Trask c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 655
Wilmour S. Trask Appelant;
et
Sa Majesté La Reine Intimée.
No du greffe: 17747.
1984: 21 juin; 1985: 23 mai.
Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Ritchie*, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson et Le Dain.
*Le juge Ritchie n'a pas pris part au jugement.
en appel de la cour d'appel de terre‑neuve
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de Terre‑Neuve (1983), 6 C.C.C. (3d) 132, 150 D.L.R. (3d) 161, 21 M.V.R. 49, 42 Nfld. & P.E.I.R. 30, 122 A.P.R. 30, qui a accueilli l'appel de Sa Majesté formé par voie d'exposé de cause contre l'acquittement de l'accusé relativement à une accusation portée en vertu de l'art. 236 du Code criminel. Pourvoi accueilli.
Wayne G. Dymond, pour l'appelant.
Thomas Eagan, pour l'intimée.
Version française du jugement rendu par
1. La Cour—Ce pourvoi soulève la même question que celle examinée par cette Cour dans l'affaire R. c. Therens, [1985] l R.C.S. 613, qui a été entendue en même temps: une personne qui, en vertu du par. 235(1) du Code criminel, a été sommée de suivre un policier au poste de police pour y subir un alcootest, est‑elle détenue au sens de l'art. 10 de la Charte canadienne des droits et libertés et a‑t‑elle, par conséquent, le droit d'être informée de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat. Il soulève également des questions quant au redressement qui peut être accordé, en vertu de l'art. 24 de la Charte, s'il y a eu violation ou négation du droit à l'assistance d'un avocat.
2. Ce pourvoi est formé, avec l'autorisation de cette Cour, contre un arrêt rendu le 12 mai 1983 par la Cour d'appel de Terre‑Neuve, 6 C.C.C. (3d) l32, l50 D.L.R. (3d) 161, 2l M.V.R. 49, 42 Nfld. & P.E.I.R. 30, l22 A.P.R. 30, qui a accueilli un appel formé par voie d'exposé de cause contre l'acquittement de l'appelant prononcé par le juge O.M. Kennedy de la Cour provinciale relativement à l'accusation
[TRADUCTION] ...d'avoir, le 6 mai 1982, à Gander ou près de cette municipalité à Terre‑Neuve, conduit un véhicule à moteur alors que son taux d'alcoolémie dépassait 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang, contrairement au paragraphe 236(1) du Code criminel du Canada.
3. Le 6 mai 1982, l'appelant a obtempéré à la sommation qui lui était faite de suivre un policier jusqu'au poste de la GRC à Gander (Terre‑Neuve) pour y subir un alcootest, conformément au par. 235(1) du Code criminel. On n'a pas informé l'appelant de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat.
4. À son procès, l'appelant a demandé, conformément à l'art. 24 de la Charte, le rejet de l'accusation et, subsidiairement, l'exclusion du certificat d'analyse de l'alcootest pour le motif que l'on a porté atteinte au droit à l'assistance d'un avocat que lui garantit l'art. 10 de la Charte. Le juge du procès a conclu que l'appelant a été détenu au sens de l'art. 10 de la Charte et que, par conséquent, il y a eu violation ou négation de son droit à l'assistance d'un avocat. Il a rejeté l'accusation, ce qui, selon lui, constituait le redressement qu'il convenait d'accorder selon l'art. 24 de la Charte. Le juge du procès a exprimé l'avis que le certificat d'analyse pouvait être écarté conformément à l'un ou l'autre des par. 24(1) ou 24(2), mais ce n'est pas ce sur quoi il s'est fondé pour statuer sur la requête.
5. En accueillant l'appel et en annulant l'acquittement, la Cour d'appel s'est fondée sur l'arrêt de cette Cour Chromiak c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 471, pour conclure que l'appelant n'a pas été détenu au sens de l'art. 10 de la Charte et que, par conséquent, il n'y a pas eu de violation ou de négation de son droit à l'assistance d'un avocat. La cour n'a exprimé aucune opinion sur la question de savoir si, en cas de violation ou de négation du droit à l'assistance d'un avocat, l'accusation aurait pu être rejetée conformément au par. 24(1) de la Charte. Cependant, elle a exprimé l'avis que, de toute façon, l'utilisation des éléments de preuve obtenus au moyen de l'alcootest n'était pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice de manière à exiger leur exclusion conformément au par. 24(2).
6. Pour les motifs donnés dans l'arrêt de cette Cour R. c. Therens, précité, nous concluons que, par suite de la sommation qui lui a été faite conformément au par. 235(1), l'appelant a été détenu au sens de l'art. 10 de la Charte et qu'on lui a donc refusé le droit d'être informé de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat. Nous ne jugeons pas nécessaire en l'espèce de décider si, dans ces circonstances, le rejet de l'accusation constitue un redressement qu'il convient d'accorder en vertu de l'art. 24 de la Charte. Pour les raisons exposées dans l'arrêt R. c. Therens, nous sommes d'avis que les éléments de preuve obtenus au moyen de l'alcootest doivent être écartés conformément au par. 24(2) de la Charte, parce que, d'après toutes les circonstances de l'affaire, leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Nous estimons de plus que le reste des éléments de preuve contenus dans le dossier est nettement insuffisant pour établir hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'appelant et que, pour cette raison, l'accusation doit être rejetée.
7. Le pourvoi est accueilli, l'arrêt de la Cour d'appel est infirmé et l'acquittement de l'appelant est rétabli.
Pourvoi accueilli.
Procureurs de l’appelant: Mills, Dymond & Hussey, Clarenville.
Procureur de l’intimée: Thomas Eagan, Gander.