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20/10/1981 | CANADA | N°[1981]_2_R.C.S._240

Canada | Oliver et autres c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 240 (20 octobre 1981)


Cour suprême du Canada

Oliver et autres c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 240

Date: 1981-10-20

Scott Douglas Oliver, Kirt Harold Oliver et William Henderson Appelants;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1981: 8 juin; 1981: 20 octobre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ALBERTA

POURVOIS contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta qui a accueilli l’appel interjeté par le ministère public de l’acquittement

des appelants accusés d’importation d’un stupéfiant. Pourvois accueillis.

Peter B. Gunn, pour l’appelant Scott D. Oliv...

Cour suprême du Canada

Oliver et autres c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 240

Date: 1981-10-20

Scott Douglas Oliver, Kirt Harold Oliver et William Henderson Appelants;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1981: 8 juin; 1981: 20 octobre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ALBERTA

POURVOIS contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta qui a accueilli l’appel interjeté par le ministère public de l’acquittement des appelants accusés d’importation d’un stupéfiant. Pourvois accueillis.

Peter B. Gunn, pour l’appelant Scott D. Oliver.

Alex Pringle, pour l’appelant Kirt H. Oliver.

P.G. Lister, pour l’appelant William Henderson.

J.A. Scollin, c.r., et S.R. Fainstein, pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE LAMER — Les appelants ont été accusés, jugés conjointement et acquittés, en Cour de district de l’Alberta, à Edmonton, de l’infraction d’importation d’un stupéfiant en contravention du par. 5(1) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1.

La Cour d’appel de l’Alberta (les juges Clement et Prowse, le juge Moir étant dissident) a accueilli l’appel, par la Couronne, du verdict d’acquittement et a ordonné un nouveau procès.

Les trois accusés se pourvoient de plein droit devant cette Cour conformément aux dispositions de l’al. 618(2)a) du Code criminel du Canada. Au procès, la poursuite a produit des certificats d’analyse conformément au par. 9(1) de la Loi sur les stupéfiants:

9. (1) Sous réserve du présent article, le certificat d’un analyste portant qu’il a analysé ou examiné une substance et énonçant le résultat de son analyse ou de son examen est recevable en preuve dans toute poursuite pour une infraction mentionnée au paragraphe 7(1) et, en l’absence de preuve contraire, constitue une preuve des déclarations qu’il contient sans qu’il soit nécessaire d’établir l’authenticité de la signature de la personne paraissant avoir signé le certificat ni de justifier de sa qualité officielle.

Il suffit de reproduire ici un de ces certificats, les autres étant essentiellement identiques, les différences n’ayant aucune importance aux fins de l’examen des questions que soulèvent ces pourvois:

[Page 242]

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA LABORATOIRES JUDICIAIRES

CERTIFICAT D’ANALYSE

Je, Anthony Paul Sellar, de la ville d’Edmonton dans la province d’Alberta, ayant été désigné(e) analyste par le gouverneur en conseil, aux fins de la Loi sur les stupéfiants, soit le Chapitre N-1 des Statuts revisés du Canada 1970, dans leur forme modifiée, ATTESTE PAR LES PRÉSENTES:

QUE, le 28e jour de janvier 1977, à Edmonton, dans la province d’Alberta, j’ai bien reçu du caporal R.J. Williams d’Edmonton, Alberta, une enveloppe brune scellée contenant un sac de plastique contenant un sachet de plastique contenant une poudre blanche portant les marques suivantes:

a) Sur ladite enveloppe:

«RJW

27-1-77

A »

QUE j’ai bien marqué comme suit ladite enveloppe:

«APS 77E-566 28 jan/77»

QUE j’ai bien procédé à une analyse chimique de la poudre blanche contenue dans le sachet de plastique qui s’y trouvait, et je constate qu’il contient de la Diacétylmorphine (héroïne).

DE PLUS, J’ATTESTE qu’au meilleur de ma connaissance et de mon habileté, ce certificat d’analyse est vrai.

Fait ce 16e jour de février 1977, à Edmonton dans la province d’Alberta.

N° DE DOSSIER

DU LABORATOIRE 77E-566

L’ANALYSTE (signé) A.P. Sellar

Avec la permission du juge du procès, les appelants ont contre-interrogé l’analyste. Il a décrit de la façon suivante la procédure généralement suivie, qui comporte cinq étapes:

[TRADUCTION] L’effet combiné des trois premiers tests était de cerner l’identité de la substance, mais même considérés collectivement, ils ne constituent pas un test spécifique pour l’héroïne. Le quatrième test est utilisé pour déterminer la quantité de substance suspecte présente. Seul le cinquième test visait spécifiquement la substance analysée; en ce qui a trait au cinquième test, la substance est placée dans un appareil qui produit un graphique.

[Page 243]

L’analyste a décrit comme suit ce qui est fait une fois le graphique obtenu:

[TRADUCTION]

Q. Bien, je suppose que lorsque vous obtenez un graphique au moyen de cet appareil, vous le comparez en fait à un autre graphique obtenu de ce que vous pourriez appeler un étalon connu, est-ce exact?

R. Oui, monsieur.

Q. Et d’où provient ce graphique d’un étalon connu?

R. Les échantillons des produits que nous utilisons comme étalons nous sont fournis par la Direction de la protection de la santé à Ottawa, et, afin d’en établir l’authenticité, des tests sont faits avec ces échantillons pour comparer les graphiques obtenus à des données établies.

Par la suite, en ce qui a trait à la procédure suivie en l’espèce après avoir obtenu le graphique, il a rendu témoignage comme suit:

[TRADUCTION]

Q. Avez-vous analysé l’étalon qui a donné le graphique auquel vous avez comparé ceux-ci?

R. A ce moment-là, je n’ai pas analysé l’étalon, non, pas lors du test à l’infrarouge.

Q. Pour être clair, lorsqu’on vous a remis le graphique, ou lorsque vous l’avez obtenu, quel que soit le cas, les quatre graphiques obtenus des quatre tests à l’infrarouge faits en l’espèce, qu’en avez-vous fait précisément?

R. Je les ai comparés à un graphique d’héroïne qui avait déjà été fait, de l’héroïne étalon, je m’excuse, obtenu(e) d’Ottawa.

Q. Qui a fait cette analyse, le savez-vous?

R. Non, monsieur.

Q. Vous ne savez pas quand elle a été faite?

R. Bien, elle est faite périodiquement, chaque fois qu’un nouveau lot arrive. Je crois que j’ai moi-même fait les échantillons étalons, ou les graphiques étalons qui sont utilisés actuellement.

Q. Actuellement?

R. Ceux qu’ils utilisent actuellement, oui, monsieur.

Q. Mais à ce moment-là, vous ne savez pas qui les avait faits?

R. Non, monsieur.

Q. L’avez-vous comparé à quelque chose d’autre?

R. Pas à ce moment-là, non.

(C’est moi qui souligne.)

[Page 244]

La description qu’a faite l’analyste de la procédure habituellement suivie me paraît claire. Il y a cependant une ambiguïté quant à la procédure suivie en l’espèce lorsqu’on examine le passage que j’ai souligné du témoignage de l’analyste. En effet, on peut voir dans ce passage, comme nous le verrons l’a fait la Cour d’appel, une indication que ce à quoi il a comparé le graphique était un graphique d’héroïne fait à Ottawa puis envoyé par Ottawa à son laboratoire à Edmonton, et non, selon la procédure habituelle qu’il a décrite, à un graphique établi dans son laboratoire à Edmonton sur de l’héroïne obtenue d’Ottawa.

Dans les motifs de son jugement, le juge du procès a dit:

[TRADUCTION] En l’espèce, nous ne savons rien de la substance qui a été envoyée d’Ottawa, et nous ne savons pas non plus qui a établi ce graphique étalon à Edmonton.

J’estime que la Cour est en droit de s’interroger sur l’expertise de l’analyste et de décider si, en fait, il a accompli sa tâche correctement et si, suite aux tests qu’il a effectués, son opinion est exacte. Ici, je crois que la faiblesse de l’analyse réside dans le graphique auquel l’analyste a comparé le graphique obtenu de la substance produite à la Cour. Nous ne savons rien de ce graphique. Le témoin ne l’a pas établi, et il ne semble pas savoir qui l’a établi.

Selon ce graphique, je suis convaincu que la substance est de l’héroïne, mais la difficulté est de savoir si ce graphique original provient de fait de l’héroïne, qui l’a établi et d’autres questions relatives à la preuve de ce graphique étalon.

Selon ce que j’ai pu comprendre du témoignage de l’analyste, toute l’analyse se fonde sur ce graphique étalon. Si ce graphique étalon est de quelque façon inexact, il est évident que les résultats des tests sont erronés. Je ne veux pas dire que ce graphique étalon était erroné, mais je dis que si l’on n’a pas de preuve que quelqu’un l’a établi à partir de la substance connue produite devant la Cour, alors ce graphique étalon n’a pas été prouvé à ma satisfaction.

En définitive, je dois conclure que j’ai un doute sur la nature de la substance, et par conséquent les accusés ont droit d’être acquittés.

Nonobstant l’ambiguïté déjà mentionnée quant à la procédure réellement suivie, laquelle, à mon

[Page 245]

avis, est bien minime si on lit le passage dans son contexte, on voit à la lecture de ses motifs de jugement que le juge du procès a résolu le problème, si problème il y a, en tirant deux conclusions de fait: une relative à la procédure habituellement suivie dans ce laboratoire, et une relative à la procédure suivie en l’espèce.

Selon la première conclusion de fait du juge du procès, la procédure que suit habituellement l’analyste est la suivante. La substance obtenue de la Direction de la protection de la santé à Ottawa, et qui est censée être de l’héroïne, est soumise à l’appareil spectrophotométrique à l’infrarouge du laboratoire pour obtenir un graphique qui est alors comparé à des «données établies» connues et acceptables afin de s’assurer que la substance reçue d’Ottawa est en fait de l’héroïne et, si c’est le cas, d’obtenir ainsi au moyen de l’appareil un graphique étalon de référence. Après avoir ainsi obtenu un graphique étalon, on compare les graphiques des substances suspectes à cet étalon afin de déterminer si la substance suspecte est de l’héroïne.

Pour ce qui est de la procédure suivie en l’espèce, le juge a conclu que l’analyste a comparé le graphique à un graphique que l’analyste supposait avoir été préparé à Edmonton de la manière habituelle à partir de l’héroïne obtenue d’Ottawa et non, comme aurait bien pu conclure le juge du procès en examinant une partie du témoignage de l’analyste, à un graphique obtenu d’Ottawa.

Aussi, comme le témoin n’avait pas préparé le graphique étalon, qu’il n’en avait pas surveillé la préparation et qu’il ne savait même pas qui l’avait fait, tout ce dont il pouvait témoigner, c’est que le graphique de la substance suspecte indiquait qu’il s’agissait d’héroïne mais seulement si et dans la mesure où la substance utilisée pour préparer le graphique étalon était elle-même de l’héroïne, une condition de fait préalable qu’il ne pouvait affirmer personnellement.

La valeur du cinquième test ayant été mise en doute, la poursuite a tenté, au cours d’un nouvel interrogatoire, d’amener l’expert à établir la présence d’héroïne au moyen des quatre premiers tests:

[Page 246]

[TRADUCTION]

Q. Bon, nous avons vu un tas de similarités, des hauts, des bas, des ondulations et tout le reste. Je m’y perds un peu, je n’ai qu’un B.A. Vous pouvez peut-être expliquer, à nous tous comme à moi-même, et je suis peut-être le seul ici à ne pas comprendre, alors vous pouvez peut-être nous expliquer comment vous avez pu conclure que c’était de l’héroïne diacétylmorphine?

R. Par le résultat des tests effectués.

Q. Bien, comment tous ces tests s’apparentent-ils, pouvez-vous expliquer cela?

R. Bien, quand vous commencez par un test de Marquis, le test de la couleur, si vous avez une couleur violâtre, cela indique généralement la présence d’un opiacé, pas exclusivement, mais il pourrait y avoir un opiacé.

Le second test serait un test spectrophotométrique à l’ultraviolet. Dans ce cas précis, pour les quatre sachets, je n’ai pas eu un U.V., une lecture à l’ultraviolet compatible avec l’héroïne. Ça indiquait plutôt de la caféine. A cause de l’indication de la présence de caféine, j’ai dû isoler l’héroïne du composé, et l’identifier séparément.

Q. Alors, qu’avez-vous fait?

R. C’est là que j’ai procédé à une colonne chromatographique pour séparer les stupéfiants de base, telle l’héroïne, des drogues neutres, telle la caféine. L’extrait de base a alors été examiné par spectrophotométrie à l’infrarouge.

Q. Et à partir de ce test — combien de fois aviez-vous utilisé ce test à l’infrarouge auparavant?

R. Combien de fois je l’ai utilisé?

Q. Oui?

R. Je crois que nous avons ce modèle à peu près depuis le moment où j’ai commencé à utiliser l’infrarouge, donc il y a peut-être deux ans qu’un instrument de ce modèle-là est là. Alors disons 50 à 100 fois tant pour l’héroïne que pour les autres drogues.

Q. Avez-vous eu des difficultés à interpréter les graphiques que vous avez obtenus?

R. Pas avec ceux-ci, non, monsieur.

Et plus loin, il a dit:

[TRADUCTION]

Q. L’avez-vous fait avec les échantillons qui sont devant la Cour aujourd’hui?

R. Je les ai comparés au spectre étalon, oui.

Q. A votre avis, quelle drogue avons-nous ici?

R. De l’héroïne diacétylmorphine apparaissait dans chaque sachet.

[Page 247]

Q. Avez-vous eu de la difficulté à tirer cette conclusion?

R. Non monsieur. L’infrarouge est utilisé dans nos laboratoires à titre de test corroboratif, mais à cause des autres tests effectués avant l’infrarouge, nous avons une très forte indication de la présence d’héroïne, et nous nous attendons à ce qu’elle réagisse comme elle l’a fait.

Q. Il n’y a donc pas eu de surprise?

R. Non, monsieur.

Tout au plus, la conclusion qu’on peut tirer des quatre premiers tests est une forte probabilité de la présence de «drogue de base», mais qui ne peut être qualifiée d’héroïne qu’après avoir été soumise à la spectrophotométrie à l’infrarouge. Il faut souligner en passant que la poursuite n’a pas tenté d’obtenir un ajournement aux fins de parfaire le test spectrophotométrique à l’infrarouge sur la substance suspecte, test dont la valeur était contestée. La poursuite, comme elle en avait le droit, a préféré s’appuyer sur le certificat et invoquer une interprétation restrictive de ce qui peut constituer une «preuve contraire».

En Cour d’appel, les trois juges ont appuyé leur opinion sur l’hypothèse que ce à quoi l’analyste d’Edmonton a comparé les graphiques des substances suspectes était un graphique d’héroïne préparé à Ottawa. Le juge Prowse a dit:

[TRADUCTION] Je ne vois pas pourquoi un étalon témoin préparé par le ministère que le Parlement canadien a désigné pour appliquer les lois relatives aux drogues et aux stupéfiants ne devrait pas être accepté par les cours, en l’absence de preuve contraire, comme un étalon témoin valable pour établir la nature d’une substance que visent ces lois. On ne s’est pas attaqué à l’étalon et on n’a produit aucune preuve qui soulève un doute quant à sa précision. En fait, dès que la défense s’est engagée par inadvertance dans un domaine où l’analyste allait souligner la différence entre un graphique d’héroïne et de cocaïne, l’interrogatoire a subitement changé d’orientation.

Il a alors décidé d’accueillir l’appel et d’ordonner un nouveau procès.

Le juge Moir était d’avis que la poursuite s’appuyait sur du ouï-dire:

[TRADUCTION] …puisque le graphique témoin avait été fait par une personne inconnue dans un ministère non identifié d’Ottawa, qui s’était servi d’une substance non identifiée…

et était d’avis de rejeter l’appel.

[Page 248]

Le juge Clement a examiné la question comme suit:

[TRADUCTION] On n’a présenté aucune preuve que la substance n’était pas de l’héroïne ou un autre stupéfiant visé par l’acte d’accusation. Ce qu’il faut examiner, c’est si le témoignage de Sellar peut donner ouverture à un doute raisonnable quant à l’exactitude de la preuve prima-facie: c’est-à-dire, est-ce que ce témoignage a réfuté de façon suffisante le fait dont le certificat fait preuve prima-facie, soit que la substance que les intimés étaient accusés d’avoir importée était un stupéfiant, savoir de l’héroïne.

Il a alors analysé la preuve et il a conclu:

[TRADUCTION] A la fin, Sellar a confirmé sa conclusion que la substance qu’il a analysée contenait de l’héroïne. A mon avis rien dans la preuve ne peut susciter un doute raisonnable quant à cette conclusion. Je suis d’avis d’accueillir l’appel et d’infirmer l’acquittement.

Je souscris à l’opinion du juge Prowse d’ordonner un nouveau procès.

Avec égards, je ne crois pas que se pose la question qu’ont examinée, en Cour d’appel, les juges Prowse et Moir. En effet, comme il s’agissait d’un appel par la poursuite, les questions de droit que la Cour d’appel pouvait examiner étaient celles découlant des faits tels que le juge du procès les avait constatés. La conclusion quant à la procédure que l’analyste a suivie en est une de fait. Elle ne peut être écartée, sur un appel de la Couronne, que si on ne peut la fonder raisonnablement sur aucune preuve disponible, ce qui en ferait une question de droit.

Ce n’est pas le cas en l’espèce.

Comme je l’ai déjà dit, le juge du procès a conclu que l’analyste avait comparé son graphique à un graphique que lui, l’analyste, supposait avoir été préparé dans son laboratoire; les juges de la Cour d’appel, soit parce qu’ils croyaient que le juge du procès avait conclu autrement ou parce qu’ils ont tiré leur propre conclusion sur cette question de fait, ont examiné l’appel comme si l’analyste avait comparé son graphique de la substance suspecte à un graphique envoyé par Ottawa à son laboratoire. La conclusion du juge du procès, que nous y souscrivions ou non (et je dois dire en

[Page 249]

passant que j’y souscris), doit prévaloir, puisque la Cour d’appel, lors d’un appel de la poursuite sur un acquittement, doit se limiter à l’examen de questions de droit seulement (al. 605(1)a)).

Par conséquent, ne se pose pas la question de savoir si un analyste doit vérifier l’étalon ayant un certain caractère officiel que lui fournit le gouvernement à Ottawa avant de s’appuyer sur cet étalon pour tirer une conclusion relative à des substances suspectes; et ne se pose pas non plus la question de savoir si la preuve qu’il n’a pas vérifié le graphique provenant d’Ottawa peut, en droit, être une «preuve contraire» au sens que l’art. 9 de la Loi sur les stupéfiants donne à ces mots.

En effet, comme je l’ai déjà dit, le juge du procès a conclu que ce à quoi l’analyste a comparé le graphique de la substance suspecte n’était pas, comme l’a supposé la Cour d’appel, un graphique établi à Ottawa, mais un graphique que l’analyste a supposé avoir été préparé à partir d’une substance reçue d’Ottawa. Ayant ainsi conclu, le juge, à la fin du procès, avait une preuve fournie par l’analyste portant que son opinion, énoncée tant devant la Cour que dans son certificat, était basée sur l’hypothèse qu’il faisait que le graphique avait été préparé par une personne qualifiée, qui avait suivi une procédure acceptable, et à partir d’une substance qui était en fait de l’héroïne.

Devant la Cour d’appel, la question était de savoir s’il y avait, en droit, une preuve permettant au juge du procès d’entretenir un doute raisonnable sur le fait que la substance suspecte était de l’héroïne. Examinant uniquement le témoignage d’opinion que l’analyste a rendu en cour, j’estime que cette preuve était évidente.

Comme la poursuite s’est appuyée sur la présomption qui s’attache au certificat de l’analyste, la dernière question à résoudre était de savoir si la preuve qu’il a appuyé son certificat sur cette hypothèse pouvait être une «preuve contraire» au sens que l’art. 9 donne à ces mots. Je suis d’avis que oui.

Constitue une «preuve contraire» toute preuve qui tend à mettre en doute la valeur probante que le Parlement, de par la loi, a conférée aux déclarations contenues dans le certificat visé à l’art. 9.

[Page 250]

Cette preuve peut viser l’analyste lui-même, sa compétence, son intégrité, ou encore les procédures qu’il a suivies pour tirer ses conclusions. L’article 9 a été adopté pour éviter d’assigner des experts à témoigner dans les cas où la nature de la substance suspecte n’est pas réellement en litige. Bien qu’au départ un certificat crée effectivement une présomption, les mots «preuve contraire» ne devraient pas être interprétés de façon à conférer aux affirmations que l’analyste fait dans un certificat une plus grande valeur probante en dernier ressort que lorsque ces mêmes affirmations sont faites sous serment devant la cour.

En ce qui a trait aux conclusions qu’un analyste a énoncées dans un certificat, constitue une «preuve contraire», au sens que l’art. 9 donne à ces mots, toute preuve sur laquelle le juge des faits pourrait, en droit, appuyer un doute raisonnable à l’égard des conclusions de cet analyste s’il avait témoigné en cour à titre d’expert.

Par l’insertion, à l’art. 9, des mots «et en l’absence de preuve contraire», le Parlement n’a fait rien de plus que d’énoncer de façon particulière pour la preuve faite au moyen du certificat visé à l’art. 9, ce qui, en fait, constitue la règle de droit applicable à la preuve faite par témoignage d’opinion, même plus, applicable à l’égard de toute preuve. Cette règle veut que le juge des faits ne puisse rejeter arbitrairement une preuve légale, c’est-à-dire qu’il ne peut le faire à moins qu’il n’y ait une preuve contraire qui l’autorise, en droit, à la rejeter.

L’intimée nous a suggéré de prendre en considération plusieurs opinions émises par les cours, et en particulier par cette Cour, en ce qui concerne la signification des mots «preuve contraire», employés à l’art. 237 du Code criminel, qui traite de l’analyse de l’haleine, du sang ou de l’urine des conducteurs de véhicules à moteur.

Malheureusement, ces opinions ne nous aident guère à résoudre les questions posées en l’espèce. Il est vrai qu’aux al. 237(1)c) et c.1), le législateur a employé un langage similaire à celui de l’art. 9 de la Loi sur les stupéfiants. Cependant, le Parlement est allé beaucoup plus loin et a spécifié à l’art. 237 les procédures à suivre et les types d’instruments

[Page 251]

approuvés qu’il faut utiliser pour prélever les échantillons et les analyser.

En adoptant l’art. 237, le législateur a établi, selon les mots de mon collègue le juge Beetz dans l’arrêt R. c. Moreau[1], à la p. 272, un système législatif complexe qui

…envisage et prévoit des éléments certains, comme l’approbation officielle de certains types d’instruments, la désignation d’analystes et de techniciens qualifiés, un délai maximum pour prélever un échantillon d’haleine après l’infraction alléguée et la mesure, par un technicien qualifié utilisant un instrument approuvé, d’un taux d’alcoolémie excédant un chiffre donné. Le fait de satisfaire aux conditions fixées par ce système fait naître une présomption contre le prévenu, qu’il peut réfuter par une «preuve contraire».

De fait, le système permet toutes sortes de raccourcis pour faire la preuve et confère à diverses espèces de certificats une valeur probante particulière qui est ensuite renforcée par les présomptions que créent les diverses analyses scientifiques; mais ces raccourcis ne sont permis et ces présomptions n’opèrent que si l’analyste et les autres intervenants au processus ont suivi à la lettre les procédures complexes, et utilisé les instruments approuvés, prescrits en vertu de l’art. 237. Par conséquent, ce qui peut être une «preuve contraire» en vertu de l’art. 237 du Code criminel doit être décidé en fonction de ce système législatif complexe. Dans la Loi sur les stupéfiants, on ne dit nullement à l’expert comment procéder, ni quels instruments spécialement approuvés il doit utiliser dans l’exercice de son art pour que ses conclusions aient une valeur probante particulière. Ce qui peut être une «preuve contraire» en vertu de l’une ou l’autre des infractions doit être déterminé en fonction de cette différence. La façon différente dont le Parlement a envisagé les problèmes de preuve en vertu de l’art. 237 du Code criminel et les crimes visés par la Loi sur les stupéfiants est certainement l’expression de la reconnaissance, par le législateur, de la gravité inégale des deux genres d’infractions, et de la disparité des conséquences d’une condamnation en vertu de l’art. 237 du Code criminel (habituelle-

[Page 252]

ment une amende et une quelconque réduction des privilèges du conducteur) et d’une condamnation en vertu de l’art. 5 de la Loi sur les stupéfiants, qui peut entraîner l’emprisonnement à vie et, de toute manière, une sentence minimale de sept ans de détention.

Je suis donc d’avis qu’il y avait, en droit, une «preuve contraire» sur laquelle le juge du procès pouvait fonder un doute quant à la valeur probante des déclarations contenues dans le certificat portant que la substance était de l’héroïne; par conséquent, si on examine toute la preuve, celle faite oralement comme celle faite par certificat, il existait à mon avis de la preuve sur laquelle le juge a pu fonder, comme il l’a fait, un doute raisonnable quant à ce fait et prononcer l’acquittement.

Je suis d’avis d’accueillir les pourvois des trois appelants, d’infirmer l’ordonnance d’un nouveau procès et de rétablir les verdicts d’acquittement.

Pourvois accueillis.

Procureurs de l’appelant Scott D. Oliver: Gunn & Company, Edmonton.

Procureurs de l’appelant Kirt H. Oliver: Pringle, Brimacombe, Edmonton.

Procureur de l’appelant William Henderson: Philip G. Lister, Edmonton.

Procureur de l’intimée: R. Tassé, Ottawa.

[1] [1979] 1 R.C.S. 261.


Synthèse
Référence neutre : [1981] 2 R.C.S. 240 ?
Date de la décision : 20/10/1981
Sens de l'arrêt : Les pourvois sont accueillis

Analyses

Droit criminel - Preuve - Accusation d’importation illégale d’héroïne - Doute quant à la nature de la substance - Détails de la préparation du graphique étalon inconnus de l’analyste - «Preuve contraire» á l’encontre du certificat de l’analyste - Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, art. 5, 9 - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34 modifié, art. 237.

Appel - Appel de la poursuite a l’encontre de l’acquittement restreint á des questions de droit - Conclusion du juge du procès sur la procédure suivie par l’analyste est une question de fait - La conclusion du juge du procès doit prévaloir - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 605(1)a).

Les appelants ont été acquittés de l’infraction d’importation illégale d’un stupéfiant. Le juge du procès n’était pas convaincu que le graphique étalon connu à partir duquel toute l’analyse a été effectuée avait été préparé de la façon prescrite et, par conséquent, il avait un doute quant à la nature de la substance présentée comme de l’héroïne. La Cour d’appel a accueilli l’appel de la poursuite et a ordonné un nouveau procès.

Arrêt: Les pourvois sont accueillis.

Il y avait une preuve sur laquelle le juge du procès pouvait, en droit, fonder un doute raisonnable quant à la nature de la substance suspecte. Bien qu’un certificat d’analyse crée effectivement une présomption, les mots «preuve contraire» à l’art. 9 de la Loi sur les stupéfiants ne devraient pas être interprétés de façon à conférer aux affirmations que l’analyste fait dans un certificat une plus grande valeur probante en dernier ressort que lorsque ces mêmes affirmations sont faites sous serment devant la cour. Constitue une «preuve contraire» toute preuve qui tend à mettre en doute la valeur probante que le Parlement, de par la loi, a conférée aux déclarations contenues dans le certificat visé à l’art. 9.


Parties
Demandeurs : Oliver et autres
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :

Jurisprudence: R. c. Moreau, [1979] 1 R.C.S. 261.
[Page 241]

Proposition de citation de la décision: Oliver et autres c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 240 (20 octobre 1981)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1981-10-20;.1981..2.r.c.s..240 ?
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