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02/11/1976 | CANADA | N°[1978]_1_R.C.S._332

Canada | Boulet c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 332 (2 novembre 1976)


Cour suprême du Canada

Boulet c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 332

Date: 1976-11-02

Ovila Boulet Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1975: 26 novembre; 1976: 2 novembre.

Présents: Les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson et Beetz.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

Cour suprême du Canada

Boulet c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 332

Date: 1976-11-02

Ovila Boulet Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1975: 26 novembre; 1976: 2 novembre.

Présents: Les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson et Beetz.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC


Synthèse
Référence neutre : [1978] 1 R.C.S. 332 ?
Date de la décision : 02/11/1976
Sens de l'arrêt : Coote, à la p. 607

Analyses

Droit criminel - Meurtre qualifié - Preuve - Admissibilité sans voir dire du témoignage antérieur de l’accusé donné à l’enquête préliminaire d’un complice - Admissibilité d’une preuve d’acte similaire - Preuve de mauvais traitements par la police - Légitime défense - Directives au jury - Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 17, 619 a) - Loi sur la preuve au Canada, S.R.C 1970, c. E-10, art. 5(2).

Le pourvoi est à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec rejetant l’appel d’un verdict de culpabilité de meurtre qualifié.

Il existe deux versions principales de l’homicide et des circonstances qui l’ont précédé et suivi. Une première version, incriminante pour lui-même, a été donnée par l’appelant lors de l’enquête préliminaire d’un complice, sans opposition et sans demande de protection de la loi. La deuxième version a été donnée par l’appelant à son procès. Elle diffère pertinemment de la première quant à l’élément préméditation: l’appelant y aurait été entraîné dans une aventure pour lui imprévisible et à laquelle il n’a pris aucune part sauf après le meurtre et sous contrainte. L’appelant reproche l’admission en preuve de sa première version en alléguant que ledit témoignage lui a été extorqué par menaces et violence. Il prétend que le président du tribunal aurait dû, à sa demande, s’assurer dans un voir dire du caractère libre et volontaire de ce témoignage avant de l’admettre en preuve, la jurisprudence ne faisant que présumer de son caractère libre et volontaire.

L’appelant se plaint également d’une preuve d’acte similaire admise en contre-preuve après voir dire, malgré ses objections. Peu de temps après avoir indiqué aux policiers l’emplacement de la fosse de la victime du meurtre qui lui est reproché, l’appelant a dirigé les policiers vers une deuxième fosse où avait été trouvé par hasard quelques jours auparavant un autre cadavre. L’appelant se plaint plus précisément de ce que cette preuve qu’il connaissait l’emplacement de la deuxième fosse laissait soupçonner sa participation au deuxième meurtre. Il estime que, même admissible, cette preuve

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aurait dû être exclue par la discrétion du président du tribunal, à cause du préjudice qu’elle lui causait, comme avait été écartée la preuve de sa participation au deuxième meurtre donnée par son témoignage à l’enquête du coroner relative au deuxième cadavre, preuve que le ministère public voulait aussi apporter en contre-preuve.

L’appelant prétend avoir été privé du droit à une défense pleine et entière. Il reproche au président du tribunal les limites imposées à la preuve qu’il voulait apporter pour amener le jury à douter de la valeur probante de sa première version dont il conteste le caractère libre et volontaire en alléguant qu’il était alors sous l’influence de violences et menaces que lui auraient infligées des policiers en faisant entendre des témoins attestant avoir reçu eux aussi de mauvais traitements par la police. Le président du tribunal a permis cette preuve lorsqu’il s’agissait de mauvais traitements qui auraient été infligés en présence de l’appelant ou à sa connaissance ou qui lui auraient été rapportés par la police ou par d’autres mais l’a déclarée inadmissible pour les mauvais traitements, s’il en est, qui auraient été infligés à d’autres sans que l’appelant en ait eu connaissance. C’est de cette limitation que l’appelant se plaint. Il reproche également au président du tribunal un manque de sérénité dans la conduite du procès et aux substituts du procureur général leur agressivité.

L’appelant soumet en outre que la légitime défense aurait dû être soumise à la considération du jury et allègue enfin que le président du tribunal a, dans son adresse au jury, donné son opinion sur les faits et ainsi influencé le verdict.

Arrêt: Le pourvoi doit être rejeté.

Le témoignage de l’appelant à l’enquête préliminaire d’un complice est admissible en preuve à son procès sans voir dire. Il s’agit d’une déclaration antérieure judiciaire donnée sous serment et sous contrainte de la loi et du pouvoir judiciaire dont le jury reste libre d’apprécier la valeur probante, compte tenu de toute la preuve et en particulier de la prétendue contrainte illégale. La jurisprudence distingue depuis longtemps entre les déclarations faites hors cour par un accusé à des personnes en autorité et celles faites lors d’une procédure judiciaire, ces dernières ne requiérant pas, contrairement aux premières, la procédure du voir dire, qu’elles aient été faites sous serment ou non, sous contrainte ou non de la loi et du pouvoir judiciaire. L’appelant ne réussit pas à démontrer l’existence de la présomption réfutable de leur caractère libre et volontaire et la possibilité de la combattre. Si un témoin a l’opportunité de demander la protection de la loi au moment de témoigner, il ne peut plus le faire après coup et c’est ce à quoi équivaudrait le retrait après voir dire.

[Page 334]

Conformément aux principes bien établis régissant l’admissibilité de ce genre de preuve, la preuve d’acte similaire admise par le président du tribunal était admissible, puisque la ressemblance entre les deux homicides tendait à démontrer un système et qu’il incombait à la poursuite de prouver la préméditation et l’intention coupable, ce qu’une conduite systématique tend précisément à établir. Le témoignage de l’accusé à l’enquête du coroner relative au deuxième meurtre était aussi admissible en principe puisque rendu sans demander la protection de la loi, rien n’indiquant que l’appelant ait été à ce moment inculpé de ce deuxième meurtre. Le président du tribunal l’a exclu en exerçant la discrétion que lui reconnaissait les arrêts Noor Mohamed c. R., [1949] A.C. 182, et Kuruma c. R., [1955] A.C. 197, comme on les interprétait à l’époque, mais il n’aurait commis aucune erreur de droit et n’aurait pas abusé de sa discrétion en admettant ce témoignage. L’exclusion de cette preuve et les directives données au jury sur le sujet n’ont causé aucun préjudice à la défense. Elles n’ont pu que l’avantager en laissant ignorer au jury une preuve plus incriminante encore et qui aurait pu être admise. L’appelant ne saurait s’en plaindre.

Relativement aux limites imposées à la preuve de mauvais traitements par la police, comme le président du tribunal et comme la majorité en Cour d’appel, la Cour est d’avis que l’usage, s’il en est, d’autres méthodes répressives ignorées de l’accusé ne peut avoir influencé le témoignage qu’il a rendu à l’enquête préliminaire d’un complice et que la preuve de ces mauvais traitements n’était pas pertinente. De plus, si plusieurs témoignages concordants sur ce sujet n’ont pas changé le verdict du jury, des témoignages supplémentaires n’auraient sans doute pas eu cet effet sauf en détournant finalement l’attention, par simple accumulation, de la question principale en litige.

Le grief reprochant un manque de sérénité au président du tribunal n’est pas sérieux. En ce qui concerne l’agressivité des substituts du procureur général, il appert que les excès de langage, de part et d’autre, n’ont pas influencé le jury. Quant à la légitime défense, en l’espèce, le président du tribunal aurait erré en la soumettant au jury. Il n’y a, enfin, rien d’illégal ou d’irrégulier dans les directives au jury.

Arrêts suivis: R. v. Scott (1856), 169 E.R. 909; Makin c. Attorney General for New South Wales, [1894] A.C. 57; arrêts mentionnés: R. v. Warickshall (1783), 1 Leach, 263, 168 E.R. 234; R. v. Baldry (1852), 2 Den. 430, 169 E.R. 568; Ibrahim v. R., [1914] A.C. 599; Piché c. La Reine, [1971] R.C.S. 23; Powell

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c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 362; Walker c. La Reine, [1939] R.C.S. 214; R. v. Cleaveley (1966), 49 C.R. 326; R. v. Fex (1973), 12 C.C.C. (2d) 239; Marshall c. La Reine, [1961] R.C.S. 123; R. v. Lambe (1791), 2 Leach 552, 168 E.R. 339; R. v. James (1912), 19 C.C.C 391; R. v. Bahrey, [1934] 1 W.W.R. 376; R. v. Dietrich (1970), 1 C.C.C (2d) 49; Thibodeau c. La Reine, [1955] R.C.S. 646; R. v. Coote (1873), L.R. 4 P.C. 599; R. v. Brown (No. 2) (1963), 40 C.R. 90, infirmé (1963), 40 C.R. 105; R. v. Connolly and McGreevy (1894), 25 O.R. 151; R. v. Deakin (No. 2) (1912), 19 C.C.C 274; R. v. Drew (No. 2), [1933] 4 D.L.R. 592; Marcotte v. R. (1949), 97 C.C.C 310; McGregor v. R. (1967), 51 Cr. App. R. 338; R. v. Bateman (1866), 4 F. & F. 1068, 176 E.R. 911; R. v. Hillam (1872), 12 Cox C.C. 174; R. v. Clark: (1901), 3 O.L.R. 176; R. v. Lunan (1947), 3 C.R. 56; Tass c. Le Roi, [1947] R.C.S. 103; Wahlberg c. La Reine, [1955] B.R. 865; Lamothe c. La Reine, [1969] B.R. 734; R. v. Tass (1946), 1 C.R. 378; R. c. Drouin, [1973] R.C.S. 747; Leblanc c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 339; Batary c. Procureur général de la Sask., [1965] R.C.S. 465; Noor Mohamed v. R., [1949] A.C 182; Kuruma v. R., [1955] A.C 197.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec[1] qui a rejeté un appel d’une déclaration de culpabilité pour meurtre qualifié. Pourvoi rejeté.

Bernard Lamarche et Michel Denis, pour l’appelant.

François Tremblay, pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE BEETZ — Le pourvoi, fondé sur l’art. 619a) C. cr., attaque un arrêt unanime de la Cour d’appel du Québec qui rejette l’appel interjeté par l’appelant à l’encontre du verdict de culpabilité prononcé contre lui par un jury de la Cour du banc de la Reine, à Québec, le 2 novembre 1967, sur l’accusation suivante:

«Le ou vers le 18 septembre 1965 près de St-Etienne, district de Québec, Ovila Boulet, après avoir projeté ledit meurtre, a illégalement tué et assassiné, de propos délibéré, Albéric Bilodeau, commettant ainsi un meurtre qualifié, C. Cr. 201, 202A(2), 206(1) et 21».

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L’appelant a été condamné à mort mais sa sentence a été commuée en emprisonnement à vie.

I. La preuve

Il est utile de mentionner dès le début que quatre personnes sont impliquées dans l’affaire: Jean-Jacques Gagnon qui, selon son propre témoignage, a fait feu sur la victime; l’appelant qui, selon son propre témoignage également a été le témoin oculaire de l’homicide et a aidé à faire disparaître le cadavre de la victime, ses vêtements, son automobile et d’autres preuves; André Lamothe, employeur occasionnel de l’appelant: selon un témoignage, Lamothe aurait aussi été témoin de l’homicide tandis que selon d’autres versions, il serait rentré à Québec avant la mort de la victime; Fernand Quirion, également associé ou employé occasionnel de Lamothe: il a pris rendez-vous avec la victime et l’a vue la veille et le jour de l’homicide mais il n’aurait pas été présent lorsque celui-ci s’est produit.

Le corps de la victime est trouvé le 2 octobre 1965 grâce aux indications de l’appelant qui conduit la police sur les lieux, à l’intérieur d’un bois marécageux, rang Gosford, à Saint-Gilles, Comté de Lotbinière. La fosse dans laquelle est enterré le cadavre se trouve à environ soixante-quinze pieds de la route. Elle est recouverte de branches. Le corps est dans un état de décomposition plus avancée que ne peuvent l’expliquer les deux semaines qu’il a passées en terre: une substance alcaline, probablement de la soude caustique qui, lorsqu’elle est activée par l’eau, dissout les graisses et les transforme en savon, a été versée dans la fosse. Des médecins trouvent dans le cadavre une balle de calibre .32 tirée de face dans la région du cou. Le projectile a été tiré par un revolver que la police retrouvera enterré ailleurs, à Ham‑Sud, et dont il ne paraît pas contesté qu’il soit l’arme qui a servi à tuer Bilodeau; il s’agit d’un revolver plaqué or, de calibre .32. L’on peut identifier le cadavre grâce à l’empreinte digitale d’un doigt, la seule qui subsiste. La victime est Albéric Bilodeau, de Sainte-Marie de Beauce, peintre en bâtiments d’église.

Albéric Bilodeau avait été autrefois propriétaire d’un hôtel qui a brulé. Jean-Jacques Gagnon

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reconnaîtra en interrogatoire avoir conspiré avec Bilodeau pour mettre le feu à cet hôtel. L’appelant reconnaîtra également, en contre-interrogatoire, avoir plaidé coupable à l’accusation d’avoir conspiré avec Jean-Jacques Gagnon pour incendier l’hôtel de Bilodeau.

Il existe deux versions principales de l’homicide et des circonstances qui l’ont précédé et qui l’ont suivi. La première version est celle que l’appelant a donnée le 2 décembre 1965, lors de l’enquête préliminaire d’André Lamothe. Après s’être assuré que l’appelant avait alors rendu témoignage sans s’opposer à répondre pour le motif que ses réponses pourraient tendre à l’incriminer et sans demander la protection de la loi, le président du tribunal admet ce témoignage en preuve malgré les objections du procureur de l’appelant qui demande un voir‑dire parce que, soutient-il, ce témoignage a été extorqué à l’appelant par des violences et des menaces. La seconde version est celle que l’appelant donne à son procès.

Selon la première version, Lamothe, Quirion, Gagnon et l’appelant se rencontrent chez Lamothe le vendredi soir, 17 septembre 1965. Gagnon et Quirion viennent de voir Bilodeau afin de l’inciter à renier les affirmations qu’il aurait faites à des enquêteurs au sujet de l’incendie de son hôtel. Il est question d’offrir $5,000 à Bilodeau pour acheter son silence ou pour qu’il se dédise; l’on prendra un nouveau rendez-vous avec lui. L’appelant passe la nuit dans sa voiture devant chez Lamothe. Le lendemain matin, 18 septembre, l’appelant retourne chez lui à Cap-Rouge, revient à Québec acheter de l’huile à chauffage et se rend chez Lamothe. Fernand Quirion vient informer Lamothe et l’appelant que le rendez-vous est fixé à deux heures de l’après-midi. Un certain Roger Arsenault, employé de Lamothe, remet à ce dernier le revolver plaqué or et des cartouches. Lamothe et l’appelant se rendent chez ce dernier dans la Cadillac de Lamothe. Lamothe emprunte une chaudière à l’appelant, la remplit de caustique et la place avec une pelle dans le coffre de son automobile. — La chaudière et la pelle seront produites comme exhibits au procès. — Lamothe avait également placé dans le coffre une cruche d’eau prise chez

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lui. Un peu plus tard, Lamothe et l’appelant vont rencontrer Gagnon et Quirion. Ils traversent le pont de Québec et se dirigent tous les quatre vers l’hôtel St-Henri à Scott, dans la voiture de Lamothe et celle de Quirion; ils s’arrêtent à une couple de milles de l’hôtel. Vers deux heures p.m. Quirion va voir à l’hôtel si Bilodeau s’y trouve. Il n’y est pas. Quirion téléphone chez Bilodeau qui est absent. L’on voit finalement passer Bilodeau, dans sa voiture, en direction de l’hôtel, accompagné de quelqu’un. L’appelant remarque:

«Il s’amène un témoin. C’est peut-être bien une police … Vas-y pas».

Gagnon répond:

«Un témoin de plus ou un témoin de moins, ça ne me fait rien».

et

«En passer un ou en passer deux, c’est pareil».

Lamothe remet à Gagnon le revolver chargé. Gagnon et Quirion se rendent à l’hôtel dans la voiture de Quirion. Lamothe et l’appelant attendent dans la voiture de Lamothe. Quirion revient seul les prévenir que Gagnon et Bilodeau ont pris la route de St-Lambert, puis il les quitte. Lamothe et l’appelant, dans la voiture de Lamothe, rejoignent et suivent la voiture de Bilodeau dans laquelle celui-ci se trouve seul avec Gagnon. Les voitures s’immobilisent sur un chemin secondaire. L’appelant entend deux détonations. Il se rend à la voiture de Bilodeau dont il voit le corps sur la banquette avant. — Depuis ce moment, l’appelant déclare avoir agi sous l’effet des menaces de Lamothe et de Gagnon. — Il prend le volant, Gagnon s’assoyant à l’arrière. Il suit la voiture de Lamothe jusqu’au bois de Saint-Gilles. L’on transporte le corps de Bilodeau dans le bois. L’appelant déshabille le corps et l’enterre après avoir versé le caustique dans la fosse. Il n’a pas à se servir de la cruche d’eau car le terrain est trempé. Lamothe et Gagnon l’ont laissé seul pour accomplir cette tâche; ils sont allés tenter de disposer de la voiture de Bilodeau qui était maculée de sang. Lamothe et Gagnon reviennent chercher l’appelant dans la voiture de Lamothe. L’appelant rapporte les vêtements et effets personnels de Bilodeau ainsi que la pelle et la chaudière. En cours de route, ils jettent

[Page 339]

la montre, la bague et le jonc de Bilodeau. Les vêtements seront brûlés plus tard par l’appelant, chez lui, avec les vêtements de Gagnon. L’appelant apprend de Lamothe et Gagnon que la voiture de Bilodeau est tombée en panne, faute d’essence. L’appelant et Gagnon vont acheter de l’essence. Ils prennent avec la voiture de Bilodeau et celle de l’appelant la direction de Plessisville. Sur une autre route secondaire ils mettent le feu à la voiture de Bilodeau avec de l’huile à chauffage. Ils en avaient auparavant arraché les plaques d’immatriculation. Au retour, Gagnon jette les plaques sur la route, après les avoir pliées. — Ces plaques seront plus tard retrouvées par la police. — Le soir, Lamothe remet le revolver à l’appelant en lui demandant de le serrer. L’appelant cache le revolver sous le chalet du voisin.

Dans ce témoignage, l’appelant affirme qu’il ne connaissait pas Bilodeau avant le drame.

L’autre version des événements est celle que l’appelant donne en défense à son procès. En voici le résumé. L’appelant n’a vu ni Lamothe, ni Gagnon ni Quirion le vendredi, 17 septembre 1965. Il les a suivis, sans but particulier, le 18 septembre et, avec eux, il a rencontré, près de l’Hôtel St-Henri, à Scott, Bilodeau qu’il ne connaît pas. Après le départ de Lamothe et Quirion, il accompagne Gagnon et Bilodeau, à la demande de Gagnon, dans la voiture de Bilodeau. Gagnon et Bilodeau parlent affaires mais l’appelant n’écoute que distraitement leur entretien. Gagnon et Bilodeau se querellent. Ils décident de s’arrêter pour uriner sur le bord de la route. Les trois hommes descendent. Bilodeau se dirige vers le coffre de sa voiture qu’il ouvre sous prétexte de prendre quelques bouteilles de bière. Bilodeau saisit une carabine qu’il braque sur Gagnon. Gagnon écarte le canon de la carabine. Le coup part n’atteignant personne. Gagnon sort un revolver et fait feu à plusieurs reprises sur Bilodeau qui tombe mort. Gagnon et l’appelant placent le corps sur la banquette avant. L’appelant conseille à Gagnon de rapporter l’affaire à la police. Ils retournent vers le coffre de la voiture de Bilodeau et y découvrent une pelle et une chaudière de caustique. Il y avait également une autre carabine dans la voiture. Gagnon dit: «Il avait tout pour me tuer; ça va

[Page 340]

servir pour lui». Gagnon menace l’appelant. Il lui dit qu’il faut trouver un endroit où il y a un bois. Ils parcourent une distance de huit ou neuf milles jusqu’au bois de St-Gilles. L’appelant aide Gagnon à transporter le corps de Bilodeau dans le bois et il lui enlève ses vêtements. C’est Gagnon qui enterre Bilodeau. Gagnon et l’appelant vont ensuite se débarrasser de la voiture de Bilodeau en y mettant le feu. Le reste de ce témoignage est substantiellement conforme à la première déposition de l’appelant sauf que celui-ci déclare ignorer ce que Gagnon a fait du revolver. L’appelant déclare que la pelle et la chaudière produites comme exhibits, que l’on avait retrouvées chez lui et qu’il avait en premier lieu identifiées comme ayant servi à faire disparaître le cadavre de Bilodeau ne sont pas celles qui ont effectivement servi à cette fin, Gagnon ayant disposé de ces dernières en revenant du bois de St-Gilles. L’appelant affirme avoir ignoré que Gagnon était armé. Bref, l’essentiel de ce deuxième témoignage et de la défense, c’est que l’appelant s’est trouvé entraîné dans une aventure pour lui imprévisible et à laquelle il n’a pris aucune part sauf après la mort de Bilodeau et sous la contrainte de Gagnon. Quant à son premier témoignage, dit l’appelant, c’est un tissu de déclarations mensongères fabriquées par la police; elles lui auraient été arrachées par des violences allant jusqu’à la torture, que lui auraient infligées la police, ainsi que par des menaces allant jusqu’aux menaces de mort. Les violences lui auraient été administrées environ un mois avant le témoignage qu’il a rendu lors de l’enquête préliminaire de Lamothe, mais la menace de lui en infliger à nouveau de semblables ainsi que les menaces de mort auraient été renouvelées la veille de cette enquête préliminaire; de plus, la police lui aurait expressément intimé de ne pas s’opposer à répondre pour le motif que ses réponses pourraient l’incriminer, et de ne pas demander la protection de la loi. Il a cependant demandé la protection de la loi, sur les conseils du procureur de la Couronne dit-il, lors du procès de Lamothe et du procès de Gagnon.

Les témoignages de Jean-Jacques Gagnon et de Fernand Quirion sont substantiellement au même effet que le second témoignage de l’appelant.

[Page 341]

La première et la seconde versions de l’homicide diffèrent sur deux points principaux dont le second seul est pertinent pour les fins de la présente cause: la participation de Lamothe à l’homicide et la préméditation. La première version, si on la croit, est accablante pour l’appelant: les conciliabules du vendredi, 17 septembre 1965, l’obtention du revolver par Lamothe et la remise de ce revolver à Gagnon devant l’appelant le 18 septembre, les propos incriminants de Gagnon et de l’appelant lorsqu’ils voient passer Bilodeau accompagné d’un témoin, la pelle, la chaudière, la soude caustique, la cruche d’eau font irrésistiblement conclure que l’homicide a été non seulement prémédité mais soigneusement préparé au vu et au su de l’appelant et avec son aide.

Cette première version est elle-même corroborée sur plusieurs points par d’autres témoignages.

Ni la défense ni la poursuite n’ont interrogé les policiers qui auraient infligé des sévices et fait des menaces à l’appelant. En revanche, la poursuite a tenté de discréditer l’appelant, Gagnon et Quirion en faisant état de leur casier judiciaire fort chargé.

En contre-preuve, la poursuite fait une preuve d’acte similaire. Cette contre-preuve admise après un voir-dire malgré les objections de la défense est la suivante: une demi-heure ou trois quarts d’heure après avoir indiqué aux policiers la fosse où se trouve le cadavre d’Albéric Bilodeau, l’appelant dirige les policiers vers une deuxième fosse située à environ mille pieds de la première; dans cette fosse, indiquée par l’appelant, un employé de la voirie a découvert par hasard quelques jours auparavant, un autre cadavre dévêtu et décomposé par une substance caustique; la mort ne remonte probablement pas à plus de trois mois; la cavité thoracique contient deux projectiles de calibre .32; le cadavre porte également les marques de deux fractures du crâne; on peut l’identifier par une empreinte digitale; c’est le corps d’un dénommé Paul Brie. En contre-interrogatoire, l’appelant avait admis qu’il connaissait Paul Brie. La Couronne veut également apporter en contre-preuve le témoignage donné par l’appelant sans qu’il

[Page 342]

demande la protection de la loi lors de l’enquête tenue par le Coroner sur la mort de Paul Brie. Mais le président du tribunal refuse d’admettre ce témoignage en preuve à cause du tort extrême qu’il causerait à la défense. Ce témoignage ne se trouve pas au dossier; suivant ce qu’en dit le président du tribunal dans son rapport à la Cour d’appel, l’appelant y aurait reconnu sa complicité dans le meurtre de Brie et déclaré que c’est lui qui l’a enterré. Le président du tribunal permet à la défense de contredire la contre-preuve par une preuve additionnelle mais la prévient que si l’appelant témoigne au sujet de la seconde fosse, il s’expose à être contre-interrogé. La défense déclare sa preuve close.

Ajoutons en terminant ce résumé de la preuve que, lors du contre-interrogatoire de Gagnon, il est question d’un troisième cadavre, celui d’un dénommé Chandonnet, trouvé enterré à Ham‑Sud. C’est à Ham-Sud que la police a trouvé le revolver plaqué or. Le procureur de la Couronne exhibe à Gagnon une photographie montrant Gagnon au-dessus de la fosse de Chandonnet et lui lit l’extrait d’un témoignage antérieur où Gagnon dit avoir tiré sur Chandonnet. Gagnon réplique que ce témoignage lui a été arraché par la torture et il nie maintenant le meurtre de Chandonnet. La partie de la déposition de Gagnon relative à Chandonnet est donnée sous la protection de la loi.

II Moyens invoqués à l’appui du pourvoi

1. Le premier moyen de l’appelant, c’est que le président du tribunal aurait dû, avant d’admettre en preuve le témoignage de l’accusé donné lors de l’enquête préliminaire d’André Lamothe, s’assurer dans un voir-dire du caractère libre et volontaire de ce témoignage. Selon le procureur de l’appelant, la jurisprudence ne fait que présumer qu’un témoignage antérieur de l’accusé est libre et volontaire; mais il s’agirait d’une présomption qu’il serait loisible à l’accusé de repousser au cours d’une procédure comportant plusieurs étapes:

a) la Couronne fait une demande pour que le juge décide après voir-dire, de l’admissibilité de cette déclaration;

b) la Couronne met alors en preuve que l’accusé a fait une déclaration judiciaire;

[Page 343]

c) la Couronne fait un voir-dire pour démontrer que l’article 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada ne s’applique pas pour ladite déclaration;

d) lorsque la Couronne établit ces faits, le juge doit demander à l’accusé s’il a une défense à offrir avant qu’il décide de l’admissibilité de cette déclaration judiciaire;

e) si l’accusé ne fait pas une défense lors de ce voir-dire, sa déclaration judiciaire est alors admise en preuve;

f) si l’accusé présente une preuve et réussit à soulever un doute raisonnable quant au caractère volontaire de sa déclaration judiciaire, le juge doit refuser de l’admettre en preuve.

Mémoire de l’appelant, aux pp. 18 et 19.

Depuis longtemps, la jurisprudence distingue les déclarations faites hors cour par l’accusé à des personnes constituées en autorité, de celles qu’il a faites lors d’une procédure judiciaire. Les premières sont admises en preuve une fois que le président du tribunal a décidé seul, sans jury, après un voir-dire, qu’elles ont été faites librement et volontairement, la preuve qu’elles ont été ainsi faites incombant à la poursuite: R. v. Warickshall[2]; Rex v. Baldry[3]; Ibrahim v. Rex[4]; Piché c. La Reine[5]; Powell c. La Reine[6]. Cette Cour a néanmoins décidé que des déclarations faites à une personne constituée en autorité ne sont pas inadmissibles pour le seul motif qu’elles sont imposées par la loi, (Walker c. la Reine[7]); d’autres tribunaux ont cependant jugé que l’obligation imposée par la loi de faire une déclaration extra-judiciaire ne dispense pas la poursuite de prouver dans un voir-dire qu’une telle déclaration n’a pas été obtenue par des contraintes autres que celles de la loi: Reg. v. Cleaveley[8] et Reg. v. Fex[9]. — Cette Cour ne traite pas de la question, du moins pas expressément, dans l’arrêt Marshall c. La Reine[10].

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Il en va autrement des déclarations faites par l’accusé au cours d’une procédure judiciaire. Certaines de ces déclarations ne sont pas appuyées d’un serment. Il en est ainsi, par exemple, des déclarations faites après mise en garde, à la suite d’une enquête préliminaire, par une personne citée à son examen volontaire. Il en est ainsi également des plaidoyers de culpabilité. La jurisprudence tient généralement que les déclarations judiciaires de cette nature sont admissibles en preuve car elles sont faites volontairement. Wigmore, On Evidence (3e éd.) vol. 3, aux pp. 298 à 302; Rex v. Lambe[11]; Rex v. James[12]; Rex v. Bahrey[13]. — Dans ce dernier cas cependant l’accusé avait été assermenté par inadvertence. — Reg. v. Dietrich[14]. Néanmoins, la preuve d’un plaidoyer de culpabilité retiré avec la permission du tribunal est inadmissible dans une procédure subséquente: Thibodeau c. La Reine[15].

Quant aux dépositions antérieurement faites sous serment par l’accusé au cours d’une procédure judiciaire, une jurisprudence relativement ancienne et abondante les a invariablement déclarées admissibles sans preuve qu’elles avaient été faites librement et volontairement. Ces dépositions sont de deux sortes: ou bien la loi n’obligeait pas l’accusé à les faire; ou bien elles ont été données sous contrainte de la loi. On trouve des exemples de la première sorte dans l’arrêt Reg. v. Coote[16] et dans l’arrêt Reg. v. Brown, (No. 2)[17]. Dans l’arrêt Coote, le Comité Judiciaire déclare admissible en preuve contre Coote, qui est accusé d’incendie criminel, la déposition qu’il a faite antérieurement sans objection de sa part devant le Commissaire des incendies. A cette époque, antérieure à l’adoption de la Loi sur la preuve au Canada, l’on suivait les principes du common Law selon lesquels un témoin consentait à répondre à certaines questions alors qu’il aurait pu refuser d’y répondre pour ce motif — et, selon l’arrêt Coote, à la p. 605, Coote a effectivement refusé de répondre à plusieurs questions — l’on pouvait dire alors que son témoignage était libre et volontaire en ce sens que ses réponses

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n’étaient pas données sous contrainte judiciaire. Dans l’arrêt Brown, l’accusé, inculpé de meurtre, avait été trouvé coupable d’homicide involontaire lors d’un premier procès, mais la tenue d’un nouveau procès avait été ordonnée par cette Cour. Il s’agissait de décider si le témoignage rendu par l’accusé lors du premier procès était admissible en preuve lors du second. Cette Cour décide par l’affirmative, renversant un arrêt majoritaire de la Cour d’appel des Territoires du Nord-Ouest et se déclarant d’accord, «en substance» avec les motifs du juge Johnson, dissident en Cour d’appel. Brown, étant l’accusé, n’était pas tenu de témoigner dans son premier procès; c’est parce qu’il a choisi de le faire que l’on peut considérer son témoignage comme volontaire. — Voir également dans le même sens que les arrêts Coote et Brown, les arrêts suivants: Reg. v. Connolly and McGreevy[18]; Rex v. Deakin (No. 2)[19]; Rex v. Drew (No. 2)[20]; Marcotte v. Rex[21]; McGregor v. Reg.[22]

A l’appui du premier moyen, le procureur de l’appelant cite, entre autres, deux passages de l’arrêt Coote et de l’arrêt Brown qui, selon lui, tendent à démontrer que la jurisprudence ne fait que présumer du caractère libre et volontaire d’un témoignage antérieur de l’accusé:

Arrêt: Coote, à la p. 607:

[TRADUCTION] … les déclarations d’un témoin, faites sous serment et recueillies légalement, sont admissibles en preuve contre lui s’il est par la suite inculpé d’une infraction criminelle, à l’exception des réponses aux questions auxquelles il a refusé de répondre, parce qu’elles tendraient à l’incriminer mais auxquelles il a été irrégulièrement contraint de fournir une réponse. Cette exception découle de la maxime «nemo tenetur seipsum accusare», mais elle ne couvre pas les réponses données sans objection, qui doivent être considérées comme volontaires. (Les italiques sont de moi).

Arrêt Brown, aux pp. 102 et 103:

[TRADUCTION] On allègue en outre que les règles applicables aux confessions le sont également à ce témoignage. On prétend que le témoignage donné par

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l’accusé au cours du contre-interrogatoire ne peut être considéré comme volontaire. On a souvent jugé inadmissibles en preuve des confessions extra-judiciaires obtenues au cours d’un contre-interrogatoire effectué par une personne autorisée comme n’ayant pas été faites volontairement; aucune règle de ce genre na été appliquée aux témoignages faits devant un tribunal. Dans Regina v. Erdheim, (1896) 2 Q.B. 260, à la p. 267, 18 Cox C.C. 355, le juge en chef lord Russell, se ralliant à l’opinion émise dans l’affaire Scott (précitée) tient les propos suivants:

«Quant à l’objection selon laquelle les déclarations n’étaient pas volontaires, on a décidé qu’elle ne pouvait être soulevée à l’égard d’un interrogatoire légalement tenu dans le cadre d’une procédure judiciaire …»

Quelle logique y a-t-il à dire que, même si l’accusé témoigne volontairement en son nom, son témoignage revêt le caractère d’un aveu ou d’une confession faite sous la contrainte lorsque débute le contre-interrogatoire?

Aux États-Unis, où le pouvoir d’accorder de nouveaux procès est relativement commun, la pratique d’admettre ce genre de preuve est bien établie. En 1877, le juge Endicott, parlant au nom de la Cour suprême du Massachusetts (Commonwealth v. Reynolds (1877), 122 Mass. 454, à la p. 458), a dit:

«La déposition donnée par le défendeur au cours d’un procès antérieur est admissible en preuve, soit à titre d’aveu soit pour réfuter ses déclarations. Cette déposition relative à son rôle dans la transaction, était volontaire et il importe peu de savoir où et quand elle a ainsi été faite». (Les italiques sont de moi).

A mon sens, ces deux passages ne démontrent en rien l’existence de la présomption et la nécessité de la procédure que l’on voudrait nous faire reconnaître. Ils signifient tout simplement que les réponses de Coote et le témoignage de Brown ont été donnés volontairement parce que la loi n’imposait pas qu’ils fussent donnés, ce qui constitue une raison additionnelle de les admettre subséquemment en preuve; la raison principale, c’est qu’il s’agit de dépositions assermentées et données en cour et non de confessions; cette raison principale est particulièrement manifeste dans l’arrêt Brown où le juge Johnson réfère à la contrainte du contre-interroga-

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toire une fois que l’accusé s’est soumis à l’interrogatoire, ainsi qu’à l’arrêt R. c. Scott[23], où l’accusé, inculpé d’avoir falsifié ses livres, se voit opposer le témoignage qu’il avait été forcé de rendre auparavant en vertu de la loi de faillite.

L’arrêt Scott décide du principe selon lequel la déposition donnée sous serment par l’accusé au cours d’une procédure judiciaire antérieure est admissible en preuve contre lui encore qu’elle ait été obtenue sous la contrainte de la loi et du pouvoir judiciaire. — C’est le cas de la déposition de l’appelant lors de l’enquête préliminaire de Lamothe — . L’arrêt Scott a d’autant plus de poids que le témoin n’y était même pas protégé, comme c’est aujourd’hui le cas, suivant l’art. 5(2) de la Loi de la preuve au Canada, contre l’utilisation ultérieure de son témoignage; il se voyait privé de toute protection. La jurisprudence a invariablement suivi cet arrêt, et l’on comprend qu’elle l’ait suivi, a fortiori, lorsque la loi de la preuve a été modifiée de façon à permettre au témoin de se protéger contre l’utilisation ultérieure d’une déposition incriminante pour lui mais qu’elle le contraint à donner: Reg. v. Bateman[24] (admission d’une déposition donnée par l’accusé à l’enquête du coroner); Reg. v. Hillam[25] (admission d’une déposition donnée par l’accusé sous la contrainte du Bankruptcy Act, 1869); Rex v. Clark[26] (admission d’une déposition donnée par l’accusé témoignant dans le procès d’un autre accusé); Rex v. Lunan[27] (admission d’un témoignage rendu par l’accusé alors qu’il est interrogé sous serment par une commission royale d’enquête); Rex v. Mazerall[28] (comme dans l’arrêt Lunan); Tass c. Le Roi[29] (admission d’une déposition de l’accusé témoignant dans l’enquête préliminaire d’un autre accusé).

A l’encontre de cette jurisprudence constante, qui n’est pas compatible avec le premier moyen, le procureur de l’appelant n’a pu nous citer une seule décision, anglaise ou canadienne, où, avant d’ad-

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mettre en preuve le témoignage antérieur de l’accusé, l’on aurait effectivement tenu un voir‑dire relativement au caractère libre et volontaire de ce témoignage ou déclaré ce témoignage inadmissible. Pour ma part, je n’ai trouvé qu’une décision qui paraisse aller dans le sens du premier moyen, l’arrêt Wahlberg c. La Reine[30]: la Cour d’appel du Québec y exclut la déposition donnée par l’accusé devant le Commissaire des incendies; le texte de cet arrêt est à peine plus explicite que le résumé publié dans les rapports judiciaires et il dispose de la déposition en même temps que d’une confession extra-judiciaire; les trois principaux considérants se lisent comme suit:

[TRADUCTION] CONSIDÉRANT que le juge de première instance a admis en preuve des aveux ou une confession faits par l’appelant à un agent de la paix, alors qu’il était sous détention légitime, et devant le Commissaire des incendies; et

CONSIDÉRANT que les circonstances dans lesquelles ladite confession a été obtenue laissent planer un doute sérieux, que le ministère public n’a pu dissiper, sur le caractère volontaire de la confession; et

CONSIDÉRANT, en outre, que l’appelant n’a jamais été averti que sa déposition pourrait être admise en preuve; et

CONSIDÉRANT, par conséquent, que le témoignage et la confession en question ont été illégalement admis en preuve;

Cet arrêt isolé n’est pas concluant car la Cour d’appel ne discute pas de la question. Lorsque l’occasion lui est fournie à nouveau d’en discuter elle décide en sens inverse: il s’agit de la présente affaire et de l’arrêt Lamothe c. La Reine[31] où l’appelant, trouvé coupable du meurtre d’Henri-Paul Chandonnet, se plaignait de ce que le président du tribunal avait admis sans voir-dire la déposition donnée par Lamothe à l’enquête du coroner; la Cour d’appel décide qu’un voir-dire n’est pas nécessaire et que le témoignage antérieur de Lamothe peut lui être opposé à son procès parce que Lamothe a témoigné sans demander la protection de la loi. Ajoutons que, dans l’arrêt Tass, l’accusé avait explicitement plaidé que la tenue d’un voir-dire était nécessaire relativement au

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caractère libre et volontaire du témoignage qu’il avait rendu précédemment; ce moyen a été rejeté, ce qui ressort clairement non pas de l’arrêt de cette Cour mais de celui de la Cour d’appel du Manitoba: Rex v. Tass[32] aux pp. 393 et 399. Ce moyen est aussi expressément invoqué sans succès dans les arrêts Lunan et Mazerall. Enfin, dans R. c. Drouin[33], un juge siégeant seul avait admis en preuve sans procéder à un voir-dire et malgré l’objection de la défense les aveux faits sous serment par les accusés devant le Commissaire des incendies, puis, jugeant ensuite comme un jury, il avait mis ces aveux de côté parce qu’ils ne répondaient pas selon lui aux exigences d’une déclaration libre, et il avait acquitté les accusés. Cette Cour, confirmant la Cour d’appel du Québec, rejette le pourvoi de la Couronne: la question de l’admissibilité d’une preuve et celle de sa valeur probante sont deux questions distinctes, l’une de droit, l’autre de fait; le juge de première instance ayant déclaré admissibles sans voir-dire les aveux judiciaires assermentés des accusés, il ne reste plus qu’à peser la force probante de ces aveux, une question de fait qui ne donne pas juridiction à cette Cour. Cette Cour n’avait pas à le décider, mais elle ne laisse aucunement entendre que le premier juge a erré en admettant en preuve sans voir-dire, les aveux judiciaires des accusés.

C’est une erreur à mon sens de soutenir que la loi présume du caractère libre et volontaire d’une déposition antérieure de l’accusé. Ou bien l’accusé n’était pas un témoin contraignable et son témoignage a été, dans ce sens, donné librement, ou bien il était contraignable et, dans ce cas, il n’était pas libre car il devait répondre sous peine d’être trouvé coupable d’outrage au tribunal. Qu’il ait témoigné librement ou non cependant, il n’était pas libre quant à ses réponses: il devait répondre la vérité sans quoi il risquait d’être inculpé de parjure. C’est pourquoi il n’est jamais nécessaire de tenir un voir-dire relativement au caractère libre et volontaire d’une déposition antérieure de l’accusé.

Mais, dira-t-on, dans tous ces arrêts, sauf les arrêts Drouin, Wahlberg et Lamothe, il n’est question que de contrainte légitime prévue par la loi et

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imposée par le pouvoir judiciaire. Il reste concevable qu’un accusé ait été exposé, avant un premier témoignage, à des contraintes illégitimes, à des menaces, à des sévices qui ont pu l’inciter à ne pas dire la vérité — car, si c’est la vérité qu’il a dite, c’est en vertu de son serment — ou à ne pas demander la protection de la loi, risquant ainsi de s’incriminer. N’y aurait-il pas lieu, si l’accusé le demande, de tenir un voir-dire qui permette de prouver que des contraintes illégales ont vicié ce premier témoignage au point qu’il ne devrait pas être opposé à l’accusé?

Je ne le crois pas. A mon avis, plusieurs considérations rendent admissible de plein droit la déposition antérieure de l’accusé même si son caractère libre et volontaire est contesté en ce sens qu’on la prétend affectée par une contrainte illégale.

Une déposition comporte plus de garanties objectives et elle entraîne plus de conséquences importantes qu’une simple confession extra-judiciaire faite à une personne constituée en autorité. Elle est faite en pleine cour et il n’y a généralement pas lieu de douter qu’elle ait effectivement eu lieu et qu’elle soit rapportée exactement. Elle est reçue par un magistrat dont on doit présumer qu’il a accompli son devoir et veillé à l’intégrité des procédures auxquelles il préside. La contrainte, s’il en est, ne peut être physique et immédiate. Le témoin peut demander la protection du magistrat qui l’entend, non seulement contre l’utilisation ultérieure et incriminante de son témoignage, mais contre les pressions indues dont il prétend être l’objet. La déposition est solennelle et appuyée du serment de dire la vérité sous peine de parjure. — La question de savoir si une contrainte illégitime donnée peut excuser le parjure en vertu de l’art. 17 C. cr. est d’un autre ordre — . Sur la foi de ce serment, des rapports ont été faits, des jugements ont été prononcés, justice a été rendue; des hommes autres que l’accusé ont été blanchis ou censurés, libérés ou envoyés à leur procès, trouvés innocents ou criminellement responsables d’un incendie ou d’un homicide, civilement ou criminellement acquittés ou condamnés et peut-être atteints dans leurs biens, dans leur réputation, dans leur liberté et même dans leur vie. Pourquoi

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cacherait-on au jury le témoignage qui a pu entraîner pareilles conséquences pour les tiers et pour l’administration de la justice, même s’il est allégué que ce témoignage est affecté par une contrainte illégitime?

Ces considérations l’emportent sur le risque, c’est tout ce dont il s’agit, de dévoiler le témoignage au jury, qui reste capable d’en apprécier la valeur probante et de l’écarter s’il n’y ajoute pas foi à cause de la contrainte illégale ou pour tout autre motif. Il reste loisible à l’accusé, de s’attaquer à son témoignage antérieur et d’essayer d’en détruire ou d’en amoindrir la crédibilité. Ce témoignage n’est pas nécessairement faux quand même l’accusé aurait été soumis, au moment où il l’a donné, à deux contraintes, la contrainte illégitime et l’obligation de dire la vérité. Si l’accusé dit maintenant que ce témoignage est faux parce que forcé, il reconnaît son parjure, excusable ou non, et la fonction de départager entre deux témoignages contradictoires émanant de la même personne en est une qui relève éminemment de la compétence du jury plutôt que de celle du juge. Il reste concevable que l’on ait illégalement et expressément incité un accusé, lors de son témoignage antérieur, à s’incriminer lui-même sans soulever d’objection. La loi prévoit une sauvegarde à cet égard, mais elle n’en prévoit qu’une seule: le témoin peut demander la protection de la loi et il doit la demander au moment où il témoigne, tant dans le but d’empêcher l’utilisation ultérieure de son témoignage contre lui-même que dans celui de protéger l’intégrité du témoignage qu’il est appelé à rendre et de la procédure dans laquelle il le rend. Mais il n’est pas permis au témoin de demander la protection de la loi après coup ce qui serait pratiquement le cas si son témoignage pouvait subséquemment être exclu à la suite d’un voir-dire.

Le premier moyen de l’appelant est mal fondé et doit être écarté.

2. Le deuxième moyen de l’appelant, c’est que la preuve d’acte similaire relatif à la mort de Paul Brie était inadmissible et que, même si elle était admissible, le président du tribunal aurait dû exercer sa discrétion pour l’exclure parce que sa valeur probante était ténue en comparaison du préjudice qu’elle causait à l’accusé.

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Notons immédiatement que n’a pas été soulevée, dans la présente affaire, la question souvent discutée de savoir si le fait similaire, à supposer que sa preuve soit admissible, pouvait être établi en preuve principale ou bien en contre-preuve: il a effectivement été établi en contre-preuve; par ailleurs, le président du tribunal a offert à la défense la faculté de répondre à cette contre-preuve par une preuve additionnelle mais la défense ne s’est pas prévalu de cette faculté.

Les principes qui déterminent l’admissibilité d’une preuve d’acte similaire restent toujours ceux qu’énonçait le Comité Judiciaire du Conseil Privé dans Makin c. Attorney General for New South Wales[34], à la p. 65:

[TRADUCTION] Il n’est sans aucun doute pas loisible à la poursuite de produire une preuve qui tend à démontrer que l’accusé s’est déjà rendu coupable d’actes criminels autres que ceux visés par l’acte d’accusation, dans le but d’insinuer qu’en raison de ce comportement criminel, l’accusé est une personne susceptible d’avoir commis l’infraction pour laquelle il subit présentement un procès. D’autre part, le simple fait que la preuve produite tend à démontrer la perpétration d’autres crimes ne la rend pas irrecevable si elle est pertinente à un litige dont est saisi le jury; cette preuve peut être considérée comme pertinente si elle porte sur la question de savoir si les actes reprochés dans l’acte d’accusation étaient intentionnels ou involontaires, ou si elle permet de réfuter un moyen de défense dont l’accusé pourrait autrement se prévaloir.

La preuve d’acte similaire n’a pas pour but de démontrer que l’accusé a probablement commis l’acte qui lui est reproché parce qu’il a commis d’autres crimes et elle doit être écartée, en principe, si c’est là son seul effet. Mais elle reste admissible, quoiqu’elle puisse avoir cet effet, si elle a rapport à une question qu’il importe de trancher pour résoudre le procès, ce qui est le cas, par exemple, lorsqu’elle établit l’état d’esprit de l’accusé, ses intentions (Leblanc c. La Reine[35]), sa conduite systématique, la préméditation, etc.

Dans la présente cause, la preuve de l’assassinat de Paul Brie et des circonstances entourant son inhumation, constituent, à mon avis, un exemple classique de cas où, prima facie, la preuve d’acte

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similaire doit être admise. La similitude des circonstances relatées plus haut concernant la mort et l’inhumation de Bilodeau et de Brie est frappante et elle tend à démontrer un système. Or il incombait à la poursuite de prouver la préméditation et une conduite systématique tend précisément à établir la préméditation. D’autre part, la poursuite se voyait confrontée par une défense comportant plusieurs aspects. L’un de ces aspects, c’est que l’appelant s’était trouvé entraîné par accident dans une mésaventure imprévisible et que, par conséquent, ses intentions étaient innocentes puisqu’il n’avait en aucune façon voulu la mort de la victime. Une preuve de fait similaire montrant une conduite systématique, la préméditation et l’intention coupable est admissible pour contrer une telle défense. Un autre aspect de la défense, — destiné à expliquer comment l’appelant et Gagnon avaient trouvé du caustique après la mort de Bilodeau et non pas avant, — c’est que non seulement la victime avait été l’agresseur mais qu’elle avait elle-même formé le dessein d’assassiner Gagnon, allant jusqu’à se munir de caustique pour faire disparaître le cadavre. Relativement à une défense tournant ainsi à son avantage une partie de la preuve même que la poursuite avait faite pour tenter d’établir la préméditation chez l’accusé, la preuve du fait similaire saisissait le jury, entre autres, de la question suivante: si Bilodeau avait vraiment formé le projet d’assassiner Gagnon et de l’enterrer dans une fosse au caustique, et si Bilodeau avait été pris à son propre piège, ce n’est quand même pas lui qui avait pu déterminer le lieu de son enterrement; par quel remarquable concours de circonstances y avait-il, à l’endroit choisi à cette fin par l’appelant et par Gagnon, une autre fosse contenant le cadavre d’un homme connu de l’appelant, tué de la même façon que Bilodeau et brûlé lui aussi avec une substance caustique? La preuve du fait similaire était pertinente et admissible à tout le moins en contre‑preuve: même si elle avait pour effet de renforcer ou de confirmer la preuve principale, tel n’était pas son but qui était de réfuter la preuve d’agression préméditée par la victime et surtout la preuve que c’était la victime qui transportait, dans le coffre de son automobile, assez de soude caustique pour brûler un cadavre.

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A vrai dire, ce n’est pas principalement d’une preuve de fait similaire que l’appelant se plaint, mais de la preuve de ce fait «tel que présenté»: le fait similaire est directement relié à l’accusé mais il ne l’est pas de façon à démontrer que ce dernier y a participé; la similitude fait naître le soupçon que l’accusé a participé au meurtre de Brie ou à la dissimulation de son cadavre puisqu’il connaissait l’emplacement de la fosse, mais elle ne prouve pas la participation de l’accusé au meurtre de Brie.

Pourtant, cette preuve existait. La poursuite a voulu en saisir le jury mais le président du tribunal le lui a interdit afin de ne pas charger l’accusé indûment. Voici comment il s’exprime à ce sujet dans son rapport à la Cour d’appel:

Pour réfuter cette preuve d’accident et établir la possibilité d’une conduite systématique et même le mens rea chez Boulet, j’ai permis la preuve d’un fait similaire, savoir: le même jour où Boulet a conduit les policiers sur la fosse de Bilodeau, il les a amenés environ une heure après à quelques cents pieds de cet endroit pour leur indiquer une autre fosse où avait été trouvé un corps nu comme celui de Bilodeau et brûlé par le caustique comme Bilodeau. Ce corps a formellement été identifié comme étant celui d’un nommé Brie qui travaillait à l’occasion pour des complices de Boulet.

Je n’ai pas cependant permis à la Couronne de produire un autre témoignage que Boulet avait rendu à l’enquête du coroner sur la mort de Brie, alors que même sans demander la protection de la Cour, il avait déclaré que, en somme, il avait été complice du meurtre de Brie et que c’est lui-même, cette fois encore, qui l’avait enterré.

Vu qu’il a été tenu criminellement responsable de cette mort à l’enquête du coroner et qu’il n’était pas assisté lors de ce témoignage, j’ai pensé que ces déclarations que la Couronne voulait prouver produiraient probablement à la défense un tort considérable et disproportionné avec le fait que la Couronne voulait prouver, c’est-à-dire le fait similaire de l’indication de la fosse de Brie, preuve qui était déjà devant les jurés.

J’ai, par contre, informé les jurés, aussi clairement que possible, sur le sens qu’une telle preuve pouvait comporter, c’est-à-dire que ces indications données par Boulet dans le cas de Bilodeau et dans le cas de Brie ne voulait pas dire que c’était Boulet qui avait tué et enterré Bilodeau, de même que Brie, mais prouvait tout simplement que Boulet avait connaissance de l’existence de ces fosses, preuve dont les jurés pouvaient évidemment tirer les conclusions qu’ils jugeaient appropriées.

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Quant aux directives données au jury sur ce point, voici, pour l’essentiel en quoi elles consistent:

On a demandé, j’ai permis cette preuve-là, de faire la preuve d’actes similaires, c’est‑à‑dire qu’on avait, qu’on aurait suivi les indications de Boulet pour aller un peu plus loin dans le même secteur, le même matin, parce que les faits similaires, les circonstances de temps et les circonstances de lieu, pour les faits similaires sont importantes, il ne faut pas que l’affaire se soit passé à dix mois d’intervalle, mais là c’est ensemble, ils l’auraient amené à un endroit où il aurait indiqué une fosse, à mille quelques pieds, fosse qui était vide à ce moment-là, mais que la preuve a démontré par la suite qu’on avait trouvé dans cette fosse-là un autre cadavre qui est identifié, — du moins si vous acceptez la preuve que c’est bien cela, c’est pas à moi à l’affirmer, — et qui était apparemment dans les mêmes conditions que Bilodeau, nu et avec … brûlé par le caustique, d’après le témoignage du Docteur Authier.

Ceci ne veut pas dire, messieurs les jurés, que c’est Boulet qui les a tués, ceci ne veut pas dire non plus simplement par le fait similaire que c’est Boulet qui les avait mis là. Ceci veut dire que vous devez retenir de ces faits similaires que Boulet avait la connaissance de l’existence de ces choses-là, et alors vous pouvez en déduire que ça repousse une défense d’accident, que ça peut établir une conduite systématique, c’est pour cela que la loi le permet.

De ces faits-là vous devez retenir que Boulet avait la connaissance. Pourquoi l’avait-il? Ah! c’est à vous autres de le décider. Comment se fait-il qu’il y avait une deuxième fosse là, comment se fait-il qu’il savait que Bilodeau [Brie(?)] était enterré là? Cette similarité‑là peut vous permettre encore de tirer des conclusions quant à la raison qu’il devait avoir de connaître ce qui s’était passé là. C’est à vous autres à faire, à tirer ces conclusions-là. (La parenthèse est de moi).

A mon sens, si la preuve de fait similaire avait uniquement pour but de repousser une défense d’accident et d’établir une conduite systématique de l’accusé, il eut été plus logique d’admettre également en preuve le témoignage rendu par l’appelant à l’enquête du coroner sur la mort de Brie. Ce témoignage était admissible en principe, puisque l’appelant l’avait rendu sans demander la protection de la loi et que rien n’indique que l’appelant ait été à ce moment inculpé du meurtre de

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Brie, (Batary c. P.g. de la Sask.[36]). Ce témoignage ne démontrait pas seulement que l’appelant connaissait l’emplacement de la fosse de Brie mais l’impliquait directement dans son assassinat. Le président du tribunal a exclu cette preuve en exerçant la discrétion que lui reconnaissaient les arrêts Noor Mohamed v. Rex[37] et Kuruma v. Reg.[38] comme on les interprétait à l’époque.

A mon avis le président du tribunal, n’aurait commis aucune erreur en droit et n’aurait pas abusé de sa discrétion s’il avait permis à la poursuite de prouver le témoignage rendu par l’appelant lors de l’enquête tenue par le coroner au sujet de la mort de Brie. L’exclusion de cette preuve et les directives données au jury sur le sujet n’ont causé aucun préjudice à la défense; elles n’ont au contraire pu que l’avantager en laissant ignorer au jury une preuve plus incriminante encore et qui aurait pu être admise. L’appelant ne peut se plaindre de ce qu’elle ne l’ait pas été.

Les deux premiers moyens de l’appelant sont les seuls que son procureur ait plaidés oralement bien qu’il ait précisé qu’il n’abandonnait pas les autres, mentionnés dans son mémoire.

Les troisième, quatrième et cinquième moyens sont relatifs au droit à une défense pleine et entière dont l’appelant se plaint d’avoir été privé.

3. Le troisième moyen reproche au président du tribunal les limites qu’il a imposées à la preuve que l’appelant voulait présenter pour amener le jury à douter de la valeur probante du témoignage qu’il a rendu à l’enquête préliminaire de Lamothe. La défense voulait faire entendre un certain nombre de témoins qui auraient attesté qu’ils avaient eux aussi reçu des mauvais traitements aux mains de la police. Le président du tribunal a permis cette preuve lorsqu’il s’agissait de mauvais traitements qui auraient été infligés en présence de l’appelant ou à sa connaissance ou qui lui auraient été rapportés par la police ou par d’autres. C’est ainsi que Gagnon, Quirion et un nommé Sicotte rendirent témoignage sur ce sujet. Cette preuve fut cepen-

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dant déclarée inadmissible pour les mauvais traitements, s’il en est, qui auraient été infligés à d’autres, sans que l’appelant en ait eu connaissance. L’appelant se plaint de cette limitation.

Des cinq juges de la Cour d’appel qui, à l’unanimité, ont rejeté l’appel, seul Monsieur le juge Montgomery trouve une valeur à ce moyen que cependant il ne considère pas décisif:

[TRADUCTION] Je partage l’avis du juge de première instance selon lequel l’appelant n’était pas fondé à citer toute personne prête à déclarer qu’elle avait subi, à un moment ou à un autre, des mauvais traitements aux mains de la police; mais l’appelant cherchait à démontrer par là quelque chose de bien plus précis: que d’autres personnes accusées de ce meurtre ou d’infractions qui y sont liées, ont été systématiquement battues par les mêmes policiers au cours de la même période et dans les mêmes locaux, et que cela était un fait généralement connu des personnes détenues par les policiers relativement à ces infractions.

Je serais disposé à faire droit à ce moyen et à ordonner un nouveau procès si ce n’était le fait que, malgré la décision du juge de première instance, des témoins ont déclaré en présence du jury que la police avait brutalisé trois des acolytes de l’appelant, soit ses témoins Gagnon, Quirion et Sicotte. En contre preuve, le ministère public a discrédité ces témoins en faisant état de leur casier judiciaire, mais il n’a fait entendre aucun des policiers nommés et il n’a produit aucune autre preuve. Compte tenu de cela, je doute que l’appelant aurait pu convaincre le jury d’accepter la version des faits qu’il a donnée à son procès, même s’il avait cité d’autres témoins pour dénoncer la situation alléguée.

Selon la jurisprudence actuelle, il semble qu’une telle preuve de contrainte n’aurait pas entraîné le rejet total de la déposition antérieurement donnée; elle pouvait seulement inciter le jury à considérer cette déposition avec scepticisme. A mon avis, le jury a accepté la première version non pas parce qu’il la croyait libre et volontaire, mais plutôt parce qu’elle était plausible et corroborée, dans une certaine mesure, par d’autres éléments de preuve, alors que la dernière version lui paraissait incroyable.

Bien que je ne sois pas entièrement satisfait de la façon dont s’est déroulé le procès, je suis d’avis qu’aucun tort important ni aucun déni de justice grave ne s’est produit. Par conséquent, je partage l’avis de mon collègue selon lequel il convient de rejeter cet appel.

Je pense, comme le président du tribunal, et comme la majorité de la Cour d’appel, que l’usage,

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s’il en est, d’autres méthodes répressives ignorées de l’accusé ne peut avoir influencé le témoignage qu’il a rendu à l’enquête préliminaire de Lamothe et que la preuve de ces mauvais traitements n’était pas pertinente. De plus, si quatre témoignages concordants sur ce sujet, y compris le témoignage de l’appelant, n’ont pas changé le verdict du jury, je ne vois pas comment des témoignages supplémentaires auraient eu cet effet sauf en détournant finalement l’attention, par simple accumulation, de la question principale en litige.

4. Le quatrième moyen de l’appelant, c’est le peu de sérénité avec laquelle le juge aurait présidé le procès. Ce grief n’est pas sérieux. Voici ce que dit la Cour d’appel:

Il est juste de signaler, quant au grief relatif à l’attitude du juge présidant au procès, que si le juge a, à l’occasion, adressé des remarques sévères à l’avocat de l’appelant c’est parce que ce dernier, soulevant de longs et nombreux débats devant les jurés, des débats souvent acrimonieux et inutiles, a manifesté plusieurs fois une ténacité de mauvais aloi pour dire le moins, soumettant ainsi la patience du juge à de nombreuses et rudes épreuves.

Je suis d’avis que l’appelant a eu un procès juste, qu’il n’a subi aucun tort important et que le verdict est justifié par la preuve.

J’ajouterai que le procureur de l’appelant refusait de façon répétée d’accepter les décisions du président du tribunal qui devait, dans une atmosphère difficile, affirmer son autorité et garder le contrôle des procédures. A mon avis il l’a fait avec la fermeté requise par les circonstances, et sans perdre sa sérénité.

5. Par son cinquième moyen, l’appelant se plaint de l’agressivité des procureurs de la Couronne. Leur comportement n’a pas été irréprochable en ce qui concerne particulièrement les épithètes qu’ils ont employées pour référer aux témoins de la défense. Ils répondaient aux exagérations en sens inverse du procureur de la défense, exagérations qui blessaient les convenances. Ce manque de modération de part et d’autre dans le choix des termes, encore que répréhensible, ne comporte pas d’énoncé de fait et, comme tel, ne s’adresse pas à la preuve. De plus, au début de son adresse au jury, le président du tribunal fait allusion au

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climat dans lequel s’est déroulé le procès, au contrôle des tempéraments, à l’ardeur des avocats et ses observations sont clairement destinées à neutraliser l’effet possible de certains excès de langage. Je ne crois pas que, dans le contexte, le jury ait pu attacher de l’importance à ces excès.

6. Le sixième moyen de l’appelant, c’est que le président du tribunal n’a pas expliqué au jury que Gagnon pouvait être en état de légitime défense lorsqu’il a abattu Bilodeau. Aucun crime n’aurait été commis dans cette hypothèse, ni par Gagnon ni par l’appelant.

C’est Gagnon qui, dans son témoignage, emploie le premier les mots «légitime défense». Il admet cependant qu’il n’a pas invoqué cette défense lors de son propre procès pour le meurtre de Bilodeau. Le procureur de l’appelant au procès réfère également à quelques reprises dans son plaidoyer à ce qu’il appelle la «thèse» de la légitime défense. Mais il s’agit là, tout au plus, d’une défense secondaire sur laquelle d’ailleurs on ne pouvait insister sans compromettre la position principale qui tendait à dissocier l’appelant de Gagnon.

Lorsque le président du tribunal, après son adresse au jury, invite les procureurs à lui signaler les omissions qu’il avait pu faire ou les erreurs qu’il aurait pu commettre dans son exposé, le procureur de l’appelant lui soumet un autre grief mais ne réfère en aucune façon à la légitime défense. Il n’est pas question non plus de légitime défense dans l’inscription en appel devant la Cour d’appel qui n’en dit rien dans son arrêt.

Quoi qu’il en soit, le président du procès aurait erré, à mon avis, s’il avait donné au jury la directive de considérer cette défense particulière. Même en effet si l’on tient pour avérés les témoignages de l’appelant et de Gagnon, ils ne donnent pas ouverture à cette défense: Bilodeau était seul contre deux; le canon de la carabine qu’il aurait braquée sur Gagnon avait été écarté par ce dernier; le coup était parti et c’est alors que Gagnon a tiré sur Bilodeau plus d’une fois. Il ne s’agit pas là d’une situation où, en droit, Gagnon était en état de légitime défense.

7. Le septième et dernier moyen de l’appelant c’est que le président du tribunal, dans son adresse

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au jury, a donné son opinion sur les faits, de manière à influencer le verdict du jury. Ce grief, lui non plus, n’est pas sérieux. Même si en lisant l’analyse de la preuve faite par le président du tribunal, on peut soupçonner ou deviner son opinion sur quelques faits particuliers, il n’y a là rien d’illégal ou d’irrégulier: le premier juge a clairement délimité ses attributions et celles du jury et multiplié les exhortations au jury de ne pas tenir compte de son opinion sur des questions de faits. Voici des exemples de ces exhortations:

«Si pendant les instants où je vous adresse la parole, vous avez pu avoir ou vous pouvez avoir présentement l’impression ou le sentiment que par mon attitude, par mes paroles, par mes manières d’agir … j’ai pu vous laisser croire que j’avais une opinion quant à la culpabilité ou quant à l’innocence de l’accusé, vous n’avez pas le droit de tenir compte de ça … «Si par hasard vous auriez pu avoir dans l’idée que j’avais une opinion, je vous supplie en conscience de ne pas tenir compte de ça».

«C’est le devoir du juge de souligner aux jurés certaines parties de la preuve ou certaines appréciations des témoignages … Ça ne veut pas dire que ce que le juge commente doit être retenu par vous … Je veux que ce soit votre décision et qu’elle ne soit pas influencée par moi non plus».

Je rejetterais également ce dernier moyen et je rejetterais le pourvoi.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l’appelant: Bernard Lamarche, Montréal.

Procureur de l’intimée: François Tremblay, Québec.

[1] [1970] C.A. 461.

[2] (1783), 1 Leach 263, 168 E.R. 234.

[3] (1852), 2 Den. 430, 169 E.R. 568.

[4] [1914] A.C. 599.

[5] [1971] R.C.S. 23.

[6] [1977] 1 R.C.S. 362.

[7] [1939] R.C.S. 214.

[8] (1966), 49 C.R. 326.

[9] (1973), 12 C.C.C. (2d) 239.

[10] [1961] R.C.S. 123.

[11] (1791), 2 Leach 552, 168 E.R. 339.

[12] (1912), 19 C.C.C. 391.

[13] [1934] 1 W.W.R. 376.

[14] (1970), 1 C.C.C. (2d) 49.

[15] [1955] R.C.S. 646.

[16] (1873), L.R. 4 P.C. 599.

[17] (1963), 40 C.R. 90, infirmé (1963), 40 C.R. 105.

[18] (1894), 25 O.R. 151.

[19] (1912), 19 C.C.C. 274.

[20] [1933] 4 D.L.R. 592.

[21] (1949), 97 C.C.C. 310.

[22] (1967), 51 Cr. App. R. 338.

[23] (1856), 169 E.R. 909.

[24] (1866), 4 F. and F. 1068, 176 E.R. 911.

[25] (1872), 12 Cox C.C. 174.

[26] (1901), 3 O.L.R. 176.

[27] (1947), 3 C.R. 56.

[28] (1946), 2 C.R. 261.

[29] [1947] R.C.S. 103.

[30] [1955] B.R. 865.

[31] [1969] B.R. 734.

[32] (1946), 1 C.R. 378.

[33] [1973] R.C.S. 747.

[34] [1894] A.C. 57.

[35] [1977] 1 R.C.S. 339.

[36] [1965] R.C.S. 465.

[37] [1949] A.C. 182.

[38] [1955] A.C. 197.


Parties
Demandeurs : Boulet
Défendeurs : Sa Majesté la Reine
Proposition de citation de la décision: Boulet c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 332 (2 novembre 1976)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1976-11-02;.1978..1.r.c.s..332 ?
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