l'objet de ce type de contrôle de routine à leur entrée au Canada et aucune question constitutionnelle n'est soulevée à cet égard. Il serait absurde de laisser entendre qu'une personne qui se trouve dans une telle situation est détenue au sens constitutionnel du terme et a le droit, en conséquence, d'être informée de son droit à l'assistance d'un avocat. Le second type de fouille effectuée à la frontière est la fouille à nu comme celle à laquelle a été soumise l'appelante en l'espèce. Cette fouille est effectuée dans une pièce fermée, après un examen secondaire et avec la permission d'un agent des douanes occupant un poste d'autorité. Le troisième type de fouille, celui qui comporte l'empiétement le plus poussé, est parfois appelé examen des cavités corporelles; pour ce genre de fouille, les agents des douanes ont recours à des médecins, à des rayons X, à des émétiques, ainsi qu'à d'autres moyens comportant un empiétement des plus poussés.

31. Je tiens à établir clairement que chacun de ces différents types de fouille soulève des questions distinctes. Nous avons ici affaire aux fouilles du second type et mon propos ne concerne que les fouilles de cette catégorie. Les fouilles de la troisième catégorie ou examen des cavités corporelles peuvent soulever des questions constitutionnelles entièrement différentes puisqu'il est évident que plus l'empiétement sur la vie privée est important, plus sa justification et le degré de protection constitutionnelle accordée doivent être importants. J'aborde maintenant les demandes fondées sur la Charte que l'appelante a présentées en l'espèce.

V

L'article 10 de la Charte

32. La première question à trancher dans le cadre du présent pourvoi est de savoir si l'appelante était détenue au sens de l'art. 10 de la Charte lorsqu'on l'a obligée à subir une fouille à nu aux douanes. Comme je l'ai noté, l'al. 10b) porte que chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention, d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit. Si l'appelante a été détenue, son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat a alors été violé puisqu'elle n'en a été informée qu'après la découverte des stupéfiants.

33. Dans l'arrêt R. c. Therens, précité, cette Cour a examiné le sens du terme "détention" dans le contexte d'une demande de subir l'alcootest faite par un agent de police conformément à l'ancien art. 235 du Code criminel. Le juge Le Dain a fait les observations suivantes, auxquelles ont souscrit tous les membres de la Cour, aux pp. 641 et 642:

L'article 10 de la Charte vise à assurer que, dans certaines situations, une personne soit informée de son droit à l'assistance d'un avocat et qu'elle puisse obtenir cette assistance sans délai. Il est évident que les cas (l'arrestation et la détention) mentionnés expressément à l'art. 10 ne sont pas les seuls où une personne peut avoir raisonnablement besoin de l'assistance d'un avocat, mais qu'il s'agit de situations où l'entrave à la liberté pourrait, par ailleurs, avoir pour effet de rendre impossible l'accès à un avocat ou d'amener une personne à conclure qu'elle n'est pas en mesure d'avoir recours à l'assistance d'un avocat. En utilisant le mot "détention", l'art. 10 de la Charte vise une entrave à la liberté autre qu'une arrestation par suite de laquelle une personne peut raisonnablement avoir besoin de l'assistance d'un avocat, mais pourrait, en l'absence de cette garantie constitutionnelle, être empêchée d'y avoir recours sans délai.

Outre le cas où il y a privation de liberté par contrainte physique, j'estime qu'il y a détention au sens de l'art. 10 de la Charte lorsqu'un policier ou un autre agent de l'État restreint la liberté d'action d'une personne au moyen d'une sommation ou d'un ordre qui peut entraîner des conséquences sérieuses sur le plan juridique et qui a pour effet d'empêcher l'accès à un avocat.

Il ressort des propos qui précèdent que le droit à un avocat devient applicable à l'égard de quelque chose de moins qu'une arrestation formelle. Cette Cour a récemment confirmé cette définition de la détention dans l'arrêt R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621, ainsi que dans l'arrêt R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640.

34. L'avocat de la poursuite a soutenu devant cette Cour que la définition de la détention énoncée dans l'arrêt Therens n'était pas appropriée aux circonstances d'une fouille pratiquée à la frontière. La prétention de la poursuite était que la liberté des voyageurs est assujettie à des contraintes physiques qui peuvent entraîner des conséquences juridiques importantes dès que ces voyageurs arrivent à la frontière et demandent à entrer au Canada; le mot "détention" ne devrait pas être interprété de façon à comprendre la procédure ordinaire d'empiétement croissant sur la vie privée, suivie relativement aux fouilles et perquisitions pratiquées à la frontière pour découvrir de la contrebande. Les fouilles à nu relèvent de cette procédure de routine. Il n'y aurait détention au sens de l'art. 10 de la Charte qu'à partir du moment où un mandataire de l'État restreint la liberté d'une personne en lui imposant une contrainte dépassant les contraintes normalement imposées pour s'assurer que cette personne ou ses effets sont légalement admissibles. Selon la prétention de l'avocat de la poursuite, ce niveau de contrainte n'a pas été atteint en l'espèce.

35. Seul un petit nombre de tribunaux d'instance inférieure ont examiné la question de la détention dans le contexte des fouilles et perquisitions pratiquées aux douanes. Dans l'arrêt R. v. Rodenbush and Rodenbush (1985), 21 C.C.C. (3d) 423 (C.A.C.‑B.), la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a conclu en se fondant sur l'arrêt Therens, précité, que les personnes requises d'attendre dans une salle d'inspection pendant la vérification de leurs bagages dans une autre pièce étaient détenues. Dans l'affaire Rodenbush, les accusés, un couple marié, avaient fait l'objet d'une surveillance policière pendant leur séjour à Seattle. Avant l'arrivée de ce couple à la frontière canadienne, les autorités américaines chargées d'appliquer la législation sur les drogues ont prévenu les autorités canadiennes des douanes de son arrivée imminente à la frontière. Lorsqu'ils sont arrivés aux douanes, les accusés ont déclaré des achats de vêtements d'une valeur d'environ 70 $ et ont été renvoyés aux bureaux de la douane pour payer les droits exigibles. L'agent à qui les accusés ont acquitté ces droits a demandé à inspecter leur auto. Deux valises que les accusés avaient reçues à Seattle alors qu'ils étaient surveillés se trouvaient à l'arrière de l'automobile. L'agent a retiré ces valises et les a ouvertes. Il a alors remarqué la présence de rainures profondes sur certains des rivets situés à l'intérieur de l'une des valises. L'agent des douanes a indiqué qu'il avait l'intention de procéder à une inspection plus poussée de ces deux valises, et il les a emportées dans une salle d'inspection pour les remettre à d'autres inspecteurs. Cet agent a alors conduit les accusés dans une seconde salle d'inspection où il a attendu avec eux les résultats de l'inspection de leurs bagages. La fouille des valises a permis de découvrir 4,22 kilogrammes de cocaïne pure à 76 pour 100 d'une valeur de 1,6 million de dollars sur le marché noir.

36. En attendant le résultat de la fouille des bagages, l'inspecteur a tenu une conversation avec les accusés. Lorsque la cocaïne a été trouvée, un surintendant des douanes a avisé l'inspecteur de cette découverte et lui a demandé d'interroger les accusés au sujet des valises. Les accusés ont fait une fausse déclaration concernant l'endroit où ils avaient fait l'acquisition de ces valises. L'inspecteur les a alors informés de la découverte de la cocaïne et les a mis aux arrêts. La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a conclu que les accusés étaient détenus au sens de l'art. 10 de la Charte au moment où l'agent des douanes leur avait demandé d'entrer dans une salle d'interrogation séparée.

37. La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a examiné la question de la détention dans le contexte des douanes à deux autres reprises. Dans l'affaire R. c. Jacoy (jugement rendu aujourd'hui), l'accusé avait été placé sous surveillance policière en raison de sa participation au trafic des drogues. Pendant qu'il se dirigeait de Seattle vers le nord et la frontière canadienne, la GRC a communiqué avec les autorités douanières et leur a suggéré d'arrêter l'accusé pour lui faire subir une fouille de routine. L'accusé ne devait pas savoir que les douanes nourrissaient des soupçons à son sujet. Le juge Cronin de la Cour provinciale (motifs inédits) a conclu que Jacoy avait été détenu à partir du moment où il avait été immobilisé à la frontière. Appliquant les dispositions du par. 24(2) de la Charte, il a écarté les stupéfiants pour le motif qu'il y avait eu violation de l'al. 10b), et il a acquitté l'accusé. Cette décision a été infirmée pour d'autres motifs par la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (publié à (1986), 30 C.C.C. (3d) 9), et l'affaire a été débattue devant nous le même jour que le présent pourvoi. Dans l'arrêt R. v. Gladstone (1985), 22 C.C.C. (3d) 151 (C.A.C.‑B.), la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a tenu pour acquis, sans trancher la question, qu'un accusé assujetti à une fouille à nu avait été détenu au sens de l'art. 10 de la Charte.

38. À mon avis, l'appelante était détenue lorsqu'elle a été contrainte de subir une fouille à nu conformément à l'art. 143 de la Loi sur les douanes. Cette conclusion est compatible à la fois avec le sens donné au mot "détention" dans la langue populaire et avec la définition énoncée par le juge Le Dain dans l'arrêt Therens, précité. Lorsque l'agent des douanes l'a avisée qu'elle allait subir une fouille, l'appelante n'était pas en mesure de lui opposer un refus et de poursuivre sa route. L'agent des douanes a déposé qu'elle aurait averti la GRC si l'appelante avait tenté de quitter les lieux. De plus, aux termes de l'art. 203 de la Loi sur les douanes, constitue une infraction le fait de résister aux perquisitions sur la personne autorisées par la Loi sur les douanes. Au moment de la fouille, l'appelante était nettement assujettie à une contrainte extérieure. L'agent des douanes avait restreint sa liberté d'action au moyen d'une sommation qui entraînait des conséquences sérieuses sur le plan juridique.

39. Je ne suis pas convaincu par l'argument que la poursuite nous a soumis, selon lequel si la fouille à nu constitue une détention alors tous les voyageurs qui passent aux douanes doivent être considérés comme détenus et, par conséquent, avoir droit à un avocat. Dans l'arrêt Therens, précité, le juge Le Dain a affirmé que ce ne sont pas tous les rapports avec des agents de police ou d'autres autorités de l'État qui constituent une détention au sens de l'al. 10b) de la Charte. Cette déclaration vaut également à l'égard de la situation rencontrée aux douanes. Je ne doute guère que l'interrogatoire de routine auquel procèdent les agents des douanes à la frontière ou la fouille ordinaire des bagages pratiquée au hasard ne constituent pas une détention aux fins de l'art. 10. Il ne fait toutefois aucun doute qu'une personne à qui l'on cesse d'appliquer la procédure normale et que l'on force à subir une fouille à nu est détenue au sens de l'art. 10.

40. L'avocat de la poursuite a soutenu que, même si l'appelante avait été détenue, ce ne sont pas toutes les détentions qui exigent l'application de l'ensemble des droits énumérés à l'art. 10 de la Charte; la détention en l'espèce ne fait pas naître de droit à l'assistance d'un avocat puisqu'il ne servirait à rien d'accorder ce droit à une personne sur le point d'être fouillée. Je ne suis pas d'accord avec cette prétention. Si on lui avait accordé le droit de consulter un avocat, ce dernier aurait pu informer l'appelante du droit que lui conférait l'art. 144 de la Loi sur les douanes d'exiger que la fouille soit autorisée par une instance supérieure. Il est inutile de faire des conjectures sur ce qui aurait alors pu arriver. À mon avis, il est faux de prétendre que l'intervention d'un avocat aurait été inutile dans une telle situation.

41. Je suis donc d'avis que l'appelante était détenue lorsqu'elle est entrée dans la salle destinée aux fouilles et qu'elle aurait alors dû être informée de son droit à l'assistance d'un avocat.

VI

L'article 8 de la Charte

42. Le second point litigieux soulevé dans ce pourvoi concerne la constitutionnalité des anciens art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes. Il faudrait noter dès le départ que l'appelante n'allègue pas que la fouille dont elle a fait l'objet était contraire aux dispositions des art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes. Elle fait plutôt valoir que les dispositions de cette loi ayant trait aux fouilles personnelles ne sont pas conformes à la Charte. L'avocat de l'appelante a soutenu que ces articles violent le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, enchâssé à l'art. 8 de la Charte, parce qu'ils ne sont pas conformes aux critères que cette Cour a établis dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc. La poursuite a reconnu que les articles en question ne satisfont pas aux normes énoncées dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., mais elle a prétendu que ces normes sont inapplicables à la situation qui existe aux douanes.

43. Dans l'affaire Hunter c. Southam Inc., la Cour s'est penchée sur la validité de certains articles de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C‑23, au regard de l'art. 8 de la Charte. En vertu des dispositions de cette loi relatives aux fouilles et aux perquisitions, les fonctionnaires chargés des enquêtes sur les coalitions pouvaient obtenir l'autorisation de perquisitionner dans les lieux où le directeur des enquêtes croyait qu'il pouvait exister des éléments de preuve pertinents à une enquête tenue conformément à la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Cette Cour a statué que les articles en question violaient le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Elle a aussi reconnu que l'art. 8 avait pour objet de limiter les pouvoirs préexistants du gouvernement en matière de fouilles et de perquisitions. La Charte ne protège pas les particuliers contre toutes les fouilles et toutes les perquisitions, mais seulement contre celles réputées abusives. La question principale qui se posait dans ce pourvoi consistait à déterminer comment il fallait procéder pour déterminer si les dispositions de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions en matière de fouilles et de perquisitions étaient raisonnables. La même question se pose maintenant à cette Cour relativement à la Loi sur les douanes.

44. Cette Cour a fixé, dans l'arrêt Hunter, trois critères auxquels doivent satisfaire les fouilles ou perquisitions raisonnables. Tout d'abord, dans la mesure du possible, il doit y avoir autorisation préalable de la fouille ou de la perquisition, ce qui écarte d'emblée la possibilité de fouilles ou de perquisitions injustifiées. La Cour a reconnu qu'il ne serait peut‑être pas raisonnable dans tous les cas d'insister sur l'obtention d'une autorisation préalable, mais elle a statué que, lorsqu'elle pouvait être obtenue, cette autorisation était une condition préalable d'une fouille ou perquisition raisonnable. Ensuite, il n'est pas nécessaire que la personne qui autorise la fouille ou la perquisition soit un juge, mais elle doit tout de même être en mesure d'agir de façon judiciaire. Elle doit être capable d'apprécier, d'une manière neutre et impartiale, si la preuve offerte justifie la fouille ou la perquisition. Finalement, il doit exister des motifs raisonnables et probables, établis sous serment, de croire qu'une infraction a été commise et que des éléments de preuve de cette infraction se trouvent à un endroit particulier. La Cour a reconnu que ce critère pourrait être différent "[s]i le droit de l'État ne consistait pas simplement à appliquer la loi comme, par exemple, lorsque la sécurité de l'État est en cause, ou si le droit du particulier ne correspondait pas simplement à [d]es attentes en matière de vie privée comme, par exemple, lorsque la fouille ou la perquisition menace [l']intégrité physique" (p. 168).

45. Il est clair qu'en l'espèce les critères énoncés dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc. n'ont pas été respectés. Les articles 143 et 144 n'exigent pas que les fouilles personnelles aient été autorisées préalablement par une personne agissant de façon judiciaire. Le critère selon lequel une fouille ou perquisition peut être effectuée en vertu de ces dispositions, savoir qu'il y ait raisonnablement lieu de supposer l'existence d'une infraction, est moins strict que l'existence de motifs raisonnables et probables, établie sous serment, exigée dans l'arrêt Hunter. Aucun mandat n'est exigé. La question sur laquelle doit se pencher la Cour consiste à savoir si la fouille à nu de personnes qui cherchent à entrer dans notre pays est raisonnable, au sens de l'art. 8 de la Charte, même si elle ne respecte pas les critères établis dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc.

46. La poursuite a pressé cette Cour d'accepter la proposition que la situation aux douanes est inhabituelle, et que, par conséquent, les exigences posées dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc. ne devraient pas s'appliquer aux fouilles exécutées à la frontière. La Cour d'appel de l'Ontario a accepté cet argument. Cette cour a statué qu'il n'est pas abusif pour des États souverains de retenir temporairement les personnes qui pénètrent dans leur territoire, et qu'il n'est pas non plus abusif de les soumettre à une fouille personnelle pour déterminer si elles apportent avec elles de la contrebande. La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a aussi accepté ce point de vue dans l'arrêt R. v. Jordan (1984), 11 C.C.C. (3d) 565 (C.A.C.‑B.) Dans cette affaire, l'accusé avait dû subir une fouille à nu à son retour d'Asie, un dénonciateur ayant prévenu qu'il transporterait des drogues illicites. La cour a rejeté la contestation fondée sur l'art. 8 de la Charte, que l'accusé dirigeait contre la validité des art. 143 et 144, et elle a conclu que le critère du caractère raisonnable d'une fouille est beaucoup moins strict à l'égard des fouilles effectuées à la frontière. La cour a expressément adopté la façon américaine d'aborder le caractère raisonnable des fouilles effectuées aux douanes.

47. La Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse est arrivée à la conclusion contraire dans l'arrêt R. v. Jagodic and Vajagic (1985), 19 C.C.C. (3d) 305 (C.S.N.‑É.D.P.I.) Cette affaire concernait la constitutionnalité de l'art. 133 de l'ancienne Loi sur les douanes qui permettait à tout receveur ou juge de paix, sur dénonciation, d'ouvrir et d'examiner tout colis soupçonné de contenir des biens prohibés ou des effets de contrebande importés au pays. Alertés par les autorités américaines, les agents des douanes et la GRC avaient fouillé une voiture importée d'Allemagne par Jagodic lorsque celle‑ci était arrivée à East Passage (Nouvelle‑Écosse). On avait alors découvert, à l'intérieur des portières de la voiture, sept sacs de cocaïne. Le juge MacIntosh a statué que l'arrêt Hunter c. Southam Inc. avait établi un critère minimal applicable à toutes les fouilles qui était compatible avec l'art. 8 de la Charte, et il a conclu en conséquence que l'art. 133 violait l'art. 8. Cependant, le juge a déclaré valide la fouille de la voiture même si elle avait été effectuée sans mandat puisqu'il n'était pas possible d'obtenir un mandat dans les circonstances. Bien que sa conclusion que les droits de l'accusé n'avaient pas été violés ait rendu inutile une analyse de l'admissibilité de la preuve, le juge MacIntosh a tout de même étudié cette question de l'admissibilité au regard du par. 24(2) de la Charte. Il s'est dit d'avis que l'utilisation des éléments de preuve obtenus n'était pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

48. L'argument selon lequel les fouilles effectuées aux douanes n'ont pas à respecter le critère énoncé dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc. se fonde sur la thèse voulant que le caractère raisonnable d'une fouille dépende des circonstances dans lesquelles celle‑ci se déroule, et que les fouilles qui seraient normalement abusives dans d'autres circonstances ne le sont pas aux douanes. Selon cet argument, le caractère raisonnable d'une fouille ne peut pas s'apprécier uniquement en fonction de la conduite qui a incité à l'exécuter, de l'exécution de la fouille elle‑même et de l'importance de l'immixtion dans la vie privée qu'elle a comportée. Ces facteurs doivent être évalués en fonction du contexte dans lequel se déroule la fouille, pour obtenir une juste appréciation du caractère raisonnable de cette dernière.

49. La poursuite trouve dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc. un appui à sa thèse selon laquelle il faut tenir compte du contexte dans lequel se déroule une fouille ou une perquisition pour en apprécier le caractère raisonnable au sens de l'art. 8 de la Charte. Dans l'arrêt Hunter, la Cour a souligné que même si la protection offerte par la common law contre les fouilles et les perquisitions effectuées par le gouvernement se fonde sur le droit de toute personne à la jouissance de ses biens et est liée au droit applicable en matière d'intrusion, l'art. 8 est destiné à protéger un droit plus large à la protection de la vie privée. La Cour a fait observer que la Charte n'accordait cependant pas une protection illimitée au droit à la vie privée des particuliers (aux pp. 159 et 160):

La garantie de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ne vise qu'une attente raisonnable. Cette limitation du droit garanti par l'art. 8, qu'elle soit exprimée sous la forme négative, c'est‑à‑dire comme une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies "abusives", ou sous la forme positive comme le droit de s'attendre "raisonnablement" à la protection de la vie privée, indique qu'il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d'assurer l'application de la loi. [Les italiques sont de moi.]

La poursuite a fait valoir qu'en déterminant le caractère raisonnable d'une fouille ou d'une perquisition, il était essentiel d'examiner la mesure dans laquelle un particulier pourrait raisonnablement s'attendre à la protection de sa vie privée, compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles se déroule la fouille ou la perquisition. Aux douanes, une norme de caractère raisonnable différente serait justifiée pour deux raisons: les attentes en matière de vie privée des gens qui cherchent à entrer dans un pays sont moindres que dans la plupart des autres cas, et les États ont considérablement intérêt à empêcher que ne pénètrent dans leur territoire des personnes et des effets indésirables, ce qui justifie le recours à des procédures qui empiètent davantage sur la vie privée, particulièrement lorsque les effets en question sont des stupéfiants prohibés et non indigènes.

50. Il est vrai que la détermination du caractère raisonnable d'une fouille ou d'une perquisition doit dépendre dans une certaine mesure des circonstances dans lesquelles elle a lieu. À mon sens, toutefois, il serait erroné d'attacher une importance dominante aux circonstances qui entourent une fouille ou une perquisition lorsqu'il s'agit d'en établir le caractère raisonnable selon l'art. 8. Quelles que soient les contraintes inhérentes aux circonstances, les garanties énoncées dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc. ne devraient pas être écartées à la légère. En effet, bien que cet arrêt n'ait pas eu pour objet d'établir des conditions de validité immuables applicables à toutes les fouilles et perquisitions, la Cour a énoncé les trois exigences minimales d'autorisation préalable seulement après avoir examiné les valeurs que l'art. 8 vise à protéger. En tête de ces valeurs figure l'intérêt qu'il y a à empêcher les fouilles et les perquisitions injustifiées avant qu'elles ne se produisent. Il s'agit là d'une valeur fondamentale peu importe les contraintes imposées par les circonstances. Étant donné l'importance qu'il y a à prévenir les fouilles et les perquisitions injustifiées, les dérogations aux critères énoncés dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc. qui seront considérées raisonnables sont extrêmement rares.

51. Le point capital de l'argument de la poursuite est que le caractère raisonnable, au sens de l'art. 8, des fouilles effectuées à la frontière devrait s'apprécier différemment de celui des fouilles effectuées dans d'autres circonstances. La poursuite s'est largement appuyée sur les raisonnements articulés par la jurisprudence américaine pour affirmer que les formalités douanières constituent une exception générale à la protection ordinaire accordée en matière de fouilles, de perquisitions et de saisies. Le thème dominant que l'on retrouve dans ces arrêts est que les fouilles effectuées à la frontière sans autorisation préalable et fondées sur un critère moins strict que celui des motifs probables sont justifiées par l'intérêt qu'ont les États souverains à empêcher l'entrée dans leur territoire de personnes indésirables et de marchandises prohibées, et à protéger leurs revenus tarifaires. Ces intérêts nationaux importants, alliés au fait qu'aux frontières internationales les gens ont des attentes moindres en matière de vie privée, confèrent aux fouilles effectuées à la frontière un caractère raisonnable au sens du Quatrième amendement. À mon avis, les intérêts des États, énoncés dans la jurisprudence américaine, qui sont censés conférer aux fouilles effectuées à la frontière un caractère raisonnable, ne diffèrent pas en principe des intérêts nationaux qui sont en jeu dans le cadre des fouilles effectuées aux douanes canadiennes pour trouver des stupéfiants illégaux. La nécessité d'assurer sa propre protection devient un élément déterminant du calcul effectué.

52. J'accepte la proposition de la poursuite que les attentes raisonnables en matière de vie privée sont moindres aux douanes que dans la plupart des autres situations. En effet, les gens ne s'attendent pas à traverser les frontières internationales sans faire l'objet d'une vérification. Il est communément reconnu que les États souverains ont le droit de contrôler à la fois les personnes et les effets qui entrent dans leur territoire. On s'attend à ce que l'État joue ce rôle pour le bien‑être général de la nation. Or, s'il était incapable d'établir que tous ceux qui cherchent à traverser ses frontières ainsi que leurs effets peuvent légalement pénétrer dans son territoire, l'État ne pourrait pas remplir cette fonction éminemment importante. Conséquemment, les voyageurs qui cherchent à traverser des frontières internationales s'attendent parfaitement à faire l'objet d'un processus d'examen. Ce processus se caractérise par la production des pièces d'identité et des documents de voyage requis, et il implique une fouille qui commence par la déclaration de tous les effets apportés dans le pays concerné. L'examen des bagages et des personnes est un aspect accepté du processus de fouille lorsqu'il existe des motifs de soupçonner qu'une personne a fait une fausse déclaration et transporte avec elle des effets prohibés.

53. À mon sens, l'interrogatoire de routine auquel procèdent les agents des douanes, l'examen des bagages, la fouille par palpation et la nécessité de retirer en privé suffisamment de vêtements pour permettre l'examen des renflements corporels suspects, qui sont autorisés par les rédacteurs des art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes, ne sont pas abusifs au sens de l'art. 8. En vertu de la Loi sur les douanes, les fouilles personnelles ne sont pas systématiques, elles sont effectuées seulement lorsque les agents des douanes ont raisonnablement lieu de supposer qu'une personne cache sur elle de la contrebande. La décision de procéder à une fouille peut faire l'objet d'une révision à la demande de la personne qui doit être fouillée. Bien qu'à certains égards les fouilles personnelles puissent être gênantes, elles sont effectuées en privé dans des pièces destinées à cette fin, par des agents du même sexe que la personne fouillée. Dans ces conditions, exiger d'une personne qu'elle retire des vêtements jusqu'à ce que la présence ou l'absence d'objets cachés puisse être établie, ce n'est pas attenter à son intégrité physique d'une façon qui puisse être considérée abusive au sens de l'art. 8 de la Charte.

54. Je souligne également que selon les articles en question: (i) avant qu'une personne puisse être fouillée, le préposé ou la personne qui effectue la fouille doit avoir raisonnablement lieu de supposer que la personne qui subit cette fouille peut avoir, cachés sur elle, des effets sujets à déclaration en douane, ou des articles prohibés, et (ii) avant qu'une personne puisse être fouillée, elle a la faculté d'exiger que le préposé la conduise devant un magistrat de police, ou un juge de paix, ou devant le receveur ou le préposé en chef du port ou lieu. Si l'un ou l'autre des susdits constate qu'il n'y a pas de motifs plausibles d'effectuer une fouille, il renvoie cette personne.

55. Vu les problèmes que pose la répression du trafic illégal des stupéfiants et l'intérêt important qu'a le gouvernement à appliquer nos lois douanières, et étant donné que les attentes en matière de vie privée des gens sont moindres lorsqu'il s'agit de passer une frontière, j'estime que les art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes ne sont pas incompatibles avec l'art. 8 de la Charte.

56. Bien que je sois d'avis que les art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes ne sont pas abusifs et qu'ils ne contreviennent donc pas à l'art. 8 de la Charte, je ne suis pas convaincu que la fouille elle‑même s'est effectuée de manière raisonnable. L'avocat n'a pas soulevé ce point et, à proprement parler, il n'est pas nécessaire de l'aborder. Je tiens cependant à faire quelques observations sur la manière dont la fouille a été effectuée.

57. Les dispositions de la Loi sur les douanes relatives aux fouilles personnelles sont remarquables en ce qu'elles prévoient l'obtention d'une seconde autorisation avant d'accomplir la fouille. Cette seconde autorisation n'est pas de rigueur dans tous les cas, mais elle devient obligatoire lorsque la personne qui doit être fouillée la demande. La Loi sur les douanes n'impose aux agents des douanes aucune obligation d'informer les personnes qui doivent subir une fouille de leur droit d'obtenir une deuxième opinion. En fait, les agents des douanes n'ont pas à expliquer les limites des pouvoirs que leur confère la Loi sur les douanes ni à quelles sommations une personne détenue à la frontière est tenue d'obtempérer. En l'espèce, les agents des douanes n'ont pas lu à l'appelante les dispositions relatives aux fouilles personnelles. Ils lui ont simplement indiqué la présence sur le mur d'une affiche sur laquelle figurait le texte des art. 143 et 144. Il n'y a aucune preuve que l'appelante a lu ces dispositions et, encore moins, qu'elle les a comprises. Rien n'indique que l'appelante était au courant de son droit d'exiger une seconde autorisation. Ce qui est clair c'est que l'appelante n'était pas sûre des pouvoirs des agents. Bien qu'elle se soit rendue en tout temps à leurs sommations, à un moment donné au cours de la fouille elle a demandé si elle était vraiment tenue d'obtempérer.

58. Il ressort nettement de ce qui précède que le droit à l'assistance d'un avocat a un effet important sur l'exécution d'une fouille. Si l'appelante avait été informée de son droit à l'assistance d'un avocat au moment où elle était détenue, et si elle avait exercé ce droit, elle aurait alors bénéficié des conseils d'un avocat. Ce dernier aurait pu dissiper l'incertitude dans laquelle était plongée l'appelante quant à la procédure de fouille, en lui expliquant le contenu des art. 143 et 144 et en lui certifiant que les agents des douanes avaient le droit d'exiger qu'elle enlève ses vêtements. L'avocat aurait pu également s'assurer que l'on avait satisfait à la norme des motifs raisonnables de supposer fixée par la Loi et certifier à l'appelante qu'il existait des motifs légitimes de procéder à une fouille. À mon avis, il est impossible que la négation du droit de l'appelante d'avoir recours à l'assistance d'un avocat n'influe pas sur le caractère raisonnable de la fouille qu'on lui a fait subir par la suite.

59. Bien qu'on n'ait pas demandé à la Cour de trancher cette question, je suis d'avis que la négation du droit à l'assistance d'un avocat en l'espèce, conjuguée à l'omission d'expliquer à l'appelante ses droits en vertu de la Loi sur les douanes, a rendu la fouille abusive. La violation du droit à l'assistance d'un avocat a empêché l'appelante d'exercer un droit conféré par la Loi sur les douanes. Une fouille, qui n'aurait peut‑être pas eu lieu si l'appelante avait bénéficié des conseils d'un avocat, a été effectuée dans des circonstances où l'appelante ne connaissait pas ses droits. Selon moi, la violation du droit à l'assistance d'un avocat, conjuguée au droit conféré par la Loi d'exiger une autorisation préalable, a rendu l'exécution de la fouille abusive.

VII

L'article premier de la Charte

60. Comme j'ai déjà conclu qu'il y a eu violation du droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat conféré à l'appelante par l'al. 10b) de la Charte, la prochaine étape consisterait normalement à déterminer si cette violation peut se justifier en vertu de l'article premier. Je commence par souligner que la poursuite n'a fait aucune observation sur ce point.

61. La Loi sur les douanes n'impose aucune limite expresse au droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat. On n'a pas soutenu que la restriction du droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat s'impose par voie d'interprétation nécessaire de la loi. La restriction du droit de l'appelante d'avoir recours à l'assistance d'un avocat constituait une limite imposée non pas par une règle de droit, mais plutôt par les actes des agents des douanes. Je suis par conséquent d'avis que la violation des droits conférés à l'appelante par l'al. 10b) de la Charte n'est pas justifiée en vertu de l'article premier.

62. Je suis également d'avis que la violation des droits conférés à l'appelante par l'art. 8 n'était pas justifiée au sens de l'article premier de la Charte. Il y a eu violation de l'art. 8 parce que la fouille a été effectuée de manière abusive. Tout comme la violation de son droit à l'assistance d'un avocat, l'atteinte au droit de l'appelante à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives a découlé des actes posés par les agents des douanes. Il ne s'agissait pas d'une limite prescrite par une règle de droit.

VIII

Le paragraphe 24(2) de la Charte

63. La dernière question qui se pose dans ce pourvoi est de savoir si la preuve devrait être écartée en vertu du par. 24(2) de la Charte. Comme l'a noté le juge Lamer dans l'arrêt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, la Charte enchâsse un point de vue situé entre deux extrêmes en ce qui concerne la preuve obtenue en violation des droits qu'elle garantit. Le paragraphe 24(2) rejette la règle américaine qui écarte automatiquement la preuve obtenue en violation du Bill of Rights (voir, par exemple, les arrêts Weeks v. United States, 232 U.S. 383 (1914), et Mapp v. Ohio, 367 U.S. 643 (1961)). Il évite également le point de vue en common law selon lequel tout élément de preuve pertinent est admissible peu importe la façon dont il a pu être obtenu (voir l'arrêt R. c. Wray, [1971] R.C.S. 272). Les éléments de preuve peuvent être écartés en vertu du par. 24(2) s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Il incombe à la personne qui demande l'exclusion des éléments de preuve de persuader la Cour que, selon la prépondérance des probabilités, leur utilisation serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice aux yeux d'une personne raisonnable, "objecti[ve] et bien informé[e] de toutes les circonstances de l'affaire" (Collins, précité, à la p. 282).

64. Dans l'arrêt Collins, le juge Lamer a examiné attentivement les facteurs que la Cour doit soupeser pour déterminer si l'utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Il a classé ces facteurs en trois groupes selon leur effet sur la considération dont jouit l'administration de la justice. Le premier ensemble de facteurs comprend ceux qui se rapportent à l'équité du procès. Les éléments de preuve susceptibles de porter atteinte de quelque façon à l'équité du procès auraient tendance à déconsidérer l'administration de la justice et ils devraient généralement être écartés. Dans cette catégorie, le juge Lamer établit une distinction entre le genre d'éléments de preuve obtenus (aux pp. 284 et 285):

Selon moi, il est clair que les facteurs pertinents à l'égard de cette détermination comprennent la nature de la preuve obtenue par suite de la violation et la nature du droit violé, plutôt que la façon dont ce droit a été violé. Une preuve matérielle obtenue d'une manière contraire à la Charte sera rarement de ce seul fait une cause d'injustice. La preuve matérielle existe indépendamment de la violation de la Charte et son utilisation ne rend pas le procès inéquitable. Il en est toutefois bien autrement des cas où, à la suite d'une violation de la Charte, l'accusé est conscrit contre lui‑même au moyen d'une confession ou d'autres preuves émanant de lui. Puisque ces éléments de preuve n'existaient pas avant la violation, leur utilisation rendrait le procès inéquitable et constituerait une attaque contre l'un des principes fondamentaux d'un procès équitable, savoir le droit de ne pas avoir à témoigner contre soi‑même. Ce genre de preuve se trouvera généralement dans le contexte d'une violation du droit à l'assistance d'un avocat. C'est ce qu'illustrent nos arrêts Therens, précité, et Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383. L'utilisation d'une preuve auto‑incriminante obtenue dans le contexte de la négation du droit à l'assistance d'un avocat compromettra généralement le caractère équitable du procès même et elle doit en général être écartée.

65. Le second ensemble de facteurs à prendre en considération concerne la gravité de la violation de la Charte, appréciée en fonction de la conduite des autorités responsables de l'application de la loi. Dans cette catégorie, il y a lieu d'examiner si la violation a été commise de bonne foi, s'il s'agissait d'une simple irrégularité ou d'une violation intentionnelle et flagrante. Il convient aussi de déterminer si la violation a été motivée par une situation d'urgence ou par la crainte que des éléments de preuve ne soient détruits. Enfin, s'il avait été possible d'avoir recours à d'autres méthodes d'enquête ou d'obtenir la preuve d'une manière non contraire à la Charte, on aurait tendance à considérer la violation commise comme étant plus grave.

66. Le troisième ensemble de facteurs reconnaît la possibilité que l'administration de la justice soit déconsidérée par l'exclusion de la preuve en dépit du fait qu'elle a été obtenue d'une manière contraire à la Charte. La décision d'écarter des éléments de preuve met toujours en balance l'intérêt qu'il y a à découvrir la vérité d'une part, et l'intégrité du système judiciaire d'autre part. Dans certains cas, le préjudice causé à l'intégrité du système judiciaire par l'exclusion de la preuve sera si grand que ce sera l'exclusion et non l'utilisation de cette preuve qui aura pour effet de déconsidérer l'administration de la justice. Tel serait le cas si un élément de preuve nécessaire pour justifier l'accusation était écarté à cause d'une violation anodine de la Charte.

67. En l'espèce, il existait de nombreux [TRADUCTION] "faits objectifs et précis" (voir l'arrêt United States v. Guadalupe‑Garza, 421 F.2d 876 (9th Cir. 1970)) justifiant l'agent des douanes de soupçonner que l'appelante cachait quelque chose sur elle dans le but de l'importer illégalement au Canada. L'appelante était nerveuse, elle arrivait d'un pays considéré comme étant une importante source de drogues, ses pièces d'identité et l'histoire qui s'y rapportait étaient suspectes, et finalement, un renflement était évident dans la partie supérieure de son abdomen.

68. La preuve obtenue par suite de la fouille à nu était une preuve matérielle qui existait indépendamment des violations de la Charte. Comme l'a fait remarquer le juge Belzil dans l'arrêt R. v. Dumas (1985), 23 C.C.C. (3d) 366 (C.A. Alb.), à la p. 372:

[TRADUCTION] Ce que l'on cherche à exclure en l'espèce est une preuve matérielle préexistante que l'appelant s'efforçait de cacher pour empêcher sa détection et sa saisie légitime . . .

Contrairement à ce qui s'est passé dans l'affaire Therens, précitée, l'accusée en l'espèce n'était aucunement conscrite contre elle‑même. L'utilisation de la preuve en l'espèce, contrairement à la situation qui prévalait dans l'affaire Therens, n'aurait donc pas tendance à compromettre le caractère équitable du procès. Les agents des douanes ont agi de bonne foi, conformément à des formalités douanières acceptées. La négation des droits de l'appelante n'avait rien de délibéré ni de flagrant. Rien n'indique que les agents des douanes ont manqué de courtoisie envers l'appelante. En fait, la preuve révèle que les agents des douanes ont informé l'appelante du droit qu'elle avait de recourir à l'assistance d'un avocat dès qu'ils ont cru qu'il était nécessaire de le faire, et ils lui ont accordé la possibilité d'exercer ce droit. Cette Cour a statué dans les arrêts R. c. Sieben, [1987] 1 R.C.S. 295, et R. c. Hamill, [1987] 1 R.C.S. 301, que l'inconstitutionnalité d'un mandat de perquisition ne rend pas la preuve inadmissible si les agents de la paix qui ont procédé à la perquisition se sont fondés de bonne foi sur la constitutionnalité de la disposition qui les habilitait à agir. En l'espèce, les agents des douanes agissaient conformément à des exigences légales existantes. Les violations se sont produites peu après l'entrée en vigueur de la Charte et plusieurs années avant l'arrêt Therens de cette Cour, portant sur le sens du mot "détention" qui figure à l'al. 10b) de la Charte. Au moment où s'est déroulée la fouille en cause, l'arrêt Chromiak, précité, de cette Cour appuyait la proposition selon laquelle ce type de détention à des fins d'enquête ne constituait pas une détention exigeant que les personnes qui en font l'objet soient avisées de leur droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat.

69. Bien qu'à proprement parler les violations des droits conférés à l'appelante par l'al. 10b) et l'art. 8 n'aient pas été anodines, j'estime, pour les motifs donnés, qu'il s'agit d'un cas où la preuve devrait être admise. En effet, son exclusion aurait tendance à déconsidérer l'administration de la justice.

70. Je tiens d'ailleurs à souligner que les cinq juges de la Cour d'appel de l'Ontario, y compris le juge Tarnopolsky, étaient tous d'avis que l'utilisation de la preuve en question n'était pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

71. À mon sens, le juge de première instance a commis une erreur en écartant la preuve en application du par. 24(2). Je suis par conséquent d'avis de rejeter le pourvoi et de renvoyer l'affaire afin qu'un nouveau procès soit tenu. Je suis d'avis de répondre ainsi aux questions constitutionnelles:

1. La personne qui, à son entrée au Canada, se voit demander par un agent des douanes, conformément aux art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C‑40, de se soumettre à une fouille personnelle parce qu'on la soupçonne de cacher de la contrebande sur elle, est‑elle détenue au sens de l'art. 10 de la Charte canadienne des droits et libertés, ce qui imposerait que cette personne soit informée de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat?

Réponse: Oui.

2. Les articles 143 et 144 de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C‑40, sont‑ils incompatibles avec le droit d'une personne à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives garanti par l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, inopérants dans la mesure de cette incompatibilité?

Réponse: Non.

3. Si l'omission d'informer une personne fouillée conformément aux art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C‑40, de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat viole l'art. 10 de la Charte canadienne des droits et libertés, cette violation est‑elle justifiée par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

Réponse: Non.

4. Si les articles 143 et 144 de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C‑40, sont jugés incompatibles avec l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, ces articles sont‑ils justifiés par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

Réponse: Il n'est pas nécessaire de répondre à la quatrième question.

Version française des motifs des juges McIntyre et L'Heureux‑Dubé rendus par

72. Le juge L'Heureux‑Dubé—J'ai pris connaissance des motifs du Juge en chef et, avec déférence, je ne puis souscrire à sa conclusion sur la première question que pose ce pourvoi.

73. La première question constitutionnelle est ainsi rédigée:

1. La personne qui, à son entrée au Canada, se voit demander par un agent des douanes, conformément aux art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C‑40, de se soumettre à une fouille personnelle parce qu'on la soupçonne de cacher de la contrebande sur elle, est‑elle détenue au sens de l'art. 10 de la Charte canadienne des droits et libertés, ce qui imposerait que cette personne soit informée de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat?

74. J'estime que la réponse à cette question doit être négative.

75. Le Juge en chef a abordé les questions ici en litige en établissant une distinction entre trois types de fouilles effectuées à la frontière. Il a déterminé que les faits en l'espèce relèvent du second type:

Le second type de fouille effectuée à la frontière est la fouille à nu comme celle à laquelle a été soumise l'appelante en l'espèce. Cette fouille est effectuée dans une pièce fermée, après un examen secondaire et avec la permission d'un agent des douanes occupant un poste d'autorité.

76. Le Juge en chef a limité ses remarques à cette seconde catégorie. Selon lui, la détention dans ces circonstances constitue une détention au sens de l'al. 10b) de la Charte. Je dois dire dès le départ que j'ai de sérieuses réserves sur l'utilité de ces catégories dans l'examen de la question qui nous est soumise. Toutefois, aux fins des présentes, je restreindrai mon opinion à la seconde catégorie telle que décrite par le Juge en chef.

77. Je ne saurais partager l'opinion du Juge en chef sur l'applicabilité de l'al. 10b) en l'espèce. Le juge Le Dain de cette Cour a défini le mot "détention" aux fins de l'al. 10b), dans l'arrêt R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, aux pp. 641 et 642:

L'article 10 de la Charte vise à assurer que, dans certaines situations, une personne soit informée de son droit à l'assistance d'un avocat et qu'elle puisse obtenir cette assistance sans délai. Il est évident que les cas (l'arrestation et la détention) mentionnés expressément à l'art. 10 ne sont pas les seuls où une personne peut avoir raisonnablement besoin de l'assistance d'un avocat, mais qu'il s'agit de situations où l'entrave à la liberté pourrait, par ailleurs, avoir pour effet de rendre impossible l'accès à un avocat ou d'amener une personne à conclure qu'elle n'est pas en mesure d'avoir recours à l'assistance d'un avocat. En utilisant le mot "détention", l'art. 10 de la Charte vise une entrave à la liberté autre qu'une arrestation par suite de laquelle une personne peut raisonnablement avoir besoin de l'assistance d'un avocat, mais pourrait, en l'absence de cette garantie constitutionnelle, être empêchée d'y avoir recours sans délai.

Outre le cas où il y a privation de liberté par contrainte physique, j'estime qu'il y a détention au sens de l'art. 10 de la Charte lorsqu'un policier ou un autre agent de l'État restreint la liberté d'action d'une personne au moyen d'une sommation ou d'un ordre qui peut entraîner des conséquences sérieuses sur le plan juridique et qui a pour effet d'empêcher l'accès à un avocat.

78. En toute déférence pour l'opinion contraire, je ne puis accepter la proposition que cette définition a une portée aussi étendue qu'elle aille jusqu'à s'appliquer aux fouilles effectuées par un agent des douanes qui procède aux formalités habituelles, comprises dans la seconde catégorie énoncée par le Juge en chef, afin d'empêcher l'importation illégale de marchandises et de substances au Canada.

79. En considérant la question de la détention, il y a lieu de distinguer entre une fouille effectuée au Canada et une autre qui a lieu lorsqu'un individu tente d'entrer au pays. Les personnes qui entrent au Canada, qu'il s'agisse ou non de citoyens, sont placées dans une situation juridique unique à leur point d'entrée au pays.

80. Comme l'a noté le juge en chef Howland de l'Ontario, les personnes qui se présentent à la frontière sont assujetties dès le départ à une forme de contrainte, en ce sens qu'il ne leur sera pas permis d'entrer au pays tant que les fonctionnaires de l'immigration et des douanes ne seront pas convaincus qu'elles ont le droit de le faire et que les marchandises et les substances qu'elles ont en leur possession peuvent être légalement importées au Canada. La forme la plus commune de cette contrainte est "l'interrogatoire de routine" qui relève de la première catégorie mentionnée par le Juge en chef. Selon le Juge en chef, la Charte n'a pas d'application dans ces circonstances. Là où je diverge d'opinion avec le Juge en chef, c'est lorsqu'il s'agit de déterminer où on doit tirer la ligne une fois cette première étape passée. Une fouille plus poussée de la personne du voyageur qui entre au pays fait nécessairement partie des formalités d'inspection habituelles à la frontière lorsqu'il y a, comme le prévoit l'art. 143 de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C‑40, "raisonnablement lieu de supposer que la personne qui subit la visite peut avoir, cachés sur elle, des effets sujets à déclaration en douane, ou des articles prohibés". Comme l'écrit le juge en chef Howland (1984), 7 D.L.R. (4th) 719, aux pp. 740 et 741:

[TRADUCTION] Celui ou celle qui éveille des soupçons raisonnables en donnant l'impression de dissimuler quelque chose sur sa personne doit s'attendre à ce qu'on lui demande de se dévêtir suffisamment pour confirmer ou infirmer les soupçons suscités.

81. La personne tenue de subir une fouille à nu dans ces circonstances n'est pas détenue au sens de l'al. 10b) de la Charte.

82. Le sens véritable du mot "détention" doit découler de la Charte, de son but, de son intention. À mon avis, la définition donnée dans l'arrêt Therens serait excessivement large si on entendait l'appliquer à des situations comme celles rencontrées à la frontière. Le droit à l'assistance d'un avocat vise principalement à empêcher un accusé ou une personne détenue de s'incriminer. Ce droit vise donc surtout à prévenir les aveux faits par ignorance ou obtenus par contrainte. Dans de telles circonstances, la personne accusée fabriquerait des éléments de preuve contre elle‑même. C'est là un résultat que, par souci d'équité, le droit à l'assistance d'un avocat cherche à éviter. Toutefois, la fouille aux douanes a lieu dans des circonstances où la personne qui en fait l'objet n'est pas en mesure de fabriquer des éléments de preuve. Elle n'est pas interrogée; elle est simplement fouillée, tout comme quelqu'un est fouillé avant de monter à bord d'un vol commercial d'une compagnie aérienne canadienne. Le "droit à l'assistance d'un avocat" revêt une signification moindre dans ces circonstances. L'affaire Therens illustre un tout autre objectif du droit à l'assistance d'un avocat. Dans cette affaire, un choix s'offrait à la personne détenue: elle pouvait se soumettre à l'alcootest et fabriquer contre elle un élément de preuve ou elle pouvait refuser de se soumettre à l'alcootest et s'exposer de ce fait à des sanctions criminelles. Dans de telles circonstances, la présence d'un avocat aurait été nécessaire pour informer la personne détenue de ses droits à l'égard des deux lignes de conduite possibles et pour la conseiller sur la meilleure option. Ce genre de situation ne se présente toutefois pas dans le cadre d'une fouille à la frontière, bien que la personne qui fait l'objet de la fouille puisse en "appeler" auprès d'autorités douanières supérieures, conformément aux art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes, dont l'appelante a été amenée à prendre connaissance.

83. Peter Michalyshyn, dans un article intitulé "The Charter Right to Counsel: Beyond Miranda" (1987), 25 Alta. L. Rev. 190, traite de l'objectif du droit à l'assistance d'un avocat. À la page 191 de son article, il cite un extrait des motifs rédigés par le juge Wilson dans l'affaire Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383:

[TRADUCTION] Dans l'arrêt Clarkson c. La Reine, le juge Wilson a dit que "Ce droit enchâssé à l'al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés vise manifestement à promouvoir le principe de l'équité dans le processus décisionnel", et plus loin, que "Le but de ce droit est . . ., comme l'ont indiqué tous les juges de cette Cour qui ont rédigé des motifs dans l'arrêt Therens, précité, d'assurer que l'accusé est traité équitablement dans les procédures criminelles."

84. Une fouille effectuée à la frontière fait partie non pas du processus criminel, mais plutôt des formalités d'entrée au pays. La personne fouillée aurait certes droit à l'assistance d'un avocat si elle était placée sous garde dans le cadre de procédures criminelles.

85. Michalyshyn compare aussi le droit conféré par l'al. 10b) au droit semblable qui existe aux États‑Unis (à la p. 191):

[TRADUCTION] [A]ux États‑Unis, c'est le droit à l'assistance d'un avocat qui garantit que la personne faisant face à un interrogatoire sous garde (au Canada, on parlerait d'arrestation ou de détention) doit être informée de ses droits de façon à "décider librement et de façon rationnelle si elle va s'auto‑incriminer." Bref, le droit à l'assistance d'un avocat garantit, dans certaines circonstances bien précises, le droit de l'individu contre l'auto‑incrimination.

86. À partir de ce genre d'analyse, il est possible d'établir une distinction entre les deux genres de situations. En matière de fouilles à la frontière, la question qui se pose n'en est pas une d'auto‑incrimination. La personne soumise à la fouille ne fait pas face à un "interrogatoire sous garde". À mon sens, le droit à l'assistance d'un avocat vise principalement ce genre de situation.

87. Par conséquent, compte tenu de l'objet du droit à l'assistance d'un avocat, il est clair que l'al. 10b) ne s'applique pas aux fouilles effectuées à la frontière. La personne tenue de se soumettre à une fouille à nu dans ces circonstances n'est pas détenue au sens de l'al. 10b) de la Charte.

88. Je ne suggère toutefois pas que le droit à l'assistance d'un avocat ne peut jamais exister dans le cas d'une fouille effectuée à un point d'entrée au pays. La protection assurée par la Charte contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives et le droit à l'assistance d'un avocat s'appliqueront si l'objet de la détention, de l'interrogatoire ou de la fouille ou perquisition se situe dans le cadre de procédures criminelles, par opposition aux formalités d'entrée au pays. Mais les personnes qui se présentent aux douanes ont, en choisissant de voyager à l'étranger ou en cherchant à entrer au pays pour la première fois, choisi implicitement de se soumettre aux règles et aux formalités applicables à ceux qui quittent le pays ou qui y entrent. Ces personnes s'attendent à faire l'objet d'un examen plus ou moins poussé de leurs bagages et, dans certains cas, de leur personne, et on s'attend à ce qu'elles se plient à cette formalité. Cette situation se distingue de celle où une personne est retenue ou détenue dans le cours de ses activités normales en territoire canadien. J'estime que c'est à ce dernier genre d'incident que la définition donnée dans l'arrêt Therens était destinée à s'appliquer.

89. La même question s'est posée aux États‑Unis sous le régime de la Constitution américaine. Le Juge en chef a examiné la jurisprudence américaine sur ce point, et je n'estime pas nécessaire de m'y attarder longuement à mon tour; aussi me contenterai‑je simplement d'en souligner certains éléments.

90. Selon la jurisprudence américaine, la protection offerte par le Quatrième amendement contre les saisies et les perquisitions déraisonnables ne s'applique pas aux fouilles effectuées à la frontière. La Cour suprême des États‑Unis a justifié cette exception par l'intérêt national et le caractère exceptionnel de la situation visée. Comme l'a affirmé le juge Rehnquist, dans l'arrêt United States v. Ramsey, 431 U.S. 606 (1977), à la p. 619:

[TRADUCTION] Alors, dès avant l'adoption du Quatrième amendement, les fouilles et perquisitions pratiquées à la frontière étaient considérées comme "raisonnables" du simple fait que la personne ou l'article qui était entré dans notre pays venait de l'extérieur.

91. Sur la question de l'intérêt national, la Cour suprême des États‑Unis s'est prononcée ainsi dans l'arrêt Carroll v. United States, 267 U.S. 132 (1925), aux pp. 153 et 154:

[TRADUCTION] Les voyageurs peuvent être ainsi arrêtés en traversant une frontière internationale parce qu'il est raisonnable que le pays se protège lui‑même en exigeant que les personnes qui y entrent démontrent leur droit d'entrer au pays et que leurs effets sont des objets qui peuvent être introduits légalement au pays.

92. Ces considérations sont cruciales en ce qui concerne la distinction entre retenir une personne à la frontière et la détenir à l'intérieur du pays. Elles sont aussi importantes pour apprécier les intérêts nationaux substantiels qui sous‑tendent toute distinction. Les agents des douanes à la frontière sont, dans la plupart des cas, le dernier rempart qui peut freiner l'importation de substances dangereuses ou illicites. Il ne fait aucun doute que l'importation au Canada de drogues provenant de l'étranger contribue de façon significative à un problème sérieux de dimension nationale. Le juge en chef Howland de l'Ontario, précité, à la p. 725, en a souligné l'étendue dans le contexte de situations rencontrées à la frontière:

[TRADUCTION] Suivant une entente intervenue entre les avocats, il a été mis en preuve, par le surintendant Wilson, qu'entre le 1er avril 1982 et le 31 mars 1983, 442 saisies de drogue ont eu lieu à l'aéroport international de Toronto, dont 80 pour 100 étaient des saisies de cannabis importé à bord de vols en provenance de la Jamaïque.

93. Je suis d'avis que les mêmes circonstances et conditions qui ont amené les tribunaux américains à exempter les fouilles à la frontière de la protection accordée par le Quatrième amendement s'appliquent en l'espèce. Je souscris à l'opinion des juges de la majorité selon laquelle les art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes ne sont pas abusifs et ne contreviennent donc pas à l'art. 8 de la Charte. J'estime que l'appelante a été suffisamment informée de son droit d'en appeler de la fouille auprès des autorités douanières supérieures, lorsqu'on lui a indiqué le texte des art. 143 et 144. Pour cela et vu ma conclusion que l'accusée n'a pas été détenue au sens de l'al. 10b) de la Charte, je ne puis souscrire au point de vue de la majorité de la Cour selon lequel la fouille a été effectuée de manière abusive.

94. Ainsi, bien que je sois d'accord avec le résultat auquel est parvenue la majorité de la Cour, avec déférence et pour les raisons déjà exposées, je ne partage pas la conclusion que l'appelante a été, ici, détenue au sens de l'al. 10b) de la Charte.

95. En conséquence, je répondrais aux questions constitutionnelles comme suit:

96. Question 1: Non.

97. Question 2: Non.

98. Questions 3 et 4: Ne demandent pas de réponse.

Version française des motifs rendus par

99. Le juge Wilson—J'ai eu l'avantage de lire les motifs rédigés par le Juge en chef et le juge L'Heureux‑Dubé, et je souscris à la conclusion à laquelle arrive le Juge en chef ainsi qu'à certains de ses motifs.

100. Je reconnais avec le Juge en chef que l'appelante était "détenue" au sens de l'al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés lorsqu'elle a été forcée de se soumettre à une fouille à nu et qu'on aurait alors dû l'informer de son droit à l'assistance d'un avocat. Je conviens aussi avec le Juge en chef que les art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C‑40, ne sont pas incompatibles avec l'art. 8 de la Charte. Je suis également d'accord avec lui pour dire que l'admission en preuve des drogues trouvées sur la personne de l'appelante par suite de la fouille à nu n'est pas susceptible de "déconsidérer l'administration de la justice" au sens du par. 24(2).

101. Je préfère toutefois exposer mes propres motifs concernant le caractère raisonnable de la fouille à nu selon l'art. 8.

102. La constitutionnalité de la fouille à nu de l'appelante ne saurait, à mon avis, être établie uniquement en fonction du respect des dispositions relatives aux fouilles contenues aux art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes. Ces dispositions doivent être rapprochées de l'obligation qu'impose l'al. 10b) de la Charte d'informer les personnes qui sont détenues de leur droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat et de respecter ce droit. Je dis cela parce que, dans l'arrêt R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, cette Cour a affirmé, à la p. 621, que pour être valide en vertu de l'article premier de la Charte, toute restriction du droit à l'assistance d'un avocat, garanti par la Constitution, doit être prescrite "par une règle de droit". Le juge Le Dain explique ensuite ce que cela signifie, à la p. 645:

L'exigence que la restriction soit prescrite par une règle de droit vise surtout à faire la distinction entre une restriction imposée par la loi et une restriction arbitraire. Une restriction est prescrite par une règle de droit au sens de l'art. 1 si elle est prévue expressément par une loi ou un règlement, ou si elle découle nécessairement des termes d'une loi ou d'un règlement, ou de ses conditions d'application.

Dans l'arrêt R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640, la Cour, s'exprimant par l'intermédiaire du juge Le Dain, a adopté à l'unanimité son point de vue, à la p. 651:

Je suis toujours d'avis qu'une restriction prescrite par une règle de droit au sens de l'article premier peut découler implicitement des termes d'une disposition législative ou de ses conditions d'application. Il n'est pas nécessaire qu'il s'agisse d'une restriction explicite d'un droit ou d'une liberté en particulier.

103. Aucune restriction de ce genre n'est imposée au droit garanti à l'appelante par l'al. 10b), que ce soit une restriction exprimée aux art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes ou une restriction qui découle nécessairement des termes de ces articles ou de leurs conditions d'application. Il n'y a rien dans ces articles qui soit incompatible avec le droit à l'assistance d'un avocat, pas plus que leurs conditions d'application n'empêchent l'exercice de ce droit. L'article 143 de la Loi sur les douanes permet une fouille lorsque l'agent des douanes "a raisonnablement lieu de supposer que la personne qui subit la visite peut avoir, cachés sur elle, [. . .] des articles prohibés." L'article 144 prévoit qu'«[a]vant qu'une personne puisse être fouillée, elle a la faculté d'exiger que le préposé la conduise devant un magistrat de police, ou un juge de paix, ou devant le receveur ou le préposé en chef du port ou lieu. Si l'un ou l'autre des susdits constate qu'il n'y a pas de motifs plausibles de faire des perquisitions, il renvoie cette personne . . .» Ces dispositions législatives n'ont pas pour objet d'imposer une limite au droit à l'assistance d'un avocat ni de tenter d'empêcher d'y avoir recours et elles sont parfaitement compatibles avec le droit garanti à l'appelante par l'al. 10b). Pourtant, l'appelante ne s'est pas vu accorder la possibilité de communiquer avec son avocat avant de subir la fouille à nu.

104. Comme le souligne le Juge en chef, l'appelante était détenue pendant la fouille à nu, en ce sens qu'elle n'était pas libre de partir et qu'elle a fait l'objet d'un contrôle et d'une contrainte extérieure tout au long de la fouille. On a nié à l'appelante le droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat et d'être informée de ce droit. Ce n'est qu'après que la fouille eut permis de découvrir des drogues sur sa personne et qu'elle eut été arrêtée pour importation de stupéfiants qu'elle a été informée de son droit à l'assistance d'un avocat et qu'elle a effectivement communiqué avec un par téléphone.

105. À mon avis, la violation des droits garantis à l'appelante par l'al. 10b) commise avant la fouille rend cette fouille inconstitutionnelle étant donné que les dispositions législatives qui autorisent la fouille sont parfaitement compatibles avec le droit, garanti par la Constitution, d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat. Une fouille ou perquisition inconstitutionnelle ne peut être qu'abusive.

106. Quoique l'inconstitutionnalité de la fouille la rende abusive en soi, j'ajouterais que la manière dont elle a été effectuée en l'espèce était également abusive compte tenu des valeurs et des fins protégées par l'art. 8 de la Charte. À mon avis, il est abusif de se contenter d'indiquer à un individu détenu la présence, sur un mur de la salle où l'on effectue la fouille, d'une affiche sur laquelle sont inscrites les dispositions législatives qui autorisent la fouille de sa personne. Il n'est guère surprenant, d'après les faits de la présente affaire, que rien ne porte à croire que l'appelante ait seulement lu le texte des art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes affiché sur le mur, et, encore moins, qu'elle ait exercé les options et les droits conférés par ces dispositions. On ne peut guère s'attendre à ce qu'une personne détenue qu'on s'apprête à fouiller se fasse son propre avocat. Le recours à l'assistance d'un avocat dans de telles circonstances est souvent essentiel pour assurer que les citoyens sont protégés contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives: voir Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, à la p. 160. Si l'appelante avait été informée de son droit de consulter un avocat, ce dernier aurait pu lui expliquer le droit que lui conférait l'art. 144 de la Loi sur les douanes d'exiger que la fouille soit autorisée par une instance supérieure, et la conseiller sur l'opportunité d'exercer ou non ce droit. Cela aurait contribué à promouvoir l'objectif de l'art. 8 qui est d'empêcher les fouilles et les perquisitions abusives. Comme le démontrent les circonstances de la présente affaire, le droit à l'assistance d'un avocat pourrait se révéler fort utile pour faciliter l'application efficace et juste des dispositions législatives en matière de fouille et, en particulier, la procédure d'autorisation par une instance supérieure prévue à l'art. 144. En l'espèce, le droit de l'appelante à l'assistance d'un avocat n'a pas été respecté et, il fallait s'y attendre, les droits que lui accorde l'art. 144 n'ont pas été exercés.

107. Cette Cour a reconnu que les valeurs protégées par l'art. 8 ne se limitent pas à la vie privée: voir Hunter c. Southam Inc., à la p. 159. La présente affaire fait ressortir certaines des autres valeurs qui sont en jeu quand il s'agit de protéger les gens contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Au cours de la fouille à nu qu'elle a subie, l'appelante a tenté de protester en demandant s'il était [TRADUCTION] "vraiment nécessaire" de retirer ses bandages, avant de s'exécuter. Le souci à l'art. 8 d'empêcher les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives est lié à la préoccupation plus générale, qui se reflète dans un bon nombre des droits garantis par la Charte, d'empêcher le citoyen d'être écrasé par le pouvoir beaucoup plus grand de l'État. La possibilité de recourir à l'assistance d'un avocat est cruciale pour empêcher que cela ne se produise. Il est intéressant de noter, en l'espèce, qu'une fois la fouille à nu complétée, les drogues découvertes et l'appelante arrêtée pour importation de stupéfiants, elle a immédiatement communiqué avec un avocat lorsqu'on l'a informée de son droit de le faire. Ses protestations antérieures au moment de la fouille à nu portent à croire qu'elle aurait bien pu exercer ce droit avant ou pendant la fouille si elle en avait été informée à ce moment‑là.

108. J'ajoute, en terminant, que dans la promotion de cet objectif louable d'assurer à tout citoyen la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, les tribunaux ne devraient pas se laisser influencer indûment par ce qu'ils constatent après coup, c'est‑à‑dire par le fait que, dans bien des cas, les fouilles, les perquisitions et les saisies qui sont portées à leur attention ont en fait permis de découvrir des éléments de preuve d'une activité criminelle. Le degré de protection accordé au citoyen en vertu de l'art. 8 de la Charte doit être adapté autant à l'innocent qu'au coupable.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l'appelante: C. Jane Arnup et Barry A. Fox, Toronto.

Procureur de l'intimée: Frank Iacobucci, Ottawa.

Procureur de l'intervenant: Le ministère du Procureur général, Toronto.

* Les juges Estey et Le Dain n'ont pas pris part au jugement.


Synthèse
Référence neutre : [1988] 2 R.C.S. 495 ?
Date de la décision : 08/12/1988
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Droit à l'assistance d'un avocat - Fouilles aux douanes - Découverte de stupéfiants sur la personne de l'accusée à la suite d'une fouille à nu effectuée par des agents des douanes - L'accusée a‑t‑elle été détenue et avait‑elle droit à l'assistance d'un avocat en vertu de l'art. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés? - Dans l'affirmative, le droit à l'assistance d'un avocat était‑il restreint par une règle de droit dans des limites raisonnables dont la justification pouvait se démontrer conformément à l'article premier de la Charte? - Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C‑40, art. 143, 144.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Fouille et saisie abusives - Fouilles aux douanes - Les dispositions de la Loi sur les douanes relatives aux fouilles personnelles sont‑elles incompatibles avec l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés? - Dans l'affirmative, le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives était‑il restreint par une règle de droit dans des limites raisonnables dont la justification pouvait se démontrer conformément à l'article premier de la Charte? - La fouille a‑t‑elle été effectuée de manière raisonnable? - Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C‑40, art. 143, 144.

Droit constitutionnel - Charte des droits—Admissibilité de la preuve - Déconsidération de l'administration de la justice - Découverte de stupéfiants sur la personne de l'accusée à la suite d'une fouille à nu effectuée par des agents des douanes - Violation du droit que possédait l'accusée de recourir à l'assistance d'un avocat - L'utilisation en preuve des stupéfiants serait‑elle susceptible de déconsidérer l'administration de la justice? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 24(2).

Douanes et accise - Fouilles aux douanes - Découverte de stupéfiants sur la personne de l'accusée à la suite d'une fouille à nu effectuée par des agents des douanes - Les dispositions de la Loi sur les douanes relatives aux fouilles personnelles sont‑elles incompatibles avec l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés? - Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C‑40, art. 143, 144.

Preuve - Admissibilité - Déconsidération de l'administration de la justice - Découverte de stupéfiants sur la personne de l'accusée à la suite d'une fouille à nu effectuée par des agents des douanes - Violation du droit que possédait l'accusée de recourir à l'assistance d'un avocat - L'utilisation en preuve des stupéfiants serait‑elle susceptible de déconsidérer l'administration de la justice? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 24(2).

L'appelante, à son arrivée au Canada, s'est présentée à l'inspection primaire des douanes où un agent des douanes lui a posé des questions de routine. L'agent l'a trouvée excessivement nerveuse et il l'a envoyée subir une inspection secondaire. La préposée à l'inspection secondaire a elle aussi eu des soupçons à l'égard de l'appelante et elle a obtenu du surintendant des douanes l'autorisation de la fouiller. Ses soupçons étaient fondés sur les doutes qu'avait eus le préposé à l'inspection primaire au sujet de l'appelante, sur le défaut de l'appelante de s'identifier de façon satisfaisante et sur le fait que la préposée à l'inspection secondaire avait observé que l'appelante, par ailleurs très mince, était un peu forte et bombée dans la partie supérieure de l'abdomen. L'appelante a été conduite dans une salle destinée aux fouilles et on lui a montré une affiche fixée au mur sur laquelle figurait le texte des art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes, qui conféraient le pouvoir d'effectuer des fouilles personnelles. La préposée à l'inspection secondaire, accompagnée d'un autre agent des douanes féminin, a ordonné à l'appelante de se dévêtir. L'appelante a obtempéré en enlevant certains de ses vêtements, ce qui a permis de constater la présence de bandes adhésives à la hauteur de son estomac. On a découvert, cachés derrière ces bandes, des sacs de plastique contenant de la résine de cannabis. L'appelante a alors été arrêtée et informée de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat.

Au procès, le juge a conclu que l'appelante avait été détenue à partir du moment où elle avait été conduite dans la salle des fouilles et que, parce qu'elle n'avait pas été informée de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat avant que la fouille ne soit pratiquée, il y avait eu violation du droit que lui conférait l'al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Le juge du procès a, conformément au par. 24(2) de la Charte, écarté les éléments de preuve recueillis pour le motif que leur utilisation serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. En conséquence, le juge a acquitté l'appelante. La Cour d'appel a annulé l'acquittement de l'appelante et a ordonné la tenue d'un nouveau procès. Le présent pourvoi vise à déterminer si les droits garantis à l'appelante par l'al. 10b) et l'art. 8 de la Charte ont été violés lorsqu'elle a été soumise à une fouille à nu aux douanes et, dans l'affirmative, si les éléments de preuve constitués des stupéfiants obtenus par suite de cette fouille devraient être écartés en vertu du par. 24(2) de la Charte.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Lamer et La Forest: L'appelante a été détenue au sens de l'art. 10 de la Charte lorsqu'elle a été contrainte, conformément à l'art. 143 de la Loi sur les douanes, de subir une fouille à nu aux douanes, et elle aurait alors dû être informée de son droit de recourir à l'assistance d'un avocat. Cette conclusion est compatible à la fois avec le sens donné au mot "détention" dans la langue populaire et avec la définition énoncée dans l'arrêt R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613. Au moment de la fouille, l'appelante était nettement assujettie à une contrainte extérieure. L'agent des douanes avait restreint sa liberté d'action au moyen d'une sommation qui entraînait des conséquences sérieuses sur le plan juridique. L'appelante n'était pas en mesure de refuser d'être fouillée, et de partir. Aux termes de l'art. 203 de la Loi sur les douanes, constitue une infraction le fait de résister aux perquisitions sur la personne autorisées par la Loi sur les douanes.

Les articles 143 et 144 de la Loi sur les douanes ne violent pas le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives enchâssé à l'art. 8 de la Charte. Il est vrai que ces articles ne respectent pas les garanties énoncées dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, mais ces normes ne s'appliquent pas aux fouilles effectuées aux douanes. Les attentes raisonnables en matière de vie privée sont moindres aux douanes que dans la plupart des autres situations. Les États souverains ont le droit de contrôler à la fois les personnes et les effets qui entrent dans leur territoire. Par conséquent, les voyageurs qui cherchent à traverser des frontières internationales s'attendent parfaitement à faire l'objet d'un processus d'examen. L'examen des bagages et des personnes est un aspect accepté du processus de fouille lorsqu'il existe des motifs de soupçonner qu'une personne a fait une fausse déclaration et transporte avec elle des effets prohibés. En vertu des art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes, les fouilles personnelles sont effectuées seulement lorsque les agents des douanes ont raisonnablement lieu de supposer qu'une personne cache sur elle de la contrebande. La décision de procéder à une fouille peut faire l'objet d'une révision à la demande de la personne qui doit être fouillée. Les fouilles sont effectuées en privé dans des pièces destinées à cette fin, par des agents du même sexe que la personne fouillée. Dans ces conditions, exiger d'une personne qu'elle retire des vêtements jusqu'à ce que la présence ou l'absence d'objets cachés puisse être établie, ce n'est pas attenter à son intégrité physique d'une façon qui puisse être considérée abusive en vertu de l'art. 8 de la Charte.

Cependant, la fouille ne s'est pas effectuée de manière raisonnable. La négation du droit à l'assistance d'un avocat en l'espèce, conjuguée à l'omission d'expliquer à l'appelante ses droits en vertu de la Loi sur les douanes, a rendu la fouille abusive. Les agents des douanes n'ont pas lu à l'appelante les dispositions relatives aux fouilles personnelles, mais ils lui ont simplement indiqué la présence sur le mur d'une affiche sur laquelle figurait le texte des art. 143 et 144. Il n'y a aucune preuve que l'appelante a lu ces dispositions et, encore moins, qu'elle les a comprises, ni aucune preuve qu'elle était au courant du droit, que lui conférait l'art. 144, d'exiger une seconde autorisation. Il est clair que la violation du droit à l'assistance d'un avocat a empêché l'appelante d'exercer un droit conféré par la Loi sur les douanes. Une fouille, qui n'aurait peut‑être pas eu lieu si l'appelante avait bénéficié des conseils d'un avocat, a été effectuée dans des circonstances où l'appelante ne connaissait pas ses droits. La violation du droit à l'assistance d'un avocat, conjuguée au droit conféré par la Loi d'exiger une autorisation préalable, a rendu l'exécution de la fouille abusive.

Les violations des droits garantis à l'appelante par l'al. 10b) et l'art. 8 de la Charte ne pouvaient être justifiées au sens de l'article premier de la Charte. Les violations du droit de l'appelante d'avoir recours à l'assistance d'un avocat et de son droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ont découlé des actes posés par les agents des douanes. Il ne s'agissait pas d'une limite prescrite par une règle de droit.

Bien que les violations des droits conférés à l'appelante par l'al. 10b) et l'art. 8 n'aient pas été anodines, l'utilisation de la preuve en question ne serait pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Il existait de nombreux faits justifiant l'agent des douanes de soupçonner que l'appelante cachait quelque chose sur elle dans le but de l'importer illégalement au Canada. La preuve obtenue par suite de la fouille à nu était une preuve matérielle qui existait indépendamment des violations de la Charte et son utilisation n'aurait pas tendance à compromettre le caractère équitable du procès. Les agents des douanes ont agi de bonne foi, conformément à des formalités douanières acceptées. La négation des droits de l'appelante n'avait rien de délibéré ni de flagrant. Rien n'indique que les agents des douanes ont manqué de courtoisie envers l'appelante. Enfin, cette Cour a déjà décidé que l'inconstitutionnalité d'un mandat de perquisition ne rend pas la preuve inadmissible si les agents de la paix qui ont procédé à la perquisition se sont fondés de bonne foi sur la constitutionnalité de la disposition qui les habilitait à agir. En l'espèce, les agents des douanes agissaient conformément à des exigences légales existant à l'époque de la fouille. Dans ces circonstances, c'est l'exclusion de la preuve qui aurait tendance à déconsidérer l'administration de la justice.

Le juge Wilson: La constitutionnalité de la fouille à nu de l'appelante ne saurait être établie uniquement en fonction du respect des art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes. Ces dispositions doivent être rapprochées de l'obligation qu'impose l'al. 10b) de la Charte d'informer les personnes détenues de leur droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat et de respecter ce droit. Pour être valide en vertu de l'article premier de la Charte, toute restriction du droit à l'assistance d'un avocat, garanti par la Constitution, doit être prescrite "par une règle de droit". Les articles 143 et 144 doivent être examinés pour voir si une restriction est prévue expressément ou si elle découle nécessairement des termes de ces articles ou de leurs conditions d'application: voir les arrêts R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, et R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640. Il n'y a rien dans les art. 143 et 144 qui soit incompatible avec le droit à l'assistance d'un avocat, pas plus que leurs conditions d'application n'empêchent l'exercice de ce droit. Par conséquent, la violation des droits garantis à l'appelante par l'al. 10b), commise avant la fouille, rend cette fouille inconstitutionnelle étant donné que les dispositions législatives autorisant la fouille sont parfaitement compatibles avec le droit, garanti par la Constitution, d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat. Une fouille ou perquisition inconstitutionnelle ne peut être qu'abusive.

Quoique l'inconstitutionnalité de la fouille la rende abusive en soi, la manière dont elle a été effectuée en l'espèce était également abusive compte tenu des valeurs et des fins protégées par l'art. 8 de la Charte. Il est abusif de se contenter d'indiquer à un individu détenu la présence, sur un mur de la salle où l'on effectue la fouille, d'une affiche sur laquelle sont inscrites les dispositions législatives qui autorisent la fouille de sa personne. Il n'est donc pas surprenant que rien ne porte à croire que l'appelante ait seulement lu le texte des art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes et, encore moins, qu'elle ait exercé les options et les droits conférés par ces dispositions. On ne peut guère s'attendre à ce qu'une personne détenue qu'on s'apprête à fouiller se fasse son propre avocat. Le droit à l'assistance d'un avocat constitue, pour le citoyen, la garantie que ses autres droits seront respectés. Il l'empêche d'être écrasé par le pouvoir plus grand de l'État.

Les juges McIntyre et L'Heureux‑Dubé: L'appelante n'a pas été détenue au sens de l'al. 10b) de la Charte quand elle a été soumise à une fouille à nu aux douanes, conformément à l'art. 143 de la Loi sur les douanes. La définition de la détention, donnée dans l'arrêt R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, ne va pas jusqu'à s'appliquer aux fouilles effectuées par un agent des douanes qui procède aux formalités habituelles afin d'empêcher l'importation illégale de marchandises et de substances au Canada. Les personnes qui entrent au Canada, qu'il s'agisse ou non de citoyens, sont placées dans une situation juridique unique à leur point d'entrée au pays. Elles s'attendent à faire l'objet d'un examen plus ou moins poussé de leurs bagages et, dans certains cas, de leur personne. Cette situation se distingue de celle où une personne est retenue ou détenue dans le cours de ses activités en territoire canadien. C'est à ce dernier genre d'incidents que la définition donnée dans l'arrêt Therens était destinée à s'appliquer.

L'objectif de l'al. 10b) de la Charte indique aussi clairement que cette disposition ne s'applique pas aux fouilles effectuées à la frontière. Le droit à l'assistance d'un avocat a pour objet d'assurer que le justiciable est traité équitablement dans les procédures criminelles et, en particulier, de l'empêcher de s'incriminer. En matière de fouilles à la frontière, la question qui se pose n'en est pas une d'auto‑incrimination. Une fouille effectuée à la frontière fait partie non pas du processus criminel, mais plutôt des formalités d'entrée au pays. Cela ne veut pas dire, cependant, que le droit à l'assistance d'un avocat ne peut jamais exister dans le cas d'une fouille effectuée à un point d'entrée au pays. La protection assurée par la Charte contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives et le droit à l'assistance d'un avocat s'appliqueront si l'objet de la détention, de l'interrogatoire ou de la fouille ou perquisition se situe dans le cadre de procédures criminelles, par opposition aux formalités d'entrée au pays.

Finalement, étant donné cette situation unique et l'intérêt qu'a l'État à empêcher que ne pénètrent dans son territoire des personnes et des effets indésirables, les fouilles aux douanes effectuées conformément aux art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes sont raisonnables et ne violent donc pas l'art. 8 de la Charte. La fouille elle‑même a été effectuée de manière raisonnable. L'appelante, qui n'était pas détenue aux sens de l'al. 10b) de la Charte, a été suffisamment informée de son droit d'en appeler de la fouille auprès d'autorités douanières supérieures, lorsqu'on lui a indiqué le texte des art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Simmons

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge en chef Dickson
Arrêts appliqués: R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613
R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265
distinction d'avec l'arrêt: Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145
arrêts mentionnés: Chromiak c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 471
United States v. Ramsey, 431 U.S. 606 (1977)
Carroll v. United States, 267 U.S. 132 (1925)
United States v. Lincoln, 494 F.2d 833 (1974)
United States v. Chavarria, 493 F.2d 935 (1974)
United States v. King, 485 F.2d 353 (1973)
United States v. Beck, 483 F.2d 203 (1973)
R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621
R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640
R. v. Rodenbush and Rodenbush (1985), 21 C.C.C. (3d) 423
R. c. Jacoy, [1988] 2 R.C.S. 548, conf. (1986), 30 C.C.C. (3d) 9 (C.A.C.‑B.), inf. C. prov. C.‑B. (Vancouver), 25 octobre 1985
R. v. Gladstone (1985), 22 C.C.C. (3d) 151
R. v. Jordan (1984), 11 C.C.C. (3d) 565
R. v. Jagodic and Vajagic (1985), 19 C.C.C. (3d) 305
Weeks v. United States, 232 U.S. 383 (1914)
Mapp v. Ohio, 367 U.S. 643 (1961)
R. c. Wray, [1971] R.C.S. 272
United States v. Guadalupe‑Garza, 421 F.2d 876 (1970)
R. v. Dumas (1985), 23 C.C.C. (3d) 366
R. c. Sieben, [1987] 1 R.C.S. 295
R. c. Hamill, [1987] 1 R.C.S. 301.
Citée par le juge Wilson
Arrêts mentionnés: Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145
R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613
R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640.
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé
Distinction d'avec l'arrêt: R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613
arrêts approuvés: United States v. Ramsey, 431 U.S. 606 (1977)
Carroll v. United States, 267 U.S. 132 (1925)
arrêt mentionné: Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383.
Lois et règlements cités
Acte concernant les Douanes, S.C. 1867, chap. 6.
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 8, 10b), 24(2).
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 618(2)a) [abr. & rempl. 1974‑75‑76, chap. 105, art. 18(2)].
Loi constitutionnelle de 1982, art. 52.
Loi sur les douanes, S.C. 1986, chap. 1, art. 98.
Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C‑40, art. 143, 144, 203.
Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N‑1, art. 4(2), 5(1).
Doctrine citée
LaFave, Wayne R. Search and Seizure: A Treatise on the Fourth Amendment, 2nd ed., vol. 3. St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1987.
Michalyshyn, Peter B. "The Charter Right to Counsel: Beyond Miranda" (1987), 25 Alta. L. Rev. 190.

Proposition de citation de la décision: R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495 (8 décembre 1988)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1988-12-08;.1988..2.r.c.s..495 ?
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