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25/06/1987 | CANADA | N°[1987]_1_R.C.S._1148

Canada | Renvoi relatif au projet de Loi 30, An Act to Amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148 (25 juin 1987)


Renvoi relatif au projet de Loi 30, An Act to Amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148

DANS L'AFFAIRE D'UN RENVOI soumis à la Cour d'appel conformément à l'article 19 de la Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires, L.O. 1984, chapitre 11, par décret O.C. 1774/85, relativement au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act to provide full funding for Roman Catholic Separate High Schools

entre

The Metropolitan Toronto Board of Education, Ontario Alliance of Christian Schools, The Waterloo County Board of Education, Coalition for Public Education Onta

rio Inc., Ontario Secondary School Teachers' Federation, Ontario Asso...

Renvoi relatif au projet de Loi 30, An Act to Amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148

DANS L'AFFAIRE D'UN RENVOI soumis à la Cour d'appel conformément à l'article 19 de la Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires, L.O. 1984, chapitre 11, par décret O.C. 1774/85, relativement au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act to provide full funding for Roman Catholic Separate High Schools

entre

The Metropolitan Toronto Board of Education, Ontario Alliance of Christian Schools, The Waterloo County Board of Education, Coalition for Public Education Ontario Inc., Ontario Secondary School Teachers' Federation, Ontario Association of Alternative and Independent Schools, The Board of Education for the City of London, Association canadienne des libertés civiles, Congrès juif canadien, Loyal Orange Association in Ontario, Peel Board of Education, Federation of Women Teachers' Associations of Ontario, le révérend William D. F. Morris, Mary Elizabeth Morris, Greg Vezina et Nina Gertrude Stannard Appelants (Intervenants)

et

Procureur général de l'Ontario Intimé

et

Ontario Separate School Trustees' Association, The Renfrew County Roman Catholic Separate School Board, The Lanark‑Leeds & Grenville Roman Catholic Separate School Board, The Huron‑Perth County Roman Catholic Separate School Board, The Kirkland Lake & District Roman Catholic Separate School Board, The London and Middlesex County Roman Catholic Separate School Board, The Hamilton‑Wentworth Roman Catholic Separate School Board, Metropolitan Separate School Board, Dufferin‑Peel Roman Catholic Separate School Board, Hastings‑Prince Edward County Roman Catholic Separate School Board, Frontenac‑Lennox and Addington Roman Catholic Separate School Board, Carleton Roman Catholic Separate School Board, Ontario English Catholic Teachers' Association et l'Association française des conseils scolaires de l'Ontario Intimés (Intervenants)

et

The Quebec Association of Protestant School Boards, Procureur général de l'Alberta, Procureur général du Québec Intervenants en cette Cour

répertorié: renvoi relatif au projet de loi 30, an act to amend the education act (ont.)

No du greffe: 19798.

1987: 29, 30 janvier et 2, 3, 4, 5 février; 1987: 25 juin.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Lamer, Wilson et La Forest.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1986), 53 O.R. (2d) 513, 25 D.L.R. (4th) 1, 13 O.A.C. 241, sur un renvoi soumis par le gouvernement de l'Ontario, qui a conclu que le projet de loi 30, An Act to amend the Education Act, est compatible avec les dispositions de la Constitution du Canada, y compris la Charte canadienne des droits et libertés. Pourvoi rejeté; la question soumise dans le renvoi reçoit une réponse négative.

John J. Robinette, c.r., et Brian A. Kelsey, c.r., pour The Metropolitan Toronto Board of Education.

D. J. M. Brown, c.r., et Guy Pratte, pour Ontario Alliance of Christian Schools.

J. J. Kelly, pour The Waterloo County Board of Education.

Bryan Findlay, c.r., et J. G. Richards, pour Coalition for Public Education Ontario Inc.

Aubrey E. Golden, c.r., et Maurice A. Green, pour Ontario Secondary School Teachers' Federation.

John B. Laskin et Robert J. Sharpe, pour Ontario Association of Alternative and Independent Schools.

Claude Pensa, c.r., et Edward M. Perlmutter, pour The Board of Education for the City of London.

Larry T. Taman et David W. Kent, pour l'Association canadienne des libertés civiles.

John I. Laskin, pour le Congrès juif canadien.

Michael J. Penman et Christopher D. Woodbury, pour Loyal Orange Association in Ontario.

R. G. Keel et J. L. Razulis, pour Peel Board of Education.

P. S. A. Lamek, c.r., et Susan E. Paul, pour Federation of Women Teachers' Associations of Ontario.

Rév. William D. F. Morris et Mary Elizabeth Morris, comparaissant en personne.

Nina Gertrude Stannard, comparaissant en personne.

Ian Scott, c.r., Blenus Wright, c.r., John Cavarzan, c.r., et Peter W. Hogg, c.r., pour le procureur général de l'Ontario.

Claude R. Thomson, c.r., et Gavin MacKenzie, pour Ontario Separate School Trustees' Association et autres.

Robert L. Falby, c.r., et Peter D. Lauwers, pour Metropolitan Separate School Board et Dufferin‑Peel Roman Catholic Separate School Board.

John Sopinka, c.r., et David M. Brown, pour Hastings‑Prince Edward County Roman Catholic Separate School Board.

John Murray, Pierre Genest, c.r., et Nora Gillespie, pour Frontenac‑Lennox and Addington Roman Catholic Separate School Board.

William T. Green, c.r., pour Carleton Roman Catholic Separate School Board.

Paul J. J. Cavaluzzo, pour Ontario English Catholic Teachers' Association.

Paul Rouleau, pour l'Association française des conseils scolaires de l'Ontario.

Colin K. Irving et Allan R. Hilton, pour The Quebec Association of Protestant School Boards.

Howard Kushner, pour le procureur général de l'Alberta.

Jean‑K. Samson, Luc Le Blanc et Jean Bouchard, pour le procureur général du Québec.

Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges McIntyre, Wilson et La Forest rendu par

1. Le juge Wilson—Le présent pourvoi attaque l'arrêt rendu par la Cour d'appel de l'Ontario sur une question que lui a soumise le lieutenant‑ gouverneur en conseil (par décret 1774/85 en date du 3 juillet 1985) conformément à la Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires, L.O. 1984, chap. 11, art. 19. La question est ainsi formulée:

Le projet de loi 30, An Act to amend the Education Act, est‑il incompatible avec les dispositions de la Constitution du Canada, y compris la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l'affirmative, sous quel aspect et à quel égard?

Par ordonnance du juge en chef de l'Ontario en date du 4 juillet 1985, le procureur général de cette province a reçu l'autorisation de procéder au renvoi et avis de celui‑ci a été dûment publié. La Cour d'appel a permis à plusieurs parties de présenter des interventions devant elle. Le 18 février 1986, la Cour d'appel à la majorité formée des juges Zuber, Cory et Tarnopolsky a répondu par la négative à la question soumise dans le cadre du renvoi: voir Reference re an Act to amend the Education Act (1986), 53 O.R. (2d) 513. Le juge en chef de l'Ontario et le juge Robins étaient dissidents.

2. Les appelants ont formé un pourvoi devant cette Cour en vertu de l'art. 37 de la Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, chap. S‑19, et modifications, et du par. 19(7) de la Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires, L.O. 1984, chap. 11. Cette Cour a autorisé la Quebec Association of Protestant School Boards à intervenir. Le procureur général de l'Alberta et le procureur général du Québec ont dûment produit des avis d'intention d'intervenir en cette Cour.

1. Le projet de loi 30

3. D'après son préambule, le projet de loi 30 a pour objet la mise en oeuvre d'une politique de financement complet des écoles séparées catholiques de niveau secondaire en Ontario. Voici le texte du préambule:

Attendu que l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 renferme une des conditions essentielles qui, en garantissant aux catholiques de l'Ontario certains droits et privilèges en ce qui concerne les écoles confession‑ nelles, a facilité la création d'un Canada uni en 1867; attendu que les écoles séparées catholiques constituent maintenant une partie importante du système scolaire en Ontario; attendu que la politique suivie par l'Ontario depuis 1899 a été de prévoir l'octroi de fonds publics aux fins de subventionner l'enseignement dans les écoles séparées catholiques jusqu'à la fin de la dixième année d'études; attendu qu'il est admis qu'un enseignement de base comprend de nos jours l'enseignement secondaire aussi bien que l'enseignement élémentaire; attendu qu'il est non seulement juste et approprié, mais encore conforme à l'esprit des garanties données en 1867, de concilier les dispositions législatives concernant les écoles séparées catholiques avec les dispositions législatives concernant les écoles publiques des niveaux élémentaire et secondaire en reconnaissant dans le cadre d'une loi l'enseignement secondaire dispensé par les écoles séparées catholiques et en le subventionnant...

Le projet de loi autorise un conseil d'écoles séparées à choisir par règlement administratif, avec l'approbation du ministre, d'accomplir les fonctions d'un conseil d'écoles secondaires (art. 136‑a). Une fois qu'on a fait ce choix et que le ministre l'a approuvé, le conseil d'écoles séparées devient un "conseil d'écoles catholiques" selon la définition donné au par. 1(1) et, suivant le par. 136‑e(1), il a dès lors "le droit de recevoir une part des subventions générales aux fins des écoles secondaires". L'article 136‑j exempte les contribuables des écoles séparées, dans un secteur où un conseil d'écoles catholiques exerce sa compétence, du versement de cotisations ou d'impôts aux fins des écoles secondaires. Toutefois, aux termes de l'art. 136‑k, "Les dispositions [de la Loi sur l'éducation, L.R.O. 1980, chap. 129] relatives [...] au prélèvement et à la perception des cotisations scolaires ou des impôts aux fins des écoles séparées s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, à un conseil d'écoles catholiques, en ce qui concerne les fins des écoles secondaires". L'article 136‑l impose à chaque conseil public de l'éducation l'obligation de dresser une liste des enseignants et des autres employés dont les services ne seront plus nécessaires en raison du choix fait par un conseil d'écoles catholiques d'accomplir les fonctions d'un conseil d'écoles secondaires. Au cours des dix ans qui suivent son choix, le conseil d'écoles catholiques doit pourvoir aux postes d'enseignants vacants en offrant des emplois aux personnes sur cette liste qui possèdent les compétences voulues. D'autres dispositions portent sur les fonctions de la Commission de planification et de mise en oeuvre établie par le projet de loi et sur le transfert du droit d'usage ou du droit de propriété sur des biens meubles ou immeubles entre conseils d'écoles publiques et conseils d'écoles catholiques, ce qui n'est pas au centre des questions constitutionnelles soulevées en l'espèce.

4. La Cour d'appel de l'Ontario, à juste titre d'ailleurs, s'est prononcée sur la constitutionnalité du projet de loi 30 tel qu'il était à la date du renvoi. À cette époque‑là, le projet de loi avait déjà été adopté en première lecture par la législature de l'Ontario. Après que la Cour d'appel eut rendu son arrêt, le projet de loi 30 a été adopté sous le titre Loi modifiant la Loi sur l'éducation, L.O. 1986, chap. 21. Cette loi renferme plusieurs articles qui ne figuraient pas au projet de loi 30 au moment du renvoi. En particulier, l'art. 136‑la portant sur l'embauche et la promotion d'enseignants ne s'y trouvait pas. Par suite de ces modifications, on a demandé des directives à cette Cour, le 8 octobre 1986. La question posée était la suivante:

Aux fins du pourvoi, cette Cour doit‑elle examiner la constitutionnalité du projet de loi 30 dans la forme qu'il revêtait lors du renvoi devant la Cour d'appel de l'Ontario, sans se pencher sur aucune question découlant d'un texte subséquent dont il n'a pas été question devant ce dernier tribunal?

Tenant pour acquis, sans toutefois trancher la question, qu'elle avait compétence en vertu des art. 37 et 50 de la Loi sur la Cour suprême pour donner un avis sur des points non soulevés à l'étape de l'appel, cette Cour a conclu que, compte tenu de la complexité et de l'importance des dispositions ajoutées au projet de loi 30 postérieurement au renvoi devant la Cour d'appel, elle n'était "pas disposée à statuer sur la constitutionnalité d'une loi de l'Ontario sans avoir bénéficié de la sagesse de la Cour d'appel de cette province". Je souligne donc qu'en l'espèce nous déterminons la constitutionnalité du projet de loi 30 dans la forme qu'il présentait lorsqu'il a été soumis à la Cour d'appel de l'Ontario et non pas sur la constitutionnalité de la Loi actuellement en vigueur en Ontario.

2. Cour d'appel

5. La Cour d'appel, à la majorité formée des juges Zuber, Cory et Tarnopolsky, a conclu que l'art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 habilitait la législature de l'Ontario à adopter le projet de loi 30. L'article 93 se lit comme suit:

93. Dans chaque province et pour chaque province, la législature pourra exclusivement légiférer sur l'éducation, sous réserve et en conformité des dispositions suivantes:

(1) Rien dans cette législation ne devra préjudicier à un droit ou privilège conféré par la loi, lors de l'Union, à quelque classe particulière de personnes dans la province relativement aux écoles confessionnelles;

(2) tous les pouvoirs, privilèges et devoirs conférés ou imposés par la loi dans le Haut‑Canada, lors de l'Union, aux écoles séparées et aux syndics d'écoles des sujets catholiques romains de la Reine, seront et sont par les présentes étendus aux écoles dissidentes des sujets protestants et catholiques romains de la Reine dans la province de Québec;

(3) dans toute province où un système d'écoles séparées ou dissidentes existe en vertu de la loi, lors de l'Union, ou sera subséquemment établi par la législature de la province, il pourra être interjeté appel au gouverneur général en conseil de tout acte ou décision d'une autorité provinciale affectant l'un quelconque des droits ou privilèges de la minorité protestante ou catholique romaine des sujets de la Reine relativement à l'éducation;

(4) au cas où n'aura pas été édictée la loi provinciale que, de temps à autre, le gouverneur général en conseil aura jugée nécessaire pour donner la suite voulue aux dispositions du présent article—ou lorsqu'une décision du gouverneur général en conseil, sur un appel interjeté en vertu du présent article, n'aura pas été dûment mise à exécution par l'autorité provinciale compétente en l'espèce—, le Parlement du Canada, en pareille occurrence et dans la seule mesure où les circonstances de chaque cas l'exigeront, pourra édicter des lois réparatrices pour donner la suite voulue aux dispositions du présent article, ainsi qu'à toute décision rendue par le gouverneur général en conseil sous l'autorité de ce même article.

6. Avant de se pencher sur la question de savoir si la législature avait compétence pour adopter le projet de loi 30, la majorité a souligné le rôle primordial qu'avait joué l'art. 93 dans les négociations conduisant à la Confédération et a conclu, aux pp. 567 et 568, que [TRADUCTION] "la garantie du droit des protestants et des catholiques à des écoles séparées [c.‑à‑d. par l'art. 93] est devenue partie intégrante d'une "petite déclaration des droits" constituant un élément fondamental de la Confédération".

7. Le raisonnement de la majorité, si j'ose le dire, laisse toutefois planer du doute quant à savoir si elle a jugé le projet de loi 30 valide en raison du pouvoir exclusif en matière d'éducation conféré à la province par la disposition liminaire de l'art. 93 ou si elle l'a fait parce qu'il rendait aux contribuables des écoles séparées des droits et des privilèges que leur garantissait le par. 93(1) de la Constitution. Les motifs de la majorité contiennent des passages appuyant l'une et l'autre hypothèses. Par exemple, le passage suivant (à la p. 569) me semble appuyer la première:

[TRADUCTION] La disposition liminaire de l'art. 93 accorde aux législatures provinciales un pouvoir exclusif sur l'éducation, sauf les restrictions d'ordre légal qu'impose le par. (1) et la possibilité, qui ne s'est jamais réalisée d'ailleurs, que le gouverneur général en conseil et le Parlement du Canada interviennent en vertu des par. (3) et (4) pour déclarer invalide une loi dans ce domaine. Par conséquent, du moins antérieurement à l'entrée en vigueur de la Charte et notamment de son art. 15, il n'y avait rien dans l'art. 93 qui eût joué de manière à empêcher la législature provinciale de pourvoir au financement complet des écoles séparées catholiques de niveau secondaire, à moins qu'on ne puisse démontrer qu'une loi à cet effet tendrait à "préjudicier à un droit ou privilège conféré par la loi, lors de l'Union, à quelque classe particulière de personnes dans la province relativement aux écoles confessionnelles".

C'est peut‑être le fait que la majorité se fondait sur ce raisonnement qui l'avait amenée à dire, à la p. 565 de ses motifs, qu'il n'était pas nécessaire d'exprimer d'opinion sur le bien‑fondé de l'arrêt du Conseil privé Tiny Separate School Trustees v. The King, [1928] A.C. 363. Cet arrêt, dans lequel on a passé en revue les droits et privilèges visés au par. 93(1), c.‑à‑d. ceux que détenaient de par la loi, au moment de la Confédération, les contribuables des écoles séparées de l'Ontario, se rapporte surtout à l'autre fondement possible de la décision de la majorité en Cour d'appel.

8. Et il existe des raisons de croire que sa décision reposait en réalité sur cet autre fondement, car la majorité a poursuivi, à la p. 570, en disant que, même si, faisant abstraction de l'arrêt Tiny, elle fondait cette décision sur un examen de la législation en vigueur à l'époque, savoir la Common Schools Act [An Act respecting Common Schools in Upper Canada], C.S.U.C. 1859, chap. 64, l'Acte concernant les écoles séparées (loi Scott) [Acte pour réintégrer les catholiques romains du Haut‑Canada dans l'exercice de certains droits concernant les écoles séparées], 26 Vict., chap. 5, et l'Acte concernant les écoles de grammaire de 1865 [Acte pour perfectionner davantage les écoles de grammaire dans le Haut‑Canada], 29 Vict., chap. 23, elle se verrait dans l'obligation de conclure, aux pp. 570 et 571, que:

[TRADUCTION] ... un enseignement secondaire jusqu'au niveau préuniversitaire se dispensait dans les écoles séparées, que les manuels employés n'étaient pas désapprouvés, et que ce programme ainsi que les élèves qui en bénéficiaient recevaient de la province un financement complet et égal.

...

Par conséquent [...] il semble clair que l'art. 93 autorise la province à décider maintenant de réintégrer les écoles séparées dans les droits, dont elles jouissaient en 1867, de dispenser un enseignement secondaire et de recevoir un financement égal et proportionnel au titre de cet enseignement, à moins que la Charte ne dise le contraire.

9. Étant donné que le projet de loi pouvait validement être adopté en vertu de l'art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, la majorité devait alors examiner si d'autres dispositions de la Constitution venaient l'invalider. L'article 15 (l'égalité) et l'al. 2a) (la liberté de conscience et de religion) de la Charte canadienne des droits et libertés ont été invoqués par ceux qui allèguent l'inconstitutionnalité du projet de loi. La majorité a conclu qu'aucune partie de la Constitution ne prime une autre. Donc, selon la majorité, aucune disposition de la Charte ne peut avoir pour effet de rendre invalide une des dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867. Cette conclusion, a estimé la majorité, est justifiée dans le cas des écoles séparées par l'art. 29 de la Charte dont voici le texte:

29. Les dispositions de la présente charte ne portent pas atteinte aux droits ou privilèges garantis en vertu de la Constitution du Canada concernant les écoles séparées et autres écoles confessionnelles.

Selon la majorité en Cour d'appel, cet article est censé comprendre non seulement les droits ou privilèges garantis par la Constitution concernant les écoles séparées et aux autres écoles confession‑ nelles, mais aussi [TRADUCTION] "les droits et privilèges conférés par des lois adoptées en vertu de la Constitution" (à la p. 572). Pour aboutir à cette interprétation de l'art. 29, la majorité s'est appuyée fortement sur l'intention des rédacteurs de la Charte, telle qu'elle se dégage des Procès‑ verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada, 1980‑1981. La majorité a conclu que rien dans la Charte ne pouvait porter atteinte aux droits garantis par l'art. 93 ou conférés par la province dans un texte législatif adopté en vertu de son pouvoir exclusif sur l'éducation. Les juges formant la majorité ont dit, aux pp. 575 et 576:

[TRADUCTION] ... l'art. 29 était destiné à protéger non seulement les "droits ou privilèges garantis [par] [...] la Constitution du Canada", tels que ceux énoncés à l'art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 [...] mais aussi les "droits ou privilèges garantis en vertu de la Constitution du Canada", tels que ceux contenus dans des lois provinciales adoptées dans l'exercice du pouvoir exclusif sur l'éducation conféré par la disposition liminaire de l'art. 93. Le projet de loi 30, s'il était adopté, entrerait dans cette dernière catégorie et doit en conséquence, du moins en ce qui concerne son but fondamental et sa portée globale, bénéficier de la protection qu'offre l'art. 29 contre toute atteinte aux droits ou libertés garantis par la Charte, y compris ceux dont il s'agit à l'al. 2a) et à l'art. 15.

...

Ces droits en matière d'éducation, accordés expressément aux protestants du Québec et aux catholiques romains de l'Ontario, rendent impossible de traiter tous les Canadiens également. Le pays a été fondé sur la reconnaissance de droits spéciaux ou inégaux en matière d'éducation pour certains groupes religieux précis de l'Ontario et du Québec. L'incorporation de la Charte dans la Loi constitutionnelle de 1982 ne saurait modifier le pacte confédéral initial. Une modification constitutionnelle expresse serait nécessaire à cette fin. Or, il se dégage nettement de l'art. 29 de la Charte que ni l'al. 2a) ni l'art. 15 ne portent atteinte aux droits de la minorité en matière d'éducation (qui constituent une condition essentielle de la Confédération).

La majorité a ajouté en guise de mise en garde que sa conclusion dans cette affaire ne signifie aucunement que les écoles séparées possèdent une immunité totale contre tout examen en vertu de la Charte. Loin de là. Ce n'est que dans leur caractère essentiellement catholique qu'elles y échappent. Comme l'a dit la majorité, à la p. 576:

[TRADUCTION] Les lois et la Constitution, particulièrement la Charte, ne sont inapplicables aux écoles séparées que dans la mesure où elles portent atteinte au caractère catholique (ou, au Québec, protestant) de ces écoles. C'est ce caractère essentiellement catholique que visent à conserver et à protéger l'art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l'art. 29 de la Charte. Les tribunaux doivent dans chaque cas établir un équilibre entre une conduite indispensable au bon fonctionnement d'une école catholique et une conduite qui viole certains droits garantis par la Charte, tels que les droits à l'égalité énoncés à l'art. 15 ou la liberté de conscience et de religion énoncée à l'al. 2a). Ainsi, le droit d'un conseil d'écoles catholiques de renvoyer des enseignants catholiques pour s'être mariés civilement ou avec des person‑ nes divorcées a été maintenu car il s'agit d'une conduite qui est permise à un conseil d'écoles séparées. Mais accorderait‑on la même protection à un conseil qui refuserait d'engager des femmes ou qui pratiquerait une discrimination fondée sur la race, l'origine nationale ou ethnique, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques?

10. Le juge en chef Howland et le juge Robins étaient dissidents. Tout en reconnaissant que le par. 93(1) représente un élément fondamental de la Confédération, ils ont conclu que les droits et privilèges garantis aux catholiques par le par. 93(1) à l'époque de la Confédération se limitaient à la possibilité de dispenser un enseignement élémentaire et de recevoir un financement à cette fin, et ne s'étendaient pas à l'instruction secondaire. La minorité a fondé cette conclusion sur l'arrêt Tiny, par lequel elle s'estimait liée. À la page 542, la minorité ajoute que [TRADUCTION] "le par. 93(3) n'élargit pas la portée des droits et privilèges que garantit le par. 93(1)".

11. La minorité a rejeté le point de vue selon lequel un avantage conféré aux écoles séparées de l'Ontario par des lois adoptées après l'entrée en vigueur de la Charte ne peut faire l'objet d'aucun examen en vertu de celle‑ci. L'article 29 de la Charte, d'après la minorité, ne s'applique qu'aux droits et aux privilèges à l'égard d'écoles séparées qui sont garantis par la Constitution. Le projet de loi 30 n'attribue pas de droits ou privilèges garantis. La minorité ajoute, à la p. 550:

[TRADUCTION] Selon nous, l'art. 29 n'autorise pas la création de droits nouveaux ni n'érige en textes constitutionnels les lois provinciales créant de tels droits. Si tel avait été le but de la Charte, on aurait pu sans difficulté concevoir des termes clairs et explicites pour manifester cet objet. Dans sa rédaction actuelle, l'article garantit que la Charte ne portera pas atteinte aux droits protégés par le par. 93(1) ni à ceux protégés par les différentes lois adoptées après 1867, lesquelles, suivant le par. 52(2), font maintenant partie de la "Constitution du Canada". Le sens manifeste et ordinaire des termes employés n'admet pas une interprétation qui leur ferait englober des droits créés par des textes provinciaux datant d'après l'adoption de la Charte. De plus, reconnaître que l'art. 29 rend la Charte inapplicable à une loi simplement parce que cette loi relève de la compétence de la législature qui l'a adoptée revient à donner à cet article une interprétation qui va directement à l'encontre de l'al. 32(1)b) de la Charte, qui porte très clairement que celle‑ci s'applique à "la législature [...] de chaque province pour tous les domaines relevant de cette législature".

La minorité a jugé le projet de loi 30 incompatible avec l'art. 15 de la Charte. À son avis, [TRADUCTION] "Si le droit à l'égalité, sans discrimination fondée sur la religion, garanti par la Charte, ne doit pas être vide de sens, il doit signifier à tout le moins que la loi ne doit pas imposer aux adeptes d'une religion des fardeaux plus lourds ou leur faire jouir d'avantages plus grands qu'elle ne le fait dans le cas des adeptes d'autres religions" (à la p. 555). On a conclu que du fait que le projet de loi 30 conférait à un seul groupe religieux des avantages fondés sur leur religion, il entrait en conflit avec la garantie d'égalité à l'art. 15. La minorité en Cour d'appel a dit en outre que, compte tenu du multiculturalisme et de la diversité de la société ontarienne moderne, la violation de l'art. 15 de la Charte par le projet de loi 30 ne pouvait se justifier en vertu de l'article premier de la Charte.

3. Les arguments des parties

12. À l'audience relativement à ce pourvoi, les arguments clairs et détaillés présentés par tous les avocats qui ont comparu ont beaucoup facilité la tâche à cette Cour. À cause du grand nombre d'appelants, d'intimés et d'intervenants, il est difficile de résumer tous les arguments avancés. On peut néanmoins résumer les points de vue distincts adoptés par les appelants d'une part et les intimés d'autre part.

13. Un bon nombre des appelants ont soutenu que la minorité en Cour d'appel a raison sur le plan juridique et que le projet de loi 30 est en conséquence inconstitutionnel. Dans la mesure où il confère aux catholiques et aux écoles catholiques des avantages pécuniaires qu'il n'offrait pas également aux autres contribuables et aux autres écoles confessionnelles, le projet de loi 30 viole la garantie d'égalité du par. 15(1) de la Charte. Le financement des écoles confessionnelles par les deniers publics, ont‑ils fait valoir, viole en outre la liberté de religion garantie par l'al. 2a). Le projet de loi ne peut pas non plus se justifier en tant que limite raisonnable au sens de l'article premier.

14. Les appelants ont partagé aussi l'opinion de la minorité en Cour d'appel de l'Ontario que l'art. 29 de la Charte ne met pas le projet de loi 30 à l'abri de tout examen, car cette disposition ne s'applique qu'aux droits ou aux privilèges garantis en vertu de la Constitution elle‑même. Les droits et privilèges conférés par le projet de loi 30, toujours selon les appelants, ne sont pas [TRADUCTION] "garantis en vertu de la Constitution elle‑même". Le Conseil privé avait conclu dans l'arrêt Tiny qu'en 1867 les écoles catholiques n'avaient pas le droit d'être financées par les deniers publics pour les onzième, douzième et treizième années d'études. L'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne leur garantit donc pas un droit à un tel financement. L'arrêt Tiny est bien fondé en droit et, comme il a été accepté et appliqué pendant plus de soixante ans, il doit être considéré comme déterminant sur cette question.

15. Les intimés pour leur part invoquent deux dispositions de l'art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 pour appuyer la validité du projet de loi 30. Selon eux, la disposition liminaire de l'art. 93 et le par. 93(3), pris ensemble, donnent à la législature provinciale toute liberté, après la Confédération, d'adopter des lois pour accroître les droits et privilèges des écoles confessionnelles en matière d'éducation. Si l'on retient cet argument, il s'ensuit que la province peut librement adopter ou abroger des lois telles que le projet de loi 30 (celui‑ci se trouvant alors sur un pied d'égalité avec n'importe quelle loi provinciale validement adoptée), son pouvoir à cet égard n'étant limité que par le droit d'appel devant le gouverneur général en conseil que prévoit le par. 93(3) en cas d'abrogation.

16. Les intimés ont soutenu subsidiairement que le texte en cause est valide parce qu'il rend aux contribuables des écoles séparées catholiques de l'Ontario les droits et privilèges dont, de par la loi, ils jouissaient en Ontario au moment de l'Union. Ces droits et privilèges sont garantis par le par. 93(1) de la Constitution. Les intimés ont en conséquence demandé à cette Cour de conclure que l'arrêt Tiny est mal fondé et de l'écarter.

17. En ce qui concerne la Charte, les intimés ont fait valoir que celle‑ci ne saurait s'appliquer de manière à porter atteinte aux droits conférés par l'art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. Certains intimés ont prétendu, à titre subsidiaire, que le projet de loi 30 ne portait pas atteinte à l'al. 2a) ni à l'art. 15 de la Charte, tandis que d'autres ont soutenu que, compte tenu des buts visés par le projet de loi 30, la justification de toute violation de droits garantis par la Charte peut se démontrer dans une société libre et démocratique.

4. La question en litige

18. Avant d'entreprendre l'examen du pourvoi au fond, je tiens à souligner, comme l'a fait le juge en chef de l'Ontario en Cour d'appel, qu'il n'appartient nullement à la Cour de déterminer si, du point de vue de la politique générale, il est souhaitable qu'il y ait un système scolaire catholique financé par les fonds publics. C'est au législateur qu'incombe cette tâche‑là. Le seul point litigieux dont nous nous trouvons saisis est celui de la compatibilité du projet de loi 30 avec la Constitution du Canada.

19. Il ressort des motifs de jugement rédigés en Cour d'appel et des arguments des parties que trois questions distinctes doivent être traitées dans le cadre de ce renvoi. En premier lieu, le projet de loi 30 constitue‑t‑il un exercice valide du pouvoir provincial sur l'éducation, conféré par la disposition liminaire de l'art. 93 et par le par. 93(3) de la Loi constitutionnelle de 1867? En second lieu, le projet de loi 30 constitue‑t‑il un exercice valide du pouvoir provincial dans la mesure où il rend aux contribuables des écoles séparées catholiques les droits que leur reconnaît constitutionnellement le par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867? On nous demande de trancher ce point indépendamment de notre réponse à la première question, afin d'obvier à toute controverse future au sujet des droits et privilèges des contribuables des écoles séparées catholiques de la province de l'Ontario. La dernière question à examiner dans l'hypothèse d'une réponse affirmative à l'une ou l'autre question susmentionnée ou aux deux est de savoir si la Loi constitutionnelle de 1982 et, en particulier, la Charte canadienne des droits et libertés, s'appliquent au projet de loi 30 et, si oui, dans quelle mesure et avec quel effet. J'examinerai tour à tour chacune de ces questions.

a) La disposition liminaire de l'art. 93 et le par. 93(3) de la Loi constitutionnelle de 1867

20. Les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 qui touchent tout particulièrement la première question sont les suivantes:

93. Dans chaque province et pour chaque province, la législature pourra exclusivement légiférer sur l'éducation, sous réserve et en conformité des dispositions suivantes:

...

(3) dans toute province où un système d'écoles séparées ou dissidentes existe en vertu de la loi, lors de l'Union, ou sera subséquemment établi par la législature de la province, il pourra être interjeté appel au gouverneur général en conseil de tout acte ou décision d'une autorité provinciale affectant l'un quelconque des droits ou privilèges de la minorité protestante ou catholique romaine des sujets de la Reine relativement à l'éducation;

21. À première vue, ces dispositions paraissent appuyer le point de vue selon lequel le projet de loi 30 représente un exercice valide du pouvoir législatif de la législature provinciale. La disposition liminaire de l'art. 93 investit la province d'un pouvoir exclusif en matière d'éducation "sous réserve et en conformité des" dispositions qui suivent. Le paragraphe 93(3) ne paraît restreindre d'aucune manière ce pouvoir. Il semble au contraire envisager son exercice dans chaque province qui, lors de l'Union, est dotée par la loi d'un système d'écoles séparées ou dissidentes ou qui en crée un à n'importe quel moment après l'Union. Dans l'un ou l'autre de ces cas, il prévoit que "tout acte ou décision d'une autorité provinciale" affectant les droits ou les privilèges de la minorité protestante ou catholique de la province pourra faire l'objet d'un appel devant le gouverneur général en conseil. Or, l'adoption d'une loi semble constituer un "acte ou décision" et, selon l'interprétation du Conseil privé, l'expression "autorité provinciale" comprend une législature provinciale: voir l'arrêt Brophy v. Attorney‑General of Manitoba, [1895] A.C. 202, aux pp. 220 et 221, et voir aussi la p. 371 de l'arrêt Tiny du Conseil privé. Il appert donc que le par. 93(3) prévoit expressément un appel au gouverneur général en conseil de toute loi adoptée par une législature provinciale ayant une incidence sur les droits et privilèges de minorités religieuses.

22. Les avocats des appelants soutiennent que l'art. 93 doit s'interpréter de la manière exposée ci‑après. Le paragraphe 93(1) permet un recours devant les tribunaux s'il y a atteinte à des droits ou privilèges découlant d'une loi. Pour les provinces où il existe un système d'écoles confession‑ nelles, le par. 93(3) ajoute un recours politique dans le cas d'une atteinte à des droits ou privilèges qui ne découlent pas d'une loi. En conséquence, disent les appelants, le but du par. 93(3) est différent de celui que lui prêtent les intimés et sa portée est plus restreinte, il prévoit un recours à l'égard d'actes ou de décisions touchant des droits ou privilèges qui ne découlent pas d'une loi. À mon avis, cette analyse de l'art. 93 n'est pas convaincante. Si l'expression "conféré par la loi" employée au par. 93(1) a le sens large d'"autorisé par la loi" que lui a donné le juge en chef Anglin dans l'arrêt Tiny, il est difficile à ce moment‑là de concevoir un droit ou un privilège qui ne soit pas conféré "par la loi" dans ce sens‑là. Si l'on devait retenir les arguments des appelants, le par. 93(3) deviendrait pratiquement lettre morte. D'ailleurs, on comprend mal pourquoi la Constitution aurait conféré un droit d'interjeter appel de l'abolition d'un droit ou d'un privilège que la législature n'avait jamais consacré dans une loi.

23. À mon avis, le par. 93(3) ne limite en aucune façon l'exercice du pouvoir absolu de la province. En effet, il prévoit expressément qu'après la Confédération une législature provinciale pourra, conformément à ses pouvoirs absolus, adopter des lois qui ajouteront des droits ou privilèges aux contribuables des écoles confessionnelles. Il serait d'ailleurs étrange qu'on ait voulu que le système des écoles séparées existant à la Confédération soit figé dans son moule de 1867.

24. La jurisprudence semble également appuyer cette interprétation du par. 93(3). Dans l'affaire City of Winnipeg v. Barrett, [1892] A.C. 445 (P.C.), il était question de la constitutionnalité de The Public Schools Act, S.M. 1890, chap. 38, du Manitoba. On a allégué l'invalidité de cette loi manitobaine parce qu'elle contrevenait à l'art. 22 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, S.R.C. 1970, app., qui interdisait à la législature provinciale de "préjudicier à aucun droit ou privilège conféré, lors de l'Union, par la loi ou par la coutume à aucune classe particulière de personnes dans la province, relativement aux écoles séparées." Il est évident que cette disposition ne présente qu'une différence avec le par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867: elle accorde la protection constitutionnelle non seulement aux droits et privilèges conférés par la loi mais aussi à ceux conférés "par la coutume". Les parties dans l'affaire Barrett ont reconnu l'existence d'une telle coutume lors de l'Union. Des écoles confessionnelles pouvaient être établies aux frais de ceux qui les soutenaient et leur maintien pouvait être assuré au moyen de contributions volontaires ou de frais de scolarité. De plus, ces écoles pouvaient fonctionner en conformité avec les principes religieux de leurs contribuables. Ces "coutumes" étaient garanties par l'art. 22 de la Loi de 1870 sur le Manitoba. Le Conseil privé a finalement conclu dans l'arrêt Barrett que la loi de 1890 ne préjudiciait pas à ces droits. Mais ni les avocats ni les lords n'ont jamais mis en doute la compétence de la législature provinciale pour adopter validement, après l'Union, des lois qui accroissaient les droits de la minorité en matière d'éducation.

25. N'ayant pu établir que la législation provinciale a préjudicié à un droit ou privilège relativement aux écoles confessionnelles qui existaient au moment de l'Union, les contribuables des écoles catholiques du Manitoba ont tenté d'interjeter appel en vertu du par. 22(2) de la Loi de 1870 sur le Manitoba. Cette disposition, dont les termes sont sensiblement les mêmes que ceux du par. 93(3) de la Loi constitutionnelle de 1867, confère un droit d'appel d'un acte ou d'une décision d'une autorité provinciale affectant des droits ou privilèges de la minorité catholique relativement à l'éducation. Le Conseil privé, dans l'affaire Brophy, précitée, eut donc pour tâche de décider si le droit des minorités religieuses au Manitoba d'interjeter appel au gouverneur général en conseil en vertu du par. 22(2) de la Loi de 1870 sur le Manitoba pouvait s'exercer dans un cas où l'on avait adopté une loi (The Public Schools Act du Manitoba) affectant les droits et privilèges conférés par une loi adoptée après la Confédération. Les droits et privilèges accordés à la minorité catholique par cette dernière loi ont été résumés par le lord chancelier, lord Halsbury, dans l'arrêt Brophy, à la p. 227:

[TRADUCTION] ... il existait des écoles confessionnelles dont la direction et l'administration relevaient de catholiques, qui pouvaient choisir les manuels qui seraient utilisés et décider du caractère de l'instruction religieuse qui serait dispensée. Ces écoles recevaient sur les revenus généraux de la province leur part proportionnelle des deniers destinés à l'éducation et les fonds levés localement à ces fins, dans la mesure où ils provenaient de catholiques, n'étaient affectés qu'aux écoles catholiques.

Le Conseil privé a conclu à l'existence d'un droit d'appel à l'égard des droits et privilèges originairement conférés par des lois adoptées après la Confédération. Mais, une fois de plus, le Conseil privé ne s'est pas interrogé sur la compétence du législateur manitobain pour ajouter aux droits et privilèges des contribuables des écoles confessionnelles en matière d'éducation s'il le jugeait à propos. Le lord chancelier a affirmé, à la p. 219:

[TRADUCTION] La question qui se pose alors est de savoir si ce paragraphe s'étend aux droits et privilèges acquis par voie législative après l'Union. Selon ses termes exprès, il s'applique à "quelqu'un" des droits ou privilèges de la minorité affectés par une loi de la législature et semble en conséquence englober tous les droits et privilèges existant au moment de l'adoption d'une telle loi. Leurs Seigneuries ne voient aucune raison d'imposer une restriction à une disposition dont la portée n'est pas limitée. Ni les circonstances générales ni l'intention apparente de la législature ne justifient une telle restriction. Bien au contraire.

Plus loin dans ses motifs, le lord chancelier examine l'art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. À la page 220, il fait les observations suivantes:

[TRADUCTION] Comme leurs Seigneuries estiment que c'est l'art. 22 de la Loi sur le Manitoba qui s'applique en l'espèce, point n'est besoin d'entreprendre une analyse détaillée des arguments fondés sur les dispositions de l'art. 93 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Toutefois, dans la mesure où ces arguments nous éclairent sur la question, leurs Seigneuries sont d'avis que, loin d'affaiblir les opinions formées à la suite d'une étude de ce dernier texte, ils les renforcent. Il est admis que les par. 93(3) et 93(4) (ce dernier étant, comme on l'a fait remarquer, identique au par. 22(3) de la Loi sur le Manitoba) ne sont pas censés seulement jouer lorsqu'une législature provinciale dépasse la limite qu'impose à ses pouvoirs le par. (1), car le par. (3) prévoit un appel devant le gouverneur général, non seulement lorsqu'un système d'écoles séparées ou dissidentes existait dans une province lors de l'Union, mais aussi lorsqu'un tel système a été "subséquemment établi par la législature de la province". De toute évidence, on y vise une situation créée par des lois adoptées postérieurement à l'Union.

26. Les arrêts du Conseil privé Barrett et Brophy indiquent clairement, quoiqu'il est vrai dans des opinions incidentes, que depuis l'Union une province a compétence pour adopter des lois concernant les écoles confessionnelles, lois dont l'abrogation peut donner lieu à un appel au gouverneur général en conseil. À mon avis, sous réserve des observations que je ferai relativement au par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867 et à la Charte des droits, le projet de loi 30 se trouve dans la même situation constitutionnelle que les différentes lois manitobaines adoptées antérieurement à 1890 qui ont ajouté aux droits et privilèges de la minorité catholique de cette province en matière d'éducation.

27. Le but de l'art. 93 et son histoire semblent étayer cette interprétation. La protection des droits religieux des minorités constituait une préoccupation majeure lors des négociations qui ont abouti à la Confédération parce qu'on craignait que les minorités religieuses de l'Est et de l'Ouest canadiens ne soient livrées à la merci de majorités écrasantes. étant donné l'importance que revêtaient à l'époque de la Confédération les droits des différentes confessions en matière d'éducation, il semble incroyable que les rédacteurs du paragraphe en question n'aient pas envisagé des lois futures conférant des droits et des privilèges aux minorités religieuses pour faire face à des situations nouvelles. Dans un discours prononcé devant le Parlement britannique, dans lequel il proposait l'adoption en deuxième lecture de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, voir U.K., H.L., Parliamentary Debates, 3rd ser., vol. 185, col. 557, à la p. 565, 19 février 1867, lord Carnarvon a expliqué que l'art. 93 constituait une garantie d'égalité:

[TRADUCTION] ... l'objet de la disposition [l'art. 93] est d'assurer à la minorité religieuse d'une province la même protection et les mêmes droits et privilèges que ceux dont peut jouir la minorité religieuse d'une autre province. La minorité catholique du Haut‑Canada, la minorité protestante du Bas‑Canada et la minorité catholique des provinces maritimes seront en conséquence sur un pied de parfaite égalité.

Plusieurs années après la Confédération, au cours des débats sur la deuxième lecture du projet de loi no 58 intitulé l'Acte réparateur (Manitoba), dans Débats de la Chambre des communes, 6e sess., 7e Parlement, 59 Vict. 1896, col. 2395, aux col. 2399 et 2400, 3 mars 1896, sir Charles Tupper a confirmé que l'art. 93 faisait partie d'un pacte solennel résultant des négociations qui ont rendu possible la Confédération:

...je le dis à la connaissance de tous ces messieurs [...] sans l'adoption de la proposition de l'honorable sir Alexander Galt, qui représentait tout spécialement les protestants de la grande province de Québec, si l'on n'eût pas consenti à mettre dans l'Acte de la Confédération une disposition protégeant les droits des minorités, catholiques ou protestantes, dans ce pays, il n'y aurait pas eu de confédération [...] Je dis donc qu'il est important, qu'il est significatif de noter que, sans l'insertion dans la nouvelle constitution de cet article, de cette garantie des droits des minorités, nous n'aurions pas eu de confédération du tout.

28. L'importance capitale de la question religieuse se dégage de la jurisprudence. Comme l'a dit le Conseil privé dans l'arrêt Brophy, précité, à la p. 214:

[TRADUCTION] Il ne fait pas de doute que les vues des habitants catholiques du Québec et de l'Ontario relativement à l'éducation étaient partagées par les membres de la même confession du territoire qui est devenu par la suite la province du Manitoba. Ils tenaient pour essentiel que l'éducation de leurs enfants soit conforme aux dogmes de leur église, et ils estimaient qu'une telle instruction ne pouvait être obtenue dans des écoles publiques destinées à tous les membres de la société, peu importe leurs croyances, mais ne pouvait être dispensée que dans des écoles qui fonctionnaient sous l'influence et la direction des autorités de leur église. [C'est moi qui souligne.]

Le compromis ou, pour reprendre l'expression qu'a employée le juge en chef Duff dans le Reference Re Adoption Act, [1938] R.C.S. 398, à la p. 402, "l'élément fondamental de la Confédération", consistait en ceci: que les droits et privilèges déjà conférés par la loi au moment de la Confédération seraient sauvegardés et les législatures provinciales pourraient en accorder d'autres au fur et à mesure que les conditions changeaient. Comme l'a dit le juge en chef Meredith, juge en chef des plaids communs, dans l'affaire Ottawa Separate School Trustees v. City of Ottawa (1915), 34 O.L.R. 624 (décision infirmée pour d'autres motifs), on n'a pas voulu que les écoles séparées soient [TRADUCTION] "à tout jamais laissées dans le désert éducationnel des textes législatifs en vigueur en 1867" (à la p. 630). Au contraire, a‑t‑il ajouté, [TRADUCTION] "les mécanismes peuvent être modifiés et les méthodes d'enseignement changées pour refléter les progrès dans le domaine de l'éducation". Bien que le législateur puisse à une date ultérieure légalement supprimer ces droits et privilèges nouveaux, le par. 93(3), du fait qu'il prévoit un droit d'appel au gouverneur général en conseil, offre une garantie contre leur abolition par suite de pression locale exercée par des gens indifférents aux droits de la minorité. Tel paraît avoir été également l'avis du lord chancelier dans l'arrêt Brophy. Il croyait de toute évidence que le par. 93(3) avait pour but de protéger les minorités tant de l'Ontario que du Québec contre la suppression de droits conférés postérieurement à la Confédération. Il a dit, à la p. 223:

[TRADUCTION] Compte tenu de la situation qui régnait en 1870, il n'y a, de l'avis de leurs Seigneuries, rien d'extravagant à affirmer qu'en créant une législature provinciale dotée de pouvoirs limités, on a jugé opportun, au cas où les catholiques ou les protestants deviendraient prépondérants et où il y aurait atteinte à des droits qui avaient pris naissance dans des circonstances différentes, d'investir le Parlement du Canada du pouvoir de légiférer relativement à l'éducation dans la mesure où cela s'avérait nécessaire pour protéger la minorité protestante ou catholique, selon le cas.

29. Je ne crois pas que les observations qu'a faites le juge Beetz (au nom de la majorité) dans l'arrêt Société des Acadiens c. Association of Parents for Fairness in Education, [1986] 1 R.C.S. 549, écartent une interprétation de l'art. 93 qui tient compte de son but. Dans cet arrêt, le juge Beetz (à l'avis duquel ont souscrit les juges Estey, Chouinard, Lamer et Le Dain) a écrit, à la p. 578:

À la différence des droits linguistiques qui sont fondés sur un compromis politique, les garanties juridiques tendent à être de nature plus féconde parce qu'elles se fondent sur des principes. Certaines d'entre elles, par exemple celle énoncée à l'art. 7 de la Charte, sont formulées de manière si large que les tribunaux seront souvent appelés à les interpréter.

D'autre part, même si certains d'entre eux ont été élargis et incorporés dans la Charte, les droits linguistiques ne reposent pas moins sur un compromis politique.

Cette différence essentielle entre les deux types de droits impose aux tribunaux une façon distincte d'aborder chacun. Plus particulièrement, les tribunaux devraient hésiter à servir d'instruments de changement dans le domaine des droits linguistiques. Cela ne veut pas dire que les dispositions relatives aux droits linguistiques sont immuables et qu'elles doivent échapper à toute interprétation par les tribunaux. Je crois cependant que les tribunaux doivent les aborder avec plus de retenue qu'ils ne le feraient en interprétant des garanties juridiques.

Bien qu'il faille se garder d'interpréter d'une manière trop large une disposition qui traduit un compromis politique, il doit tout de même être loisible à la Cour d'insuffler la vie à un compromis clairement exprimé. L'étude du contexte de l'art. 93 entreprise dans les présents motifs vise non pas à expliquer le compromis qui est intervenu, mais à en confirmer la nature exacte. Or, le contexte indique que le compromis consistait en partie à permettre à la province de légiférer relativement aux écoles confessionnelles séparées. La province devait être habilitée à conférer des droits et privilèges nouveaux aux écoles confessionnelles après l'Union pour faire face à des situations nouvelles, mais l'abolition subséquente des droits ou privilèges ainsi conférés pourrait faire l'objet d'un appel au gouverneur général en conseil. C'est ce qui ressort du texte même de l'art. 93. Je conclus en conséquence, sous réserve des observations qui suivent concernant l'applicabilité de la Charte des droits au projet de loi 30, que celui‑ci représente un exercice valable du pouvoir de la province d'ajouter aux droits et privilèges des contribuables des écoles séparées catholiques en vertu de la disposition liminaire de l'art. 93 et des dispositions du par. 93(3) de la Loi constitutionnelle de 1867, prises ensembles.

b) Le paragraphe 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867

30. Bien que, à proprement parler, il puisse être inutile, compte tenu de ce qui précède, de se demander si les écoles catholiques romaines séparées de l'Ontario jouissent d'un droit constitutionnel au plein financement en raison du par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867, je vais néanmoins aborder cette question puisqu'elle a fait l'objet d'un débat en bonne et due forme au cours de la longue audience devant cette Cour. Elle a aussi une certaine pertinence à l'égard des arguments qu'ont fait valoir les parties au sujet de l'applicabilité de la Charte.

31. Le paragraphe 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867 porte:

93. Dans chaque province et pour chaque province, la législature pourra exclusivement légiférer sur l'éducation, sous réserve et en conformité des dispositions suivantes:

(1) Rien dans cette législation ne devra préjudicier à un droit ou privilège conféré par la loi, lors de l'Union, à quelque classe particulière de personnes dans la province relativement aux écoles confessionnelles;

On voit tout de suite que la portée des droits et privilèges garantis par l'article doit être déterminée en vérifiant les droits et privilèges qui existaient au moment de l'Union. Y avait‑il quelque droit ou privilège donnant aux écoles confessionnelles de niveau secondaire le droit au plein financement, selon la loi, à l'époque de la Confédération? Pour répondre à cela, il est nécessaire d'examiner l'historique de la législation antérieure à la Confédération portant sur l'enseignement dans le Haut‑Canada. Il est nécessaire aussi d'étudier l'arrêt Tiny du Conseil privé dans lequel on a examiné l'effet de cette législation.

(i) La situation avant la Confédération

32. Avant la Confédération, il y avait trois principales catégories d'écoles dans le Haut‑Canada: les écoles communes, les lycées ou écoles de grammaire, et les écoles séparées. Il n'y avait pas l'équivalent des écoles secondaires d'aujourd'hui. En fait, il ressort de la preuve que le terme "secondaire" n'a été utilisé pour décrire une partie quelconque du système scolaire de l'Ontario qu'à la fin du dix‑neuvième siècle. Des termes tels high school et [TRADUCTION] "éducation supérieure" étaient parfois employés mais, comme l'affirme dans son affidavit le professeur Gidney, un historien qui a témoigné pour le compte des intimés: [TRADUCTION] "les ambiguïtés et les contradictions dans la phraséologie employée pour décrire les institutions d'enseignement et leurs rapports entre elles" semblent être monnaie courante. Compte tenu de cette difficulté de terminologie, le professeur Gidney conclut ceci dans son affidavit: [TRADUCTION] "nous nous trouvons dans l'obligation d'interpréter les usages des contemporains, avec la plus grande prudence possible, afin d'élucider leurs intentions et leur compréhension commune des choses". Toutefois, il faut se rappeler que le par. 93(1) ne protège que les droits et privilèges garantis par la loi. Notre tâche donc consiste à examiner les lois en vigueur avant la Confédération, afin de découvrir quels droits ou privilèges elles conféraient. Il nous importe peu, aux fins de notre analyse, de savoir si les divers corps constitués ou les officiers publics exerçaient effectivement les pouvoirs que la loi leur conférait.

33. La première loi du Haut‑Canada qui traite des écoles publiques a été la Public Schools Act [An Act to establish Public Schools in each and every District of this Province], 47 Geo. 3, chap. 6. Cette loi prévoyait la création [TRADUCTION] "d'une école publique dans tous et chacun des districts de cette province" (art. 2) et la nomination de syndics, responsables de la direction de ces écoles (art. 4) et chargés [TRADUCTION] d'"édicter les règles et règlements nécessaires à la bonne direction et administration desdites écoles publiques" (art. 5). En vertu de la Common Schools Act [An Act granting to His Majesty a sum of money, to be applied to the use of common schools throughout this province and to provide for the regulations of said common schools], 56 Geo. 3, chap. 36, ces écoles furent rebaptisées "écoles communes"; on prévoyait l'établissement d'un plus grand nombre d'écoles (art. 1 à 3); les syndics se voyaient conférer le pouvoir exprès de congédier les maîtres (art. 5) et [TRADUCTION] d'"édicter les règles et règlements nécessaires à la bonne direction des [...] écoles communes" (art. 6). Certaines obligations étaient imposées aux syndics, qui devaient faire rapport aux conseils de l'éducation au sujet de certaines questions, comme les manuels utilisés dans les écoles (art. 8) et les conseils de l'éducation avaient le pouvoir de distribuer les deniers octroyés par le législateur aux écoles communes (art. 13). On les appelait "écoles communes" parce qu'elles avaient pour fonction d'instruire les gens ordinaires, le citoyen moyen.

34. L'Act to provide for the advancement of Education in this Province, 2 Vict., chap. 10, a conféré un fondement légal aux divers lycées ou "écoles de grammaire" qui avaient été mis sur pied dans le Haut‑Canada. Un conseil d'administration était établi pour chaque école et était chargé de les superviser et de recevoir les sommes d'argent que la Loi permettait de leur verser. Comme le titre de la Loi le laisse entendre, le système d'écoles de grammaire avait pour objet d'offrir une forme d'enseignement avancé. Cela signifiait, à l'époque, fournir aux étudiants la possibilité d'étudier les langues et la littérature grecque et latine. Cela a été confirmé en 1853 par la Loi sur les écoles de Grammaire (H. C.) [Acte pour amender la loi concernant les écoles de Grammaire du Haut‑Canada], 16 Vict., chap. 186, dont l'art. 5 portait expressément que l'enseignement qui y serait donné comprendrait la philosophie naturelle, la mécanique, les mathématiques, le grec et le latin, "de manière à préparer les élèves pour le collège de l'université ou tout collège affilié à l'université de Toronto".

35. Il ne s'ensuit pas toutefois que, parce que les écoles de grammaire donnaient un enseignement "supérieur", elles sont nécessairement les précurseurs des écoles secondaires d'aujourd'hui. Comme le professeur Gidney l'affirme dans son affidavit:

[TRADUCTION] Aujourd'hui nous tenons pour acquis que les écoles sont organisées surtout en fonction de l'âge et du niveau de difficulté des disciplines: les écoles élémentaires donnent aux enfants plus jeunes un enseignement "élémentaire", en leur montrant "à lire, à écrire et à compter"; les écoles secondaires donnent aux adolescents un enseignement d'un niveau plus avancé, en anglais et en mathématiques, et les éléments de certaines disciplines plus ésotériques, telles la biologie ou la physique, y sont aussi enseignés. Cette structure à deux paliers, les écoles secondaires ou supérieures étant placées au‑dessus des écoles élémentaires ou publiques, a été instituée dans les dernières décennies du dix‑ neuvième siècle. Mais ce ne fut pas là l'organisation première de l'enseignement, à l'époque de la Confédération ou juste avant. Au contraire, les écoles communes et les écoles de grammaire étaient conçues pour se chevaucher mutuellement tant sur le plan de leurs programmes que sur celui de l'âge de leurs élèves. On ne gravissait pas d'abord les échelons de l'enseignement élémentaire pour passer ensuite à des sujets comme le latin, le grec ou le français. L'école de grammaire était conçue pour recevoir les élèves dès qu'ils commençaient à maîtriser l'enseignement de base, et leur donner à la fois un enseignement anglais et classique [...] D'après mon analyse d'un échantillonnage des registres des écoles de grammaire pour les années 1850 et 1860, il n'était pas rare que des élèves y entrent à l'âge de dix ou onze ans, et même dans certains cas de huit ou neuf ans, et la moitié des étudiants avaient moins de quatorze ans (ce qui, de nos jours, représente l'âge normal d'accès au secondaire [high school]). L'école de grammaire, en d'autres termes, avait été conçue comme une institution parallèle, dont le programme recoupait celui de l'école commune, et son existence était justifiée par cette fin spécialisée: la formation des étudiants désireux de recevoir un enseignement à la fois classique et anglais. Ou, en d'autres termes, les deux genres d'institutions se distinguaient par leurs fins ou leurs fonctions, plutôt que par l'âge de leurs élèves ou le niveau d'enseignement.

La distinction légale entre les écoles communes et les écoles de grammaire peut bien avoir été plus ténue encore que celle avancée par le professeur Gidney. Le paragraphe 11(4) de la Loi de 1853 autorisait la fusion des écoles communes et des écoles de grammaire. Ce qui souligne le fait que, sous réserve de la réglementation, il n'y avait à cet époque aucune restriction législative à ce qui pouvait être enseigné dans une école commune. L'enseignement pouvait y comprendre les mêmes disciplines que dans une école de grammaire. Et la Common Schools Act de 1859, la loi sur les écoles communes qui était en vigueur au moment de la Confédération, prévoyait toujours, aux par. 27(7) et 79(9), cette fusion.

36. La première disposition qui porte sur les écoles séparées apparaît dans l'Acte concernant les écoles publiques [Acte pour abroger certains Actes y mentionnés, et pourvoir plus amplement à l'établissement et au maintien des écoles Publiques en cette Province], 4 & 5 Vict., chap. 18, à l'art. 11, qui porte:

XI. Pourvu aussi, et qu'il soit statué, que lorsque dans aucune Paroisse ou Township les règlements ou arrangemens faits par les Commissaires des écoles Publiques pour la régie d'une école quelconque, ne conviendront pas à un nombre quelconque des Habitants, professant une croyance Religieuse différente de celle de la majorité des Habitans de telle Paroisse ou Township, il sera loisible aux dits Habitans dissidans collectivement, de signifier leur dissentiment par écrit au Greffier du Conseil de District, avec aussi le nom ou les noms d'un ou de plusieurs Syndics choisis par eux pour les fins de cet Acte; et le dit Greffier du District en donnera immédiatement une copie certifiée au Trésorier du District; et il sera loisible à tels Habitans dissidans, par la voie des dits Syndic ou Syndics qui à cette fin posséderont et exerceront tous les droits, pouvoirs et autorités, donnés, et seront sujets aux mêmes charges et obligations imposées ci‑dessus aux dits Commissaires des écoles, d'établir et maintenir une ou plusieurs écoles Publiques en la manière voulue par cet Acte, pour les autres écoles Publiques et aux mêmes conditions et charges, et sous les mêmes règlemens et les mêmes droits de visite; et ils auront droit de recevoir du Trésorier du District les mêmes sommes d'après leur nombre, pour le soutien des écoles Publiques dans l'Arrondissement ou les Arrondissemens d'écoles où ils résident, auxquelles ils auraient eu droit si les dites écoles eussent été sous la régie des dits Commissaires des écoles Publiques; et telles sommes seront payées par le Trésorier du District sur le Garant des dits Syndic ou Syndics.

Cette loi énonce les droits, pouvoirs et attributions des commissaires (syndics) des écoles communes ou publiques et prévoit l'attribution à des syndics d'écoles séparées des mêmes droits, pouvoirs et compétences. Parmi ces pouvoirs, il y avait le pouvoir exprès en vertu du par. 7(4), de "régler le cours d'étude qui devra être, suivi dans chaque école respectivement, d'indiquer les livres dont on y devra faire usage, et d'établir des règles générales pour la régie des écoles, et les communiquer par écrit aux Instituteurs respectifs." Dans l'Acte d'établissement des écoles Communes [Acte pour l'établissement et soutien des écoles Communes dans le Haut‑Canada], 7 Vict., chap. 29, les syndics conservaient le même pouvoir quant aux matières enseignées et aux manuels utilisés, mais dans les lois ultérieures, leurs pouvoirs ont été définis sous forme de pouvoirs de nomination d'instituteurs compétents et de choix de manuels scolaires. Les instituteurs étaient cependant requis d'enseigner les matières stipulées dans le contrat d'engagement qu'ils avaient passé avec les syndics qui avaient l'obligation de rapporter, au surintendant de district des écoles communes, les matières enseignées, le nombre d'élèves par matières enseignées et les manuels scolaires utilisés. Aucun autre officier public ou corps constitué ne s'est vu, dans les lois ultérieures, attribuer un pouvoir exprès de réglementer les matières à enseigner dans les écoles.

37. Ainsi, en 1843, ce système tripartite d'enseignement, composé d'écoles communes, d'écoles de grammaire et d'écoles séparées, était bien en place. Plusieurs lois modificatrices, qui ont eu des effets sur les trois secteurs du système d'enseignement, ont été adoptées à compter de 1843. Mais aucune de ces lois n'a d'effet direct sur l'interprétation du par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867. La législation qui était en vigueur au moment de l'Union et qui est donc cruciale pour la bonne interprétation du par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867, se trouve dans quatre lois: la Common Schools Act de 1859, la Separate Schools Act [An Act respecting Separate Schools], C.S.U.C. 1859, chap. 65; l'Acte concernant les écoles séparées (loi Scott) de 1863 et l'Acte concernant les écoles de grammaire de 1865, chap. 23.

38. La Common Schools Act de 1859 réunissait un grand nombre de dispositions concernant les écoles communes que l'on retrouvait dans les lois antérieures. Elle revêt un intérêt particulier pour deux motifs: (1) il s'agit de la loi qui régissait les écoles communes à l'époque de la Confédération, et (2) la Separate Schools Act de 1859 et plus tard l'Acte concernant les écoles séparées (loi Scott) de 1863 rendaient les dispositions principales de la Common Schools Act de 1859 applicables aux écoles séparées. Il est donc nécessaire d'étudier les dispositions de cette loi fort attentivement.

39. L'article 27 de la Common Schools Act de 1859 prévoyait l'établissement d'arrondissements scolaires ruraux. Le paragraphe 16 de cet article dispose ensuite:

[TRADUCTION] 27. Il est du devoir des syndics de chaque arrondissement scolaire et il entre par les présentes dans leurs attributions:

...

16. De permettre à tous les habitants de l'arrondissement, âgés de cinq à vingt et un ans, de fréquenter l'école [...] mais cette autorisation ne vise pas les enfants des parents pour lesquels une école séparée a été créée, conformément à la loi relative à l'établissement des écoles séparées.

La réserve du par. 27(16) signifiait que les syndics des écoles communes, dans les arrondissements scolaires ruraux, n'étaient pas obligés de permettre aux enfants admissibles à une école séparée de fréquenter l'école commune. Cet article a été rendu applicable aux arrondissements scolaires urbains par le par. 79(18).

40. La Common Schools Act de 1859 ne confère pas aux syndics des écoles communes, comme le faisait le par. 7(4) de la loi de 1841, un pouvoir exprès de prescrire les matières à enseigner. Néanmoins je crois que l'économie de la Loi conférait implicitement ce pouvoir au syndic. Le paragraphe 79(8), applicable aux conseils scolaires urbains, conférait à ces syndics le pouvoir d'engager des instituteurs et aussi de fixer [TRADUCTION] "leurs conditions d'emploi, leur rémunération et les fonctions qu'ils auront à exercer". Ces fonctions incluaient vraisemblablement l'enseignement des matières prescrites par les syndics, puisque le par. 82(1) prévoyait qu'il était du devoir de chaque instituteur d'une école commune "d'enseigner avec zèle et fidélité toutes les branches qui doivent être enseignées dans l'école, suivant les termes de son engagement avec les syndics, et conformément aux dispositions de cet acte". Il n'existait, dans la Common Schools Act de 1859, aucune disposition limitant les instituteurs des écoles communes à l'enseignement de certaines matières uniquement. Le paragraphe 27(8), applicable aux arrondissements scolaires ruraux, ne conférait pas expressément aux syndics des arrondissements scolaires ruraux le pouvoir de déterminer les fonctions des instituteurs, mais je pense que cela est probablement implicite dans leur pouvoir "d'engager et employer les instituteurs pour la dite section d'école", compte tenu particulièrement du fait que le par. 82(1) était également applicable aux instituteurs des arrondissements scolaires ruraux.

41. Si la loi de 1859 (tout comme certaines lois antérieures mentionnées précédemment) imposait aux syndics le devoir de faire un rapport au surintendant local sur "les branches d'instruction enseignées dans l'école" (par. 27(23), al. (4) et par. 79(17) dans le cas des conseils scolaires urbains), le Conseil de l'instruction publique ne se voyait pas conférer un pouvoir exprès et exclusif de fixer les matières à enseigner. Le Conseil de l'instruction publique avait le pouvoir d'"établir [...] les règlements [...] pour l'organisation, le gouvernement et la discipline des écoles communes" (par. 119(4)) et d'"examiner [...] recommander ou désapprouver les livres de texte pour l'usage des écoles...» (par. 119(5)). De même, le syndic avait l'obligation correspondante de [TRADUCTION] "veiller à ce qu'aucun livre non autorisé ne soit utilisé dans l'école et que soit mise à la disposition des élèves une série uniforme de manuels autorisés, sanctionnés et recommandés par le Conseil de l'instruction publique" (par. 27(18) et par. 79(15)). Mais le contenu exact des matières au programme d'une école particulière semblait, en l'absence de réglementation expresse du Conseil de l'instruction publique, laissé, de par la loi, au pouvoir discrétionnaire des syndics. Les avocats des parties n'ont produit aucune réglementation relative aux matières enseignées. En fait, il ressort de la preuve soumise à cette Cour, que les syndics des écoles communes ont suivi mon interprétation de la législation. Dans l'arrêt Tiny, à la p. 665, le juge en chef Anglin a dit:

[TRADUCTION] En général, on a considéré que les dispositions de la Common Schools Act prévoyant que, de toute manière dans les cités, villes et villages, et dans les districts ruraux où l'art. 32 de la loi de 1859 s'appliquait, les syndics devaient établir, conformément à leur perception des exigences locales en matière d'enseignement, les matières à enseigner et la portée de l'instruction donnée dans l'école, ou les écoles, dont ils avaient la charge, et elles paraissaient leur conférer le droit légal de le faire. Il y avait obligation légale en 1867 de donner dans toutes les écoles communes un enseignement adéquat aux élèves des deux sexes, âgés de 5 à 21 ans.

Puisqu'il en était ainsi de l'état du droit, il n'est pas surprenant que dans de nombreux grands centres, où des normes supérieures d'enseignement étaient nécessaires pour répondre aux exigences locales, les écoles communes, avant et au moment de la Confédération, aient offert, avec l'approbation et l'encouragement des autorités provinciales en matière d'éducation, des cours dans pour ainsi dire toutes les sphères du savoir aujourd'hui incluses dans les programmes des écoles secondaires autant que dans les écoles publiques et qu'ils aient fourni à leurs élèves l'enseignement requis pour leur permettre d'être admis à l'université, d'entrer à l'école normale et d'entreprendre les études nécessaires pour accéder aux "professions libérales".

Je conclurais donc que les syndics des écoles communes avaient, en vertu de la loi, le pouvoir, sous réserve de réglementation, de prescrire les matières à enseigner dans une école particulière et qu'ils pouvaient, en vertu de la loi, prescrire tout niveau d'enseignement qui, à leur avis, répondait aux besoins de la collectivité en cause. Cela incluait un enseignement de niveau secondaire.

42. Les articles 120 à 125 de la Common Schools Act de 1859 exposent le mode de calcul des subventions annuelles accordées aux écoles communes. Les articles clés sont les art. 120 et 121. L'article 120 porte:

[TRADUCTION] 120. Sur la subvention scolaire législative attribuée au Haut‑Canada, et les sommes additionnelles d'argent octroyées, à l'occasion, pour venir en aide aux écoles communes ou aux écoles communes et de grammaire du Haut‑Canada, et que la loi n'affecte pas expressément à d'autres fins, le gouverneur en conseil peut autoriser d'engager les fonds suivants annuellement...

Suit une énumération d'un certain nombre de sommes fixes destinées à diverses fins. L'article 121 porte:

[TRADUCTION] 121. Tout le reste des subventions mentionnées à l'art. 120, et non exclusivement engagées, dans les paragraphes qui précèdent, seront affectées aux écoles communes conformément aux dispositions du présent acte.

43. Les dispositions de la Common Schools Act de 1859, sauf exception, ont été rendues applicables aux écoles séparées par la Separate Schools Act de 1859. L'article 24 de cette dernière loi dispose:

[TRADUCTION] 24. Les syndics de ces écoles séparées constitués en un corps incorporé en vertu de cet acte, auront les mêmes pouvoirs d'imposer, de prélever et de percevoir des taxes d'école ou souscriptions sur les personnes qui enverront leurs enfants aux écoles séparées ou qui y souscriront pour leur soutien, et tous les autres pouvoirs, à l'égard des écoles séparées, que les syndics des écoles communes ont et possèdent en vertu des dispositions de la loi relative aux écoles communes.

L'article 33 porte:

[TRADUCTION] 33. Chaque école séparée aura droit à une part dans les fonds accordés annuellement par la législature de cette province pour le soutien des écoles communes, suivant le nombre moyen des élèves qui auront fréquenté la dite école pendant les douze mois précédents, ou pendant le nombre de mois qui se seront écoulés depuis l'établissement d'une nouvelle école séparée, telle que comparée avec la moyenne générale du nombre des élèves qui fréquentent les écoles dans la même cité, ville, village ou township.

44. L'Acte concernant les écoles séparées (loi Scott) de 1863, fut la dernière loi concernant les écoles séparées à être adoptée avant la Confédération. Elle s'intitule: Acte pour réintégrer les catholiques romains du Haut‑Canada dans l'exercice de certains droits concernant les écoles séparées. En voici le préambule:

CONSIDéRANT qu'il est juste et opportun de réintégrer les catholiques romains du Haut‑Canada dans l'exercice de certains droits concernant les écoles séparées dont ils jouissaient autrefois, et d'établir une plus grande uniformité entre les lois qui règlent les écoles séparées et celles des écoles communes...

Elle abrogeait les art. 18 à 36 de la Separate Schools Act de 1859. Elle autorisait les catholiques romains à établir des écoles séparées et à élire des syndics "pour l'administration" de chaque école (art. 2 à 6). Les syndics jouissaient des mêmes "pouvoirs à l'égard de ces écoles séparées, que les syndics des écoles communes ont et possèdent en vertu des dispositions de l'acte concernant les écoles communes [C.S.U.C. 1859, chap. 64]" (art. 7) et ils avaient "les mêmes devoirs [...] que les syndics des écoles communes" (art. 9). Cela signifiait que les syndics des écoles séparées, à l'instar des syndics des écoles communes, avaient le devoir de permettre aux résidents âgés de 5 à 21 ans de fréquenter l'école et le pouvoir, sous réserve de réglementation, de déterminer les matières à enseigner et le niveau de cet enseignement. Les contribuables des écoles séparées n'avaient pas à payer les taxes municipales imposées pour les écoles communes (art. 14), mais ils devaient payer les taxes scolaires perçues par les syndics des écoles séparées (art. 7). En vertu de l'art. 20, les contribuables des écoles séparées avaient aussi droit à une part, proportionnelle au nombre d'élèves, de la subvention octroyée annuellement par le législateur aux écoles communes:

20. Chaque école séparée aura droit à une part du fonds octroyé annuellement par la législature de cette province pour le soutien des écoles communes, et aura aussi droit à une part dans tous les autres octrois publics, placements et allocations votés ou qui le seront à l'avenir pour les fins d'écoles communes par la province ou les autorités municipales, selon la moyenne du nombre des élèves fréquentant telle école les douze mois précédents, ou pendant le nombre de mois écoulés depuis l'établissement d'une nouvelle école séparée, telle que comparée avec la moyenne du nombre total d'élèves fréquentant les écoles dans la même cité, ville, village ou township.

Enfin, les écoles séparées étaient sujettes à l'inspection du surintendant en chef et étaient soumises aux "règlements qui pourront être imposés de temps à autre par le conseil de l'instruction publique du Haut‑Canada" (art. 26). Fait intéressant, le contrôle du Conseil sur les programmes des écoles séparées était certes moins étendu que celui qu'il exerçait sur les écoles communes, étant donné que la Separate Schools Act de 1859 ne contenait aucune disposition analogue au par. 119(5) de la Common Schools Act de 1859, qui conférait au Conseil la supervision des manuels scolaires.

45. J'en viens maintenant à l'examen de l'affaire Tiny (1926), 59 O.L.R. 96, conf. (1926), 60 O.L.R. 15 (C.A.), conf. [1927] R.C.S. 637, conf. [1928] A.C. 363, où l'effet de ces diverses lois antérieures à la Confédération a été étudié.

(ii) L'affaire Tiny

46. Dans l'affaire Tiny, le conseil d'administration de l'école séparée du canton de Tiny, en son propre nom et en celui des autres syndics d'écoles séparées de la province contestait, par pétition de droit, la validité d'une certaine loi provinciale interdisant l'enseignement et le financement des matières de niveau secondaire dans les écoles séparées. La loi contestée obligeait aussi les contribuables des écoles séparées à payer les taxes perçues pour le soutien des écoles publiques de niveau secondaire. Les syndics ont fait valoir que la loi contrevenait au par. 93(1) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique puisqu'elle préjudiciait à un droit ou à un privilège conféré relativement à l'enseignement confessionnel dont jouissaient les catholiques à l'époque de la Confédération. Ils réclamaient aussi une part proportionnelle des deniers publics affectés par le législateur [TRADUCTION] "aux fins des écoles communes", calculée conformément aux droits que leur conféraient la loi à l'époque de la Confédération.

47. Les demandeurs furent déboutés en première instance. Le juge Rose a conclu que, puisque les droits et privilèges que les écoles séparées possédaient en matière d'affectation de fonds au moment de la Confédération étaient fonction de la législation de l'ancienne Province du Canada et étaient expressément qualifiés d'affectations de fonds [TRADUCTION] "de cette province", la province de l'Ontario n'était pas touchée par une telle obligation (à la p. 150). Par conséquent, la loi ne conférait aux contribuables des écoles séparées aucun droit à une part de ces affectations de fonds. La Cour d'appel a confirmé son opinion sur ce point. Une telle interprétation a pour effet de faire perdre tout son sens en Ontario au par. 93(1) qui garantit tous les droits et les privilèges dont jouissaient toute catégorie de personnes en vertu de la loi au moment de l'Union, puisque tous ces droits et privilèges avaient été conférés par les lois de la Province du Canada. Une telle interprétation est manifestement boiteuse. J'adopterais sur ce point l'opinion du juge en chef Anglin de la Cour suprême du Canada. En rejetant la position adoptée à ce propos par le juge Rose et la Cour d'appel de l'Ontario, il affirme à la p. 657:

[TRADUCTION] Cette opinion est tout à fait contraire à l'esprit et à l'intention du par. 93(1) de l'A.A.N.B. À moins qu'il ne soit interdit aux assemblées législatives de l'Ontario et du Québec de porter préjudice aux droits et privilèges dont jouissaient respectivement les minorités religieuses en matière de financement et de soutien de leurs écoles confessionnelles à l'époque de la Confédération en vertu de la législation de l'ancienne Province du Canada, la protection de ces droits et privilèges qu'offre le par. 93(1) devient illusoire et l'objet de la loi impériale s'en trouve bouleversé.

Le Comité judiciaire du Conseil privé a partagé l'opinion du juge en chef Anglin: voir les pp. 373 et 374.

48. Le juge Rose a aussi conclu que, conformément à la Common Schools Act de 1859, les écoles communes et aussi les écoles séparées devaient être assujetties à la réglementation que pourrait leur imposer à l'occasion le Conseil de l'instruction publique. Comme il s'agissait là de la législation pertinente en vigueur à l'époque de la Confédération, le juge Rose a conclu que le droit garanti par le par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867 était simplement le droit de maintenir des écoles séparées sous réserve de la réglementation du Conseil. Le juge Rose a également statué, subsidiairement, que même [TRADUCTION] "si [...] la catégorie de personnes que représentaient les requérants jouissait, en vertu de la loi lors de l'Union, d'un droit à une part, à déterminer de la manière fixée par la loi, des sommes d'argent que l'assemblée législative de l'Ontario pourrait affecter aux écoles communes", il n'y avait [TRADUCTION] "aucune preuve que la loi et les règlements portaient préjudice à ce droit" (à la p. 152). Il en était ainsi parce qu'à son avis ces droits avaient toujours été soumis au large pouvoir de réglementation du Conseil.

49. La Cour d'appel de l'Ontario a rejeté l'appel à l'unanimité: (1926), 60 O.L.R. 15. Le pourvoi qui s'ensuivit en Cour suprême du Canada a aussi été rejeté, les juges s'étant partagés également: [1927] R.C.S. 637. Le juge en chef Anglin, le juge Rinfret qui a souscrit à ses motifs et le juge Mignault qui a rédigé ses propres motifs concordants, auraient accueilli le pourvoi. Les juges Duff et Lamont, ainsi que le juge Newcombe dans des motifs distincts, ont rejeté le pourvoi. Les juges qui auraient rejeté le pourvoi ont conclu que le pouvoir réglementaire du Conseil de l'instruction publique était suffisamment large pour lui permettre d'interdire, à son gré, l'enseignement de niveau secondaire. L'existence d'un pouvoir aussi général étant suffisante pour refuser la garantie du par. 93(1).

50. Le pourvoi au Conseil privé a été aussi rejeté: [1928] A.C. 363. Le Conseil privé a partagé le point de vue que le large pouvoir de réglementation attribué au Conseil de l'instruction publique, y compris le pouvoir de déterminer les matières à enseigner, était suffisant pour empêcher les écoles séparées d'offrir un enseignement de niveau secondaire. Même si le Conseil n'avait jamais utilisé ce large pouvoir de réglementation avant la Confédération, son existence même signifiait que l'enseignement de niveau secondaire dans les écoles séparées échappait à la protection du par. 93(1).

51. Quant à la question du financement, le Conseil privé avait à interpréter l'art. 120 de la Common Schools Act de 1859. C'est l'article qui porte que sur les sommes octroyées aux écoles communes [TRADUCTION] "et que la loi n'affecte pas expressément à d'autres fins", le gouverneur en conseil peut donner l'autorisation d'engager certaines dépenses énoncées dans l'article pour venir en aide aux écoles communes. L'article 20 de la loi Scott prévoyait que les écoles séparées avaient droit "à une part du fonds octroyé annuellement par la législature [...] pour le soutien des écoles communes". Mais puisqu'on fixait aucune limite aux fonds qui pouvaient être [TRADUCTION] "affectés à d'autres fins" pour les écoles communes, le Conseil privé a jugé qu'aucun droit à des fonds n'était garanti aux écoles séparées. Le vicomte Haldane conclut, à la p. 388:

[TRADUCTION] ... cela revient à se demander si les autorités de la province avaient le pouvoir d'affecter et de verser des fonds à même ceux octroyés, avant d'en arriver au moment de déterminer ce qui serait disponible pour les écoles communes. De l'avis de leurs Seigneuries, il est clair qu'un tel pouvoir existait...

De l'avis de leurs Seigneuries, à la lecture de la disposition mentionnée, il est impossible de soutenir avec succès qu'il était ultra vires, après la Confédération, de procéder à de nouvelles affectations de fonds, à même les subventions, qui auraient pour effet de diminuer ce qui autrement aurait été versé aux appelants. Que l'on considère l'affaire du point de vue réglementaire ou du point de vue d'un pouvoir discrétionnaire d'affectation de fonds, le résultat est le même.

52. Les appelants invoquent l'arrêt Tiny et soutiennent qu'à l'époque de la Confédération les contribuables des écoles séparées, de même que tous les autres contribuables des écoles communes, jouissaient du droit à des fonds publics pour l'enseignement scolaire de niveau élémentaire donné à leurs enfants, mais non du droit au financement de l'enseignement de niveau secondaire. Les appelants font aussi valoir que, puisque l'arrêt Tiny fait autorité depuis presque soixante ans sur ce point, il ne devrait pas être renversé maintenant.

53. Le procureur général de l'Ontario, en demandant à la Cour de renverser l'arrêt Tiny du Conseil privé, soutient que l'on n'a pas posé la bonne question aux tribunaux dans l'affaire Tiny. Tous les jugements ont porté sur la question de savoir si les écoles séparées jouissaient d'un pouvoir discrétionnaire illimité de gérer leurs écoles, libres de toute entrave réglementaire. Le procureur général fait valoir que la véritable question, à laquelle les divers tribunaux saisis de l'affaire Tiny n'ont pas apporté de réponse satisfaisante, était de savoir quel niveau d'enseignement les écoles séparées étaient autorisées par la loi à offrir en 1867. Je suis d'accord avec cet argument. Lorsqu'on se pose la bonne question, on constate que tous les juges qui ont eu à statuer dans l'affaire Tiny, à l'exception du juge Duff en cette Cour, ont conclu que la loi autorisait les écoles séparées à offrir n'importe quel niveau d'enseignement au moment de la Confédération. Par exemple, au Conseil privé, le vicomte Haldane affirme, à la p. 376, que [TRADUCTION] "avant la Confédération, les écoles communes, et avec elles les écoles séparées, étaient libres, en vertu de la loi [...] d'offrir un enseignement aux élèves jusqu'à l'âge de vingt et un ans et que, dans certains cas, on avait pris l'habitude de donner aux élèves plus âgés un enseignement avancé afin de les préparer à entrer à l'université".

54. L'essentiel des diverses décisions Tiny est que l'attribution par la loi au Conseil d'un pouvoir apparemment illimité de réglementation fait qu'il est impossible pour les écoles séparées d'avoir des droits ou des privilèges légaux susceptibles d'être protégés par la garantie du par. 93(1). Tous les "droits" qu'elles pourraient avoir par ailleurs étaient parfaitement annulables parce qu'elles étaient assujetties à un pouvoir légal de réglementation [TRADUCTION] "dans toute l'acception du terme": le vicomte Haldane, à la p. 386.

55. Toutefois, il est bien établi de nos jours qu'un pouvoir légal de réglementation n'est pas illimité. Il est limité par les politiques et les objectifs inhérents à la loi habilitante. Un pouvoir de réglementation n'est pas un pouvoir d'interdiction. Il ne saurait être utilisé pour contrecarrer l'économie même de la loi qui le confère. Ce principe a été énoncé d'une manière convaincante dans l'arrêt Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] A.C. 997, et a été approuvé récemment par cette Cour dans l'arrêt Oakwood Development Ltd. c. Municipalité rurale de St. François Xavier, [1985] 2 R.C.S. 164. Les origines du principe remontent à une époque antérieure à la Confédération. En étudiant l'exercice d'un pouvoir d'expropriation ou de réquisition de biens attribué par la loi à une compagnie, le lord chancelier Cranworth, dans l'arrêt Galloway v. City of London (1866), L.R. 1 H.L. 34, dit, à la p. 43:

[TRADUCTION] Le principe veut que, lorsque des individus se lancent dans de grandes entreprises pour la réalisation desquelles ils ont reçu du législateur le pouvoir d'exproprier des biens‑fonds appartenant à des tiers, en contrepartie du versement d'une indemnité convenable pour ces derniers, ils ne sauraient être autorisés à exercer à des fins accessoires les pouvoirs qui leurs sont attribués; c'est‑à‑dire à toutes autres fins que celles pour lesquelles le législateur les a investis de pouvoirs extraordinaires.

Le Conseil de l'instruction publique avait le pouvoir de faire des règlements pour des objets énoncés expressément: [TRADUCTION] "relativement à l'organisation et à la régie des écoles communes ainsi qu'au maintien de la discipline dans celles‑ci, à la classification des écoles et des instituteurs, et aux bibliothèques scolaires de tout le Haut‑Canada". Son pouvoir ne lui permettait pas d'aller jusqu'à interdire l'enseignement de niveau secondaire si cela était jugé nécessaire par les syndics afin de répondre aux besoins locaux en matière d'enseignement. J'approuve ce que le juge Mignault a dit en cette Cour dans l'affaire Tiny, à la p. 707, au sujet de la portée du pouvoir réglementaire du Conseil:

[TRADUCTION] Il me semble inconcevable que, lorsqu'il a accordé aux catholiques romains du Haut‑Canada le privilège d'avoir leurs propres écoles séparées, le législateur ait pu vouloir faire perdre toute valeur à ce privilège en autorisant le Conseil de l'instruction publique de la province à limiter par voie de règlement l'enseignement qui pourrait être donné dans ces écoles.

J'approuve aussi les observations suivantes du juge en chef Anglin, à la p. 671:

[TRADUCTION] Les lois qui autorisent les élèves à fréquenter jusqu'à l'âge de 21 ans les écoles communes et séparées n'ont certainement pas été conçues pour permettre au Conseil de l'instruction publique, sous le couvert de la réglementation, de restreindre les programmes qui, selon ce que pourraient prévoir les syndics, ne conviendraient qu'à des élèves, disons de 12 ou même de 16 ans tout au plus.

Comme on l'a énergiquement rappelé au cours du débat, ce serait là interdire, non réglementer [. . .] Si le pouvoir réglementaire du Conseil de l'instruction publique pouvait ainsi être exercé, le travail des écoles pourrait être réduit indéfiniment [...] Il est indiscutable que l'émasculation des matières que les syndics des écoles catholiques séparées étaient, à l'époque de l'Union, en droit d'offrir aux élèves de leurs écoles confessionnelles jusqu'à l'âge de 21 ans, porterait préjudice à un droit ou à un privilège dont ces écoles jouissaient légalement; [...] Une mesure législative qui aurait pour effet d'autoriser une telle injustice contreviendrait au par. 93(1) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique; or il est évident que ce que le législateur ne peut faire directement, sa créature ne peut le faire par voie de règlement.

Au Conseil privé, le vicomte Haldane note (sans plus), à la p. 389, que [TRADUCTION] "en effet, il est vrai que le simple pouvoir de réglementer ne sous‑entend pas le pouvoir d'abolir". Mais il ne va pas jusqu'à souligner qu'un droit limité par un pouvoir de réglementation constitue néanmoins un droit et que ce pouvoir doit être exercé conformément aux objectifs de la Loi. Il conclut simplement que l'existence du pouvoir réglementaire à l'époque de la Confédération, même s'il n'avait jamais été exercé avant cela, empêchait les écoles séparées, au moment de la Confédération, d'avoir le droit d'offrir un enseignement de niveau secondaire à leurs élèves. Pour les raisons que j'ai précédemment données, cette conclusion me paraît mal fondée.

56. Avec égards, j'estime que la décision du Conseil privé sur la question du financement est également insatisfaisante. Le Conseil privé semble ne pas avoir apprécié à sa juste valeur l'objet de l'art. 20 de la loi Scott et son rapport avec l'art. 120 de la Common Schools Act de 1859. L'objet même de ces deux articles était de préserver le système des écoles séparées. La garantie accordée à la minorité catholique en liant les fonds affectés à ses écoles à une proportion des fonds affectés aux écoles communes, reposait sur la certitude que le législateur ne cesserait jamais de financer les écoles communes. Il y aurait donc toujours des fonds dont une part reviendrait aux écoles séparées. Mais, en interprétant l'expression [TRADUCTION] "que la loi n'affecte pas à d'autres fins" comme autorisant des affectations de fonds à d'autres écoles que les "écoles communes" desservant la majorité, le Conseil privé arrive à un résultat tout à fait contraire à celui que semblent avoir voulu les rédacteurs de la loi Scott. Il crée une situation où les écoles de la majorité peuvent être entièrement financées par l'assemblée législative, mais où les fonds affectés aux écoles séparées dépendent de sa mansuétude, de sa générosité et de son bon vouloir. Cela semble difficilement compatible avec l'objet de la loi Scott, lequel est, selon son préambule, de:

...réintégrer les catholiques romains du Haut‑Canada dans l'exercice de certains droits concernant les écoles séparées dont ils jouissaient autrefois, d'établir une plus grande uniformité entre les lois qui règlent les écoles séparées et celles des écoles communes: . . .

Le point de vue exprimé par le juge en chef Anglin, aux pp. 678 et 679 de l'arrêt Tiny de cette Cour, semble particulièrement pertinente:

[TRADUCTION] Exclure les subventions "aux fins des écoles communes" des avantages monétaires supplémentaires que le droit à "une part" a accordé en 1863 aux écoles séparées [...] aurait pour effet de contrecarrer l'intention manifeste du législateur, en 1863, de placer les écoles séparées sur un pied d'égalité absolue avec les écoles communes en ce qui concerne toutes les affectations, municipales ou législatives, de fonds publics.

...

Donc, si le législateur ou une autorité municipale octroie des deniers publics pour venir en aide ou porter assistance à la réalisation de ce qui, en 1867, aurait été réputé constituer une fin des écoles communes, ou bien les fonds affectés doivent être partagés entre les écoles communes (ou celles qui les ont remplacées aujourd'hui) et les écoles séparées, ou bien une indemnité pour leur part de cette subvention doit leur être versée.

57. L'autre raison pour laquelle le droit des contribuables des écoles séparées à un enseignement de niveau secondaire ne saurait être rejeté comme étant inexistant et pour laquelle l'expression [TRADUCTION] "que la loi n'affecte pas expressément à d'autres fins" de l'art. 120 de la Common Schools Act de 1859 ne devrait pas recevoir une interprétation large au point d'autoriser le législateur à diminuer le financement des écoles séparées, est que le par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867 était destiné à conférer une valeur constitutionnelle aux droits et privilèges attribués par la loi Scott et la Common Schools Act de 1859. Le paragraphe 93(1) devrait, à mon avis, être interprété de manière à réaliser son objet manifeste qui est d'accorder une solide protection à l'enseignement catholique dans la province de l'Ontario et à l'enseignement protestant dans la province de Québec. Interpréter les dispositions de la loi Scott et de la Common Schools Act de 1859 comme l'a fait le Conseil privé dans son arrêt Tiny a pour effet de rendre illusoire cette garantie constitutionnalisée et de miner totalement cet important compromis historique.

58. Je suis donc d'avis de conclure que les contribuables des écoles séparées catholiques jouissaient en vertu de la loi, à l'époque de la Confédération, d'un droit ou privilège, pour ce qui était de voir leurs enfants recevoir une éducation appropriée qui pouvait inclure un enseignement de niveau secondaire, et que ce droit ou privilège est par conséquent garanti constitutionnellement par le par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867. Mes raisons pour arriver à cette conclusion peuvent être résumées brièvement. À l'article 7 de la loi Scott, les syndics des écoles séparées se sont vu attribuer les mêmes pouvoirs et obligations que les syndics des écoles communes. Ils avaient l'obligation d'autoriser les élèves âgés de 5 à 21 ans à fréquenter leurs écoles et de leur donner un enseignement adéquat. Comme dans le cas des syndics des écoles communes, les syndics des écoles séparées jouissaient, en vertu de la loi, du droit d'administrer et de diriger leurs écoles. Ils détenaient aussi un large pouvoir, sous réserve des règlements pris par le Conseil de l'instruction publique, pour ce qui était de choisir les matières à enseigner et de prescrire le niveau d'enseignement approprié aux besoins de la collectivité locale. Comme le juge en chef Anglin l'a souligné dans l'arrêt Tiny, ce n'était pas là une simple pratique tolérée par les autorités responsables de l'éducation; cela était permis par la loi. Je crois que le Conseil privé a eu tort de conclure que l'existence d'un pouvoir réglementaire général du Conseil (qui, à mon avis, devait être exercé conformément aux dispositions de la loi habilitante) avait pour effet d'annuler le pouvoir des syndics d'offrir un enseignement de niveau secondaire dans leurs écoles, s'ils le jugeaient opportun.

59. Il est manifeste que, pour que le droit précité ait un sens, il doit s'accompagner d'une affectation de fonds adéquate. Cette Cour a conclu à l'unanimité, dans l'arrêt Procureur général du Québec c. Greater Hull School Board, [1984] 2 R.C.S. 575, que le droit des écoles dissidentes au Québec à une part proportionnée du financement assuré par le gouvernement est un droit garanti par l'art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. À mon avis, on peut en dire autant du droit des écoles séparées en Ontario. Elles avaient droit au financement proportionnel prévu par l'art. 20 de la loi Scott. Cette conclusion, me semble‑t‑il, est tout à fait conforme à l'objet manifeste de l'art. 93, savoir que l'intérêt de la minorité confessionnelle à ce que ses enfants reçoivent un enseignement séparé mais adéquat soit garanti pour l'avenir. Je suis donc d'avis de conclure (sous réserve des observations qui suivent sur l'applicabilité de la Charte des droits) que le projet de loi 30, qui rétablit les droits garantis aux écoles séparées par le par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867, relève de la compétence de l'assemblée législative de la province.

c) L'applicabilité de la Charte des droits

60. Les appelants ont fait valoir devant cette Cour que le projet de loi 30 enfreint l'art. 15 et l'al. 2a) de la Charte en ce qu'il prescrit le financement complet des écoles secondaires catholiques, mais non celui des autres écoles secondaires, confessionnelles ou non, de la province. Les intimés répliquent que l'art. 29 de la Charte réfute entièrement cette allégation. L'article 29 porte:

29. Les dispositions de la présente charte ne portent pas atteinte aux droits ou privilèges garantis en vertu de la Constitution du Canada concernant les écoles séparées et autres écoles confessionnelles.

Cet article, soutiennent les intimés, met le projet de loi 30 à l'abri d'un examen en vertu de la Charte, puisqu'il traite des "droits ou privilèges garantis en vertu de la Constitution du Canada". Il ne fait pas de doute que les intimés auront raison si le projet de loi 30 est étayé par le par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867. Il serait alors nettement visé par le texte de l'art. 29. La Charte ne saurait être appliquée de façon à porter atteinte aux droits ou privilèges garantis par la Constitution ou en vertu de la Constitution. Mais l'art. 29 a‑t‑il pour effet de protéger contre un examen en vertu de la Charte si le projet de loi ne peut être étayé que par le pouvoir absolu et par le par. 93(3)?

61. Les intimés font valoir que la législation adoptée après la Confédération en vertu du par. 93(3) et du pouvoir absolu que possède l'assemblée législative en matière d'éducation, même s'il se peut qu'elle ne soit pas garantie par la Constitution, est néanmoins garantie en vertu de la Constitution et échappe donc à tout examen en vertu de l'art. 29 de la Charte. Le problème que j'éprouve avec cet argument découle de ce que les intimés affirment que les droits ou privilèges acquis en vertu des lois qu'une province a adoptées conformément au pouvoir absolu que lui confère en matière d'éducation la disposition liminaire de l'art. 93, jouissent de la même protection que les droits et privilèges garantis par le par. 93(1). Il ne peut en être ainsi. Il ressort clairement du texte du par. 93(3) que les lois adoptées après la Confédération, dont on parle dans ce paragraphe, peuvent être ultérieurement modifiées ou abrogées par l'assemblée législative qui les a adoptées, d'une manière qui affecte les droits ou privilèges qu'elles accordaient initialement. Le cas échéant, le seul recours possible consiste à interjeter appel au gouverneur général en conseil. On ne saurait donc conclure que les droits ou privilèges conférés par les lois adoptées après la Confédération, dont il est question au par. 93(3), sont "garantis" au sens de l'art. 29 de la même manière que les droits ou privilèges visés par le par. 93(1).

62. Toutefois, cela ne signifie pas que ces droits ou privilèges peuvent être contestés en vertu de l'al. 2a) et de l'art. 15 de la Charte. J'ai indiqué que les droits ou privilèges garantis par le par. 93(1) ne peuvent faire l'objet d'un examen en vertu de l'art. 29 de la Charte. J'estime que cela est clair. Ce qui est moins clair, c'est la question de savoir si l'art. 29 de la Charte était nécessaire pour atteindre ce résultat. J'estime que la réponse est non. Je crois qu'on l'a placé là simplement pour souligner que la Charte ne porte pas atteinte au traitement spécial que la Constitution garantit aux écoles confessionnelles, séparées ou dissidentes, même s'il s'accorde mal avec le concept de l'égalité enchâssé dans la Charte du fait que les autres écoles ne peuvent en bénéficier. À mon avis, on n'a jamais voulu que la Charte puisse servir à annuler d'autres dispositions de la Constitution et, en particulier, une disposition comme l'art. 93 qui représente une partie fondamentale du compromis confédéral. L'article 29 n'est, à mon sens, présent dans la Charte que pour assurer une plus grande certitude, en ce qui concerne tout au moins la province de l'Ontario.

63. En d'autres termes, l'art. 29 est là pour protéger contre tout examen en vertu de la Charte les droits ou privilèges qui autrement, n'était‑ce de cet article, pourraient faire l'objet d'un tel examen. La question devient alors la suivante: l'art. 29 protège‑t‑il les droits ou privilèges acquis en vertu des lois que la province a adoptées conformément au pouvoir absolu que lui confère en matière d'éducation la disposition liminaire de l'art. 93? J'estime que oui même si, encore une fois, je ne crois pas qu'il soit nécessaire à cette fin. Le compromis confédéral en matière d'éducation se trouve dans l'ensemble de l'art. 93 et non dans ses éléments constitutifs pris individuellement. Les droits et privilèges du par. 93(3) ne sont pas garantis dans le même sens que les droits et privilèges du par. 93(1) le sont, c'est‑à‑dire en ce sens que l'assemblée législative qui les a conférés ne peut, par la suite, adopter des lois qui leur portent atteinte. Cependant, ils sont à l'abri de toute contestation fondée sur la Charte en tant que lois adoptées conformément au pouvoir absolu en matière d'éducation que se sont vu accorder les assemblées législatives provinciales dans le cadre du compromis confédéral. Leur protection contre tout examen fondé sur la Charte réside non pas dans la nature garantie des droits et privilèges conférés par des lois, mais bien dans la nature garantie du pouvoir absolu de la province d'adopter ces lois. Ce que la province donne conformément à son pouvoir absolu, elle peut le reprendre sous réserve seulement du droit d'interjeter appel au gouverneur général en conseil. Mais la province est maître dans sa propre maison lorsqu'elle légifère en vertu de son pouvoir absolu en matière d'écoles confessionnelles, séparées ou dissidentes. C'est là l'entente qui a été conclue à la Confédération et à laquelle, à mon avis, l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 n'a rien changé. Comme la Cour d'appel à la majorité l'a conclu aux pp. 575 et 576:

[TRADUCTION] Ces droits en matière d'éducation, accordés expressément aux protestants du Québec et aux catholiques romains de l'Ontario, rendent impossible de traiter tous les Canadiens également. Le pays a été fondé sur la reconnaissance de droits spéciaux ou inégaux en matière d'éducation pour certains groupes religieux précis de l'Ontario et du Québec. L'incorporation de la Charte dans la Loi constitutionnelle de 1982 ne saurait modifier le pacte confédéral initial. Une modification constitutionnelle expresse serait nécessaire à cette fin.

64. Par conséquent, je suis d'avis de conclure que, même si le projet de loi 30 n'est étayé que par le pouvoir absolu de la province et par le par. 93(3), il est à l'abri d'un examen fondé sur la Charte.

5. Dispositif

65. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi, sans dépens dans les circonstances, et de répondre ainsi à la question posée dans le présent renvoi:

Question Le projet de loi 30, la Loi modifiant la Loi sur l'éducation, est‑il incompatible avec les dispositions de la Constitution du Canada, y compris la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l'affirmative, sous quel aspect et à quel égard?

Réponse Non.

Version française des motifs des juges Beetz et Estey rendus par

66. Le juge Estey—J'ai eu l'avantage de prendre connaissance des motifs de ma collègue le juge Wilson or, je dois dire, avec égards, que j'arrive à la même conclusion par une voie différente et plus courte. Pour ce qui est du résultat, je conclus que le projet de loi 30, An Act to amend the Education Act, n'entre pas en conflit avec les dispositions de la Constitution du Canada. Le juge Wilson ayant exposé au long et soigneusement étudié le projet de loi en cause, les circonstances ayant conduit au pourvoi dont la Cour est saisie ainsi que les opinions et l'arrêt de la Cour d'appel, je puis en venir directement aux questions qui doivent être réglées pour statuer sur le pourvoi.

67. La première question à étudier est de savoir si le projet de loi 30 constitue un exercice valide de la compétence provinciale en matière d'éducation, fondée à la fois sur la disposition liminaire de l'art. 93 et sur le par. 93(3) de la Loi constitutionnelle de 1867. Tout comme ma collègue le juge Wilson, je conclus que le projet de loi 30 représente effectivement un exercice valide de cette compétence provinciale. La seule question qui demeure est celle de savoir si l'exercice valide de cette compétence provinciale peut être limité, ou en l'espèce entièrement supprimé, par le jeu de la Charte. Dans les présents motifs, je conclus que la Charte ne saurait jouer de façon à écarter cette compétence provinciale attribuée par la Constitution. Le projet de loi 30 est donc confirmé. Contrairement au juge Wilson, je conclus avec égards qu'il n'est donc pas nécessaire de rechercher comment fonctionne le par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867, de réexaminer la portée des droits que la Loi constitutionnelle de 1867 garantit aux catholiques, ni de revoir l'arrêt rendu à ce sujet par le Conseil privé dans l'affaire Tiny Separate School Trustees v. The King, [1928] A.C. 363. Cet arrêt confirme les conclusions de fait de tous les tribunaux d'instance inférieure, sauf celles de la Cour suprême, et d'ailleurs s'appuie sur elles. Il serait des plus inopportuns et même dangereux que cette Cour, plus d'un demi‑siècle plus tard, révise ou renverse les conclusions de fait du juge Rose en première instance, confirmées par une cour d'appel unanime, sans que le partage égal d'opinions en cette Cour ne les ait perturbées. En Cour suprême, le juge Duff, à la fois ancien étudiant et professeur dans les réseaux scolaires de l'Ontario alors à l'étude, a accepté les conclusions de fait des tribunaux d'instance inférieure. Puisqu'il n'est pas essentiel au règlement de la question en l'espèce, il serait imprudent qu'une cour d'appel, siégeant quelque soixante ans plus tard, réévalue une situation de fait compte tenu particulièrement de l'expérience des membres des cours d'instance inférieure qui devaient se prononcer sur une histoire pour eux quasi‑contemporaine. Pour toutes ces raisons, à mon avis, l'arrêt Tiny, précité, ne devrait pas être réouvert. L'état de l'enseignement donné dans les écoles séparées en 1867 en Ontario n'a donc, à mon avis, aucune importance quand il s'agit de s'assurer de la constitutionnalité du projet de loi 30 en l'espèce.

68. Avant d'en arriver au point principal sur lequel repose le pourvoi, il est nécessaire de procéder à un certain défrichage qui, quoiqu'on ait débattu de tous ses tenants et aboutissants, en vérité, ne sert qu'à cacher l'essentiel.

1. La disposition liminaire de l'art. 93 et le par. 93(3) de la Loi constitutionnelle de 1867

69. Les dispositions pertinentes de la Loi constitutionnelle de 1867 sont les suivantes:

93. Dans chaque province et pour chaque province, la législature pourra exclusivement légiférer sur l'éducation, sous réserve et en conformité des dispositions suivantes:

(1) Rien dans cette législation ne devra préjudicier à un droit ou privilège conféré par la loi, lors de l'Union, à quelque classe particulière de personnes dans la province relativement aux écoles confessionnelles;

...

(3) dans toute province où un système d'écoles séparées ou dissidentes existe en vertu de la loi, lors de l'Union, ou sera subséquemment établi par la législature de la province, il pourra être interjeté appel au gouverneur général en conseil de tout acte ou décision d'une autorité provinciale affectant l'un quelconque des droits ou privilèges de la minorité protestante ou catholique romaine des sujets de la Reine relativement à l'éducation;

(4) au cas où n'aura pas été édictée la loi provinciale que, de temps à autre, le gouverneur général en conseil aura jugée nécessaire pour donner la suite voulue aux dispositions du présent article — ou lorsqu'une décision du gouverneur général en conseil, sur un appel interjeté en vertu du présent article, n'aura pas été dûment mise à exécution par l'autorité provinciale compétente en l'espèce —, le Parlement du Canada, en pareille occurrence et dans la seule mesure où les circonstances de chaque cas l'exigeront, pourra édicter des lois réparatrices pour donner la suite voulue aux dispositions du présent article, ainsi qu'à toute décision rendue par le gouverneur général en conseil sous l'autorité de ce même article.

La disposition liminaire de l'art. 93 confère une compétence législative manifeste à la province, lui octroyant le pouvoir de légiférer sur l'éducation. À ce titre, la disposition liminaire de l'art. 93 est analogue aux diverses attributions de compétences provinciales que l'on retrouve à l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, aussi aurait‑elle fort bien pu être incluse à l'art. 92, avec la responsabilité fédérale prévue au par. 93(3). Ceci aurait donné un alinéa à cet éventuel paragraphe de l'art. 92 de forme très semblable au par. 92(10) (ouvrages et entreprises locaux) qui, lui aussi, reconnaît une compétence fédérale connexe.

70. Le paragraphe 93(3) confère un droit d'appel au gouverneur général en conseil "de tout acte ou décision d'une autorité provinciale" affectant l'un quelconque des droits ou privilèges "de la minorité protestante ou catholique romaine" existant soit: a) à l'époque de la Confédération, ou b) "subséquemment établi par la législature". Le paragraphe (3) prévoit donc qu'après la Confédération la législature peut instaurer un nouveau réseau d'écoles séparées ou agrandir un réseau d'écoles séparées existant. Advenant que ce réseau d'écoles soit par la suite abrogé ou de quelque autre manière modifié par le législateur, il pourrait être interjeté appel au gouverneur général en conseil, outre tout droit d'agir devant les tribunaux pour contester la mesure législative qui préjudicie aux droits garantis par le par. 93(1).

71. Rapproché de la disposition liminaire de l'art. 93, qui confère à la province une compétence générale absolue d'"exclusivement légiférer sur l'éducation", le paragraphe montre clairement que la province peut légiférer comme elle l'entend en matière d'éducation sous deux réserves uniquement: d'abord, toute loi de ce genre ne saurait violer les garanties constitutionnelles minimales que l'on retrouve au par. 93(1) et, ensuite, l'exercice de cette compétence provinciale peut aussi se heurter à une intervention fédérale en vertu du par. 93(4). Cette proposition générale est appuyée tant par l'arrêt Brophy v. Attorney‑General of Manitoba, [1895] A.C. 202, que par l'arrêt Tiny Separate School Trustees v. The King, précité.

72. Quant au par. 93(3), lord Halsbury, lord chancelier, au nom du Conseil privé dit, dans l'arrêt Brophy, précité, à la p. 220:

[TRADUCTION] Il est admis que les par. 93(3) et 93(4) (ce dernier étant, comme on l'a fait remarquer, identique au par. 22(3) de la Loi sur le Manitoba) ne sont pas censés jouer seulement lorsqu'une législature provinciale dépasse la limite qu'impose à ses pouvoirs le par. (1), car le par. (3) prévoit un appel devant le gouverneur général, non seulement lorsqu'un système d'écoles séparées ou dissidentes existait dans une province lors de l'Union, mais aussi lorsqu'un tel système a été "subséquemment établi par la législature de la province". De toute évidence, on y vise une situation créée par des lois adoptées postérieurement à l'Union.

73. Le Conseil privé dans l'arrêt Tiny, précité, a repris l'analyse du par. 93(3), le vicomte Haldane disant aux pp. 369 et 370:

[TRADUCTION] Le paragraphe (3) prévoit que, sans que la législature provinciale ne sorte de sa compétence, des lois pourraient être adoptées qui affectent les droits ou privilèges des minorités religieuses relativement à l'éducation, et il confère un recours d'un genre différent, qui semble, comme on l'a déjà signalé, avoir été conçu après les résolutions de Québec de 1864, mais avant que l'on ne se soit entendu sur le projet de loi de 1867. Quand une loi ou une décision d'une autorité provinciale affectant un droit ou un privilège de la minorité, protestante ou catholique, relativement à l'éducation est contestée, on peut interjeter appel au gouverneur général en conseil, et non aux tribunaux. Bien entendu, si ce qui est contesté l'est pour excès de pouvoir, le droit de s'adresser à un tribunal demeure inchangé, tant pour l'une que pour l'autre des parties. Mais il existe un droit supplémentaire, qui n'est pas fondé sur le principe de l'excès de pouvoir. L'élargissement de ce pouvoir de contester à tout le réseau des écoles séparées ou confessionnelles créé par la loi après la Confédération montre bien qu'il en est ainsi, et par conséquent il ne saurait être confiné aux droits ou privilèges remontant à l'époque de la Confédération.

74. De l'analyse qui précède on peut tirer les conclusions qui suivent. La procédure d'appel établie par le par. 93(3) constitue d'abord et avant tout une forme d'appel politique; il ne s'agit pas du droit légal de contester la constitutionnalité que l'on trouve au par. 93(1). Il est clair qu'aucun droit d'appel n'existe en vertu du par. 93(3) s'il n'y a pas d'abord un "acte ou décision d'une autorité provinciale" qui affecte les droits ou privilèges. Les droits ou privilèges conférés après la Confédération peuvent être protégés par le recours à l'appel politique prévu au par. 93(3); les droits ou privilèges existant au moment de la Confédération peuvent être protégés par le recours à l'appel politique prévu au par. 93(3), soit par une demande en justice fondée sur le par. 93(1). Il y a donc une prémisse fondamentale ou une présomption nécessaire pour les auteurs du par. 93(3): pour qu'il y ait droit d'appel en vertu de ce paragraphe, il faut que la province ait par des lois établi ou élargi, après la Confédération, un réseau d'écoles séparées, puis qu'elle l'ait aboli ou qu'elle ait affecté les droits conférés à la minorité par ces lois.

75. La question ultime que pose le pourvoi est de savoir si le projet de loi 30, qui prévoit le plein financement de l'éducation secondaire des écoles séparées déjà existantes, relève de la compétence provinciale prévue au par. 93(3). La dissidence en Cour d'appel a été d'avis que le par. 93(3) n'élargissait pas les droits ou privilèges garantis par le par. 93(1) et que les termes "subséquemment établi" du par. 93(3) [TRADUCTION] "...visent une province, telle le Manitoba ou Terre‑Neuve, qui aurait établi un réseau d'écoles séparées après la Confédération". S'il en était ainsi, ces termes clés n'auraient aucune application en Ontario. Avec égards, je ne saurais souscrire au raisonnement de la minorité. Il serait à mon avis tout à fait erroné de conclure que les termes "subséquemment établi" du par. 93(3), et donc la procédure d'appel qu'on y trouve, ne s'appliquent qu'aux provinces qui, au moment de l'Union, n'avaient pas de réseau scolaire séparé financé par les fonds publics. Il n'y a aucune raison qui force à interpréter aussi étroitement les termes du par. 93(3). À mon humble avis, le sens ordinaire des termes "subséquemment établi" inclut obligatoirement les droits ou privilèges supplémentaires, tel le plein financement de l'éducation secondaire en Ontario, octroyés après la Confédération en sus des droits et privilèges minimums garantis par le par. 93(1).

76. Je conclus donc que cette compétence législative de la province, postérieure à la Confédération, de légiférer sur l'éducation comporte celle de créer des écoles séparées offrant un enseignement de niveau secondaire. Sans cette souveraineté législative de la province postérieure à la Confédération, le droit d'appel octroyé par le par. 93(3) serait illusoire et absolument inutile dans le futur. Il est aussi important de noter que le par. 93(4) confère une compétence fédérale extraordinaire en matière d'éducation, dans le cas où un appel interjeté en vertu du par. 93(3) trouverait faveur auprès du gouverneur général en conseil. Le Parlement du Canada peut adopter toutes les lois réparatrices nécessaires à l'exécution de toute décision du gouverneur général en conseil répondant à un appel interjeté en vertu du par. 93(3). En vérité la compétence fédérale d'adopter des lois réparatrices en vertu du par. 93(4) ne paraît nullement limitée aux seuls cas où un appel aurait été interjeté au gouverneur général en conseil. Les premiers mots du par. 93(4) prévoient que, si le gouverneur général en conseil est d'avis qu'une loi provinciale est "jugée nécessaire pour donner la suite voulue aux dispositions" de l'art. 93, le Parlement peut adopter une loi réparatrice. Il semblerait, bien qu'il ne soit pas nécessaire d'en décider, que le Parlement peut exercer la compétence réparatrice autant dans l'éventualité d'un appel interjeté au gouverneur général en conseil qu'à l'initiative du gouverneur général en conseil, s'il l'estimait nécessaire. Certains des avocats ont prétendu que le par. 93(4) aurait perdu toute valeur constitutionnelle, n'ayant jamais été utilisé. Quoiqu'il ne soit pas nécessaire de décider si le non‑exercice de cette compétence fédérale en vertu du par. 93(4) l'a fait tomber en désuétude ou l'a atrophiée, la disparition de la compétence fédérale en cette matière ne diminuerait pas, au contraire elle renforcerait, le libre exercice par la province de ce pouvoir, fondé sur la disposition liminaire de l'art. 93 et devenu alors illimité, n'étant restreint que par le par. 93(1), inapplicable en l'espèce. Quoi qu'il en soit, on observera que le par. 93(4) constitue une disposition clé dans le délicat équilibre d'intérêts instauré par l'art. 93 et qu'il s'agit d'une attribution de compétence fédérale tout aussi vitale que celle qu'on trouve à l'art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Par conséquent, il est difficile de voir comment le non‑exercice aurait pu jouer pour l'abroger.

77. Il s'ensuit que, pour donner vie aux par. 93(3) et (4), il est fondamental que la province puisse jouir de la compétence de créer un réseau scolaire séparé ou d'y ajouter. La question qu'il faut donc maintenant examiner est de savoir si la Charte s'applique à l'exercice de cette compétence provinciale.

2. L'application de la Charte des droits

78. Les appelants ont soutenu que le projet de loi 30 viole l'al. 2a) et l'art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, car le projet de loi 30 prévoit le plein financement des écoles secondaires catholiques mais non celui des autres écoles secondaires, confessionnelles ou non, de la province. L'alinéa 2a) et l'art. 15 de la Charte portent:

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:

a) liberté de conscience et de religion;

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Il va de soi (et plusieurs des avocats qui ont comparu devant nous l'ont reconnu) que si la Charte s'applique d'une manière ou d'une autre au projet de loi 30, celui‑ci est discriminatoire et viole les al. 2a) et l'art. 15 de la Charte des droits. Malgré cette conclusion, le conflit véritable en l'espèce est manifestement entre une application de la Charte en son entier et l'intégrité de l'art. 93. En vertu de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, l'art. 93 fait partie de la Constitution du Canada. L'article 93 est une disposition constitutionnelle fondamentale, faisant partie intégrante du régime de partage du pouvoir souverain entre les deux autorités absolues créées à la Confédération. L'importance de cette disposition est encore soulignée par son existence séparée hors du catalogue de compétences que sont les art. 91 et 92.

79. Si l'on considère l'art. 93 comme une attribution de compétence à la province, analogue aux attributions que l'on trouve à l'art. 92, il devient évident que son objet est de conférer à la province la compétence pour légiférer d'une manière à première vue sélective et en opérant des distinctions dans le domaine de l'éducation, que certaines portions de la société considèrent ou non le résultat comme discriminatoire. En ce sens, l'art. 93 est l'équivalent provincial du par. 91(24) (les Indiens et les terres réservées aux Indiens) qui autorise le Parlement du Canada à légiférer au profit de la population indienne selon un mode préférentiel, discriminatoire ou distinctif, par rapport aux autres.

80. Le rôle de la Charte n'est pas conçu dans notre philosophie du droit comme opérant automatiquement l'abrogation de dispositions de la Constitution du Canada, laquelle inclut tous les documents énumérés à l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Une action fondée sur la Loi constitutionnelle de 1867 est bien entendu assujettie au contrôle de la Charte. C'est là une chose fort différente que de dire qu'une compétence législative expresse, existant avant avril 1982, a été entièrement supprimée par la simple arrivée de la Charte. C'est une chose de contrôler et, lorsque cela s'impose, de restreindre l'exercice d'un pouvoir de légiférer; c'en est une toute autre que de dire qu'une compétence législative entière a été supprimée de la Constitution par l'introduction de ce pouvoir judiciaire de contrôle. Le pouvoir de créer un réseau d'écoles séparées catholiques ou de l'agrandir, qu'on trouve au par. 93(3), prévoit expressément que la province peut légiférer relativement à un système scolaire reposant sur la religion financé à même le trésor public. Certes, on a voulu que la Charte limite l'exercice des compétences législatives conférées par la Loi constitutionnelle de 1867, lorsqu'il est porté atteinte aux droits y énoncés des individus composant la société; mais elle ne saurait être interprétée comme rendant ipso facto inconstitutionnelles les distinctions expressément autorisées par la Loi constitutionnelle de 1867.

81. Je suis donc d'avis de conclure que le par. 93(3) constitue effectivement une reconnaissance de la compétence législative conférée par la disposition liminaire de l'art. 93, qui survit à l'application du par. 93(1). Le reste de la Constitution ne saurait toucher à cette compétence législative de la province au point de l'abroger. On ne saurait avoir recours à la Charte pour désavouer la mise en oeuvre du par. 93(1) ou de lois protégeant les droits garantis par le par. 93(1) ou encore de lois prévues au par. 93(3).

82. Cette conclusion, que le projet de loi 30 est valide parce qu'il est fondé sur l'exercice de la compétence provinciale conférée par l'art. 93, exercice que la Charte ne saurait abolir ni supprimer, suffit pour trancher le pourvoi. Néanmoins, comme on a longuement débattu devant nous de l'application de l'art. 29 de la Charte, il y aurait peut‑être avantage à faire certaines observations en réponse à ces arguments. L'interprétation de l'art. 29 a aussi été déterminante pour la majorité de la Cour d'appel de l'Ontario quand elle a conclu que le projet de loi 30 échappe au contrôle de la Charte. L'article 29 est ainsi conçu:

29. Les dispositions de la présente charte ne portent pas atteinte aux droits ou privilèges garantis en vertu de la Constitution du Canada concernant les écoles séparées et autres écoles confessionnelles.

83. Les intimés ont prétendu que les "droits ou privilèges" qui échappent au contrôle de la Charte en vertu de l'art. 29, comprennent les droits et privilèges octroyés par l'adoption du projet de loi 30 lui‑même. L'article 29 est donc interprété comme s'appliquant à la législation adoptée après la Confédération parce que cette législation doit être considérée, aux termes de l'art. 29, comme une garantie accordée "en vertu de la Constitution", protégeant les droits ou privilèges des écoles séparées.

84. On peut adopter des démarches différentes pour examiner le texte ambigu de l'art. 29. La majorité des juges d'instance inférieure ont choisi de s'intéresser aux termes "or under" dans la version anglaise de l'art. 29, pour conclure qu'on a voulu par là viser des garanties supplémentaires à celles octroyées expressément par la Constitution elle‑même. Les termes "under the Constitution" de la version anglaise, a‑t‑on dit, devraient inclure les droits ou privilèges conférés par les lois adoptées en vertu de l'autorité de la Constitution. La majorité a jugé que cette interprétation était appuyée par la version française de l'art. 29, qui n'emploie que l'expression "en vertu de" en lieu et place de l'expression anglaise "by or under". En outre, l'intimé en l'espèce a soutenu qu'une interprétation de l'art. 29 qui restreindrait la garantie qu'elle contient aux seuls droits expressément conférés par la Constitution rendrait l'art. 29 inutile, puisque la Charte ne saurait jouer de façon à supprimer des droits expressément octroyés ailleurs dans la Constitution.

85. Cette interprétation de l'art. 29 n'a pas convaincu la minorité en Cour d'appel; celle‑ci a choisi plutôt de s'intéresser au terme "garantis" figurant à l'art. 29. Pour recevoir la protection de l'art. 29, les droits qui y sont mentionnés doivent être constitutionnellement garantis; or une garantie constitutionnelle ne s'attache pas aux droits et privilèges conférés par une loi provinciale ordinaire. La minorité a aussi dit s'inquiéter d'une interprétation de l'art. 29 qui protégerait toutes les lois relatives aux écoles séparées contre le contrôle en vertu la Charte, car cela aurait aussi pour effet de transformer ces privilèges additionnels conférés aux écoles séparées en garanties en vertu de la Constitution, qui échapperaient ainsi définitivement à toute abrogation ou modification législative.

86. J'ai conclu, avec égards pour ceux qui ont conclu autrement, qu'il n'est pas nécessaire d'élucider le sens des termes "by" ou "under" de la version anglaise, parce que le terme dominant de l'art. 29 est le mot "garantis". Les lois ne peuvent, de par leur nature même, rien garantir, susceptibles comme elles sont d'être abrogées par voie législative. Comme les droits octroyés par le projet de loi 30 ne sont pas "garantis" en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 (arrêt Tiny, précité, à la p. 387), l'art. 29 ne saurait jouer de façon à protéger ces droits. J'adopterais donc le raisonnement de la minorité de la Cour d'appel pour ce qui est de l'interprétation à donner à l'art. 29 de la Charte. Je répète néanmoins que le projet de loi 30 ne saurait être annulé par la Charte, puisqu'il constitue un exercice valide d'une compétence législative expresse, attribuée par l'art. 93; le projet de loi 30 n'a pas besoin de la protection de l'art. 29 pour être confirmé.

Conclusion

87. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de répondre par la négative à la question posée par le renvoi.

Version française des motifs rendus par

88. Le juge Lamer—J'ai eu l'avantage de lire les motifs du juge Wilson et du juge Estey. Je suis d'accord avec eux pour rejeter ce pourvoi. Toutefois, je rejetterais le pourvoi en adoptant le raisonnement du juge Wilson sur la seule base de la disposition liminaire de l'art. 93 et du par. 93(3) de la Loi constitutionnelle de 1867. Je partage aussi l'avis du juge Wilson quant à l'effet de la Charte canadienne des droits et libertés sur l'art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867.

89. Vu ma position sur ce premier point, il est inutile que je me prononce sur l'interprétation du par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867 et sur l'affaire Tiny Separate School Trustees v. The King, [1928] A.C. 363.

90. Je rejetterais donc l'appel et je répondrais au renvoi par la négative.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de The Metropolitan Toronto Board of Education: McCarthy & McCarthy, Toronto.

Procureurs de l'Ontario Alliance of Christian Schools: Blake, Cassels & Graydon, Toronto.

Procureurs de The Waterloo County Board of Education: Kelly & Morley, Kitchener.

Procureurs de la Coalition for Public Education Ontario Inc.: Weir & Foulds, Toronto.

Procureurs de l'Ontario Secondary School Teachers' Federation: Golden, Green & Starkman, Toronto.

Procureurs de l'Ontario Association of Alternative and Independent Schools: Tory, Tory, DesLauriers & Binnington, Toronto.

Procureurs de The Board of Education for the City of London: Pensa & Associates, London.

Procureurs de l'Association canadienne des libertés civiles: McMillan, Binch, Toronto.

Procureurs du Congrès juif canadien: Davies, Ward & Beck, Toronto.

Procureurs de la Loyal Orange Association in Ontario: Fraser & Beatty, Toronto.

Procureurs du Peel Board of Education: Pallett, Valo, Barsky & Yolles, Mississauga.

Procureurs de la Federation of Women Teachers' Associations of Ontario: Fraser & Beatty, Toronto.

Révérend William D. F. Morris et Mary Elizabeth Morris, comparaissant pour leur propre compte.

Gregory Vezina, comparaissant pour son propre compte.

Nina Gertrude Stannard, comparaissant pour son propre compte.

Procureur du procureur général de l'Ontario: Procureur général de l'Ontario, Toronto.

Procureurs de l'Ontario Separate School Trustees' Association, et autres: Campbell, Godfrey & Lewtas, Toronto.

Procureurs du Metropolitan Separate School Board et Dufferin‑Peel Roman Catholic Separate School Board: Day, Wilson & Campbell, Toronto.

Procureurs du Hastings‑Prince Edward County Roman Catholic Separate School Board: Stikeman, Elliott, Toronto.

Procureurs du Frontenac‑Lennox and Addington Roman Catholic Separate School Board: Cassels, Brock & Blackwell, Toronto.

Procureurs du Carleton Roman Catholic Separate School Board: Beament, Green, York, Ottawa.

Procureurs de l'Ontario English Catholic Teachers' Association: Cavalluzzo, Hayes & Lennon, Toronto.

Procureurs de l'Association française des conseils scolaires de l'Ontario: Cassels, Brock & Blackwell, Toronto.

Procureurs de The Quebec Association of Protestant School Boards: Colin K. Irving, Ottawa, et Allan R. Hilton, Montréal.

Procureur du procureur général de l'Alberta: Procureur général de l'Alberta, Edmonton.

Procureur du procureur général du Québec: Procureur général du Ste‑Foy.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté et la question soumise dans le renvoi reçoit une réponse négative

Analyses

Droit constitutionnel - Partage des compétences - éducation - Projet de loi 30 prévoyant le financement complet des écoles catholiques de niveau secondaire - Le projet de loi 30 constitue‑t‑il un exercice valide du pouvoir conféré par la disposition liminaire de l'art. 93 et par l'art. 93(3)? - Le projet de loi 30 constitue‑t‑il un exercice valide du pouvoir provincial parce qu'il rétablit des droits constitutionnels garantis par l'art. 93(1)? - Loi constitutionnelle de 1867, art. 93, 93(3).

Droit constitutionnel - Charte des droits - Droits à l'égalité - Protection contre la discrimination fondée sur la religion - Projet de loi 30 prévoyant le financement complet des écoles catholiques de niveau secondaire - Le projet de loi est‑il assujetti à un contrôle fondé sur la Charte? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 2a), 15, 29 - Loi constitutionnelle de 1982, art. 52.

Ce pourvoi attaque l'arrêt rendu par la Cour d'appel de l'Ontario sur une question que lui a soumise le gouvernement de l'Ontario. La question est ainsi formulée:

Le projet de loi 30, An Act to amend the Education Act, est‑il incompatible avec les dispositions de la Constitution du Canada, y compris la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l'affirmative, sous quel aspect et à quel égard?

Le procureur général de l'Ontario a été chargé de procéder au renvoi et plusieurs parties ont reçu de la Cour d'appel l'autorisation d'intervenir. La Cour d'appel à la majorité a répondu par la négative à la question soumise dans le cadre du renvoi.

Le projet de loi a pour but la mise en oeuvre d'une politique de financement complet des écoles séparées catholiques de niveau secondaire en Ontario. Le projet de loi autorise un conseil d'écoles séparées à choisir par règlement administratif, avec l'approbation du ministre, d'accomplir les fonctions d'un conseil d'écoles secondaires et de devenir ainsi un "conseil d'écoles catholiques". Il a dès lors le droit de recevoir une part des subventions générales aux fins des écoles secondaires. Les contribuables des écoles séparées, dans un secteur où un conseil d'écoles catholiques exerce sa compétence, sont exemptés du versement de cotisations ou d'impôts aux fins des écoles secondaires. Chaque conseil public de l'éducation a l'obligation de dresser une liste des enseignants et des autres employés dont les services ne seront plus nécessaires en raison des effets du projet de loi et, au cours des dix ans qui suivent son choix, le conseil d'écoles catholiques doit pourvoir aux postes d'enseignants vacants en offrant des emplois aux personnes sur cette liste qui possèdent les compétences voulues. D'autres dispositions portent sur les fonctions de la Commission de planification et de mise en oeuvre établie par le projet de loi et sur le transfert du droit d'usage ou du droit de propriété sur les biens meubles et immeubles entre conseils d'écoles publiques et conseils d'écoles catholiques, ce qui n'est pas au centre des questions constitutionnelles en l'espèce.

Le projet de loi 30 a été adopté après la décision de la Cour d'appel. En réponse à une demande de directives, cette Cour a conclu que, compte tenu de la complexité et de l'importance des dispositions ajoutées au projet de loi 30 postérieurement au renvoi devant la Cour d'appel, elle n'examinerait que la constitutionnalité du projet de loi 30 tel qu'il était lorsqu'il a été soumis à la Cour d'appel de l'Ontario et non pas sur la constitutionnalité de la Loi actuellement en vigueur en Ontario.

Le seul point litigieux est de savoir si le projet de loi 30 est compatible avec la Constitution du Canada. Trois questions distinctes doivent être examinées en l'espèce. En premier lieu, le projet de loi 30 constitue‑t‑il un exercice valide du pouvoir provincial sur l'éducation, conféré par la disposition liminaire de l'art. 93 et par le par. 93(3) de la Loi constitutionnelle de 1867? Deuxièmement, le projet de loi 30 constitue‑t‑il un exercice valide du pouvoir provincial dans la mesure où il rend aux contribuables des écoles séparées catholiques les droits que leur reconnaît le par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867? On a demandé à la Cour de trancher ce point indépendamment de sa réponse à la première question, afin d'obvier à toute controverse future au sujet des droits et privilèges des contribuables des écoles séparées catholiques de l'Ontario. La dernière question à examiner dans l'hypothèse d'une réponse affirmative à l'une ou l'autre question susmentionnée ou aux deux est de savoir si la Loi constitutionnelle de 1982 et, en particulier, la Charte, s'appliquent au projet de loi 30 et, si oui, dans quelle mesure et avec quel effet.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté et la question soumise dans le renvoi reçoit une réponse négative.

Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre, Wilson et La Forest: Le projet de loi 30 constitue un exercice valide du pouvoir provincial d'ajouter aux droits et privilèges des contribuables des écoles séparées catholiques en vertu de l'effet combiné de la disposition liminaire de l'art. 93 et du par. 93(3) de la Loi constitutionnelle de 1867. La jurisprudence appuie cette interprétation du par. 93(3). Le but de l'art. 93 et son histoire étayent cette interprétation. La protection des droits religieux des minorités constituait une préoccupation majeure lors des négociations qui ont abouti à la Confédération. L'élément fondamental de la Confédération en matière d'éducation était que les droits et privilèges déjà conférés par la loi au moment de la Confédération seraient sauvegardés et que les législatures provinciales pourraient en accorder d'autres au fur et à mesure que les conditions changeaient.

Le projet de loi 30 est également un exercice valide du pouvoir provincial de rendre aux écoles séparées les droits constitutionnellement garantis par le par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867. Les contribuables des écoles séparées catholiques jouissaient en vertu de la loi, à l'époque de la Confédération, d'un droit ou privilège, pour ce qui était de voir leurs enfants recevoir une éducation appropriée qui pouvait inclure un enseignement de niveau secondaire. La loi Scott attribuait aux syndics des écoles séparées les mêmes pouvoirs et obligations qu'aux syndics des écoles communes. L'exercice de ces droits n'était pas une simple pratique tolérée par les autorités responsables de l'éducation. Pour que ce droit ait un sens, il fallait une affectation de fonds adéquate et la loi Scott accordait un financement proportionnel.

Même si le projet de loi 30 ne pouvait être justifié qu'en vertu du pouvoir absolu de la province et du par. 93(3), il échappe au contrôle fondé sur la Charte. Les droits ou privilèges conférés après la Confédération par des lois visées au par. 93(3) ne sont pas "garantis" au sens de l'art. 29 de la même manière que les droits ou privilèges visés au par. 93(1). Il ressort de la formulation du par. 93(3) que les lois adoptées après la Confédération, mentionnées dans ce paragraphe, peuvent être subséquemment modifiées ou abrogées par l'assemblée législative qui les a adoptées, d'une façon qui modifie les droits ou privilèges qu'elle avait d'abord accordés. On ne peut, par contre, porter atteinte aux droits ou privilèges protégés par le par. 93(1). Ils sont toutefois à l'abri d'un contrôle fondé sur de la Charte même sans recourir à l'art. 29, car l'ensemble de l'art. 93 représente un compromis confédéral fondamental relativement aux écoles confessionnelles. Les droits et privilèges visés au par. 93(3) ne sont pas garantis dans le sens que l'assemblée législative qui les a conférés ne peut, par la suite, adopter des lois qui leur portent atteinte; ils sont plutôt à l'abri des contestations fondées sur la Charte en tant que lois adoptées conformément au pouvoir absolu en matière d'éducation. La protection contre le contrôle fondé sur la Charte dans le cas du par. 93(3) ne se trouve pas dans la nature garantie des droits et privilèges conférés aux écoles confessionnelles par des lois mais dans la nature garantie du pouvoir absolu de la province d'adopter ces lois. Le compromis confédéral en matière d'éducation n'est pas changé par la Loi constitutionnelle de 1982.

Les juges Beetz et Estey: Le projet de loi 30 constitue un exercice valide de la compétence provinciale en matière d'éducation, fondée sur la disposition liminaire de l'art. 93 et sur le par. 93(3) de la Loi constitutionnelle de 1867. L'exercice valide de cette compétence provinciale ne peut être limité ou supprimé par le jeu de la Charte. Il n'est donc pas nécessaire de rechercher comment opère le par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867.

La province peut légiférer comme elle l'entend en matière d'éducation sous deux réserves. D'abord, aucune loi de ce genre ne saurait violer les garanties constitutionnelles minimales énoncées au par. 93(1) et, en second lieu, l'exercice de cette compétence provinciale peut aussi se heurter à une intervention fédérale en vertu du par. 93(4).

La procédure d'appel établie par le par. 93(3) constitue d'abord et avant tout une forme d'appel politique tout à fait distincte du droit légal de contester la constitutionnalité, que l'on trouve au par. 93(1). Aucun droit d'appel n'existe en vertu du par. 93(3) s'il n'y a pas d'abord un "acte ou décision d'une autorité provinciale" qui porte atteinte aux droits ou privilèges. Par contre, les droits ou privilèges conférés après la Confédération peuvent être protégés grâce au recours à l'appel politique prévu au par. 93(3), tandis que les droits ou privilèges existant au moment de la Confédération peuvent être protégés soit par la procédure d'appel politique prévue au par. 93(3), soit par une demande en justice fondée sur le par. 93(1). Le paragraphe 93(3) est fondé sur la prémisse fondamentale qu'il faut, pour qu'il y ait un droit d'appel, que la province ait, par des lois, établi ou élargi, après la Confédération, un réseau d'écoles séparées, puis qu'elle l'ait aboli ou qu'elle ait porté atteinte aux droits conférés à la minorité par ces lois.

Le conflit véritable en l'espèce est manifestement entre l'application de la Charte dans son entier et l'intégrité de l'art. 93. L'article 93 est une disposition constitutionnelle fondamentale, faisant partie intégrante du régime de partage du pouvoir souverain entre les deux autorités absolues créées à la Confédération. L'article 93 est une attribution de compétence qui confère à la province le pouvoir de légiférer d'une manière à première vue sélective et en opérant des distinctions dans le domaine de l'éducation, que certains segments de la société considèrent ou non le résultat comme discriminatoire.

La Charte ne peut pas prévoir l'abrogation automatique de dispositions de la Constitution du Canada. Bien qu'on ait voulu que la Charte limite l'exercice des compétences législatives conférées par la Loi constitutionnelle de 1867, lorsqu'il est porté préjudice aux droits, y énoncés, des individus composant la société, elle ne saurait être interprétée comme rendant inconstitutionnelles des distinctions expressément autorisées par la Loi constitutionnelle de 1867. On ne saurait avoir recours à la Charte pour désavouer la mise en oeuvre du par. 93(1) ou des lois protégeant les droits consacrés par le par. 93(1), ou encore des lois prévues au par. 93(3).

L'article 29 ne saurait jouer de façon à protéger les droits conférés par le projet de loi 30. Pour recevoir la protection de l'art. 29, les droits qui y sont mentionnés doivent être garantis constitutionnellement. Une garantie constitutionnelle ne s'attache pas aux droits ou privilèges conférés par une loi provinciale ordinaire, car ces droits et privilèges sont susceptibles d'être abrogés par voie législative. Comme le terme dominant de l'art. 29 est le terme "garantis", il n'est pas nécessaire d'élucider le sens des termes "by" ou "under" de la version anglaise de cet article.

Le juge Lamer: Le pourvoi doit être rejeté sur le seul fondement de la disposition liminaire de l'art. 93 et du par. 93(3) de la Loi constitutionnelle de 1867. Il convient d'adopter les motifs du juge Wilson tant à cet égard qu'à l'égard de l'effet de la Charte.


Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Wilson
Arrêts examinés: Brophy v. Attorney‑General of Manitoba, [1895] A.C. 202
City of Winnipeg v. Barrett, [1892] A.C. 445
arrêt non suivi: Tiny Separate School Trustees v. The King, [1928] A.C. 363, confirmant [1927] R.C.S. 637, confirmant (1926), 60 O.L.R. 15, confirmant (1926), 59 O.L.R. 96
distinction d'avec l'arrêt: Société des Acadiens c. Association of Parents for Fairness in Education, [1986] 1 R.C.S. 549
arrêts mentionnés: Reference Re Adoption Act, [1938] R.C.S. 398
Ottawa Separate School Trustees v. City of Ottawa (1915), 34 O.L.R. 624
Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] A.C. 997
Oakwood Development Ltd. c. Municipalité rurale de St. François Xavier, [1985] 2 R.C.S. 164
Galloway v. City of London (1866), L.R. 1 H.L. 34
Procureur général du Québec c. Greater Hull School Board, [1984] 2 R.C.S. 575.
Citée par le juge Estey
Arrêts mentionnés: Tiny Separate School Trustees v. The King, [1928] A.C. 363
Brophy v. Attorney‑ General of Manitoba, [1895] A.C. 202.
Citée par le juge Lamer
Arrêt mentionné: Tiny Separate School Trustees v. The King, [1928] A.C. 363.
Lois et règlements cités
Act granting to His Majesty a sum of money, to be applied to the use of common schools throughout this province and to provide for the regulations of said common schools (Common Schools Act), 56 Geo. 3, chap. 36, art. 1, 2, 3, 5, 6, 8, 13.
Act respecting Common Schools in Upper Canada (Common Schools Act), C.S.U.C. 1859, chap. 64, art. 27(7),(8),(16),(18),(23)(4), 79(9),(15),(17),(18), 82(1), 119(5), 120, 121, 122, 123, 124, 125.
Act respecting Separate Schools (Separate Schools Act), C.S.U.C. 1859, chap. 65, art. 2, 3, 4, 5, 6, 7, 9, 14, 20, 24, 26, 33.
Act to establish Public Schools in each and every District of this Province (Public Schools Act), 47 Geo. 3, chap. 6, art. 2, 4, 5.
Act to provide for the advancement of Education in this Province, 2 Vict., chap. 10.
Acte pour abroger certains Actes y mentionnés, et pourvoir plus amplement à l'établissement et au maintien des écoles Publiques en cette Province (Acte concernant les écoles publiques), 4 & 5 Vict., chap. 18, art. 7(4), 11.
Acte pour amender la loi concernant les écoles de Grammaire du Haut‑Canada (Loi sur les écoles de Grammaire (H. C.)), 16 Vict, chap. 186, art. 5, 11(4).
Acte pour l'établissement et soutien des écoles Communes dans le Haut‑Canada (Acte d'établissement des écoles Communes), 7 Vict., chap. 29.
Acte pour perfectionner davantage les écoles de grammaire dans le Haut‑Canada (Acte concernant les écoles de grammaire), 29 Vict., chap. 23.
Acte pour réintégrer les catholiques romains du Haut‑Canada dans l'exercice de certains droits concernant les écoles séparées (Acte concernant les écoles séparées (loi Scott)), 26 Vict., chap. 5, art. 7, 20.
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2(a), 15, 15(1), 29.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91, 91(24), 92, 92(10), 93(1),(2),(3),(4).
Loi constitutionnelle de 1982, art. 52.
Loi de 1870 sur le Manitoba, S.R.C. 1970, app., art. 22, 22(2).
Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires, L.O. 1984, chap. 11, art. 19, 19(7).
Loi modifiant la Loi sur l'éducation, L.O. 1986, chap. 21.
Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, chap. S‑19, art. 37, 50.
Loi sur l'éducation, L.R.O. 1980, chap. 129.
Public Schools Act, S.M. 1890, chap. 38.
Doctrine citée
Canada. Débats de la Chambre des communes, 6e sess., 7e Parlement, 59 Vict. 1896, col. 2395, aux col. 2399 et 2400, le 3 mars 1896.
Canada. Procès‑verbaux et témoignages du Comité conjoint mixte spécial sur Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada, 1980‑1981.
United Kingdom. House of Lords. Parliamentary Debates, 3rd. ser., vol. 185, col. 557, at p. 565, February 19, 1867.

Proposition de citation de la décision: Renvoi relatif au projet de Loi 30, An Act to Amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148 (25 juin 1987)


Origine de la décision
Date de la décision : 25/06/1987
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1987] 1 R.C.S. 1148 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1987-06-25;.1987..1.r.c.s..1148 ?
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