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04/06/1987 | CANADA | N°[1987]_1_R.C.S._782

Canada | R. c. Bulmer, [1987] 1 R.C.S. 782 (4 juin 1987)


R. c. Bulmer, [1987] 1 R.C.S. 782

Daniel Robert Laybourn, Edwin Hanson Bulmer et Richard Ray Illingworth Appelants

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

répertorié: r. c. bulmer

Nos du greffe: 18221, 18222, 18251.

1986: 7 février; 1987: 4 juin.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre, Chouinard*, Lamer, Wilson, Le Dain et La Forest.

*Le juge Chouinard n'a pas pris part au jugement.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique

(1983), 10 C.C.C. (3d) 256, qui a rejeté les appels des appelants contre deux déclarations de culpabilité de viol et u...

R. c. Bulmer, [1987] 1 R.C.S. 782

Daniel Robert Laybourn, Edwin Hanson Bulmer et Richard Ray Illingworth Appelants

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

répertorié: r. c. bulmer

Nos du greffe: 18221, 18222, 18251.

1986: 7 février; 1987: 4 juin.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre, Chouinard*, Lamer, Wilson, Le Dain et La Forest.

*Le juge Chouinard n'a pas pris part au jugement.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1983), 10 C.C.C. (3d) 256, qui a rejeté les appels des appelants contre deux déclarations de culpabilité de viol et une d'attentat à la pudeur. Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné.

Howard Rubin et Kenneth S. Westlake, pour les appelants.

C. A. Ryan, pour l'intimée.

Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges McIntyre, Wilson, Le Dain et La Forest rendu par

1. Le juge McIntyre—L'espèce porte sur un pourvoi contre deux déclarations de culpabilité de viol et une d'attentat à la pudeur. Deux questions sont soulevées. La première est de savoir si d'après les faits de l'espèce, la défense d'erreur de fait aurait dû être présentée au jury et la seconde est de savoir si l'exposé au jury sur la question était approprié.

2. La plaignante était une prostituée. Tard dans la soirée du 13 juillet 1980, les trois appelants se trouvaient ensemble dans la chambre d'hôtel de l'appelant Bulmer. Laybourn est sorti et a ramassé la plaignante dans la rue. Selon cette dernière, ils ont discuté d'actes sexuels et de prix et en sont venus à une entente. Elle a accepté de fournir ses services pour quatre‑vingts dollars. Ils sont revenus à la chambre de Bulmer et en entrant ils ont découvert les deux autres. La plaignante s'est opposée à leur présence et ils sont partis. Avant de quitter la chambre, Illingworth a cherché à obtenir les faveurs de la plaignante. Elle a donné son prix et lui a dit de revenir dans vingt minutes. Lorsqu'ils sont partis, Laybourn lui a donné quatre‑vingts dollars. Quelques minutes plus tard les deux autres sont revenus dans la chambre et Bulmer, en apprenant que Laybourn avait payé quatre‑vingts dollars, a dit que la plaignante ne valait pas cette somme. Il lui a dit de rendre l'argent, ce qu'elle a fait. Elle avait peur et Illingworth lui a dit qu'elle devrait s'exécuter sans être payée. Elle a alors accompli divers actes sexuels avec les trois appelants, affirmant qu'elle l'avait fait seulement parce qu'elle avait peur. Elle a nié avoir donné son consentement. Les policiers sont arrivés à la chambre quelque temps plus tard et elle est partie avec eux en se plaignant de viol. Elle a dit qu'il n'y avait pas eu de violence physique autre que les divers actes sexuels et qu'elle n'avait reçu aucun paiement.

3. Laybourn et Illingworth ont témoigné. Bulmer ne l'a pas fait. Laybourn a confirmé la version de la plaignante en ce qui a trait au départ et au retour hâtif d'Illingworth et Bulmer. Donc, selon son témoignage, il y a eu une discussion. La plaignante exigeait soixante dollars de chacun. Ils ont dit qu'ils lui paieraient vingt dollars chacun. Laybourn lui a dit qu'elle pouvait le prendre ou s'en aller. Elle semblait nerveuse mais n'est pas partie. Elle a alors demandé si elle pourrait s'en aller lorsqu'elle aurait fini avec eux et il a répondu qu'elle pouvait s'en aller tout de suite si elle le voulait. Elle a accepté un prix de vingt dollars de chaque homme et divers actes sexuels ont été exécutés, y compris des rapports sexuels. Aucune menace n'a été proférée. D'une manière générale, le témoignage d'Illingworth a appuyé celui de Laybourn.

4. Un nommé Jones qui occupait la chambre voisine a également témoigné sur ce qui s'est passé dans la chambre d'hôtel. D'après les conversations qu'il a entendues, il avait conclu que la femme était une prostituée. Il a entendu Bulmer et Illingworth s'en aller, passer dans le couloir et revenir. Il a entendu la femme se plaindre de la présence des deux hommes dans la chambre et il a entendu une conversation, y compris une voix masculine qui disait, [TRADUCTION] "tu fais un dur métier bébé et tu devrais t'y habituer". Tout d'abord sa voix semblait normale mais avec le temps elle a pris un ton plaignard et câlin. Il y a eu une discussion au sujet du prix, la femme disait qu'elle voulait soixante dollars de chacun et une voix masculine disait qu'ils lui paieraient vingt dollars.

5. Au procès, les appelants ont adopté la position selon laquelle la plaignante avait consenti aux actes. L'avocat a fait valoir l'argument subsidiaire que Laybourn avait cru sincèrement mais à tort qu'elle avait consenti. Le juge du procès a présenté le moyen de défense au jury et lui a dit que tous les trois pouvaient invoquer ce moyen. Le jury a rendu des verdicts de culpabilité de viol contre Laybourn et Illingworth. Bulmer a été acquitté du viol, mais déclaré coupable d'attentat à la pudeur. L'appel à la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a été rejeté, le juge Lambert étant dissident: (1983), 10 C.C.C. (3d) 256. Le pourvoi est interjeté aux termes de l'al. 618(1)a) du Code criminel, sur le fondement de la dissidence.

6. En Cour d'appel composée des juges Taggart, Craig et Lambert, le juge Taggart a exprimé l'avis que le juge du procès a eu raison de présenter au jury la défense d'erreur de fait. Il a considéré que le jury n'avait pas été trompé par l'exposé, que les directives du juge du procès n'avaient pas laissé au jury l'impression que les appelants étaient tenus de démontrer que leur croyance erronée au consentement était raisonnable. Le juge Craig a considéré que la défense d'erreur de fait n'aurait pas dû être présentée au jury. Selon lui, dans cette affaire, la question portait sur le consentement ou l'absence de consentement et rien dans la preuve ne permettait d'appuyer une défense de croyance sincère mais erronée au consentement. Toutefois, il a convenu avec le juge Taggart que, pris dans son ensemble, l'exposé du juge du procès au jury était adéquat.

7. Le juge Lambert dans sa dissidence a été d'avis que dans les circonstances de cette affaire le juge était tenu de présenter la défense d'erreur de fait au jury. Toutefois, il a considéré que la défense avait été présentée de manière incorrecte. La dissidence est inscrite dans la minute de l'ordonnance de la Cour d'appel de la manière suivante:

[TRADUCTION] 1. QUE le juge du procès a commis une erreur en disant au jury que la défense de croyance sincère mais erronée au consentement exigeait que quelque chose de plus qu'une croyance réelle au consentement soit présent dans l'esprit des accusés, et en disant au jury qu'il doit avoir un élément de preuve objectif dont on peut déduire que la plaignante pourrait avoir consenti.

2. QUE le juge du procès a commis une erreur en donnant au jury, l'impression qu'il doit y avoir des motifs raisonnables à l'appui de la défense de croyance sincère mais erronée au consentement.

8. Les appelants ont soulevé trois moyens d'appels dans un mémoire révisé qui a été déposé pour le compte des trois. La première question soulevée allègue une erreur de la part du juge du procès sur le même fondement que celui qui est mentionné dans le premier motif de la dissidence du juge Lambert. Les deux autres moyens ont soulevé des points qui n'ont pas été traités devant les tribunaux d'instance inférieure et qui ont nécessité l'autorisation de cette Cour. Ils ont été exprimés dans le mémoire de la manière suivante:

[TRADUCTION] 2. Le juge du procès n'était pas compétent pour entendre un procès conjoint contre les requérants car le ministère public avait procédé séparément contre chacun d'eux.

3. Le juge du procès a commis une erreur de droit en entamant le procès contre les requérants en donnant des directives au jury selon lesquelles ils avaient agi conjointement et en outre en ne disant pas au jury que les actes et les paroles de chacun d'eux rapportés dans la preuve des faits ne pouvaient pas être utilisés contre chacun des autres.

Une demande d'autorisation de pourvoi à l'égard des deux moyens a été refusée. La Cour n'a pas jugé nécessaire d'entendre l'avocat du ministère public sur cette demande. Le pourvoi porte donc sur la question de l'erreur de fait, car les appelants soutiennent que le juge du procès a commis une erreur en expliquant au jury que la défense exigeait des éléments de preuve objectifs, outre le témoignage des accusés, à l'appui de la proposition que la plaignante avait pu donner son consentement. Le ministère public a soutenu que si la défense était permise vu la preuve, alors l'exposé du juge était adéquat et n'a pas embrouillé le jury.

Le droit en général

9. La défense d'erreur de fait existe depuis longtemps en droit et Blackstone l'a mentionnée comme un principe établi dans ses Commentaries on the Laws of England, dans la dernière partie du dix‑huitième siècle. À la page 25 du vol. 4 des Commentaries (Beacon Press, Boston, 1962), le paragraphe suivant se trouve sous la note marginale "Ignorance ou erreur":

[TRADUCTION] Cinquièmement; l'ignorance ou l'erreur est un autre défaut de la volonté; lorsqu'un homme qui a l'intention d'accomplir un acte légal accompli un acte illégal. Car dans ce cas‑là l'acte et la volonté agissent de manière distincte, il n'existe pas de conjonction entre les deux, ce qui est nécessaire pour constituer un acte criminel. Toutefois, cela doit être une ignorance ou une erreur de fait et non une erreur sur un point de droit. Si un homme qui a l'intention de tuer un voleur ou un cambrioleur dans sa propre maison, "dans des circonstances qui justifieraient cet acte" tue par erreur un membre de sa propre famille, il ne s'agit pas d'un acte criminel; toutefois si un homme croit qu'il a le droit de tuer une personne excommuniée ou hors‑la‑loi, où qu'il la rencontre, et le fait, il s'agit d'un meurtre prémédité. Toutefois, une erreur sur un point de droit, que toute personne censée non seulement peut mais doit connaître et est présumée connaître, ne constitue pas une défense dans une affaire criminelle. De même Ignorantia juris, quod quisque tenetur scire, neminem excusat, constitue la maxime de notre propre droit, comme elle était celle du droit romain.

La défense a été décrite de diverse façon et peut être commodément énoncée dans les termes suivants. Si un accusé croit sincèrement à l'existence d'un ensemble de circonstances qui, s'il existait au moment de la perpétration d'un acte par ailleurs criminel, aurait justifié son acte et lui aurait ôté son caractère criminel, il a le droit d'être acquitté. Le droit sur cette question, pour ce qui est du Canada, a été énoncé de manière précise dans l'arrêt Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120. Le juge Dickson (maintenant juge en chef), dont les motifs sur ce point ont reçu l'accord de la majorité de la Cour, a conclu que la défense existait au Canada, qu'il fallait examiner la question de savoir si l'accusé avait la mens rea nécessaire pour la perpétration du crime visé et qu'il n'était pas nécessaire que la croyance erronée sur laquelle la défense est fondée soit raisonnable si elle est sincère. Le juge Wilson a exploré le sujet plus à fond dans ses motifs de jugement dans l'affaire R. c. Robertson, [1987] 1 R.C.S. 918 (rendue concurremment), et je suis d'accord avec ses observations. Notre tâche est donc d'examiner si, dans les circonstances de l'espèce, la défense aurait dû être présentée au jury et, lorsqu'elle l'a été, est‑ce que cela a été fait correctement?

10. Il est bien établi en droit que dans son exposé au jury le juge du procès doit présenter tous les moyens de défense qui peuvent être soulevés d'après les éléments de preuve, qu'ils aient été plaidés par l'avocat de la défense ou non. Ainsi, il est obligé d'expliquer le droit concernant le moyen de défense et de signaler au jury l'élément de preuve qui peut être pertinent à cet égard. Toutefois, avant de présenter la défense, le juge du procès doit décider si, d'après les faits qui lui sont présentés, le moyen de défense découle des éléments de preuve. C'est seulement lorsqu'il rend une décision favorable sur cette question qu'il doit présenter la défense au jury, car le juge du procès n'est pas tenu de présenter tous les moyens de défense proposés par l'avocat en l'absence d'éléments de preuve à l'appui. En fait, il ne devrait pas le faire, car présenter un moyen de défense qui n'est absolument pas appuyé par un élément de preuve ne causerait que de la confusion.

11. Cette question a été traitée en détail dans l'arrêt Pappajohn. La Cour a été d'avis à la majorité qu'une défense devait être soumise au jury lorsqu'un élément de preuve qui lui donne une apparence de vraisemblance est présenté à la cour. Bien que les juges Dickson et Estey aient été en désaccord avec la majorité sur l'existence de cet élément de preuve, ils n'ont pas désapprouvé le critère de présentation de la défense adopté par cette dernière. La question a été analysée à la p. 127 de l'arrêt Pappajohn et les arrêts Wu v. The King, [1934] R.C.S. 609, Kelsey v. The Queen, [1953] 1 R.C.S. 220, et Workman v. The Queen, [1963] R.C.S. 266, ont été cités.

12. En analysant l'application du critère de l'"apparence de vraisemblance" dans l'arrêt Pappajohn, j'ai dit à la p. 133:

Pour exiger que soit soumis le moyen de défense subsidiaire de croyance erronée au consentement, il faut, à mon avis d'autres preuves que la simple affirmation par l'appelant d'une croyance au consentement. Cette preuve doit ressortir d'autres sources que l'appelant, ou s'y appuyer, pour lui donner une apparence de vraisemblance.

Ces termes paraissent, à l'occasion, avoir été mal interprétés, mais je ne me rétracte pas. Il n'y aura pas d'apparence de vraisemblance à la simple affirmation "je croyais qu'elle consentait" sans que ce ne soit appuyé dans une certaine mesure par d'autres éléments de preuve ou circonstances de l'affaire. Si cette simple affirmation était suffisante pour obliger le juge du procès à présenter le moyen de défense "d'erreur de fait", il suffirait dans toute affaire de viol de faire une telle déclaration et, peu importe les autres circonstances, exiger que le moyen de défense soit soumis au jury. Il faut se souvenir que, à ce stade des procédures, le juge du procès n'examine aucunement la question de la culpabilité ou de l'innocence. Il ne s'intéresse pas à la force probante des éléments de preuve ou à la crédibilité des témoignages. La question à laquelle il doit répondre est la suivante. Vu toutes les circonstances de l'espèce, le moyen de défense paraît‑il vraisemblable? Pour répondre à cette question, il doit examiner tous les éléments de preuve, toutes les circonstances. La déclaration de l'accusé alléguant une croyance erronée constituera un facteur mais ne sera pas en elle‑même décisive et, même en l'absence de cette déclaration, d'autres circonstances pourraient commander la présentation de la défense. Cette opinion est appuyée par le passage du rapport Heilbron (Grande‑Bretagne, Report of the Advisory Group on the Law of Rape (1975)), mentionné par le juge Dickson à la p. 155 dans l'affaire Pappajohn, en ces termes:

[TRADUCTION] 66. L'arrêt Morgan n'a pas décidé, comme certains critiques semblent l'avoir cru, qu'un accusé avait le droit d'être acquitté, quelque invraisemblable que puisse être sa version, ni que le caractère raisonnable ou non de sa croyance n'était pas pertinent. De plus, il est erroné de prétendre qu'un homme a le droit d'être acquitté simplement parce qu'il affirme avoir eu cette croyance, sans plus. [C'est moi qui souligne.]

13. Lorsque la défense d'erreur de fait, ou d'ailleurs tout autre moyen de défense, est soulevée, deux étapes distinctes doivent être franchies. La première étape exige que le juge du procès décide si le moyen de défense devrait être soumis au jury. C'est à l'égard de cette question, comme je l'ai déjà dit, que le critère de l'"apparence de vraisemblance" s'applique. Il n'a rien à voir avec le jury et ne constitue pas un facteur qu'il doit examiner. Si l'on décide de soumettre le moyen de défense au jury, la seconde étape exige que le juge du procès explique le droit au jury, passe en revue les éléments de preuve pertinents et laisse au jury le soin de trancher la question de la culpabilité ou de l'innocence. Le jury doit examiner tous les éléments de preuve et, avant de pouvoir rendre un verdict de culpabilité, il doit être convaincu hors de tout doute raisonnable dans le cas d'une accusation de viol qu'il n'y a eu aucun consentement. Lorsqu'il conclut qu'il y avait consentement ou croyance sincère au consentement ou s'il a un doute sur l'un ou l'autre point, il doit rendre un verdict d'acquittement. On devrait également lui dire qu'il n'est pas nécessaire que la croyance, si elle est sincère, soit fondée sur des motifs raisonnables. Avant d'aller plus loin, il convient de souligner que, depuis l'arrêt Pappajohn, le Code criminel a été modifié par l'adjonction du par. 244(4) qui prévoit:

(4) Lorsque l'accusé allègue qu'il croyait que le plaignant a consenti aux actes sur lesquels l'accusation est fondée, le juge doit, s'il est convaincu qu'il y a une preuve suffisante et que cette preuve constituerait une défense si elle était acceptée par le jury, demander à ce dernier de prendre en considération, en évaluant l'ensemble de la preuve qui concerne la détermination de la sincérité de la croyance de l'accusé, la présence ou l'absence de motifs raisonnables pour celle‑ci.

Cet article, à mon avis, ne modifie pas le droit appliqué dans l'arrêt Pappajohn. Il n'exige pas que la croyance erronée soit raisonnable ou jugée raisonnable. Il établit simplement de manière précise que, dans l'examen de la question de la sincérité de la croyance, la présence ou l'absence de motifs raisonnables à l'appui de cette croyance sont des facteurs pertinents que le jury doit prendre en considération. Je suis d'avis que cette position avait été annoncée dans l'arrêt Pappajohn par le juge Dickson aux pp. 155 et 156, lorsqu'il a dit:

Ni le système du jury ni l'intégrité de la justice criminelle ne sont bien servis par la perpétration de fictions. Le débat actuel dans les tribunaux et les journaux spécialisés sur la question de savoir si l'erreur doit être fondée, est important sur le plan conceptuel pour l'évolution harmonieuse du droit criminel, mais, à mon avis, c'est sans importance pratique, parce qu'il est peu probable que le jury croie l'accusé qui déclare être dans l'erreur à moins que celle‑ci ne soit, aux yeux du jury, fondée sur des motifs raisonnables. Le jury devra examiner le caractère raisonnable de tous les motifs qui appuient le moyen de défense d'erreur ou que l'on affirme tel. Bien que des "motifs raisonnables" ne constituent pas une condition préalable au moyen de défense de croyance sincère au consentement, ils déterminent le poids qui doit lui être accordé. Le caractère raisonnable ou non de la croyance de l'accusé n'est qu'un élément qui appuie ou non l'opinion que la croyance existait en réalité et que, par conséquent, l'intention était absente.

14. On devrait alors demander au jury, conformément au par. 244(4) du Code, de prendre en considération, en évaluant l'ensemble de la preuve qui concerne la question de la sincérité de la croyance de l'accusé au consentement, la présence ou l'absence de motifs raisonnables à l'appui de celle‑ci.

Application à l'espèce

15. En Cour d'appel, les juges Taggart et Lambert, bien qu'ils soient en désaccord quant au résultat, ont été tous deux d'avis que les éléments de preuve étaient suffisants pour justifier la présentation de la défense au jury. Je partage ce point de vue. D'après les éléments de preuve, il est évident que lorsque Laybourn a ramassé la plaignante dans la rue, elle a consenti après une discussion à avoir des rapports sexuels avec lui. évidemment, les autres ne pouvaient pas se prévaloir de ce consentement et il se peut bien qu'elle l'ait retiré en apprenant que les autres souhaitaient participer aux activités de la soirée. Toutefois, il y a un autre témoignage, celui du témoin Jones dans la chambre voisine qui indique une négociation concernant le prix et une conversation qui pourrait être considérée comme équivoque à ce moment‑là, mais qui pourrait soulever des doutes sur la question de savoir si elle a consenti et dans quelle mesure elle l'a fait ou dans quelle mesure les appelants pouvaient avoir compris qu'elle consentait. Comme je l'ai dit, je conviens avec les juges Taggart et Lambert qu'il y avait alors des éléments de preuve suffisants pour accorder à la défense d'erreur de fait une apparence de vraisemblance et le juge du procès n'a pas commis d'erreur en décidant de la soumettre au jury.

16. Les deux points sur lesquels a porté la dissidence du juge Lambert en Cour d'appel ont été énoncés précédemment. En résumé, il est d'avis que le juge du procès a commis une erreur en disant au jury qu'il fallait plus qu'une croyance sincère au consentement dans l'esprit des accusés pour appuyer la défense, et qu'il devait y avoir certains éléments de preuve objectifs à l'appui de la croyance que la plaignante pouvait avoir consenti, et aussi que le juge du procès a commis une erreur en donnant au jury l'impression que la croyance sincère mais erronée doit se fonder sur des motifs raisonnables pour que le moyen de défense puisse être utilisé. Le juge Lambert n'a pas fondé sa dissidence sur l'exposé principal, mais sur un exposé supplémentaire demandé par le jury après le début des délibérations. Lorsque le jury est revenu dans la salle d'audience, après que certains éléments de preuve eurent été lus de nouveau à sa demande, la conversation suivante a eu lieu:

[TRADUCTION] LA COUR: Merci. Maintenant c'était le témoignage de M. Jones que vous avez demandé.

Monsieur le président du jury, vous m'avez posé une autre question qui n'est pas aussi simple que la dernière et vous avez demandé de nouvelles directives au jury sur la question de la croyance raisonnable. J'ai beaucoup de mal à le faire. Y‑a‑t‑il une question précise qui vous préoccupe?

LE PRéSIDENT: Votre Seigneurie, je crois que dans l'exposé que vous nous avez fait ce matin sur la définition de la croyance raisonnable vous êtes allé un peu rapidement.

LA COUR: D'accord je vais le reprendre. évidemment vous savez que lorsque je vous ai donné les directives sur la croyance sincère, il s'agissait de la troisième position par rapport à—par rapport au consentement qui est allégué par les accusés, nié par la plaignante, c'est simplement de surcroît à cette hypothèse et c'est là que c'est. Si vous décidez qu'il y a certains éléments de preuve qui pourraient vous aider à conclure que même si la fille ne consentait pas, vous avez accepté que, s'il y a un certain fondement permettant aux accusés de croire qu'elle consentait, cela constituerait un moyen de défense, mais il doit être fondé sur quelque chose d'autre que quelque chose dans leur esprit, il doit être fondé sur quelque chose d'autre, certains éléments de preuve dont on peut déduire qu'elle pouvait être consentante.

Je vais lire encore une fois—j'ai traité des éléments du crime de viol comme étant complet lorsqu'il y a a) des rapports sexuels, b) sans consentement. Une conclusion affirmative à l'égard de chacun de ces éléments en l'espèce ne met pas fin à l'affaire, car un moyen de défense ne constitue pas une preuve que les accusés croyaient que Laybourn—croyait que Mme Schmidt consentait aux rapports sexuels.

La perpétration d'un crime délibérément dirigé par la volonté, c'est ce que nous appelons mens rea. Cela comporte un état d'esprit positif comme l'intention ou la connaissance du caractère injustifié de l'acte ou une insouciance négligente à l'égard des conséquences, ce qui doit être démontré par la poursuite. L'élément moral peut être établi par déduction vu la nature de l'acte commis ou par des éléments de preuve supplémentaires. Vous devrez examiner le caractère raisonnable des motifs à l'égard desquels on conclut ou prétend qu'il peut appuyer la croyance des accusés. L'existence de motifs raisonnables ne constitue pas une condition préalable à l'existence de la croyance sincère et du consentement, ces motifs déterminent la valeur qui doit être accordée à la preuve. Le caractère raisonnable ou autre de la croyance de l'accusé ne constitue qu'un élément de preuve à l'appui ou à l'encontre de l'opinion selon laquelle la croyance était réelle et qu'il n'y avait donc pas d'intention. Alors si vous concluez que les accusés ou l'un d'entre eux ont sincèrement cru que Mme Schmidt consentait aux rapports sexuels et donc qu'il n'y avait pas l'élément moral nécessaire, vous rendrez un verdict d'acquittement.

Maintenant c'est—c'est seulement, évidemment, lorsqu'il existe des motifs raisonnables à l'appui de la croyance parce qu'il peut difficilement s'agir d'une croyance sincère si elle n'est pas fondée sur quelque chose qui l'appuie et il n'est pas suffisant de dire je crois qu'elle s'opposait au viol, il faut qu'il y ait quelque chose d'autre, quelque chose que vous pouvez recueillir dans les éléments de preuve pour appuyer cette position. [C'est moi qui souligne.]

17. Ce qu'a dit le président du jury ci‑dessus indique que le jury se posait des questions sur la croyance raisonnable. Il était donc important que le juge du procès lui donne des directives complètes sur la question de manière à dissiper tout malentendu. Le juge Lambert a noté ce point et, en mentionnant les deux passages soulignés dans la partie de l'exposé citée précédemment, il a dit (aux pp. 276 et 277):

[TRADUCTION] Le premier passage est erroné. La défense de croyance sincère n'a pas à être fondée sur quelque chose de plus que quelque chose de mental. Le juge du procès ne devrait pas présenter la question de l'"apparence de vraisemblance" au jury. Il doit la garder pour lui. Dès qu'il a décidé de présenter le moyen de défense au jury, la question de l'"apparence de vraisemblance" ne se pose plus. Alors tout ce qui est nécessaire c'est que le jury décide d'après les éléments de preuve si l'accusé croyait sincèrement au consentement dans son propre esprit. Il ne doit pas y avoir d'"éléments de preuve dont on peut déduire qu'elle pouvait être consentante." Cela détourne le jury de la question qu'il a vraiment à trancher, savoir: l'accusé croit‑il que la plaignante a consenti?

Le second passage est également erroné. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait des motifs raisonnables à l'appui de la croyance. Ce peut être une croyance sincère même s'il n'y a pas de motif raisonnable. Je ne crois pas que le paragraphe précédent puisse modifier l'impression que ce dernier paragraphe doit avoir donnée au jury. Je doute que ce que le juge du procès a réellement dit était «...il n'est pas suffisant de dire je crois qu'elle s'opposait au viol...»

18. Comme je l'ai indiqué, je conviens avec le juge Lambert que le critère de l'"apparence de vraisemblance" relève du juge et ne concerne pas le jury. La question à laquelle devait répondre le jury, en ce qui a trait au moyen de défense qui lui a été présenté, se rapportait à la sincérité de la croyance au consentement que les appelants ont fait valoir. On a dit que le juge du procès a commis une erreur en disant que la croyance nourrie par les appelants devait être fondée sur quelque chose dont on pouvait déduire qu'il y aurait consentement. Ainsi, le juge du procès peut très bien avoir confondu le critère de l'"apparence de vraisemblance" qui relève de lui seul, avec le critère du "doute raisonnable" qui relève du jury, et son explication peut très bien avoir détourné le jury de sa tâche véritable qui était de répondre à la question: les accusés croyaient‑ils que la plaignante consentait? Toutefois peu importe son effet sur le jury, le second passage contesté par le juge Lambert est clairement erroné et, comme il le dit, équivaut à une grave directive erronée. Je ne suis pas en mesure de dire que la directive précise selon laquelle il doit y avoir un motif raisonnable à l'appui de la croyance, qui constitue les derniers mots que le jury a entendus sur le sujet, ne l'emporterait pas sur les autres directives précédentes qui étaient appropriées. Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'ordonner un nouveau procès.

Version française des motifs rendus par

19. Le juge Lamer—J'ai lu les motifs de jugement de mon collègue le juge McIntyre et, pour les motifs qu'il expose, je conviens que ce pourvoi doit être accueilli. Je désire cependant ajouter les réserves suivantes à certaines affirmations qu'on trouve dans ses motifs.

20. Je partage l'opinion du juge McIntyre que, "le juge du procès n'est pas tenu de présenter tous les moyens de défense proposés par l'avocat en l'absence d'éléments de preuve à l'appui" (pp. 789 et 790), et que "présenter un moyen de défense qui n'est absolument pas appuyé par un élément de preuve ne causerait que de la confusion" (p. 790) parmi les jurés. Je ne conteste pas non plus le critère de l'"apparence de vraisemblance" mentionné par le juge McIntyre dans l'arrêt Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120.

21. Avec égards, cependant, sa façon d'appliquer le critère de l'"apparence de vraisemblance" me cause de la difficulté. Dans l'affaire Pappajohn, il dit à la p. 133:

Pour exiger que soit soumis le moyen de défense subsidiaire de croyance erronée au consentement, il faut, à mon avis, d'autres preuves que la simple affirmation par l'appelant d'une croyance au consentement. Cette preuve doit ressortir d'autres sources que l'appelant, ou s'y appuyer, pour lui donner une apparence de vraisemblance.

En l'espèce, il dit (à la p. 790):

Ces termes [apparence de vraisemblance] paraissent, à l'occasion, avoir été mal interprétés, mais je ne me rétracte pas. Il n'y aura pas d'apparence de vraisemblance à la simple affirmation "je croyais qu'elle consentait" sans que ce ne soit appuyé dans une certaine mesure par d'autres éléments de preuve ou circonstances de l'affaire. Si cette simple affirmation était suffisante pour obliger le juge du procès à présenter le moyen de défense "d'erreur de fait", il suffirait dans toute affaire de viol de faire une telle déclaration et, peu importe les autres circonstances, exiger que le moyen de défense soit soumis au jury.

22. Si cela signifie que le juge du procès n'est pas tenu de soumettre le moyen de défense au jury lorsque l'avocat de l'accusé n'a fait que le mentionner dans ses plaidoiries, alors je suis d'accord. Certains éléments de preuve doivent appuyer le moyen de défense avant qu'il puisse être soumis au jury. Cependant, je dois avec égards contester la norme d'"apparence de vraisemblance" s'il faut comprendre qu'elle va jusqu'à permettre au juge du procès de choisir de ne pas soumettre au jury le moyen de défense de croyance sincère même lorsque l'accusé a témoigné et affirmé sous serment qu'il croyait sincèrement qu'il y avait consentement. Le serment de l'accusé portant qu'il croyait sincèrement au consentement constitue toujours une certaine preuve et sa valeur probante dans chaque cas particulier doit être appréciée par le jury et non par le juge du procès. Il est, bien sûr, loisible à ce dernier de donner son opinion sur la valeur probante de la preuve, mais le jury reste le seul maître des faits. Le juge du procès ne doit pas usurper le rôle du jury en ne soumettant pas des éléments de preuve à l'appréciation du jury parce que, à son avis, le moyen de défense manque d'"apparence de vraisemblance".

23. écrivant au nom de la majorité de cette Cour dans l'arrêt Mezzo c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 802, dans le contexte des verdicts imposés, le juge McIntyre a dit à la p. 844:

Toutefois, lorsqu'il [le juge en chef lord Widgery dans l'arrêt R. v. Turnbull, [1976] 3 All E.R. 549 (C.A.)] laisse entendre que le juge du procès devrait examiner la qualité de la preuve pour en dessaisir le jury s'il la juge insuffisante, il s'avance sur un terrain plus glissant car il autorise alors le juge à empiéter sur le domaine de compétence du jury. Une telle démarche estompe, voire même supprime, la ligne de démarcation claire qui existe entre les fonctions du juge et celles du jury. Les questions de la crédibilité et du poids qu'il faut accorder à un témoignage relèvent exclusivement de la compétence du jury. Le terme "qualité", dans le sens que lui donne le juge en chef lord Widgery, n'est en réalité rien de plus qu'un synonyme de "poids". En l'examinant, le juge excède ses fonctions.

L'effet combiné du critère suivi par le juge McIntyre en l'espèce pour ne pas soumettre une défense au jury et le critère établi par la majorité dans l'arrêt Mezzo pour dessaisir le jury d'une affaire, amènerait des résultats incongrus. Lorsque la seule preuve sur les questions du consentement et de croyance au consentement est le témoignage du plaignant et celui de l'accusé, l'allégation de non‑consentement du plaignant doit être soumise au jury (Mezzo), mais la défense de l'accusé alléguant une croyance sincère au consentement peut ne pas être soumise au jury, à moins qu'elle soit appuyée par d'autres éléments de preuve ou par les circonstances (en l'espèce). L'ancienne règle de common law en matière d'agression sexuelle voulant que le juge du procès doit exposer au jury qu'il est dangereux de condamner en l'absence de corroboration du témoignage du plaignant (qui a été abolie par l'art. 246.4 du Code criminel) serait en fait remplacée par une règle qui exigerait la corroboration du témoignage de l'accusé. Une telle exigence sera souvent injuste envers l'accusé. Il est clair que la meilleure et très souvent la seule preuve de la croyance subjective de l'accusé sera son témoignage et il n'existe aucun fondement en droit ou en principe qui exige la corroboration. En outre, cette Cour a décidé dans l'arrêt Pappajohn que la croyance de l'accusé doit être sincère, sans nécessairement être raisonnable. Par conséquent, on ne peut nettement pas imposer que la croyance de l'accusé soit appuyée par les circonstances avant de pouvoir la soumettre au jury. Comme le juge Dickson, alors juge puîné, l'a écrit, à la p. 156:

Ce n'est pas demain qu'un jury sera convaincu de l'existence d'une croyance déraisonnable. Si l'erreur alléguée ne soulève pas un doute raisonnable quant à la culpabilité, et si tous les autres éléments de l'infraction ont été prouvés, le juge du fond ne donnera pas effet au moyen de défense. Mais s'il y a une preuve de l'existence de pareille croyance sincère, qu'elle se fonde ou non sur des motifs raisonnables, le jury doit se voir confier la tâche d'évaluer le crédit qu'il faut accorder au plaidoyer.

24. J'ajouterais en passant qu'à mon avis la question de croyance erronée au consentement devrait aussi être soumise au jury dans tous les cas où l'accusé témoigne au procès que le plaignant a consenti. On doit interpréter le témoignage de l'accusé que le plaignant a consenti comme voulant dire qu'il croyait que le plaignant consentait. Par conséquent, si le jury croit le plaignant et conclut que celui‑ci n'a pas consenti, cela ne clôt pas le débat car on ne peut statuer définitivement sur l'affirmation de l'accusé sans se demander s'il croyait sincèrement, mais à tort, que le plaignant consentait.

25. Enfin, je veux ajouter que je ne crois pas que cette façon de voir l'"apparence de vraisemblance" provoquera une avalanche d'allégations d'erreur de bonne foi en matière de consentement dans des affaires d'agression sexuelle. Un accusé qui désire soulever ce moyen de défense en l'absence d'autres éléments de preuve appuyant une erreur de bonne foi devra témoigner et courir le risque d'un contre‑interrogatoire. En outre, je ne crois pas que le jury sera trompé par de fausses allégations de la défense. Les jurys évaluent constamment les défenses pour ensuite les rejeter parce qu'elles manquent de vraisemblance et ne soulèvent pas de doute raisonnable. Les infractions en matière sexuelle ne sont pas différentes.

26. Sous réserve de ce qui précède, je suis d'accord avec les motifs du juge McIntyre et je suis par conséquent d'avis d'accueillir le pourvoi et d'ordonner un nouveau procès.

Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné.

Procureur de l'appelant Laybourn: Howard Rubin, Vancouver.

Procureur des appelants Bulmer et Illingworth: Kenneth S. Westlake, Vancouver.

Procureur de l'intimée: Le ministère du Procureur général, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : [1987] 1 R.C.S. 782 ?
Date de la décision : 04/06/1987
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné

Analyses

Droit criminel - Exposé au jury - Viol et attentat à la pudeur - Défense d'erreur de fait - Croyance erronée au consentement - Le moyen de défense aurait‑il dû être présenté au jury? - Le juge du procès a‑t‑il donné des directives appropriées au jury?.

Au procès des accusés sur des accusations de viol, de tentative de viol et d'attentat à la pudeur, la preuve a révélé que la plaignante, une prostituée, avait accepté de fournir ses services à Laybourn pour un certain prix. Elle a déposé qu'ils sont allés dans une chambre d'hôtel et qu'en entrant elle a découvert les deux autres accusés et s'est opposée à leur présence. Illingworth a cherché à obtenir les faveurs de la plaignante. Elle a donné son prix et lui a dit de revenir dans vingt minutes. Bulmer et Illingworth sont alors partis mais sont revenus peu après. Il y a eu une discussion et Illingworth a dit à la plaignante qu'elle devrait fournir ses services sans être payée. Effrayée, elle a accompli divers actes sexuels avec les trois hommes. Elle a nié avoir donné son consentement et avoir été payée. Il n'y a pas eu de violence physique autre que les divers actes sexuels. Bulmer n'a pas témoigné. Laybourn et Illingworth ont déposé que le prix a été discuté avec la plaignante après que Bulmer et Illingworth furent revenus à la chambre et qu'elle a finalement accepté d'avoir des rapports sexuels avec eux pour vingt dollars chacun. Aucune menace n'a été proférée. L'occupant d'une chambre voisine a déposé qu'il avait entendu deux accusés s'en aller et revenir. Il a également entendu la femme se plaindre de leur présence. Tout d'abord sa voix semblait normale mais avec le temps elle a pris un ton plaignard et câlin. Il y a également eu une discussion au sujet du prix.

En défense, les appelants ont adopté la position selon laquelle la plaignante avait consenti aux actes. L'avocat a fait valoir l'argument subsidiaire que Laybourn avait cru sincèrement mais à tort qu'elle avait consenti. Le juge du procès a présenté le moyen de défense au jury et lui a dit que tous les trois pouvaient invoquer ce moyen. Le jury a rendu des verdicts de culpabilité de viol contre Laybourn et Illingworth. Bulmer a été acquitté du viol mais déclaré coupable d'attentat à la pudeur. La Cour d'appel a, à la majorité, rejeté les appels des appelants. Le présent pourvoi a pour but de déterminer si (1) d'après les faits de l'espèce, la défense de croyance sincère mais erronée aurait dû être soumise au jury et (2) si l'exposé au jury sur la question était approprié.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné.

Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre, Wilson, Le Dain et La Forest: Lorsque la défense de croyance sincère mais erronée au consentement—ou d'ailleurs, tout autre moyen de défense — est soulevée, un raisonnement en deux étapes distinctes s'impose. La première étape exige que le juge du procès décide si le moyen de défense devrait être soumis au jury. Pour soumettre le moyen de défense au jury, il doit y avoir des éléments de preuve soumis à la cour qui donnent une apparence de vraisemblance au moyen de défense. Dans un tel cas, la deuxième étape exige que le juge du procès explique le droit au jury, passe en revue les éléments de preuve pertinents et laisse au jury le soin de trancher la question de la culpabilité ou de l'innocence. Le jury doit examiner tous les éléments de preuve et, avant de pouvoir rendre un verdict de culpabilité, il doit être convaincu hors de tout doute raisonnable dans le cas d'une accusation de viol qu'il n'y a eu aucun consentement. Lorsque les jurés concluent qu'il y avait consentement ou croyance sincère au consentement ou s'ils ont un doute sur l'un ou l'autre point, ils doivent rendre un verdict d'acquittement. On devrait également leur dire qu'il n'est pas nécessaire que la croyance, si elle est sincère, doive être fondée sur des motifs raisonnables. Dans les affaires survenant depuis l'adoption du par. 244(4) du Code criminel, on devrait également leur dire de prendre en considération, en évaluant l'ensemble de la preuve qui concerne la détermination de la sincérité de la croyance de l'accusé au consentement, la présence ou l'absence de motifs raisonnables à l'appui de celle‑ci.

En l'espèce, il y avait des éléments de preuve qui accordaient à la défense de croyance sincère mais erronée au consentement une apparence de vraisemblance et le juge du procès n'a pas commis d'erreur en décidant de soumettre la défense au jury. Toutefois, en traitant du moyen de défense, le juge du procès a clairement commis une erreur dans son exposé supplémentaire en donnant au jury l'impression que la croyance sincère mais erronée devait se fonder sur des motifs raisonnables pour que le moyen de défense puisse être utilisé.

Le juge Lamer: Une simple déclaration de l'avocat selon laquelle l'accusé croyait que la victime consentait ne satisfait pas au critère d'"apparence de vraisemblance". Toutefois, il ne faut pas comprendre que le critère va jusqu'à permettre au juge du procès de choisir de ne pas soumettre au jury le moyen de défense de croyance sincère même lorsque l'accusé a témoigné et affirmé sous serment qu'il croyait sincèrement au consentement. Le serment d'un accusé portant qu'il croyait sincèrement au consentement constitue toujours une certaine preuve et sa valeur probante dans chaque cas particulier doit être appréciée par le jury et non par le juge du procès.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Bulmer

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge McIntyre
Arrêts mentionnés: Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120
Wu v. The King, [1934] R.C.S. 609
Kelsey v. The Queen, [1953] 1 R.C.S. 220
Workman v. The Queen, [1963] R.C.S. 266
R. c. Robertson, [1987] 1 R.C.S. 918.
Citée par le juge Lamer
Arrêts mentionnés: Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120
Mezzo c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 802.
Lois et règlements cités
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 244(4) [aj. 1980‑81‑82‑83, chap. 125, art. 19], 246.4 [aj. 1980‑81‑82‑83, chap. 125, art. 19], 618(1)a) [mod. 1974‑75‑76, chap. 105, art. 18(1)].
Doctrine citée
Blackstone, William. Commentaries on the Laws of England, vol. 4. Adapted by Robert Malcolm Kerr. Boston: Beacon Press, 1962.
Great Britain. Advisory Group on the Law of Rape. Report of the Advisory Group on the Law of Rape. London: H.M.S.O., 1975.

Proposition de citation de la décision: R. c. Bulmer, [1987] 1 R.C.S. 782 (4 juin 1987)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1987-06-04;.1987..1.r.c.s..782 ?
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