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15/10/1987 | CANADA | N°[1987]_2_R.C.S._293

Canada | R. c. Chase, [1987] 2 R.C.S. 293 (15 octobre 1987)


R. c. Chase, [1987] 2 R.C.S. 293

Sa Majesté La Reine Appelante

c.

Dalton Chase Intimé

répertorié: r. c. chase

No du greffe: 18846.

1986: 25 avril; 1987: 15 octobre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Chouinard*, Lamer, Wilson et Le Dain.

*Le juge Chouinard n'a pas pris part au jugement.

en appel de la cour d'appel du nouveau‑brunswick

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick (1984), 13 C.C.C. (3d) 187, 40 C.R. (3d) 282, 55 R.N.‑B. (2e) 97, 144 A.P.R. 97, qui a r

ejeté l'appel interjeté par l'accusé à l'encontre de sa déclaration de culpabilité relativement à une accusation d'agre...

R. c. Chase, [1987] 2 R.C.S. 293

Sa Majesté La Reine Appelante

c.

Dalton Chase Intimé

répertorié: r. c. chase

No du greffe: 18846.

1986: 25 avril; 1987: 15 octobre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Chouinard*, Lamer, Wilson et Le Dain.

*Le juge Chouinard n'a pas pris part au jugement.

en appel de la cour d'appel du nouveau‑brunswick

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick (1984), 13 C.C.C. (3d) 187, 40 C.R. (3d) 282, 55 R.N.‑B. (2e) 97, 144 A.P.R. 97, qui a rejeté l'appel interjeté par l'accusé à l'encontre de sa déclaration de culpabilité relativement à une accusation d'agression sexuelle et qui y a substitué un verdict de culpabilité de voies de fait simples. Pourvoi accueilli.

William J. Corby, pour l'appelante.

John S. MacPhee, pour l'intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1. Le juge McIntyre—Le présent pourvoi porte sur le sens de l'expression "agression sexuelle" utilisée aux art. 244 et 246.1 du Code criminel. Pour en faciliter la consultation, voici le texte de ces articles:

244. (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque

a) d'une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

b) tente ou menace, par un acte ou un geste, d'employer la force contre une autre personne, s'il est en mesure actuelle, ou s'il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu'il est alors en mesure actuelle d'accomplir son dessein; ou

c) en portant ostensiblement une arme ou une imitation, aborde ou importune une autre personne ou mendie.

(2) Le présent article s'applique à toutes les espèces de voies de fait, y compris les agressions sexuelles, les agressions sexuelles armées, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles et les agressions sexuelles graves.

(3) Pour l'application du présent article, ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison:

a) de l'emploi de la force envers le plaignant ou une autre personne;

b) des menaces d'emploi de la force ou de la crainte de cet emploi envers le plaignant ou une autre personne;

c) de la fraude; ou

d) de l'exercice de l'autorité.

(4) Lorsque l'accusé allègue qu'il croyait que le plaignant a consenti aux actes sur lesquels l'accusation est fondée, le juge doit, s'il est convaincu qu'il y a une preuve suffisante et que cette preuve constituerait une défense si elle était acceptée par le jury, demander à ce dernier de prendre en considération, en évaluant l'ensemble de la preuve qui concerne la détermination de la sincérité de la croyance de l'accusé, la présence ou l'absence de motifs raisonnables pour celle‑ci.

246.1 (1) Quiconque commet une agression sexuelle est coupable

a) d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement de dix ans; ou

b) d'une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité.

(2) Lorsqu'une personne est accusée d'une infraction visée au paragraphe (1) ou aux articles 246.2 ou 246.3 à l'égard d'une personne âgée de moins de quatorze ans, ne constitue pas une défense le fait que le plaignant a consenti aux actes à l'origine de l'accusation sauf si l'accusé est de moins de trois ans son aîné.

2. Les faits peuvent être décrits brièvement. L'intimé, Chase, était un voisin de la plaignante, une jeune fille âgée de 15 ans. Ils vivaient dans un petit hameau près de Fredericton (Nouveau‑Brunswick). Le 22 octobre 1983, Chase est entré dans la maison de la plaignante sans y être invité. La plaignante et son frère de onze ans jouaient au billard dans le sous‑sol. Leur grand‑père âgé de quatre‑vingt‑trois ans dormait à l'étage. Leurs parents étaient absents. L'intimé a enlacé la plaignante à la hauteur des bras et des épaules et a mis les mains sur ses seins. Lorsqu'elle s'est débattue, il a dit: [TRADUCTION] "Allons chérie, ne me frappe pas, je sais que tu le veux." Au procès, la plaignante a affirmé: [TRADUCTION] "Il a tenté de me toucher les parties, mais il n'a pas réussi parce que mes mains ont été plus rapides." Finalement, la plaignante et son frère ont été en mesure de téléphoner à un voisin et l'intimé est parti. Avant de s'en aller, il a dit qu'il allait raconter à tout le monde qu'elle l'avait violé. L'incident a duré en tout un peu plus d'une demi‑heure. L'intimé a été accusé de l'infraction d'agression sexuelle et a été déclaré coupable après avoir subi son procès en Cour provinciale. La Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick a rejeté son appel, a substitué un verdict de culpabilité de l'infraction incluse de voies de fait simples décrite au par. 245(1) du Code criminel et a imposé une peine de six mois d'emprisonnement: (1984), 13 C.C.C. (3d) 187, 40 C.R. (3d) 282, 55 R.N.‑B. (2e) 97, 144 A.P.R. 97.

3. En appel, le juge Angers, s'exprimant au nom de la cour à l'unanimité (le juge en chef Stratton et les juges Ryan et Angers), s'est dit d'avis que les principes établis à l'égard du viol et de l'attentat à la pudeur étaient peu utiles pour aborder la question de l'agression sexuelle. Selon lui, le qualificatif "sexuelle" devrait être interprété comme visant des parties du corps, en particulier les parties génitales. Il a considéré qu'une définition plus large de l'expression pourrait entraîner des résultats absurdes si elle visait d'autres parties de l'anatomie décrites comme ayant [TRADUCTION] "des caractéristiques sexuelles secondaires". Il a également exprimé l'opinion que l'agression sexuelle n'exige pas ou ne comporte pas une intention spécifique. étant donné qu'il n'y a pas eu de contact avec les parties génitales de la plaignante, la déclaration de culpabilité rendue au procès a été annulée et remplacée par une déclaration de culpabilité de voies de fait simples. Il ressort clairement de ces faits que la seule question qui se pose dans le présent pourvoi est celle de la définition de l'infraction d'agression sexuelle.

4. Les nouvelles dispositions du Code criminel en matière d'agression sexuelle ont été adoptées dans la Loi modifiant le Code criminel en matière d'infractions sexuelles et d'autres infractions contre la personne et apportant des modifications corrélatives à d'autres lois, S.C. 1980‑81‑82‑83, chap. 125. Elles remplacent les anciennes infractions de viol, de tentative de viol, de rapports sexuels avec une personne faible d'esprit et d'attentat à la pudeur d'une personne de sexe féminin ou masculin. Il incombe maintenant aux tribunaux de tenter d'élaborer une façon réaliste et pratique d'aborder l'interprétation des nouveaux articles. Les articles 244 et 246.1 précités constituent les dispositions clés. L'article 246.1 crée l'infraction d'agression sexuelle, une expression qui n'est nulle part définie dans le Code criminel. Pour déterminer sa nature, nous devons d'abord examiner le par. 244(1) relatif aux voies de fait où celles‑ci sont définies dans des termes semblables, voire identiques, au concept de voies de fait en common law. Le paragraphe 244(2) prévoit que l'article s'applique aux agressions sexuelles. L'intimé a soutenu que les al. a), b) et c) du par. 244(1) doivent être lus de manière disjonctive de sorte que seul l'al. a) puisse s'appliquer à l'infraction d'agression sexuelle. On a dit que ce devait être la position adoptée par la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick parce que, dans son examen de l'art. 244, elle n'a traité que de l'al. a), considérant apparemment qu'un contact était nécessaire pour qu'il y ait agression sexuelle. J'écarterais cet argument en mentionnant simplement les termes précis du par. 244(2) qui rendent l'article applicable aux agressions sexuelles. À mon avis, quelle que soit la définition de l'agression sexuelle, elle ne peut être limitée aux dispositions de l'al. 244(1)a).

5. Depuis l'arrêt de la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick en l'espèce, d'autres cours d'appel se sont penchées sur cette question. D'après ce que je puis constater, aucune n'a adopté la position de la Cour d'appel en l'espèce. Dans R. v. Alderton (1985), 49 O.R. (2d) 257, la question a été soumise à la Cour d'appel de l'Ontario. Dans cette affaire, l'accusé, portant un masque, est entré de nuit dans un immeuble d'appartements. Il est entré dans l'appartement de la plaignante qui dormait seule dans sa chambre à coucher. Il s'est emparé d'elle et l'a forcée à se coucher sur les oreillers, mais elle s'est débattue et a réussi à s'enfuir. La Cour d'appel a rejeté l'appel interjeté contre la déclaration de culpabilité d'agression sexuelle rendue au procès. Le juge Martin, s'exprimant au nom de la cour à l'unanimité (les juges Martin, Lacourcière et Finlayson), affirme à la p. 263:

[TRADUCTION] Nous sommes, avec toute la déférence qui s'impose, incapables d'accepter l'opinion exprimée par la cour dans cette affaire [Chase]. Sans d'aucune façon tenter de donner une définition détaillée de l'"agression sexuelle", nous sommes tous convaincus qu'elle comprend l'agression dans l'intention d'avoir des rapports sexuels avec la victime sans son consentement ou l'agression d'une victime dans le but de tirer un plaisir sexuel.

Nous sommes tous d'avis que, dans les circonstances de l'espèce, il y avait suffisamment d'éléments de preuve pour que le jury conclue que l'appelant a agressé sexuellement la plaignante et, en fait, nous croyons que la preuve ne permettait pas d'arriver à une autre conclusion.

Comme il l'a dit, par ces termes, le juge Martin ne tentait pas de donner une définition détaillée de l'agression sexuelle et ne disait pas non plus que le concept d'agression sexuelle se limitait à une agression commise dans l'intention d'avoir des rapports sexuels ou dans le but de tirer un plaisir sexuel. Il était d'avis que si ces éléments étaient présents, ce serait suffisant pour qualifier l'agression de sexuelle. Ces éléments ne constituent pas l'unique fondement pour conclure qu'il y a eu agression sexuelle, pas plus que leur mention ne doit être considérée comme une conclusion qu'il faut une intention spécifique pour que l'infraction soit complète.

6. Dans R. v. Taylor (1985), 44 C.R. (3d) 263, la question a été examinée par la Cour d'appel de l'Alberta. L'accusé, pour punir une adolescente placée sous sa garde, l'a attachée par les poignets à un support métallique vertical et l'a obligée à se tenir debout nue pendant des périodes de dix à quinze minutes et, à une occasion, lui a donné plusieurs coups sur les fesses avec une palette de bois. Il n'y a eu aucun autre acte qui aurait pu être décrit comme étant de nature sexuelle. L'accusé a été acquitté en première instance. L'appel du ministère public a été accueilli et un nouveau procès a été ordonné. Le juge en chef Laycraft, s'exprimant au nom de la cour à l'unanimité (le juge en chef Laycraft et les juges Haddad et Belzil), affirme à la p. 268:

[TRADUCTION] Les nouvelles dispositions ne définissent pas l'"agression sexuelle". Toutefois, les "voies de fait" sont définies et les nouvelles infractions constituent donc des voies de fait qui comportent une certaine signification supplémentaire qu'exige le qualificatif "sexuelle". En ce qui a trait aux infractions qui ont été remplacées, c'était également vrai dans le cas de l'"attentat à la pudeur", une expression que les tribunaux n'ont pas eu de difficulté à interpréter. Pendant des décennies, on a dit aux jurys que l'attentat à la pudeur constituait des voies de fait dans des circonstances comportant de l'indécence (R. v. Louie Chong (1914), 32 O.L.R. 66, 23 C.C.C. 250 (C.A.); R. v. Quinton, [1947] R.C.S. 234, 3 C.R. 6, 88 C.C.C. 231). Même si l'on pouvait dire que c'était là simplement une affirmation qu'il y avait attentat à la pudeur s'il y avait indécence, il s'agissait néanmoins d'un point de vue que des générations de jurys ont pu comprendre parfaitement et qui était très pratique pour l'application du droit criminel.

Il a ensuite analysé divers précédents et a rejeté le point de vue adopté dans l'arrêt Chase qui reposait sur la détermination de certaines parties du corps et sur les définitions que donnent les dictionnaires du terme "sexuel". Il a souligné que toutes les décisions qu'il avait analysées rejetaient le point de vue adopté dans l'arrêt Chase et il a mentionné et approuvé la position du juge Martin de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Alderton, précité, affirmant à la p. 269:

[TRADUCTION] Sans m'engager dans une bataille de dictionnaires, je suis d'avis que ces termes étaient destinés à viser une large gamme d'actes accomplis par la force au sens de la définition de "voies de fait", qui, dans les circonstances révélées par la preuve, comportent un aspect charnel. Par conséquent, l'"agression sexuelle" est un acte où il y a emploi de la force dans un contexte de sexualité qu'on peut dégager des faits. À l'instar du juge Martin, je ne tenterais pas de donner une définition détaillée de l'"agression sexuelle". Toutefois, l'expression comprend un acte qui a pour but de dégrader ou de diminuer une autre personne à des fins de plaisir sexuel. À mon avis, les nouveaux articles du Code ne limitent nullement l'aspect charnel ou sexuel à des actes comportant l'emploi de la force relativement aux organes sexuels et, avec égards, je suis en désaccord avec le sens restreint énoncé dans l'arrêt R. v. Chase, précité.

Il était d'avis que l'aspect charnel devait être jugé de façon objective: [TRADUCTION] "Compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable peut‑elle percevoir le contexte sexuel ou charnel de l'agression?"

7. La question a été examinée par la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique dans l'arrêt R. v. Cook (1985), 20 C.C.C. (3d) 18. Dans cet arrêt, d'après des faits qui révélaient clairement une conduite qui pourrait être qualifiée d'agression sexuelle, le point de vue adopté dans l'arrêt Chase a de nouveau été rejeté. Le juge Lambert n'a pas tenté de donner une définition précise de l'agression sexuelle alors que le législateur avait refusé de le faire, mais il a souligné que la caractéristique qui faisait en sorte que de simples voies de fait devenaient une agression sexuelle n'était pas uniquement une question d'anatomie. Il a considéré qu'une atteinte réelle à l'intégrité sexuelle et à la dignité sexuelle peut être suffisante.

8. Ce bref examen de la jurisprudence nous permet de constater que le point de vue adopté par la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick en l'espèce a reçu peu d'appui, voire pas du tout. Dans tous les arrêts mentionnés, on a reconnu qu'il était nécessaire d'adopter un point de vue plus large et qu'il était difficile de le formuler. Je serais d'accord pour dire qu'il serait difficile et probablement mal avisé de tenter de donner une définition précise et exhaustive de la nouvelle infraction d'agression sexuelle à ce stade‑ci de son élaboration, mais il me semble nécessaire de tenter de régler certaines considérations qui peuvent aider les tribunaux à mettre au point en fonction de chaque cas particulier une définition pratique de l'infraction.

9. Tout d'abord, je conviens, comme je l'ai indiqué, que le critère de reconnaissance de l'agression sexuelle ne dépend pas seulement du contact avec des parties précises de l'anatomie. Je suis également d'avis qu'il n'est pas nécessaire que l'agression sexuelle comporte une attaque par une personne d'un certain sexe contre une personne du sexe opposé; elle peut être commise contre une personne du même sexe. De même, je suis d'accord avec ceux qui disent que la nouvelle infraction est véritablement nouvelle et ne reproduit pas simplement les infractions qu'elle remplace. Par conséquent, la définition de l'expression "agression sexuelle" et la portée de l'infraction qu'elle décrit ne se limitent pas nécessairement à la portée de celles qui l'ont précédée. J'estime également que le critère applicable pour reconnaître cette infraction devrait être objectif.

10. Bien qu'il soit clair que le concept d'agression sexuelle est différent de celui de l'ancien attentat à la pudeur, il est néanmoins également clair que les expressions se chevauchent à plusieurs égards et que l'agression sexuelle comportera, dans un bon nombre de cas, le même genre de conduite que celle qui auparavant aurait justifié une déclaration de culpabilité d'attentat à la pudeur. La façon de définir l'attentat à la pudeur, qui est également une infraction non définie dans le Code criminel, offre donc un guide relativement à notre façon d'aborder la nouvelle infraction, comme l'a reconnu le juge en chef Laycraft. Après avoir traité du concept d'attentat à la pudeur pendant de nombreuses années, les tribunaux ont formulé la définition suivante: [TRADUCTION] "des voies de fait dans des circonstances comportant de l'indécence". évidemment, il s'agissait d'une définition imprécise, mais tout le monde savait ce qu'était un attentat à la pudeur. Le droit à cet égard était suffisamment clair et son application posait peu de difficultés. Alors, à mon avis, on peut aborder de la même manière la formulation d'une définition de l'agression sexuelle.

11. Appliquant ces principes et la jurisprudence citée, je fais les observations suivantes. L'agression sexuelle est une agression, au sens de l'une ou l'autre des définitions de ce concept au par. 244(1) du Code criminel, qui est commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l'intégrité sexuelle de la victime. Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si la conduite reprochée comporte la nature sexuelle requise est objectif: "Compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable peut‑elle percevoir le contexte sexuel ou charnel de l'agression?" (Taylor, précité, le juge en chef Laycraft, à la p. 269). La partie du corps qui est touchée, la nature du contact, la situation dans laquelle cela s'est produit, les paroles et les gestes qui ont accompagné l'acte, et toutes les autres circonstances entourant la conduite, y compris les menaces avec ou sans emploi de la force, constituent des éléments pertinents (voir S. J. Usprich, "A New Crime in Old Battles: Definitional Problems with Sexual Assault" (1987), 29 Crim. L.Q. 200, à la p. 204.) L'intention ou le dessein de la personne qui commet l'acte, dans la mesure où cela peut ressortir des éléments de preuve, peut également être un facteur à considérer pour déterminer si la conduite est sexuelle. Si le mobile de l'accusé était de tirer un plaisir sexuel, dans la mesure où cela peut ressortir de la preuve, il peut s'agir d'un facteur à considérer pour déterminer si la conduite est sexuelle. Toutefois, il faut souligner que l'existence d'un tel mobile constitue simplement un des nombreux facteurs dont on doit tenir compte et dont l'importance variera selon les circonstances.

12. La notion que l'infraction n'exige qu'une intention générale se dégage implicitement de cette conception de l'agression sexuelle. Cela est conforme au point de vue que cette Cour a adopté dans les arrêts Leary c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 29, et Swietlinski c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 956, où on a jugé que le viol et l'attentat à la pudeur étaient des infractions exigeant une intention générale. Il m'est impossible de voir pourquoi on ne pourrait adopter le même point de vue en matière d'agression sexuelle. On dit que les facteurs qui pourraient motiver l'agression sexuelle sont nombreux et variés (voir C. Boyle, Sexual Assault (1984), à la p. 74). Imposer au ministère public le fardeau de démontrer une intention spécifique contribuerait largement à faire échouer l'objet évident de la disposition. En outre, il y a de solides motifs en matière de politique sociale qui appuieraient ce point de vue. Le processus d'application serait entravé de manière déraisonnable par l'ajout d'un élément d'intention spécifique dans ces infractions. Cela contribuerait à soulever la question de la défense d'ivresse qui a toujours été reliée à la capacité de former une intention spécifique et qui a généralement été exclue par le droit et les principes des infractions n'exigeant qu'une intention minimale de faire usage de la force (voir R. v. Bernard (1985), 18 C.C.C. (3d) 574 (C.A. Ont., le juge Dubin)). Pour ces motifs, je suis d'avis de dire que l'infraction exige une intention générale plutôt que spécifique.

13. Si l'on examine l'espèce, je n'ai aucune difficulté à conclure, suivant les principes que je viens d'analyser, qu'on a présenté suffisamment d'éléments de preuve au juge du procès pour qu'il puisse décider qu'une agression sexuelle a été commise. Si l'on examine de façon objective la conduite de l'intimé en fonction de toutes les circonstances, il est évident que le fait de mettre ses mains sur les seins de la plaignante constituait une agression de nature sexuelle. Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler la déclaration de culpabilité de voies de fait simples inscrite par la Cour d'appel et de rétablir la déclaration de culpabilité d'agression sexuelle rendue au procès. Il convient de maintenir la peine de six mois d'emprisonnement.

Pourvoi accueilli.

Procureur de l'appelante: William J. Corby, Fredericton.

Procureur de l'intimé: John S. MacPhee, Fredericton.


Synthèse
Référence neutre : [1987] 2 R.C.S. 293 ?
Date de la décision : 15/10/1987
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit criminel - Agression sexuelle - Définition de l'infraction d'agression sexuelle - Infraction requérant une intention générale plutôt que spécifique - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 244, 246.1.

L'intimé a été déclaré coupable d'agression sexuelle contrairement à l'al. 246.1(1)a) du Code criminel. Il est entré dans la maison de la plaignante, une jeune fille de 15 ans, sans y être invité, l'a enlacée à la hauteur des bras et des épaules et a mis les mains sur ses seins. Lorsqu'elle s'est débattue, il a dit: [TRADUCTION] "Allons chérie, ne me frappe pas, je sais que tu le veux." Au procès, elle a déposé qu'il avait tenté de lui toucher les "parties", mais sans succès. La Cour d'appel a exprimé l'opinion que le qualificatif "sexuelle" dans la nouvelle infraction d'agression sexuelle devrait être interprété comme visant des parties du corps, en particulier les parties génitales. étant donné qu'il n'y a pas eu de contact avec les parties génitales de la plaignante, la déclaration de culpabilité rendue au procès a été annulée et remplacée par une déclaration de culpabilité de voies de fait simples. La seule question qui se pose dans le présent pourvoi est celle de la définition de l'infraction d'agression sexuelle.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

L'agression sexuelle est une agression, au sens de l'une ou l'autre des définitions de ce concept au par. 244(1) du Code criminel, qui est commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l'intégrité sexuelle de la victime. Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si la conduite reprochée comporte la nature sexuelle requise est objectif: "Compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable peut‑elle percevoir le contexte sexuel ou charnel de l'agression?" La partie du corps qui est touchée, la nature du contact, la situation dans laquelle cela s'est produit, les paroles et les gestes qui ont accompagné l'acte, et toutes les autres circonstances entourant la conduite, y compris les menaces avec ou sans emploi de la force, constituent des éléments pertinents. L'intention ou le dessein de l'accusé de même que son mobile, si ce mobile était de tirer un plaisir sexuel, peuvent aussi constituer des facteurs à considérer pour déterminer si la conduite est sexuelle. La notion que l'infraction n'exige qu'une intention générale se dégage implicitement de cette conception de l'agression sexuelle. En l'espèce, on a présenté suffisamment d'éléments de preuve au juge du procès pour qu'il puisse conclure qu'une agression sexuelle a été commise. Si l'on examine de façon objective la conduite de l'intimé en fonction de toutes les circonstances, il est évident que le fait de mettre ses mains sur les seins de la plaignante constituait une agression de nature sexuelle.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Chase

Références :

Jurisprudence
Arrêts examinés: R. v. Alderton (1985), 49 O.R. (2d) 257
R. v. Taylor (1985), 44 C.R. (3d) 263
arrêts mentionnés: R. v. Cook (1985), 20 C.C.C. (3d) 18
Leary c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 29
Swietlinski c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 956
R. v. Bernard (1985), 18 C.C.C. (3d) 574.
Lois et règlements cités
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 244 s (abr. & rempl. 1974‑75‑76, chap. 93, art. 21
abr. & rempl. 1980‑81‑82‑83, chap. 125, art. 19], 245(1) [abr. & rempl. 1972, chap. 13, art. 21
abr. & rempl. 1980‑81‑82‑83, chap. 125, art. 19], 246.1 s (aj. 1980‑81‑82‑83, chap. 125, art. 19].
Loi modifiant le Code criminel en matière d'infractions sexuelles et d'autres infractions contre la personne et apportant des modifications corrélatives à d'autres lois, S.C. 1980‑81‑82‑83, chap. 125.
Doctrine citée
Boyle, Christine. Sexual Assault. Toronto: Carswells, 1984.
Usprich, S. J. "A New Crime in Old Battles: Definition­al Problems with Sexual Assault" (1987), 29 Crim. L.Q. 200.

Proposition de citation de la décision: R. c. Chase, [1987] 2 R.C.S. 293 (15 octobre 1987)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1987-10-15;.1987..2.r.c.s..293 ?
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