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28/06/1979 | CANADA | N°[1979]_2_R.C.S._709

Canada | Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709 (28 juin 1979)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709

Date : 1979-06-28

Raymond Cloutier Appelant; et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1978: 13 décembre; 1979: 28 juin.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

COUR SUPRÊME DU CANADA

Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709

Date : 1979-06-28

Raymond Cloutier Appelant; et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1978: 13 décembre; 1979: 28 juin.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC


Synthèse
Référence neutre : [1979] 2 R.C.S. 709 ?
Date de la décision : 28/06/1979
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Droit criminel - Procès par jury - Récusations pour cause - Récusations péremptoires - Irrégulari­tés - Nullité relative - Exposé du juge au jury - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 21, 562, 563, 568, 569.

Droit criminel - Preuve - Importation d’un stupé­fiant - Lettre de transport - Original ou copie - Copie sans affidavit - Objets visant à prouver que l’accusé fait usage de marihuana - Pertinence de la preuve - Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 30 - Loi sur le transport aérien, chap. C-14, Annexe 1, art. 6, 8, 11.

L’appelant a. été inculpé d’avoir importé un stupéfiant au Canada soit 20 livres de cannabis (marihuana). Il est en preuve que la marchandise était dissimulée dans le double fond d’un vaisselier provenant de l’Amérique du Sud, que l’appelant avait demandé à sa mère d’entrepo­ser chez elle où les policiers ont effectué la perquisition. L’accusé est acquitté par un jury mais la poursuite interjette appel du verdict alléguant que:

1) le choix du jury est entaché d’irrégularités de nature à vicier le procès et à entraîner la nullité du verdict. D’abord, le juge a refusé à l’accusé le droit de récuser péremptoirement un juré que les vérificateurs avaient déclaré impartial, après avoir antérieurement accordé ce droit à l’égard d’un autre juré dans la même situation. Le juge a aussi permis à l’avocat de l’accusé de poser des questions à un juré après l’assermentation de ce dernier;

2) le juge du procès a refusé d’admettre en preuve la production d’une «lettre de transport aérien» rela­tive au vaisselier contenant la marihuana ainsi que des certificats d’analyse pour établir que les objets saisis chez l’accusé, mégot de cigarette, pipe, substance verte, indiquaient que lui-même faisait usage de marihuana;

3) l’exposé du juge au jury serait insuffisant parce que le juge aurait omis d’expliquer au jury les

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dispositions du Code criminel concernant «les parties» à une infraction.

La Cour d’appel ne se prononce pas sur les conséquen­ces de la première prétention mais reconnaît le bien-fondé des deux autres, casse le verdict d’acquittement et ordonne un nouveau procès. D’où le pourvoi à cette Cour.

Arrêt (les juges Martland, Pigeon et Beetz étant dissidents): Le pourvoi doit être accueilli.

Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Spence, Dickson, Estey et Pratte: II convient de répondre séparément aux trois questions soulevées:

1) L’examen de la jurisprudence et des textes législa­tifs amène à conclure que la règle et la pratique qui existaient en Angleterre et au Canada à l’époque de la première codification du droit criminel n’ont pas été modifiées et qu’en l’espèce le juge du premier procès a erré lorsqu’il a refusé à l’accusé le droit de récuser péremptoirement un juré que les vérificateurs avaient trouvé impartial. Si l’accusé peut demander la nullité du procès et du verdict suite à pareille illégalité, il s’agit d’une nullité relative et le poursuivant ne peut se plain­dre de ce que l’accusé aurait exercé ou n’aurait pas exercé un droit de récusation qui est un droit purement personnel à l’accusé. Quant aux questions additionnelles posées à un juré après son assermentation, le juge a sans doute eu tort de les permettre, mais rien n’indique que cette erreur ait pu avoir quelque influence sur le verdict d’acquittement. Les irrégularités commises à l’occasion de la formation du jury ne sont donc pas de nature à faire annuler le verdict d’acquittement.

2) La Cour d’appel a décidé que le juge du procès avait eu tort de refuser la production d’une «lettre de transport aérien». Ce document est régi par la Loi sur le transport aérien selon laquelle pareille lettre comprend trois exemplaires originaux. La pièce qu’on voulait pro­duire en l’espèce n’était pas un de ces trois originaux mais une copie qui, pour être admissible, aurait dû être accompagnée de l’affidavit prescrit par le par. 30(3) de la Loi sur la preuve au Canada. Quant aux pièces visant à établir que l’accusé faisait usage de marihuana, leur admissibilité est déterminée par la pertinence de la preuve ou l’existence entre deux faits d’un lien qui permette d’inférer l’existence de l’un en raison de l’exis­tence de l’autre.

En l’espèce, il n’y a aucun lien entre le fait que l’accusé soit un usager de la marihuana et le fait qu’il savait ou aurait dû savoir que le vaisselier contenait un stupéfiant lors de son importation. La mens rea est un élément essentiel du crime qu’on lui reproche et elle doit être établie hors de tout doute raisonnable. Le genre de

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preuve qui ne peut que faire naître des soupçons contre l’accusé est précisément le genre de preuve qui ne peut être admis. De même cette preuve ne saurait davantage être admise parce qu’elle révèlerait l’intérêt de l’accusé à l’importation. La preuve du mobile d’un crime est géné­ralement permise à titre de preuve indirecte mais uni­quement si elle est pertinente. En l’espèce, on ne peut pas dire que l’usage par l’appelant de marihuana est en lui-même un fait pouvant établir le mobile du crime d’importation dont il est accusé.

3) Enfin, contrairement à l’avis de la Cour d’appel, le juge n’avait pas à expliquer au jury la portée des disposi­tions du Code criminel concernant les parties à une infraction. Toute la preuve de la poursuite visait à prouver que c’est l’appelant qui avait commis l’infrac­tion, le juge devait instruire le jury des règles de droit soulevées par le procès tel qu’il s’était déroulé.

Les juges Martland et Pigeon, dissidents: Le manque d’avis invoqué par le premier juge pour refuser la pro­duction de la lettre de transport aérien était une simple informalité puisque le document avait été produit à l’enquête préliminaire. Quant à la prétention que la lettre n’était qu’une copie, il s’agit en l’instance d’une poursuite criminelle et la lettre en question est «une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires» du transporteur aérien, au sens du par.(1) de l’art. 30 de la Loi sur la preuve au Canada. Le fait qu’il n’y a pas de signature sur le document ne saurait non plus constituer, en matière criminelle, un obstacle à la preuve. La Cour d’appel a également eu raison de déclarer admissibles des certificats d’analyse et autres pièces que le poursui­vant voulait produire pour prouver 1) la mens rea 2) l’intérêt de l’accusé quant à l’importation. Les deux raisons invoquées sont valables. Dans des affaires de ce genre, l’intention coupable ne pouvant ordinairement être établie par une preuve directe, il faut donc admettre tout ce qui peut constituer un élément de preuve indi­recte, même si la relation entre celui-ci et l’intention coupable n’est pas démonstrative. Dès qu’il existe, une certaine relation, la preuve de chaque élément doit être admise quel qu’en soit le poids. La seconde raison, soit l’intérêt ou le motif de l’accusé, par opposition à l’inten­tion, semble péremptoire quant à l’admissibilité de la preuve de tout ce qui tend à démontrer que l’accusé fait usage de marihuana.

Le juge Beetz, dissident: Des deux erreurs reprochées par la Cour d’appel au juge du procès, la seule qu’il a commise c’est de refuser d’admettre en preuve la lettre de transport aérien tendant à établir l’importation. Mais le dossier contenant d’autres preuves de cette importa­tion, il faudrait retourner le dossier à la Cour d’appel pour qu’elle apprécie la suffisance des autres preuves.

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[Jurisprudence: Rose c. La Reine [1973] C.A. 579 (arrêt appliqué); distinction faite avec les arrêts Re Martin and The Queen (1973), 11 C.C.C. (2d) 224 et Levac v. La Reine (1975), 32 C.C.C. (2d) 357; R. v. Battista (1912), 21 C.C.C. 1; Horatio Bottomley (1922), 16 Cr. App. R. 184; Bussières c. Regem (1931), 53 B.R. 16; R. c. Stewart, [1932] R.C.S. 612; Canada Sugar Refining Co. v. Reg. [1898] A.C. 735; Morin c. La Reine (1890), 18 R.C.S. 407; R. v. Ward (1972), 22 C.R.N.S. 153; R. v. Churton (1919), 31 C.C.C. 188; Henry Williams (1925), 19 Cr. App. R. 67; R. v. Page, [1965] Crim. L.R. 444; R. v. Edmonds (1821), 4 B. & Ald. 471; R. c. Lalonde (1898), 7 B.R. 201; R. v. Elliott (1973), 22 C.R.N.S. 142; Whelan v. The Queen (1868), 28 U.C.Q.B. 108; McLean c. Le Roi, [1933] R.S.C. 688; R. v. Mah Hung (1912), 17 B.C.R. 56; Boyle and Merchant (1914), 10 Cr. App. R. 180; Noor Mohamed v. The King, [1949] A.C. 182; R. c. Barbour, [1938] R.C.S. 465; R. v. Bond, [1906] 2 K.B. 389; Boardman v. D.P.P., [1974] 3 All E.R. 887; Thompson v. The King, [1918] A.C. 221; Beaver c. La Reine, [1957] R.C.S. 531; R. v. Boyer (1968), 4 C.R.N.S. 127; R. v. Blondin (1970), 2 C.C.C. (2d) 118; Rance and Herron (1975), 62 Cr. App. R. 118; Scarrott (1977), 65 Cr. App. R. 125.]

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel. du Québec infirmant un verdict d’acquittement. Pourvoi accueilli, les juges Martland, Pigeon et Beetz étant dissidents.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Ritchie, Spence, Dickson, Estey et Pratte a été rendu par

LE JUGE PRATTE — L’appelant se pourvoit contre l’arrêt unanime de la Cour d’appel de la province de Québec (les juges Montgomery, Tur­geon et Mayrand) qui casse le verdict d’acquitte­ment prononcé en sa faveur et ordonne un nouveau procès sur l’accusation d’avoir illégalement importé un stupéfiant au Canada.

Les faits sont bien résumés par le juge Mayrand dans ses motifs (il y avait deux erreurs de date que je corrige):

… Au cours de novembre 1972, madame Claire Cloutier rencontre son fils, l’intimé, qui lui demande si elle pourrait entreposer chez elle quelques meubles pour de ses amis alors en voyage en Amérique du Sud. Elle y consent à la condition que le ou les meubles ne soient pas trop gros et que ce ne soit pas pour une longue période de temps. A cette époque, madame Cloutier

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occupe une assez grande maison au numéro 2495 de la rue Galt Ouest, à Sherbrooke, tandis que son fils loge dans un appartement peu spacieux rue MacManamy, également à Sherbrooke.

Le 10 janvier 1973, madame Cloutier reçoit un appel téléphonique d’Air Canada lui annonçant l’arrivée d’un colis et demandant comment elle veut en prendre livraison. Elle demande à Air Canada de communiquer avec Maislin Transport Ltd, qu’elle chargeait de lui apporter ce colis et elle en prévient son fils l’intimé. Sur ces entrefaites, la Gendarmerie Royale avait examiné le colis suspect à l’aéroport de Dorval et avait découvert un sac de marihuana dissimulé dans une armoire à double fond. Le lendemain, Maislin Transport, en possession du colis, avise madame Cloutier qu’elle doit le faire dédoua­ner; elle en prévient son fils qui la charge de voir elle-même au dédouanement et lui avance $50 pour les frais. Le colis est alors livré chez madame Cloutier et les policiers surveillent constamment sa maison. Ce jour-là, le 12 janvier 1973, l’accusé se rend chez sa mère, il défait la caisse dans laquelle le meuble était emballé; le lendemain, un samedi, il demande par téléphone à Bérubé, un étudiant qui loue une chambre chez madame Cloutier, de laisser la porte du sous-sol débarrée pour la nuit et de n’en parler à personne; le surlendemain, un dimanche, il lui demande encore de laisser la porte débarrée et de fermer toutes les portes adjacentes, de fermer les rideaux et de n’en dire mot à personne. Mais encore une fois, personne ne vient chercher le meuble. De guerre lasse, les policiers entrent dans la maison de madame Cloutier et y saisissent le meuble contenant de la marihuana; aussi ils font une perquisition dans le logement de l’accusé où ils saisissent une balance métri­que, un mégot de cigarette, des pipes, de la littérature sur la marihuana et un pot contenant une substance verte.

L’appelant est subséquemment inculpé d’avoir:

... à Montréal, district de Montréal et à Sherbrooke, district de St-François, entre le 20 décembre 1972 et le 12 janvier 1973, importé au Canada, un stupéfiant, savoir:

20 livres de cannabis (marihuana) le tout contrairement à l’article 5, paragraphe 1 de la loi sur les stupéfiants, Chapitre N-1, Statuts Refondus du Canada 1970, commettant par là l’acte criminel prévu à l’article 5, sous-paragraphe 2 de la même loi.

L’appelant subit son procès devant un jury pré­sidé par un juge de la Cour du Banc de la Reine du district de St-François. Le jury prononce un ver­dict d’acquittement. La Cour d’appel casse ce verdict parce que le juge aurait erronément refusé

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à l’intimé le droit de mettre certains faits en preuve et aussi parce que son adresse au jury aurait été incomplète; de plus, le juge Mayrand est aussi d’avis qu’il y a eu des irrégularités à l’occa­sion du choix du jury, mais il ne se prononce pas sur les conséquences qui en découlent.

Les questions que soulève cet appel ont trait à la régularité de la procédure suivie lors du choix du jury, à l’admissibilité de certains éléments de preuve et à la légalité de l’adresse au jury.

I

Il convient en premier lieu d’examiner si le choix du jury est entaché d’irrégularités de nature à vicier le procès et à entraîner la nullité du verdict. C’est ce que prétend l’intimée; l’appelant, ayant été acquitté, ne forme à cet égard aucun grief.

La première illégalité reprochée a trait à la question de savoir si un accusé a le droit de récuser péremptoirement un juré que les vérificateurs ont déclaré impartial.

Ici, le juge a d’abord reconnu ce droit à l’accusé:

PAR LA COUR

Monsieur Fournier, je vais vous permettre péremptoire ce témoin. Maintenant, après que la question est mise aux vérificateurs vous n’avez plus le droit de faire ça, il faut le faire avant que la question est mise aux vérificateurs.

Subséquemment, le juge a adopté l’autre point de vue et il a refusé la demande de récusation péremptoire faite par l’accusé à l’égard d’un autre juré qui avait été déclaré impartial:

PAR ME ROCH FOURNIER PROCUREUR DE L’ACCUSE

(Remarques de Maître Fournier après que le candidat-juré Gilles Jean, numéro quarante-deux (42), a été déclaré impartial par les vérificateurs.

Votre Seigneurie, avant que le juré prête serment .. .

PAR LA COUR

La question a été mise et les jurés se sont prononcés.

PAR ME ROCH FOURNIER PROCUREUR DE L’ACCUSE

J’aurais demandé quand même, je voulais que votre Seigneurie prononce la décision. Je voulais demander qu’il soit récusé péremptoirement.

[Page 715]

PAR LA COUR

Non, c’est trop tard. Je vous avais dit .. .

PAR ME ROCH FOURNIER PROCUREUR DE L’ACCUSÉ

Non, je voulais que votre Seigneurie le prononce.

L’intimée prétend que l’une ou l’autre de ces deux décisions du juge du procès est nécessairement erronée avec la conséquence que le jury a été irrégulièrement formé et que le verdict doit être considéré comme nul. Cette prétention de l’intimée est trop générale. Un procès n’est pas nécessairement vicié par toute décision erronée du juge; les conséquences qui découlent d’une illégalité dépen­dent de la nature de la règle violée et de l’impor­tance du droit que celle-ci vise à protéger. Même lorsqu’il s’agit du choix d’un jury, toutes les règles ne sont pas du même ordre (R. v. Battista[1]; Hora­tio Bottomley[2]; Bussières c. Regem[3]; R. c. Stewart[4]): certaines sont purement procédurales, d’autres visent à protéger l’intérêt personnel de l’une ou l’autre des parties, d’autres enfin ont une importance encore plus fondamentale en ce qu’elles visent à assurer l’intégrité du système en garantissant un équilibre prédéterminé entre les parties en cause.

Il faut donc rechercher d’abord quelle est la décision du juge du procès qui est erronée: est-ce celle qui a permis ou celle qui a refusé la récusa­tion péremptoire? Une fois l’erreur identifiée, nous en verrons les conséquences.

Nul ne conteste qu’en vertu du droit criminel anglais qui est devenu le nôtre en vertu de l’Acte de Québec de 1774, l’accusé pouvait exercer son droit de récusation péremptoire envers un candidat juré dont la récusation pour cause avait été rejetée (Chitty on Criminal Law, 1826, vol. 1, à la p. 545; Taschereau, The Criminal Law Consolidation and Amendment Acts of 1869, 32-33 Vict., for the Dominion of Canada, vol. 2, à la p. 204).

Tous admettent également que telle était la situation lors de l’entrée en vigueur du premier Code criminel en 1893 (Taschereau, The Criminal Code,

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éd. 1893, sous l’art. 668, à la p. 782; Rose c. La Reine[5], par le juge Rinfret, à la p. 592).

Le différend porte donc essentiellement sur la portée des par. 8 et 10 de l’art. 668 de ce Code et des dispositions correspondantes du Code actuel.

L’article 668 du Code de 1892 se lisait comme suit:

668. Tout individu mis en accusation pour trahison ou pour une infraction punissable de mort, a le droit de récuser péremptoirement vingt jurés.

2. Tout individu accusé d’une infraction autre que la trahison ou une infraction punissable de mort, mais pour laquelle il peut être condamné à un emprisonnement de plus de cinq ans, a le droit de récuser péremptoirement douze jurés.

3. Tout individu accusé de quelque autre infraction a le droit de récuser péremptoirement quatre jurés.

4. Tout poursuivant et tout accusé ont droit à un nombre quelconque de récusations pour les motifs sui­vants, savoir:

(a.) Que le nom du juré ne figure pas sur la liste; pourvu qu’aucune erreur de nom ou de désignation ne soit un motif de récusation suffisant si la cour est d’avis que la désignation portée sur la liste désigne suffisam­ment la personne en question; ou

(b.) Qu’un juré n’est pas impartial entre la Reine et l’accusé; ou

(c.) Qu’un juré a été convaincu d’une infraction pour laquelle il a été condamné à mort ou à un terme quelconque d’emprisonnement aux travaux forcés ou de plus de douze mois; ou

(d.) Que quelque juré est un aubain.

5. Aucun autre motif de récusation ne sera permis.

6. Si quelqu’une de ces récusations est faite, la cour pourra exiger que la partie qui fait la récusation la présente par écrit. La récusation pourra être rédigée suivant la formule LL de la première annexe du présent acte, ou au même effet. L’autre partie pourra nier l’exactitude du motif de la récusation.

7. Si le motif de la récusation est que le nom du juré ne figure pas sur la liste, l’objection sera décidée par la cour sur consultation de la liste et sur telle autre preuve qu’elle jugera à propos de recevoir.

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8. Si le motif de la récusation est autre que celui en dernier lieu mentionné, les deux derniers jurés assermen­tés, ou, s’il n’a pas encore été assermenté de jurés, deux personnes présentes que la cour nommera à cet effet, seront assermentées pour vérifier si le juré récusé est réellement impartial entre la Reine et l’accusé, ou s’il a déjà été condamné, ou si c’est un aubain comme susdit, selon le cas. Si la cour ou les vérificateurs se déclarent contre la récusation, le juré sera assermenté; mais s’ils déclarent la récusation fondée, il ne le sera pas. Si, après ce que la cour jugera un temps suffisant, les vérifica­teurs ne peuvent s’entendre, la cour pourra les dispenser de rendre jugement, et pourra ordonner d’assermenter d’autres personnes en leur lieu et place.

9. La Couronne aura le droit de récuser quatre jurés péremptoirement et pourra ordonner à un nombre quelconque de jurés, non péremptoirement récusés par l’ac­cusé, de se tenir à l’écart jusqu’à ce que tous les jurés disponibles pour l’instruction de la cause aient été appelés.

10. L’accusé peut être appelé à déclarer s’il récuse quelque juré péremptoirement ou non, avant que le poursuivant ne soit appelé à déclarer s’il exige que ce juré se tienne à l’écart ou s’il le récuse pour cause ou péremptoirement.

Les dispositions correspondantes du Code actuel se retrouvent aux art. 562, 563, 567, 568 et 569 qui se lisaient comme suit lors du procès qui a débuté le 30 octobre 1973:

562. (1) Un accusé inculpé d’une infraction punissa­ble de mort a le droit de récuser péremptoirement vingt jurés.

(2) Un accusé inculpé d’une infraction autre qu’une infraction punissable de mort, pour laquelle il peut être condamné à un emprisonnement de plus de cinq ans, a droit de récuser péremptoirement douze jurés.

(3) Un accusé inculpé d’une infraction non mentionnée au paragraphe (1) ou (2) a le droit de récuser péremptoirement quatre jurés.

563. (1) Le poursuivant a le droit de récuser péremp­toirement quatre jurés et peut ordonner à un nombre quelconque de jurés, non péremptoirement récusés par l’accusé, de se tenir à l’écart jusqu’à ce que tous les jurés disponibles pour l’instruction de l’acte d’accusation aient été appelés.

(2) Nonobstant le paragraphe (1), le poursuivant ne peut ordonner la mise à l’écart de plus de quarante-huit jurés, à moins que, pour un motif spécial à démontrer, le juge qui préside ne l’ordonne.

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(3) L’accusé peut être appelé à déclarer s’il récuse un juré péremptoirement ou pour cause, avant que le poursuivant soit appelé à déclarer s’il exige que le juré se tienne à l’écart, ou s’il le récuse péremptoirement ou pour cause.

567. (1) Un poursuivant ou un accusé a droit à n’im­porte quel nombre de récusations pour le motif

a) que le nom d’un juré ne figure pas sur la liste, mais aucune erreur de nom ou de désignation ne doit être un motif de récusation lorsque la cour est d’avis que la description portée sur la liste désigne suffisamment la personne en question,

b) qu’un juré n’est pas impartial entre la Reine et l’accusé,

c) qu’un juré a été déclaré coupable d’une infraction pour laquelle il a été condamné à mort ou à un emprisonnement de plus de douze mois,

d) qu’un juré est un étranger, ou

e) qu’un juré est physiquement incapable de remplir d’une manière convenable les, fonctions de juré.

(2) Nulle récusation motivée n’est admise pour une raison non mentionnée au paragraphe (1).

568. (1) Lorsqu’une récusation est faite pour un motif mentionné à l’article 567, la cour peut, à sa discrétion, exiger que la partie qui fait la récusation la présente par écrit.

(2) Une récusation peut être rédigée selon la formule 37.

(3) Une récusation peut être repoussée par l’autre partie dans les procédures pour le motif qu’elle n’est pas fondée.

569. (1) Lorsque le motif d’une récusation est que le nom d’un juré ne figure pas sur la liste, la question est décidée par le juge sur voir dire par consultation de la liste et d’après telle autre preuve qu’il juge à propos de recevoir.

(2) Lorsque le motif d’une récusation en est un que ne mentionne pas le paragraphe (1), les deux derniers jurés assermentés ou, si aucun juré n’a encore été asser­menté, deux personnes présentes que la cour peut nommer à cette fin, sont assermentées pour vérifier si le motif de récusation est fondé.

(3) Lorsque la conclusion obtenue selon le paragra­phe (1) ou (2) est que le motif de récusation n’est pas fondé, le juré est assermenté, mais si la conclusion est que le motif de récusation est fondé, le juré n’est pas assermenté.

(4) Si, après ce que la cour estime un délai raisonna­ble, les deux personnes assermentées pour décider si le motif de récusation est fondé ne peuvent pas s’entendre,

[Page 719]

la cour peut les dispenser de rendre un verdict et peut ordonner que deux autres personnes soient assermentées pour vérifier si le motif de la récusation est fondé.

Les partisans de la théorie suivant laquelle l’ac­cusé ne pourrait récuser péremptoirement un juré qui a été déclaré impartial invoquent d’abord cette disposition du par. 8 de l’art. 668:

Si la cour ou les vérificateurs se déclarent contre la récusation, le juré sera assermenté.

Le paragraphe 3 de l’art. 569 du Code actuel est au même effet:

Lorsque la conclusion obtenue selon le paragraphe (1) ou (2) est que le motif de récusation n’est pas fondé, le juré est assermenté, .. .

Dans l’un et l’autre cas, le texte anglais est le même: « ... the juror shall be sworn», En bref, on soutient que le texte «le juré sera assermenté», «le juré est assermenté», impose une obligation abso­lue de sorte que l’obligation d’assermenter le juré exclut le droit à la récusation péremptoire.

Ce raisonnement ne m’apparaît pas fondé; il fait abstraction du contexte où se trouve la disposition qu’il s’agit d’interpréter; il ne tient pas compte de la nature véritable du droit à des récusations péremptoires; il a comme conséquence de nier le droit de l’exercer dans les conditions mêmes où il importe le plus que celui-ci soit disponible.

Une disposition législative ne s’interprète pas isolément; pour en déterminer son véritable sens, il faut nécessairement tenir compte de l’objet même de la loi où elle se trouve et de l’ensemble des dispositions qui s’y rattachent. Autrement, l’on risque d’arriver à un résultat absurde.

Dans Canada Sugar Refining Co. v. Reg.[6], lord Davey rappelle, à la p. 741, la règle fondamentale suivant laquelle une disposition s’interprète en regard des autres: [TRADUCTION] «Chaque dispo­sition d’une loi s’interprète en tenant compte du contexte et des autres dispositions de sorte que, dans la mesure du possible, le texte législatif soit compatible avec l’ensemble de la loi ou de la série de lois sur le sujet.»

[Page 720]

Les expressions (de juré sera assermenté», «le juré est assermenté», n’ont donc pas nécessairement un sens absolu; en recherchant l’étendue de l’obligation qu’elles imposent, il faut tenir compte de la nature et de l’objet du droit qui fait l’objet de la réglementation législative.

Selon Blackstone (Commentaries on the Laws of England, éd. Lewis, vol. 4, n°. 353, à la p. 1738) il y a deux motifs qui justifient l’existence du droit à des récusations péremptoires:

[TRADUCTION] 353. On désigne par récusations pour cause celles qui sont fondées sur l’une des raisons sus-mentionnées. Le nombre en est illimité tant dans les procès civils que criminels. Mais, dans les affaires crimi­nelles, ou du moins les crimes punissables de mort, on doit, in favorem vitae, permettre au prisonnier de faire un certain nombre de récusations arbitraires et capri­cieuses, sans établir aucune raison; c’est ce que l’on appelle une récusation péremptoire, une disposition pleine de cette tendresse et de cette humanité pour les prisonniers qui, à juste titre, rendent nos lois anglaises célèbres. On invoque, à cet effet, deux raisons principa­les. 1. Puisque chacun doit être conscient des impres­sions soudaines et des préjugés inexplicables que l’on peut ressentir à la vue de quelqu’un et de la nécessité, pour un prisonnier (lorsque sa vie est en jeu), d’avoir une bonne opinion de son jury à défaut de quoi il pourrait être tout à fait déconcerté, la loi ne veut pas qu’il soit jugé par une personne contre laquelle il entretient un préjugé, même s’il est incapable d’expliquer cette aver­sion. 2. Parce qu’il se peut, lorsque les raisons invoquées pour une récusation pour cause ne justifient pas la mise à l’écart du juré, que le seul fait de mettre en doute son impartialité crée un ressentiment, alors le prisonnier a encore la possibilité, s’il le veut, de récuser péremptoirement le juré pour empêcher toute conséquence nuisible.

Le fondement même du droit à des récusations péremptoires n’est donc pas objectif mais purement subjectif. L’existence du droit ne repose pas sur des faits qui doivent être prouvés, mais plutôt sur la simple croyance de la partie en l’existence chez le juré d’un certain état d’esprit. Le fait qu’un juré soit objectivement impartial ne fait pas que l’accusé ou le poursuivant le croit impartial; or, en accordant à chacune des parties un certain nombre de récusations péremptoires, le Parlement a préci­sément voulu permettre que chaque partie puisse écarter du jury un certain nombre de ceux qu’elle

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ne croit pas être impartiaux sans pouvoir cepen­dant apporter la preuve de cette croyance. La nature même du droit à des récusations péremp­toires et les objectifs qui en sont la raison d’être exigent que son exercice soit entièrement discré­tionnaire et ne soit assorti d’aucune condition. Il n’y a aucun lien logique entre la récusation pour cause et la récusation péremptoire et je ne vois pas comment l’on peut justifier que l’exercice infruc­tueux du droit à la récusation pour cause ait un effet sur le droit à la récusation péremptoire. Seule une disposition législative claire pourrait écarter le droit à la récusation péremptoire dans des condi­tions où celui-ci, à cause de son objet même, devrait être disponible.

L’article 569 (par. 8 de l’art. 668 du premier Code criminel) est clairement une disposition de procédure qui prescrit de quelle façon doit être jugé le bien-fondé d’une récusation pour cause. Cet article n’a pas pour objet de régir le droit lui-même à des récusations péremptoires, mais plutôt de réglementer le mode d’exercice de la récusation pour cause; on ne saurait ignorer cette distinction.

De plus, l’interprétation excessivement littérale des expressions «le juré sera assermenté», «le juré est assermenté», aurait comme conséquence néces­saire de nier au poursuivant tout droit de récusa­tion ou de mise à l’écart à l’égard d’un juré qui a été sans succès récusé pour cause par l’accusé. Si un juré doit être assermenté parce que la récusa­tion pour cause a été jugée sans fondement, aucune autre récusation n’est plus possible, que celle-ci soit faite par le poursuivant ou par l’accusé.

Les droits de récusation et de mise à l’écart du poursuivant sont indépendants de ceux conférés à l’accusé et je ne vois pas pourquoi le poursuivant serait privé de ses droits parce que l’accusé a sans succès récusé un juré pour cause. Les droits de récusation dont jouit l’accusé ne visent pas à lui permettre de choisir un jury qui lui soit favorable, mais plutôt à en écarter les jurés qu’il croit ne pas posséder les qualités nécessaires à l’accomplissement de cette fonction. Je ne puis accepter une interprétation des dispositions précitées du Code criminel qui briserait l’équilibre clairement établi par le législateur entre les droits de l’accusé et

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ceux du poursuivant.

Dans Morin c. La Reine[7], aux pp. 424 et suivan­tes, le juge en chef Ritchie disait:

[TRADUCTION] ... Si le ministère public peut ordonner à un juré de se tenir à l’écart lors du deuxième appel de la liste des jurés, pourquoi ne peut-il pas le faire une troisième et une quatrième fois, en fait indéfiniment, jusqu’au moment où un jury qui convient au poursui­vant, a été choisi

Aussi, je crois qu’en l’espèce, le poursuivant a pré­sumé qu’il avait un droit illimité de récuser des jurés sans cause. La loi vise, bien sûr, à assurer aux prison­niers un procès impartial. Comment peut-elle atteindre ce but s’ils sont empêchés, en choisissant le jury qui les jugera, d’exercer le privilège que la loi leur accorde.

En l’espèce, on n’invoque pas une simple informalité mais le principe que le jury à qui le prisonnier sera confié doit être sélectionné, choisi et assermenté confor­mément à la loi, et que ni le ministère public ni le prisonnier ne doivent avoir d’avantages ou de privilèges autres que ceux que leur confère la loi; cependant, lorsque la loi confère des privilèges ils doivent être strictement respectés.

Et le juge Fournier ajoutait, aux pp. 438 et 439:

... Il serait donc injuste et illégal de lui accorder un privilège comme celui du stand aside répété qui aurait l’effet d’anéantir le droit de récusation du prisonnier, et, de laisser pratiquement à la couronne le pouvoir de former le jury à sa guise, ou suivant l’expression anglaise to pack the jury.

Notre droit ne reconnaît pas plus à l’accusé qu’au poursuivant le droit de se composer un jury favorable.

Je suis donc d’accord avec l’opinion du juge Schroeder dans l’arrêt unanime de la Cour d’appel de l’Ontario, R. v. Ward[8], à la p. 156:

[TRADUCTION] ... Il est bien admis qu’il faut lire un article d’une loi en le rapprochant des autres articles qui portent sur le même sujet ou sur un sujet voisin, et, si l’on applique ce principe à l’interprétation du par. 569(3), il ne fait pas de doute que les mots «le juré est

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assermenté» signifient seulement que le juré est asser­menté si, dans l’exercice des droits que leur confèrent les autres dispositions du Code, le substitut du procureur général n’a pas exigé que le juré se tienne à l’écart ou ne l’a pas récusé péremptoirement, ou l’avocat de l’accusé n’a pas récusé péremptoirement ce juré-là.

Ceux qui prétendent qu’une récusation péremp­toire n’est pas permise après le rejet d’une récusa­tion pour cause, s’appuient également sur le par. 10 de l’art. 668 qui est devenu le par. 3 de l’art. 563.

Il n’y a pas de différence notable entre ces deux dispositions; le par. 10 se lisait comme suit:

10. L’accusé peut être appelé à déclarer s’il récuse quelque juré péremptoirement ou non, avant que le poursuivant ne soit appelé à déclarer s’il exige que ce juré se tienne à l’écart ou s’il le récuse pour cause ou péremptoirement.

Le paragraphe 3 de l’art. 563 se lit comme suit:

(3) L’accusé peut être appelé à déclarer s’il récuse un juré péremptoirement ou pour cause, avant que le poursuivant soit appelé à déclarer s’il exige que le juré se tienne à l’écart, ou s’il le récuse péremptoirement ou pour cause.

L’on soutient que le Parlement, en disant que l’accusé peut être appelé à déclarer s’il récuse un juré péremptoirement ou pour cause, a, par l’em­ploi de cet adverbe disjonctif, indiqué que l’accusé n’avait droit à l’égard du même juré qu’à l’un des deux modes de récusation et non pas aux deux. Une telle interprétation méconnaît totalement l’ob­jet de la disposition qu’il s’agit d’interpréter. Le paragraphe 3 de l’art. 563 du Code actuel, comme auparavant le par. 10 de l’art. 668, vise seulement à déterminer l’ordre suivant lequel les récusations seront faites entre l’accusé et le poursuivant; la disposition ne dit pas que le droit de l’accusé est alternatif; elle dit seulement que le poursuivant ne peut être appelé à faire sa déclaration qu’une fois que l’accusé aura fait la sienne. Si, dans cette disposition, l’adverbe Kouo, était véritablement dis­jonctif, il en découlerait que le poursuivant pourrait être tenu d’exercer l’un ou l’autre de ses droits de mise à l’écart ou de récusation avant que l’ac­cusé ne les ait exercés tous, ce qui serait contraire à la règle de l’ancien droit (Blackstone, Commen­taries on the Laws of England, 4’ éd., 1769, vol. 4,

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à la p. 347; Hawkins’ Pleas of the Crown, vol. 2, à la p. 569, chap. 43; Stephen, History of the Crimi­nal Law of England, vol. 1, à la p. 303). Rien ne justifie cette interprétation.

J’en viens donc à la conclusion, comme le juge Turgeon dans l’arrêt Rose[9], aux pp. 615 et 616, que ni le Code de 1892 ni le Code actuel n’ont eu pour effet de modifier «la règle et la pratique qui existaient en Angleterre et au Canada à l’époque de la première codification». Il en découle que le juge du procès a erré lorsqu’il a refusé à l’accusé le droit de récuser péremptoirement un juré que les vérificateurs avaient trouvé impartial.

Il faut maintenant voir quelles sont les conséquences de cette illégalité.

L’accusé, à qui on a erronément refusé une récusation péremptoire, est bien fondé à demander la nullité du procès et du verdict de culpabilité rendu par un jury ainsi irrégulièrement formé; il ne lui est pas nécessaire de prouver un préjudice; il y a préjudice de droit: cela ne fait pas de doute: R. v. Churton[10], Henry Williams[11], R. v. Page[12].

Dans King v. Edmonds[13], à la p. 473, le juge en chef Abbott dit:

[TRADUCTION] Il faut également remarquer que le refus d’admettre une récusation est un motif non pas pour obtenir un nouveau procès mais pour obtenir ce que l’on appelle strictement et techniquement un venire de novo. La partie qui s’en plaint s’adresse au tribunal, non pas pour que les juges exercent un pouvoir discrétion­naire judicieusement et conformément à la loi, mais pour qu’ils appliquent une règle de droit impérative et, admettre ou refuser à tort une récusation sert également de fondement à un recours pour cause d’erreur.

Mais, quelle est la nature de cette nullité dont peut se prévaloir l’accusé à qui une récusation péremptoire a été erronément refusée? S’agit-il d’une nullité relative dont seul l’accusé peut se plaindre ou d’une nullité absolue que rien ne peut couvrir et que la poursuite peut également invoquer?

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Les droits de récusation péremptoire accordés à l’accusé et au poursuivant sont personnels à l’un et à l’autre. Les droits du poursuivant sont indépen­dants de ceux de l’accusé; l’exercice par ce dernier de ses droits de récusation péremptoire relève de sa seule discrétion, sans aucun contrôle de la part du poursuivant ni aucune conséquence sur l’exercice des droits de celui-ci. Le droit de récusation n’est pas le droit de choisir. Dans l’arrêt Morin précité, le juge Taschereau dit à la p. 451:

[TRADUCTION] Le droit de récusation est accordé pour rejeter, non pour choisir, .. .

(Voir également R. c. Lalonde[14], à la p. 203; R. v. Elliott[15], à la p. 152).

Le poursuivant ne peut se plaindre de ce que l’accusé aurait exercé ou n’aurait pas exercé l’un de ses droits de récusation; la raison en est que les intérêts du poursuivant ne sont touchés ni dans l’un ni dans l’autre cas. La raison pour laquelle l’accusé n’exerce pas un droit de récusation importe peu: qu’il s’agisse de la décision de l’ac­cusé ou de celle du juge, la situation du poursui­vant n’est en rien modifiée: il conserve toujours ses droits de récusation et de mise à l’écart. Si un juré n’est pas acceptable au poursuivant, il ne peut compter sur l’accusé pour le récuser; il doit plutôt l’écarter lui-même en exerçant les droits que lui reconnaît la loi.

Dans l’espèce, le poursuivant n’a objecté ni à l’une ni à l’autre des deux décisions du juge. Lorsque le juge a refusé à l’accusé le droit de récuser péremptoirement un juré qui avait été déclaré impartial, le procureur de la poursuite est demeuré silencieux; de fait, le juré a été asser­menté sans qu’il ne tente de le mettre à l’écart ni de le récuser pour cause ou péremptoirement. Au total, il a mis 16 jurés à l’écart et n’en a récusé aucun, soit péremptoirement ou pour cause.

En s’abstenant ainsi d’écarter ce juré, comme c’était son droit, le poursuivant l’a en fait accepté. Ses droits à l’égard de la formation du jury ont en tous points été respectés. Il ne peut se plaindre de la violation des droits de l’appelant pour la simple raison qu’il s’agit là d’un droit purement personnel

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et qu’au surplus l’erreur du juge à l’égard de l’appelant a été corrigée par le verdict d’acquitte­ment. Si l’accusé voulait récuser ce juré péremptoi­rement, c’est qu’il n’avait pas foi en son impartia­lité; le verdict d’acquittement prouve hors de tout doute que ses craintes n’étaient pas fondées (voir par analogie Whelan v. The Queen[16], approuvé dans McLean c. Le Roi[17]).

Je suis donc d’avis que la poursuite ne peut invoquer l’illégalité de la décision du juge du procès qui a refusé à l’accusé le droit de récuser péremptoirement un juré après que celui-ci eût été déclaré impartial par les vérificateurs.

La poursuite prétend également que le procès est nul et le verdict d’acquittement sans effet parce que le juge a permis à l’avocat de l’accusé de poser quelques questions à un juré après l’assermentation de ce dernier.

Le deuxième candidat juré a été récusé pour cause par l’accusé; les vérificateurs l’ont trouvé impartial; il a été assermenté. Après l’assermentation, le procureur de l’accusé dit ce qui suit:

Votre Seigneurie, comme je viens de mentionner en présence de mon confrère dans votre bureau, j’ai omis de poser une question à monsieur Fortier, et si le Tribunal m’en donnait la permission et si mon confrère consen­tait, je voudrais pouvoir poser quelques questions addi­tionnelles à monsieur Fortier en présence des deux (2) vérificateurs qui étaient là auparavant.

Le procureur de la poursuite laisse le tout à la discrétion du juge qui s’exprime comme suit:

C’est un peu extraordinaire mais je ne veux pas préjudi­cier personne et je vais, si les deux (2) vérificateurs sont ici, je vous donne la permission. (S’adressant au juré Fortier): il y a une couple de questions que monsieur Fournier veut vous poser, deux (2), trois (3) questions. (S’adressant aux vérificateurs): il y a deux (2), trois (3) questions que monsieur Fournier veut poser à monsieur Fortier. Vous vous souvenez de ses réponses jusqu’ici, et vous avez décidé qu’il était impartial. Maintenant, il veut poser deux (2), trois (3) questions.

Le dossier ne fait pas voir quelles sont les ques­tions qui ont été posées au candidat-juré. Il indique

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seulement qu’une fois les questions posées, les vérificateurs ont à nouveau déclaré ce juré impartial.

Le juge du procès a sans doute eu tort de permettre ces questions additionnelles au juré (R. v. Mah Hung[18]); cependant, rien ne fait voir que cette erreur ait causé quelque préjudice à la poursuite ou ait pu avoir quelque influence sur le verdict d’acquittement. Ce grief ne m’apparaît pas fondé.

J’en viens donc à la conclusion que le verdict d’acquittement ne doit pas être mis de côté par suite des irrégularités commises à l’occasion de la formation du jury.

II

Il convient maintenant d’étudier les deux moyens qui ont été retenus par la Cour d’appel peur casser le verdict et ordonner un nouveau procès.

Le premier moyen a trait à l’admissibilité de certaines pièces offertes en preuve par le poursuivant.

Le juge du procès a d’abord refusé la production d’un document appelé «Lettre de transport aérien» (Air Waybill) relative au vaisselier qui contenait la marihuana que l’appelant est accusé d’avoir impor­tée. Le juge Mayrand, s’exprimant pour la cour, dit:

… La lettre de transport aérien pouvait établir le cheminement du colis incriminant depuis Bogota en Colombie jusqu’à Dorval au Canada; elle pouvait aussi prouver que son poids au lieu d’expédition correspondait à son poids au lieu d’arrivée à Dorval de sorte que tout le contenu avait dû passer la frontière. Cette preuve importait puisque, dans son adresse aux jurés, le juge leur rappelle qu’ils doivent se demander si la marihuana avait été mise dans le colis après que celui-ci eût été introduit au Canada.

Le juge du procès a refusé la production de ce document (la pièce P-O-1) dans les termes suivants:

Sur la question de la production de P-O-1, j’ai décidé, dans toutes les circonstances, incluant le manque de l’avis, le fait que c’est une copie, le fait que ça n’est pas

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tout à fait complet, de MAINTENIR L’OBJECTION.

La Cour d’appel est d’avis que cette décision est erronée; le juge Mayrand dit seulement:

... La production de la lettre de transport aérien, à mon avis, aurait dû être permise:

«Re Martin and The Queen (1973), 11 C.C.C. (2d) 224 (Ont. High Court).

Avec respect, je veux dire dès maintenant que l’arrêt Martin[19] ne m’apparaît pas applicable à la présente espèce; les questions qui s’y posaient rela­tivement à l’admissibilité d’une lettre de transport aérien étaient fort différentes de celles qui ont été soulevées devant nous et devant la Cour d’appel.

Ici, l’on ne conteste pas qu’une lettre de transport soit «une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires» dont l’admissibilité en preuve est régie par l’art. 30 de la Loi sur la preuve au Canada (S.R.C. 1970, chap. E-10). Il s’agit seulement de savoir si les dispositions pertinentes de cet article ont été respectées.

L’appelant prétend d’abord que la pièce P-0-1 n’est pas admissible en preuve parce que ce n’est pas un original mais une copie et que celle-ci n’est pas accompagnée de l’affidavit prescrit par le par. 3 de l’art. 30 de cette loi.

La lettre de transport aérien dont l’intimée veut ainsi faire la preuve est régie par la Loi sur le transport aérien (S.R.C. 1970, chap. C-14) et ses Annexes. L’article 6 de l’Annexe I se lit en partie comme suit:

(1) La lettre de transport aérien est établie par l’ex­péditeur en trois exemplaires originaux et remise avec la marchandise.

(2) Le premier exemplaire porte la mention «pour le transporteur»; il est signé par l’expéditeur. Le deuxième exemplaire porte la mention «pour le destinataire»; il est signé par l’expéditeur et le transporteur et il accompa­gne la marchandise. Le troisième exemplaire est signé par le transporteur et remis par lui à l’expéditeur après acceptation de la marchandise.

L’article 8 de la même Annexe prescrit la nature des informations qui doivent apparaître à la lettre

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alors que l’art. 11 traite de la force de preuve de la lettre de transport aérien:

Article 11

(1) La lettre de transport aérien fait foi, jusqu’à preuve contraire, de la conclusion du contrat, de la réception de la marchandise et des conditions du transport.

(2) Les énonciations de la lettre de transport aérien, relatives au poids, aux dimensions et à l’emballage de la marchandise ainsi qu’au nombre des colis, font foi jusqu’à preuve contraire; celles relatives à la quantité, au volume et à l’état de la marchandise ne font preuve contre le transporteur qu’autant que la vérification en a été faite par lui en présence de l’expéditeur, et constatée sur la lettre de transport aérien, ou qu’il s’agit d’énon­ciations relatives à l’état apparent de la marchandise.

L’article 6 indique qu’une lettre de transport comporte trois exemplaires originaux; il peut sans doute y avoir des exemplaires additionnels (art. 8 n)), mais ceux-ci sont des copies qui n’ont pas per se la force probante qu’attribue l’art. 11 à chacun des trois originaux.

Le document dont le juge du procès a refusé la production porte à sa face même la mention:

[TRADUCTION] Les exemplaires 1, 2 et 3 de cette lettre de transport aérien sont des originaux et ont la même valeur.

Tout à fait au bas de la face du document, on lit:

[TRADUCTION]

EXEMPLAIRE NO 4 (REÇU DE LIVRAISON)

Et l’endos porte la formule suivante qui est demeurée en blanc:

[TRADUCTION]

Reçu en bon état et en bonne condition à__________le__________(SIGNATURE DU DESTINATAIRE OU DE SON MANDATAIRE)

Il m’apparaît clair que la pièce P-O-1 n’est pas l’un des trois exemplaires originaux d’une lettre de transport dont parle l’art. 6 précité; c’est une copie d’une lettre de transport qui est destinée, lorsqu’elle est dûment complétée, à servir d’original de reçu de livraison.

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Je suis donc d’avis que la pièce P-O-1 ne pouvait être admise en preuve sans être accompagnée de l’affidavit prescrit par le par. 3 de l’art. 30 de la Loi sur la preuve au Canada. Étant donné cette conclusion, il ne m’est pas nécessaire d’exprimer d’avis sur les autres moyens invoqués par l’appe­lant à l’encontre de la production de cette pièce.

Le juge du procès a également refusé d’admettre en preuve certaines autres pièces de nature à éta­blir que l’accusé faisait usage de marihuana.

Lors d’une perquisition faite chez l’accusé avant son arrestation, la poursuite a saisi un certain nombre d’objets; ceux-ci comprenaient notamment un texte manuscrit où l’accusé vantait les mérites de la marihuana, une balance métrique, un mégot de cigarette fait d’une substance végétale verte, des pincettes et trois pipes.

Le juge du procès a permis la production de toutes ces pièces. Il a également permis à la poursuite de prouver que le mégot de cigarette et l’une des pipes dégageaient une odeur de cannabis. La preuve non contredite révèle de plus que ces objets (balance métrique, pincettes et pipes) sont du genre de ceux que l’on trouve ordinairement en la possession d’usagers de marihuana. Cependant, le juge du procès n’a pas permis la production de certificats d’analyses qui auraient établi de façon indiscutable que le mégot de cigarette était fait de marihuana, que les pipes avaient servi à fumer ce stupéfiant dont les traces se retrouvaient également sur les pincettes et la balance métrique. Le juge a également refusé la production d’un bocal en verre contenant une substance verte qui avait été saisi chez l’accusé lors de la perquisition ci-des­sus mentionnée, ainsi que du certificat d’analyse établissant que cette substance était de la marihuana.

La règle générale en matière d’admissibilité de preuve est que celle-ci doit être pertinente. Ce principe est énoncé comme suit dans Halsbury’s Laws of England, 4’ éd., vol. 17, par. 5, à la p. 7:

[TRADUCTION] La première exigence à laquelle doit satisfaire chaque élément de preuve est la pertinence. Ce qui est pertinent (soit, ce qui tend à établir ou à réfuter un point en litige) est question de logique et d’expérience humaine et les faits peuvent être établis par une preuve directe ou indirecte. Mais, bien qu’aucune preuve non

[Page 731]

pertinente ne doive être présentée, certaines preuves qui sont pertinentes selon les critères normaux de la logique ne peuvent être présentées parce qu’elles sont exclues par les règles de la preuve. Ces preuves sont inadmissi­bles. Une preuve est donc admissible lorsqu’elle est (1) pertinente et (2) non exclue par une règle de droit ou de pratique. Une preuve peut être admissible pour un motif et inadmissible pour d’autres, dans un tel cas, elle sera admise. De même une preuve peut être admissible pour une certaine fin et inadmissible pour une autre.

Pour qu’un fait soit pertinent à un autre, il faut qu’il existe entre les deux un lien ou une connexité qui permette d’inférer l’existence de l’un à raison de l’existence de l’autre. Un fait n’est pas pertinent à un autre s’il n’a pas par rapport à celui-ci un valeur probante véritable (Cross, On Evidence, 4 éd., à la p. 16).

Ainsi, sauf certaines exceptions qui n’ont pas d’application ici, une preuve n’est pas admissible si son seul objet est de prouver que l’accusé est le type d’homme qui est plus susceptible qu’un autre de commettre un crime du genre de celui dont il est accusé; l’on dit que telle preuve n’a pas de valeur probante véritable par rapport au crime spécifique qui est reproché à l’accusé: il n’y a pas entre l’un et l’autre de lien suffisamment logique.

Dans Boyle and Merchant[20], le juge en chef lord Reading, disait à la p. 193:

[TRADUCTION] Un examen de la jurisprudence démontre qu’il existe une différence essentielle entre la preuve qui tend à établir généralement que l’accusé a une propension à la fraude ou à la malhonnêteté, laquelle preuve est inadmissible, et la preuve qui tend à démontrer qu’il a manifesté une propension à la fraude ou à la malhonnêteté dans l’opération particulière visée dans l’inculpation qui fait alors l’objet de l’enquête, laquelle preuve est admissible. Il a été statué que pour qu’une telle preuve soit admissible il doit y avoir un lien ou une connexité entre l’acte imputé et les faits relatifs à des opérations antérieures ou postérieures que l’on veut mettre en preuve.

Plus récemment, dans Noor Mohamed v. The King[21], lord du Parcq écrivait à la p. 192:

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[TRADUCTION] Il y a peu de doute que les circon­stances entourant la mort d’Ayesha, même sans la preuve relative à la mort de Gooriah, éveilleraient, dans l’esprit d’un homme raisonnable, des soupçons contre l’appelant. Les faits établis quant à la mort de Gooriah intensifieraient certainement ces soupçons et pourraient bien, aux yeux du jury, faire pencher la balance contre l’accusé. Cela ne signifie aucunement que cette preuve doit être admise. Si l’examen de cette preuve révèle qu’elle est impressionnante seulement parce qu’elle paraît démontrer, pour reprendre les paroles de lord Herschell dans l’arrêt Makin ([1918] A.C. 221, 236) «que l’accusé est, compte tenu de sa conduite criminelle ou de sa réputation, le genre de personne susceptible d’avoir commis le crime dont il est inculpé», et si cette preuve n’est pas autrement probante, elle a certainement été admise erronément.

Dans R. c. Barbour[22], le juge en chef Duff, au nom de la majorité de la Cour, approuve expressé­ment, à la p. 467, un passage des motifs du juge Kennedy dans l’arrêt Bond[23], où ce dernier affirme que la preuve doit toujours être [TRADUCTION) «strictement pertinente à l’accusation et n’avoir aucunement trait à une conduite du prisonnier sans rapport avec l’accusation».

Enfin, dans Boardman v. D.P.P.[24], lord Salmon dit aux pp. 912 et 913:

[TRADUCTION] Vos Seigneuries, une preuve contre l’accusé qui ne vise qu’à démontrer qu’il est un homme de mauvaise réputation ayant une disposition à commet­tre des actes criminels, voire l’acte criminel qui lui est imputé, est inadmissible et réputée non pertinente en droit anglais.

... Le critère doit être-la preuve est-elle susceptible de convaincre un jury raisonnable de la culpabilité de l’accusé pour une raison autre que sa mauvaise réputa­tion et sa disposition à commettre le type d’acte criminel qui lui est imputé?

Cette règle de la pertinence s’applique à tous les moyens de preuve; elle régit, tout autant que la preuve écrite ou testimoniale, la preuve relative aux objets trouvés en la possession de l’accusé. Dans la cause de Thompson v. The King[25], où il

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s’agissait d’une inculpation pour grossière indé­cence, lord Sumner dit aux pp. 235 et 236:

[TRADUCTION] Vos Seigneuries, si la personne qui a commis l’acte criminel avait, soit par ses paroles soit par sa conduite, établi un lien entre ce qui s’est passé à cette occasion et les photographies elles-mêmes, leur admissi­bilité ne présenterait aucune difficulté, vu qu’elles ont été trouvées si peu de temps après. Si, par ailleurs, rien chez le criminel n’avait indiqué une inclination pour la pratique de tels actes, tel que donner un rendez-vous, j’aurais pensé que les photographies n’étaient que des objets indiquant la mauvaise réputation du criminel et non son identité avec le criminel dans l’affaire qui nous intéresse. Je ne crois certainement pas que l’on puisse dire qu’il va de soi, même pour des crimes de cette catégorie, que les objets trouvés en la possession d’une personne, non pas comme éléments de l’affaire sous enquête, mais à une occasion et en un lieu différents, puissent, comme tels, être mis en preuve contre elle pour la seule raison qu’ils sont de ceux qu’un criminel possède ou utilise, si aucun élément du crime ne tend à établir un lien précis entre le crime et les objets en question. Si une personne pouvait être condamnée pour un certain cam­briolage, pour lequel il était établi qu’aucun outil n’avait été utilisé, tout simplement parce qu’à un autre moment et à un autre endroit on avait trouvé, chez elle, des instruments de cambriolage, il est difficile d’imaginer quelle serait la limite à l’admissibilité de la preuve générale de mauvaise réputation. Le fait aussi que la preuve d’objets trouvés chez les personnes accusées soit couramment présentée sans grands débats, bien que je ne doute pas de la justesse de cette pratique dans la majorité des cas, crée vraiment une fausse impression à moins, qu’en même temps, on se demande ce que l’on veut vraiment ainsi établir et par quel lien probant on cherche à l’établir.

La pertinence d’un fait que l’on veut mettre en preuve doit évidemment s’apprécier en regard de la nature du litige et des diverses questions qui y sont en jeu.

Quelle est ici la pertinence de la preuve dont l’admissibilité est en litige?

Le juge Mayrand dans ses motifs dit d’abord que la production des pièces aurait dû être permise «pour établir l’intention coupable de l’accusé».

La mens rea est un élément essentiel du crime reproché à l’accusé. La poursuite ne pouvait donc se contenter de prouver l’importation du vaisselier; celle-ci a été faite dans des circonstances normales

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qui ne permettaient pas de soupçonner qu’il conte­nait une substance étrangère. La poursuite devait également établir, hors de tout doute raisonnable, qu’à la connaissance de l’accusé, ce vaisselier contenait lors de son importation un stupéfiant (Beaver c. La Reine[26], à la p. 540; R. v. Boyer[27], à la p. 141; R. v. Blondin[28], aux pp. 120, 122 et 123).

Pour établir cette connaissance coupable de l’ac­cusé, la poursuite veut prouver que l’accusé utilise lui-même de la marihuana; c’est dans ce but qu’elle veut produire les objets qui ont été saisis chez l’accusé; l’avocat de la poursuite l’a affirmé au procès:

Ce que je veux prouver votre Seigneurie, c’est la pré­sence chez l’accusé de substances, d’objets, de notes qui impliquent deux choses: 1) la mens rea, 2) l’intérêt de l’accusé quant à l’importation, l’intérêt qu’il peut avoir.

La question qu’il faut résoudre dans l’espèce est donc celle de savoir si le fait que l’accusé soit un usager de marihuana permet logiquement d’inférer qu’il savait ou aurait dû savoir que le vaisselier contenait un stupéfiant au moment de son impor­tation. Pour moi, il n’y a aucun lien ni connexité entre l’un et l’autre de ces deux faits. L’usage par l’accusé de la marihuana établit certes qu’il connaît ce stupéfiant, qu’il est en mesure de l’identi­fier, mais cela n’a aucune valeur probante par rapport à la connaissance coupable qui doit être prouvée par la poursuite. La preuve que veut faire la poursuite ne peut avoir qu’un effet: faire naître des soupçons contre l’accusé pour la seule raison qu’un usager de la marihuana est plus susceptible d’en importer illégalement que celui qui ne fait pas usage de ce stupéfiant. C’est précisément là, à mon point de vue, le genre de preuve qui ne peut être admis.

Il y a lieu d’appliquer ici la règle qui était énoncée dans Rance and Herron[29], à la p. 121, au sujet de la preuve de faits similaires, et qui était

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récemment approuvée dans l’arrêt Scarrott[30], à la p. 129:

[TRADUCTION] ... Lord Cross et lord Salmon disent essentiellement que la preuve de faits similaires est admissible seulement si elle démontre plus qu’une tendance à commettre des actes criminels de cette nature et si elle a vraiment une valeur probante relativement à l’acte criminel présentement imputé. Tel est, à notre avis, le critère qu’il faut appliquer pour décider si la preuve de faits similaires a, en l’espèce, été admise à bon droit.

Cette preuve ne saurait davantage être admise parce qu’elle révélerait l’intérêt de l’accusé à l’im­portation. La preuve du mobile d’un crime est généralement permise à titre de preuve indirecte; dans son Textbook of Criminal Law, Glanville Williams écrit à la p. 56:

[TRADUCTION] La poursuite peut, à titre de preuve indirecte, faire la preuve du mobile du crime si cela contribue à justifier son accusation; mais elle n’est pas légalement tenue d’établir le mobile parce qu’un crime «sans mobile» demeure un crime.

Il m’apparaît bien cependant que la preuve rela­tive au mobile de l’accusé ne saurait être admise si elle n’est pas pertinente, c’est-à-dire si elle ne fait pas voir un lien logique suffisamment étroit entre les faits que l’on veut prouver à titre de mobile et le crime qui est reproché. La preuve du mobile de l’accusé ne peut être un moyen d’éluder l’applica­tion des règles de preuve relatives à la pertinence et aux faits similaires.

Dans l’arrêt Barbour précité, le juge en chef Duff écrivait à la p. 469:

[TRADUCTION] Si vous avez des actes qui, examinés de façon raisonnable, tendent vraiment à établir le mobile de la perpétration d’un crime, il ne peut y avoir de doute sur l’admissibilité de cette preuve, non seulement pour établir l’intention mais également pour prouver le fait. Mais, avec le plus grand respect, je crois qu’il est assez important que les cours ne prennent pas l’habi­tude d’admettre, simplement parce qu’elle révèle quelque incident dans l’histoire des relations entre les parties, une preuve qui, examinée de façon raisonnable, ne peut pas tendre à établir le motif ou à expliquer les actes imputés.

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Dans la présente espèce, je ne crois pas que l’on puisse dire que l’usage par l’appelant de mari­huana est en lui-même un fait [TRADUCTION] «qui, examiné de façon raisonnable, tend vraiment à établir la perpétration» du crime d’importation dont il est accusé.

A l’appui de sa décision, la Cour d’appel invoque son arrêt dans l’affaire Levac[31]; le juge Mayrand s’exprime comme suit:

Dans l’affaire Levac c. La Reine (C.A.M. 10-000030-73, jugement du 2 juin 1975), l’appelant invoquait comme motif d’appel le fait que le juge de première instance avait autorisé la production d’une balance, d’une pipe et d’autres objets trouvés chez l’appelant accusé d’importa­tion de stupéfiant. Notre Cour a rejeté l’appel. Monsieur le juge Owen, dont l’opinion a été partagée par ses collègues, s’est exprimé ainsi:

[TRADUCTION] «Pour faire la preuve de l’acte crimi­nel imputé, le ministère public devait établir, en plus de l’importation des cylindres contenant la mari­huana, la connaissance coupable de Levac. Celui qui ne connaît pas les stupéfiants ou le monde de la drogue peut innocemment accepter $450 d’un pur étranger pour dédouaner deux cylindres en métal expédiés de la Jamaïque vers ce pays, soi-disant pour y être réparés. Il est moins vraisemblable qu’une personne qui possède une balance ayant servi à peser de la marihuana, une petite quantité de marihuana ainsi qu’une pipe utilisée pour fumer de la «résine de cannabis» et qui, pour en expliquer sa possession, admet faire usage de marihuana, le fasse innocem­ment.

Je partage l’opinion du juge du procès qu’en l’espèce, les pièces et la preuve établissant que Levac faisait usage de marihuana étaient pertinentes à un élément essentiel de l’accusation portée contre Levac soit, la connaissance coupable de l’importation des cylindres contenant la «marihuana».

Si dans l’affaire ci-dessus notre Cour a décidé que la preuve avait été faite à bon droit, dans la présente affaire, je dois conclure que la même preuve aurait dû être reçue.

Le texte même des motifs du juge Owen démontre que l’arrêt Levac est une décision d’es­pèce; le juge Owen le dit d’ailleurs expressément: [TRADUCTION] «Je partage l’opinion du juge du procès, qu’en l’espèce les pièces et la preuve .. . étaient pertinentes à un élément essentiel de l’accusation

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portée contre Levac, ...». Il ne faut donc pas donner à l’arrêt Levac une portée générale qu’il n’a pas.

L’autre motif invoqué par la Cour d’appel est que la preuve dont il s’agit aurait également pu, servir à «mettre en doute l’hypothèse selon laquelle il (l’accusé) aurait été la victime innocente d’une importation machinée par d’autres personnes».

Ce deuxième motif ne m’apparaît pas plus fondé que le premier. L’accusé n’a fait entendre aucun témoin en défense; rien dans le contre-interrogatoire des témoins de la poursuite nous permet de dire que l’accusé entendait prétendre qu’il ne connaissait pas et ne pouvait identifier la marihuana. — Il ne s’agit pas ici pour la poursuite de tenter de repousser une défense possible, mais plutôt pour elle de tenter de prouver l’un des éléments essen­tiels du crime reproché à l’accusé: la connaissance coupable (voir Thompson v. The King[32], par lord Sumner à la p. 232; Noor Mohamed v. The King, supra, par lord du Parcq aux pp. 191 et suivantes).

Je suis donc d’opinion que le juge du procès a eu raison de refuser d’admettre en preuve les pièces dont il s’agit.

III

J’en arrive au dernier moyen retenu par la Cour d’appel: l’insuffisance de l’adresse du juge au jury: celui-ci aurait omis d’expliquer au jury la portée des sous-par. b) et c) de l’art. 21 du Code criminel concernant les parties à une infraction.

A la suite de l’adresse du juge au jury et en l’absence de celui-ci, le procureur de la poursuite a suggéré au juge de commenter l’art. 21 C.cr.:

EN L’ABSENCE DES JURES

PAR ME YVON ROBERGE PROCUREUR DE LA COU­RONNE

Votre Seigneurie, si vous me permettez respectueusement de vous suggérer de parler aux jurés des parties à une infraction, concernant l’article vingt et un (21).

[Page 738]

L’accusé étant accusé d’avoir importé, vous avez men­tionné: si vous êtes convaincus qu’il a importé. Évidem­ment, il n’y a pas de preuve que l’accusé ait passé les douanes. Alors, je pense qu’il serait essentiel que les jurés sachent qu’on peut être trouvé coupable selon qu’on pose l’acte, qu’on aide quelqu’un à le faire, ou qu’on empêche quelqu’un de le faire.

PAR LA COUR

J’ai pensé à ça, mais je ne pense pas que l’article vingt et un (21) rentre dans cette cause. Votre preuve a été faite pour prouver que c’est lui, vous avez tâché de prouver qu’il a importé la chose. Il n’y avait pas deux (2) personnes.

PAR ME YVON ROBERGE PROCUREUR DE LA POURSUITE

C’est correct ...

La Cour d’appel est d’un avis différent: le juge Mayrand dit:

Avec déférence, je crois que la suggestion de l’avocat de la Couronne était opportune et que les explications requises s’imposaient pour dissiper une ambiguïté possible.

Je ne suis pas d’accord. Rien dans la preuve permet de dire que l’appelant a pu aider quelqu’un à commettre l’infraction dont il est accusé; au contraire, toute la preuve de la poursuite vise à prouver que c’est l’appelant lui-même qui a importé le stupéfiant. Le juge du procès doit ins­truire le jury des règles de droit que soulève le procès tel qu’il s’est déroulé devant lui; il n’est pas obligé de leur faire des exposés théoriques sur des questions de droit que la cause ne soulève pas.

Je suis donc d’avis que le juge du procès n’a pas erré lorsqu’il a refusé d’expliquer aux jurés la portée des sous-par. b) et c) du par. 21(1) C.cr.

Pour ces motifs, je suis d’avis que l’appel doit être accueilli, l’arrêt de la Cour d’appel infirmé et le verdict d’acquittement prononcé en faveur de l’appelant rétabli.

Le jugement des juges Martland et Pigeon a été rendu par

LE JUGE PIGEON (dissident) — J’ai eu l’avan­tage de prendre connaissance des motifs exposés

[Page 739]

par le juge Pratte. Je suis entièrement d’accord sur la question de la formation du jury mais je diffère d’opinion sur les deux moyens qui ont été retenus par la Cour d’appel et sur lesquels, à mon avis, celle-ci n’a pas fait erreur.

Pour ce qui est de la lettre de transport aérien, le premier juge me paraît avoir fait fausse route dans les motifs qu’il expose comme suit:

Sur la question de la production de P-O-1, j’ai décidé, dans toutes les circonstances, incluant le manque de l’avis, le fait que c’est une copie, le fait que ça n’est pas tout à fait complet, de MAINTENIR L’OBJECTION.

Pour ce qui est du manque d’avis, il faut noter que le document avait été produit à l’enquête préliminaire. L’accusé se trouvait donc parfaitement au courant de cette preuve et, dans ces conditions, le manque d’avis était une simple infor­malité à l’égard de laquelle le premier juge n’avait aucun motif valable de ne pas user de la discrétion que lui attribue le par. 7 de l’art. 30 de la Loi sur la preuve au Canada dont il me paraît utile de citer immédiatement les par. 1, 3, 7 et 11 ainsi que les trois premiers alinéas du par. 12:

30. (1) Lorsqu’une preuve orale concernant une chose serait admissible dans une procédure judiciaire, une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires et qui contient des renseignements sur cette chose est, en vertu du présent article, admissible en preuve dans la procédure judiciaire sur production de la pièce.

(3) Lorsqu’il n’est pas possible ou raisonnablement commode de produire une pièce décrite au paragraphe (1) ou (2), une copie de la pièce accompagnée d’un affidavit indiquant les raisons pour lesquelles il n’est pas possible ou raisonnablement commode de produire la pièce et d’un affidavit de la personne qui a établi la copie indiquant d’où elle provient et attestant son authenticité, chaque affidavit ayant été reçu par un commissaire ou une autre personne autorisée à recevoir les affidavits, est admissible en preuve, en vertu du présent article, de la même manière que s’il s’agissait de l’original de cette pièce.

(7) A moins que le tribunal n’en décide autrement, aucune pièce ou aucun affidavit ne sera admis en preuve en vertu du présent article, à moins que la partie qui produit la pièce ou l’affidavit n’ait, au moins sept jours avant sa production, donné à chacune des autres parties

[Page 740]

à la procédure judiciaire un avis de son intention de le produire et ne l’ait, dans les cinq jours qui suivent la réception d’un avis à cet effet donné par l’une quelcon­que de ces parties, produit aux fins d’examen par cette partie.

(11) Les dispositions du présent article sont censées s’ajouter et non pas déroger

a) à toute autre disposition de la présente loi ou de toute autre loi du Parlement du Canada concernant l’admissibilité en preuve d’une pièce ou concernant la preuve d’une chose, ou

b) à tout principe de droit existant en vertu duquel une pièce est admissible en preuve ou une chose peut être prouvée.

(12) Au présent article

«affaires» désigne tout commerce ou métier ou toute affaire, profession, industrie ou entreprise de quelque nature que ce soit exploités ou exercés au Canada ou â l’étranger, soit en vue d’un profit, soit à d’autres fins, y compris toute activité exercée ou opération effec­tuée, au Canada ou à l’étranger, par un gouvernement, par un ministère, un département, une direc­tion, un conseil, une commission ou un organisme d’un gouvernement, par un tribunal ou par un autre orga­nisme ou une autre autorité exerçant une fonction gouvernementale;

«copie», en ce qui concerne une pièce, comprend une épreuve, agrandie ou non, tirée d’une pellicule photographique représentant cette pièce, et «pellicule photographique» comprend une plaque photographique, une pellicule microphotographique et un cliché au photostat;

«pièce» comprend l’ensemble ou tout fragment d’un livre, d’un document, d’un écrit, d’une fiche, d’une carte, d’un ruban ou d’une autre chose sur ou dans lesquels des renseignements sont écrits, enregistrés, conservés ou reproduits, et, sauf aux fins des paragraphes (3) et (4), toute copie ou transcription reçue en preuve en vertu du présent article en conformité du paragraphe (3) ou (4);

Il importe maintenant de bien examiner la nature juridique du document dont il s’agit. Cette pièce est l’exemplaire de la lettre de transport aérien destiné à servir de reçu de livraison de la marchandise dont il s’agit, reçu de livraison qui reste en la possession du transporteur aérien qui la rend à destination. Ce document porte à sa face les mentions suivantes:

[Page 741]

[TRADUCTION] Les exemplaires 1, 2 et 3 de cette lettre de transport aérien sont des originaux et ont la même valeur.

EXEMPLAIRE NO 4 (REÇU DE LIVRAISON)

A l’endos on voit la formule suivante qui est demeurée en blanc:

[TRADUCTION]

Reçu en bon état et en bonne condition à__________le__________(SIGNATURE DU DESTINATAIRE OU DE SON MANDATAIRE)

Ce document était conservé par le transporteur aérien dans une espèce de relieur et, à cette fin, on y a pratiqué deux perforations. C’est à cause de ces perforations que le juge du procès dit que ce n’est pas tout à fait complet. Cela ne saurait constituer un motif valable de refuser la production du docu­ment. Il ne s’agit pas d’une pièce en la possession d’une partie à un litige civil et que cette partie aurait mutilée, il s’agit d’une pièce en la possession d’un tiers et dont la poursuite entend se servir pour faire sa preuve. C’est tous les jours que dans une affaire criminelle on permet la production de pièces mutilées quitte à en déterminer la valeur probante en regard du reste de la preuve.

Il ne reste donc qu’à se demander s’il s’agit vraiment d’une copie. A mon avis, ce n’est pas le cas. Il ne s’agit pas ici d’un litige entre consignataire et voiturier. Le poursuivant n’est pas une personne qui cherche à faire valoir les droits qui découlent d’une lettre de transport aérien. Mais, à mon avis, c’est seulement à l’égard d’une telle personne que seuls les exemplaires 1, 2 et 3 de la lettre sont des originaux. En l’instance, il s’agit d’une poursuite criminelle pour contrebande de stupéfiant et ce qu’il faut se demander ce n’est pas si la pièce est l’original de la lettre de transport aérien, mais bien si elle est au sens du par. 1 de l’art. 30, «une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires et qui contient des renseignements» sur ce que la version française de la Loi appelle une «chose» (en anglais (matter») dont la preuve orale serait admissible.

Pour répondre à cette question il faut se reporter aux définitions précitées de «affaires», «copie» et «pièce». Ces définitions démontrent à mon avis que

[Page 742]

le document en question est bien une pièce établie dans le cours des affaires du transporteur aérien, car c’est une partie de son registre de reçus de livraison constitué par la collection d’exemplaires n° 4 de lettres de transport brochés ensemble. C’est bien l’original de ce registre et non pas une repro­duction qui seule serait une «copie» au sens de la définition. Je signale, en passant, que le texte englobe dans la définition de «pièce», tout fragment.

Il me paraît donc que la Cour d’appel a eu raison de statuer que le premier juge avait erré en refusant la production du reçu de livraison consti­tué par l’exemplaire n° 4 de la lettre de transport aérien. Il est vrai qu’il n’y a pas de signature sur ce reçu de livraison mais en matière criminelle cette irrégularité ne saurait constituer un obstacle à la preuve: on ne peut pas s’y laisser arrêter par une astuce de contrebandier.

Sur l’autre point dont je veux traiter le juge Mayrand a exposé les motifs de la décision de la Cour d’appel dans les termes suivants:

Je suis aussi d’avis que la production d’un pot conte­nant une substance verte trouvé chez l’intimé et d’un certificat d’analyse tendant à établir que le contenu était de la marihuana aurait dû être autorisée, comme la production de pipes, d’une balance et d’imprimés relatifs à la marihuana. Le certificat d’analyse et les divers objets ci-dessus trouvés chez l’intimé constituaient des éléments appréciables pour établir l’intention coupable de l’accusé et mettre en doute l’hypothèse selon laquelle il aurait été la victime innocente d’une importation machinée par d’autres personnes.

Dans l’affaire Levac c. La Reine (C.A.M. 10-000030-73, jugement du 2 juin 1975), l’appelant invoquait comme motif d’appel le fait que le juge de première instance avait autorisé la production d’une balance, d’une pipe et d’autres objets trouvés chez l’ap­pelant accusé d’importation de stupéfiant. Notre Cour a rejeté l’appel. Monsieur le juge Owen, dont l’opinion a été partagée par ses collègues, s’est exprimé ainsi:

[TRADUCTION] «Pour faire la preuve de l’acte crimi­nel imputé, le ministère public devait établir, en plus de l’importation des cylindres contenant la mari­huana, la connaissance coupable de Levac. Celui qui ne connaît pas les stupéfiants ou le monde de la drogue peut innocemment accepter $450 d’un pur étranger pour dédouaner deux cylindres en métal expédiés de la Jamaïque vers ce pays soi-disant pour y

[Page 743]

être réparés. Il est moins vraisemblable qu’une personne qui possède une balance ayant servi à peser de la marihuana, une petite quantité de marihuana ainsi qu’une pipe utilisée pour fumer de la «résine de cannabis» et qui, pour en expliquer sa possession, admet faire usage de marihuana, le fasse innocemment.

Je partage l’opinion du juge du procès qu’en l’espèce, les pièces et la preuve établissant que Levac faisait usage de marihuana étaient pertinentes à un élément essentiel de l’accusation portée contre Levac soit, la connaissance coupable de l’importation des cylindres contenant la «marihuana».

Baker c. Le Roi[33], un arrêt unanime prononcé par le juge Duff a endossé l’exposé fait par lord Sumner sur la question d’admissibilité de la preuve dans l’affaire Thompson[34]. La règle y est énoncée comme suit dans la dernière phrase des passages qui en sont cités (à la p. 102):

[TRADUCTION] Il doit y avoir quelque chose qui relie les faits mis en preuve non seulement à l’accusé mais à sa participation au crime.

Je crois utile de citer quelques arrêts où l’on me paraît avoir appliqué cette règle de la même façon que la Cour d’appel du Québec l’a fait en l’instance.

Dans R. v. Gaich[35], l’accusé interjetait appel d’une condamnation pour endossement et encaissement frauduleux d’un chèque. Les 7e et 8e griefs d’appel se lisaient comme suit:

[TRADUCTION] «7. Le savant juge du procès a commis une erreur en admettant la preuve qu’au moment de mon arrestation j’étais en possession d’une quantité de formules de chèques de certaines banques autres que la Banque Royale de Burlington et en tirant de cette preuve une inférence de culpabilité.»

«8. Le savant juge du procès a commis une erreur en admettant la preuve qu’au moment de mon arrestation j’étais en possession d’une liste de banques de la ville de Hamilton et en tirant de cette preuve une inférence de culpabilité.»

Le juge Mackay a exposé l’opinion unanime à l’encontre de ces griefs dans les termes suivants:

[TRADUCTION] ... En ce qui concerne les moyens d’appel 7 et 8, la recevabilité de la preuve dépend de son caractère et non de son importance: McLaren v. Canadian Central Railway (1884), C.R. [14] A.C. 259, 21 C.L.J. 114 à la p. 117 (sub nom. Canadian Central Railway Co. v. McLaren) (C.P.).

[Page 744]

Si un élément de preuve est raisonnablement pertinent et n’est visé par aucune règle d’inadmissibilité il est recevable bien que d’importance secondaire: Rogers v. London and Cana­dian Loan and Agency Company, Limited (1908), 18 O.L.R. 8.

Un fait apporté en preuve est recevable si la conclu­sion qu’on veut en tirer est suffisamment et raisonnablement probable. II n’est pas nécessaire que ce soit la seule conclusion possible: voir Wigmore on Evidence, 3e éd. 1940, sec. 38 (vol. 1, à la p. 428).

Le vicomte Reading, J.C. a dit dans Rex v. Thomp­son, [1917] 2 K.B. 630 à la p. 632: «La règle générale est que la preuve présentée doit être pertinente à l’accu­sation sur laquelle l’accusé subit son procès. Si la preuve ne fait qu’établir ou tendre à établir que l’accusé a une disposition ou réputation si mauvaise qu’il est suscepti­ble d’avoir commis l’infraction dont il est inculpé, elle n’est pas pertinente et elle est irrecevable. Si elle tend à établir que l’accusé a commis l’infraction dont il est inculpé elle est pertinente et recevable, même si inci­demment elle prouve ou tend à prouver que l’accusé est une personne ayant une disposition ou réputation immo­rale ou criminelle.» Il a cité Regina v. Ollis, [1900] 2 Q.B. 758 aux pp. 781 et 782; Makin v. Attorney-Gene­ral for New South Wales, [1894] A.C. 57, et Rex v. Ball and Ball, [1911] A.C. 47.

Il est clair, bien sûr, que la preuve de la possession de chaque objet trouvé chez l’accusé n’est pas nécessairement recevable. Pour reprendre les paroles du vicomte Reading dans Rex v. Thompson, précité à la p. 634: «Par exemple, s’il est trouvé en possession d’un instru­ment de cambriolage, on ne pourrait présenter cette preuve contre lui au soutien d’une accusation de gros­sière indécence; ce ne serait pas pertinent à l’accusation et tendrait seulement à établir sa mauvaise réputation. Mais, au cours d’un procès pour cambriolage, la décou­verte d’un instrument de cambriolage sur sa personne serait manifestement une preuve contre lui ..

La Cour est d’avis que bien que les nombreuses formules de chèques et la feuille de papier portant le nom de plusieurs banques, même si elles n’ont pas une grande valeur probante, sont recevables en preuve puisqu’elles sont pertinentes à l’accusation. Dans les circons­tances, la Cour ne peut pas dire que la découverte, sur la personne de l’appelant et chez lui, de ces documents, nécessaires et essentiels pour une telle entreprise illégale, n’était pas pertinente à l’accusation.

[Page 745]

Dans R. v. Hannam[36], voici la principale ques­tion dont la Cour d’appel de Nouvelle-Écosse était saisie (à la p. 343):

[TRADUCTION] ... On a admis en preuve un bout de papier trouvé dans un portefeuille en la possession de Michaud, l’autre accusé. Sur ce papier figurait une liste de places d’affaires dans la région du Halifax-Dart­mouth métropolitain, y compris le bureau de poste de Shearwater, MacCulloch’s (Halifax) Limited, Canadian Legion Scotia Branch, Cunard Street, Halifax, avec un trait tiré sur chacun de ces noms.

On a également fait la preuve que les places d’affaires de ces trois organisations avaient été cambriolées — le bureau de poste de Shearwater, le 16 mars 1963, Mac — Culloch’s (Halifax) Limited, le 14 mars 1963, et la Canadian Legion, le 16 mars 1963.

Il s’agit de savoir si, bien’ qu’elle soit recevable contre Michaud, cette liste est recevable contre l’appelant Hannam.

Il prétend que par Ià des éléments de preuve très préjudiciables ont été soumis au jury à son désavantage.

Après avoir ainsi énoncé la question, cité divers arrêts et résumé une partie de la preuve, le juge Coffin a exprimé l’opinion unanime en disant:

[TRADUCTION] Cette preuve établit que Hannam et Michaud étaient, tous les deux, dans les environs de cet édifice du ministère des Travaux publics pendant une période de temps relativement courte, tôt le matin en question et qu’ils y étaient parce qu’ils participaient à une activité commune quelconque. II y a donc preuve d’un dessein qui rend la liste en question pertinente et recevable.

Dans R. v. Sims[37], le juge en chef de la Cour d’appel, lord Goddard, a dit notamment (aux pp. 537 et 538):

[TRADUCTION] ... Il ne faut pas juger une preuve irrecevable pour la seule raison qu’elle tend à établir les mauvaises dispositions de l’accusé, mais seulement si elle ne prouve rien d’autre. Il y a de nombreux cas où la preuve d’actes spécifiques ou de circonstances reliant l’accusé aux éléments spécifiques du crime a été jugée recevable, même si elle tendait également à établir ses mauvaises dispositions. L’exemple le plus connu est lorsque l’on cherche à savoir si la conduite de l’accusé était préméditée, accidentelle ou faite avec connaissance cou­pable, auquel cas est recevable la preuve d’une série

[Page 746]

d’actes analogues accomplis par l’accusé à d’autres occa­sions, parce qu’il est invraisemblable qu’une série d’actes ayant absolument les mêmes caractéristiques se produise par accident ou inattention: voir Makin v. Attorney — General South Wales, [1894] A.C. 57, 65.... Une distinction semblable existe relativement aux articles trouvés en la possession de l’accusé. Si leur seul lien avec le crime est d’établir les mauvaises dispositions de l’ac­cusé, la preuve n’est pas recevable; mais, si des circons­tances du crime tendent à établir un lien entre le crime et les articles, la preuve est recevable; voir lord Sumner dans Thompson v. Rex, [1918] A.C. 234. Ainsi, dans le cas d’un vol par effraction, est recevable la preuve que des instruments de cambriolage qui auraient pu servir au crime ont été trouvés en la possession de l’accusé. Dans le cas d’un avortement, la preuve que l’attirail d’un avorteur qui aurait pu servir au crime a été trouvé en la possession de l’accusé est recevable. Cependant, la rece­vabilité ne dépend pas du fait que les articles aient pu être utilisés pour le crime. Il suffit qu’un autre trait spécifique les relie au crime.

Dans George Albert Gillingham[38], la Cour d’ap­pel criminelle a confirmé la décision du juge du procès de recevoir en preuve à l’appui d’une accu­sation de grossière indécence, des cartes postales obscènes. Cette décision avait été formulée comme suit (aux pp. 143 et 144):

[TRADUCTION] «A mon avis, la preuve de leur posses­sion n’est pas recevable uniquement pour démontrer que (l’appelant) était vicieux; cependant, si je peux conclure, à bon droit, qu’une personne coupable d’une telle infrac­tion pourrait bien utiliser ce genre de choses comme accessoires pour commettre l’infraction, alors, je crois que selon la doctrine énoncée par le juge Darling dans l’arrêt Twiss (13 Cr. App. R. 17; [1918] 2 K.B. 853), elles seraient recevables en preuve ici. Il s’agit, je crois, d’objets qu’un homme coupable d’une infraction sembla­ble pourrait bien avoir en sa possession et pourrait bien utiliser comme accessoires pour commettre ce crime. Comment? En les utilisant pour exciter la personne avec laquelle il avait l’intention ou le dessein de commettre ce crime, ou pour animer ses propres passions dans un tel but.»

Pour justifier la production de ce dont il s’agit ici le substitut a déclaré au procès:

Ce que je veux prouver votre Seigneurie, c’est la pré­sence chez l’accusé de substances, d’objets, de notes qui impliquent deux choses: 1) la mens rea, 2) l’intérêt de

[Page 747]

l’accusé quant à l’importation, l’intérêt qu’il peut avoir.

A mon avis, les deux raisons invoquées sont valables.

Il est évident que dans des affaires de ce genre l’intention coupable ne saurait ordinairement être établie par une preuve directe, il faut donc admet­tre tout ce qui peut constituer un élément de preuve indirecte. En l’occurrence il me paraît exis­ter une relation manifeste entre le fait que l’accusé serait un usager d’un stupéfiant prohibé et la présence d’une quantité de ce stupéfiant caché dans un meuble importé d’un pays où l’on en produit. Comme on l’a vu dans diverses citations, il n’est pas nécessaire pour rendre admissible un élément de preuve indirecte que la relation entre l’intention coupable et le fait dont il s’agit soit démonstrative. Dès qu’il y a une certaine relation, la preuve de chaque élément doit être admise quel qu’en soit le poids. De plus, comme nous venons de le décider dans R. c. Cooper[39], il n’est pas néces­saire que la preuve indirecte de l’intention coupa­ble soit de nature à exclure toute autre hypothèse rationnelle.

Quant à la seconde raison invoquée par le sub­stitut, ce qu’il appelle l’intérêt que peut avoir l’accusé quant à l’importation, c’est évidemment ce qu’on désigne plus souvent comme le motif, par opposition à l’intention proprement dite. Si vraiment l’accusé est un usager de marihuana, son motif d’en faire l’importation est évident: c’est de satisfaire son penchant. Cette seconde raison me semble péremptoire quant à l’admissibilité de la preuve de tout ce qui tend à démontrer que l’ac­cusé fait usage de marihuana. Voici ce qu’on lit dans Smith & Hogan’s Criminal Law (4e éd.) à la p. 64:

[TRADUCTION] Le mobile est toujours pertinent comme preuve. Cela signifie simplement que si la poursuite peut établir que D avait un mobile de commettre le crime, la poursuite est admise à le faire puisque l’exis­tence d’un mobile rend plus probable la commission de ce crime par D. Normalement les gens n’agissent pas sans mobile.

Je m’abstiendrai de faire une revue de la jurisprudence à l’appui de cet énoncé de principe car il

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me paraît incontesté. A mon avis, même s’il n’y avait que cette seule raison de recevoir la preuve dont il s’agit, elle suffirait à justifier la décision de la Cour d’appel sur ce point.

Pour ces motifs je conclus au rejet du pourvoi.

LE JUGE BEETZ (dissident) — Je suis d’accord avec les motifs du juge Pratte sauf en ce qui concerne l’admissibilité en preuve de la lettre de transport aérien; je partage sur ce point l’opinion du juge Pigeon.

Quoiqu’elle n’en dise rien dans son arrêt, je dois présumer que la Cour d’appel s’est demandé si le verdict aurait nécessairement été le même dans l’hypothèse ou le juge du procès n’aurait commis aucune erreur (Vézeau c. La Reine[40]) et qu’elle a implicitement conclu par la négative. Mais, sans compter les irrégularités relatives au choix du jury, la Cour d’appel reproche deux erreurs au juge du procès tandis que je suis d’avis qu’il n’en a commis qu’une seule: il a refusé d’admettre en preuve la lettre de transport aérien qui tend à établir que les 20 livres de cannabis ont été importées au Canada. Or le dossier contient d’autres preuves de cette importation, en outre de la lettre de transport aérien. Pour décider s’il y a lieu de maintenir l’annulation de l’acquittement, il faut donc appré­cier la suffisance de ces autres preuves. Dans cette situation, je suis d’avis de retourner l’affaire à la Cour d’appel afin que celle — ci décide s’il doit y avoir nouveau procès parce que le verdict n’aurait pas nécessairement été le même dans l’hypothèse où le premier juge aurait admis en preuve la lettre de transport aérien.

Pourvoi accueilli, les juges MARTLAND, PIGEON et BEETZ étant dissidents.

Procureur de l’appelant: Roch Fournier, Sher­brooke, Québec.

Procureur de l’intimée: Réjean Paul, Montréal.

[1] (1912), 21 C.C.C. 1.

[2] (1922), 16 Cr. App. R. 184.

[3] (1931), 53 B.R. 16.

[4] [1932] R.C.S. 612.

[5] [1973] C.A. 579.

[6] [1898] A.C. 735.

[7] (1890), 18 R.C.S. 407.

[8] (1972), 22 C.R.N.S. 153.

[9] [1973] C.A. 579.

[10] (1919), 31 C.C.C. 188.

[11] (1925), 19 Cr. App. R. 67.

[12] [1965] Crim. L.R. 444.

[13] (1821), 4 B. & Ald. 471.

[14] (1898), 7 B.R. 201.

[15] (1973), 22 C.R.N.S. 142.

[16] (1868), 28 U.C. Q.B. 108.

[17] [1933] R.C.S. 688.

[18] (1912), 17 B.C.R. 56.

[19] (1973), 11 C.C.C. (2d) 224.

[20] (1914), 10 Cr. App. R. 180.

[21] [1949] A.C. 182.

[22] [1938] R.C.S. 465.

[23] [1906] 2 K.B. 389.

[24] [1974] 3 All E.R. 887.

[25] [1918] A.C. 221.

[26] [1957] R.C.S. 531.

[27] (1968), 4 C.R.N.S. 127.

[28] (1970), 2 C.C.C. (2d) 118.

[29] (1975), 62 Cr. App. R. 118.

[30] (1977), 65 Cr. App. R. 125.

[31] (1975), 32 C.C.C. (2d) 357.

[32] [1918] A.C. 221.

[33] [1926] R.C.S. 92.

[34] [1918] A.C. 221.

[35] (1956), 24 C.R. 196.

[36] [1964] 2 C.C.C. 340.

[37] [1946] 1 K.B. 531.

[38] (1939), 27 Cr. App. R. 143.

[39] [1978] 1 R.C.S. 860.

[40] [1977] 2 R.C.S. 277.


Parties
Demandeurs : Cloutier
Défendeurs : Sa Majesté la Reine
Proposition de citation de la décision: Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709 (28 juin 1979)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1979-06-28;.1979..2.r.c.s..709 ?
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