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09/08/1982 | CANADA | N°[1982]_2_R.C.S._145

Canada | Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145 (9 août 1982)


Cour suprême du Canada

Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145

Date: 1982-08-09

Insurance Corporation of British Columbia Appelante;

et

Robert C. Heerspink Intimé;

et

Le directeur, Human Rights Code Intimé.

No du greffe: 16525.

1982: 3 février; 1982: 9 août.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

Cour suprême du Canada

Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145

Date: 1982-08-09

Insurance Corporation of British Columbia Appelante;

et

Robert C. Heerspink Intimé;

et

Le directeur, Human Rights Code Intimé.

No du greffe: 16525.

1982: 3 février; 1982: 9 août.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE


Synthèse
Référence neutre : [1982] 2 R.C.S. 145 ?
Date de la décision : 09/08/1982
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Libertés publiques - Résiliation d’une police d’assurance sans motif - Analyse de risque faite par suite de rapports de presse relatifs au trafic de drogue - Résiliation faite selon la procédure prévue par la loi - La résiliation constitue-t-elle, en contravention du Human Rights Code, un refus de fournir un service habituellement offert au public? - Human Rights Code of British Columbia, 1973 (B.C.), 2nd Sess., chap. 119, art. 3 - Insurance Act, R.S.B.C. 1960, chap. 197, art. 208, clause légale 5(1).

L’appelante a mis fin à l’assurance des immeubles de l’intimé après avoir fait une «analyse de risque» par suite de la mention dans la presse du renvoi de l’intimé à son procès sur une accusation de trafic de marijuana. L’avis de résiliation, non motivé, a été donné conformément aux clauses légales inscrites dans tous les contrats d’assurance. L’intimé a porté plainte, en application de l’art. 3 du Human Rights Code de la Colombie-Britannique, alléguant que l’assurance a été refusée sans cause raisonnable. L’article prescrit qu’il faut une cause raisonnable pour priver une personne ou une classe de personnes d’un service habituellement offert au public ou pour agir de façon discriminatoire envers une personne ou une classe de personnes à l’égard d’un tel service. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a infirmé le jugement du juge Munroe, sur l’exposé de cause soumis à ce dernier par un bureau d’enquête, en appel de la décision de ce bureau selon laquelle il y avait eu contravention au Code.

Arrêt (Les juges Martland, Beetz et Chouinard sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie et Dickson: Lorsque la question de la «cause raisonnable» constitue

[Page 146]

un élément essentiel qui détermine si l’art. 3 du Human Rights Code s’applique, c’est une question de fait qui n’est pas susceptible d’appel par voie d’exposé de cause. Il y a appel à la Cour suprême de la Colombie-Britannique d’une décision d’un bureau d’enquête sur toute question de droit ou de compétence ou sur toute conclusion de fait qui est essentielle pour établir la compétence du bureau et qui est manifestement erronnée. Les dispositions législatives de l‘Insurance Act et celles du Human Rights Code peuvent coexister puisqu’il n’y a pas d’incompatibilité directe entre les unes et les autres.

Les juges Estey, McIntyre et Lamer: Même si les deux dispositions législatives examinées peuvent coexister puisqu’il n’y a pas d’incompatibilité directe entre elles, le Code devrait prévaloir même s’il y avait incompatibilité. Le Code est une loi fondamentale et à moins que le législateur n’ait clairement exprimé l’intention contraire, il a voulu qu’il ait préséance sur toutes les autres lois. Les raisons du refus des services par l’application d’une clause de résiliation devraient être assujetties à l’art. 3 du Code au même degré que si les services sont refusés dès le début. Le fait que la clause de résiliation soit incluse dans tous les contrats par l’effet de la loi ne la range pas parmi les services habituellement offerts au public et ne la soustrait pas à l’application du par. 3(1) du Code.

Les juges Martland, Beetz et Chouinard, dissidents: Le paragraphe 3(1) ne peut s’appliquer de façon à limiter un assureur dans l’exercice des droits que les clauses légales fixées par l’Insurance Act lui accordent et que l’assuré lui a reconnus par contrat. Le pouvoir de la Human Rights Commission de modifier un tel droit devrait être exprimé par le législateur de façon plus explicite que dans le par. 3(1). Parce qu’il a eu une police d’assurance, l’intimé n’a pas été privé d’un service habituellement offert au public par un assureur. Le service d’assurance habituellement offert au public est la délivrance d’une police d’assurance assujettie aux clauses légales que le législateur a imposées comme partie intégrante de ces polices.

[Jurisprudence: Seward v. «Vera Cruz» (1884), 10 App. Cas. 59; Toronto Railway Company c. Paget (1909), 42 R.C.S. 488; distinction faite avec l’arrêt Gay Alliance Toward Equality c. Vancouver Sun, [1979] 2 R.C.S. 435.]

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (1981), 121 D.L.R. (3d) 464, 27 B.C.L.R. 1, [1981] 4 W.W.R. 103, qui a accueilli l’appel à rencontre du jugement du juge Munroe, qui accueillait l’appel d’une décision d’un comité d’enquête désigné en vertu du Human

[Page 147]

Rights Code de la Colombie-Britannique. Pourvoi rejeté, les juges Martland, Beetz et Chouinard sont dissidents.

K.C. MacKenzie et Bruce Fraser, pour l’appelante.

John Hall, pour l’intimé.

Version française du jugement du juge en chef Laskin et des juges Ritchie et Dickson rendu par

LE JUGE RITCHIE — Il s’agit d’un pourvoi sur autorisation de cette Cour contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique qui a infirmé un jugement rendu par le juge Munroe, en référé, sur un exposé de cause que lui avait présenté le président du bureau d’enquête établi en application de l’art. 16 du Human Rights Code of British Columbia, 1973 (B.C.), deuxième session, chap. 119, (ci-après appelé le Human Rights Code); cet exposé de cause vise à contester la conclusion du bureau selon laquelle l’Insurance Corporation of British Columbia (ci-après appelée l’assureur) a commis une infraction à l’art. 3 du Human Rights Code en refusant d’assurer l’intimé sans cause raisonnable.

Le premier alinéa de l’exposé de cause révèle la source de la situation soumise aux tribunaux. Cet alinéa se lit comme suit:

[TRADUCTION] Le 11 août 1976, Robert C. Heerspink a déposé une plainte, en vertu de l’art. 3 du Human Rights Code of British Columbia, S.B.C. 1973, deuxième session, chap. 119, alléguant que l’Insurance Corporation of British Columbia a refusé de l’assurer sans cause raisonnable en contravention de l’art. 3 du Human Rights Code.

L’assureur a soutenu qu’il avait droit, en vertu de l’Insurance Act, R.S.B.C. 1960, chap. 197, d’annuler sa police sans fournir de motif de l’annulation et, à cet égard, il a invoqué la clause légale 5(1) que l’on trouve à l’art. 208 de l’Insurance Act et qui figure dans tous les contrats d’assurance-incendie en vigueur en Colombie-Britannique. Elle se lit ainsi:

[TRADUCTION] 5. (1) Le présent contrat peut être résilié

a) par l’assureur sur préavis de quinze jours donné à l’assuré par courrier recommandé, ou sur préavis

[Page 148]

écrit de cinq jours transmis à l’assuré personnellement; ou

b) n’importe quand sur demande de l’assuré.

En elles-mêmes, les dispositions de cet article permettent à l’assureur et à l’assuré de résilier la police d’assurance-incendie unilatéralement en donnant le préavis requis sans fournir le motif de la résiliation et il n’y a pas de doute qu’à l’époque de son adoption, la compagnie d’assurances aurait été pleinement autorisée à résilier la police en cause en vertu de cet article. La difficulté qui surgit en l’espèce tient à ce que quelque treize ans après la promulgation de la clause légale, la province a adopté le Human Rights Code dont le par. 3(1) dispose:

[TRADUCTION] 3. (1) Nul ne doit

a) priver une personne ou une classe de personnes d’un logement, de services ou d’installations habituellement offerts au public; ou

b) agir de façon discriminatoire envers une personne ou une classe de personnes à l’égard d’un logement, de services ou d’installations habituellement offerts au public,

si ce n’est pour une cause raisonnable.

L’assureur soutient que le Human Rights Code n’a aucun effet sur les dispositions de la clause légale 5 qui doit être insérée dans tous les contrats d’assurance en vigueur en Colombie-Britannique en vertu des dispositions du par. 208(1) dont voici le texte:

[TRADUCTION] 208. (1) Les conditions énoncées au présent article sont réputées faire partie de tout contrat en vigueur dans la province et doivent être imprimées sur toute police et précédées de la rubrique «clauses statutaires». Aucune modification, omission ou addition à l’une quelconque des clauses statutaires ne lie l’assuré.

Cette affaire avait d’abord fait l’objet d’un exposé de cause soumis au juge Meredith le 29 avril 1977; la compétence du bureau d’enquête y était contestée et la conclusion du juge Meredith selon laquelle le bureau était compétent fut portée devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Le juge Robertson a rendu le jugement par lequel la Cour rejette l’appel et confirme la compétence du bureau d’enquête. Cet arrêt n’a pas été

[Page 149]

porté en appel et il faut considérer la compétence du bureau comme acquise.

La compétence du bureau ayant ainsi été confirmée, celui-ci a repris ses audiences le 16 janvier 1979 pour entendre la preuve et se prononcer sur le fond de l’affaire. Par suite de cette audience, le bureau a conclu, dans des motifs écrits rendus le 8 mars 1979, que l’assureur avait contrevenu au par. 3(1) du Human Rights Code.

Pour en arriver à cette conclusion, le bureau d’enquête a constaté les faits suivants:

[TRADUCTION]

a) M. Robert C. Heerspink est le propriétaire enregistré de deux édifices, l’un de quatre logements et l’autre de trois logements à Sydney (Colombie-Britannique), pour lesquels l’Insurance Corporation of British Columbia avait émis une police d’assurance combinée commerciale.

b) Le 24 avril 1976, le journal Victoria Columnist a rapporté que M. Heerspink a été renvoyé à son procès «après une enquête préliminaire sur une accusation de trafic de marijuana à Sydney, le 11 décembre 1972».

c) L’existence de l’accusation est venue à l’attention du service de souscription de l’Insurance Corporation of British Columbia.

d) Après avoir entrepris une étude d’«analyse de risque» conformément aux usages internes ordinaires, l’Insurance Corporation of British Columbia a décidé d’annuler la police d’assurance.

e) Le 16 juin 1976, l’Insurance Corporation of British Columbia a fait parvenir à M. Heerspink une lettre recommandée l’avisant qu’elle résiliait la police d’assurance à l’expiration du préavis de quinze jours. Ce préavis a été donné en application de la clause légale 5 de la police.

f) Aucun motif de la résiliation de la police n’a été fourni.

g) Le motif de la résiliation de la police d’assurance de M. Heerspink a été son accusation de trafic de marijuana.

h) Les dirigeants de l’Insurance Corporation of British Columbia ont cru que l’allégation selon laquelle l’accusé a fait le trafic en vue d’un profit est de l’essence de l’accusation de trafic de marijuana.

[Page 150]

i) La décision de résilier la police d’assurance a été prise en raison du «risque moral». Le bureau d’enquête a cru la déposition du témoin expert R.J. McCormick selon lequel: «Le risque moral est l’élément intangible de risque qui a un effet négatif sur l’acceptabilité d’une opération. Il ne se rattache pas aux biens assurés mais à la personne de l’assuré. C’est-à-dire sa moralité, sa réputation et les circonstances. Le risque moral crée dans l’esprit de l’assureur un doute grave à propos de ses opérations financières. Il a des motifs de croire que le risque n’est plus celui qu’il avait évalué, que le risque comporte une plus grande probabilité de perte que ce qu’il veut accepter. Puisque il n’est pas possible de remédier à cette aggravation du risque par surprime ou par mesure de génie parce qu’elle porte sur l’aspect intangible plutôt que sur l’aspect matériel, l’assureur ne veut plus être partie à l’opération et résilie le contrat. C’est une décision commerciale et non une décision juridique. L’assureur ne veut plus exposer les biens de sa société à ce risque.»

j) Les seuls renseignements dont disposaient les dirigeants de l’Insurance Corporation of British Columbia au moment de prendre la décision de résilier la police sont ceux publiés dans le journal selon lesquels M. Heerspink avait été «renvoyé à la cour supérieure pour subir son procès sur une accusation de trafic de marijuana», ainsi que des renseignements fournis par le courtier d’assurances de M. Heerspink, qui s’était montré surpris de la nouvelle de l’accusation. Le courtier a en outre indiqué qu’il avait une impression favorable de l’assuré qui lui paraissait travailleur et financièrement à l’aise, mais il a apparemment souscrit à la décision de la société de résilier la police.

k) Dans l’esprit des dirigeants concernés de l’Insurance Corporation of British Columbia, les personnes mêlées au trafic de drogue sont anormalement exposées au vandalisme et constituent un risque plus élevé pour l’assureur de leurs biens.

l) Aucun élément de preuve ne traite de l’historique des pertes subies par les personnes accusées de trafic de drogue.

m) Les dirigeants de l’Insurance Corporation of British Columbia ont agi de bonne foi en procédant à l’évaluation du risque.

n) La décision de l’Insurance Corporation of British Columbia n’a pas été prise en fonction de particularités propres à M. Heerspink qui auraient été pertinentes relativement au risque assuré, mais en fonction de particularités qui lui ont été attribuées en tant que membre d’un groupe de personnes, les accusés de trafic de marijuana.

[Page 151]

L’appel par voie d’exposé de cause et, bien sûr, le pourvoi en cette Cour se fondent sur ces faits et posent essentiellement la question de savoir si l’assureur était justifié de résilier la police d’assurance de M. Heerspink, vu la clause légale 5(1) imposée par le par. 208(1) de l’Insurance Act, ou si l’art. 3 du Human Rights Code s’applique aux circonstances de l’espèce. Nous n’avons pas eu l’avantage d’avoir une version complète des faits constatés par le bureau, mais le juge Hinkson, qui a rédigé les motifs majoritaires de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, par lesquels elle accueille l’appel du jugement du juge Munroe et rétablit la décision du bureau qui avait conclu que la société d’assurances a agi sans juste cause en résiliant la police d’assurance de M. Heerspink, énonce le point suivant d’une importance fondamentale:

[TRADUCTION] Dans une décision écrite rendue le 8 mars 1979, le bureau d’enquête a conclu que l’Insurance Corporation of British Columbia a violé le par. 3(1) du Human Rights Code. Il a conclu qu’il y avait eu discrimination à l’encontre du plaignant à l’égard d’un service que l’Insurance Corporation of British Columbia offre au public. Par suite de cette constatation, il a conclu que les dispositions de l’art. 3 du Human Rights Code s’appliquent. Le bureau d’enquête s’est ensuite demandé si l’Insurance Corporation of British Columbia avait un motif raisonnable de le faire. Le bureau d’enquête a conclu qu’en réalité on n’en avait prouvé aucun. Ce qui est «une cause raisonnable» n’est pas une pure question de droit. En conséquence, l’affaire n’est pas susceptible d’appel par voie d’exposé de cause.

A mon avis personnel, la simple allégation d’une conduite criminelle et la constatation à une enquête préliminaire qu’il existe une preuve prima facie contre un accusé ne suffisent pas à justifier la conclusion que l’accusé appartient à la catégorie des criminels ou, comme en l’espèce, c’est quelqu’un mêlé au trafic de la marijuana. Quant à moi, j’aurais conclu qu’aucun «motif raisonnable» ne justifiait la résiliation de la police de M. Heerspink.

Je partage toutefois la conclusion du juge Hinkson selon laquelle, lorsque la question de la «cause raisonnable», constitue un élément essentiel qui détermine si l’art. 3 du Human Rights Code s’applique, c’est une question de fait qui n’est pas

[Page 152]

susceptible d’appel par voie d’exposé de cause. A cet égard, je citerai l’art. 18 du Human Rights Code:

[TRADUCTION] 18. Il peut être interjeté appel à la Cour suprême de toute décision d’un bureau d’enquête

a) sur un point ou question de droit ou de compétence; ou

b) sur toute conclusion manifestement erronée quant à un fait nécessaire pour fonder sa compétence,

les règles de la Summary Convictions Act qui régissent les appels interjetés par voie d’exposé de cause à ladite cour s’appliquent aux appels interjetés en vertu du présent article et toute mention du mot «juge» s’interprète comme une mention du bureau d’enquête.

Dans ces circonstances, la Cour suprême de la Colombie-Britannique n’avait pas compétence pour se prononcer sur la validité de la plainte de M. Heerspink et en conséquence la décision du bureau d’enquête demeure valide.

Les avocats de l’assureur ont soutenu, suivant en cela l’opinion exprimée par le juge Munroe, que la clause légale 5 de l’Insurance Act l’emporte sur l’art. 3 du Human Rights Code parce que la première est une disposition particulière et précise tandis que le second, qui a été adopté plus tard, est d’une nature plus générale mais n’est sensé modifier aucune disposition d’une partie de l’Insurance Act,

Ces conclusions découleraient apparemment de la maxime juridique qu’on a sacralisée, au cours des années, par une formulation latine: generalia specialibus non derogant. Cette maxime a reçu une certaine confirmation dans l’arrêt souvent cité de la Chambre des lords Seward v. «Vera Cruz» (1884), 10 App. Cas. 59, mais il ne faut pas oublier que dans cet arrêt, les lois en cause ont été jugées «en complète opposition». A mon avis, les motifs du juge Duff (alors juge puîné) dans l’arrêt Toronto Railway Company c. Paget (1909), 42 R.C.S. 488, expriment la véritable interprétation canadienne de cette question. Voici ce qu’on y dit des deux lois en cause [à la p. 491]:

[Page 153]

[TRADUCTION] D’une part, on peut soutenir que, dans de tels cas, il ne faut absolument pas tenir compte de la loi générale; d’autre part, on peut aussi soutenir que les deux dispositions doivent être considérées comme applicables à l’objet de la loi particulière pour autant qu’elles peuvent coexister, et ce n’est que s’il y a incompatibilité entre les deux dispositions que la Loi générale est inopérante, et ce dans la seule mesure de cette incompatibilité.

Je suis d’accord avec le juge Hinkson que, dans la présente affaire, les deux dispositions législatives en cause peuvent coexister puisqu’il n’y a pas d’incompatibilité directe entre elles. En réalité, les dispositions de l’art. 3 du Human Rights Code ne portent pas atteinte aux droits de l’assureur de mettre fin à son contrat chaque fois qu’une «cause raisonnable» justifie cette résiliation. On peut dire qu’il s’agit d’une modification apportée à la clause légale, mais il ne s’agit certainement pas, à mon avis, d’une incompatibilité de nature à modifier le fait que la «cause raisonnable» est le critère absolu d’interprétation des deux dispositions visées en l’espèce.

On a cependant aussi soutenu que l’arrêt Gay Alliance Toward Equality c. Vancouver Sun, [1979] 2 R.C.S. 435, s’applique aux faits en l’espèce; toutefois, c’est une affaire totalement différente où on alléguait qu’un journal aurait violé les droits de The Gay Alliance Toward Equality de publier une annonce qui visait à promouvoir ses vues favorables à l’homosexualité que le journal réprouvait. Il n’est pas fait état dans cette affaire-là que le journal agissait conformément à une disposition législative semblable à la clause légale 5 de l’Insurance Act et il n’est pas question de conflit entre deux dispositions législatives.

Les questions centrales que ce pourvoi soulevait étaient celle de la portée à donner à l’art. 3 du Human Rights Code à l’égard de la liberté de la presse reconnue depuis longtemps par notre droit, et celle de savoir si un journal fournit au public le moyen d’exprimer librement ses opinions. Ces questions portent manifestement sur la coexistence du droit à la liberté de parole et du droit à la liberté de la presse, mais elles ne se posent pas dans le présent pourvoi, sauf dans la mesure mentionnée par le juge Martland dans l’arrêt Gay

[Page 154]

Alliance à l’avant-dernier alinéa de ses motifs à la p. 456, où il dit:

L’article 3 de la Loi n’a pas pour objet de prescrire la nature et l’étendue d’un service qui doit être offert au public. Dans le cas d’un journal, celui-ci détermine lui-même la nature et la portée des services qu’il offre, y compris le service de publicité. L’effet de l’art. 3 est d’assurer qu’un service offert au public l’est à tous ceux qui veulent y avoir recours et le journal ne peut en refuser l’accès à un membre particulier du public à moins d’une cause raisonnable de refus. [Les italiques sont de moi].

Cela me paraît renforcer l’importance qu’il faut attacher à l’existence d’une cause raisonnable toutes les fois que l’on a recours à l’art. 3 du Code.

Comme je l’ai déjà indiqué, je partage l’avis de la Cour d’appel que la «cause raisonnable» n’est pas une pure question de droit et, vu les dispositions de l’art. 18 du Human Rights Code, son existence ne peut faire l’objet d’un appel par voie d’exposé de cause comme en l’espèce.

Il s’ensuit donc que la conclusion du bureau d’enquête est rétablie et que le pourvoi est rejeté avec dépens.

Version française des motifs des juges Martland, Beetz et Chouinard rendus par

LE JUGE MARTLAND (dissident) — Les faits principaux du présent pourvoi sont les suivants. L’intimé Robert C. Heerspink, est propriétaire d’un bien-fonds situé à Sydney (Colombie‑Britannique), sur lequel il y a des bâtiments. L’appelante lui a délivré une police combinée commerciale pour ces derniers. Le 24 avril 1976, le journal Victoria Columnist rapportait que M. Heerspink avait été renvoyé à son procès après enquête préliminaire sur une accusation de trafic de marijuana, à Sydney, le 11 décembre 1975.

Le service de souscription de l’appelante a eu connaissance de l’accusation. Après avoir procédé à une «analyse de risque» conforme à ses opérations internes ordinaires, l’appelante a décidé de résilier la police. Elle a fait parvenir un avis de résiliation à l’intimé qui indiquait que la police d’assurance prenait fin à l’expiration du délai de

[Page 155]

quinze jours. Le préavis ne mentionnait aucun motif de résiliation.

Le préavis a été donné conformément à la clause légale n° 5 de la police. La partie pertinente de l’art. 208 de l’Insurance Act, R.S.B.C. 1960, chap. 197, et modifications dispose:

[TRADUCTION] 208. (1) Les conditions énoncées au présent article sont réputées faire partie de tout contrat en vigueur dans la province et doivent être imprimées sur toute police et précédées de la rubrique «clauses légale». Aucune modification, omission ou addition à l’une quelconque des clauses statutaires ne lie l’assuré.

CLAUSES LEGALES

5. (1) Le présent contrat peut être résilié

a) par l’assureur sur préavis de quinze jours donné à l’assuré par courrier recommandé, ou sur préavis écrit de cinq jours transmis à l’assuré personnellement; ou

b) n’importe quand sur demande de l’assuré.

La police d’assurance délivrée par l’appelante à l’assuré comportait la clause ci-dessus ainsi que l’exige la loi.

L’intimé a déposé une plainte conformément à l’art. 3 du Human Rights Code of British Columbia, 1973 (B.C.), deuxième session, chap. 119, par laquelle il soutient que l’appelante a refusé de l’assurer sans cause raisonnable en contravention dudit article. L’article 3 prévoit:

[TRADUCTION] 3. (1) Nul ne doit

a) priver une personne ou une classe de personnes d’un logement, de services ou d’installations habituellement offerts au public; ou

b) agir de façon discriminatoire envers une personne ou une classe de personnes à l’égard d’un logement, de services ou d’installations habituellement offerts au public,

si ce n’est pour une cause raisonnable.

Un bureau d’enquête établi en application des dispositions du Human Rights Code a examiné la plainte au cours d’une audience et conclu que l’appelante avait contrevenu au par. 3(1) du Human Rights Code. L’appelante a interjeté appel de cette décision. Le juge Munroe a accueilli cet

[Page 156]

appel. Les intimés ont interjeté appel de cette décision et la Cour d’appel a accueilli leur appel, rétablissant la décision du bureau d’enquête. L’appelante se pourvoit sur autorisation de cette Cour à l’encontre de cet arrêt.

L’intimé se plaint de ce que l’appelante a refusé de l’assurer, ce qui constitue un refus de lui rendre un service habituellement offert au public et une violation du par. 3(1) du Human Rights Code en l’absence d’une cause raisonnable. A mon avis, il faut se demander quelle est la nature du service que l’appelante offre habituellement au public.

Le service que l’appelante offre au public est une couverture d’assurance-incendie aux personnes qui contractent une assurance avec elle. Certaines des dispositions des contrats conclus entre l’appelante et les assurés sont prescrites par la Loi. La clause légale 5 est une disposition de ce type.

L’appelante n’a pas refusé à l’intimé le service qu’elle offre habituellement au public. Elle lui a délivré une police d’assurance. Il a accepté cette police et, ce faisant, il a convenu que celle‑ci serait assujettie aux dispositions de la clause légale 5 imposée par le législateur. Cette disposition du contrat accorde aux deux parties le droit absolu de le résilier à leur gré. L’appelante a exercé le droit que le contrat lui reconnaît. La résiliation du contrat par l’appelante ne constitue pas un refus de service. Il s’agit de l’exercice d’un droit contractuel.

Le paragraphe 3(1) du Human Rights Code ne vise pas à délimiter l’étendue des services qui sont habituellement offerts au public. Son effet est d’interdire le refus d’un service habituellement offert au public. Pour les sociétés d’assurances, la nature du service que l’assureur offre à l’assuré est définie par la Loi. Le législateur a déterminé les conditions qui régissent une police d’assurance et l’assureur est tenu de les insérer dans la police. La délivrance de polices d’assurance assujetties à ces conditions est le service que l’assureur offre habi-

[Page 157]

tuellement au public. Le Human Rights Code n’exige pas la fourniture de services autres que ceux qui sont habituellement offerts au public.

L’intimé cherche à appliquer le par. 3(1) du Human Rights Code de façon à ce qu’un assureur se voit limiter dans l’exercice des droits que les clauses légales fixées par l’Insurance Act lui accordent et que l’assuré lui a reconnus par contrat.

Selon moi, le par. 3(1) n’a pas cette portée. Il vise le refus de fournir un service. J’ai déjà signalé qu’on n’a pas refusé à l’intimé le service qu’un assureur offre habituellement au public. Une police d’assurance lui a été délivrée. Il soutient que, malgré les dispositions qui permettent la résiliation du contrat, la Human Rights Commission peut obliger l’assureur à justifier l’exercice de son droit contractuel par une cause raisonnable. A mon avis, un tel pouvoir de modifier des droits contractuels devrait s’appuyer sur des dispositions très précises, surtout lorsque le droit contractuel est énoncé par le législateur lui-même. A mon avis le par. 3(1) ne va pas aussi loin.

Je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de rétablir l’ordonnance du juge Munroe. L’appelante devrait avoir droit aux dépens dans toutes les cours.

Version française des motifs des juges Estey, McIntyre et Lamer rendus par

LE JUGE LAMER — J’ai eu l’avantage de lire les motifs de jugement de mes collègues les juges Martland et Ritchie. Tout en étant d’accord avec les motifs de mon collègue le juge Ritchie, je désire ajouter quelques observations. Il n’est pas nécessaire que je répète ici les faits qui ont donné lieu au présent pourvoi, que je cite les textes de loi pertinents, ni que je résume les conclusions des cours d’instance inférieure. Mes collègues l’ont déjà très bien fait.

Le Human Rights Code of British Columbia

Lorsque l’objet d’une loi est décrit comme l’énoncé complet des «droits» des gens qui vivent sur un territoire donné, il n’y a pas de doute, selon

[Page 158]

moi, que ces gens ont, par l’entremise de leur législateur, clairement indiqué qu’ils considèrent que cette loi et les valeurs qu’elle tend à promouvoir et à protéger, sont, hormis les dispositions constitutionnelles, plus importantes que toutes les autres. En conséquence à moins que le législateur ne se soit exprimé autrement en termes clairs et exprès dans le Code ou dans toute autre loi, il a voulu que le Code ait préséance sur toutes les autres lois lorsqu’il y a conflit.

En conséquence, la maxime juridique generalia specialibus non derogant ne peut s’appliquer à un tel code. En réalité, si le Human Rights Code entre en conflit avec «des lois particulières et spécifiques», il ne faut pas le considérer comme n’importe quelle autre loi d’application générale, il faut le reconnaître pour ce qu’il est, c’est-à-dire une loi fondamentale.

De plus, puisqu’il s’agit de droit public et de droit fondamental, personne ne peut, par contrat, à moins que la loi ne l’y autorise expressément, convenir d’en écarter l’application et se soustraire ainsi à son champ de protection.

Donc, tout en étant d’accord avec mon collègue le juge Ritchie que «les deux dispositions législatives en cause peuvent coexister puisqu’il n’y a pas d’incompatibilité directe entre elles», j’ajouterai que, eût-il eu incompatibilité, le Code eût dû prévaloir. Je ne vois nulle part dans les lois de la Colombie-Britannique que l’art. 5 des clauses légales énoncées dans l’art. 208 de l’Insurance Act, R.S.B.C. 1960, chap. 197, et modifications, doit recevoir une application spéciale en vertu du Human Rights Code.

L’article 208 de l’Insurance Act

On a prétendu qu’à cause de l’obligation d’insérer la clause de résiliation n° 5 dans toutes les polices d’assurance en application de l’art. 208 de l’Insurance Act, c’est la Loi qui définit la nature du service rendu par les assureurs aux assurés, que la possibilité de résiliation unilatérale de la police par l’assureur fait partie des services «habituellement offerts au public» et que, ainsi, les motifs de cette résiliation ne sont pas susceptibles de révision en application de l’art. 3 du Code.

[Page 159]

A mon avis, le fait que la clause de résiliation soit incluse au contrat en vertu d’une loi n’est pas très utile à l’appelante. En réalité, la Loi a pour seule conséquence d’imposer aux parties à tout contrat d’assurance l’inclusion d’une clause de résiliation particulière. Ceci accompli, le fait que la clause soit imposée par la loi ne la place pas, pour ce qui est du Code, dans une situation plus favorable que celle où elle se trouverait si son inclusion dans le contrat résultait de la volonté des parties. Que la clause soit incluse dans tous les contrats d’assurance ne la range pas parmi «les services habituellement offerts au public». Bien que la proposition soit à première vue attrayante et non sans une certaine logique, elle est, avec égards, non fondée.

Une telle proposition détruirait l’objet de la Loi en soustrayant indirectement toutes les polices d’assurance à l’application de l’art. 3 du Code. Comme je l’ai déjà mentionné, il n’est écrit nulle part dans les lois de la Colombie-Britannique que les polices d’assurance doivent jouir d’un statut spécial en vertu du Code et je ne puis voir de motif pour lequel le législateur aurait voulu que l’assurance ne fût pas un «service» selon le sens que prend ce terme à l’art. 3 du Code.

L’interprétation proposée de l’expression «ordinairement offerts au public» permettrait à un assureur de faire par la résiliation d’une police ce qui lui est nettement défendu à l’occasion d’une proposition d’assurance tout en soustrayant ses motifs à une enquête. Pis encore, il pourrait même faire impunément, parce qu’il le ferait hors de la portée de l’article, ce qui en vertu de l’article ne peut jamais, en droit, être une cause raisonnable.

Selon cette interprétation du droit, la résiliation par une société d’assurances d’une police d’assurance-incendie après avoir appris que le propriétaire assuré a loué les lieux assurés à des personnes de couleur ne donnerait même pas lieu à l’application de l’art. 3. Si la société refusait d’assurer pour exactement le même motif lorsqu’on lui présente une proposition d’assurance, non seulement l’article s’appliquerait, mais on donnerait raison au plaignant. Le législateur ne peut avoir voulu un tel résultat.

[Page 160]

Les clauses de résiliation

La clause de résiliation est un moyen de refuser de continuer la prestation de services qu’on s’était engagé à fournir au départ. Une fois exercé, le droit de résilier un contrat emporte un refus de rendre des services qui ne diffère pas d’un refus qui aurait pu se produire au moment de la demande de services. En conséquence, les raisons du refus des services par l’application d’une clause de résiliation devraient être assujetties à l’art. 3 du Code au même degré que si les services sont refusés dès le début.

Les raisons du refus au moment de la demande de services, qu’elles soient exprimées ou non, sont susceptibles de faire l’objet d’une enquête s’il y a plainte, et le caractère raisonnable de ces raisons peut faire l’objet d’une décision de la Commission par le mécanisme des bureaux d’enquête. Les mêmes mesures s’appliquent aux motifs de refus d’un service en vertu d’une clause de résiliation même si aucun motif de résiliation n’est fourni.

Par l’art. 3 du Code, le législateur a choisi de soumettre au Code l’exercice de plusieurs droits contractuels qui jusque-là étaient laissés à la liberté contractuelle des parties et, à cette fin, a donné à la Commission des pouvoirs très étendus. Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec le Juge en chef qui disait dans Gay Alliance Toward Equality c. Vancouver Sun, [1979] 2 R.C.S. 435, à la p. 447:

Le principe qui s’en dégage est clair et net. Toute personne ou classe de personnes a le droit de se prévaloir de ces services ou de ces installations, à moins qu’il soit possible d’établir que des motifs raisonnables justifient le refus ou l’acte discriminatoire. Cette Cour est obligée d’appliquer ce principe même s’il lui semble peu judicieux.

Pour ces motifs et les motifs exprimés par mon collègue le juge Ritchie, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens, les juges MARTLAND, BEETZ et CHOUINARD sont dissidents.

Procureurs de l’appelante: Guild, Yule & Company, Vancouver.

Procureurs des intimés: DuMoulin, Black, Vancouver.


Parties
Demandeurs : Insurance Corporation of British Columbia
Défendeurs : Heerspink
Proposition de citation de la décision: Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145 (9 août 1982)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1982-08-09;.1982..2.r.c.s..145 ?
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