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01/10/1974 | CANADA | N°[1975]_2_R.C.S._560

Canada | R. c. Dobberthien, [1975] 2 R.C.S. 560 (1 octobre 1974)


Cour suprême du Canada

R. c. Dobberthien, [1975] 2 R.C.S. 560

Date: 1974-10-01

Michael William Dobberthien Appelant;

et

Sa Majesté la Reine Intimée.

1974: le 28 mai; 1974: le 1er octobre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ALBERTA

Cour suprême du Canada

R. c. Dobberthien, [1975] 2 R.C.S. 560

Date: 1974-10-01

Michael William Dobberthien Appelant;

et

Sa Majesté la Reine Intimée.

1974: le 28 mai; 1974: le 1er octobre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ALBERTA


Synthèse
Référence neutre : [1975] 2 R.C.S. 560 ?
Date de la décision : 01/10/1974
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Droit criminel - Preuve - Ordre d’exclusion des témoins - Témoins du ministère public qui refusent d’obtempérer et à qui Von permet de témoigner - Le juge du procès se réserve expressément la question du poids à accorder au témoignage, reçu en contre-preuve, d’un témoin seulement - S’agit-il d’une erreur de droit? - Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 618(1).

Une déclaration de culpabilité a été prononcée contre l’appelant en première instance pour possession de stupéfiants aux fins d’en faire le trafic, contrairement au par. (2) de l’art. 4 de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970 c. N-1. Au début du procès, un ordre d’exclusion de tous les témoins a été donné à la demande de l’avocat de l’appelant. Malgré cet ordre, un certain nombre de témoins pour le ministère public sont demeurés dans la salle d’audience pendant que la défense faisait entendre ses témoins, et ceux-là ont plus tard été appelés en contrepreuve. Bien que le juge du procès se soit expressément réservé la question du poids à accorder au témoignage d’un de ces témoins, aucune réserve similaire n’a été énoncée de façon expresse à l’égard des témoignages des autres témoins. En appel, un arrêt de la majorité de la Division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta a confirmé la déclaration de culpabilité prononcée contre l’appelant. Un pourvoi formé en vertu du par. (1) de l’art. 618 du Code criminel a alors été interjeté devant cette Cour.

Arrêt (le juge en chef Laskin et le juge Spence étant dissidents): Le pourvoi doit être rejeté.

Les juges Martland, Judson, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré: Dans les causes criminelles, lorsqu’un juge de première instance ordonne que les témoins soient exclus de la salle d’audience, la règle prévoit que si, néanmoins, un témoin reste dans la salle d’audience a) il n’est pas nécessairement inhabile à témoigner, bien qu’en certaines circonstances le juge de première instance puisse exclure

[Page 561]

son témoignage; b) le poids, si poids il y a, à accorder à son témoignage est une question qui doit être décidée par le jury ou, dans les procès sans jury, par le juge. Dans les circonstances présentes, où le juge de première instance a expressément indiqué sa connaissance de la règle dans le cas d’un des témoins appelés en contre-preuve, on doit présumer qu’il s’est laissé guider par les mêmes considérations en appréciant le témoignage des autres témoins qui sont demeurés dans la salle d’audience malgré l’ordonnance les excluant. Il n’y a donc en l’espèce ni tort important ni erreur judiciaire grave.

Le juge en chef Laskin et le juge Spence, dissidents: Ce n’est qu’à l’égard du témoignage fourni en contre-preuve par l’un des témoins du ministère public que le juge de première instance a souligné la nécessité de se mettre en garde quant au poids à accorder à ce témoignage. Il a considéré comme importants les témoignages fournis en contre-preuve par d’autres témoins, mais le dossier a démontré qu’il n’a pas cru qu’il avait l’obligation de s’interroger sur l’effet qu’avait sur le poids de leurs témoignages le fait qu’ils étaient demeurés dans la salle d’audience pour entendre la preuve même que plus tard, dans leur témoignage, ils ont contredite. Il y a eu une erreur de droit non pas dans l’omission d’énoncer la mise en garde quant à ces témoins mais plutôt dans l’omission de se rendre compte que se mettre en garde était de règle.

[Arrêts mentionnés: Moore v. Lambeth County Court Registrar, [1969] 1 W.L.R. 141; Cook v. Nethercotte (1835), 6 Car. & P. 741, 172 E.R. 1443; Thomas v. David, (1836), 7 Car. & P. 350, 173 E.R. 156; Chandler v. Horne (1842), 2 M. & Rob. 423, 174 E.R. 338; R. v. Briggs (1930), 22 Cr. App. R. 68; R. v. Thompson, [1967] Crim. L.R. 62; Black v. Besse (1887), 12 O.R. 522; R. v. Carefoot (1948), 90 C.C.C. 331.]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la majorité de la Division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta[1] confirmant la déclaration de culpabilité prononcée contre l’appelant en première instance pour possession de stupéfiants aux fins d’en faire le trafic, contrairement au par. (2) de l’art. 4 de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, c. N-1. Pourvoi rejeté, le juge en chef Laskin et le juge Spence étant dissidents.

[Page 562]

R. Sadownik, pour l’appelant.

A.A. Sarchuk, c.r. pour l’intimée.

Le jugement du juge en chef Laskin et du juge Spence a été rendu par

LE JUGE SPENCE (dissident) — J’ai eu l’occasion de lire les motifs de jugement qui sont en voie d’être déposés par le juge Ritchie. Avec respect, je ne puis être d’accord avec la conclusion de mon savant collègue. Je suis d’avis que le juge d’appel Sinclair, dans ses motifs dissidents à la Division d’appel de la province d’Alberta, a décrit avec justesse la pratique à suivre à l’égard de l’exclusion des témoins dans les affaires criminelles, comme suit:

[TRADUCTION] 1. Le juge de première instance peut ordonner que tout témoin, autre que l’accusé, soit exclu de la salle d’audience. Une telle directive s’appliquera ordinairement à tous les témoins dont les noms sont mentionnés dans l’acte d’accusation, à toute autre personne qui peut être appelée par le ministère public, et aux témoins qui peuvent être appelés par l’accusé.

2. A moins que le juge n’en ordonne autrement, ce témoin devra demeurer en dehors de la salle d’audience tant que l’audition des témoins, y inclus ceux qui sont appelés en contre-preuve, n’aura pas été complétée.

3. Si, néanmoins, un témoin reste dans la salle d’audience:

a) il n’est pas nécessairement inhabile à témoigner, bien qu’en certaines circonstances le juge de première instance puisse exclure son témoignage.

b) le poids, si poids il y a, à accorder à son témoignage est une question qui doit être décidée par le jury ou, dans les procès sans jury, par le juge.

A mon avis, la discrétion exercée par le juge Bowen lorsqu’il a reçu le témoignage des différents témoins qui étaient demeurés dans la salle d’audience malgré l’ordre d’exclusion prononcé au début de l’enquête, ne peut pas être critiquée. Le juge Bowen a vu qu’en exerçant sa discrétion pour recevoir le témoignage d’un tel témoin il devait néanmoins se rappeler que le témoin avait délibérément désobéi à l’ordre du tribunal en demeurant dans la salle d’audience malgré l’ordre d’exclusion et que cela devait être pris en considération en appréciant le poids du

[Page 563]

témoignage. Je cite les commentaires du savant juge de première instance lorsqu’il a accepté que le sergent John William Fitzpatrick témoigne:

[TRADUCTION] Je crois, Monsieur, que ce témoin sera entendu. La question du poids de son témoignage sera certainement prise en considération par ce tribunal.

Cependant, le juge Bowen n’a fait aucun commentaire semblable à l’égard des dépositions des autres témoins qui avaient entendu l’ordre d’exclusion et qui, forts, peut-être, du fait qu’ils n’avaient pas été convoqués comme témoins à charge ou à décharge, étaient demeurés dans la salle d’audience. Je ne serais pas prêt à dire qu’une telle omission de mentionner dans chacun de ces cas la nécessité de se mettre en garde quant au poids du témoignage justifie une conclusion que le savant juge de première instance n’a pas pris garde, si ce n’était de certaines circonstances importantes lors du procès. Je puise dans la transcription relativement à ce qui s’est produit lorsque le détective Walter Porfon a été appelé en contre‑preuve par le ministère public:

[TRADUCTION] DÉTECTIVE WALTER PORFON, assermenté, interrogé par M. Mousseau:

Q. Détective Porfon, vous étiez présent lorsque M. Fallis a témoigné?

R. Oui, je l’étais.

Q. Et —

M. SADOWNIK: Quel droit avait-il d’être présent lorsque Fallis a témoigné? C’était là une des conditions que les témoins soient exclus, comme j’ai compris —

M. MOUSSEAU: Avec votre permission, votre Seigneurie, il n’a pas été convoqué comme témoin en cette cause. Il est maintenant appelé comme témoin en contre‑preuve.

M. SADOWNIK: Un témoin est un témoin. Je ne réussis pas à voir la distinction.

LE TRIBUNAL: Je crois qu’il y a véritablement une distinction quant à la capacité d’utiliser une contre-preuve comme il faut, M. Sadownik. Je vais lui permettre de procéder.

Le détective Porfon avait été mentionné comme témoin à charge sur l’acte d’accusation mais il n’avait pas été cité comme témoin à

[Page 564]

charge par le ministère public au procès. Il était par conséquent dans la même position que le sergent John William Fitzpatrick à l’égard de qui le tribunal a fait le commentaire précité quant au poids à donner à son témoignage. Le témoignage du détective Porfon en contre-preuve a été très décisif. Le compagnon de l’accusé, Fallis, avait juré que c’était lui et non l’accusé qui avait placé les drogues prohibées dans le coffre arrière de l’automobile de l’accusé. Or, le détective Porfon a témoigné en contre-preuve que Fallis avait dit à lui, Porfon, que l’appelant avait lui-même mis les drogues dans la voiture.

Le savant juge de première instance avait le devoir de se mettre en garde à l’égard du témoignage du détective Porfon de façon plus rigoureuse encore qu’à l’égard du témoignage du sergent Fitzpatrick et cependant le savant juge de première instance a été muet sur le sujet d’une telle nécessité.

Un autre témoin en contre-preuve a été le caporal Murray. Il avait témoigné comme témoin à charge du ministère public et il était parfaitement au courant de l’ordre ordonnant l’exclusion des témoins étant donné qu’au cours de son témoignage il avait remarqué qu’un autre constable, Meggison, était présent malgré l’ordre d’exclusion, et qu’il en avait signalé le fait de sorte que le juge avait ordonné personnellement à Meggison de se retirer de la salle d’audience. Le caporal Murray a été rappelé également en contre-preuve et bien que le juge d’appel Sinclair en soit venu à la conclusion qu’il était présent durant la preuve de la défense ce fait n’a pas été mentionné au cours du procès. Je présume que ni le savant juge de première instance ni l’avocat de la défense ne se sont rendus compte que Murray avait été présent durant cette période. Le caporal Murray a fourni un témoignage très important au sujet d’une conversation qu’il avait eue avec l’accusé lors de l’enquête préliminaire lorsque l’accusé avait demandé au caporal Murray pourquoi il voulait un certificat d’analyse qui indiquât que quelques-unes des capsules étaient vides puisque toutes les capsules étaient pleines, et pourquoi aussi le nom de l’accusé apparaissait sur le

[Page 565]

certificat de l’analyse. Malgré qu’il eût été contre-interrogé très longuement durant le témoignage qu’il avait donné plus tôt au cours du procès lors de l’audition des témoins à charge du ministère public, le caporal Murray n’avait pas fait mention de cet élément de preuve important qui pouvait fort bien être considéré comme un aveu de l’accusé.

Le savant juge de première instance a considéré comme importants les témoignages fournis en contre-preuve par ces deux témoins, le détective Porfon et le caporal Murray. Il a dit:

[TRADUCTION] Si il y avait quelque doute en mon esprit, la contre-preuve l’a certainement dissipé, particulièrement le témoignage du caporal Murray qui a relaté au tribunal la déclaration que l’accusé a faite lors de l’enquête préliminaire, quand l’accusé a demandé pourquoi sur l’un des certificats on mentionnait des capsules vides — ou au moins pourquoi un certificat mentionnait des capsules vides quand toutes étaient pleines.

Avant de se fonder à ce point sur les témoignages de ces deux témoins, le caporal Murray et le détective Porfon, le savant juge de première instance aurait dû prendre soin de s’interroger sur l’effet qu’avait sur le poids de leurs témoignages le fait qu’ils étaient demeurés dans la salle d’audience pour entendre la preuve même que plus tard, dans leur témoignage, ils ont contredite. Je suis, cependant, d’avis, respectueusement, que le savant juge de première instance n’a pas cru qu’il avait l’obligation de le faire et je me base sur les commentaires que j’ai cités ci-dessus et que je répète:

Je crois qu’il y a véritablement une distinction quant à la capacité d’utiliser une contre‑preuve comme il faut, M. Sadownik. Je vais lui permettre de procéder.

Je suis par conséquent d’avis qu’il y a eu une erreur de droit non pas dans l’omission d’énoncer la mise en garde quant à ces deux derniers témoins mais plutôt dans l’omission de se rendre compte que se mettre en garde était de règle. Pour ce motif, j’accueillerais le pourvoi.

Le juge d’appel Sinclair, en donnant ses motifs dissidents en Division d’appel, aurait infirmé la déclaration de culpabilité:

[Page 566]

[TRADUCTION] La difficulté en l’espèce est que la preuve fournie par les témoins du ministère public en contre-preuve peut être essentielle dans un nouveau procès. Si cette preuve devait être présentée de nouveau, sa valeur sera encore influencée par le fait qu’elle a été révélée, au premier procès, dans des conditions qui ont pu faire en sorte que, consciemment ou inconsciemment, son caractère soit altéré par les témoignages des témoins de la défense. Pour ce motif, il me semble que dans les circonstances de l’espèce il serait impossible pour l’accusé de subir un procès équitable si un nouveau procès était ordonné. Par conséquent, un verdict d’acquittement devrait être consigné.

Ce commentaire pourrait s’appliquer, on ne peut en douter, à n’importe quel cas où une cour d’appel ordonne un nouveau procès. Je crois que la question devrait être traitée à ce nouveau procès et c’est pourquoi en accueillant le pourvoi et en infirmant la déclaration de culpabilité, je me prononcerais non pas en faveur d’un acquittement mais plutôt en faveur d’un nouveau procès.

Le jugement des juges Martland, Judson, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré a été rendu par

LE JUGE RITCHIE — Le pourvoi est à l’encontre d’un arrêt de la majorité de la Division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta qui a confirmé, M. le juge Sinclair étant dissident, la déclaration de culpabilité qui a été prononcée contre l’appelant en première instance pour possession de stupéfiants aux fins d’en faire le trafic, contrairement au par. (2) de l’art. 4 de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970 c. N-1. Il semble qu’aucune minute d’ordonnance, renfermant la conclusion tirée par la majorité de la Division d’appel ou énumérant les motifs de la dissidence de M. le juge Sinclair, n’ai été rédigée, mais il est clair que le pourvoi est formé en vertu du par. (1) de l’art. 618 du Code criminel, soit, sur le motif que la dissidence portait sur une question de droit.

De façon générale, l’opinion dissidente de M. le juge Sinclair me semble limitée à la proposition que, lorsqu’un juge de première instance a ordonné l’exclusion de tous les témoins et que

[Page 567]

plus tard certains témoins qui sont demeurés dans la salle d’audience et ont entendu la preuve qu’on leur demande de contredire sont appelés à témoigner, le juge de première instance doit, comme question de droit, se prescrire oralement à lui-même, à l’égard du témoignage de chacun de ces témoins, qu’il devra évaluer le poids de ce témoignage à la lumière du fait que le témoin est demeuré dans la salle d’audience contrairement à l’ordre donné. En raison du fondement étroit sur lequel M. le juge Sinclair a basé ses motifs de jugement, je ne considère pas nécessaire de traiter des faits que le savant juge de première instance a considérés comme constituant la preuve de l’infraction imputée.

Au début du procès devant M. le juge Bowen, l’avocat de l’appelant a demandé l’exclusion des témoins et le savant juge de première instance a ordonné ce qui suit:

[TRADUCTION] Tous les témoins qui sont dans cette salle d’audience et qui doivent témoigner en cette cause doivent se retirer et demeurer à l’extérieur jusqu’à ce qu’ils soient appelés. Et ils ne doivent communiquer avec aucun de ceux qui, après avoir témoigné, sortent de la salle.

Pendant que le ministère public faisait entendre ses témoins, on a signalé au tribunal à un certain moment qu’un constable nommé Meggison, dont le nom apparaissait comme témoin sur l’acte d’accusation, était demeuré dans la salle d’audience; il fut dûment exclu. Plus tard, cependant, le constable Meggison fut appelé à témoigner, à seule fin de faire la preuve de la signification à l’appelant du certificat d’analyse des stupéfiants qui avaient été saisis. Aucune objection n’a été soulevée au moment où il a témoigné, mais l’avocat de l’appelant l’a contre‑interrogé sur les faits de son témoignage. M. le juge Sinclair n’en veut pas expressément au fait que Meggison ait été appelé à témoigner de la façon dont il l’a été, mais il est bien apparent que le fait que ce dernier ait été appelé après l’ordre d’exclusion est considéré au moins avec suspicion par l’avocat de l’appelant.

Après que la défense eut à son tour fait entendre ses témoins, trois témoins ont été appelés en contre-preuve. Le premier a été le

[Page 568]

caporal Murray, qui avait témoigné à charge lorsque le ministère public avait fait entendre ses témoins; au sujet de ce témoin M. le juge Sinclair dit ceci:

[TRADUCTION] Le dossier n’est pas clair à ce sujet, mais il semble probable qu’il est demeuré dans la salle d’audience après s’être retiré de la barre, et qu’il a été présent pendant que l’appelant et Fallis ont témoigné. Aucune objection, cependant, n’a été soulevée par l’avocat de l’appelant.

Le témoin suivant du ministère public en contre-preuve a été le détective Porfon, qui était mentionné dans l’acte d’accusation et qui n’avait pas été interrogé antérieurement par l’une ou l’autre des parties. L’avocat de l’appelant fit immédiatement objection et le dialogue suivant s’ensuivit:

[TRADUCTION] M. SADOWNIK: (pour l’appelant) Quel droit avait-il d’être présent lorsque Fallis a témoigné? C’était là une des conditions que les témoins soient exclus, comme j’ai compris… .

M. MOUSSEAU: (pour le ministère public) Avec votre permission, votre Seigneurie, il n’a pas été convoqué comme témoin en cette cause. Il est maintenant appelé comme témoin en contre-preuve.

M. SADOWNIK: Un témoin est un témoin. Je ne réussis pas à voir la distinction.

LE TRIBUNAL: Je crois qu’il y a véritablement une distinction quant à la capacité d’utiliser une contre-preuve comme il faut, M. Sadownik. Je vais lui permettre de procéder.

Le ministère public a ensuite appelé le sergent d’état-major Fitzpatrick dont le nom apparaissait à l’acte d’accusation mais qui n’avait pas été interrogé antérieurement, bien qu’il ait été présent durant une partie du témoignage de l’appelant ainsi que durant le témoignage du compagnon de l’appelant, M. Fallis. L’avocat de l’accusé a encore une fois fait objection et le tribunal a statué comme suit:

[TRADUCTION] LE TRIBUNAL: Je crois, Monsieur, que ce témoin sera entendu. La question du poids de son témoignage sera certainement prise en considération par ce tribunal.

La ratio decidendi de l’opinion dissidente est, à mon avis, très bien résumée dans l’alinéa

[Page 569]

suivant les motifs de jugement de M. le juge Sinclair:

[TRADUCTION] Comme je l’ai mentionné, selon moi aucun des témoins du ministère public appelés à témoigner en contre-preuve n’aurait dû être présent durant la preuve de la défense. Le fait qu’ils étaient présents influence sans aucun doute le poids à attribuer à leurs témoignages. C’est seulement à l’égard du témoignage donné en contre-preuve par le sergent-détective Fitzpatrick que le savant juge de première instance a déclaré qu’il prendrait en considération le poids à lui attribuer. Cependant nulle part ne s’est-il donné de directives quant à la valeur à attribuer aux témoignages donnés en contre-preuve par le caporal Murray et le détective Porfon, gardant à l’esprit que leurs dépositions ont pu être influencées par le fait qu’ils étaient présents lorsque les témoignages mêmes qu’ils étaient appelés à contredire ont été entendus. A mon avis, dans les circonstances de l’espèce, il s’agissait là d’une décision erronée sur une question de droit, et le jugement doit être infirmé à moins que cette Division ne soit d’avis qu’il n’y a eu aucun tort important ou erreur judiciaire grave.

En conséquence M. le juge Sinclair aurait ordonné qu’un verdict d’acquittement soit consigné.

Dans le cours de ses motifs de jugement, le savant juge dissident a étudié un certain nombre d’arrêts et semble avoir donné une approbation au moins tacite aux remarques du Lord juge Edmund Davies dans l’arrêt Moore v. Lambeth County Court Registrar[2], où celui-ci déclare à la page 142:

[TRADUCTION] Aucune règle de droit n’exige que dans un procès les témoins appelés par une des parties doivent demeurer tous hors de la salle d’audience jusqu’à ce qu’arrive leur tour de témoigner. Ceci est une question laissée entièrement à la discrétion du tribunal. En vérité, lorsque le tribunal ordonne l’exclusion des témoins et que malgré cela un témoin demeure à l’intérieur, il n’a pas le droit de refuser d’entendre le témoignage de ce témoin, même s’il peut très bien exprimer son profond mécontentement à l’égard d’une telle désobéissance.

Cette situation juridique a existé en Angleterre depuis les temps les plus lointains et on peut commodément se référer à l’arrêt Cook v.

[Page 570]

Nethercotte[3], un jugement du baron Alderson, ainsi qu’à l’arrêt Thomas v. David[4], un jugement de M. le juge Coleridge prononcé lorsqu’il présidait les assises en mars 1836. Dans le premier arrêt, le sommaire se lit comme suit:

[TRADUCTION] Qu’un témoin soit demeuré dans la salle d’audience après que l’exclusion de tous les témoins eut été ordonnée, n’est pas un motif de rejeter son témoignage. Il n’y a là que matière à des commentaires sur son témoignage.

alors que dans le second arrêt le juge Coleridge énonce la règle suivante:

[TRADUCTION] La règle à laquelle vous renvoyez en Court de l’Échiquier est restreinte aux affaires d’impôt. Dans les autres affaires, la règle y est la même que devant les autres tribunaux, à savoir que le rejet du témoignage est laissé entièrement à la discrétion du juge; et cela étant je pense que dans les circonstances particulières de l’espèce présente j’exercerai une discrétion judicieuse en rejetant le témoignage.

Le sens de l’énoncé du juge Coleridge apparaît encore plus clairement dans le sommaire de cet arrêt-là:

[TRADUCTION] Si un témoin entre dans la salle d’audience et entend une partie de la preuve après que les témoins ont été exclus de la salle, le juge a entière discrétion quant à savoir si ce témoin sera entendu ou non; et ceci s’applique en Cour de l’Échiquier aussi bien que dans les autres cours, la seule différence étant que dans cette cour-là une règle stricte régit les affaires d’impôt; le témoin n’est pas entendu.

Comme le savant juge de première instance l’a fait observer, M. le juge Erskine, dans l’arrêt Chandler v. Horne[5], a fait le commentaire suivant sur la manière d’agir envers les témoins qui sont demeurés dans la salle d’audience après un ordre d’exclusion:

[TRADUCTION] On pensait autrefois que le juge avait discrétion pour décider si le témoin serait entendu ou non. C’est une règle maintenant établie et suivie par tous que le juge n’a pas le droit de ne pas entendre le témoin; il peut le condamner pour outrage au tribunal mais il doit l’entendre; et c’est ensuite affaire de commentaire sur la valeur de son témoignage qu’il ait désobéi volontairement à l’ordre d’exclusion.

[Page 571]

M. le juge Sinclair renvoie aussi aux arrêts anglais plus récents de R. v. Briggs[6], et R. v. Thompson[7] où la règle bien établie est formulée de nouveau, et il a aussi eu l’occasion de mentionner l’arrêt canadien de Black v. Besse[8], où le juge Proudfoot dit, à la p. 523:

[TRADUCTION] …Je crois que la pratique veut que le témoignage d’un tel témoin doive être reçu, bien qu’avec grande prudence.

L’arrêt canadien de R. v. Carefoot[9] a aussi fait l’objet de commentaires de la part du savant juge dissident. Dans cette affaire-là, le magistrat présidant le procès avait refusé d’entendre un témoin du ministère public qui était demeuré dans la salle d’audience après un ordre d’exclusion. Lors de l’appel par voie d’exposé de la cause, le juge LeBel, en ordonnant un nouveau procès, a déclaré, page 335:

[TRADUCTION] Lorsque l’exclusion des témoins a été ordonnée, l’une des parties, et parfois les deux, ne savent pas tout ce qu’un témoin pourra dire au cours de son témoignage, et s’il devient nécessaire, de façon imprévue, de faire témoigner en contre‑preuve quelqu’un qui est présent dans la salle d’audience cette personne ne peut pas être considérée comme visée par l’ordre d’exclusion. De plus, si des témoins demeurent dans la salle d’audience après qu’un ordre a été rendu en vue de leur exclusion, un tribunal n’a pas le droit de refuser qu’ils témoignent, si dommageable que puisse être leur désobéissance pour la valeur de leurs témoignages, et si passibles soient-ils de poursuites pour outrage…

Je crois que lorsque M. le juge LeBel mentionne la nécessité imprévue de faire entendre en contre-preuve une personne qui est présente dans la salle d’audience, on doit considérer qu’il fait allusion à un témoin que le ministère public n’avait pas l’intention de faire témoigner, et je crois que ses remarques sont particulièrement judicieuses dans le cas qu’il avait devant lui, où il apparaît qu’il existait quelque doute à savoir si le témoin était présent dans la salle d’audience lorsque l’exclusion des témoins avait été ordonnée.

[Page 572]

M. le juge Sinclair, tout en donnant son approbation à la pratique suivie dans les causes criminelles en Alberta lorsqu’un juge de première instance ordonne que les témoins soient exclus de la salle d’audience, inclut la règle suivante:

[TRADUCTION] Si, néanmoins, un témoin reste dans la salle d’audience:

a) il n’est pas nécessairement inhabile à témoigner, bien qu’en certaines circonstances le juge de première instance puisse exclure son témoignage.

b) le poids, si poids il y a, à accorder à son témoignage est une question qui doit être décidée par le jury ou, dans les procès sans jury, par le juge.

Dans l’espèce présente, le savant juge de première instance s’est lui-même réservé la question du poids à accorder au témoignage du dernier témoin du ministère public, Fitzpatrick, et il me semble que la dissidence de M. le juge Sinclair repose sur la prétention qu’une réserve similaire aurait dû être énoncée de façon expresse à l’égard des témoignages du caporal Murray et du détective Porfon. A mon avis, cependant, le fait pour M. le juge Bowen de ne pas dire oralement qu’il se réserverait la question du poids à accorder aux témoignages de ces deux derniers témoins, ne peut pas être interprété comme signifiant qu’il ne voyait pas leurs témoignages du même œil que celui de Fitzpatrick et ainsi ne se conformait pas à la règle que M. le juge Sinclair lui-même reconnaît. Je suis en fait d’avis que dans les circonstances présentes, où le savant juge de première instance a expressément indiqué sa connaissance de la règle dans le cas de Fitzpatrick, on doit présumer qu’il s’est laissé guider par les mêmes considérations en appréciant le témoignage des autres témoins qui sont demeurés dans la salle d’audience malgré l’ordonnance les excluant.

A la lumière de ce qui précède, il n’y a en l’espèce, à mon avis, ni tort important ni erreur judiciaire grave.

Pour tous ces motifs, je suis d’avis de rejeter ce pourvoi.

Pourvoi rejeté, le JUGE EN CHEF LASKIN et le JUGE SPENCE étant dissidents.

[Page 573]

Procureurs de l’appelant: Archibald, Edwards, Wallbridge, Wheatley & Sadownik, Edmonton.

Procureur de l’intimée: D.S. Thorson, Ottawa.

[1] [1973] 6 W.W.R. 539, 13 C.C.C. (2d) 513.

[2] [1969] 1 W.L.R. 141.

[3] (1835), 6 Car. & P. 741, 172 E.R. 1443.

[4] (1836), 7 Car. & P. 350, 173 E.R. 156.

[5] (1842), 2 M. & Rob. 423, 174 E.R. 338.

[6] (1930), 22 Cr. App. R. 68.

[7] [1967] Crim. L.R. 62.

[8] (1887), 12 O.R. 522.

[9] (1948), 90 C.C.C. 331.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Dobberthien
Proposition de citation de la décision: R. c. Dobberthien, [1975] 2 R.C.S. 560 (1 octobre 1974)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1974-10-01;.1975..2.r.c.s..560 ?
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