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10/11/1988 | CANADA | N°[1988]_2_R.C.S._279

Canada | Brossard (Ville) c. Québec (Comm. des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279 (10 novembre 1988)


brossard c. québec (comm. des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279

Commission des droits de la personne du Québec Appelante

c.

Ville de Brossard Intimée

et

Line Laurin Mise en cause

répertorié: brossard (ville) c. québec (commission des droits de la personne)

No du greffe: 18270.

1986: 30 avril; 1988: 10 novembre.

Présents: Les juges Beetz, McIntyre, Chouinard*, Lamer, Wilson, Le Dain* et La Forest.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1983] C.A.

363, 3 D.L.R. (4th) 228, infirmant une décision de la Cour supérieure, [1980] R.P. 203, qui avait rejeté la requête pour j...

brossard c. québec (comm. des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279

Commission des droits de la personne du Québec Appelante

c.

Ville de Brossard Intimée

et

Line Laurin Mise en cause

répertorié: brossard (ville) c. québec (commission des droits de la personne)

No du greffe: 18270.

1986: 30 avril; 1988: 10 novembre.

Présents: Les juges Beetz, McIntyre, Chouinard*, Lamer, Wilson, Le Dain* et La Forest.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1983] C.A. 363, 3 D.L.R. (4th) 228, infirmant une décision de la Cour supérieure, [1980] R.P. 203, qui avait rejeté la requête pour jugement déclaratoire de l'intimée. Pourvoi accueilli.

Hélène LeBel, c.r., et Guy Desautels, pour l'appelante.

Clermont Vermette, c.r., pour l'intimée.

Version française du jugement des juges Beetz, McIntyre, Lamer et La Forest rendu par

1. Le juge Beetz—La ville de Brossard a en toute bonne foi tenté de combattre le népotisme dans la fonction publique locale par l'adoption d'une politique d'embauchage qui empêche les membres de la famille immédiate des employés à plein temps et des conseillers municipaux d'être embauchés par la ville. Or, la ville peut‑elle exclure cette catégorie de postulants sans exercer la discrimination dans l'embauchage, qui constitue une violation de l'un des droits et libertés protégés par la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. 1977, chap. C‑12?

I Les faits et les procédures

2. Les faits sont incontestés.

3. En conformité avec sa politique antinépotisme en matière d'embauchage, l'intimée, la ville de Brossard, utilise une formule type de demande d'emploi qui porte la mention suivante:

Si vous avez un parent immédiat (père, mère, conjoint, enfant, frère, soeur) parmi les employés réguliers ou parmi les membres du Conseil municipal, vous ne pouvez pas postuler un emploi à la Ville de Brossard.

4. La mise en cause, Line Laurin, est devenue victime de cette règle. Elle a postulé auprès de l'intimée un emploi d'été comme sauveteur et monitrice et, conformément à la politique antinépotisme, sa demande a été écartée parce que sa mère travaillait à plein temps comme dactylographe au service de police de la municipalité.

5. Line Laurin s'est plainte auprès de l'appelante, la Commission des droits de la personne, du refus de l'intimée d'étudier sa demande. Le 23 mai 1978, le service des enquêtes de l'appelante a adressé à M. Armand Lussier, directeur du personnel de la ville, une lettre informant celle‑ci des résultats de son enquête. Cette lettre portait que "Mlle Laurin est victime d'un préjudice, en ce sens qu'il lui est interdit de travailler pour la Ville de Brossard à cause du fait que sa mère est une permanente à cette municipalité". La lettre exigeait (il s'agissait vraisemblablement d'une "recommandation" en vertu de l'art. 82 de la Charte), que Line Laurin se voie immédiatement confier le poste qu'elle avait sollicité et demandait en outre que l'intimée supprime de sa formule type de demande d'emploi toutes les mentions et questions se rapportant à sa politique d'embauchage.

6. Le 13 novembre 1979, la ville présente une requête pour jugement déclaratoire fondée sur les art. 453 et suiv. du Code de procédure civile, dans laquelle la Commission et Line Laurin sont constituées intimées. Dans les conclusions de sa requête, la ville demande à la Cour supérieure de déclarer notamment que la politique en matière d'embauchage ne constitue pas de la discrimination illicite au sens de l'art. 10 de la Charte, que la ville est justifiée de ne pas retenir la candidature de Line Laurin, et que la ville était justifiée de conserver dans sa formule type de demande d'emploi les mentions se rapportant à sa politique d'embauchage.

7. Le 20 décembre 1979, le juge Deslongchamps de la Cour supérieure rejette la requête pour jugement déclaratoire de la ville: [1980] R.P. 203. La Cour d'appel, dans un arrêt en date du 18 octobre 1983, accueille l'appel interjeté par la ville, le juge Jacques étant dissident: [1983] C.A. 363. Avec l'autorisation de cette Cour, la Commission se pourvoit contre cet arrêt. Line Laurin est constituée mise en cause.

8. La Cour ne peut trancher ce pourvoi sans se pencher sur trois questions distinctes mais connexes. Il faut d'abord déterminer si la politique d'embauchage de l'intimée constitue de la discrimination dans l'embauchage fondée sur "l'état civil", contrairement aux art. 10 et 16 de la Charte. Voilà une question que j'aborde à la partie II des présents motifs et relativement à laquelle je conclus que la politique d'embauchage constitue effectivement ce genre de discrimination. Ensuite, la Cour doit décider si l'exclusion des membres de la famille immédiate des employés à plein temps et des conseillers municipaux est réputée non discriminatoire en raison de l'une des exceptions légales à la norme antidiscrimination. Chacune des deux exceptions distinctes prévues à l'art. 20 de la Charte doit être analysée séparément. Le premier volet de l'art. 20, dont il est question à la partie III des présents motifs, impose à la Cour l'obligation de déterminer si l'exclusion est fondée sur une aptitude ou une qualité exigée de bonne foi pour l'emploi en question. Je conclus qu'elle ne l'est pas. À la partie IV des présents motifs, je fais un examen du second volet de l'art. 20 afin de déterminer si l'intimée peut invoquer l'exception selon laquelle une exclusion peut se justifier par le caractère politique d'une institution sans but lucratif. Là encore, je conclus que l'exception prévue par la loi ne vient pas sauvegarder la politique discriminatoire en matière d'embauchage.

II Le droit à la non‑discrimination dans l'embauchage

9. Au moment où l'intimée a présenté sa requête pour jugement déclaratoire, l'art. 10 de la Charte disposait:

10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état civil, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale ou le fait qu'elle est une personne handicapée ou qu'elle utilise quelque moyen pour pallier son handicap.

Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

10. L'appelante soutient que la politique d'embauchage de l'intimée entraîne l'exclusion de certains postulants en raison de leur état civil. Suivant cet argument, l'exclusion a pour effet de détruire ou de compromettre le droit de ces candidats à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, du droit de ne faire l'objet d'aucune discrimination dans l'embauchage. L'article 16, inchangé depuis l'adoption de la Charte, dispose:

16. Nul ne peut exercer de discrimination dans l'embauche, l'apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d'une personne ainsi que dans l'établissement de catégories ou de classifications d'emploi.

11. La réponse de l'intimée comporte deux volets. Elle prétend d'abord que l'expression "état civil" employée à l'art. 10 de la Charte n'est pas de portée suffisamment large pour englober la relation entre Line Laurin et sa mère. L'intimée fait valoir en fait que "l'état civil" à l'art. 10 désigne le statut du plaignant indépendamment de toute autre personne. Elle allègue subsidiairement que, même si "l'état civil" comprend la filiation, la fraternité et la "sororité", ainsi que l'état matrimonial dans un sens relatif, l'exclusion pratiquée par la ville n'est pas fondée uniquement sur l'état civil, mais plutôt sur l'état civil et un autre facteur, savoir le fait que la mère de Line Laurin soit une employée de la ville.

12. Divers sens donnés à l'expression "état civil" sont examinés par les tribunaux d'instance inférieure. Le juge Deslongchamps de la Cour supérieure étudie des définitions données dans la jurisprudence et dans la doctrine avant d'arriver à la conclusion que ce terme "comprend la "situation de famille telle qu'elle résulte de la filiation et du mariage"" (p. 208). Il juge donc que la politique d'embauchage va à l'encontre de l'art. 10.

13. En Cour d'appel, le juge Paré, à l'avis duquel le juge Bernier souscrit, décide qu'il n'a pas à exprimer d'opinion sur le sens de l'expression "état civil" parce que, quelle que soit la définition retenue, la politique d'embauchage est réputée non discriminatoire suivant l'art. 20 de la Charte. Quant au juge Jacques, dissident, il procède à un examen détaillé du sens de l'expression "état civil", pour ensuite conclure qu'elle désigne "un ensemble de faits qui gouvernent la capacité de tout citoyen de s'obliger dont la constatation dans un registre est obligatoire" (p. 366). À son avis, le sens de l'expression employée à l'art. 10 est le même que celui du concept "état civil" qui est employé au Titre deuxième du Livre premier du Code civil du Bas‑ Canada, intitulé "Des actes de l'état civil", relativement à la naissance, au mariage et au décès.

14. Quoique la jurisprudence qui tente de définir l'expression "état civil" figurant à l'art. 10 paraisse à première vue très incohérente, on peut déduire que les tribunaux se sont dans une assez large mesure inspirés de la notion d'"état civil" que renferme le Code civil pour interpréter la même expression dans le contexte de l'art. 10. Dans l'affaire Commission des droits de la personne c. École de conduite St‑Amour Inc., [1983] C.P. 16, par exemple, il est décidé que la mise à pied par un employeur d'un travailleur célibataire plutôt que d'un homme marié constitue une exclusion ou une préférence fondée sur l'état civil contrairement à l'art. 10 parce que l'acte du mariage est l'un des actes solennels requis par le Code civil. On a jugé, à tort ou à raison, que l'union de fait n'est pas comprise dans la notion de "l'état civil" au sens de l'art. 10 parce qu'aucun acte de l'état civil visé par le Code civil ne fait mention de la cohabitation en dehors des liens du mariage: Blanchette c. Cie d'assurance du Canada sur la vie, [1984] C.S. 1240. Si je cite ces causes, c'est à seule fin de démontrer que les tribunaux québécois se sont reportés aux actes de l'état civil prévus au Code civil pour expliquer l'expression "état civil" employée à l'art. 10 de la Charte.

15. Pourtant les faits consignés dans les "actes de l'état civil" d'une personne sont souvent insuffisants en soi pour renseigner pleinement sur l'état civil de cette personne. C'est là un problème dont les tribunaux semblent avoir reconnu l'existence. Dans la décision Aronoff v. Hawryluk (1981), 2 C.H.R.R. D/534, le juge Louis Vaillancourt de la Cour provinciale du Québec conclut que le fait d'être divorcé est une forme d'"état civil" au sens de l'art. 10, quoique ce fait ne soit consigné dans aucun acte de l'état civil. Il en va de même de la séparation de corps. Le statut de célibataire est incontestablement compris dans l'état civil; cela résulte cependant non pas d'un fait consigné dans un acte de l'état civil, mais plutôt de l'absence de certificat de mariage. De même, le veuvage est une forme d'état civil, bien que cet état soit établi par le certificat de décès d'une autre personne. Les renseignements inscrits dans les actes de l'état civil d'une personne ne représentent pas une description exhaustive de "l'état civil" de cette personne aux fins de l'art. 10 de la Charte. "L'état civil" au sens de l'art. 10 englobe tout un éventail de faits (et non pas nécessairement des faits consignés) qui se rapportent aux trois éléments classiques de l'état civil—la naissance, le mariage et le décès—dont traitent les art. 39 et suiv. C.c.B.‑C. Ces faits sont parfois consignés dans les actes de l'état civil de l'intéressé lui‑même, parfois dans les actes d'une autre personne et parfois ils ne figurent dans aucun acte. D'autres faits, tels que l'interdiction ou l'émancipation, qui se rapportent non pas à la naissance, au mariage ou au décès, mais plutôt à la capacité juridique, peuvent aussi être inclus dans l'état civil au sens de l'art. 10, quoique ce point n'ait pas à être tranché en l'espèce.

16. Pour pouvoir évaluer la politique de l'intimée en matière d'embauchage, il faut déterminer si la filiation ainsi que la fraternité et la "sororité" font partie de l'état civil au sens de l'art. 10. Il faut en outre se demander si l'état matrimonial relève également de cette expression. Notre enquête n'est pas axée sur l'état matrimonial au sens absolu, comme ce serait le cas s'il y avait interdiction d'embaucher des hommes mariés, mais sur l'état matrimonial au sens relatif, puisque la politique d'embauchage exclut les postulants mariés à des personnes ayant déjà des liens avec la ville. Bien que cette dernière question ne touche pas directement Line Laurin, elle est pertinente relativement à la question de savoir si la politique d'embauchage qui exclut aussi les postulants dont les conjoints travaillent déjà à plein temps pour la ville ou font partie du conseil municipal, revêt un caractère discriminatoire.

17. La filiation constitue, à mon sens, l'un des éléments fondamentaux de la notion d'état civil que renferme le Code civil et relève de l'expression "état civil" employée à l'art. 10 de la Charte. Dans la plupart des cas, la filiation peut s'établir par les actes de l'état civil. En fait, par la combinaison des art. 54 et 39 C.c.B.‑C., l'identité du père et de la mère d'un enfant est consignée dans l'acte de naissance. De plus, l'art. 572 du Code civil du Québec prévoit notamment que "[la] filiation tant paternelle que maternelle se prouve par l'acte de naissance, quelles que soient les circonstances de la naissance de l'enfant." Dans d'autres cas, bien entendu, les actes de l'état civil n'établiront pas complètement la filiation, mais celle‑ci n'en demeure pas moins un fait se rapportant à la naissance, parfois au mariage et même au décès, ce qui est conforme aux paramètres généraux de l'état civil au sens de l'art. 10, que j'ai décrits plus haut. La filiation fait nettement partie de "l'état civil" au sens de l'art. 10 de la Charte.

18. Les tribunaux du Québec n'ont guère hésité à inclure les relations familiales dans "l'état civil" au sens de l'art. 10. L'arrêt Biscuits Associés du Canada Ltée c. Commission des droits de la personne, [1981] C.A. 521, en est un exemple. La Commission intente une action contre un employeur à la suite du renvoi d'une employée pour le motif que, contrairement à la politique de la société en question, elle a des liens de parenté avec d'autres employées. La Cour d'appel juge que les faits ne permettent pas de conclure à l'existence de discrimination, toutefois le juge Lajoie fait observer ce qui suit, à la p. 524:

Il me suffira de dire qu'à l'étude de cette doctrine et de cette jurisprudence, pour les fins du litige dont nous sommes saisis, je suis satisfait que la relation de soeur à soeurs existant au temps pertinent entre madame Fernande Martel et ses soeurs Noëlla et Yvette en était une découlant de l'état civil. De la sororité ou fraternité, du fait que deux ou plusieurs enfants soient issus du même père et de la même mère, résultent d'après la loi, le Code civil principalement, des liens qui confèrent des droits et créent des obligations. Je ne donne comme exemple que les règles relatives aux successions, à la représentation, aux obligations alimentaires.

19. Une décision récente de la Cour supérieure confirme cette interprétation de l'expression "état civil". En effet, dans l'affaire Syndicat national des employés de garage de Québec Inc. (C.S.D.) c. Roy, [1987] D.L.Q. 409, le juge Moisan statue qu'une préférence en matière d'embauchage accordée aux membres de la famille des administrateurs de la société constitue de la discrimination illicite fondée sur l'état civil (à la p. 412):

Il est tout à fait clair, et les arbitres en étaient bien conscients, que les paragraphes b et c apparaissant sous le titre "Salariés non assujettis" constitue (sic) une préférence en faveur des membres de la famille des trois administrateurs de l'entreprise, préférence qui entraîne la mutation, le déplacement ou la mise à pied, le cas échéant, des autres salariés. Cette préférence est basée sur leur état civil de fils ou fille de l'un ou l'autre des trois administrateurs et propriétaires de l'entreprise.

Il n'est pas douteux que la qualité de fils ou fille tient de l'état civil au sens de l'article 10 de la loi.

20. Deux décisions récentes du Tribunal du travail confirment cette opinion selon laquelle les liens créés par les relations familiales sont inclus dans "l'état civil" au sens de l'art. 10. Dans l'affaire Placements G.P.C. Inc. c. Union des employés de commerce, local 504, [1987] D.L.Q. 93n, le juge Burns décide que le fait d'exclure d'une unité de négociation les conjoints et les parents des principaux actionnaires de la société constitue de la discrimination fondée sur l'état civil contrairement à l'art. 10. Dans Marché Sabrevois Inc. c. Union des employés de commerce, local 500, [1987] D.L.Q. 71n, on arrive à une conclusion semblable relativement à l'exclusion de la conjointe, des enfants et de la belle‑soeur du propriétaire d'une société d'une liste de travailleurs dressée à des fins d'accréditation.

21. Pour ma part, je souscris au point de vue dominant qui se dégage de la jurisprudence et que le juge Lajoie de la Cour d'appel explique dans l'arrêt Biscuits Associés, précité. Ce point de vue porte que les relations familiales font partie de "l'état civil". Comme la filiation, la fraternité et la "sororité" sont comprises dans les paramètres que j'ai fixés à l'état civil au sens de l'art. 10. Donc, à cet égard aussi, la politique d'embauchage de l'intimée représente une exclusion de certains postulants fondée sur leur "état civil".

22. Une question plus compliquée est celle de savoir dans quelle mesure l'identité du conjoint est subsumée sous l'expression "état civil". Certes, le mariage est pertinent relativement à l'état civil. Il peut y avoir discrimination fondée sur l'état matrimonial au sens absolu. Mais qu'en est‑il de l'état matrimonial au sens relatif? L'identité du conjoint d'une personne est‑elle pertinente relativement à la discrimination au sens de l'art. 10?

23. L'intimée soutient que, sous cet aspect, l'expression "état civil" doit recevoir une interprétation stricte. Toutefois, comme je l'ai fait observer, pour saisir l'état civil d'une personne, il faut souvent se référer à celui d'une autre personne. Le veuvage en est un exemple. La filiation ainsi que la fraternité et la "sororité" en sont évidemment d'autres exemples. De fait, on peut difficilement concevoir une politique d'embauchage qui exclut "tous les fils et toutes les filles" sans qu'il soit précisé de qui ils sont les fils et les filles. Bien sûr, il est possible d'exercer une discrimination fondée sur l'état matrimonial au sens absolu (par ex. "aucun homme marié comme pilote d'essai"), mais il est invraisemblable qu'une personne puisse faire l'objet d'une discrimination dans l'embauchage fondée sur l'existence d'un lien de parenté par le sang, sans que soit mentionnée en même temps la personne avec laquelle elle a ce lien de parenté.

24. Dans l'affaire Commission des droits de la personne du Québec c. Courtier provincial en alimentation (1971) Inc. (1982), 3 C.H.R.R. D/1134, la Cour supérieure du Québec décide que l'identité du conjoint est pertinente relativement à la discrimination fondée sur l'état civil. C'est une affaire où une employée a été renvoyée par la société défenderesse parce que son mari travaillait pour un concurrent et le juge Lemieux a conclu que cette exclusion constitue de la discrimination fondée sur l'état civil contrairement à l'art. 10. Après avoir cité des définitions données à ce terme dans la doctrine, le juge Lemieux exprime, à la p. D/1135, cette opinion incidente:

Mais les droits de la mise‑en‑cause ont‑ils été compromis pour des motifs qui se rattachent à son état civil? Le tribunal doit en arriver à cette conclusion. En effet, la présumée situation conflictuelle de la mise‑en‑cause existe à cause de sa relation maritale avec René Robert.

25. Une décision québécoise isolée peut être citée à l'appui de la position de l'intimée. Dans l'affaire Mormina c. Saint‑Léonard (Ville de), C.S. Mtl., no 500‑05‑007908‑856, le 11 juin 1987 (résumé dans J.E. 87‑950), la secrétaire du maire est renvoyée à la suite d'une élection où son époux avait appuyé l'un des adversaires du maire. Là, le juge Bélanger de la Cour supérieure considère que l'expression "état civil" ne comprend que l'état matrimonial au sens absolu (à la p. 16):

Cette Cour est d'avis que les faits invoqués n'ont rien à voir avec une discrimination envisagée par la Charte. À l'égard de l'élément état civil, il importe peu, au sens de l'article 10 de la Charte, avec qui la demanderesse était mariée, mais plutôt le fait qu'elle soit mariée, célibataire, divorcée ou autre.

26. La question de savoir jusqu'à quel point l'identité du conjoint peut être pertinente relativement à la discrimination dans l'embauchage s'est posée ailleurs au Canada lorsque des tribunaux ont été appelés à définir l'expression "état matrimonial" employée dans des lois sur les droits de la personne en vigueur au niveau fédéral ou dans les autres provinces. Dans l'arrêt récent Cashin c. Société Radio‑Canada (1988), 86 N.R. 24 (C.A.F.), à la p. 28, le juge MacGuigan présente la question dans les termes suivants:

La présente affaire a été débattue en tenant pour acquis que la requérante avait fait l'objet d'un acte discriminatoire, le cas échéant, non pas en raison de son mariage comme tel mais parce qu'elle était mariée à un homme public en particulier. La [. . .] question qui se pose est donc celle de savoir si l'identité d'un époux est comprise dans le concept d'état matrimonial, le fondement du motif de distinction illicite allégué.

27. La décision Cashin fait suite à une série de décisions contradictoires rendues par divers tribunaux chargés de l'application de lois en matière de droits de la personne. Dans l'affaire Bosi v. Township of Michipicoten (1983), 4 C.H.R.R. D/1252, par exemple, une commission d'enquête constituée en vertu de l'ancien Ontario Human Rights Code décide que le refus du canton d'engager une femme comme commis comptable parce que son mari est déjà employé par le canton en qualité de policier ne constitue pas de la discrimination fondée sur l'état matrimonial. Martin Friedland, qui préside, fait observer, à la p. D/1254:

[TRADUCTION] Devrait‑elle [l'expression "état matrimonial"] être confinée à l'état matrimonial du conjoint à qui un poste est refusé, ou son application devrait‑elle être étendue aux espèces comme la présente affaire, dans laquelle on a refusé d'engager une personne parce qu'elle était mariée à une personne en particulier? Le premier sens est plus naturel à l'expression "état matrimonial" et la Loi de 1981 [qui n'était pas en vigueur à cette époque] donne une telle définition à ces termes, stipulant que cette expression désigne "le fait d'être marié, célibataire, veuf, divorcé ou séparé [. . . y compris] le fait de vivre avec une personne du sexe opposé dans une union conjugale hors des liens du mariage".

28. En revanche, dans la décision Mark v. Porcupine General Hospital (1984), 6 C.H.R.R. D/2538, où la décision Bosi est expressément désavouée, une commission d'enquête ontarienne juge que l'état matrimonial peut être interprété d'une manière relative. Rosemary Mark a été engagée comme femme de ménage au service d'entretien de l'hôpital, service où son mari travaille déjà. Elle est par la suite renvoyée uniquement parce qu'elle est l'épouse de M. Mark, ce qui va à l'encontre d'une politique interdisant que mari et femme travaillent au même service. Le président P. A. Cumming donne, à la p. D/2541, cette explication de l'expression "état matrimonial":

[TRADUCTION] Il me semble que le fait que la discrimination envisagée soit fondée sur l'"état matrimonial" d'un plaignant en considération de son mariage avec une personne particulière plutôt que sur le seul état matrimonial de ce plaignant ne devrait pas entrer en ligne de compte [. . . Si] un employeur pratique la discrimination à l'égard d'une personne parce que celle‑ci est mariée à une personne particulière, la personne particulière qu'il a lésée est, à mon avis, victime d'une discrimination illégale même s'il ne se rend pas coupable de discrimination contre les personnes mariées en général. L'"état matrimonial" (c'est‑à‑dire le fait "d'être marié") de la personne qui porte plainte est un élément essentiel, ou une cause efficiente immédiate, du refus de l'engager. Si la plaignante dans l'affaire Bosi n'avait pas été mariée au policier en question mais l'avait simplement compté parmi ses connaissances, elle n'aurait pas été rejetée en raison de son "état matrimonial". Si le raisonnement tenu par la commission dans l'affaire Bosi était que, essentiellement, la plaignante avait été rejetée en raison de ce que l'on avait jugé être un conflit d'intérêts, il demeure que la question de ce conflit d'intérêts n'a été soulevée qu'en raison de son "état matrimonial". À mon avis, la décision rendue dans l'affaire Bosi sur ce point est entachée d'erreur. [Je souligne.]

29. Dans l'affaire Cashin, précitée, une femme mariée se plaint d'être victime de discrimination illicite fondée sur "l'état matrimonial", après que Radio‑Canada l'eut renvoyée parce que son mari était une personnalité publique. Le tribunal d'appel constitué en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne adopte une interprétation large de l'expression "état matrimonial":

En conséquence, le principe qui sous‑tend l'interdiction de la discrimination fondée sur la situation matrimoniale doit être envisagé à la lumière des objectifs de la Loi canadienne sur les droits de la personne: que les employeurs ne traitent pas les gens différemment pour les raisons précisées dans la Loi et qu'ils les jugent en fonction de leurs mérites propres. Ce principe est sans contredit violé lorsque des chances égales sont refusées à une personne parce qu'elle est mariée. Il [. . .] est aussi révoltant qu'un employeur exerce une discrimination contre les gens mariés en tant que catégorie que contre une personne en particulier en raison de l'identité de son conjoint. Si la situation matrimoniale est la cause directe, il est donc normal que ce soit à l'employeur de justifier ses actes.

((1987), 8 C.H.R.R. D/3699, à la p. D/3703.)

30. La Cour d'appel fédérale, qui entend l'appel de cette décision, examine les décisions Bosi et Mark pour ensuite adopter ce que le juge MacGuigan qualifie de moyen terme dans l'interprétation de l'expression "état matrimonial". Il commence par faire remarquer, à la p. 30, que:

Normalement, l'expression état matrimonial ne désigne rien d'autre que le fait d'être [TRADUCTION] "marié ou non marié", elle n'est pas considérée comme englobant l'identité et les caractéristiques du conjoint.

31. Puis, après avoir souligné l'importance que revêtent les objectifs globaux de la Loi dans l'interprétation de ses dispositions, le juge MacGuigan décide, aux pp. 31 et 32:

En fin de compte, ce que la Loi vise à décourager, c'est la distinction dirigée contre une personne individuelle non pas en raison de son individualité, mais parce qu'elle constitue un spécimen d'un groupe identifié par une caractéristique donnée. En conséquence, l'identité d'un conjoint particulier ne peut être comprise dans la notion d'état matrimonial parce que cette identité est purement individuelle et n'a pas trait à un aspect de la vie partagé par un groupe. Il me semble toutefois qu'une règle générale proscrivant l'embauchage des conjoints des employés peut très bien relever de l'état matrimonial précisément parce qu'étant donné son caractère général, elle peut imposer une catégorie générale ou une catégorie relative à un groupe. Comme dans l'affaire Mark ou dans les décisions américaines qui s'y trouvent suivies, ce n'est pas un conjoint particulier qui est visé mais tout conjoint de toute personne alors employée. Le point de vue que j'adopte se situerait peut‑être entre l'interprétation large et l'interprétation étroite susmentionnées.

32. Se fondant sur cette définition, le juge MacGuigan conclut que Mme Cashin qui, dit‑il, a perdu son emploi par suite d'une politique générale suivie par Radio‑Canada et non pas uniquement à cause de la personne particulière à laquelle elle est mariée, a été victime de discrimination illicite fondée sur l'état civil.

33. Il suffit, aux fins de la présente instance, de limiter le sens de l'expression "état civil" à l'exclusion d'un individu "identifié par une caractéristique" de groupe, pour reprendre les termes utilisés par le juge MacGuigan. On peut dire que l'exclusion établie par la politique d'embauchage de l'intimée crée une telle caractéristique de groupe, car toutes les demandes d'emploi des parents immédiats, y compris les conjoints, des employés à plein temps et des conseillers municipaux ne seront pas prises en considération. Adaptant à la situation qui se présente en l'espèce les propos du juge MacGuigan, on peut affirmer qu'une règle générale proscrivant l'embauchage des parents et des conjoints des employés relève effectivement de l'état civil précisément parce qu'en raison de son caractère général, elle peut avoir pour effet d'imposer une catégorie générale ou une catégorie relative à un groupe. Il n'est pas nécessaire de décider en l'occurrence si l'identité d'un conjoint particulier est incluse dans la notion d'état matrimonial ou d'état civil et je m'abstiens de le faire. Je suis néanmoins porté à croire que dans certaines circonstances l'identité d'un conjoint particulier pourrait être comprise dans l'état matrimonial ou civil. Or, il arrive parfois que l'employeur exclue une personne en raison de l'identité de son conjoint sans pour autant appliquer une règle explicite interdisant l'embauchage des conjoints. Le tribunal se trouve alors chargé de la tâche parfois difficile et non toujours utile d'avoir à déduire l'existence d'une "catégorie relative à un groupe". De plus, une règle destinée à empêcher l'embauchage de conjoints peut être appliquée d'une manière inégale par l'employeur et perdre ainsi son caractère général. Dans l'affaire Cashin, par exemple, le juge Mahoney fait remarquer que Radio‑Canada tolérait que certains employés aient des conjoints qui étaient des personnalités politiques très en vue. Il se peut en outre qu'un employeur exclue un candidat à un poste en raison de l'animosité particulière qu'il a pour le conjoint de ce candidat. L'exclusion de ce dernier repose alors sur l'identité de son conjoint et rien d'autre. Cela pourrait bien constituer de la discrimination fondée sur l'état matrimonial ou civil mais, je le répète, il n'est pas nécessaire de trancher cette question en l'espèce.

34. Comme je l'ai fait remarquer précédemment, l'intimée avance dans son mémoire un argument subsidiaire suivant lequel la politique d'embauchage ne constitue pas de la discrimination fondée sur l'état civil:

N'eût été des fonctions permanentes occupées à la Ville par sa mère, la candidature de la mise‑en‑cause aurait été considérée et, pourtant, elle aurait eu le même état civil. L'exclusion n'est donc pas vraiment fondée sur l'état civil comme tel.

En d'autres termes, on peut dire que cet argument est axé sur la cause efficiente de l'exclusion de Line Laurin. Suivant ce raisonnement, l'état civil de celle‑ci n'en est pas l'unique cause. Deux facteurs jouent dans l'exclusion—l'état civil de Line Laurin et le poste occupé par sa mère. Comme ce n'est pas l'état civil en soi qui cause l'exclusion, on ne saurait affirmer qu'il y a eu discrimination fondée sur l'état civil.

35. À mon avis, cet argument est sans fondement. Certes la relation de mère‑fille et le poste occupé par la mère sont des facteurs qui peuvent être dissociés dans certaines circonstances, mais pour ce qui est de déterminer la cause de l'exclusion de Line Laurin, ils jouent ensemble de manière à former une cause unique et indivisible. C'est l'état civil de Line Laurin, dont l'appréciation nécessite l'examen de la situation de sa mère, qui est à l'origine de son exclusion.

36. Ce que j'ai fait observer concernant la portée de l'expression "état civil" employée à l'art. 10 constitue une réponse partielle à cet argument. Comme je l'ai déjà affirmé, dans bien des cas l'état civil d'une personne ne peut être décrit que par rapport à la situation d'une autre personne. En l'espèce, Line Laurin est exclue non pas parce qu'elle est la fille de quelqu'un, mais parce qu'elle est la fille de sa mère. L'état civil de la fille est indissociable de la situation de sa mère.

37. Donc, pour définir l'état civil lui‑même, il faut procéder à un examen de la situation de la mère de Line Laurin dans la présente affaire. Peut‑on dissocier le poste occupé de la personne qui l'occupe? Même l'intimée ne peut le faire en formulant son argument à ce propos, car elle dit: "N'eût été des fonctions permanentes occupées à la Ville par sa mère . . .» (Je souligne.) L'intimée n'exclut pas les candidats uniquement à cause de postes occupés, mais plutôt en raison de postes occupés par des parents immédiats de candidats. La candidature de Line Laurin aurait été considérée si, par exemple, c'eût été un ami intime et non pas sa mère qui travaillait au service de police. Il est impossible, aux fins de déterminer la cause de l'exclusion, de dissocier le poste de la mère d'avec la relation de mère‑fille comme telle. Tout comme dans l'affaire Mark, précitée, l'état matrimonial est la cause du renvoi dans le cas d'une femme de ménage qui perd son emploi dans un hôpital parce que son mari travaille au sein du même service, c'est l'état civil seulement qui est à l'origine de l'exclusion de Line Laurin en l'espèce.

38. Cette conclusion saute aux yeux si l'on considère l'inverse de la politique de la ville en matière d'embauchage. Si un employeur choisissait de n'engager que les parents de ses employés actuels, un candidat n'ayant pas de lien de parenté pourrait‑il se plaindre d'avoir été victime de discrimination illicite fondée sur l'état civil? À mon avis, une telle plainte serait prima facie bien fondée.

39. En fait, c'est ce qui a été décidé dans l'affaire Syndicat national des employés de garage de Québec Inc. (C.S.D.), précitée, et récemment encore par la Commission dans la Décision C.D.P.—18, [1987] D.L.Q. 155. Dans cette dernière affaire, une convention collective privilégie les enfants des employés en ce qui concernait les emplois d'été chez Domtar. La Commission tire la conclusion suivante, à la p. 156:

...l'article [. . .] de la convention collective, liant l'employeur et son syndicat, est discriminatoire, puisqu'il rompt le principe d'égalité décrété par la charte en créant une distinction, exclusion ou préférence fondée sur l'état civil (liens de parenté).

40. À l'appui de son argument, l'avocat de l'intimée cite les arrêts Johnson c. Commission des affaires sociales, [1984] C.A. 61, et Bliss c. Procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 183. On rapproche la distinction entre le sexe et la grossesse invoquée pour justifier l'inadmissibilité de femmes enceintes aux prestations d'assurance‑ chômage dans l'affaire Bliss, de la distinction entre l'état civil et le poste occupé par la mère, soulevée en l'espèce. Aux fins de la présente analyse, je fais simplement remarquer que la distinction discutable, pour dire le moins, qui a été faite dans l'affaire Bliss entre la discrimination fondée sur le sexe et celle fondée sur la grossesse a été mise en doute et que, même si elle pouvait être maintenue, l'affaire ne serait peut‑être pas tranchée de la même manière aujourd'hui étant donné que dans son arrêt récent Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, cette Cour a reconnu l'existence de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. À mon avis, l'arrêt Bliss ne fait sûrement pas autorité en l'espèce, d'autant plus qu'on le cite à titre analogique.

41. Dans l'affaire Johnson, une femme mariée alléguait avoir été victime de discrimination illicite fondée sur l'état civil lorsque, en conformité avec l'art. 8 de l'ancienne Loi de l'aide sociale, L.Q. 1969, chap. 63, des prestations d'aide sociale avaient été refusées à sa famille parce que son mari faisait la grève. Le juge Bisson, alors juge puîné de la Cour d'appel du Québec, statue que l'art. 8 ne va pas à l'encontre de l'art. 10 de la Charte (à la p. 69):

Mais si l'appelante s'est trouvée privée de l'aide sociale, ce n'est pas en raison de son état civil de femme mariée mais plutôt en raison de la situation dans laquelle se trouvait son mari au moment de la demande d'aide sociale.

Avec égard, on ne peut donc dire que, si l'appelante s'est vue privée de l'aide sociale, ce fut en raison de son état civil.

Cette décision paraît contredire l'interprétation que j'ai donnée à l'expression "état civil" en me fondant sur les décisions Biscuits Associés, Mark et Cashin. J'estime toutefois qu'une distinction peut être faite d'avec l'affaire Johnson en raison des termes particuliers de la Loi de l'aide sociale qui y étaient en cause. L'article 8 prévoyait en effet que l'aide sociale ne pouvait pas être accordée "à une famille dont un adulte a perdu son emploi [du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif]" (je souligne). C'était la famille, un terme défini à l'al. 1b) de la Loi, et non pas la femme mariée, qui faisait l'objet de l'exclusion attaquée dans l'affaire Johnson.

42. Je conclus que la politique d'embauchage de l'intimée représente effectivement une exclusion fondée sur l'état civil de personnes postulant des emplois auprès de la ville. Il s'agit d'une exclusion fondée sur la filiation, la fraternité et la "sororité" ainsi que l'état matrimonial perçus de la manière décrite plus haut, lesquels, comme je l'ai déjà dit, sont tous inclus dans "l'état civil" des candidats pour les fins de l'art. 10 de la Charte. Cela vaut tant d'une manière générale que dans le cas particulier de Line Laurin. De plus, l'état civil des candidats est la cause efficiente de leur exclusion.

43. Pareille exclusion ne constituera de la discrimination au sens de l'art. 10 que si, comme le prévoit le deuxième alinéa de cette disposition, l'exclusion a pour effet de détruire ou de compromettre le droit des candidats à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne. Il est clair que Line Laurin et les autres candidats exclus en raison de la politique d'embauchage ne jouissent pas de la reconnaissance et de l'exercice, en pleine égalité, du droit à la non‑discrimination dans l'embauchage, prévu par l'art. 16. Il s'ensuit que la pratique de l'intimée en matière d'embauchage est discriminatoire au sens de l'art. 10. Mais cette pratique est‑elle justifiée par l'une des exceptions établies à l'art. 20 de la Charte? Voilà une question qui sera abordée dans les parties III et IV des présents motifs.

III Aptitudes ou qualités exigées de bonne foi pour un emploi

44. Aux termes de l'art. 20 de la Charte, sont réputées non discriminatoires certaines distinctions, exclusions ou préférences qui constitueraient autrement une discrimination visée par l'art. 10. Au moment où l'intimée a présenté sa requête pour jugement déclaratoire, l'art. 20 disposait:

20. Une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités exigées de bonne foi pour un emploi, ou justifiée par le caractère charitable, philantropique (sic), religieux, politique ou éducatif d'une institution sans but lucratif ou qui est vouée exclusivement au bien‑être d'un groupe ethnique est réputée non discriminatoire.

45. L'article 20 prévoit deux exceptions distinctes à la norme antidiscrimination. Le premier volet de l'art. 20 ressemble à ce qu'on est convenu d'appeler les exceptions fondées sur des "exigences professionnelles réelles", que l'on trouve dans d'autres lois canadiennes traitant de droits de la personne. Au moment du litige, la partie pertinente de l'art. 20 était ainsi conçue:

20. Une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités exigées de bonne foi pour un emploi [. . .] est réputée non discriminatoire.

46. Le juge de première instance et le juge Jacques de la Cour d'appel se penchent tous les deux sur l'argument de l'intimée portant que la politique d'embauchage est justifiée par le premier volet de l'art. 20. Le juge Deslongchamps de la Cour supérieure ne retient pas cet argument. Dans une brève mention du premier volet de l'exception, il dit (à la p. 208):

Le Tribunal est d'avis que la distinction, l'exclusion ou la préférence fondée sur les aptitudes ou qualités exigées de bonne foi pour un emploi, dont parle l'article 20, se rapporte à la compétence professionnelle et technique. Toute interprétation contraire équivaudrait à permettre indirectement ce qui est prohibé directement par l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne.

En conséquence, le Tribunal en vient à la conclusion que la politique d'emploi, telle qu'exercée par la demanderesse et, plus particulièrement auprès de l'intimée, Line Laurin, eu égard à l'état civil des postulants d'emploi, est discriminatoire aux termes de la Charte des droits et libertés de la personne.

47. L'opinion de la majorité en Cour d'appel repose sur le second volet de l'art. 20. Le juge Paré constate que le juge de première instance et le juge Jacques ont recours au premier volet de l'art. 20, mais il s'abstient d'exprimer une opinion sur la question de savoir si l'argument de l'intimée est bien fondé à cet égard.

48. Le juge Jacques, qui consacre une bonne partie de son opinion dissidente au premier volet de l'art. 20, conclut que l'exception ne justifiait pas la politique discriminatoire en matière d'embauchage. Avec égards, je ne suis pas d'accord avec lui lorsqu'il laisse entendre qu'il y a connexité entre les premier et second volets de l'art. 20. Parlant du sens de l'expression "aptitudes ou qualités" employée au premier volet, il fait remarquer (à la p. 367):

D'ailleurs, l'article 20 lui‑même, lorsqu'il réfère au caractère "charitable, philanthropique, religieux, politique ou éducatif" d'institutions et à des "groupes ethniques", donne une extension considérable aux mots "aptitudes ou qualités".

49. Les premier et second volets de l'art. 20 représentent des exceptions distinctes à la norme antidiscrimination fondées sur des objectifs législatifs différents. Selon moi, on a tort de les prétendre connexes, même aux fins de l'interprétation de leurs termes respectifs. Comme nous allons le voir, ces objectifs législatifs différents font que les deux exceptions méritent l'emploi de méthodes d'interprétation différentes.

50. Cela dit, les observations du juge Jacques concernant le premier volet de l'art. 20 se révèlent fort utiles. Il tente d'abord de définir les termes "aptitudes" et "qualités" dans leur application aux emplois en général. Pour le juge Jacques, le mot "aptitudes" désigne "les dispositions naturelles ou acquises à accomplir la tâche", tandis que "qualités" implique une notion de portée plus large, quoique connexe, se rapportant à "des attributs mentaux et moraux requis pour l'emploi". Il ajoute (à la p. 367):

Par ailleurs, ces deux mots signifient aussi la capacité ou la condition juridique d'une personne. C'est l'un des sens que les dictionnaires leur donnent.

...

En conséquence, l'état civil, qui définit une personne et qui qualifie sa capacité de s'obliger, entre donc dans "les aptitudes ou qualités" d'une personne surtout lorsqu'il est question d'emploi.

51. Le juge Jacques passe ensuite à l'examen de la question de savoir si l'exclusion fondée sur l'état civil était, dans les circonstances, "exigée [. . .] de bonne foi pour un emploi" auprès de l'intimée. À ce propos, il fait deux observations préliminaires. En premier lieu, il souligne que l'employeur en question est un corps public dont la structure administrative nécessite "des règles particulières de conduite des membres de son administration afin d'éviter et d'empêcher toute situation susceptible de favoriser un détournement de pouvoir, e.g. conflit d'intérêts, le népotisme". En deuxième lieu, il cite le témoignage de M. Lussier, le directeur du personnel de l'intimée, qui a affirmé au cours de l'audience en première instance qu'il n'existe aucun lien administratif entre le service des loisirs auprès duquel Line Laurin a postulé un emploi et le service de la police où sa mère occupe le poste de dactylographe.

52. Expliquant l'expression "exigées de bonne foi", le juge Jacques fait ressortir les points suivants (à la p. 368):

...s'il apparaît que le motif ostensible est déraisonnable, extravagant ou exorbitant, la qualité n'est pas alors "exigée de bonne foi", mais plutôt par simple caprice, et le motif dans ce cas est fallacieux. Il n'est point besoin que la preuve établisse la volonté de mettre en échec la charte. Cette volonté peut alors se présumer du fait que le motif ostensible est déraisonnable.

53. Le juge Jacques décide que la règle adoptée par l'intimée pour combattre le népotisme va trop loin en ce sens qu'elle s'applique invariablement, sans tenir compte de l'emploi postulé par le candidat ni du poste occupé par la personne déjà employée par la ville (à la p. 368):

Le désir de Brossard d'éviter le népotisme et le favoritisme est tout à fait louable.

Cependant, la mesure prise pour ce faire est à sa face même exorbitante. En effet, elle est globale et ne comporte aucune distinction quelconque entre les divers postes que peut occuper un postulant...

Puisque le problème du népotisme varie d'une entité politique à l'autre, le juge Jacques laisse entendre que le caractère raisonnable d'une mesure donnée doit être déterminé en fonction de "la dimension de la municipalité, sa population, le nombre et la composition de ses employés et sa structure administrative". Bref, les mesures prises pour enrayer le népotisme doivent être proportionnées à l'imminence du risque présenté par de telles pratiques dans chaque cas.

54. En plaidant devant cette Cour, les parties n'ont pas beaucoup insisté sur le premier volet de l'art. 20, et ce, en dépit de l'opinion dissidente du juge Jacques qui en fait une étude approfondie. Comme j'estime que le second volet de l'art. 20 ne s'applique pas aux municipalités, cela confère au premier volet une importance accrue, étant donné qu'il représente l'unique disposition figurant actuellement dans la Charte que les organismes gouvernementaux puissent invoquer pour justifier une règle antinépotisme qui serait par ailleurs discriminatoire. Tout en souscrivant aux conclusions du juge Jacques relativement au premier volet, je crois néanmoins qu'il est utile d'entreprendre un examen assez minutieux de cette exception à la norme antidiscrimination.

55. Pour déterminer si le premier volet de l'art. 20 justifie vraiment la politique d'embauchage discriminatoire de l'intimée, il faut décrire adéquatement "l'aptitude ou la qualité" en question et, ensuite, répondre à la question de savoir si cette aptitude ou qualité est exigée de bonne foi pour l'emploi.

56. Cette Cour a décidé dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, et confirmé dans l'arrêt Bhinder c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1985] 2 R.C.S. 561, que les exceptions relatives aux exigences professionnelles réelles, que l'on trouve dans les lois en matière de droits de la personne, doivent, en principe, s'interpréter restrictivement puisqu'elles suppriment des droits qui autrement recevraient une interprétation libérale. Cela vaut également pour le premier volet de l'art. 20.

57. Il est difficile de définir avec précision l'expression "aptitudes ou qualités". Typiquement, les tribunaux québécois ont tendance à examiner le premier volet dans son ensemble, comme l'a fait le juge Deslongchamps en l'espèce: "la distinction, l'exclusion ou la préférence fondée sur les aptitudes ou qualités exigées de bonne foi pour un emploi, dont parle l'article 20, se rapporte à la compétence professionnelle et technique" (je souligne). J'estime néanmoins que le terme "aptitudes ou qualités" a une portée suffisamment large pour englober en l'espèce une exigence fondée sur l'état civil.

58. Il y aura sans doute des cas où les tribunaux chercheront à faire une distinction entre "aptitudes" et "qualités", ainsi que le fait le juge Jacques en Cour d'appel. Bien sûr, cela est possible parce que l'emploi du mot "ou" par le législateur incite à une interprétation disjonctive des deux mots. Je ne crois toutefois pas qu'une telle interprétation s'impose en l'espèce. Aux fins de la présente analyse, je fais simplement remarquer que le terme "qualité" figurant dans la version française de l'art. 20 devrait recevoir une interprétation étroite de manière à concorder plus exactement avec le mot "qualification" employé par le législateur dans la version anglaise. Étant donné l'interprétation restrictive qu'il convient de donner au premier volet de l'art. 20, c'est le terme de portée moins large, c'est‑à‑dire "qualification", qu'il faut préférer.

59. Pour commencer l'analyse du premier volet, il est utile d'examiner le rapport général qui existe entre l'art. 10 et l'art. 20. L'exception énoncée au premier volet de l'art. 20 ne peut être invoquée qu'à la suite de la détermination qu'une conduite donnée constitue une discrimination, contrairement à l'art. 10. Ce lien se reflète dans le texte de chacune des dispositions en question:

10. ...sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur...[les motifs de discrimination énumérés].

20. Une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités exigées de bonne foi pour un emploi...[Je souligne.]

Les "aptitudes ou qualités" doivent nécessairement se rapporter à l'un des motifs énumérés à l'art. 10 pour être pertinentes aux fins du premier volet de l'art. 20. Bien que cela puisse tenir de l'évidence étant donné le lien nécessaire entre l'art. 10 et l'art. 20, on oublie souvent ce rapport en essayant de donner à l'expression "aptitudes ou qualités" une définition qui soit complète. La force physique, par exemple, peut constituer une "aptitude ou qualité" au sens de l'art. 20 qui se rapporte à "l'âge", lequel constitue maintenant un motif de discrimination énoncé à l'art. 10. De même, la dextérité peut être une "aptitude ou qualité" au sens de l'art. 20 qui se rapporte au "handicap" visé à l'art. 10.

60. Il n'est pas nécessaire que "l'aptitude ou la qualité" constitue en soi l'un des motifs de discrimination énumérés à l'art. 10, mais elle doit avoir un lien avec un tel motif, sinon il n'y aurait aucune raison de réputer non discriminatoire la distinction, l'exclusion ou la préférence dont parle l'art. 20. Une fois établi ce lien entre "l'aptitude ou la qualité" et le motif de discrimination visé par l'art. 10, la cour ou le tribunal détermine si cette aptitude ou qualité est exigée de bonne foi pour l'emploi.

61. En l'espèce, quelle est "l'aptitude ou la qualité" se rapportant à l'état civil, lequel constitue le motif de discrimination mentionné à l'art. 10 qui est pertinent relativement à la politique discriminatoire en matière d'embauchage? Le fait qu'aucun membre de la famille immédiate d'un candidat à un poste de la ville ne soit pas déjà employé par celle‑ci ni ne fasse partie du conseil municipal empêche tout conflit réel ou éventuel entre les intérêts de la ville et ceux du candidat. Cette absence de conflit d'intérêts de la part du postulant d'un emploi constitue, quant à elle, une "aptitude ou qualité" au sens de l'art. 20. Si la ville a adopté cette politique interdisant l'embauchage de conjoints et de parents immédiats, c'était pour favoriser l'impartialité et l'apparence d'impartialité dans l'embauchage de nouveaux fonctionnaires et dans l'exécution de leurs fonctions une fois qu'ils avaient été engagés. Comme le fait remarquer le président Friedland dans une opinion incidente exprimée dans la décision Bosi, précitée, à la p. D/1254 (et je cite le président Friedland malgré notre désaccord sur un autre point):

[TRADUCTION] De plus, à supposer que l'expression "état matrimonial" doive recevoir une interprétation large, il n'y aurait tout de même pas de discrimination abusive en l'espèce. Le paragraphe 4(6) de la Loi prévoit que les dispositions "relatives à un acte discriminatoire, à une restriction, à une condition ou à une préférence pour un poste ou un emploi fondés sur l'âge, le sexe ou l'état civil ne s'appliquent pas lorsque l'âge, le sexe ou l'état civil constituent une exigence professionnelle réelle du poste ou de l'emploi". L'absence de conflit d'intérêt éventuel doit être considérée comme une "exigence professionnelle réelle". [Je souligne.]

62. Il y a deux raisons pour lesquelles les postulants d'emplois ne doivent pas se trouver en situation de conflit d'intérêts. D'abord, la ville a établi la règle interdisant l'embauchage de conjoints et de parents immédiats afin de favoriser l'impartialité dans l'engagement de nouveaux fonctionnaires. Un fonctionnaire qui réussit à faire embaucher un parent plutôt que le candidat le plus compétent commet un abus de pouvoir et fait entrer ses intérêts et ceux du parent candidat en conflit avec les intérêts de la ville. Ensuite, la règle antinépotisme de la ville est destinée à promouvoir l'impartialité des fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions une fois qu'ils sont engagés. L'un et l'autre objectif se rapporte à la nécessité pour la ville en tant qu'organisme comptable envers le public de se doter d'une fonction publique exempte de tout conflit d'intérêts.

63. À première vue, le conflit d'intérêts en question serait un conflit entre les intérêts de la ville et ceux d'employés à plein temps actuels ou de conseillers municipaux. Il ne s'agirait donc pas à strictement parler d'une "aptitude ou qualité" de candidats à un emploi. Il vaut mieux considérer, toutefois, que les intérêts d'employés actuels et de postulants d'emplois coïncident dans une large mesure puisqu'ils sont membres de la même famille immédiate. De plus, la question de l'absence de conflit d'intérêts concerne également le candidat en tant que futur employé.

64. C'est par sa politique d'embauchage que l'intimée s'assure que ses employés possèdent cette "aptitude ou qualité", et cette politique, comme nous l'avons déjà vu, constitue d'une manière générale ainsi que dans le cas précis de Line Laurin une discrimination fondée sur l'état civil au sens de l'art. 10. Il n'est pas nécessaire d'approfondir davantage la question du sens précis de l'expression "aptitudes ou qualités". Cela étant, nous pouvons examiner maintenant si c'est de bonne foi que la ville intimée pose cette exigence en matière d'embauchage.

65. L'absence de conflits d'intérêts réels ou éventuels et d'apparence de tels conflits est‑elle "exigée [. . .] de bonne foi pour un emploi" auprès de la ville? La réponse donnée à cette question dépendra évidemment de la rigueur avec laquelle on applique le critère qui se dégage implicitement de cette expression qui figurait dans la première partie de l'art. 20 à l'époque de ce litige.

66. Dans l'arrêt Etobicoke, précité, le juge McIntyre a expliqué le sens d'une expression similaire employée dans l'ancien Ontario Human Rights Code, et j'estime que son explication est des plus utiles pour saisir le premier volet de l'art. 20 (à la p. 208):

Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général.

67. Pour que sa politique d'embauchage soit réputée non discriminatoire, l'intimée doit démontrer (1) que l'exigence qu'il n'y ait pas de conflit d'intérêts a été imposée honnêtement, de bonne foi (critère subjectif), et (2) que cette exigence se rapporte objectivement à l'exercice de l'emploi auprès de la ville, en ce sens qu'elle est raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail (critère objectif).

68. Il ressort de la preuve produite devant la Cour supérieure que l'exigence a été imposée honnêtement et satisfait donc à l'élément subjectif du critère. Selon le témoignage incontesté du directeur du personnel de la ville, la politique d'embauchage vise à combattre le népotisme et à favoriser une saine gestion municipale et non pas à contrecarrer les objectifs de la Charte:

...c'est évident qu'une municipalité est exposée aux yeux de tout le monde, les biens qui sont administrés, ou les argents qui sont administrés par les fonctionnaires municipaux sont des argents qui ne leur appartiennent pas. Alors il faut éviter, je pense, même toute apparence de népotisme, ou de favoritisme; alors il est entendu que si un responsable de la ville se met à engager des personnes de sa parenté ou...

PAR Me VERMETTE:

Q. Oui?

R. ...ça sera certainement mal vu de la part des citoyens. Or, il y a là un danger évident là je pense de népotisme. Il y a aussi un danger de favoritisme qui fait que si, évidemment, le supérieur en particulier, qui a des parents qui travaillent pour lui, sera porté à leur accorder des meilleurs postes et le reste et ça causera du favoritisme, ça causera aussi de la jalousie chez les autres...

69. L'intimée doit prouver en outre que l'aptitude ou la qualité se rapporte objectivement à l'exercice de l'emploi en question. Le juge McIntyre laisse entendre dans l'arrêt Etobicoke que le critère objectif sert à déterminer si l'exigence en matière d'emploi est "raisonnablement nécessaire" pour assurer l'exécution du travail. Je crois qu'en l'espèce cette "nécessité raisonnable" peut être examinée en fonction des deux questions suivantes:

(1) L'aptitude ou la qualité a‑t‑elle un lien rationnel avec l'emploi en question? C'est là un moyen de déterminer si le but visé par l'employeur en établissant l'exigence convient objectivement au poste en question. Dans l'affaire Etobicoke, par exemple, la force physique évaluée selon l'âge avait un lien rationnel avec le travail de pompier.

(2) La règle est‑elle bien conçue de manière que l'exigence quant à l'aptitude ou à la qualité puisse être remplie sans que les personnes assujetties à la règle ne se voient imposer un fardeau excessif? Cela nous permet d'examiner le caractère raisonnable des moyens choisis par l'employeur pour vérifier si l'on satisfait à cette exigence dans le cas de l'emploi en question. Par exemple, l'âge de la retraite obligatoire à soixante ans dans l'affaire Etobicoke était d'une sévérité disproportionnée à son objectif qui était de s'assurer que tous les pompiers possédaient la force physique nécessaire pour s'acquitter de leurs fonctions.

70. Pour ce qui est de la première question, je crois que l'aptitude ou la qualité exigée de tous les candidats—c'est‑à‑dire l'absence de conflits d'intérêts réels et éventuels et de l'apparence de tels conflits—a un lien rationnel avec l'exercice d'un emploi auprès de la ville.

71. L'identité particulière de l'employeur influe sur la nature de chaque poste dans la fonction publique. La ville de Brossard, comme tous les gouvernements employeurs, possède la personnalité juridique grâce à une fiction commode du droit positif. Mais la ville est en réalité une collectivité composée de ses citoyens. La gestion de cette collectivité devrait refléter l'intérêt commun de l'ensemble de ses habitants—voilà un principe fondamental de gouvernement dans une société libérale. Dans son ouvrage important intitulé Les principes généraux du droit administratif (3e éd. 1930), vol. II, à la p. 1, le professeur Gaston Jèze dit simplement que "l'administration a pour mission de satisfaire aux besoins de l'intérêt général".

72. Il est dans l'intérêt général que les affaires municipales soient gérées efficacement et d'une manière qui ne privilégie pas les intérêts particuliers d'un citoyen par rapport à un autre. Cela vaut autant pour l'embauchage de fonctionnaires que pour l'accomplissement de leurs tâches une fois qu'ils ont été engagés. De fait, les intérêts particuliers du fonctionnaire doivent céder le pas devant l'intérêt général de la collectivité, car en théorie ce n'est qu'à cet intérêt général que le fonctionnaire se trouve soumis dans l'exécution de ses fonctions. Tous les fonctionnaires, du cadre le plus puissant jusqu'au moindre petit commis, partagent cette responsabilité envers la collectivité. Je crois qu'on peut dire avec justesse que chaque fonctionnaire peut être assujetti, dans une mesure plus ou moins grande, à des règles de conduite qui reconnaissent l'existence de cette responsabilité supérieure. Même un sauveteur à une piscine municipale partage cette obligation d'honnêteté et d'impartialité envers les citoyens qu'il sert.

73. Le juge Jacques de la Cour d'appel y fait allusion lorsqu'il affirme que la structure administrative de la ville nécessite qu'il y ait des règles de conduite pour ses fonctionnaires afin d'éviter les abus de pouvoir. Le professeur Patrice Garant explique que cet intérêt général supérieur peut justifier une règle de droit destinée à empêcher, par exemple, que les fonctionnaires ne se trouvent en situation de conflit d'intérêts:

Quiconque se rallie à l'idée du primat de l'intérêt général sur l'intérêt particulier doit convenir que le droit doit tenter d'éliminer ces situations où les agents publics sont exposés à préférer le second au premier. Certes il est pensable qu'un agent public serve ses propres intérêts en ne négligeant pas l'intérêt général, mais le risque est trop grand. L'intégrité de l'agent public est totale, ou elle est en proie à tous les compromis et toutes les concessions.

(La fonction publique canadienne et québécoise (1973), à la p. 283.)

74. Il est approprié, voire nécessaire, d'adopter pour les fonctionnaires des règles de conduite destinées à prévenir les conflits d'intérêts, dont le népotisme constitue une forme particulièrement grave. À cette fin, des règles générales de droit administratif ont été élaborées partout au Canada et à celles‑ci viennent s'ajouter des règles précises de droit public, comme la loi québécoise ayant pour titre Loi sur la fonction publique, L.R.Q., chap. F‑3.1.1, adoptée en 1983, dont l'art. 7 ordonne expressément aux fonctionnaires d'éviter les conflits d'intérêts. S'y ajoutent également des règles de droit municipal comme la Loi sur les cités et villes du Québec, L.R.Q., chap. C‑19, qui, à sa section V, contient des règles semblables portant sur la capacité et l'incapacité à occuper des charges municipales. Il se peut qu'un fonctionnaire abuse du pouvoir dont il a été investi lorsque ses propres intérêts entrent en conflit avec ceux de l'organisme public qu'il sert. L'embauchage en fonction des relations familiales plutôt que selon le mérite constitue un tel abus de pouvoir. Accorder un traitement préférentiel à un parent qui fait déjà partie de la fonction publique en est un autre exemple. Dans les deux cas, il y a conflit entre les intérêts de la ville et ceux du fonctionnaire ou de l'aspirant fonctionnaire. Dans les deux cas, il y a d'une certaine manière manquement à l'obligation supérieure envers la collectivité. C'est la prévention de ces abus de pouvoir que vise la règle antinépotisme de la ville. Je conclus sans hésitation à l'existence d'un lien rationnel entre l'exigence qu'il n'y ait aucun conflit d'intérêts réel ou éventuel et l'emploi auprès de la ville, y compris l'emploi de sauveteur postulé par Line Laurin.

75. Cela dit, la politique d'embauchage de l'intimée ne se limite pas à combattre les conflits d'intérêts réels ou éventuels. Le directeur du personnel de la ville a témoigné que «. . . une municipalité est exposée aux yeux de tout le monde [. . . ] Alors il faut éviter, je pense, même toute apparence de népotisme, ou de favoritisme . . .» (je souligne).

76. À mon avis, il devrait être possible à un gouvernement employeur d'établir des règles de conduite visant à combattre non seulement les conflits d'intérêts réels ou éventuels mais aussi l'apparence de tels conflits. Dans l'arrêt Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455, à la p. 470, le juge en chef Dickson a souligné, quoique dans un contexte bien différent, l'importance de conserver cette apparence d'absence de conflits d'intérêts:

...il existe un motif important à l'appui de cette règle générale de loyauté, savoir l'intérêt du public vis‑à‑vis de l'impartialité réelle et apparente de la fonction publique.

77. Cela ne revient toutefois pas à dire que toutes les règles destinées à combattre les conflits d'intérêts réels et éventuels ou l'apparence de tels conflits au sein de la fonction publique seront justifiées en tant qu'exigences professionnelles. La nature particulière du travail qui s'accomplit dans la fonction publique entraîne seulement que l'objet de ces règles présente un lien rationnel avec l'emploi dans la fonction publique. Il reste que la règle doit être bien conçue de manière que l'exigence quant à l'aptitude ou à la qualité puisse être remplie sans que les employés ou les postulants d'emplois aient à supporter un fardeau excessif.

78. En ce qui concerne la seconde question que j'ai posée afin de pouvoir évaluer la politique d'embauchage de l'intimée, je crois que la règle est d'une sévérité disproportionnée à l'aptitude ou à la qualité dont elle vise à assurer la possession.

79. La politique d'embauchage que l'intimée a choisi d'adopter constitue une règle générale qui, à première vue, n'admet aucune exception. Du moment qu'il est déterminé qu'un candidat fait partie de la famille immédiate d'un employé à plein temps ou d'un conseiller municipal, ce candidat est exclu. Il s'agit d'une règle inexorable qui écarte des candidats peu importe l'emploi postulé et sans tenir compte du poste occupé par le membre de la famille immédiate du postulant. Elle ne tient pas compte du degré de probabilité d'un abus de pouvoir. C'est là une façon maladroite de s'assurer qu'il n'y a aucun conflit d'intérêts réel ou éventuel ni même l'apparence d'un tel conflit. Line Laurin en est un bon exemple. Étant donné qu'elle postulait un emploi de sauveteur et compte tenu du fait que sa mère était dactylographe au service de police, il n'y avait aucun conflit d'intérêts réel, aucune possibilité raisonnable de conflit d'intérêts ni aucune crainte raisonnable de partialité qui aurait pu justifier de conclure à une apparence de conflit d'intérêts. Appliquée à Line Laurin, la politique d'embauchage revient, comme on dit, à "tuer une mouche avec une masse".

80. À l'appui de cette conclusion, je cite de nouveau le témoignage de M. Lussier, le directeur du personnel de la ville. Interrogé par les avocats de la Commission et de la ville à la suite du dépôt de la requête pour jugement déclaratoire, M. Lussier explique qu'il n'existe aucun lien administratif entre le service des loisirs auprès duquel Line Laurin a postulé un emploi et le service de la police où sa mère travaille en tant que dactylographe. Le juge Jacques de la Cour d'appel cite l'échange de propos suivant:

PAR Me SENAY [pour la Commission]:

Q. Au point de vue administratif il n'y a pas de lien?

R. Au point de vue administratif il n'y a pas directement de lien, non.

Q. D'accord. Et je comprends que de toute façon madame Laurin est dans une position qu'on pourrait qualifier de subalterne?

R. Oui, c'est ça.

...

PAR LA COUR:

Q. Comme directeur du personnel, est‑ce que comme administrateur, est‑ce que vous voyez une incompatibilité des deux charges eu égard à la politique à la saine administration dont vous nous avez parlé tantôt; entre les deux fonctions là dans deux services différents?

R. Bien je dis, c'est indirect peut‑être, comme vous le soulignez vous‑même là, du côté de la fonction peut‑être que non, mais du côté des personnes...

Q. C'est ça.

R. ...il y a une inter‑relation à cette...

Q. Or, du côté de la fonction vous ne voyez pas de problème majeur, sauf que ça demeure quand même deux personnes à l'emploi de Ville de Brossard, qui sont parentes?

R. Oui.

Monsieur Lussier a témoigné en outre que le poste occupé par Mme Laurin ne lui aurait permis d'exercer aucune influence sur l'examen de la demande d'emploi de sa fille.

81. Pour qu'une exclusion comme celle dont il s'agit en l'espèce soit valide en vertu du premier volet, elle doit être adaptée à l'emploi en question de manière qu'on puisse dire qu'elle prévient les conflits d'intérêts réels, les conflits d'intérêts éventuels dont il est raisonnable de croire qu'ils pourront surgir et les apparences de conflit d'intérêts fondées sur une crainte raisonnable de partialité. Lorsque le processus d'embauchage n'offre aucune possibilité d'abus de pouvoir, la partialité dans l'embauchage devient impossible. Lorsqu'il n'existe aucune possibilité de partialité dans l'embauchage d'un candidat ayant un lien de parenté avec un employé ou un conseiller actuels, alors la règle antinépotisme ne doit pas jouer de manière à entraîner l'inadmissibilité de ce candidat. De même, quand il n'y a aucune possibilité de conflit d'intérêts dans l'exercice des fonctions du nouveau fonctionnaire, l'exclusion n'est guère indiquée. En appliquant dans ce contexte le critère objectif formulé dans l'arrêt Etobicoke, les tribunaux se sont demandés si la règle d'exclusion est bien adaptée à l'emploi en question. Dans la décision Bosi, précitée, par exemple, le président Friedland conclut dans une opinion incidente que c'est le cas (à la p. D/1254):

[TRADUCTION] L'absence d'un conflit d'intérêts éventuel devrait être considérée comme une "exigence professionnelle réelle".

Il y avait en l'espèce une possibilité réelle de conflit d'intérêts, ce dont M. Zurby s'inquiétait à juste titre. Une bonne partie du travail administratif du corps policier se faisait aux bureaux du canton et j'estime que cela était raisonnable. Or, si Mme Bosi était nommée commis comptable, elle se trouverait à traiter les réclamations de dépenses de son mari. Elle aurait en outre accès aux documents de la Commission de police parce que tout le personnel était appelé à participer à l'occasion au travail de dactylographie qui s'effectuait aux bureaux du canton. Parmi ces documents de la Commission de police, il y en avait qui portaient sur des questions aussi délicates que la discipline et la négociation de salaires, et le mari de Mme Bosi jouait pour l'association des policiers un rôle important dans la négociation de salaires. Il serait donc déraisonnable de ne pas s'inquiéter de la possibilité de graves conflits d'intérêts.

82. Par contre, dans l'affaire Mark, précitée, le président Cumming décide que, compte tenu de la nature du poste de femme de ménage dont il est question, l'absence de toute possibilité de conflit d'intérêts ne revêt pas le caractère d'une exigence professionnelle réelle (à la p. D/2542):

[TRADUCTION] Même si M. et Mme Mark avaient des rapports fréquents au travail et même si M. Mark avait à l'occasion à surveiller Mme Mark, je ne crois pas, compte tenu de leurs fonctions, que, selon un critère objectif, on ait établi une «qualité [. . .] véritablement requise» en prévoyant qu'un mari et sa femme ne pouvaient pas travailler ensemble en tant que membres du service d'entretien et de nettoyage d'un hôpital. Il n'y avait aucune cause précise et certaine d'inquiétude, comme par exemple le risque d'un conflit d'intérêts dont il s'agissait dans l'affaire Bosi, qui justifiait le recours à une pratique discriminatoire du moment que le mari et la femme travaillaient dans le même service. Ce point devient peut‑être plus clair si l'on imagine le cas suivant: un travailleur préposé à l'entretien fait la connaissance d'une femme de ménage alors qu'ils travaillaient tous les deux à l'hôpital; ils tombent amoureux l'un de l'autre et se marient. Dans cette situation, il semblerait n'y avoir aucune raison de renvoyer l'un des conjoints, et je ne crois pas que M. Moyle l'aurait fait.

83. Comme je l'ai déjà dit, on pourrait concevoir une règle destinée à empêcher les conflits d'intérêts en limitant les effets nocifs du népotisme dans l'embauchage de fonctionnaires et, par la suite, dans l'exercice de leurs fonctions, pour que soit réputée non discriminatoire une pratique d'embauchage de la municipalité par ailleurs discriminatoire. Je suis d'accord avec le juge Jacques de la Cour d'appel pour dire que les problèmes de conflit d'intérêts et de népotisme varient considérablement d'un gouvernement employeur à l'autre et que les règles adoptées pour prévenir ces conflits doivent être proportionnées au risque de tels conflits. Le juge Jacques, je le répète, fait remarquer que la population de la municipalité, le nombre de ses fonctionnaires et les particularités de sa structure administrative sont tous des points pertinents lorsqu'il s'agit de déterminer si la règle est bien conçue en ce qui concerne le critère objectif. À ces critères, j'ajouterais la nature des postes occupés, du point de vue des possibilités d'abus de pouvoir qu'ils présentent, et, dans une certaine mesure, la nature de la relation familiale en question. (En l'espèce, la ville a tenu compte de ces dernières considérations en limitant la portée de sa politique aux candidats qui comptaient des membres de leur famille immédiate parmi les employés municipaux à plein temps ou parmi les membres du conseil municipal.) Le juge Jacques mentionne à titre d'exemple que le risque d'un conflit d'intérêts est négligeable dans le cas de deux frères qui travaillent en tant que manoeuvres pour le gouvernement fédéral à des bouts opposés du pays, mais beaucoup plus grand si le directeur général d'une petite ville est le conjoint du maire.

84. J'ai fait observer que la politique d'embauchage de l'intimée ne tient pas suffisamment compte de la nature des postes occupés du point de vue des possibilités d'abus de pouvoir qu'ils présentent. La mère de Line Laurin n'était pas en mesure d'influencer l'embauchage de sa fille et il n'y avait aucune crainte raisonnable qu'elle pût exercer une telle influence. De plus, cette Cour ne dispose d'aucun élément de preuve permettant d'évaluer la règle générale en fonction de la taille de la municipalité et de sa fonction publique qui, selon le témoignage de M. Lussier, comptaient respectivement à l'époque en question 45 000 habitants et 202 employés à plein temps ainsi que 94 employés à temps partiel. Le cas de Line Laurin n'est qu'un exemple des effets exorbitants que peut avoir la règle.

85. Je signale entre parenthèses que l'art. 20 a été modifié en 1982 et qu'à ce moment‑là l'expression "exigées de bonne foi pour un emploi" a été remplacée par "requises par un emploi". Bien que ce soit la première version qui s'applique en l'espèce, mes conclusions en ce qui concerne le critère objectif ne seraient pas différentes si la nouvelle version était applicable. À mon avis, la modification de 1982 avait pour but de renforcer ce critère objectif qui, déjà, se dégageait implicitement de l'ancienne version du premier volet de l'art. 20.

86. Il s'ensuit donc que le premier volet de l'art. 20 ne justifie pas la pratique discriminatoire en matière d'embauchage suivie par l'intimée, la raison en étant que l'aptitude ou la qualité dont cette pratique vise à assurer l'existence n'est pas "exigée de bonne foi pour" l'"emploi". Toutefois, l'intimée a également fait valoir que le second volet de l'art. 20 peut être invoqué pour réputer non discriminatoire la politique d'embauchage. J'entreprends maintenant une étude de l'applicabilité du second volet en l'espèce.

IV Les exclusions justifiées par le caractère politique d'une institution sans but lucratif

87. L'article 20 de la Charte prévoit une seconde exception que j'appelle dans les présents motifs le second volet de la règle:

20. Une distinction, exclusion ou préférence [. . .] justifiée par le caractère charitable, philantropique (sic), religieux, politique ou éducatif d'une institution sans but lucratif ou qui est vouée exclusivement au bien‑être d'un groupe ethnique est réputée non discriminatoire.

88. L'intimée soutient que la politique d'exclusion en matière d'embauchage se justifie par le caractère politique de la ville en tant qu'institution sans but lucratif et est donc réputée non discriminatoire. Deux questions se posent ici relativement au second volet de l'art. 20. La première concerne l'applicabilité de la disposition en l'espèce. Il s'agit de la question de savoir si la ville est une "institution sans but lucratif" dont on peut dire qu'elle revêt un caractère politique. La seconde question, qui se rapporte à la justification de l'exclusion, est de savoir si, dans l'hypothèse où la ville serait une institution pouvant invoquer l'exception prévue au second volet, la politique d'embauchage est justifiée par le "caractère politique" de la ville.

89. Les décisions des tribunaux d'instance inférieure nous éclairent peu sur le sens et l'application du second volet de l'art. 20.

90. Le juge Deslongchamps ne mentionne pas le second volet dans ses motifs de jugement. En Cour d'appel, les motifs de dissidence du juge Jacques portent uniquement sur le premier volet de l'art. 20. Dans les motifs qu'il a rédigés au nom des juges formant la majorité, le juge Paré applique le second volet pour conclure que la politique d'embauchage est justifiée par le caractère politique de la ville et est en conséquence réputée non discriminatoire. Il commence son analyse en reconnaissant, à juste titre, que les deux volets de l'art. 20 constituent des exceptions distinctes à la norme antidiscrimination établie par l'art. 10 de la Charte. Puis il conclut, sans pourtant motiver sa conclusion, que le second volet s'applique à la ville (à la p. 369):

Or, l'appelante est sans doute une de ces institutions à caractère politique et sans but lucratif que vise l'article 20.

91. Selon le juge Paré, la question décisive pour trancher l'appel est celle de savoir si la politique d'embauchage est justifiée par le caractère politique de la ville. Il cite le témoignage du directeur du personnel de la ville, suivant lequel la politique a été adoptée pour favoriser l'administration efficace de la ville en combattant le népotisme et toute apparence de népotisme, et il arrive à la conclusion suivante (à la p. 369):

Cette approche de la question me paraît tout à fait logique et les motifs invoqués constituent amplement, à mon avis, la justification requise selon l'article 20 de cette loi à la restriction contestée. En effet, toute tentative d'écarter les possibilités d'influence indue des conseillers municipaux dans le choix des nouveaux employés me paraît fort louable. De même, me paraît fort louable, toute mesure destinée à restreindre l'influence indue que pourraient tenter d'exercer les employés déjà en place auprès de ceux d'entre eux qui exercent le choix des nouvelles recrues. C'est le caractère politique même de la municipalité appelante qui justifie semblable mesure.

92. Le juge Paré souligne alors le caractère suffisant de cette "justification" de la politique en question, tout en s'abstenant de se prononcer sur sa proportionnalité ou son caractère raisonnable (aux pp. 369 et 370):

Ayant constaté l'existence de cette justification, je ne crois pas qu'il appartienne à notre Cour de déterminer l'étendue de l'efficacité de cette mesure dans le but recherché; non plus, que ce soit son rôle de substituer ses conclusions à celles de l'administration municipale quant à l'opportunité de la mesure attaquée.

Il conclut en conséquence que la politique d'embauchage est réputée non discriminatoire.

93. Dans leurs mémoires, les parties proposent différentes façons d'interpréter le second volet de l'art. 20. L'avocat de la Commission invoque la règle générale applicable à l'interprétation de dispositions législatives limitant les droits fondamentaux conférés par des lois en matière de droits de la personne: "[t]oute dérogation aux libertés fondamentales garanties et protégées par la Charte des droits et libertés de la personne doit [. . .] être interprétée restrictivement." L'avocat de la ville prétend, par contre, que le second volet de l'art. 20 de la Charte constitue non pas une exception mais plutôt une "déclaration composante dans la détermination de la portée et de l'amplitude de la loi qu'est la Charte, et il faut lui donner toute sa portée."

94. Quoique les décisions portant sur le second volet de l'art. 20 soient rares, le peu de jurisprudence qui existe tend à confirmer l'interprétation restrictive préconisée par la Commission.

95. Dans l'affaire Association A.D.G.Q. c. Commission des écoles catholiques de Montréal, [1980] C.S. 93, un organisme voué à la promotion des droits des homosexuels s'est plaint que le refus de la Commission des écoles catholiques de Montréal de louer à l'organisme un bâtiment scolaire pour un congrès qui allait se tenir une fin de semaine constituait de la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, contrairement aux art. 10 et 12 de la Charte. La Commission des écoles catholiques, s'appuyant sur l'exception prévue à l'art. 20, a fait valoir que l'exclusion était justifiée par le "caractère religieux ou éducatif" de la Commission, qui était une "institution sans but lucratif". Le juge Marc Beauregard, alors juge de la Cour supérieure, conclut que l'Association A.D.G.Q. a été victime d'une discrimination illicite non justifiée par l'art. 20. Au sujet de la méthode d'interprétation qui s'applique à cette disposition, il fait les observations suivantes (aux pp. 94 et 95):

Il faut toutefois souligner que l'article 20 de la Charte est un article d'exception: il doit donc être interprété restrictivement et la charge de la preuve quant à son application incombe à l'intimée.

Interprété restrictivement l'article 20 de la Charte ne dispose pas que l'article 10 de la même loi ne s'applique pas aux institutions sans but lucratif qui ont un caractère religieux ou éducatif mais il dispose que l'exclusion invoquée par l'institution sans but lucratif doit être "justifiée" par le caractère religieux ou éducatif de cette institution.

Si encore l'on interprète restrictivement l'article 20 de la Charte il faut en conclure également que la justification de l'exclusion doit être objective, c'est‑à‑dire fondée non pas sur une discrétion plus ou moins capricieuse de l'institution mais sur des faits qui font de l'exclusion une conséquence logique et rationnelle du caractère religieux ou éducatif de l'institution.

Cet énoncé de principe a généralement été approuvé dans la doctrine et paraît avoir été adopté par la Commission aux fins de ses décisions administratives portant sur ladite exception prévue à l'art. 20: voir, par exemple, Décision C.D.P.—31, [1986] D.L.Q. 462, à la p. 464.

96. Quand on l'examine de plus près, cependant, la décision Association A.D.G.Q. ne fournit pas elle‑même la clé de l'interprétation du second volet de l'art. 20 en l'espèce. Si le juge Beauregard retient une interprétation restrictive, ce n'était pas pour interpréter les expressions "caractère religieux" ou "institution sans but lucratif", mais simplement pour déduire du mot "justifiée" l'existence d'un critère objectif. De plus, il n'aborde pas l'art. 20 sous l'angle des droits collectifs qu'il cherche à promouvoir, c.‑à‑d. la liberté de religion et la liberté d'association, dont je traiterai en détail ci‑dessous. Quoique la conclusion dans l'affaire Association A.D.G.Q. puisse être bien fondée, j'estime en toute déférence que la méthode d'interprétation qu'elle propose pour le second volet n'est pas la bonne.

97. Affirmer que le second volet de l'art. 20, de par sa nature même, se prête soit à une interprétation restrictive soit à une interprétation libérale, c'est simplifier à l'extrême la disposition et, selon moi, cela ne nous aide pas particulièrement à en découvrir le sens.

98. Le second volet de l'art. 20 s'apparente à l'art. 22 de l'ancien Human Rights Code de la Colombie‑Britannique, que cette Cour a été appelée à examiner dans l'affaire Caldwell c. Stuart, [1984] 2 R.C.S. 603, à laquelle l'une et l'autre partie a fait allusion au cours des débats. La règle en cause dans l'affaire Caldwell était ainsi conçue:

[TRADUCTION] 22. Lorsqu'un organisme ou groupement charitable, philanthropique, religieux, social ou d'entraide, sans but lucratif, a pour objectif principal la promotion des intérêts et du bien‑être d'une catégorie ou d'un groupe identifiable de personnes caractérisées par la communauté de race, de religion, d'âge, de sexe, d'état matrimonial, de convictions politiques, de couleur, d'ascendance ou de lieu d'origine, cet organisme ou groupement n'est pas censé contrevenir à la présente loi parce qu'il donne la préférence aux membres de ce groupe ou de cette catégorie identifiable de personnes.

99. Dans l'arrêt Caldwell, le juge McIntyre explique que l'art. 22 du Code de la Colombie‑Britannique ne doit pas être interprété d'une manière restrictive parce que non seulement il limite des droits mais il en confère et en protège d'autres aussi (à la p. 626):

Il me paraît évident qu'en reconnaissant la place que s'est taillée historiquement l'école confessionnelle et l'opportunité de la préserver, en adoptant le Human Rights Code qui contribue beaucoup à éliminer les différences et les distinctions dans la société, la législature de la Colombie‑Britannique a inséré l'art. 22 dans le but de protéger l'école confessionnelle ou d'autres institutions semblables. J'estime donc que les tribunaux ne doivent pas considérer l'art. 22 simplement comme une disposition limitative qui doit être interprétée restrictivement. Tout en imposant des limites à des droits dans les cas où il s'applique, cet article confère et protège également des droits. Je suis d'accord avec le juge Seaton de la Cour d'appel qui exprime la même idée dans les termes suivants:

[TRADUCTION] C'est le seul article de la Loi qui protège expressément le droit d'association. Sans lui, les écoles confessionnelles qui ont toujours été reconnues comme un droit de chaque confession dans une société libre se trouveraient éliminées. Dans un sens négatif, l'art. 22 constitue une limite aux droits mentionnés dans d'autres parties du Code. Mais, dans un autre sens, il protège le droit d'association. D'autres articles interdisent la discrimination fondée sur la religion; cet article permet de promouvoir la religion. [Je souligne.]

100. Le point de vue qu'il convient de retenir est celui selon lequel le second volet de l'art. 20, à l'instar de l'art. 22 du Code de la Colombie‑Britannique, a un double objectif: dans les cas où il s'applique, il confère des droits à certaines personnes et impose du même coup des limites aux droits d'autres personnes. Il est évident qu'il apporte une restriction au droit d'un individu de ne pas être victime de discrimination. Toutefois, il est également conçu pour permettre à certaines institutions sans but lucratif de faire des distinctions ou des exclusions ou de manifester des préférences qui, par ailleurs, violeraient la Charte. Il faut toutefois que ces distinctions, ces exclusions ou ces préférences soient justifiées par le caractère charitable, philanthropique, religieux, politique ou éducatif de l'institution dont il s'agit. Dans ce sens, l'art. 20 confère des droits à certains groupes. À mon avis, ce volet de l'art. 20 est destiné à promouvoir le droit fondamental des individus de s'associer librement afin d'exprimer des opinions particulières ou d'exercer des activités particulières. Il a pour effet d'établir la primauté des droits du groupe sur les droits de l'individu dans des circonstances précises. C'est pourquoi, plutôt que d'adopter une interprétation libérale ou restrictive du second volet, je tenterai de donner aux expressions "institution sans but lucratif" et "caractère politique" leur sens ordinaire, en recourant aux règles traditionnelles d'interprétation des lois.

101. L'appelante prétend qu'une municipalité n'est pas une "institution sans but lucratif" au sens où l'entend l'art. 20 de la Charte. Suivant cet argument, il ne convient pas d'envisager une municipalité en fonction d'un but lucratif ou non lucratif. Les institutions "sans but lucratif" sont des organismes privés constitués pour promouvoir des objectifs précis plutôt que pour réaliser des profits. À titre d'illustration, l'avocat de l'appelante cite des lois relatives au droit des compagnies et au droit municipal qui emploient, dans d'autres contextes, des termes identiques ou similaires.

102. L'intimée pour sa part conteste cette définition restreinte et le parallèle fait avec des définitions légales qui, soutient‑elle, n'ont été conçues que pour des fins limitées. D'après l'intimée, le fait que le législateur a choisi le mot "institution" plutôt que le terme "organisme" employé dans des dispositions similaires en vigueur dans d'autres ressorts, démontre que le second volet s'applique autant aux gouvernements qu'aux groupes ou associations privés. L'intimée fait valoir en outre qu'il n'y a rien dans l'expression institution "sans but lucratif" qui entraîne l'exclusion de municipalités, car celles‑ci, bien entendu, ne sont pas constituées en vue de réaliser des profits.

103. Il est vrai que le sens courant du mot "institution" est très large et qu'il englobe des organismes gouvernementaux aussi bien que d'autres organismes. Dans le Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (1981), vol. III, Paul Robert cite la définition donnée par Henri Capitant dans Vocabulaire juridique:

L'institution peut se présenter sous la forme d'une personne morale de droit public (ex.: État, Parlement), ou de droit privé (ex.: association), ou d'un groupement non personnalisé, ou d'une fondation, ou d'un régime légal tel que la tutelle, la prescription, la faillite, l'expropriation pour cause d'utilité publique.

104. L'emploi de l'expression "institution sans but lucratif" à l'art. 20 n'exclut pas en soi l'application du second volet de l'art. 20 à des municipalités. Bien qu'il soit fort probable que, dans le contexte de l'ensemble de la disposition, le sens premier de cette expression désigne uniquement les organismes dits privés, on ne saurait affirmer que le législateur a fourni des précisions suffisantes pour écarter le sens plus large donné par les dictionnaires. Néanmoins, le sens que je prête aux mots "caractère charitable, philanthropique, religieux, politique ou éducatif" qui, à l'art. 20, précèdent l'expression "institution sans but lucratif", influe sur le sens de cette dernière expression et me porte à croire qu'elle ne comprend pas une municipalité.

105. L'appelante prétend qu'une municipalité ne peut pas être une "institution sans but lucratif" de "caractère politique" parce que, dans le contexte de l'art. 20, le mot "politique" doit recevoir un sens restreint qui se rapporte aux partis politiques. En revanche, l'intimée soutient qu'il faut donner au mot "politique" l'interprétation la plus large possible de manière à comprendre les municipalités et d'autres gouvernements employeurs:

Une Ville est une institution ou corporation politique régie par le droit public, au sens de l'article 356 du Code civil du Bas‑Canada, loi d'application générale. Elle a un caractère politique. Elle a un caractère qui, aux termes de l'article 20 de la Charte, peut la justifier d'adopter certaines mesures d'exclusion dans l'intérêt public.

106. L'argument de l'intimée repose sur une interprétation large du mot "politique", fondée sur le sens littéral et sur l'origine étymologique de l'adjectif, qui dérive du terme grec signifiant "de la cité".

107. L'avocat cite, à titre d'exemple, le premier alinéa de l'art. 356 C.c.B.‑C. pour étayer le point de vue selon lequel le mot "politique" employé à l'art. 20 englobe les municipalités:

356. Les corporations séculières se subdivisent encore en politiques et en civiles. Les politiques sont régies par le droit public, et ne tombent sous le contrôle du droit civil que dans leurs rapports, à certains égards, avec les autres membres de la société individuellement.

108. La ville est certainement une "corporation politique" au sens de l'art. 356 C.c.B.‑C. Je crois pouvoir dire cependant que cette observation n'est d'aucune utilité pour déterminer le sens du mot "politique" qui figure à l'art. 20 de la Charte. En effet, l'art. 356 C.c.B.‑C. a un but précis et limité: distinguer les corporations régies par le droit public d'avec celles qui tombent "sous le contrôle" du droit civil. (L'article 356 envisage en outre des cas où les corporations politiques sont régies par le droit civil.) Ce n'est pas parce que la ville est une "corporation politique" visée par l'art. 356 C.c.B.‑C. qu'elle est aussi une "institution" de "caractère politique" aux fins de l'art. 20. Le second volet de l'art. 20 de la Charte vise un but différent qui ne se rapporte d'aucune manière à l'application possible de la loi à des corporations publiques par opposition à des corporations privées. Le fait que la ville soit une "corporation politique" visée par l'art. 356 C.c.B.‑C. ne permet pas plus d'ajouter foi à l'argument selon lequel la ville peut invoquer le second volet de l'art. 20, que le double sens donné au mot "politique" par les dictionnaires.

109. Sans aucun doute c'est le caractère "politique" de la ville, au sens le plus large de cette expression, qui a motivé l'adoption de la politique d'embauchage. Comme je l'ai fait remarquer dans la partie des présents motifs portant sur le premier volet de l'art. 20, l'importance prépondérante de l'intérêt général de la collectivité peut être invoquée afin de justifier une politique d'embauchage destinée à empêcher le népotisme, étant donné qu'il est possible d'établir un lien rationnel entre cette politique et les "aptitudes ou qualités" requises pour un poste dans la fonction publique. Si cela constitue un facteur pertinent relativement au premier volet de l'art. 20, il n'en va toutefois pas nécessairement de même dans le cas de l'exception distincte que prévoit le second volet du même article. Comme nous allons le voir, c'est dans un but différent de celui visé par le premier volet que le second volet permet une discrimination par ailleurs illicite.

110. Néanmoins, les tribunaux québécois ont dans certains cas adopté l'interprétation plus large du mot "politique" proposée par l'intimée. L'arrêt rendu par la Cour d'appel à la majorité en l'espèce en est, évidemment, le meilleur exemple pour nos fins. Malheureusement, je le répète, le juge Paré n'explique pas pourquoi il a choisi cette interprétation. On a l'impression à la lecture de ses motifs que c'est en réalité le but louable de la règle—c'est‑à‑dire combattre le népotisme—qui a amené le juge Paré à permettre que la ville se prévale de cette exception prévue à l'art. 20. Prise isolément, cette justification de principe, est‑il besoin de le souligner, ne suffit pas en droit pour autoriser l'application du second volet de l'art. 20. Quant au raisonnement adopté dans les autres décisions, il n'est guère plus explicite.

111. Dans l'affaire Ladouceur c. Dollard‑des‑Ormeaux (Ville de), C.S. Mtl., no 500‑05‑ 003330‑865, le 13 novembre 1986 (résumée dans [1987] D.L.Q. 95), la municipalité défenderesse avait adopté un règlement exigeant que tous les plans de construction soumis pour approbation portent la signature soit d'un architecte soit d'un ingénieur. Un technicien qui, de ce fait, était devenu inhabile à signer de tels plans intente une action contre la municipalité pour cause de discrimination illicite fondée sur la "condition sociale", contrairement à l'art. 10. Le juge Durand de la Cour supérieure conclut qu'il n'y avait pas eu de discrimination mais que s'il y en avait eu, elle aurait constitué une distinction, exclusion ou préférence justifiée par le caractère politique de la municipalité (aux pp. 13 et 14):

Notre Cour d'appel a décidé récemment [en l'espèce] qu'une municipalité est une institution visée par cet article. Même si l'article 5‑9‑1 créait une discrimination fondée sur la condition sociale, ce que nous ne croyons pas, il serait valide et inattaquable parce qu'il a pour but l'amélioration de la municipalité et le bien‑être de ses citoyens et qu'il crée une "préférence...justifiée par le caractère politique" de la défenderesse‑requérante.

(Voir en outre Commission des droits de la personne du Québec c. Ville de Lachine, [1984] C.S. 361, à la p. 364.)

112. Il est vrai, bien sûr, que dans d'autres contextes le mot "politique" peut recevoir le sens plus large que lui prête l'avocat de la ville, mais je ne suis pas convaincu qu'il en est ainsi dans le cas de l'art. 20. Si l'on interprète le terme dans son contexte en s'efforçant de déduire du texte législatif l'objet de l'exception prévue au second volet de l'art. 20, on se rend compte que c'est une portée plus étroite qui convient ici.

113. Quoique l'appelante ne le dise pas expressément, sa conclusion que le mot "politique" se limite aux partis politiques repose sur une règle bien connue d'interprétation des lois, savoir la règle noscitur a sociis. En effet, le sens du mot "politique" est éclairé par les autres exemples d'institutions sans but lucratif donnés par le législateur à l'art. 20: «. . . le caractère charitable, philantropique (sic), religieux, politique ou éducatif d'une institution sans but lucratif». Chacun des mots «charitable», «philanthropique», «religieux», «politique» et «éducatif» paraît renfermer la notion de «vocation». Il serait permis à une institution telle qu'une église, par exemple, d'exercer en matière d'embauchage une discrimination fondée sur une conviction religieuse lorsque cette discrimination est justifiée par le caractère religieux de l'église. En ce sens, une institution de caractère politique serait, tout comme un parti politique, une institution ayant une vocation particulière reliée à une idéologie ou à un programme.

114. C'est l'opinion qu'exprime le juge Rioux de la Cour supérieure dans la décision Commission des droits de la personne du Québec c. Québec (Ville de), [1986] R.J.Q. 243. Dans cette affaire, la ville de Québec, qui versait aux gardiennes de prison un salaire inférieur à celui touché par les gardiens, a essayé de se prévaloir de l'exception prévue au deuxième volet de l'art. 20. Or, le juge Rioux n'accepte pas qu'une municipalité puisse être une institution ayant un "caractère politique" (à la p. 250):

On doit donc se demander en quoi consiste le caractère "politique" d'une institution sans but lucratif. Cette expression, prise dans un sens très large, pourrait recouvrir le pouvoir politique. On imagine mal cependant comment la discrimination pourrait être permise à un gouvernement du fait de son existence même, d'autant plus que, d'après l'article 54 de la Charte, celle‑ci lie la Couronne. Le caractère politique d'une institution, si on s'en tient au contexte même de l'article 20 ("caractère charitable, philanthropique, religieux, politique ou éducatif"), se rapporte plutôt à l'exercice des principes démocratiques. L'exception qui nous intéresse vise donc les institutions qui participent au processus démocratique: ainsi, un parti politique serait justifié de favoriser l'emploi de personnes partageant son idéologie plutôt que d'adversaires politiques. Cette interprétation se justifie d'autant plus que la Charte elle‑même, lorsqu'elle parle des droits politiques aux articles 21 et 22, se réfère au droit de toute personne d'adresser des pétitions à l'Assemblée nationale et de se porter candidat lors d'une élection et d'y voter.

De toute façon, ce n'est pas parce que la Ville de Québec est, suivant l'expression douteuse, un "corps politique et incorporé" qu'on peut la ranger dans la catégorie des "institutions sans but lucratif à caractère politique". La Charte vise par cette expression des institutions bien différentes des corporations municipales. [Je souligne.]

115. Dans "La Charte québécoise des droits et libertés de la personne et le dogme de l'interprétation spécifique des textes constitutionnels" (1986), 17 R.D.U.S. 19, le professeur Alain‑François Bisson est d'avis que c'est là une manière utile d'aborder l'interprétation de la Charte en général et de son art. 20 en particulier (aux pp. 25 et 26, renvois supprimés):

7. Mais le travail interprétatif sur la formule de la Charte n'est pas seulement affaire de définition de mots isolés. La présomption (simple) de cohérence de l'oeuvre législative invite à regarder le contexte et à faire usage d'arguments logiques.

8. La proximité des mots, d'abord, les relations qu'on peut établir aussi entre les différentes dispositions de la Charte, peuvent être révélatrices de sens et de portée [. . .] Et si une municipalité prétend être une institution sans but lucratif à caractère politique et bénéficier de l'exception prévue à l'article 20, il lui sera répondu que "le caractère politique d'une institution, si on s'en tient au contexte même de l'article 20 ("caractère charitable, philanthropique, religieux, politique ou éducatif") se rapporte plutôt à l'exercice des principes démocratiques"; que d'ailleurs cela est confirmé par ce que le législateur entend par "droits politiques" aux articles 21 et 22. Au total, c'est chaque article qui "doit s'interpréter en regard de l'ensemble des dispositions de cette Loi". Autant d'applications banales de l'argument noscitur a sociis.

116. Je crois que, pour bien saisir la portée de l'exception prévue au second volet de l'art. 20, il est indispensable d'interpréter le mot "politique" dans son contexte. Vu sous cet angle, l'argument noscitur a sociis proposé par la Commission se révèle fort utile. Il est toutefois incomplet en ce sens qu'il ne précise pas l'étendue complète des droits de groupes que l'art. 20 vise à protéger.

117. Comme je l'ai fait remarquer précédemment, j'estime que le second volet de l'art. 20 est destiné à promouvoir la liberté fondamentale des individus de s'associer afin d'exprimer des opinions particulières ou d'exercer des activités particulières et, ce faisant, leur droit de ne pas être gênés par la norme antidiscrimination. Cette permission légale d'exercer une discrimination souffre évidemment des restrictions. Tout d'abord, le groupe doit être une "institution sans but lucratif". Ensuite, cette institution doit avoir un "caractère charitable, philanthropique, religieux, politique ou éducatif" qui justifie la distinction, l'exclusion ou la préférence en question.

118. Donc, une école catholique pourrait invoquer le second volet de l'art. 20 pour justifier une préférence accordée aux catholiques dans sa politique d'embauchage d'enseignants. L'école constitue une "institution sans but lucratif" de "caractère religieux" ou "éducatif". La protection de l'art. 20 lui est accordée de manière que les catholiques puissent s'associer librement pour promouvoir les valeurs et les croyances de leur religion. Encore là, il serait nécessaire de démontrer que la préférence se justifiait par le caractère "religieux" ou "éducatif" de l'école.

119. D'autres exemples peuvent servir à clarifier la politique qui sous‑tend le second volet de l'art. 20. Le Parti libéral du Québec pourrait invoquer l'art. 20 pour justifier l'embauchage de sympathisants comme personnel de soutien à un congrès du parti. Celui‑ci est une institution sans but lucratif de caractère "politique" et l'art. 20 lui accorde sa protection afin de permettre aux libéraux de s'associer librement pour promouvoir l'idéologie libérale.

120. Prenons aussi le cas d'un groupe de bienfaiteurs riches qui constituent une société sans but lucratif et se portent acquéreurs d'un immeuble d'appartements dans l'intention d'offrir aux personnes du troisième âge du logement à prix modique. À première vue, cela constituerait de la discrimination fondée sur l'âge suivant le texte actuel de l'art. 10. La société pourrait alors invoquer le second volet de l'art. 20 afin de justifier son refus de louer des appartements à prix modique à des personnes âgées de moins de soixante‑cinq ans. Comme la société est une institution sans but lucratif ayant un caractère "charitable" ou "philanthropique", elle est protégée par l'art. 20 afin que les particuliers puissent jouir de la liberté de s'associer pour promouvoir le bien‑être des personnes âgées.

121. Dans ces exemples et dans d'autres que j'ai donnés dans les présents motifs, je ne prétends pas que les exclusions seraient justifiées en soi. Il s'agit là d'une question distincte qui sera examinée une autre fois. Les exemples que je cite visent à illustrer l'applicabilité du second volet de l'art. 20.

122. L'objet de l'exception créée à l'art. 20 se rapporte au droit des membres de groupes désignés de s'associer et la protection accordée par l'art. 20 doit en conséquence se limiter à ces groupes. Or, la ville ne constitue pas un tel groupe. On ne saurait prétendre qu'en pratiquant la discrimination en matière d'embauchage elle exerce une forme de liberté d'association.

123. Le juge McIntyre a fait allusion à cet objet en analysant l'art. 22 du Human Rights Code de la Colombie‑Britannique dans le passage de l'arrêt Caldwell, précité, reproduit à la p. 323 des présents motifs. Il y cite le juge Seaton de la Cour d'appel qui a affirmé que la disposition alors en question avait pour effet de protéger "le droit d'association".

124. En dépit de leur formulation différente, j'estime que l'art. 22 de l'ancien Code de la Colombie‑Britannique et le second volet de l'art. 20 de la Charte québécoise reposent sur le même principe fondamental. L'une et l'autre règle a été établie afin de promouvoir la liberté fondamentale des particuliers de s'associer à des fins déterminées. L'article 22 était la seule disposition du Code de la Colombie‑Britannique qui garantissait expressément le droit de s'associer, tandis que l'art. 3 de la Charte québécoise accorde une protection générale de la "liberté d'association". La règle de la Colombie‑Britannique et celle du Québec ne sont pas moins similaires pour autant. Le second volet de l'art. 20, tout comme la règle posée dans l'arrêt Caldwell, établit un équilibre précis entre la liberté d'association et le droit de ne pas être victime de discrimination. Dans les deux cas, le législateur compétent a donné suite à une décision de principe de reconnaître la primauté de certains groupes en raison des points de vue particuliers épousés par ceux‑ci ou des activités particulières qu'ils exercent. Par conséquent, l'analyse qu'a faite le juge McIntyre de l'objectif de principe visé par l'art. 22 du Code de la Colombie‑Britannique s'applique mutatis mutandis à l'art. 20 de la Charte québécoise. Le juge McIntyre a souligné le droit d'association dont jouissent certains groupes. Une municipalité n'est pas un tel groupe.

125. Le reste du texte du second volet de l'art. 20 renforce cette opinion quant à l'objet limité de l'exception prévue par la Loi:

20. Une distinction, exclusion ou préférence [. . .] justifiée par le caractère charitable, philantropique (sic), religieux, politique ou éducatif d'une institution sans but lucratif ou qui est vouée exclusivement au bien‑être d'un groupe ethnique est réputée non discriminatoire. [Je souligne.]

Les raisons de principe qui militent en faveur de la protection des institutions sans but lucratif visées dans la première partie de la phrase sont les mêmes que celles qui militent en faveur de la protection des institutions vouées au bien‑être de groupes ethniques. C'est cette vocation à l'égard d'un groupe qui fait que ces institutions méritent la protection.

126. J'ai déjà dit que l'art. 20 vise à accorder aux individus la liberté de s'associer afin d'exprimer des opinions particulières ou d'exercer des activités particulières. Or, comment déterminer lesquels de ces groupes bénéficient de cette protection? Dans le Code de la Colombie‑Britannique, dont il était question dans l'affaire Caldwell, le législateur est explicite: l'organisme protégé par l'art. 22 doit avoir "pour objectif principal la promotion des intérêts et du bien‑être d'une catégorie ou d'un groupe identifiable de personnes caractérisées par la communauté de race, de religion, d'âge, de sexe, d'état matrimonial, de convictions politiques, de couleur, d'ascendance ou de lieu d'origine". À mon avis, cette condition préalable se dégage implicitement de l'art. 20 étant donné qu'il est expressément conçu pour rendre inapplicable à un groupe la garantie accordée par l'art. 10. Il y a une décision québécoise qui tente d'expliquer le second volet de l'art. 20 à cet important point de vue. Dans l'affaire Commission des droits de la personne du Québec c. Québec (Ville de), précitée, le juge Rioux de la Cour supérieure fait observer (aux pp. 249 et 250):

On pourrait comprendre qu'une institution vouée à la défense ou à la promotion d'un groupe social, politique, ethnique ou religieux, par exemple, puisse, à l'embauche, favoriser des personnes faisant partie de ce groupe: ceci ne signifie pas que l'employeur puisse, à la faveur de cette exception, pratiquer toutes les espèces de discrimination qu'on puisse imaginer. Ainsi, on peut affirmer qu'une institution veillant à la protection des gens de couleur peut favoriser à l'embauche des gens de couleur, mais on ne peut prétendre qu'elle est par là même autorisée à accorder un traitement ou un salaire différent à un membre de son personnel en raison de son sexe ou de son âge. Les exceptions prévues à l'article 20 doivent se rattacher exclusivement au caractère de l'institution à qui est permise une forme de discrimination bien déterminée. [Je souligne.]

127. Il est possible d'exagérer le lien entre le type de discrimination visée par l'art. 10 que pratique un groupe (c.‑à.‑d. la discrimination fondée sur les convictions politiques, la religion, l'orientation sexuelle, etc.) et le facteur qui lie les membres de ce groupe (c.‑à‑d. le "caractère" au sens de l'art. 20 de l'institution sans but lucratif). Le juge Rioux parle d'un rapport "exclusif" entre ces deux facteurs, mais cela ne doit pas s'interpréter comme une exigence qu'il y ait un rapport direct. Si c'était le cas, les mots "charitable", "philanthropique" et "éducatif" seraient dénués de sens à cause de l'impossibilité d'établir un lien direct entre eux et un motif de discrimination interdit par l'art. 10. L'appelante commet précisément une telle erreur d'exagération quand elle dit dans son mémoire:

...dans le contexte de la Charte des droits, la protection accordée au "caractère politique" de certaines institutions doit être comprise et interprétée en rapport avec la prohibition de la discrimination fondée sur les "convictions politiques".

128. On peut assez facilement donner des exemples de pratiques discriminatoires qui, de prime abord, n'ont aucun lien direct avec le "type" d'institution visée par l'art. 20 qui a recours à ces pratiques. Il est plus difficile de dégager de ces exemples ce que devrait être en toute logique l'étendue de la protection accordée par l'art. 20.

129. Une décision québécoise récente démontre qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait un rapport direct entre le type de discrimination et le facteur qui lie les membres de l'institution. Dans la Décision C.D.P.—31, précitée, une institution sans but lucratif vouée à la promotion des droits des femmes avait refusé de permettre au plaignant, parce qu'il était de sexe masculin, d'acheter un billet pour une activité culturelle organisée afin de célébrer la Journée internationale de la femme. Le plaignant, qui s'affirme féministe, a soutenu que l'exclusion constituait de la discrimination fondée sur le sexe. Le groupe féministe, pour sa part, a fait valoir qu'il s'agissait d'une activité destinée uniquement aux femmes conformément aux objectifs de l'organisme qui étaient de "Promouvoir l'expression des idées, conceptions et analyses à caractère éducatif, social, culturel, politique et économique qui vont dans le sens de l'avancement de la condition des femmes dans notre société". La Commission des droits de la personne, fait remarquer à la p. 464 que "[l]e droit du requérant rencontre ici la liberté d'association de la mise en cause", et conclut que la discrimination fondée sur le sexe était justifiée en vertu de l'art. 20 par le "caractère politique ou éducatif" de l'institution sans but lucratif. Dans la Décision C.D.P.—31, il n'y a pas de lien direct entre le caractère de l'institution (politique ou éducatif) et le type de discrimination pratiqué (celle fondée sur le sexe).

130. Bien que l'existence d'un rapport direct ou exclusif entre ces facteurs ne soit pas requise, j'estime qu'il doit toujours y avoir un lien entre le type de discrimination pratiqué et le caractère de l'institution. Je le redis, l'art. 20 protège le droit de s'associer librement pour exprimer des opinions particulières ou pour exercer des activités particulières. Cet article a toutefois un objet limité, savoir la justification de "distinctions, exclusions ou préférences" qui seraient par ailleurs discriminatoires au sens de l'art. 10. Il est donc logique que les seuls à bénéficier de la protection accordée par l'art. 20 soient les groupes pour qui le simple fait de s'associer entraîne une discrimination fondée sur l'un des motifs énumérés à l'art. 10. L'institution doit avoir pour objectif premier la promotion des intérêts et du bien‑être d'un groupe identifiable de personnes partageant une des caractéristiques énoncées à l'art. 10: la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale ou un handicap, qui sont les motifs de discrimination énumérés dans la version modifiée de l'art. 10. L'institution elle‑même peut relever de l'une ou l'autre des catégories prévues à l'art. 20, mais il doit toujours y avoir un lien entre l'un des objectifs premiers visés par le groupe et la discrimination fondée sur l'un des motifs énoncés à l'art. 10. Par exemple, l'institution de caractère "politique ou éducatif" dont il est question dans la Décision C.D.P.—31 a pour objectif premier de promouvoir les intérêts et le bien‑être d'un groupe identifiable de personnes caractérisées par leur sexe. Un lien analogue existe de toute évidence dans l'exemple que j'ai déjà donné d'un groupe de bienfaiteurs qui achètent un immeuble d'appartements dans l'intention de le mettre à la disposition uniquement de personnes du troisième âge. La société d'habitation sans but lucratif est une institution "charitable" qui s'occupe de la promotion des intérêts et du bien‑être d'un groupe identifiable de personnes caractérisées par leur âge avancé. Quant à savoir si ces exclusions sont "justifiées", voilà une question qui, je le répète, est distincte de celle de l'applicabilité du second volet. Mais dans chacun de ces cas et, en fait, dans chaque cas où l'art. 20 peut être invoqué, la Charte protège la liberté d'association d'une institution sans but lucratif qui veille à promouvoir les intérêts et le bien‑être d'un groupe identifiable de personnes caractérisées par l'un des facteurs énumérés à l'art. 10.

131. L'examen d'exceptions semblables contenues dans d'autres lois canadiennes en matière de droits de la personne confirme cette opinion concernant la politique qui sous‑tend le second volet de l'art. 20. Dans les provinces où de telles exceptions existent, les dispositions qui les prévoient sont formulées différemment et ont une portée légèrement différente. Certaines lois conjuguent l'exception relative à l'exigence professionnelle réelle à celle relative aux droits de groupes. Or, la nature de cette exception relative aux droits de groupes varie considérablement d'une province à l'autre, mais l'essence de la protection offerte aux groupes et la raison de cette protection demeurent les mêmes.

132. En Ontario, par exemple, les art. 17 et 23 du Code des droits de la personne, L.O. 1981, chap. 53, prévoient une exception analogue fondée sur la même justification de principe. L'article 17 porte:

17. Ne constitue pas une atteinte à un droit, reconnu dans la première partie, de traitement égal en matière de services et d'installations, avec ou sans logement, le fait qu'un organisme ou groupement religieux, philanthropique, éducatif, social ou d'entraide dont le principal objectif est de servir les intérêts de personnes définies par un motif de discrimination illicite, n'accepte que ces personnes comme membres. [Je souligne.]

133. En décrivant ainsi la politique qui sous‑tend le second volet de l'art. 20, j'ai aussi fixé indirectement les paramètres de l'applicabilité de l'exception. Une municipalité, par exemple, n'est pas une institution dont le rôle consiste à promouvoir les intérêts et le bien‑être d'un groupe identifiable de personnes caractérisées par un des facteurs énumérés à l'art. 10. Si en l'espèce la ville exerce la discrimination, ce n'est pas pour favoriser la liberté d'association de membres d'un tel groupe identifiable.

134. Je me rends compte que mon interprétation aura pour effet d'empêcher d'autres institutions sans but lucratif d'invoquer cette exception. Une université, par exemple, qui serait normalement considérée comme une institution sans but lucratif ayant un caractère éducatif, ne saurait invoquer le second volet de l'art. 20 pour justifier des distinctions, exclusions ou préférences discriminatoires, à moins de compter parmi ses objectifs premiers l'un de ceux susmentionnés.

135. Ce point de vue a en outre pour conséquence qu'un gouvernement, qu'il soit municipal ou provincial, ne peut invoquer que le premier volet de l'art. 20 et non pas le second pour justifier des politiques gouvernementales par ailleurs discriminatoires, comme par exemple celle visant à combattre le népotisme. Comme le premier volet, de par ses termes, se limite au domaine de l'emploi, la Charte rend le gouvernement impuissant à combattre le népotisme dans des domaines autres que celui de l'emploi où le népotisme présente un danger tout aussi grave, notamment en matière d'attribution de subventions, de soumissions et de vente et d'achat de biens du gouvernement. À mon avis, cela est une conséquence regrettable mais inévitable des termes employés par le législateur à l'art. 20.

136. Étant donné ma conclusion que la ville n'est pas une institution sans but lucratif ayant un caractère politique et qu'elle ne peut donc pas se prévaloir du second volet de l'art. 20, la Cour n'a pas à se demander si la politique discriminatoire en matière d'embauchage est "justifiée" dans les circonstances.

137. Il serait néanmoins utile d'examiner la nature de la justification requise aux fins du second volet en général afin de préciser la portée de l'exception. Si ironique que cela puisse paraître, un jugement de la Cour supérieure qui adopte la conclusion tirée par la Cour d'appel à la majorité en l'espèce relativement à l'application du second volet, soulève des questions visant le manque d'évaluation critique de la justification retenue par le juge Paré de la Cour d'appel. En effet, dans l'affaire Commission des droits de la personne du Québec c. Ville de Lachine, précitée, à la p. 364, le juge Brossard fait remarquer:

S'il est exact que la Cour d'Appel, dans l'arrêt de Ville de Brossard c. Commission des droits de la personne du Québec a confirmé qu'une corporation municipale entrait dans le cadre des institutions sans but lucratif à caractère politique visées par l'exclusion de l'article 20, le Tribunal ne croit pas que cet arrêt a la portée que voudrait lui donner le procureur de l'intimée. Non seulement cette affaire fait‑elle l'objet d'une requête pour permission d'appel à la Cour suprême du Canada, mais, surtout nous ne croyons pas que l'opinion de l'honorable juge Paré, à laquelle souscrivait l'honorable juge Bernier, l'honorable juge Jacques étant dissident, aille jusqu'à justifier le caractère arbitraire d'une décision discriminatoire qui serait prise par une telle institution politique. Encore faut‑il qu'elle soit justifiée, donc qu'elle ait un caractère logique, et objectif, lorsqu'elle est prise. Nous croyons que la limite qui est apportée par cet arrêt de la Cour d'Appel est exclusivement à l'effet qu'il n'appartient pas au Tribunal d'apprécier l'efficacité de la décision ni de substituer ses propres conclusions à celles de l'administration municipale concernant l'opportunité de la décision attaquée. [En italique dans l'original.]

138. Je suis d'accord qu'en règle générale lorsqu'une institution sans but lucratif, à laquelle s'applique le second volet, fait une distinction ou une exclusion ou accorde une préférence, cette distinction, exclusion ou préférence doit être justifiée au sens objectif par le caractère particulier de cette institution.

V Conclusions

139. Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel, de rétablir la décision de la Cour supérieure et de rejeter la requête de l'intimée pour jugement déclaratoire, avec dépens dans toutes les cours.

Version française des motifs des juges Wilson et La Forest rendus par

140. Le juge Wilson—Dans ses motifs de jugement (que j'ai eu l'avantage de lire), mon collègue le juge Beetz fait l'historique de l'affaire, de sorte que je n'ai pas à le reprendre ici. À la suite d'une analyse approfondie des dispositions législatives pertinentes et de la jurisprudence, le juge Beetz a conclu que la ville a exercé contre Line Laurin de la discrimination fondée sur son "état civil" contrairement à l'art. 10 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. 1977, chap. C‑12, en vigueur au Québec, et que cette discrimination ne pouvait se justifier en vertu de l'art. 20.

141. Je ne suis en désaccord avec mon collègue ni quant à sa conclusion ni quant aux motifs de celle‑ci. Si je rédige moi‑même des motifs, c'est pour traiter l'argument de la ville portant sur la question de la justification sous un angle qui, à mon humble avis, n'a pas été directement abordé par mon collègue.

142. D'après le témoignage rendu pour la ville, celle‑ci a imposé l'interdiction d'engager des conjoints et des parents immédiats afin de rehausser aussi bien dans les faits qu'aux yeux du public son image d'employeur qui a adopté et qui suit des pratiques tout à fait impartiales en matière d'embauchage, c.‑à‑d. des pratiques d'embauchage fondées exclusivement sur le mérite et non pas sur le traitement préférentiel accordé aux parents de personnes déjà à son service. La ville cherchait par ce moyen à parer à toute allégation ou tout soupçon que la postulante X a obtenu un emploi en raison de son lien de parenté avec Y et non pas parce qu'elle était la candidate la plus compétente. Le directeur du personnel de la ville, dans un témoignage qui n'a pas été contesté, a souligné que la ville en tant que "municipalité est exposée aux yeux de tout le monde" et que la politique d'embauchage était destinée à éviter "même toute apparence de népotisme, ou de favoritisme". Si je comprends bien, l'élément fondamental de l'argument de la ville, selon lequel sa politique antinépotisme peut se justifier en vertu du premier volet de l'art. 20, est qu'elle n'est pas un employeur comme les autres, qu'elle est un organisme public ayant en tant que tel la responsabilité envers ses habitants d'assurer la saine administration des affaires municipales, ce qui comprend l'adoption et la mise en oeuvre de politiques et de pratiques impartiales en matière d'embauchage.

143. Mon collègue a examiné cet argument en fonction uniquement de l'idée que la politique antinépotisme de la ville visait à éviter les conflits d'intérêts ou l'apparence de tels conflits dans l'embauchage d'employés et dans l'exercice de leurs fonctions par ces employés une fois engagés.

144. À mon avis, une analyse de l'intérêt de la ville dans ses politiques d'embauchage faite seulement en fonction de son désir d'éviter les conflits d'intérêts est de portée trop étroite. Comme je l'ai déjà dit, je partage entièrement l'avis de mon collègue que la politique antinépotisme est excessive si elle a pour seul objet d'éviter que ne surgissent des conflits d'intérêt ou même l'appréhension raisonnable de tels conflits, parce qu'elle s'applique à tous sans exception, qu'il y ait ou non conflit réel ou possibilité d'un conflit. Par conséquent, mon but est d'aborder l'argument de la ville dans une perspective plus large, c'est‑à‑dire en fonction de son assertion qu'elle cherchait à rehausser dans les faits et aux yeux du public son image d'employeur qui a adopté et qui suit des pratiques impartiales en matière d'embauchage. La question pertinente à poser aux fins du premier volet de l'art. 20 est celle de savoir si le mot "qualités" employé à l'art. 20 a un sens plus large compte tenu du caractère de l'employeur. Une municipalité peut‑elle prescrire comme une qualité pour un emploi quelque chose qui pourrait ne pas constituer une qualité légitime dans les cas d'un employeur privé? Peut‑elle imposer une "exclusion" au sens de l'art. 20 compte tenu du fait qu'elle est un organisme public et, partant, comptable de tous les aspects de son administration? Ou encore, pour employer des termes plus familiers, une municipalité est‑elle justifiée d'adopter des pratiques d'embauchage destinées à faire en sorte qu'elle soit et qu'elle paraisse "irréprochable" dans sa façon d'engager des employés? Si je comprends bien, c'est précisément dans ce but que la ville a adopté sa politique antinépotisme.

145. Je suis entièrement d'accord avec mon collègue que si l'objectif véritable visé par la ville en adoptant sa politique était d'empêcher que ses employés n'embauchent leurs parents ou qu'ils n'exercent de l'influence sur les personnes chargées de l'embauchage pour qu'elles le fassent, alors il serait juste d'analyser cet objectif en fonction de la prévention de conflits d'intérêts. Je suis toutefois convaincue que la ville avait en vue un objectif beaucoup plus large et j'estime en conséquence qu'il faut examiner cet objectif plus large et décider s'il peut fournir en vertu du premier volet de l'art. 20 une justification de la politique antinépotisme.

146. Quelles sont les "qualités" qu'on doit posséder pour un emploi et peuvent‑elles être reliées au caractère particulier de l'employeur? Si le second volet de l'art. 20 n'existait pas, une école catholique romaine pourrait‑elle exiger que ses enseignants soient des catholiques romains et exclure tous les autres indépendamment des "qualités" qu'ils possèdent pour l'emploi? En d'autres termes, leur identité en tant que catholiques romains pourrait‑elle constituer en elle‑même une "qualité" requise pour un emploi dans une école catholique romaine? Cette "qualité" serait‑elle justifiée dans le cas d'une école catholique romaine même si elle constituait dans le cas d'un autre employeur de la discrimination flagrante fondée sur la religion? À mon avis, compte tenu de l'arrêt de cette Cour Caldwell c. Stuart, [1984] 2 R.C.S. 603, une telle qualité pourrait être justifiée dans la mesure où elle présente un lien rationnel avec les buts et les objectifs de l'institution.

147. Prenons un cas qui se rapproche davantage du présent litige. Une municipalité qui se sentirait obligée en tant qu'organisme public d'engager des membres des minorités plutôt que d'avoir un corps policier composé entièrement d'Anglo‑Saxons ou de Canadiens français de race blanche, pourrait‑elle faire de la race ou de l'origine nationale du postulant une "qualité" au sens de l'art. 20? Je crois que cela serait possible si la municipalité croyait en toute bonne foi que l'adoption d'une telle politique s'impose pour qu'elle puisse remplir son obligation de maintenir l'ordre sur son territoire.

148. Je conviens volontiers qu'il n'y a pas une analogie parfaite entre ces exemples et la situation qui se présente en l'espèce, mais ils servent tout de même à faire ressortir la difficulté de la question et à souligner que le caractère de l'employeur peut être pertinent lorsqu'il s'agit de déterminer les qualités pouvant légitimement être exigées pour un emploi.

149. À mon avis, l'argument le plus convaincant invoqué par la ville pour justifier sa politique antinépotisme se fonde sur une interprétation plus large du mot "qualités" figurant à l'art. 20, interprétation qui tient compte du fait que la ville est un organisme public. À l'instar de mon collègue, j'estime que la ville ne relève pas du second volet de l'art. 20, et ce, à cause de la règle ejusdem generis. Toutefois, comme le fait remarquer mon collègue, cela n'empêche pas d'étudier à la lumière du premier volet du même article la situation de la ville en tant qu'organisme public. La question qui se pose alors est de savoir si la politique de la ville est justifiée pour le motif qu'une règle interdisant l'embauchage de conjoints et de parents immédiats constitue une "qualité" que la ville, en raison de son caractère d'organisme public, "exig[e] de bonne foi" pour obtenir un emploi auprès d'elle. La nature de l'emploi postulé et la nature du poste occupé par un parent, quoique cruciales pour une justification fondée sur le conflit d'intérêts, ne seraient pas déterminantes relativement à cette question. L'analyse porterait sur la justification de la politique elle‑même plutôt que sur la justification d'une application particulière de celle‑ci. À cet égard, l'importance de la population de la municipalité, le nombre de ses fonctionnaires, ses politiques d'embauchage dans le passé et la perception publique de ces politiques pourraient représenter des facteurs pertinents à prendre en considération.

150. À la lecture de la preuve, il ne semble faire aucun doute que la politique antinépotisme a été adoptée de bonne foi par la ville pour empêcher que les postes vacants au sein de sa fonction publique ne soient comblés par des parents d'employés actuels ou de membres du conseil municipal. À mon avis, on a manifestement satisfait au critère subjectif de l'art. 20. Cela étant, on doit se demander si cette politique était "raisonnablement nécessaire" pour assurer l'intégrité ou l'apparence d'intégrité de l'administration municipale. Malheureusement, le dossier ne contient rien ou presque rien qui puisse nous aider à déterminer la mesure dans laquelle l'embauchage de parents menace ou paraît menacer l'intégrité de l'administration publique.

151. Je souligne ici entre parenthèses que nous n'examinons pas si l'embauchage de parents nuit à l'exercice des fonctions ou au rendement qualitatif. On peut supposer que les membres de la parenté sont les postulants les plus qualifiés. Notre tâche consiste plutôt à déterminer si l'embauchage de parents, peu importe les qualités au sens étroit qu'ils possèdent, constitue dans les faits ou aux yeux du public une menace pour l'intégrité de l'administration municipale.

152. Or, il me semble que l'embauchage de parents peut bien présenter une menace ou être considéré comme présentant une menace pour l'intégrité de l'administration de la ville. On s'attend après tout à ce que la ville en tant qu'organisme public se dote des meilleurs employés possibles. Il ne fait pas de doute que ses pratiques d'embauchage devraient être impartiales. S'il n'y avait pas de politique antinépotisme et qu'un parent d'un membre du conseil municipal se faisait engager par la ville, tous les autres membres du conseil seraient portés à croire qu'un de leurs parents devrait être embauché également. De plus, les autres postulants auraient tendance à se sentir lésés et à conclure que la politique d'embauchage de la ville "tient compte non pas de ce que l'on sait mais de qui l'on connaît." Il est évident que l'ampleur de la menace présentée par une telle pratique d'embauchage est une question de degré et devrait être établie par la preuve. Si l'embauchage de parents devait devenir une pratique courante, elle pourrait évidemment constituer une menace grave. Dans cette optique, est‑il "raisonnablement nécessaire" en l'espèce d'interdire totalement l'embauchage de parents ou suffirait‑il de surveiller attentivement la situation et de faire preuve de discernement afin que l'embauchage de parents (à supposer qu'ils aient la compétence requise pour le poste en question) ne prenne pas des proportions déraisonnables?

153. Il me semble que, compte tenu de la nature du droit violé par une politique antinépotisme, c.‑à‑d. le droit, garanti par l'art. 10, de ne pas être victime de discrimination, l'adoption d'une interdiction totale n'est pas "raisonnablement nécessaire" pour éviter que l'intégrité de l'administration municipale soit menacée. La ville peut éviter cette menace en recourant aux moyens moins draconiens que j'ai proposés.

154. Qu'en est‑il de l'apparence d'intégrité? Une interdiction totale s'impose‑t‑elle pour assurer l'apparence d'intégrité? Je ne le crois pas. De toute évidence, si l'embauchage de parents devenait la règle plutôt que l'exception, la perception que l'administration est noyautée saperait la confiance du public dans l'intégrité de ses hauts fonctionnaires. Là encore, j'estime qu'il s'agit d'une question de degré et de preuve et que la nécessité d'une interdiction totale n'a pas été démontrée en l'espèce. Je ne rejette pas pour un instant l'idée que les municipalités se doivent de faire preuve d'une grande prudence afin d'éviter toute apparence d'un traitement préférentiel accordé aux parents d'employés actuels et de membres du conseil municipal. Je crois cependant qu'une interdiction totale est excessive en l'espèce. La valeur destinée à être protégée par la législation antidiscrimination, savoir que les gens doivent être traités en tant qu'individus et selon leur mérite, me paraît trop importante et trop fondamentale pour céder le pas à une politique rigide d'antinépotisme s'il existe des moyens moins radicaux de protéger l'intégrité de l'administration de la ville et d'assurer l'apparence d'une telle intégrité. Selon moi, il y a en effet des moyens moins radicaux auxquels on aurait pu et on aurait dû avoir recours en l'espèce.

155. Pour ces motifs, ainsi que pour ceux exposés par mon collègue, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l'appelante: Rivest, Castiglio, Castiglio, LeBel & Schmidt, Montréal.

Procureurs de l'intimée: Vermette, Dunton, Caron, Rainville & Toupin, Montréal.

* Les juges Chouinard et Le Dain n'ont pas pris part au jugement.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Libertés publiques - Emploi - Discrimination - État civil - Interdiction faite aux membres de la famille immédiate des employés à plein temps et des conseillers municipaux de postuler un emploi auprès de la ville - Cette pratique en matière d'embauchage est‑elle fondée sur l'état civil, et partant, discriminatoire selon l'art. 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec? - Dans l'affirmative, la pratique de la ville en matière d'embauchage est‑elle justifiée par l'art. 20 de la Charte? - Interprétation de l'art. 20 - Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. 1977, chap. C‑12, art. 10, 16, 20.

La ville de Brossard a adopté une politique d'embauchage qui empêche les membres de la famille immédiate des employés à plein temps et des conseillers municipaux d'être embauchés par la ville. La mise en cause a porté plainte auprès de la Commission des droits de la personne lorsque, conformément à la politique antinépotisme, sa demande visant à obtenir de la ville un emploi d'été comme sauveteur a été écartée parce que sa mère travaillait à plein temps comme dactylographe au poste de police de la municipalité. La Commission a déclaré que la mise en cause avait été victime d'un préjudice et a recommandé qu'elle se voie immédiatement confier le poste qu'elle avait sollicité. La ville a alors demandé à la Cour supérieure de déclarer que la politique d'embauchage ne constituait pas de la discrimination illicite au sens de l'art. 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. La Cour a rejeté la requête, mais la Cour d'appel a infirmé cette décision. Ce pourvoi vise à déterminer si la politique d'embauchage de la ville constitue de la discrimination dans l'embauchage fondée sur "l'état civil", contrairement aux art. 10 et 16 de la Charte québécoise et, dans l'affirmative, si l'exclusion des membres de la famille immédiate des employés à plein temps et des conseillers municipaux est réputée non discriminatoire en raison de l'une des exceptions prévues à l'art. 20 de la Charte.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Les juges Beetz, McIntyre, Lamer et La Forest:

(1) L'article 10 de la Charte

La politique d'embauchage de la ville représente une exclusion fondée sur l'état civil de personnes postulant des emplois auprès d'elle. Il s'agit d'une exclusion fondée sur la filiation, la fraternité et la «sororité», ainsi que l'état matrimonial au sens relatif—la politique d'embauchage exclut les postulants mariés à des personnes ayant déjà des liens avec la ville—, lesquels sont tous inclus dans «l'état civil» des candidats pour les fins de l'art. 10 de la Charte. Cela vaut tant d'une manière générale que dans le cas particulier de la mise en cause. De plus, l'état civil des candidats est la cause efficiente de leur exclusion. Certes, la relation de mère‑fille et le poste occupé par la mère sont des facteurs qui pourraient être dissociés dans certaines circonstances, mais pour ce qui est de déterminer la cause de l'exclusion de la mise en cause, ils jouent ensemble de manière à former une cause unique et indivisible. C'est l'état civil de la mise en cause, dont l'appréciation a nécessité l'examen de la situation de sa mère, qui a été à l'origine de son exclusion.

Pareille exclusion ne constitue de la discrimination au sens de l'art. 10 que si, comme le prévoit le deuxième alinéa de cette disposition, l'exclusion a pour effet de détruire ou de compromettre le droit des candidats à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne. Il est clair que la mise en cause et les autres candidats exclus en raison de la politique d'embauchage n'ont pas joui de la reconnaissance et de l'exercice, en pleine égalité, du droit à la non‑discrimination dans l'embauchage, prévu par l'art. 16. Il s'ensuit que la politique d'embauchage de la ville est discriminatoire au sens de l'art. 10 de la Charte.

(2) L'article 20 de la Charte

a) Interprétation

L'article 20 de la Charte prévoit deux exceptions distinctes à la norme antidiscrimination établie par l'art. 10 et on a tort de les prétendre connexes, même aux fins de l'interprétation de leurs termes respectifs. Ces deux exceptions, fondées sur des objectifs législatifs différents, méritent l'emploi de méthodes d'interprétation différentes. Le premier volet, qui porte qu'une "exclusion [. . .] fondée sur les aptitudes ou qualités exigées de bonne foi pour un emploi [. . .] est réputée non discriminatoire", doit s'interpréter restrictivement puisqu'il supprime des droits qui autrement recevraient une interprétation libérale. Suivant le second volet, une "exclusion [. . .] justifiée par le caractère charitable, philanthropique, religieux, politique ou éducatif d'une institution sans but lucratif ou qui est vouée exclusivement au bien‑être d'un groupe ethnique est réputée non discriminatoire". Cette exception, tout en imposant des limites aux droits de certains individus, confère des droits à certains groupes. Elle est destinée à promouvoir le droit fondamental des individus de s'associer librement afin d'exprimer des opinions particulières ou d'exercer des activités particulières. Donc, plutôt que d'adopter une interprétation libérale ou restrictive du second volet, la Cour devrait donner aux expressions "institution sans but lucratif" et "caractère politique" leur sens ordinaire, en recourant aux règles traditionnelles d'interprétation des lois.

b) Le premier volet

Pour être pertinentes aux fins du premier volet de l'art. 20, les "aptitudes ou qualités exigées de bonne foi pour un emploi" doivent nécessairement se rapporter à l'un des motifs énumérés à l'art. 10 étant donné que l'exception ne peut être invoquée qu'à la suite de la détermination qu'une conduite donnée constitue une discrimination contrairement à l'art. 10. En l'espèce, l'absence de conflit d'intérêts de la part du postulant d'un emploi constitue "l'aptitude ou la qualité" qui se rapporte à l'état civil, lequel représente le motif de discrimination mentionné à l'art. 10 qui est pertinent relativement à la politique discriminatoire en matière d'embauchage. L'exigence que les postulants ne soient pas en situation de conflit d'intérêts favorise l'impartialité dans l'embauchage de nouveaux fonctionnaires et dans l'exécution de leurs fonctions une fois qu'ils ont été engagés.

Pour que sa politique d'embauchage soit réputée non discriminatoire au sens du premier volet de l'art. 20, la ville devait démontrer: (1) que l'exigence qu'il n'y ait pas de conflit d'intérêts a été imposée honnêtement, de bonne foi (critère subjectif), et (2) que cette exigence se rapporte objectivement à l'exercice de l'emploi auprès de la ville, en ce sens qu'elle est raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail (critère objectif). Une exigence est "raisonnablement nécessaire" pour assurer l'exécution du travail, selon le critère objectif, si elle satisfait aux deux conditions suivantes: l'aptitude ou la qualité doit avoir un lien rationnel avec l'emploi en question et la règle doit être bien conçue de manière que l'exigence quant à l'aptitude ou à la qualité puisse être remplie sans que les personnes assujetties à la règle ne se voient imposer un fardeau excessif.

En l'espèce, on a satisfait à l'élément subjectif du critère parce que l'exigence a été imposée honnêtement. La politique d'embauchage visait à combattre le népotisme et à favoriser une saine gestion municipale et non pas à contrecarrer les objectifs de la Charte.

On n'a pas satisfait à l'élément objectif du critère. Néanmoins, l'aptitude ou la qualité requise de tous les postulants, savoir l'absence de conflits d'intérêts réels ou éventuels et d'apparence de tels conflits, présente un lien rationnel avec l'emploi auprès de la ville, y compris avec l'emploi de sauveteur postulé par la mise en cause. Tous les fonctionnaires, du cadre le plus puissant jusqu'au moindre petit commis, partagent envers la collectivité une responsabilité en vertu de laquelle les intérêts particuliers du fonctionnaire doivent céder le pas devant l'intérêt général des citoyens qui composent cette collectivité. Il est approprié, voire nécessaire, d'adopter pour les fonctionnaires des règles de conduite destinées à prévenir les conflits d'intérêts, dont le népotisme constitue une forme particulièrement grave. De plus, il devrait être possible à un gouvernement employeur d'établir des règles de conduite visant à combattre non seulement les conflits d'intérêts réels ou éventuels mais aussi l'apparence de tels conflits.

En l'espèce, toutefois, la règle est d'une sévérité disproportionnée à l'aptitude ou à la qualité dont elle vise à assurer la possession. La politique d'embauchage que la ville a décidé d'adopter constitue une règle générale qui n'admet aucune exception et qui ne tient donc pas compte suffisamment du degré de probabilité qu'un abus de pouvoir soit commis. Pour qu'une exclusion de ce genre soit justifiée en tant qu'exigence professionnelle, en vertu du premier volet de l'art. 20, cette exigence doit être adaptée à l'emploi en question de manière qu'on puisse dire qu'elle prévient les conflits d'intérêts réels, les conflits d'intérêts éventuels dont il est raisonnable de croire qu'ils pourront surgir et les apparences de conflit d'intérêts fondées sur une crainte raisonnable de partialité. La population de la municipalité, le nombre de ses fonctionnaires, les particularités de sa structure administrative, la nature des postes occupés du point de vue des possibilités d'abus de pouvoir qu'ils présentent et, dans une certaine mesure, la nature de la relation familiale en question sont tous des points pertinents lorsqu'il s'agit de déterminer si la règle est bien conçue en ce qui concerne le critère objectif. En l'espèce, la politique d'embauchage de la ville ne tenait pas suffisamment compte de la nature des postes occupés du point de vue des possibilités d'abus de pouvoir qu'ils présentent. La mère n'était pas en mesure d'influencer l'embauchage de sa fille et il n'y avait aucune crainte raisonnable qu'elle pût exercer une telle influence. De plus, la Cour ne disposait d'aucun élément de preuve permettant d'évaluer la règle générale en fonction de la taille de la municipalité et de sa fonction publique. Il s'ensuit donc que le premier volet de l'art. 20 ne justifie pas la pratique discriminatoire en matière d'embauchage suivie par la ville.

c) Le second volet

Le second volet de l'art. 20 ne vient pas sauvegarder la pratique discriminatoire de la ville. Une municipalité n'est pas l'"institution sans but lucratif" ayant "un caractère politique" envisagée dans cette disposition. Quoique l'emploi de l'expression "institution sans but lucratif" n'exclue pas l'application du second volet à des municipalités, les mots "caractère charitable, philanthropique, religieux, politique ou éducatif" qui, à l'art. 20, précèdent l'expression "institution sans but lucratif" influent sur le sens de cette dernière expression et appuient le point de vue selon lequel elle ne comprend pas une municipalité.

Dans d'autres contextes, le mot "politique" peut aussi être interprété de manière à comprendre les municipalités et d'autres gouvernements employeurs. À l'article 20, cependant, le sens du mot "politique" est éclairé par les autres exemples d'institutions sans but lucratif donnés par le législateur et chacun de ces exemples paraît renfermer la notion de "vocation". Une institution de caractère politique serait une institution ayant une vocation particulière reliée à une idéologie ou à un programme et ne comprendrait pas une municipalité.

De plus, le second volet de l'art. 20 est destiné à promouvoir la liberté fondamentale des individus de s'associer afin d'exprimer des opinions particulières ou d'exercer des activités particulières et, ce faisant, leur droit de ne pas être gênés par la norme antidiscrimination établie à l'art. 10. Donc, pour bénéficier de la protection du second volet de l'art. 20, une institution doit avoir pour objectif premier la promotion des intérêts et du bien‑être d'un groupe identifiable de personnes partageant une des caractéristiques énoncées à l'art. 10. L'institution elle‑même peut relever de l'une ou l'autre des catégories prévues à l'art. 20, mais il doit toujours y avoir un lien entre la discrimination fondée sur l'un des motifs énoncés à l'art. 10 pratiquée par le groupe et la nature de l'institution, de même qu'entre l'un des objectifs premiers visés par le groupe et la discrimination fondée sur l'un des motifs énoncés à l'art. 10. Il se dégage nettement de la politique qui sous‑tend le second volet de l'art. 20 qu'une municipalité, comme tout autre gouvernement, ne peut invoquer cette exception. Une municipalité n'est pas une institution dont le rôle consiste à promouvoir les intérêts et le bien‑être d'un groupe identifiable de personnes caractérisées par un des facteurs énumérés à l'art. 10. En l'espèce, la ville n'exerce pas la discrimination pour favoriser la liberté d'association de membres d'un tel groupe identifiable.

Étant donné la conclusion que la ville n'est pas une institution sans but lucratif ayant un caractère politique et qu'elle ne peut donc pas se prévaloir du second volet de l'art. 20, la Cour n'a pas à se demander si la politique discriminatoire en matière d'embauchage est "justifiée" dans les circonstances. En règle générale toutefois, lorsqu'une institution sans but lucratif, à laquelle s'applique le second volet, fait une distinction ou une exclusion ou accorde une préférence, cette distinction, exclusion ou préférence doit être justifiée au sens objectif par le caractère particulier de cette institution.

Les juges Wilson et La Forest: La ville a adopté sa politique antinépotisme afin de rehausser aussi bien dans les faits qu'aux yeux du public son image d'employeur qui suit des pratiques tout à fait impartiales en matière d'embauchage. La ville croyait qu'en tant qu'organisme public ayant la responsabilité envers ses habitants d'assurer la saine administration des affaires municipales, elle se devait d'avoir des pratiques irréprochables en matière d'embauchage. Elle devait pratiquer et être perçue comme pratiquant l'embauchage fondé exclusivement sur le mérite et non pas sur le traitement préférentiel accordé aux parents de conseillers municipaux ou de personnes déjà à son service. Cet objectif de la ville était beaucoup plus large que son souci de prévenir les conflits d'intérêts et la Cour doit décider si cet objectif plus large peut fournir en vertu du premier volet de l'art. 20 une justification de sa politique antinépotisme. La nature de l'emploi postulé et la nature du poste occupé par un parent, quoique cruciales pour une justification fondée sur le conflit d'intérêts, ne seraient pas déterminantes relativement à cette question.

Le caractère de l'employeur est pertinent lorsqu'il s'agit de déterminer les "qualités" qui, en vertu du premier volet de l'art. 20 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, peuvent être légitimement exigées pour un emploi. La politique antinépotisme d'une municipalité pourrait donc être justifiée pour le motif qu'il s'agit, en raison de son caractère d'organisme public, d'une "qualité exigée de bonne foi" pour un emploi auprès d'elle. Cette politique n'était toutefois pas "raisonnablement nécessaire" pour assurer l'intégrité ou l'apparence d'intégrité de l'administration municipale. Bien que l'embauchage de parents puisse bien présenter une menace ou être considéré comme présentant une menace pour l'intégrité de l'administration de la ville, il reste que, compte tenu de l'importance du droit violé par une politique antinépotisme, c.‑à‑d. le droit de ne pas être victime de discrimination, l'adoption d'une interdiction totale pour éviter cette menace était une mesure trop stricte. Étant donné que la ville pouvait recourir à des moyens moins draconiens pour réaliser son objectif, sa politique n'est pas justifiée par le premier volet de l'art. 20.


Parties
Demandeurs : Brossard (Ville)
Défendeurs : Québec (Comm. des droits de la personne)

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Beetz
Arrêts appliqués: Commission ontarienne des droits de la personne c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202
Bhinder c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1985] 2 R.C.S. 561
Caldwell c. Stuart, [1984] 2 R.C.S. 603
arrêts approuvés: Biscuits Associés du Canada Ltée c. Commission des droits de la personne, [1981] C.A. 521
Cashin c. Société Radio‑Canada (1988), 86 N.R. 24 (C.A.F.), inf. (1987), 8 C.H.R.R. D/3699
Mark v. Porcupine General Hospital (1984), 6 C.H.R.R. D/2538
Commission des droits de la personne du Québec c. Québec (Ville de), [1986] R.J.Q. 243
arrêt critiqué: Mormina c. Saint‑Léonard (Ville de), J.E. 87‑950
distinction d'avec l'arrêt: Johnson c. Commission des affaires sociales, [1984] C.A. 61
arrêts mentionnés: Commission des droits de la personne c. École de conduite St‑Amour Inc., [1983] C.P. 16
Blanchette c. Cie d'assurance du Canada sur la vie, [1984] C.S. 1240
Aronoff v. Hawryluk (1981), 2 C.H.R.R. D/534
Syndicat national des employés de garage de Québec Inc. (C.S.D.) c. Roy, [1987] D.L.Q. 409
Placements G.P.C. Inc. c. Union des employés de commerce, local 504, [1987] D.L.Q. 93n
Marché Sabrevois Inc. c. Union des employés de commerce, local 500, [1987] D.L.Q. 71n
Commission des droits de la personne du Québec c. Courtier provincial en alimentation (1971) Inc. (1982), 3 C.H.R.R. D/1134
Bosi v. Township of Michipicoten (1983), 4 C.H.R.R. D/1252
Décision C.D.P.—18, [1987] D.L.Q. 155
Bliss c. Procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 183
Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536
Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455
Association A.D.G.Q. c. Commission des écoles catholiques de Montréal, [1980] C.S. 93
Décision C.D.P.—31, [1986] D.L.Q. 462
Ladouceur c. Dollard‑des‑Ormeaux (Ville de), [1987] D.L.Q. 95n
Commission des droits de la personne du Québec c. Ville de Lachine, [1984] C.S. 361.
Citée par le juge Wilson
Arrêt mentionné: Caldwell c. Stuart, [1984] 2 R.C.S. 603.
Lois et règlements cités
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. 1977, chap. C‑12, art. 10 [mod. 1978, chap. 7, art. 112], 16, 20, 82.
Code civil du Bas Canada, art. 39 et suiv., 54, 356.
Code civil du Québec, art. 572.
Code de procédure civile, art. 453 et suiv.
Code des droits de la personne, L.O. 1981, chap. 53, art. 17, 23.
Loi sur la fonction publique, L.R.Q., chap. F‑3.1.1, art. 7.
Loi sur les cités et villes, L.R.Q., chap. C‑19.
Doctrine citée
Bisson, Alain‑François. "La Charte québécoise des droits et libertés de la personne et le dogme de l'interprétation spécifique des textes constitutionnels" (1986), 17 R.D.U.S. 19.
Garant, Patrice. La fonction publique canadienne et québécoise. Québec: Presses de l'Université Laval, 1973.
Jèze, Gaston. Les principes généraux du droit administratif, vol. II, 3e éd. Paris: Michel Giard, 1930.
Robert, Paul. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, t. III. Paris: Le Robert, 1981, "institution".

Proposition de citation de la décision: Brossard (Ville) c. Québec (Comm. des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279 (10 novembre 1988)


Origine de la décision
Date de la décision : 10/11/1988
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1988] 2 R.C.S. 279 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1988-11-10;.1988..2.r.c.s..279 ?
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