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03/10/1978 | CANADA | N°[1979]_1_R.C.S._405

Canada | Morris c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 405 (3 octobre 1978)


Cour suprême du Canada

Morris c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 405

Date: 1978-10-03

Phillip Morris Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1978: 31 janvier; 1978: 3 octobre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

Cour suprême du Canada

Morris c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 405

Date: 1978-10-03

Phillip Morris Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1978: 31 janvier; 1978: 3 octobre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC


Synthèse
Référence neutre : [1979] 1 R.C.S. 405 ?
Date de la décision : 03/10/1978
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Droit criminel - Preuve - Contre-interrogatoire sur condamnations antérieures - Aveux du témoin - Autorisation d’interroger l’accusé sur son dossier de jeune délinquant - Exposé du juge au jury - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. 34, art. 306, 593, 609 - Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 12 - Loi sur les jeunes délinquants, S.R.C. 1970, chap. J-3, art. 3, 20(1), 26, 38.

L’appelant, âgé de 19 ans, est trouvé coupable par la Cour du Banc de la Reine, juridiction criminelle, du district de Montréal, composée d’un juge et d’un jury, d’une accusation d’introduction par effraction dans un dessein criminel (art. 306 C.cr.). Il en appelle à la Cour d’appel au motif que le juge du procès a erré en recevant en preuve le contre‑interrogatoire de l’appelant au cours duquel il a contredit le témoignage qu’il avait donné à l’interrogatoire principal et admis avoir été trouvé coupable, en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants, de violations au Code criminel. La Cour d’appel a confirmé la condamnation; d’où le pourvoi à cette Cour.

Arrêt (le juge en chef Laskin et les juges Spence, Dickson et Estey étant dissidents): Le pourvoi doit être rejeté.

Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz et Pratte: Le juge du procès a eu raison de recevoir en preuve, en vertu de l’art. 12 de la Loi sur la preuve au Canada et de l’art. 593 C.cr., le contre-interrogatoire de l’appelant sur son dossier de jeune délinquant. Le mot «infraction» au par. 12(1) de la Loi sur la preuve au Canada comprend un délit constituant une violation du Code criminel punissable en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants et un jugement prononçant qu’il y a eu délit au terme de cette loi équivaut à une condamnation au sens de l’art. 12 de la Loi sur la preuve au Canada. Le droit de contre-interroger un témoin en vue d’établir la fausseté de son témoignage principal ne doit pas être moins absolu dans le cas d’un ex-jeune délinquant que dans les autres cas. Les admissions de l’appelant au cours de son contre-interrogatoire constituent une preuve suffisante des délits dont il a été trouvé coupable

[Page 406]

en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants, sans qu’il soit nécessaire de produire le dossier officiel. Du reste, rien dans le rapport fourni au juge du procès préalablement au prononcé de la sentence n’indique que ces admissions soient erronées; ce rapport a d’ailleurs trait aux peines auxqelles l’appelant a été condamné plutôt qu’aux déclarations de culpabilité prononcées contre lui.

Au surplus, pour ce qui est de l’art. 593 C.cr., l’appelant a soulevé la question de sa réputation lorsqu’il a déclaré n’avoir jamais été condamné ni arrêté; l’intimée avait donc le droit de tenter de contredire cette preuve d’honorabilité par la preuve de condamnations antérieures.

Quant à l’exposé du juge au jury, même si le juge a fait une erreur en disant que l’appelant avait menti en affirmant n’avoir jamais été arrêté, cette erreur, compte tenu des circonstances de l’espèce, n’a eu aucune influence sur la décision du jury de ne pas croire l’appelant.

Le juge en chef Laskin et les juges Spence, Dickson et Estey, dissidents: En disant au jury que l’accusé avait menti lorsqu’il a déclaré n’avoir jamais été arrêté, le juge du procès a commis une erreur qui justifie un nouveau procès. II n’y a aucune preuve d’arrestation au dossier. Et même si l’on concluait que l’appelant avait commis des délits en tant que jeune délinquant, la Loi sur les jeunes délinquants ne permet pas de considérer ces conclusions comme des condamnations permettant que la preuve en soit faite en vertu de l’art. 593 C.cr. Une adjudication de culpabilité de délit en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants n’équivaut pas à une condamnation au sens du Code criminel.

[Jurisprudence: R. v. Lalonde (1950), 11 C.R. 71; Jones v. Director of Public Prosecutions, [1962] A.C. 635 (arrêt suivi); Koufis c. Le Roi, [1941] R.C.S. 481 (arrêt suivi); Procureur général de la Colombie-Britannique c. Smith, [1967] R.C.S. 702, [1969] 1 C.C.C. 244; R. v. Horsburgh, [1966] 1 O.R. 739; Krassman v. The Queen (1972), 8 C.C.C. (2d) 45; Adelphi Book Store Limited v. The Queen (1972), 8 C.C.C. (2d) 49; R. v. Grant (1936), 100 J.P. 324; R. v. Blaby, [1894] 2 Q.B. 170; R. v. Manchester Justices, [1937] 2 K.B. 96; Smith c. La Reine, [1959] R.C.S. 638 infirmant (1958), 121 C.C.C. 103 (sub nom. R. v. Gerald X.); Tarlo’s Estate (1934), 172 A. 139, 315 Pa. 321; Blaufus v. People (1877), 69 N.Y. 107, 25 Am. Rep. 148; Ward v. Sinfield (1880), 49 L.J.Q.B. 696; Stirland v. Director of Public Prosecutions, [1944] A.C. 315; R. v. Davison et al. (1974), 20 C.C.C. (2d) 424; R. v. McLean (1940), 73 C.C.C. 310; R. v. Sweet-Escott (1971), 55 C.A.R. 316; R. v. Baker (1912), 7 C.A.R. 252; R. v. Samuel (1956), 40 C.A.R. 8; R. v. St. Pierre (1974), 17 C.C.C.

[Page 407]

(2d) 489; R. v. MacDonald (1974), 27 C.R.N.S. 212; R. v. Triganzie (1888), 15 O.R. 294.]

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec[1] confirmant un verdict de culpabilité prononcé par un jury. Pourvoi rejeté, le juge en chef Laskin et les juges Spence, Dickson et Estey étant dissidents.

Peter M. Gold, pour l’appelant.

Henry Keyserlingk, pour l’intimée.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Spence, Dickson et Estey a été rendu par

LE JUGE SPENCE (dissident) — Ce pourvoi attaque un arrêt de la Cour d’appel de la province de Québec, prononcé le 17 mars 1975, qui rejette un appel de la déclaration de culpabilité de l’appelant qu’un jury a trouvé coupable sur l’accusation suivante:

[TRADUCTION] A SAVOIR: A MONTRÉAL, district de MONTRÉAL, le 10 juin 1973 ou vers cette date, Phillip MORRIS s’est illégalement introduit par effraction en un endroit autre qu’une maison d’habitation, savoir, un immeuble situé 6665 ouest, rue Saint‑Jacques, propriété de K-Tel International Ltd., avec l’intention d’y commettre un acte criminel, commettant de ce fait un acte criminel aux termes des al. 306(1)a) et e) du Code criminel, contrevenant ainsi à la loi et mettant en danger la paix et l’ordre public.

Daté du 7 août 1973.

L’appelant a été appréhendé alors qu’il tentait de sortir des lieux en cause par une fenêtre. Le paragraphe 306(2) du Code criminel prévoit:

(2) Aux fins de procédures intentées en vertu du présent article, la preuve qu’un accusé

a) s’est introduit dans un endroit par effraction, constitue, en l’absence de toute preuve contraire, une preuve qu’il s’y est introduit par effraction, avec l’intention d’y commettre un acte criminel; ou

b) est sorti d’un endroit par effraction, fait preuve, en l’absence de toute preuve contraire, qu’il en est sorti par effraction

(i) après y avoir commis un acte criminel, ou

(ii) après s’y être introduit avec l’intention d’y commettre un acte criminel.

[Page 408]

C’est indubitablement à cause de cette disposition et des circonstances précitées que l’appelant a été invité à témoigner par son avocat. Normalement, on s’attendrait à ce qu’en de telles circonstances, il soit très difficile pour l’appelant de fournir une preuve qui pourrait soulever un doute raisonnable dans l’esprit du jury. Toutefois, dans la preuve soumise, plusieurs faits rendent plausible l’excuse fournie par l’appelant pour justifier son introduction dans les lieux, savoir qu’il avait simplement cherché à s’abriter d’un gros orage et que sans le savoir il s’y était enfermé, et cela peut soulever un doute considérable. En conséquence, le savant juge de première instance, le juge en chef adjoint Hugessen, a dit dans son exposé au jury:

[TRADUCTION] … cela fait partie de votre évaluation de la crédibilité de l’accusé.

L’appelant était âgé de dix-neuf ans à la date de l’infraction alléguée et au moment du procès. L’interrogatoire de l’appelant, qui avait été cité comme témoin par son avocat, s’est engagé sur cet échange:

[TRADUCTION] Q.M. Phillip Morris, avez-vous déjà été déclaré coupable d’une infraction criminelle?

R. Non. Pas une seule.

Q. Avez-vous déjà été arrêté?

R. Non.

Q. C’est la première fois?

R. Oui.

Q. Cet incident?

R. Oui.

Après l’interrogatoire principal, l’appelant a été contre-interrogé. A un certain moment, l’avocat du ministère public a interrompu son interrogatoire, a demandé que le jury se retire et a alors sollicité le droit de contre-interroger l’appelant sur son prétendu dossier de jeune délinquant. Après un long débat, le savant juge de première instance a décidé:

[TRADUCTION] … je suis prêt, Me Keyserlingk, à vous autoriser à poser une ou plusieurs questions si nécessaire, sur toute condamnation de l’accusé pour une infraction prévue à la Loi sur les jeunes délinquants. Vous pouvez rappeler le jury.

L’avocat a alors procédé au contre-interrogatoire suivant:

[Page 409]

[TRADUCTION] Q.M. Morris, vous avez dit aux membres du jury que vous n’aviez jamais été arrêté auparavant et que vous n’aviez jamais été déclaré coupable d’une infraction. Est-ce exact?

R. Oui.

Q. N’est-il pas vrai qu’en 1963, devant la cour pour jeunes délinquants, vous avez été accusé et déclaré coupable de tentative de vol?

R. Je ne me souviens pas.

Q. N’est-il pas vrai qu’en 1969, vous avez été accusé, toujours devant la cour pour jeunes délinquants, et déclaré coupable d’avoir causé des dommages aux biens d’un tiers?

R. Je ne me souviens pas exactement.

Q. Bon. Vous souvenez-vous si en 1970, vous avez été accusé et déclaré coupable de vol et de possession illégale, en 1970?

R. Oui.

Q. Vous souvenez-vous si en 1972, devant la cour pour jeunes délinquants, vous avez été déclaré coupable d’introduction par effraction?

R. Coupable.

Q. Vous avez été déclaré coupable en 1972. Est-ce exact?

R. Oui.

Q. Vous aviez à ce moment-là dix-huit ans … dix-sept ans?

R. Dix-sept ans.

A la conclusion de la preuve, le savant juge de première instance a fait son exposé au jury. Sur la question du dossier de l’accusé, son exposé est remarquablement juste et pourtant bref:

[TRADUCTION] Maintenant, avant de terminer, j’aimerais dire un mot du dossier de l’accusé dont on a également fait état. En premier lieu, il me semble très clair que l’accusé a menti au cours de son interrogatoire principal. Au début, il a tout de suite dit qu’il n’avait jamais été déclaré coupable, qu’il n’avait jamais été arrêté. Vous pouvez en tirer les conclusions que vous voulez. Vous pouvez juger qu’il avait peur, qu’il ne voulait pas avouer devant vous qu’il avait eu des démêlés avec la police en tant que jeune délinquant. Vous pouvez juger qu’il considérait que son dossier de jeune délinquant n’était pas important ou qu’il ne faisait pas l’objet de la question qui lui était posée. Vous pouvez également juger que, même s’il a délibérément menti sur ce point, le reste de son témoignage est vrai. Vous en êtes les seuls juges. Il est également en votre pouvoir de

[Page 410]

conclure que, s’il vous a menti sur ce point qui peut, selon vous, être important, le reste de son récit est discutable. C’est à vous de décider. La seule chose que je vous demande, et je suis certain que vous vous laisserez guider par votre bon sens, je vous demande de veiller à ne pas condamner l’accusé simplement parce qu’il a été condamné auparavant. Tout notre système repose sur le principe qu’un homme paie sa dette à la société lorsqu’il est condamné et que lorsqu’il réintègre la société, sa dette est payée; il n’a pas à la payer deux, trois ou quatre fois. Vous pouvez tenir compte de son dossier pour évaluer sa crédibilité, et lui accorder une grand importance, mais je ne voudrais pas que vous condamniez un homme simplement parce qu’il a déjà été condamné.

Le jury a rendu un verdict de culpabilité et le savant juge de première instance, après avoir entendu les plaidoiries relatives à la sentence que j’évoquerai ci-après, a prononcé une sentence suspendue pour trois mois, soit jusqu’au 3 mai 1974, et a ordonné à l’accusé de se présenter à un agent de probation toutes les deux semaines et de respecter les autres conditions de la probation.

L’appelant a interjeté appel à la Cour d’appel de la province de Québec. Comme je l’ai indiqué, son appel a été rejeté.

Par ordre du 21 juin 1975, l’accusé a été autorisé à se pourvoir devant cette Cour. Bien que cette autorisation soit générale, le seul point plaidé devant cette Cour est le suivant: pouvait-on permettre le contre-interrogatoire de l’appelant sur son prétendu dossier, comme je l’ai relaté précédemment? L’exposé du savant juge de première instance au jury sur ce point est‑il approprié? Je suis arrivé à la conclusion que la déclaration de culpabilité ne peut être maintenue.

Premièrement, on a dit que l’accusé, en l’espèce l’appelant, a menti lorsqu’il a affirmé sous serment n’avoir jamais été arrêté. J’ai cité la partie pertinente de l’exposé du savant juge de première instance et j’insiste encore sur les mots suivants:

[TRADUCTION] En premier lieu, il me semble très clair que l’accusé a menti au cours de son interrogatoire principal. Au début, il a tout de suite dit qu’il n’avait jamais été déclaré coupable, qu’il n’avait jamais été arrêté.

(C’est moi qui souligne.)

[Page 411]

Je vais d’abord examiner si l’appelant a menti lorsqu’il a dit qu’il n’avait jamais été arrêté. On remarque que l’appelant a catégoriquement déclaré, au cours de son interrogatoire principal, qu’il n’avait jamais été arrêté. Lorsqu’il a été contre-interrogé par l’avocat du ministère public, il a confirmé cette déclaration. Lors du contre-interrogatoire ultérieur, l’accusé semble avoir admis qu’il avait été «déclaré coupable» (je reviendrai plus tard sur ce point), mais on ne lui a jamais redemandé s’il avait été arrêté. Donc, à la fin du procès, la seule preuve d’arrestation antérieure de l’accusé, indépendamment de toute condamnation antérieure, est sa propre déclaration qu’il n’a jamais été arrêté. Cette situation n’a rien d’impossible. Les actes imputés à l’appelant (j’utilise volontairement le terme le plus vague possible) sont relativement bénins, dans le cas d’un jeune, et il est parfaitement possible qu’il ait été sommé de comparaître devant le juge de la cour pour jeunes délinquants sans avoir été arrêté ou qu’il ait été amené devant la cour par son père, qui semble avoir toujours été présent. Donc, quand le savant juge de première instance a dit au jury que l’accusé avait menti lorsqu’il a déclaré n’avoir jamais été arrêté, il faisait clairement erreur. Le seul témoignage soumis à la Cour est celui de l’accusé qui a déclaré au cours de son interrogatoire principal qu’il n’avait jamais été arrêté. Ce point est important parce que le juge du procès, dans son rapport à la Cour d’appel, a expliqué qu’il avait pris connaissance ultérieurement des faits mentionnés dans le prétendu dossier de l’accusé et a dit ceci:

[TRADUCTION] Si j’avais connu ce fait alors que l’affaire était encore entre les mains du jury, mon attitude aurait pu être différente, mais je ne le crois pas. A mon avis, l’accusé a ouvert la porte à une preuve de mauvaise réputation en essayant de prouver son honorabilité et le jury avait le droit de savoir qu’il s’était parjuré au cours de son interrogatoire principal, lorsqu’il a déclaré qu’il n’avait jamais été arrêté.

Même si le reste de la plaidoirie de l’avocat de l’appelant devant cette Cour n’avait pas été convaincant, cette faute aurait suffi, à mon avis, pour que soit ordonné un nouveau procès.

Deuxièmement, même s’il n’y avait eu aucune mention d’arrestation dans l’interrogatoire princi-

[Page 412]

pal, le contre-interrogatoire ou l’exposé au jury, je suis d’avis que la mention des prétendues «condamnations» de l’appelant, en tant que jeune délinquant, constitue une erreur et un vice fatal.

Il est évident que lorsque l’avocat du ministère public a contre-interrogé l’accusé, l’appelant en l’espèce, il devait avoir en sa possession un état du dossier de jeune délinquant de l’accusé. Aucun document n’a été présenté à la cour à ce moment-là parce que l’accusé avait apparemment admis les allégations de l’avocat du ministère public, qu’il avait, à plusieurs reprises, été «déclaré coupable». Au moment de la fixation de la sentence cependant, l’avocat du ministère public a produit un document enregistré comme pièce S-1, apparemment un dossier signé par «A.M. Racine, Greffier intérimaire, Cour de bien-être social», qui se lit ainsi:

Montréal, le 30 janvier 1974.

RE: Phillip Morris

Dossiers

Délits

Sentences

2213/67

VOL & RECEL D’AUTO

15-5-67 Ajournée Sine Die

3471/67

VOL & RECEL

8-5-67 Placement Boy’s Farm & Training School 12-8-68 Placement du 8-5-67 cancellé

680/70

VOL & RECEL

30-1-70 Issue ajourné Sine Die

2839/72

INT. PAR EFF. AVEC INT.

16-6-72 Sine Die

A.M. Racine Greffier intérimaire

AMR/jt

Cour de bien-être social

On peut constater que les infractions contenues dans ce prétendu dossier n’ont entraîné l’inscription c l’aucune condamnation. La première, la troisième et la quatrième accusation ont été ajournées sine die, et la deuxième a été suivie d’un placement à la Boy’s Farm and Training School le 8 mai 1967, mais le 12 août 1968, ce placement était

[Page 413]

annulé. Encore une fois, il n’y a rien de surprenant à cela. L’article 16 de la Loi sur les jeunes délinquants, S.R.C. 1970, chap. J-3, prévoit:

16. La cour peut ajourner ou remettre l’audition d’une accusation de délit pendant une ou plusieurs périodes qu’elle peut juger à propos, ou elle peut remettre ou ajourner l’audition sine die.

Les avocats ont admis que la cour pour jeunes délinquants procède fréquemment à un ajournement sine die. Malgré cela, l’avocat du ministère public, dans son contre-interrogatoire précité, a demandé plusieurs fois à l’accusé s’il avait été «accusé et déclaré coupable», laissant ainsi à quiconque se trouvait dans la salle d’audience l’impression que l’accusé avait avoué les condamnations.

L’accusé, l’appelant en l’espèce, était alors âgé de dix-neuf ans et rien n’indique qu’il connaissait suffisamment la procédure judiciaire pour se rendre compte qu’il n’avait pas été condamné, mais que la cour avait simplement remis le règlement de l’affaire à une date indéterminée. J’estime qu’on ne peut pas du tout se fonder sur l’aveu fait par l’appelant, compte tenu de la pièce S-1 portant la signature du greffier. Cette pièce faisait à bon droit partie du dossier soumis à la Cour d’appel et celle-ci aurait dû en tenir compte. Pour ce seul motif, à mon avis, la déclaration de culpabilité ne peut être maintenue.

L’avocat de l’appelant prétend que même si l’aveu de l’appelant en contre-interrogatoire était valable et qu’il avait été déclaré coupable de divers délits en tant que jeune délinquant, ces faits ne peuvent être retenus contre lui comme preuve de condamnations antérieures. Le savant juge de première instance, qui a permis le contre-interrogatoire, s’est fondé sur l’art. 593 du Code criminel que voici:

593. Quand, au cours d’un procès, l’accusé fournit des preuves de son honorabilité, le poursuivant peut, en réponse, avant qu’un verdict soit rendu, fournir une preuve de la condamnation antérieure de l’accusé pour

[Page 414]

toute infraction, y compris toute condamnation antérieure en raison de laquelle une plus forte peine peut être infligée.

et également sur l’art. 12 de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, qui prévoit:

12. (1) Un témoin peut être interrogé sur la question de savoir s’il a déjà été déclaré coupable de quelque infraction, et lorsqu’il est ainsi interrogé, s’il nie le fait ou refuse de répondre, la partie adverse peut prouver cette déclaration de culpabilité.

(2) La déclaration de culpabilité peut être prouvée par la production

a) d’un certificat contenant le fond et l’effet seulement, et omettant la partie formelle, de l’acte d’accusation et de la déclaration de culpabilité, en cas de mise en accusation, ou d’une copie de la déclaration sommaire de culpabilité, si l’infraction est punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité, donnés comme étant signés par le greffier de la cour ou un autre fonctionnaire préposé à la garde des archives de la cour devant laquelle la déclaration de culpabilité a été obtenue, en cas de mise en accusation, ou à laquelle la déclaration de culpabilité a été renvoyée, en cas de voie sommaire; et

b) d’une preuve d’identité.

L’article du Code criminel énonce que si, au cours d’un procès, l’accusé fournit des preuves de son honorabilité, le poursuivant peut fournir une preuve de la condamnation antérieure de l’accusé pour toute infraction. (C’est moi qui souligne.) L’article 12 de la Loi sur la preuve au Canada permet d’interroger un témoin sur la question de savoir s’il a déjà été déclaré coupable de quelque infraction. (C’est moi qui souligne.)

L’avocat du ministère public a vigoureusement fait valoir que l’accusé, l’appelant ici, avait soulevé, au cours de son interrogatoire principal précité, la question de son honorabilité, tombant ainsi sous le coup de l’art. 593. La Cour d’appel de l’Ontario a rendu trois arrêts sur ce point: R. v. MacDonald[2]; R. v. St. Pierre[3], et R. c. Merolla, rendu le 19 avril 1974. Cette dernière décision n’est pas publiée, mais elle est citée et discutée dans l’affaire MacDonald où le juge Arnup s’est rallié à l’opinion du juge Dubin dans St. Pierre.

[Page 415]

Ayant à se prononcer sur un cas où l’avocat de l’accusé avait présenté, au cours de l’interrogatoire principal, la preuve de condamnations antérieures et avait été interrompu par le savant juge de première instance, il a dit:

[TRADUCTION] Je ne crois pas qu’on puisse dire qu’en répondant aux questions qui lui ont été visiblement posées pour des raisons de tactique, l’accusé a soulevé la question de son honorabilité. Les questions et réponses relatives à son casier judiciaire doivent être considérées comme si elles avaient été introduites en contre-interrogatoire.

Évidemment, comme l’a fait remarquer le juge Arnup, si l’on doit considérer les réponses comme si elles avaient été données en contre-interrogatoire, le savant juge de première instance aurait dû avertir le jury de n’en tenir compte que pour évaluer la crédibilité de l’accusé et non comme une preuve de réputation. Si le fait que les questions relatives au dossier ont été posées à l’interrogatoire principal plutôt qu’au cours du contre-interrogatoire du ministère public, a l’effet indiqué par les juges Arnup et Dubin dans les affaires citées, je n’en estime pas moins que lorsque les questions sont posées à un accusé, et non à un témoin — l’arrêt R. v. Bradbury[4], porte sur ce point — ce qui est fourni en réponse est régi par les dispositions de l’art. 593 du Code criminel. En termes simples, l’article permet seulement la preuve de condamnations. Comme je l’ai dit, il n’y a eu en l’espèce aucune comdamnation ni adjudication de perpétration de délits, mais, même dans le cas contraire, cette conclusion n’aurait pu, à mon avis, être considérée comme une «condamnation» au sens de l’art. 593.

L’article 3 de la Loi sur les jeunes délinquants prévoit:

3. (1) Le fait pour un enfant de commettre les actes énumérés à la définition de «jeune délinquant» au paragraphe 2(1) constitue une infraction désignée sous le nom de délit et doit être traité de la manière ci-dessous prescrite.

(2) Lorsqu’il est jugé qu’un enfant a commis un délit, il doit être traité non comme un contrevenant mais comme quelqu’un qui est dans une ambiance de délit et qui, par conséquent, a besoin d’aide et de direction et d’une bonne surveillance.

[Page 416]

Le paragraphe 20(1) de la même loi fixe en détail les pouvoirs de la cour lorsqu’il a été «jugé que l’enfant était un jeune délinquant». L’article prévoit:

20. (1) Lorsqu’il a été jugé que l’enfant était un jeune délinquant, la cour peut, à sa discrétion, prendre une ou plusieurs des mesures diverses ci-dessous énoncées au présent article, selon qu’elle le juge opportun dans les circonstances,

a) suspendre le règlement définitif;

b) ajourner, à l’occasion, l’audition ou le règlement de la cause pour une période déterminée ou indéterminée;

c) imposer une amende d’au plus vingt-cinq dollars, laquelle peut être acquittée par versements périodiques ou autrement;

d) confier l’enfant au soin ou à la garde d’un agent de surveillance ou de toute autre personne recommandable;

e) permettre à l’enfant de rester dans sa famille, sous réserve de visites de la part d’un agent de surveillance, l’enfant étant tenu de se présenter à la cour ou devant cet agent aussi souvent qu’il sera requis de le faire;

f) faire placer cet enfant dans une famille recommandable comme foyer d’adoption, sous réserve de la surveillance bienveillante d’un agent de surveillance et des ordres futurs de la cour;

g) imposer au délinquant les conditions supplémentaires ou autres qui peuvent paraître opportunes;

h) confier l’enfant à quelque société d’aide à l’enfance, dûment organisée en vertu d’une loi de la législature de la province et approuvée par le lieutenant-gouverneur en conseil, ou, dans toute municipalité où il n’existe pas de société d’aide à l’enfance, aux soins du surintendant, s’il en est un; ou

i) confier l’enfant à une école industrielle dûment approuvée par le lieutenant-gouverneur en conseil.

Il faut remarquer que la cour a beaucoup de choix, mais aucun ne comprend la déclaration de culpabilité de l’enfant ni l’imposition d’une sentence et ils n’y font même pas allusion. On peut seulement en déduire que le Parlement a expressément voulu que l’enfant déclaré jeune délinquant ne soit pas stigmatisé comme quelqu’un qui a été condamné et ne soit pas assujetti à une sentence. Ceci est aussi illustré par les termes utilisés à l’art. 38 de la Loi sur les jeunes délinquants:

[Page 417]

et que, autant qu’il est praticable, chaque jeune délinquant soit traité, non comme un criminel, mais comme un enfant mal dirigé, ayant besoin d’aide, d’encouragement et de secours.

Je renvoie également à l’arrêt Procureur général de la Colombie-Britannique c. Smith[5], et particulièrement au juge Fauteux, alors juge puîné (à la p. 710).

Il est vrai que l’art. 26 de la Loi sur les jeunes délinquants commence par les mots «Nul jeune délinquant ne doit, en aucune circonstance, lorsqu’il est déclaré coupable ou par la suite …», mais je suis d’avis que l’utilisation des mots «déclaré coupable» dans cet article ne peut enlever aux art. 3 et 20, précités, leur sens ordinaire qui empêche de prononcer une déclaration de culpabilité et y substitue une adjudication de culpabilité de délit. En conséquence, je suis d’avis que même si l’on avait conclu que l’appelant avait commis des délits en tant que jeune délinquant, et ce n’est pas le cas, ces conclusions ne pourraient être considérées comme des «condamnations» permettant que la preuve en soit faite en vertu de l’art. 593 du Code.

L’avocat de l’appelant prétend également que, même si l’on avait conclu aux délits, et je répète que ce n’est pas le cas, ces conclusions ne constitueraient pas des infractions au sens de l’art. 593 du Code ni de l’art. 12 de la Loi sur la preuve. L’argument de l’avocat de l’appelant sur ce point a beaucoup de poids, mais je pense qu’il n’est pas nécessaire de trancher cette question, compte tenu de l’opinion que j’ai exprimée relativement aux trois points précédents.

En conséquence, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi. Cette décision entraînerait naturellement une ordonnance de nouveau procès. En l’espèce, cependant, l’appelant a été déclaré coupable et a reçu sa sentence le 1er février 1974. La cour a rendu une sentence suspendue pour trois mois avec probation; il était également prévu qu’à l’expiration de ces trois mois, la cour pourrait rendre une autre ordonnance de probation. Nous sommes maintenant en 1978. Dans ces circonstances, un

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nouveau procès n’aurait, à mon avis, aucune valeur pratique, quel qu’en soit le résultat. Je suis d’avis d’annuler la déclaration de culpabilité.

Le jugement des juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz et Pratte a été rendu par

LE JUGE PRATTE — J’ai eu l’avantage de lire les motifs de mon collègue le juge Spence et, contrairement à ce dernier, je suis d’avis de rejeter ce pourvoi.

Dans ses motifs, le juge Spence résume les faits; je n’ai pas l’intention de les reprendre sauf si cela s’avère nécessaire pour une meilleure compréhension de ces motifs ou si ma compréhension des faits diffère de la sienne.

Le présent pourvoi porte principalement sur la question de savoir si le juge du procès a eu raison de permettre, aux termes de l’art. 12 de la Loi sur la preuve au Canada et de l’art. 593 du Code criminel, le contre-interrogatoire de l’appelant au cours duquel il a contredit le témoignage qu’il avait donné à l’interrogatoire principal et a admis avoir été trouvé coupable d’un certain nombre de délits en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants.

Avant d’aborder cette question, il convient cependant d’examiner la prétention de l’appelant selon laquelle même si le juge du procès a eu raison de juger recevable le contre‑interrogatoire de l’appelant sur son dossier de jeune délinquant, le verdict ne peut être maintenu parce qu’aucune preuve adéquate n’établit que l’appelant a été trouvé coupable d’un délit. Si cet argument est fondé, il s’ensuit nécessairement que, contrairement à l’opinion émise par le juge du procès dans son exposé, l’appelant n’a pas menti à l’interrogatoire principal et qu’il y a lieu d’ordonner un nouveau procès.

Il est bien établi qu’il n’est pas nécessaire de produire le dossier officiel pour prouver qu’il y a eu condamnation; l’aveu de la partie condamnée constitue une preuve tout aussi solide. Cette méthode est reconnue implicitement par l’art. 12 de la Loi sur la preuve au Canada qui prévoit une autre façon, qui d’ailleurs n’est pas la seule, de prouver une condamnation antérieure niée par le

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témoin (Rex v. Lalonde[6]). Il n’est pas nécessaire de prouver par un autre moyen une condamnation admise par un témoin et cette preuve ne doit pas être écartée à moins de circonstances exceptionnelles, indiquant clairement que l’aveu a été fait par erreur. L’être humain n’est pas enclin à reconnaître ses faiblesses et il n’y a pas à craindre qu’un témoin admette à la légère une condamnation qui n’a pas été prononcée contre lui; la répugnance de l’appelant en l’espèce à admettre ses condamnations confirme ce trait bien humain. Wigmore, On Evidence, Chadbourn revision, vol. 4, n° 1270, écrit (à la p. 656): [TRADUCTION] «Il est impossible qu’il y ait un risque d’erreur réel à accepter l’aveu incriminant d’un témoin obtenu en contre-interrogatoire; dans pareil cas, il n’est pas besoin d’insister sur la nécessité d’une copie: … ».

Dans Jones v. Director of Public Prosecutions[7], lord Morris of Borth-y-Gest, parlant de la preuve établissant que l’accusé avait commis une infraction autre que celle qui lui était reprochée, a dit (à la p. 685) [TRADUCTION] «L’aveu de l’accusé en réponse aux questions posées en contre-interrogatoire constitue une preuve et il n’est pas nécessaire que cette preuve soit donnée d’une autre façon …». Dans Koufis c. Le Roi[8], le juge Taschereau, alors juge puîné, parlant au nom de la majorité de la Cour, a dit, relativement à l’art. 12 de la Loi sur la preuve au Canada (à la p. 489): [TRADUCTION] «Si l’accusé avoue avoir commis l’infraction, sa réponse, qui porte sur un fait collatéral, est évidemment finale».

En l’espèce, pendant le contre-interrogatoire sur son dossier de jeune délinquant, l’appelant s’est d’abord rappelé avoir été trouvé coupable de vol et de possession illégale en 1970 et d’introduction par effraction en 1972 alors qu’il avait 17 ans; il a dit ne pas se souvenir d’avoir été déclaré coupable de tentative de vol en 1963 et d’avoir causé des dommages aux biens d’un t[???]rs en 1969. A la suite d’autres questions posées par le ministère public et sans motif apparent, l’appelant a soudainement recouvré la mémoire et avoué les condamnations

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de 1963 et de 1969. Je reproduis en entier le contre-interrogatoire de l’appelant:

[TRADUCTION] Q.M. Morris, vous avez dit aux membres du jury que vous n’aviez jamais été arrêté auparavant et que vous n’aviez jamais été déclaré coupable d’une infraction. Est-ce exact?

R. Oui.

Q. N’est-il pas vrai qu’en 1963, devant la cour pour jeunes délinquants, vous avez été accusé et déclaré coupable de tentative de vol?

R. Je ne me souviens pas.

Q. N’est-il pas vrai qu’en 1969, vous avez été accusé, toujours devant la cour pour jeunes délinquants, et déclaré coupable d’avoir causé des dommages aux biens d’un tiers?

R. Je ne me souviens pas exactement.

Q. Bon. Vous souvenez-vous si en 1970, vous avez été accusé et déclaré coupable de vol et de possession illégale, en 1970?

R. Oui.

Q. Vous souvenez-vous si en 1972, devant la cour pour jeunes délinquants, vous avez été déclaré coupable d’introduction par effraction?

R. Coupable.

Q. Vous avez été déclaré coupable en 1972. Est-ce exact?

R. Oui.

Q. Vous aviez à ce moment-là dix-huit ans … dix-sept ans?

R. Dix-sept ans.

Q. Quel âge aviez-vous quand on vous a accusé de vous être introduit dans l’immeuble, dans les circonstances mentionnées, était-ce dix-neuf ans?

R. Oui.

Q. Et vous dites que vous ne vous souvenez pas des condamnations antérieures dont j’ai parlé. Alors, pouvez-vous dire aux jurés de quoi vous vous souvenez, comment … de quoi vous avez été trouvé coupable?

R. Je me souviens d’avoir été déclaré coupable d’introduction par effraction quand j’étais plus jeune, en 1972 je pense.

Q. Et de vol en 1970 et de possession illégale, vous en rappelez-vous?

R. Non.

Q. Et à part l’introduction par effraction, de quoi, par exemple, vous souvenez-vous?

R. C’est tout ce dont je me souviens. Il y a si longtemps que c’est arrivé.

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Q. Je vois. Vous ne vous souvenez pas d’être allé devant la cour pour jeunes délinquants en 1970?

SA SEIGNEURIE:

Il dit se souvenir de 1970 et de 1972, Me Keyserlingk.

Me HENRY R. KEYSERLINGK

AVOCAT DE LA POURSUITE:

Il dit se souvenir seulement de l’introduction par effraction.

LE TEMOIN:

Je ne me souviens pas exactement ce qui est arrivé ce jour-là, en 1970.

Q. Serait-il exact de dire que vous avez été déclaré coupable de vol et de possession illégale en 1970?

R. Oui.

Q. Et qu’en 1969, vous avez été déclaré coupable d’avoir causé des dommages aux biens d’un tiers

R. Oui.

Q. Et en 1963 de tentative de vol?

R. Oui.

Q. Merci. Pas d’autres questions.

En résumé, l’appelant, dans son contre-interrogatoire, a avoué quatre infractions; j’estime qu’elles doivent être considérées comme prouvées.

On soutient cependant devant cette Cour qu’on ne doit pas tenir compte de ces aveux parce qu’ils vont à l’encontre de renseignements contenus dans un document produit par le ministère public comme pièce S-1, à titre de rapport précédant la sentence et qui établirait que l’appelant n’a jamais été trouvé coupable d’une infraction comme jeune délinquant.

Ce moyen de l’appelant est fondé sur la façon dont s’est exprimé le savant juge de première instance dans le rapport qu’il a soumis à la Cour d’appel conformément à l’art. 609 du Code criminel:

[TRADUCTION] Cependant, un point soulevé par cet appel me préoccupe. Comme je l’ai dit, l’accusé a avoué, en contre-interrogatoire, qu’il avait été condamné comme jeune délinquant. Devant cet aveu, aucune autre preuve de ses condamnations ne me semblait nécessaire ou souhaitable. Cependant, après le prononcé du verdict et avant celui de la sentence, on a produit une copie du

[Page 422]

dossier de l’accusé en cour pour jeunes délinquants, comme pièce S-1. Ce document indique que techniquement, aucune condamnation n’a été enregistrée contre l’accusé et que même s’il a passé quelque temps à la Boys’ Farm de Shawbridge, toutes les accusations portées contre lui ont été ajournées sine die sans aucune disposition formelle. Si j’avais connu ce fait alors que l’affaire était encore entre les mains du jury, mon attitude aurait pu être différente, mais je ne le crois pas. A mon avis, l’accusé a ouvert la porte à une preuve de mauvaise réputation en essayant de prouver son honorabilité et le jury avait le droit de savoir qu’il s’était parjuré au cours de son interrogatoire principal, lorsqu’il a déclaré qu’il n’avait jamais été arrêté.

Il est évident que le jury a accordé une grande importance à la preuve en cause et si j’ai fait erreur, il doit y avoir, à mon humble avis, un nouveau procès.

Cette pièce S-1 n’a pas été soumise à la Cour d’appel; parlant au nom de la Cour, le juge en chef Tremblay a dit: «L’exhibit S-1 n’est pas au dossier conjoint et je doute fort qu’il prévale sur les admissions formelles qu’a faites l’appelant».

Cette pièce a été retrouvée et fait partie du dossier soumis à cette Cour. A mon avis, rien dans ce document n’appuie l’opinion qui a été émise par le juge du procès dans son rapport et que l’on fait maintenant valoir devant nous.

Ce document, la pièce S-1, se lit ainsi:

Montréal, le 30 janvier 1974.

RE: Phillip Morris

Dossiers

Délits

Sentences

2213/67

VOL & RECEL D’AUTO

15-5-67 Ajournée Sine Die

3471/67

VOL & RECEL

8-5-67 Placement Boy’s Farm & Training School 12-8-68 Placement du 8-5-67 cancellé

680/70

VOL & RECEL

30-1-70 Issue ajourné Sine Die

2839/72

INT. PAR EFF. AVEC INT.

16-6-72 Sine Die

A.M. Racine Greffier intérimaire

AMR/jt

Cour de bien-être social

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Il faut d’abord remarquer que ce document ne mentionne pas les condamnations de 1963 et de 1969 que l’appelant a avouées dans son contre-interrogatoire; d’autre part, les deux infractions de 1967 indiquées dans la pièce S-1, dont celle qui a entraîné le placement de l’accusé à la Boys’ Farm and Training School, n’ont pas été mentionnées au procès. Les deux infractions de 1970 et de 1972, que l’appelant a avouées sans réticence en contre‑interrogatoire, sont les dernières sur cette liste. On prétend que ce document démontre que toutes les accusations portées contre l’appelant ont été ajournées sine die sans qu’il ait jamais été trouvé coupable d’une infraction comme jeune délinquant. Cette prétention est erronée. Premièrement, le document n’est pas censé reproduire au complet le dossier de jeune délinquant de l’appelant; il passe sous silence les infractions de 1963 et de 1969 que l’appelant a avouées en contre-interrogatoire. Je ne vois donc pas comment ce document peut être utilisé pour repousser la valeur probante de l’aveu de ces deux infractions.

Pour ce qui est des quatre infractions énumérées dans cette pièce, dont celles de 1970 et de 1972 que l’appelant a avouées, le juge du procès ne tient aucun compte du sens du mot «Sentences» placé en tête de la dernière colonne de ce document lorsqu’il dit que: [TRADUCTION] «toutes les accusations ont été ajournées sine die sans aucune disposition formelle». En matière de législation pénale canadienne, le mot français «sentence» correspond au mot anglais «sentence»; ils ont le même sens et se rapportent à la fixation et au prononcé d’une peine ou autre mesure par suite d’une conclusion de culpabilité; les deux mots sont utilisés pour définir le sort ou la peine imposés à une personne qui a été jugée coupable (voir Dictionary of Synonyms de Webster à «sentence»). La définition du mot anglais «sentence» dans Black’s Law Dictionary, 4e éd. révisée, s’applique au mot français «sentence» utilisé dans la législation pénale canadienne:

[TRADUCTION] Jugement formel prononcé par la cour ou le juge contre le défendeur à la suite de la déclaration de culpabilité consécutive à une poursuite criminelle, imposant la peine. Jugements formels faisant connaître à l’accusé les conséquences juridiques de ses aveux ou

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d’une déclaration de culpabilité. Il convient de restreindre ce mot à ce sens.

En conséquence, il est évident que les mesures décrites à la pièce S-1 sous le titre «Sentences» ont trait à l’imposition de la peine consécutive à une adjudication de culpabilité plutôt qu’à l’adjudication de culpabilité à l’égard des «délits» eux-mêmes. En d’autres termes, les renseignements résumés succinctement dans la colonne «Sentences» visent à décrire les dispositions prises par la cour pour jeunes délinquants conformément au par. 20(1) de la Loi sur les jeunes délinquants après avoir jugé que l’appelant «était un jeune délinquant», c’est‑à-dire après l’avoir trouvé coupable d’une violation d’une disposition du Code criminel. Cette colonne montre que, dans tous les cas sauf un, la cour a remis à plus tard sa décision quant aux mesures à prendre, parmi celles prévues au par. 20(1) de la Loi, à l’égard de l’appelant qu’elle avait déjà jugé être un délinquant à la suite de la perpétration des infractions énumérées sous la colonne «Délits». Ce point de vue est confirmé par les documents supplémentaires déposés devant cette Cour au moment de l’audition de ce pourvoi, aux termes de l’art. 67 de la Loi sur la Cour suprême. Cette Cour les a acceptés dans le seul but de lui permettre de comprendre clairement la portée de la pièce S-1. Ces documents montrent que l’appelant s’est reconnu coupable des quatre accusations portées contre lui et énumérées dans la pièce S-1; ils montrent également qu’en ce qui concerne la troisième infraction, la décision de placer l’appelant à la Boys’ Farm & Training School a été prise conformément au par. 20(1) de la Loi sur les jeunes délinquants après que la cour eut conclu que «l’enfant était un jeune délinquant». Notons que cette décision ne pouvait être valablement prise en vertu de l’art. 16 de la Loi puisqu’aux termes de cet article, la Cour ne peut qu’ajourner ou remettre l’audition d’une accusation de délit. En fait la Cour ne peut prendre une des mesures prévues au par. 20(1) de la Loi qu’après avoir jugé que le jeune est un jeune délinquant, c’est-à-dire coupable de l’infraction dont il est accusé.

Avec égards, je ne trouve rien au dossier qui soit en contradiction avec les aveux de l’appelant en

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contre-interrogatoire et qui puisse être invoqué à l’appui de l’opinion émise par le juge du procès dans son rapport. La preuve établit que l’appelant a violé à plusieurs reprises les dispositions du Code criminel et qu’en conséquence on l’a jugé être un jeune délinquant; dans un cas, il a été placé dans une école pour jeunes délinquants et, dans les autres, la «sentence» a été ajournée sine die.

Cela étant, je passe maintenant à l’examen de la question principale de ce pourvoi: le contre‑interrogatoire de l’appelant sur son dossier de jeune délinquant était-il recevable en preuve en vertu de l’art. 12 de la Loi sur la preuve au Canada ou de l’art. 593 du Code criminel! Le juge du procès a permis le contre-interrogatoire en se fondant sur ces deux dispositions et la Cour d’appel a confirmé sa décision.

Examinons d’abord l’art. 12 de la Loi sur la preuve au Canada qui se lit en partie ainsi:

12. (1) Un témoin peut être interrogé sur la question de savoir s’il a déjà été déclaré coupable de quelque infraction, et lorsqu’il est ainsi interrogé, s’il nie le fait ou refuse de répondre, la partie adverse peut prouver cette déclaration de culpabilité.

L’appelant prétend que cet article ne s’applique pas en l’espèce pour deux motifs, savoir: (i) un délit n’est pas une infraction au sens de cette expression à l’art. 12; et (ii) un jugement prononçant qu’il y a eu délit ne doit pas être interprété comme une déclaration de culpabilité aux fins de l’art. 12. Selon l’appelant, il s’ensuivrait que, mis à part l’art. 593 du Code criminel, le contre-interrogatoire de l’appelant a été illégalement admis en preuve parce qu’il n’était pas légalement recevable en vertu du par. 12(1).

Pour le premier moyen, il faut d’abord noter que le mot «délit» qui, à l’art. 3 et au par. 22(1) de la Loi sur les jeunes délinquants, est décrit comme une infraction, comprend deux catégories d’actes;

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la première englobe les actes qui constituent une infraction «à quelqu’une des dispositions du Code criminel, ou d’un statut fédéral ou provincial, ou d’un règlement ou ordonnance d’une municipalité» (Loi sur les jeunes délinquants, par. 2(1)), ou, comme disait le juge Fauteux dans Procureur général de la Colombie-Britannique c. Smith[9], (à la p. 710), les actes qui constituent [TRADUCTION] «des infractions aux lois générales, adoptées par le Parlement ou par les législatures»; la seconde catégorie comprend l’immoralité sexuelle ou toute forme semblable de vice qui, bien que n’étant pas illégale dans le cas des adultes, doit être réprimée dans le cas des jeunes.

Mis à part les délits de la seconde catégorie que je viens de mentionner, la Loi sur les jeunes délinquants ne prévoit aucune règle spéciale de conduite pour les jeunes; le Code criminel et les autres lois précitées s’appliquent de la même façon aux jeunes et aux autres. En somme, la Loi sur les jeunes délinquants ne crée aucune infraction; l’infraction découle de la violation d’une autre loi, soit en l’espèce le Code criminel. Mais lorsque l’infraction est commise par un jeune, la loi est appliquée d’une façon particulière: les peines habituellement imposées en matières criminelles, c’est-à-dire l’emprisonnement ou l’amende, qui sont censées avoir un effet de dissuasion, sont généralement remplacées par diverses mesures laissées à la discrétion de la Cour et destinées à assurer à l’enfant les soins, l’éducation et la protection dont il a besoin pour réintégrer la société et devenir un citoyen respectueux des lois. La Loi [TRADUCTION] “prévoit une procédure spéciale de sanction et de traitement des enfants à l’extérieure des cours criminelles ordinaires, même si leurs délits constituent des infractions aux termes du Code criminel” (Le juge Laskin, alors juge d’appel, dans R. v. Horsburgh[10], aux pp. 756 et 757). Dans l’arrêt Le Procureur général de la Colombie-Britannique c. Smith, précité, le juge Fauteux, alors juge puîné, parlant au nom de la Cour, a fait remarquer à juste titre à la p. 708 que [TRADUCTION]: “Le premier effet juridique le la Loi sur les jeunes délinquants, …, est, dans le cas des jeunes délinquants, la substitution de fait des

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dispositions de la Loi aux dispositions relatives à l’application du Code criminel ou” de toute autre loi pertinente.

Dans cet arrêt-là, la question était principalement de savoir si la Loi sur les jeunes délinquants, S.R.C. 1952, chap. 160, qui est identique à toutes fins utiles à la loi actuelle, était intra vires du Parlement du Canada à titre de loi relative au droit criminel. Le juge Fauteux a fait quelques commentaires intéressants sur la nature de la législation et de la substitution du type de peines ainsi effectuée; il a dit, à la p. 708:

[TRADUCTION] … le préambule de la loi initiale, adoptée en 1908, 7-8 Édouard VII, chap. 40, ainsi que l’article des définitions et les dispositions essentielles de la Loi montrent que cette substitution des dispositions de la Loi aux dispositions exécutoires d’autres lois fédérales ou provinciales est un moyen adopté par le Parlement, dans l’exercice légitime de la plénitude de son pouvoir en matière criminelle, pour parvenir à un résultat, un but ou un objet dont la vraie nature fait de cette loi une véritable législation relative au droit criminel.

Et, parlant des dispositions essentielles de la Loi, il a ajouté (à la p. 710):

[TRADUCTION] Elles visent les jeunes qui enfreignent la loi ou se livrent à l’immoralité sexuelle ou à une autre forme semblable de vice ou qui, en raison de toute autre infraction, sont passibles de détention dans une école industrielle ou maison de correction pour les jeunes délinquants. Elles ont pour but — pour reprendre les mots utilisés par le Parlement — de surveiller leurs mauvaises tendances et de développer leurs meilleurs instincts. Elles sont en fait prospectives et visent essentiellement à empêcher ces jeunes de devenir des criminels dans l’avenir et à les aider à être des citoyens respectueux des loi. Ces objectifs relèvent clairement du domaine du droit criminel ainsi que les tribunaux l’ont défini.

En l’espèce, les délits dont l’appelant a été jugé coupable constituent tous des violations de dispositions du Code criminel. Il n’est donc pas question ici de délits de la seconde catégorie, ni même d’un délit qui, bien que relevant de la première catégorie, serait une violation d’une loi fédérale autre que le Code criminel, d’une loi provinciale ou d’un

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règlement ou arrêté municipal.

La question à trancher est donc très étroite: il s’agit de savoir si le mot «infraction» au par. 12(1) de la Loi sur la preuve au Canada comprend un délit constituant une violation du Code criminel qui est punissable en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants et non du Code lui‑même.

Le Code criminel et la Loi sur les jeunes délinquants ont été adoptés par le Parlement en vertu de son pouvoir de légiférer relativement au droit criminel et à la procédure en matière criminelle; il en est de même de l’art. 12 de la Loi sur la preuve au Canada dans la mesure où il s’applique aux procédures criminelles.

A mon avis, il serait pour le moins extraordinaire qu’en utilisant un terme aussi large qu’«infraction» dans une loi applicable aux procédures criminelles, le Parlement ait voulu désigner autre chose que les infractions de nature vraiment criminelle et dont la création et la réglementation relèvent, à ce titre, du pouvoir législatif exclusif du Parlement en matière criminelle aux termes de l’art. 91, par. 27 de l’A.A.N.B.; rien dans la Loi sur la preuve au Canada ni dans aucune autre loi pertinente ne révèle une telle intention. L’origine du par. 12(1) n’étaye pas non plus la théorie selon laquelle il faudrait faire une distinction entre des violations identiques de la loi en se fondant uniquement sur le mode de sanction.

En résumé, l’expression «quelque infraction» au par. 12(1) comprend clairement une infraction qui est une violation du Code criminel punissable en vertu de ce dernier; à défaut de disposition expresse de la loi, je ne puis, en toute logique, admettre que la même expression exclut la même violation lorsqu’elle est punissable en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants qui, comme le Code, est une [TRADUCTION] «véritable législation relative au droit criminel».

Je ne me prononce pas sur la question de savoir si, par ailleurs, le sens du mot «infraction» au par. 12(1) de la Loi sur la preuve au Canada doit être restreint de façon à exclure certains genres de délits.

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L’appelant a cité deux arrêts: Krassman v. The Queen[11], de la Division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta, et Adelphi Book Store Limited v. The Queen[12], de la Cour d’appel de la Saskatchewan. Ni l’un ni l’autre ne s’applique en l’espèce; dans les deux cas, il s’agissait de savoir dans quelle mesure certaines dispositions du Code criminel s’appliquent à des infractions créées par d’autres lois fédérales, et non quelle est la portée de la Loi sur la preuve au Canada.

L’appelant prétend en second lieu qu’un jugement prononçant qu’il y a eu délit en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants ne doit pas être interprété comme une déclaration de culpabilité au sens de l’art. 12 de la Loi sur la preuve au Canada; en conséquence, on ne pourrait pas dire qu’une personne trouvée coupable de délit a été «déclarée coupable». Ce moyen est fondé sur le fait qu’une cour pour jeunes délinquants a, aux termes de la Loi, le pouvoir de juger qu’un enfant a commis un délit et non de le déclarer coupable de l’avoir commis.

Il est vrai que dans la Loi sur les jeunes délinquants, on ne parle pas de «déclaration de culpabilité» pour désigner le jugement prononçant qu’il y a eu délit. Mais cela ne signifie pas nécessairement qu’en évitant apparemment d’utiliser l’expression «déclaration de culpabilité», le Parlement a voulu donner aux cours pour jeunes délinquants, en matière de jugements sur la culpabilité, un pouvoir très différent du pouvoir de prononcer une «déclaration de culpabilité». Ceci touche au sens de ces deux expressions.

L’expression «déclaration de culpabilité» n’est pas une expression technique applicable uniquement aux infractions criminelles punissables de la façon prévue au Code. Utilisée dans une loi, son sens varie selon le contexte; elle peut comprendre ou non l’imposition d’une peine. Cependant, de façon générale, il y a [TRADUCTION] «déclaration de culpabilité lorsqu’une personne est trouvée coupable d’une infraction» (Jowitt’s Dictionary of English Law, 2e éd., à «conviction»). Le verbe to convict («déclarer coupable») est défini dans l’Ox-

[Page 430]

ford English Dictionary: [TRADUCTION] «établir la culpabilité d’une personne pour une infraction qui la rend passible d’une peine légale». Les définitions de Funk and Wagnalls New Standard Dictionary vont dans le même sens. On a également dit que le terme était assez large pour comprendre un aveu de culpabilité (R. v. Grant[13]; R. v. Blaby[14], le juge Hawkins, à la p. 172; R. v. Manchester Justices[15]). Dans Smith c. La Reine cette Cour[16] et la Cour d’appel du Manitoba[17] ont utilisé l’expression «déclaration de culpabilité» pour désigner la décision d’une cour pour jeunes délinquants déclarant qu’un jeune était un délinquant.

Le sens du verbe «juger» est plus général que celui de l’expression «déclarer coupable» qui y est incluse; de façon générale, «juger» signifie déclarer judiciairement et un de ses sens est prononcer une sentence ou condamner; Black’s Law Dictionary, 4e éd., au mot adjudge (juger) dit ceci:

[TRADUCTION] JUGER. Se prononcer judiciairement, décider, trancher, décréter, prononcer une sentence ou condamner. People v. Rave, 364 111. 72, 3 N.E. 2d 972, 975.

De son côté, le Webster’s Third New International Dictionary donne cette définition:

[TRADUCTION] la) Décider ou trancher en qualité de juge ou en vertu de pouvoirs judiciaires ou quasi judiciaires; … b) déclarer judiciairement … 2. archaïque, prononcer une sentence ou condamner (une personne) à une peine.

Et le Funk & Wagnalls New Standard Dictionary of the English Language:

[TRADUCTION] 1. Adjuger ou attribuer par une décision formelle; … 2(1) rendre une décision judiciaire; adjuger; décider judiciairement.

Selon l’usage général, adjuge (juger) n’implique pas toujours une décision finale. Les juges des cours inférieures ou les arbitres jugent des affaires qui sont parfois transmises à une cour supérieure pour jugement final … 3. Décréter; prononcer une sentence; condamner; le roi Charles a été condamné à mort.

[Page 431]

Dans quelques arrêts, on a décidé que «jugé» était synonyme de «déclaré coupable»:

Tarlo’s Estate[18], à la p. 140.

Blaufus v. People[19], à la p. 111.

En ancien droit anglais, le mot «juger» signifiant parfois «prononcer une sentence» (Archbold, Criminal Pleading and Evidence, 19e éd., à la p. 400).

A mon avis donc, le pouvoir de la cour pour jeunes délinquants de se prononcer sur la culpabilité équivaut au pouvoir d’une cour criminelle ordinaire de déclarer coupable et je ne vois aucune différence de fond entre le pouvoir de juger une personne coupable d’une infraction et celui de la déclarer coupable de la même infraction. Avec égards, je conclus que la prétention de l’appelant selon laquelle un jugement prononçant qu’il y a eu délit ne doit pas être interprété comme une condamnation au sens de l’art. 12 de la Loi sur la preuve au Canada n’est pas fondée.

L’appelant prétend également qu’appliquer le par. 12(1) à un dossier de jeune délinquant aurait pour effet de violer l’intention et l’esprit de la Loi sur les jeunes délinquants et irait à l’encontre des objectifs du législateur énoncés au préambule de la Loi des jeunes délinquants de 1908 (chap. 40) et repris à l’art. 38 de la Loi actuelle.

Le but de la Loi sur les jeunes délinquants est d’aider les jeunes délinquants à se réformer plutôt que de les punir; il est donc souhaitable d’accorder une certaine protection aux jeunes délinquants, une fois réformés, contre l’application automatique des lois destinées aux criminels ordinaires, qui risquerait de les entraîner de nouveau dans la criminalité. Quelles que soient la valeur et l’importance de ces objectifs, ils ne peuvent justifier en eux-mêmes une interprétation du par. 12(1) que rien d’autre ne confirme et qui interdirait effectivement le contre-interrogatoire d’un ex-jeune délinquant sur son dossier lorsqu’au cours de l’interrogatoire principal, il a donné à ce sujet des renseignements erronés. A mon avis, je ne vois absolument pas en quoi il serait impératif ou même souhaitable que le témoignage erroné d’un

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ex-jeune délinquant donné en interrogatoire principal soit incontestable en contre-interrogatoire. On peut difficilement dire d’une loi qui encouragerait la suppression de la vérité qu’elle favoriserait la rééducation des délinquants, jeunes ou non. Si un témoin ne dit pas la vérité, les intérêts supérieurs de la justice exigent qu’on la dise au jury [TRADUCTION] «pour qu’il comprenne bien quel genre de témoin il a devant lui» (Ward v. Sinfield[20], à la p. 697, le juge Lopes).

Il faut bien sûr faire une distinction entre le contre-interrogatoire portant sur des condamnations antérieures qui est régi par le par. 12(1) et le contre-interrogatoire qui vise à affaiblir la preuve faite à l’interrogatoire principal en soulignant les erreurs, les omissions ou les contradictions dans les déclarations du témoin ou en obtenant de lui des déclarations contraires à son propre témoignage.

Le contre-interrogatoire sur les condamnations antérieures ne vise pas directement à établir la fausseté du témoignage; son but est d’établir des faits — les condamnations antérieures — dont on peut subséquemment déduire que la crédibilité du témoin est douteuse et que son témoignage est suspect en raison de son inconduite dans des circonstances n’ayant aucun rapport avec les circonstances de l’affaire dans laquelle il témoigne. La valeur probante de ce contre-interrogatoire est en conséquence fondée exclusivement sur les déductions que l’on peut en tirer.

Par contre, lorsque le contre-interrogatoire vise à obtenir du témoin des réponses incompatibles avec celles données à l’interrogatoire principal, sa crédibilité n’est plus mise en doute à cause d’une déduction mais à cause de la preuve réelle de l’inexactitude de son témoignage en l’espèce, qui ressort des contradictions entre diverses parties de son témoignage. Ce genre de contre-interrogatoire est essentiel pour parvenir à la vérité. Le contre-interrogatoire ne servirait à rien s’il n’était pas possible d’essayer d’établir la fausseté du témoignage principal. Dans Jones v. Director of Public Prosecutions[21], lord Devlin a dit (à la p. 708): [TRADUCTION] «Si l’on ne peut contre-interroger un témoin pour sonder la véracité et l’exactitude

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de son témoignage principal, autant ne pas le contre-interroger du tout: … ».

Dans Stirland v. Director of Public Prosecutions[22], le vicomte Simon, lord chancelier, a énoncé la proposition (à la p. 326) que l’accusé [TRADUCTION] «peut … être contre‑interrogé sur tout renseignement donné au cours de l’interrogatoire principal, y compris les déclarations concernant sa bonne réputation, afin de vérifier leur véracité ou leur exactitude ou pour montrer qu’on ne peut le croire sous serment». Il est vrai que dans Jones v. D.P.P. (précité), certaines de leurs Seigneuries ont exprimé des doutes sur la généralité de ce principe, mais ces doutes étaient fondés exclusivement sur le texte du par. 1f) de la Criminal Evidence Act, 1898, qui n’a pas d’équivalent ici. Je n’ai donc aucune hésitation à dire que la règle formulée dans Stirland est un énoncé exact du droit en vigueur ici.

Dans R. v. Davison et al.[23], le juge Martin, parlant au nom de la Cour d’appel de l’Ontario, a dit à juste titre (à la p. 444):

[TRADUCTION] Je conclus que, mis à part le contre-interrogatoire sur les condamnations antérieures autorisé par l’art. 12 de la Loi sur la preuve au Canada, l’accusé ne peut être contre-interrogé sur son inconduite ni ses mauvaises fréquentations, si elles n’ont aucun rapport avec l’accusation en cause, dans le but d’arriver à la conclusion que sa mauvaise réputation fait de lui une personne dont on ne devrait pas croire le témoignage. Mais le contre-interrogatoire qui permet d’établir directement la fausseté du témoignage de l’accusé ne tombe pas sous cet interdit, même s’il peut nuire indirectement à la réputation de l’accusé parce qu’il révèle une conduite suspecte.

Il est vrai qu’il existe une théorie selon laquelle, aux termes du par. 12(1), le juge du procès possède le pouvoir discrétionnaire de rejeter les questions relatives aux condamnations antérieures qui, à son avis, n’ont aucun rapport avec la crédibilité du témoin et n’aideront donc pas le jury à l’évaluer ou dont la valeur probante quant à la crédibilité du témoin serait largement dépassée par le préjudice qu’il subirait: R. v. McLean[24]; voir également

[Page 434]

Phipson, 12e éd., nos 1601 et 1605; R. v. Sweet-Escott[25].

Je n’ai pas besoin de me prononcer sur le bien-fondé de cette théorie; il suffit de dire que même si le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire de rejeter les questions relatives aux condamnations antérieures, ce pouvoir discrétionnaire, quelle que soit sa portée, ne doit pas, à mon avis, être exercé de façon à interdire un contre-interrogatoire dont le but est d’obtenir du témoin des aveux qui tendraient à établir la fausseté d’une partie de son interrogatoire principal.

Le droit de contre-interroger en vue d’établir la fausseté du témoignage principal ne doit pas être moins absolu dans le cas d’un ex-jeune délinquant que dans les autres cas. Ce contre‑interrogatoire ne s’attaque pas à la crédibilité du témoin parce qu’il a été un jeune délinquant, mais parce qu’à l’âge adulte, il a menti au cours de son interrogatoire principal: la situation est entièrement différente et on ne peut présumer que la protection accordée à un jeune délinquant va jusqu’à lui permettre de ne pas dire la vérité sous serment.

En dernier lieu, j’aimerais ajouter que l’évolution de la règle de preuve actuellement énoncée à l’art. 12 de la Loi sur la preuve au Canada, qui provient de l’art. 6 de la Criminal Procedure Act d’Angleterre de 1865, 28-29 Vict., chap. 18, confirme que la règle n’avait pas pour objet de restreindre la portée du contre-interrogatoire quant à la crédibilité du témoin ou autrement. On ne doit donc pas l’interpréter comme interdisant le contre-interrogatoire sur un sujet révélé dans l’interrogatoire principal du témoin, fût-il l’accusé (voir Koufis c. Le Roi[26], le juge Kerwin, à la p. 487).

Je suis en conséquence d’avis que, dans les circonstances de l’espèce, le contre‑interrogatoire de l’appelant sur son dossier de jeune délinquant est régi par le par. 12(1) de la Loi sur la preuve au Canada et a été à bon droit admis en preuve.

[Page 435]

Il me reste à examiner une question liée à la façon dont le juge du procès a fait son exposé au jury sur le dossier antérieur de l’appelant.

Voici ce que l’appelant a dit au cours de son interrogatoire principal:

[TRADUCTION] Q.M. Phillip Morris, avez-vous déjà été déclaré coupable d’une infraction criminelle?

R. Non. Pas une seule.

Q. Avez-vous déjà été arrêté?

R. Non.

Au cours de son contre-interrogatoire que j’ai reproduit en entier, l’appelant a avoué avoir été déclaré coupable de quatre infractions criminelles en tant que jeune délinquant.

Il est clair que le témoignage de l’appelant en contre-interrogatoire et son témoignage principal se contredisent; l’appelant l’a d’ailleurs reconnu.

Il n’est donc pas étonnant que le juge du procès ait dit au jury que le problème fondamental que ce dernier avait à résoudre était celui de la crédibilité de l’appelant:

[TRADUCTION] A mon avis, Messieurs, cela aboutit en fait …, cela ne vous lie pas, ce que je vous dis, mais cela fait partie de votre évaluation de la crédibilité de l’accusé. Vous l’avez observé, vous l’avez vu témoigner devant vous, vous avez observé son attitude, ses manières, l’expression de son visage. C’est à vous de décider si vous avez le sentiment qu’il vous dit la vérité.

Par la suite, le juge du procès a dit:

[TRADUCTION] Maintenant, avant de terminer, j’aimerais dire un mot du dossier de l’accusé dont on a également fait état. En premier lieu, il me semble très clair que l’accusé a menti au cours de son interrogatoire principal. Au début, il a tout de suite dit qu’il n’avait jamais été déclaré coupable, qu’il n’avait jamais été arrêté. Vous pouvez en tirer les conclusions que vous voulez.

Dans la suite de son exposé, le juge n’a pas fait mention d’arrestations de l’accusé, mais uniquement de son dossier de jeune délinquant et de ses condamnations à ce titre.

On allègue que l’exposé contient une erreur fatale en ce que le juge du procès aurait dit que

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l’appelant a menti lorsque ce dernier a affirmé n’avoir jamais été arrêté auparavant, bien qu’aucune preuve n’établisse qu’il ait été arrêté. Je ne suis pas de cet avis.

Il est tout à fait vrai qu’aucune preuve directe n’établit que l’appelant à déjà été arrêté, si le mot «arrestation» doit signifier l’appréhension ou la détention d’une personne par une autre afin que la première puisse être amenée devant le tribunal pour répondre de l’infraction qui lui est imputée; mais compte tenu du contexte de ce procès, je ne suis pas convaincu que le juge du procès a utilisé le mot «arrestation» dans un sens aussi procédural.

En outre, une lecture rapide de l’exposé montre que le juge du procès n’a pas vraiment dit que l’appelant mentait lorsqu’il a nié avoir déjà été arrêté. Au début de la partie pertinente de l’exposé, le juge du procès a dit qu’à son avis, l’accusé avait menti au cours de l’interrogatoire principal. Ensuite, il a précisé ce que l’accusé avait dit, c’est-à-dire, qu’il n’avait jamais été condamné, qu’il n’avait jamais été arrêté; mais il ne s’en est pas tenu à cela et a ajouté: [TRADUCTION] «Vous pouvez en tirer les conclusions que vous voulez». A mon avis, cette phrase atténue la portée de la déclaration du juge du procès que l’accusé avait menti, et laisse sans réponse la question de savoir si le juge voulait dire que l’accusé avait menti dans l’un des cas ou dans les deux.

A mon avis cependant, il n’est pas nécessaire de décider du sens de l’exposé sur ce point précis. Même si le juge avait clairement déclaré à tort que l’appelant avait menti lorsqu’il avait nié avoir déjà été arrêté, je ne puis concevoir que, compte tenu des circonstances de l’espèce, cette déclaration ait pu avoir une influence quelconque sur la décision du jury. Le jury n’a pas cru l’appelant parce qu’il a clairement menti, non seulement au cours de son interrogatoire principal, comme l’a souligné le juge du procès, mais également en contre-interrogatoire, ce que le juge n’a pas mentionné; qu’il ait menti au sujet de ses condamnations, de son arrestation ou des deux n’aurait pas modifié l’opinion du jury à son sujet. Lorsque le jury a rendu son verdict, le témoignage de l’accusé était encore très frais à sa mémoire: tout le procès, de la prestation de serment des jurés au prononcé du verdict, n’a

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duré qu’une journée. Ils se souvenaient nécessairement que le contre-interrogatoire de l’appelant portait exclusivement sur ses condamnations antérieures, sans aucune mention de son arrestation.

En outre, il n’est pas possible que le manque de sincérité de l’appelant au cours de son contre-interrogatoire n’ait pas fait une impression défavorable sur le jury. En fait, il est clair que tout au long de son contre-interrogatoire et en dépit de ses premières dénégations, l’appelant se souvenait parfaitement bien des diverses infractions dont il avait été déclaré coupable en tant que jeune délinquant; rien de ce qui a été dit pendant le bref contre‑interrogatoire ne pouvait lui rafraîchir la mémoire et pourtant, il a soudainement avoué deux infractions dont il ne pouvait se souvenir quelques instants plus tôt.

Les aveux de l’appelant à la fin du contre-interrogatoire montrent si clairement qu’il a menti au cours de l’interrogatoire principal et au début du contre-interrogatoire qu’il m’est impossible de croire que la mention de son arrestation par le juge du procès, même si elle était erronée, a pu avoir une influence quelconque sur la décision du jury de ne pas croire l’appelant. Je ne puis me convaincre que douze hommes raisonnables, ayant reçu des directives appropriées, auraient pu ajouter foi au témoignage de l’appelant.

Ce point de vue est confirmé par le fait que cette prétendue erreur du juge du procès n’a pas été invoquée par l’appelant comme motif dans son avis d’appel à la Cour d’appel ni dans son factum à la présente Cour. Il est évident que l’appelant n’a pas estimé que la mention par le juge du procès du fait qu’il avait nié toute arrestation antérieure, même si c’était inexact, avait influencé le jury.

Vu ces motifs, il est inutile de se demander si le contre-interrogatoire de l’appelant était recevable en vertu de l’art. 593 du Code criminel. Cependant, puisque l’opinion de mon collègue le juge Spence à ce sujet diffère de celles du juge du procès et de la Cour d’appel, je pense que les observations suivantes s’imposent.

Comme le juge du procès et la Cour d’appel, j’estime que l’appelant a soulevé la question de sa

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réputation lorsqu’il a déclaré n’avoir jamais été condamné, ni arrêté; ces déclarations ne constituent qu’une tentative de prouver son honorabilité. En se montrant sous le jour d’un citoyen respectueux des lois, l’appelant cherchait uniquement à montrer que, vu sa réputation, il était peu vraisemblable qu’il ait commis l’infraction dont on l’accusait.

Dans R. v. Baker[27], l’accusé déclara dans son témoignage que, pendant quatre ans, il avait gagné honnêtement sa vie; de l’avis de la Cour d’appel criminel, ceci constitue une preuve d’honorabilité qui ouvre la porte à un contre-interrogatoire sur sa réputation.

Dans R. v. Samuel[28], la Cour d’appel criminel a jugé qu’une personne accusée de vol soulève la question de sa réputation lorsqu’elle dit, au cours de son témoignage, qu’à deux reprises elle a retourné des objets trouvés à leur propriétaire. Parlant de ce témoignage et des questions qui l’avaient amené, le lord juge en chef a dit (aux pp. 10 et 11):

[TRADUCTION] Bien sûr, ce comportement indique que la personne est honnête.

… le seul objet de ces questions est d’inciter le jury à se dire: «Cet homme est de ceux qui rendent un objet trouvé; autrement dit, il est honnête». C’est manifestement le but des questions et je ne peux certainement pas admettre que tout ce qu’elles signifient c’est que l’appelant est homme à rendre un objet trouvé. La réponse péremptoire à cela est que si un prisonnier invoque sa réputation, tous les aspects de sa réputation sont alors en cause et pas uniquement ceux qui lui sont favorables à l’exclusion des autres. De l’avis de là cour, il est clair que ces questions mettent la réputation de l’appelant en cause. Il demande au jury de croire qu’il est homme à disposer honnêtement d’objets trouvés. En conséquence, l’avocat de la poursuite est en droit de lui poser, en contre‑interrogatoire, des questions sur ses condamnations antérieures.

Sur la question du genre de témoignages qui pourraient être qualifiés de preuve de réputation, Cross a dit, On Evidence, 4e éd., à la p. 367:

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[TRADUCTION] En règle générale, l’accusé cherche à faire la preuve de sa réputation par des allusions à un passé honnête et vertueux et la jurisprudence montre que les tribunaux n’hésitent pas beaucoup à conclure que ces allusions soulèvent la question de sa réputation. Les cas où une personne affirme assister régulièrement à la messe, soutient avoir gagné honnêtement sa vie pendant longtemps, répond qu’elle est mariée, qu’elle a une famille ou qu’elle occupe un emploi stable, sont autant de cas où …

l’accusé a soulevé la question de sa réputation.

On a prétendu que l’appelant n’a pas soulevé la question de sa réputation lorsqu’il a témoigné au sujet de sa bonne conduite, parce que cette preuve a été faite au cours de son interrogatoire principal, pour des [TRADUCTION] «raisons de tactique», au sens de la règle adoptée par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. v. St. Pierre[29], R. c. Merolla, 19 avril 1974, non publié, et R. v. MacDonald[30]. Quelle que soit la validité de cette règle lorsque l’accusé avoue des condamnations antérieures au cours de son interrogatoire principal, elle ne peut s’appliquer lorsqu’il nie toute condamnation antérieure; le fondement de cette règle est qu’il est moins préjudiciable à la crédibilité d’un accusé de révéler ses condamnations antérieures au cours de son interrogatoire principal, que d’être tenu de le faire en contre-interrogatoire en réponse aux questions du ministère public; ce raisonnement ne vaut plus lorsque le témoignage de l’accusé tend à prouver sa bonne conduite plutôt que son inconduite. Avec égards, je conclus que ce moyen n’est pas fondé.

Je ne puis me rallier non plus à la proposition suivant laquelle une preuve d’honorabilité peut seulement être réfutée par la preuve de condamnations antérieures. Dès que l’accusé soulève la question de sa réputation, il donne au ministère public la faculté d’établir le contraire, c’est-à-dire sa mauvaise réputation en général ou son immoralité. On le fait souvent par la preuve de condamnations antérieures, mais ce n’est pas, et beaucoup s’en faut, le seul moyen de preuve permis. L’article 593 du Code criminel n’a jamais été interprété comme

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limitant aux condamnations antérieures la preuve de mauvaise réputation qui peut être faite contre l’accusé, et je ne crois pas qu’il doive l’être. En fait, l’objet de cette disposition du Code est tout à fait à l’opposé: elle vise à assurer que les condamnations antérieures seront admises comme preuves de mauvaise réputation à l’encontre de la règle selon laquelle la mauvaise réputation ne peut pas, en général, être prouvée par des actes précis d’inconduite (1953) 11, The Cambridge Law Journal, à la p. 377, «Is the Prisoner’s Character Indivisible?» par R.N. Gooderson; R. v. Triganzie[31]; contrairement aux règles de preuve relatives aux faits collatéraux, elle permet également la preuve de condamnations antérieures autrement qu’au cours du contre-interrogatoire de l’accusé et en dépit de toute dénégation de sa part.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté, le juge en chef LASKIN et les juges SPENCE, DICKSON et ESTEY étant dissidents.

Procureur de l’appelant: Peter M. Gold, Montreal.

Procureur de l’intimée: Henry R. Keyserlingk, Montreal.

[1] [1975] C.A. 365.

[2] (1974), 27 C.R.N.S. 212.

[3] (1974), 17 C.C.C. (2d) 489.

[4] (1973), 14 C.C.C. (2d) 139.

[5] [1967] R.C.S. 702, [1969] 1 C.C.C. 244.

[6] (1950), 11 C.R. 71.

[7] [1962] A.C. 635.

[8] [1941] R.C.S. 481.

[9] [1967] R.C.S. 702.

[10] [1966] 1 O.R. 739.

[11] (1972), 8 C.C.C. (2d) 45.

[12] (1972), 8 C.C.C. (2d) 49.

[13] (1936), 100 J.P. 324.

[14] [1894] 2 Q.B. 170.

[15] [1937] 2 K.B. 96.

[16] [1959] R.C.S. 638.

[17] (1958), 121 C.C.C. 103 (sub nom. R. v. Gerald X.)

[18] (1934), 172 A. 139, 315 Pa. 321.

[19] (1877), 69 N.Y. 107, 25 Am. Rep. 148.

[20] (1880), 49 L.J.Q.B. 696.

[21] [1962] A.C. 635.

[22] [1944] A.C. 315.

[23] (1974), 20 C.C.C. (2d) 424.

[24] (1940), 73 C.C.C. 310.

[25] (1971), 55 C.A.R. 316.

[26] [1941] R.C.S. 481.

[27] (1912), 7 C.A.R. 252.

[28] (1956), 40 C.A.R. 8.

[29] (1974), 17 C.C.C. (2d) 489.

[30] (1974), 27 C.R.N.S. 212.

[31] (1888), 15 O.R. 294.


Parties
Demandeurs : Morris
Défendeurs : Sa Majesté la Reine
Proposition de citation de la décision: Morris c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 405 (3 octobre 1978)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1978-10-03;.1979..1.r.c.s..405 ?
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