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23/06/1982 | CANADA | N°[1982]_1_R.C.S._938

Canada | R. c. Carter, [1982] 1 R.C.S. 938 (23 juin 1982)


Cour suprême du Canada

R. c. Carter, [1982] 1 R.C.S. 938

Date: 1982-06-23

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Robert James Carter Intimé.

N° du greffe: 16256.

1982: 27 janvier; 1982: 23 juin.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Dickson, Estey et McIntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU NOUVEAU-BRUNSWICK

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick (1980), 31 N.B.R. (2d) 371, 75 A.P.R. 371, qui a rejeté l’appel du ministère public contre un acquittement relatif à une accusati

on de complot en vue d’importer un stupéfiant contrairement à l’al. 423(2)d) du Code criminel. Pourvoi accueilli.

S.R. Fa...

Cour suprême du Canada

R. c. Carter, [1982] 1 R.C.S. 938

Date: 1982-06-23

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Robert James Carter Intimé.

N° du greffe: 16256.

1982: 27 janvier; 1982: 23 juin.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Dickson, Estey et McIntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU NOUVEAU-BRUNSWICK

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick (1980), 31 N.B.R. (2d) 371, 75 A.P.R. 371, qui a rejeté l’appel du ministère public contre un acquittement relatif à une accusation de complot en vue d’importer un stupéfiant contrairement à l’al. 423(2)d) du Code criminel. Pourvoi accueilli.

S.R. Fainstein, pour l’appelante.

J.C. Letcher (amicus curiae), pour l’intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE MCINTYRE — Ce pourvoi soulève la question de savoir quelle norme de preuve est requise en matière de participation d’un accusé à un complot pour que puisse s’appliquer ce qui est connu comme «l’exception à l’égard des conspirateurs» à la règle de l’irrecevabilité du ouï-dire, de manière à rendre recevable contre l’accusé ce qu’ont fait et dit ses coconspirateurs en vue de l’exécution du complot.

L’intimé a subi son procès avec un nommé Gauvin devant un juge et un jury relativement à un acte d’accusation ainsi rédigé:

[TRADUCTION] ROBERT JAMES CARTER et FIDÈLE ARMAND GAUVIN sont accusés d’avoir, entre le 1er août 1978 et le 1er novembre 1978 inclusivement, à Dieppe ou dans ses environs dans le comté de Westmorland (Nouveau-Brunswick), comploté ensemble et avec Robert Hatto et Charles Allum de Roxbury dans l’Etat du Massachusetts aux États-Unis d’Amérique, ainsi qu’avec d’autres personnes inconnues, en vue de commettre l’acte criminel qui consiste à importer au Canada un stupéfiant, savoir du cannabis (marihuana), contrairement au par. 5(1) de la Loi sur les stupéfiants du Canada, modifiée, et d’avoir ainsi commis une infraction contrairement à l’al. 423(1)d) du Code criminel du Canada, modifié.

Selon la théorie du ministère public, la marihuana devait être importée au Canada en provenance des États-Unis. L’intimé devait fournir les

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fonds nécessaires et les véhicules destinés au transport. Gauvin devait se charger des rencontres et des arrangements en vue de l’achat aux États-Unis. Allum (non accusé) devait trouver des sources de stupéfiants aux États-Unis, tandis que Hatto (également non accusé) était censé s’occuper de faire entrer ces stupéfiants au Canada. Il se dégage de la preuve du ministère public que deux véhicules à moteur soumis à la surveillance policière ont fait l’objet de déplacements considérables, qu’il y a eu interception de conversations téléphoniques entre les différents présumés conspirateurs, que ces derniers ont effectué des voyages aux États-Unis, que Carter a obtenu des sommes en devises américaines et qu’on a retenu l’un des véhicules à moteur dans lequel avait été découvert un compartiment caché qui contenait des traces de marihuana. Somme toute, il y avait des éléments de preuve sur lesquels un jury qui a reçu des directives appropriées aurait pu se fonder pour rendre un verdict de culpabilité. Le jury a cependant rendu un verdict d’acquittement en faveur de l’intimé et la Cour d’appel a rejeté l’appel formé par le ministère public. Le ministère public se pourvoit devant cette Cour avec l’autorisation de celle-ci. Bien qu’il ait reçu avis des présentes procédures, l’intimé Carter n’y a pas participé[1]; le procureur général du Nouveau-Brunswick a toutefois fait en sorte qu’il y ait comparution d’un amicus curiae et celui-ci a produit un mémoire pour le compte de l’intimé et a plaidé sa cause en cette Cour.

Après avoir donné au jury des directives, incontestées en cette Cour, quant à la nature générale du crime de complot, le juge du procès a dit ceci:

[TRADUCTION] Alors vous aurez à vous poser ces questions: «Robert Carter a-t-il participé à un complot?» «Fidèle Gauvin a-t-il participé à un complot?» Et vous aurez à garder séparés les éléments de preuve qui s’appliquent à Robert Carter et ceux qui s’appliquent à Fidèle Gauvin.

Je vais vous demander d’en arriver à votre verdict par étapes. La première question que vous devrez vous poser est de savoir si la preuve vous convainc qu’il y a eu complot en vue d’importer de la marihuana. Il s’agit donc de savoir non pas si ces gens ont participé au

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complot, mais s’il y a eu un complot, à l’origine des faits et des événements qui ont été relatés devant vous, en vue d’importer de la marihuana.

Si vous décidez que certaines personnes ont convenu de le faire, vous devrez alors vous poser ces questions: «Robert Carter a-t-il participé à ce complot? Etait-il partie à l’entente?» Puis séparément: «Fidèle Gauvin était-il partie à l’entente?» Comme je l’ai déjà dit, vous pouvez conclure à l’innocence des deux accusés, ou à la culpabilité de l’un et à l’innocence de l’autre ou à la culpabilité des deux, parce que, si vous estimez qu’ils ont accompli certains actes ou qu’ils ont été parties à une entente, vous devrez tirer cette conclusion en vous fondant sur divers actes individuels.

Si vous décidez que la réponse à toutes ces questions est «Oui» - «Oui, il y a eu complot», «Oui, Robert Carter y a participé» et «Oui, Fidèle Gauvin y a participé» - ce n’est qu’alors que vous pourrez considérer des éléments de preuve quant aux actes et aux propos de Robert Carter comme des preuves recevables contre Fidèle Gauvin, ou vice versa.

Plus loin il a affirmé:

[TRADUCTION] Nous avons donc décidé et nous décidons effectivement qu’une bonne partie de ce qu’a dit une personne ne peut servir de preuve contre l’autre personne. Une bonne partie de ce que fait une personne en l’absence de l’autre ne peut servir de preuve contre cette dernière, à moins que vous ne concluiez qu’il y a eu complot, que chacune de ces personnes y a participé et, à ce moment-là, tout ce qu’a fait ou dit l’une en vue de l’exécution du complot peut servir de preuve contre l’autre. Mais pour parvenir à cette étape, vous devez d’abord vous poser ces trois questions, sinon il faudra garder séparés les éléments de preuve qui s’appliquent à Robert Carter et ceux qui s’appliquent à Fidèle Gauvin.

L’appelante a contesté ces directives. En Cour d’appel, on a fait valoir que les propos du juge du procès revenaient à dire au jury qu’il incombait au ministère public, afin de pouvoir invoquer l’exception à la règle du ouï-dire à l’égard des conspirateurs, de prouver hors de tout doute raisonnable que l’intimé avait participé au complot. Cela, a-t-on prétendu, constituait une erreur de droit qui imposait au ministère public relativement à cette question un fardeau de la preuve plus lourd qu’il ne le fallait. Le juge Limerick, parlant au nom de la Cour d’appel, a exprimé l’avis que certains arrêts exigent une preuve prima facie de la participation d’un accusé au complot. Il a estimé que

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l’expression prima facie, lorsqu’il s’agit de prouver des faits sous le régime du Code criminel, signifie [TRADUCTION] «preuve hors de tout doute raisonnable en l’absence d’autres éléments de preuve qui font naître un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé». Il s’est référé à l’arrêt R. c. Proudlock, [1979] 1 R.C.S. 525, où, après avoir affirmé qu’un accusé dans des procédures criminelles doit prouver selon la prépondérance des probabilités tout fait dont la preuve lui incombe, le juge Pigeon ajoute [aux pp. 548 et 549]:

Ce n’est pas le cas lorsque la présomption ne constitue qu’une preuve prima facie. Le fardeau de la preuve n’est pas déplacé. L’accusé n’a pas à «établir» une défense ou une excuse, il lui suffit de soulever un doute raisonnable. S’il n’y a rien dans la preuve présentée par le ministère public qui puisse soulever un doute raisonnable, il incombe nécessairement à l’accusé de présenter une preuve s’il veut éviter une condamnation.

Le juge Limerick a alors fait remarquer que l’intimé Carter n’avait pas témoigné pour son propre compte et que, par conséquent, il n’avait pas réfuté la preuve prima facie que le ministère public avait présentée contre lui. Puis il a ajouté [à la p. 376]:

[TRADUCTION] Si le jury a effectivement pris en considération cette preuve présentée contre Carter [la preuve des actes et des déclarations de ses coconspirateurs], ce moyen d’appel est sans fondement, car la modification proposée à l’exposé n’aurait rien changé à son verdict. Si, par contre, le jury n’a pas considéré comme preuve recevable contre l’intimé ce qu’ont fait et dit Gauvin et Allum en vue de l’exécution du complot, particulièrement les conversations téléphoniques entre eux, le verdict de non-culpabilité peut seulement signifier que le jury a estimé que le ministère public n’avait pas établi une preuve prima facie contre l’intimé.

En cette Cour, on n’a soulevé qu’un seul moyen qui est ainsi formulé dans le mémoire du ministère public:

[TRADUCTION] Cette affaire soulève la question suivante: «Lorsqu’un accusé est inculpé de complot, suivant quelle norme de preuve faut-il établir que lui-même et un participant ou un témoin particulier ont tous deux participé au complot pour que les actes ou les déclarations de ce dernier soient recevables contre l’accusé?»

Le ministère public a fait valoir qu’une fois établie l’existence d’un complot, il suffit, pour prouver la

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participation de l’accusé de manière à pouvoir invoquer l’exception à la règle du ouï-dire à l’égard des conspirateurs, de produire des éléments de preuve qui établissent sa participation et qui sont directement recevables contre lui. Dans son mémoire, le ministère public formule ainsi cette thèse:

[TRADUCTION] Nous soutenons respectueusement que la seule condition préalable à laquelle il faut satisfaire pour que le juge des faits puisse retenir les actes et les déclarations des coconspirateurs de l’accusé contre ce dernier, est que l’on puisse dire à l’égard de chacun d’eux qu’il existe des éléments de preuve contre lui, qui, indépendamment des actes et des déclarations d’autres personnes, tendent à démontrer qu’il a participé au complot.

Tout en prétendant que l’exposé au jury sur ce point ne requiert aucune formule particulière, l’amicus curiae a reconnu qu’il n’incombe pas au ministère public de prouver absolument hors de tout doute raisonnable la participation à un complot. Il a cependant fait valoir que le jury avait reçu des directives appropriées sur cette question, affirmant dans son mémoire:

[TRADUCTION] Le juge du procès en l’espèce a bien expliqué au jury que pour pouvoir considérer les actes ou les déclarations de Carter ou de Gauvin comme preuve recevable contre l’autre, il devait conclure, en se fondant sur une preuve indépendante produite contre celui-ci, a) qu’il y a eu complot et b) que l’un et l’autre ont participé à ce complot. Ce n’est qu’alors (sans utiliser une terminologie juridique) que l’exception à la règle du ouï-dire à l’égard des coconspirateurs s’appliquerait.

Il n’y a donc eu aucune erreur à cet égard et le ministère public doit être débouté. Voilà donc l’historique de la question dont nous sommes saisis.

Il existe de nombreuses interprétations de l’exception à la règle du ouï-dire à l’égard des conspirateurs qui tentent toutes de résoudre le problème logique inhérent à son application. Ce problème peut être formulé simplement. Lorsqu’un accusé est inculpé du crime de complot, il suffit, pour qu’il y ait déclaration de culpabilité, de prouver son consentement au prétendu dessein illégal, c.-à-d. sa participation au complot. Cette exception peut être appliquée pour prouver la participation de l’accusé au moyen des actes posés et des déclarations faites par les coconspirateurs en vue

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de réaliser les objets du complot. L’exception est cependant fonction d’un fait préliminaire, savoir la participation à ce même complot. Il faut donc prouver la participation pour que l’exception puisse s’appliquer. Toutefois, vu que la participation constitue l’essence de l’infraction, dès que la participation est prouvée, l’exception à la règle du ouï-dire semble superflue.

Ce n’est que si la preuve préliminaire de la participation se fait selon une norme moins sévère que la norme habituelle en matière pénale que cette exception peut être appliquée sans en même temps trancher la question de fond qui a été soulevée. Dès qu’on a prouvé la participation suivant une norme moins sévère, alors la preuve par ouï-dire, devenue recevable grâce à l’application de l’exception, peut être considérée par le juge des faits relativement à la question de la preuve hors de tout doute raisonnable de l’infraction. Bien que la règle générale soit facile à formuler, son application soulève des difficultés. A qui appartient-il de tirer la conclusion préliminaire quant à la participation et quelle est la norme de preuve appropriée à ce stade?

Lorsqu’ils essaient de trancher cette question, les juges doivent d’une part faire face à la règle bien établie qui reconnaît le principe du mandat relativement au complot en droit criminel, mais ils doivent néanmoins demeurer profondément conscients de l’injustice grave qui pourrait résulter de l’application de l’exception des conspirateurs à la règle du ouï-dire à une personne dont on n’a pas en réalité prouvé la participation au complot. En général, on choisit de procéder par deux étapes et on exige que, pour chaque accusé, la question de sa participation au complot soit tranchée en fonction d’éléments de preuve directement recevables contre lui, avant de permettre l’application de l’exception en vue d’arriver à une conclusion sur la question plus importante de sa culpabilité ou de son innocence relativement à l’infraction reprochée dans l’acte d’accusation.

On a proposé de maintenir une distinction nette entre les deux étapes par l’attribution au juge du procès de la responsabilité de trancher cette question de fait préliminaire: voir Carbo v. United States, 314 F. 2d 718 (1963). Ainsi, après la tenue

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d’un voir dire, le juge du procès statue sur la question et soit il exclut l’application de l’exception, soit il ordonne au jury de l’appliquer. Au Canada, cette méthode n’a pas bonne presse et n’a donc pas été adoptée. Elle a été rejetée par le juge Martin de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Hobart et al v. R. (1982), 25 C.R. (3d) 214, où, s’exprimant au nom de la Cour, il affirme aux pp. 228 et 229:

[TRADUCTION] Devant la difficulté inhérente que pose la coïncidence de la question de fond et du fait préliminaire dont dépend la recevabilité contre un accusé des actes et des déclarations de ses présumés coconspirateurs, certaines cours américaines ont élaboré une méthode quelque peu différente qui est illustrée dans l’arrêt de la Cour d’appel des États-Unis, Neuvième circuit, Carbo v. U.S. (1963), 314 F. (2d) 718.

Suivant cette méthode, le juge statue sur la recevabilité des déclarations faites par les présumés coconspirateurs en vue de l’exécution du complot. Le juge reçoit les déclarations comme preuve s’il est convaincu, à supposer que la preuve indépendante est crédible, de l’existence d’une preuve prima facie (c’est-à-dire d’une preuve qui permettrait de conclure que l’accusé a participé au complot). Cela fait, il appartient au jury de déterminer si la preuve, y compris les déclarations, est crédible et convaincante hors de tout doute raisonnable (p. 737). Si je comprends bien la règle, dès que le juge décide que la preuve indépendante (la preuve autre que les déclarations de présumés coconspirateurs) constitue une preuve prima facie, la preuve indépendante ainsi que les déclarations de présumés coconspirateurs qui se dégagent d’une preuve par ouï-dire sont présentées au jury sur un pied d’égalité, sans lui dire qu’il est tenu de conclure de la preuve indépendante que l’accusé a participé au complot, avant d’utiliser contre lui les déclarations de ses présumés coconspirateurs.

La méthode élaborée dans l’arrêt Carbo v. U.S., précité, semble présenter l’avantage de simplifier énormément l’exposé du juge. Il se peut toutefois que cet avantage soit plus illusoire que réel et qu’il ne serve qu’à dissimuler le problème sous-jacent et insoluble.

De plus, la simplicité que l’on perçoit dans la méthode Carbo est, à mon avis, contrebalancée par le fait que le jury est privé de l’aide du juge pour déterminer quelles sont les éléments de preuve directement recevables contre un accusé et qu’il lui est donc loisible, à partir d’une preuve par ouï-dire, de lier l’accusé au complot.

Même si la règle adoptée dans l’arrêt Carbo n’empêche pas le juge de séparer la preuve directement recevable contre l’accusé des actes et des déclarations de

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présumés coconspirateurs, une telle pratique perd tout son sens lorsque la preuve directement recevable contre un accusé et les actes et déclarations de présumés coconspirateurs, qui se dégagent d’une preuve par ouï-dire, sont présentés au jury sur un pied d’égalité; pareille séparation va à l’encontre de l’ensemble de la méthode adoptée dans cet arrêt.

Il est vrai, bien sûr, que suivant la règle proposée dans l’arrêt Carbo v. U.S., précité, l’accusé jouit d’une protection en ce sens que le juge a déjà décidé qu’il existe une preuve indépendante suffisante pour étayer une conclusion par le jury que l’accusé a participé au complot. Le jury peut néanmoins conclure que la preuve indépendante est insuffisante et pas du tout convaincante et puis utiliser une déclaration apparemment accablante, qui se dégage d’une preuve par ouï-dire, pour lier l’accusé au complot.

Je suis d’accord avec le juge Martin lorsqu’il rejette la méthode du voir dire. J’approuve également l’observation qu’il fait à la fin de l’extrait ci-dessus tiré de l’arrêt Hobart, selon laquelle, malgré le fait que la méthode de l’arrêt Carbo vise à séparer les deux questions, le jury pourrait très bien confondre les deux et utiliser des déclarations qui se dégagent d’une preuve par ouï-dire pour lier l’accusé au complot. Le même danger existe évidemment lorsque le jury doit tirer cette conclusion préliminaire de la participation au complot. Il se peut qu’il assimile la preuve de la participation aux seules fins de l’application de l’exception à la règle du ouï-dire à la preuve de la culpabilité de l’accusé relativement à l’infraction reprochée dans l’acte d’accusation. Pour ce motif, j’estime qu’il faut bien prendre soin de tenir les deux questions séparées et cela implique la conservation d’une méthode d’exposé au jury comportant deux étapes.

Le juge du procès doit se rappeler que, pour déclarer un accusé coupable de complot, le jury, ou tout autre juge des faits, doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que le complot allégué dans l’acte d’accusation a eu lieu et que l’accusé y a participé. En tranchant la question de la participation aux fins de décider si l’accusé est coupable ou innocent de l’accusation contenue dans l’acte d’accusation, l’exception à la règle du ouï-dire peut être appliquée, mais seulement lorsqu’il existe des éléments de preuve de la participation de l’accusé au complot qui sont directement recevables contre lui sans qu’il soit nécessaire d’invoquer l’exception

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à la règle du ouï-dire pour établir la probabilité de sa participation. Il n’est pas indispensable que la preuve directement recevable soit présentée en premier lieu pour que toute preuve quant aux actes et aux déclarations des autres conspirateurs puisse être reçue. Les exigences du procès rendraient impossible la séparation chronologique des éléments de preuve. En définitive toutefois, pour que l’exception à la règle du ouï-dire puisse s’appliquer, la preuve relative à la question préliminaire de la participation de l’accusé au complot doit être présente. Dans son exposé au jury sur cette question, le juge du procès doit lui dire de décider si l’ensemble de la preuve le convainc hors de tout doute raisonnable de l’existence du complot reproché dans l’acte d’accusation. Si le jury n’en est pas convaincu, il doit alors acquitter l’accusé qui est inculpé d’avoir participé au complot. Si, toutefois, le jury conclut qu’il y a eu complot, comme on le prétend, il doit alors examiner la preuve et décider si, d’après la preuve directement recevable contre l’accusé, il est probable qu’il ait participé au complot. Si c’est là sa conclusion, le jury peut alors appliquer l’exception à la règle du ouï-dire et considérer comme recevable contre l’accusé, relativement à la question de sa culpabilité, la preuve des actes posés et des déclarations faites par les coconspirateurs en vue de réaliser les objets du complot. Cette preuve, ajoutée aux autres éléments de preuve, peut suffire pour convaincre le jury hors de tout doute raisonnable que l’accusé a participé au complot et qu’il est donc coupable. Toutefois, il faut dire au jury qu’il lui revient à lui seul de trancher cette question ultime et que le simple fait de conclure qu’il existe une preuve directement recevable contre l’accusé, suffisante pour lui permettre de considérer comme probable sa participation au complot et d’appliquer l’exception à la règle du ouï-dire, n’entraîne pas automatiquement une déclaration de culpabilité. Il faut dire clairement au jury qu’il ne peut rendre un verdict de culpabilité que si l’ensemble de la preuve relative aux deux questions, savoir l’existence du complot et la participation de l’accusé à ce complot, le convainc hors de tout doute raisonnable, et qu’il peut, s’il le juge bon ou s’il n’est pas convaincu, rendre un verdict d’acquittement en faveur de l’accusé, même après avoir conclu initialement à la probabilité de sa participation au complot, ce qui

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lui a permis d’appliquer l’exception à la règle du ouï-dire. Le juge du procès doit également signaler au jury, pour l’aider à trancher cette question, les éléments de preuve directement recevables contre l’accusé relativement à la question préliminaire de sa participation au complot. A mon avis, cette méthode est généralement compatible avec celle adoptée par le juge Martin dans l’arrêt R. v. Baron and Wertman (1976), 31 C.C.C. (2d) 525 et l’arrêt Hobart v. R., précité, où sont énoncés et étudiés les principes généraux applicables à l’examen de cette question et où est rassemblée la jurisprudence pertinente.

Quant à la présente affaire, je suis d’avis que dans son exposé, le juge du procès a donné au jury l’impression que, relativement à la question préliminaire de la participation de l’accusé au complot, il lui fallait être convaincu suivant la norme de preuve habituelle en matière pénale, c.-à-d. hors de tout doute raisonnable. Le juge a ainsi imposé au ministère public, relativement à cette question, un fardeau de la preuve plus lourd que celui exigé en droit. Au début de son exposé, il a donné au jury des directives sur l’exigence générale d’une preuve hors de tout doute raisonnable et, dans l’extrait de son exposé que j’ai reproduit plus haut, il emploie l’expression «si la preuve vous convainc qu’il y a eu complot». Cela se rapporte évidemment à l’existence du complot, mais, quand il a poursuivi en traitant la question de la participation de Carter au complot, il n’a pas indiqué qu’une norme de preuve moins sévère pouvait s’appliquer et, à mon avis, cette omission, ajoutée à la directive antérieure sur l’exigence générale d’une preuve hors de tout doute raisonnable, équivalait à dire au jury d’appliquer à cette question préliminaire de la participation la norme d’une preuve hors de tout doute raisonnable. A mon avis, le jury a ainsi reçu des directives erronées et le ministère public s’est vu imposer, relativement à la question préliminaire de la participation au complot, une norme de preuve plus sévère que celle exigée en droit. Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi et d’ordonner un nouveau procès.

Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné.

Procureur de l’appelante: R. Tassé, Ottawa.

Procureur de l’intimé: James C. Letcher (amicus curiae), Moncton.

[1] Voir [1982] 2 R.C.S. 937.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès ordonné

Analyses

Droit criminel - Complot - Nécessité d’une preuve indiquant la participation de l’accusé à un complot pour que l’exception à la règle du ouï-dire puisse s’appliquer - Exposé au jury - Code criminel, art. 423(1)d).

Droit criminel - Preuve - Ouï-dire - Exception a l’égard des conspirateurs - Nécessité d’une preuve indiquant la participation de l’accusé à un complot pour que l’exception à la règle du ouï-dire puisse s’appliquer.

L’intimé a été acquitté relativement à une accusation de complot en vue d’importer un stupéfiant malgré l’existence d’éléments de preuve sur lesquels le jury aurait pu fonder un verdict de culpabilité. La Cour d’appel a confirmé l’acquittement. La question en l’espèce est de savoir si le juge du procès a donné au jury des directives appropriées quant à la norme de preuve requise pour établir la participation d’une personne à un complot afin de pouvoir invoquer l’exception à la règle du ouï-dire à l’égard des conspirateurs.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès ordonné.

Pour déclarer un accusé coupable de complot, le jury doit être convaincu hors de tout doute raisonnable (1) que le complot a eu lieu et (2) que l’accusé y a participé. En tranchant la question de la participation, l’exception à la règle du ouï-dire peut être invoquée seulement lorsqu’une preuve directe contre l’accusé établit la probabilité de sa participation au complot. En l’espèce, le juge du procès a dit au jury qu’une preuve hors de tout doute raisonnable était requise sur la question du complot, mais n’a pas indiqué qu’une norme de preuve moins sévère pouvait s’appliquer à la question préliminaire de la participation au complot dans la mesure où cette question se rapporte à l’application de l’exception à la règle du ouï-dire. Cela équivalait en fait à dire au jury qu’il faut satisfaire à la norme plus sévère pour que l’exception à la règle du ouï-dire puisse être invoquée.

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Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Carter

Références :

Jurisprudence: arrêts approuvés: Hobart et al. v. R. (1982), 25 C.R. (3d) 214

R. v. Baron and Wertman (1976), 31 C.C.C. (2d) 525

arrêt non suivi: Carbo v. United States, 314 F. 2d 718 (1963)

arrêt mentionné: R. c. Proudlock, [1979] 1 R.C.S. 525.

Proposition de citation de la décision: R. c. Carter, [1982] 1 R.C.S. 938 (23 juin 1982)


Origine de la décision
Date de la décision : 23/06/1982
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1982] 1 R.C.S. 938 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1982-06-23;.1982..1.r.c.s..938 ?
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