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07/05/1973 | CANADA | N°[1974]_R.C.S._354

Canada | Hanson c. Ville de Saint-Jean, [1974] R.C.S. 354 (7 mai 1973)


Cour suprême du Canada

Hanson c. Ville de Saint-Jean, [1974] R.C.S. 354

Date: 1973-05-07

John R. Hanson et al. (Demandeurs) Appelants;

et

La Ville de Saint-Jean et the Saint John Horticultural Association (Défenderesses) Intimées.

1972: les 24 et 25 octobre; 1973: le 7 mai.

Présents: Les Juges Judson, Ritchie, Spence, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DU NOUVEAU-BRUNSWICK

Cour suprême du Canada

Hanson c. Ville de Saint-Jean, [1974] R.C.S. 354

Date: 1973-05-07

John R. Hanson et al. (Demandeurs) Appelants;

et

La Ville de Saint-Jean et the Saint John Horticultural Association (Défenderesses) Intimées.

1972: les 24 et 25 octobre; 1973: le 7 mai.

Présents: Les Juges Judson, Ritchie, Spence, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DU NOUVEAU-BRUNSWICK


Synthèse
Référence neutre : [1974] R.C.S. 354 ?
Date de la décision : 07/05/1973
Sens de l'arrêt : (Les Juges Judson et Ritchie sont dissidents à l’égard de l’accueil du pourvoi contre la Ville et les Juges Spence et Laskin sont dissidents à l’égard du

Analyses

Négligence - Responsabilité d’occupant - Licensees - Glissoire de traînes sauvages dans un parc dont l’association d’horticulture est propriétaire - Améliorations apportées à la glissoire par la Ville - Dénivellation soudaine au pied de la glissoire - Traînes sauvages atterrissant sur la surface glacée du lac - Blessures subies par les demandeurs - Ville responsable de l’état dangereux de la glissoire - Association non responsable - Adjudication des dépens (Bullock order).

Les demandeurs, qui glissaient en traîne sauvage, ont subi des blessures dans des accidents survenus au pied d’une glissoire, dans un parc dont l’association d’horticulture défenderesse est propriétaire. Les demandeurs soutiennent que les accidents sont dus au fait qu’à l’époque où ils se sont produits, les conditions au pied de la glissoire étaient telles qu’il y avait une dénivellation de trois ou quatre pieds du bout de la glissoire à la surface glacée du lac et que c’est parce que leurs traînes sauvages furent projetées à grande vitesse du bout de la glissoire sur la surface glacée du lac qu’ils ont subi les blessures dont ils se plaignent. A la suite d’une demande d’améliorations faite par l’association, des préposés du service des travaux publics de la Ville, co-défenderesse, avaient dégagé et élargi la glissoire sous les ordres de l’ingénieur municipal quelque temps avant que les accidents ne se produisent.

Le juge de première instance a rejeté les réclamations en dommages-intérêts des demandeurs contre la Ville mais il y a fait droit contre l’association. La Cour d’appel a accueilli l’appel de l’association et rejeté l’appel des demandeurs. D’où le pourvoi des demandeurs devant cette Cour.

Arrêt: (Les Juges Judson et Ritchie sont dissidents à l’égard de l’accueil du pourvoi contre la Ville et les Juges Spence et Laskin sont dissidents à l’égard du

[Page 355]

rejet du pourvoi contre l’association): Le pourvoi doit être accueilli contre la Ville et rejeté contre l’association et il doit être permis aux appelants d’ajouter tous les dépens dus par eux à l’association à ceux qui sont payables par la Ville.

Le Juge Pigeon: A la vitesse à prévoir sur cette glissoire, la modification subite de la pente au bas du lac constituait un grave danger. C’est un danger que, de son propre aveu, l’ingénieur responsable des améliorations a pleinement apprécié. Par malheur, il s’est lourdement trompé dans ses calculs lorsqu’il a spécifié une pente de 3 à 1 et cette erreur de calcul constitue une négligence dont la Ville doit répondre. Pour libérer la Ville de toute responsabilité les Cours d’instance inférieure ont manqué d’apprécier les conséquences juridiques de faits prouvés hors de tout doute.

Quant à l’association, la preuve établit clairement que ses dirigeants responsables n’ont réellement eu connaissance du danger qu’après les accidents. Elle n’a donc pas manqué à ses obligations envers les demandeurs à titre de licensees. Les améliorations effectuées par la Ville le furent sous surveillance d’expert et elle pouvait s’y fier sans autre vérification.

Les Juges Judson et Ritchie, dissidents en partie: Le juge de première instance a conclu qu’aucune responsabilité n’est imputable à la Ville et tous les membres de la Cour d’appel ont souscrit à cet avis. Il n’y a pas de circonstances exceptionnelles qui permettraient de s’écarter de la pratique ordinaire de cette Cour de ne pas modifier des conclusions concordantes sur les faits tirées en première instance et en appel.

Quant à la réclamation contre l’association, le devoir d’un occupant de mettre un licensee en garde contre tout danger caché qu’il connaît, ne s’applique pas ici. Il n’y a aucun élément de preuve pour étayer une conclusion que l’association connaissait l’existence d’un danger caché à l’extrémité de la glissoire et la preuve n’étaye pas non plus la conclusion que la connaissance qu’elle avait était de nature à porter un homme raisonnable à conclure qu’un tel danger existait.

Les Juges Spence et Laskin, dissidents en partie: Les conditions dangereuses (i.e. le fait que la pente, sur une largeur de 40 pieds environ du côté droit, se terminait par un raidillon haut de trois ou quatre pieds et allant jusqu’au lac) sont uniquement l’œuvre des préposés de la Ville qui ont élargi la pente mais omis d’en élargir en bas l’arrivée donnant sur la surface

[Page 356]

glacée du lac. La Ville est responsable envers les différents demandeurs parce qu’elle a assumé la tâche d’améliorer la glissoire de traînes sauvages et ne l’a pas menée à bonne fin, créant, par suite de l’exécution négligente de sa tâche, un risque très dangereux. Le moyen de défense fondé sur l’acceptation du risque n’a pas été établi et les demandeurs ne sont pas coupables de négligence contributive.

La responsabilité de l’association dépend uniquement de sa position d’occupante. Si le surintendant de l’association n’a pas remarqué le raidillon du haut duquel les demandeurs sont tombés à l’époque où ils ont été blessés, alors il était absolument insouciant de ce qui se passait sous ses yeux, et l’extension de la responsabilité de l’occupant aux dangers que le licensor connaît réellement, ou qu’il aurait dû connaître parce qu’il était au courant des circonstances, s’applique au surintendant et à son employeur.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick[1], accueillant l’appel de l’association défenderesse et rejetant l’appel des demandeurs d’un jugement du Juge Pichette, qui avait accordé aux demandeurs, contre l’association, des dommages-intérêts pour leurs blessures personnelles, et les avait déboutés de leurs actions contre la Ville défenderesse. Pourvoi accueilli contre la Ville, les Juges Judson et Ritchie sont dissidents.

John Turnbull et Barry Roderick, pour les demandeurs, appelants.

J. Turney Jones, c.r., pour la défenderesse, intimée, Saint John Horticultural Association.

Thomas B. Drummie, c.r., pour la défenderesse, intimée, la Ville de Saint-Jean.

Le jugement des Juges Judson et Ritchie a été rendu par

LE JUGE RITCHIE (dissident en partie) — Il s’agit d’un pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick accueillant l’appel de l’intimée, la Saint John Horticultural Association, d’un jugement rendu contre elle en première instance, et rejetant l’appel interjeté par les présents appelants de la déci-

[Page 357]

sion du même juge de première instance qui les avait déboutés de leurs actions contre la Ville de Saint-Jean.

Ces appels furent initialement interjetés du jugement de la Cour d’appel dans quatre actions en dommages-intérêts réunies pour les fins du procès et qui avaient été intentées contre la Ville de Saint-Jean (ci-après appelée la Ville) et la Saint John Horticultural Association (ci‑après appelée l’Association) pour des blessures corporelles subies par quatre des appelants dans des accidents survenus les 21 et 22 janvier 1967 au pied d’une glissoire de traînes sauvages, dans un parc dont l’Association est propriétaire.

Permission d’appeler à cette Cour fut accordée par ordonnance de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick le 10 mars 1971, mais Mary Shamburger s’est désistée de ses appels contre l’Association et contre la Ville par des avis de désistement signifiés respectivement les 18 et 27 août 1971, et bien que son nom figure dans l’intitulé de la cause, elle n’est plus partie au présent pourvoi.

On a jugé que les accidents se sont produits à un moment où la glissoire de traînes sauvages en question était en grande partie recouverte de glace, au point que des enfants y patinaient. Cet état de la glissoire était dû au temps exceptionnel qu’il faisait lorsque les accidents ont eu lieu, et un peu auparavant, et a eu indubitablement comme conséquence de rendre la glissoire plus dangereuse qu’elle l’eût été par ailleurs, du fait qu’il augmentait grandement la difficulté de conduire une traîne sauvage ou de la diriger une fois qu’elle était engagée dans la descente, et provoquait aussi une accélération marquée des traînes sauvages dans la pente; et c’était particulièrement le cas pour ceux qui commençaient à glisser à partir du haut de la côte.

Il ne peut y avoir de doute que l’Association était la propriétaire et l’occupante du parc dans lequel se trouvait la glissoire et j’adopte l’avis unanime des cours d’instance inférieure que les appelants et les autres citoyens utilisant la glis-

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soire étaient dans la situation de Licensees qua l’Association.

La Ville a été jointe à la demande pour le motif que des préposés du département des travaux publics de la Ville avaient été engagés pour dégager et élargir l’emplacement de la glissoire pendant les mois d’été de 1965 et 1966, et qu’en effectuant ce travail et répandant du gravier pour combler une dénivellation de quelque 3 ou 4 pieds au bas de la glissoire près du bord d’un petit lac, ils avaient fait preuve de négligence dans leur travail, créant ainsi les conditions dans lesquelles ces accidents se sont produits. Je crois que le rôle joué à cet égard par les préposés de la Ville est décrit à fond et avec précision par M. Le Juge Hughes dans ses motifs de jugement en Cour d’appel, lorsqu’il dit:

[TRADUCTION] La glissoire des traînes sauvages où les accidents se sont produits mesure environ 465 pieds de long et elle s’arrête sur le bord du lac Lily. Un chemin pavé qui suit le bord du lac à une distance d’environ 15 pieds traverse la glissoire. Entre le haut de la glissoire et le chemin pavé, il y a une dénivellation de 66.7 pieds, et de ce point au lac, soit sur une distance de 16 pieds, il y a une autre dénivellation d’à peu près 3.8 pieds, comme le montre un profil produit comme pièce P.2. Entre les rangées d’arbres bordant les côtés de la glissoire, les 200 pieds supérieurs ont une largeur moyenne d’à peu près 50 pieds tandis que les 250 pieds vers le bas s’élargissent graduellement aux abords du lac jusqu’à 95 pieds environ. Des coupes transversales de la glissoire dans la pièce P.1 font voir que dans la moitié inférieure de la glissoire et en descendant la côte il y a une dépression ou un couloir vers lequel les traînes sauvages descendant la glissoire tendent à graviter.

De 1934, lorsque les arbres furent abattus dans la côte pour faire la glissoire, jusqu’à 1965, aucun travail n’y a été fait, si ce n’est l’enlèvement de pierres détachées qui affleuraient de temps à autre. Pendant cette période, la glissoire fut ouverte au public qui pouvait y faire de la traîne sauvage ou du traîneau et qui l’a utilisée chaque hiver gratuitement, l’Association n’y exerçant pas de surveillance. En 1965, l’Association a demandé à la Ville, avec qui elle était fréquemment en contact dans ses efforts pour fournir au public des lieux de récréation, d’enlever deux grosses roches qui dépassaient le sol d’à peu près 3.5 pieds de chaque côté de la glissoire, à 135 pieds

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environ en remontant la côte à partir du lac, et d’abattre des arbres qui avaient poussé jusqu’à une hauteur de 6 à 12 pieds, afin de protéger les glisseurs contre des collisions avec ces obstacles. Le travail fut exécuté par des équipes d’employés municipaux sous la direction de M. Albert E. Hanson, le commissaire responsable des travaux publics de la Ville. M. Hanson a déposé qu’au cours des travaux, il a remarqué ce qu’il a appelé un changement abrupt dans l’inclinaison de la pente entre le chemin pavé et le lac et a donné instructions à M. T.A. Scribner, le surintendant du service des eaux de la Ville, de remplir de gravier cette partie de la glissoire afin d’adoucir la pente. Scribner a déposé qu’il y a fait déverser de 8 à 10 chargements de gravier et qu’une fois le travail terminé on avait une pente douce depuis le chemin pavé jusqu’aux eaux du lac. Pendant la saison 1965-1966, des équipes de déneigement de la Ville ont déblayé la glissoire à quelques reprises et le public l’a utilisée sans accident.

Scribner dit qu’à l’automne de 1966 il a fait déverser environ cinq verges de terre végétale sur la glissoire entre le chemin pavé et le lac, sur une largeur qu’il a évaluée à 40 ou 50 pieds, et qu’il a également fait étendre de la matière de remplissage dans une dépression en haut du chemin. Selon William Ross, le surintendant du parc pour le compte de l’Association, ces travaux ont été exécutés par la Ville sans qu’il en ait fait la demande. Scribner a déposé en outre qu’il considérait la glissoire sûre lorsque ces travaux ont été terminés.

Les appelants ont soutenu que les accidents sont dus au fait qu’à l’époque où ils se sont produits, les conditions au pied de la glissoire étaient telles qu’il y avait une dénivellation de 3 ou 4 pieds du bout de la glissoire à la surface glacée du lac et que c’est parce que les traînes sauvages des appelants furent projetées à grande vitesse du bout de la glissoire sur la surface glacée du lac qu’ils ont subi les blessures dont ils se plaignent.

Comme je l’ai indiqué, l’action contre la Ville est fondée sur la négligence de ses salariés qui ont élargi la glissoire et rempli une cavité près du lac et, à cet égard, nous avons des conclusions concordantes des deux cours d’instance inférieure que semblable négligence n’a pas été prouvée. A ce sujet, le savant juge de première instance a conclu que la Ville ne peut pas être

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considérée comme une occupante des terrains où se trouvait la glissoire, et aussi, que les travaux exécutés par les équipes municipales dans la côte avaient amélioré la glissoire, et que, bien que ces travaux l’aient rendue plus rapide, on ne saurait dire qu’ils ont été la cause des accidents. Il a conclu que la dénivellation du bout de la glissoire au lac, qu’il a décrite comme [TRADUCTION] «un cahot ou un creux», provenait du temps inhabituel qui prévalait à l’époque. A mon avis, M. le juge d’appel Limerick a bien exposé la question dans ses motifs de jugement en Cour d’appel, lorsqu’il a dit (à la p. 688):

[TRADUCTION] Il n’y a dans ces affaires aucune preuve de négligence de la part de la Ville et, comme celle-ci n’était pas l’occupante de la glissoire de traînes sauvages, la Ville n’a aucune responsabilité envers les demandeurs.

La preuve semble indiquer que les blessures de tous les demandeurs sont dues à la grande rapidité du parcours attribuable à des changements subits du temps le 21 janvier, à la grande vitesse qu’atteignaient les traînes sauvages lorsque les descentes commençaient tout en haut de la glissoire ou presque, et soit à un creux dans le profil du sol juste au bas de la pente soit à un raidillon allant au bord du lac, aussi bien qu’au fait que tous les demandeurs blessés étaient assis sur la traîne sauvage au lieu d’être agenouillés dans la position plus sécuritaire, exposant ainsi l’extrémité de leur épine dorsale à un choc non amorti.

Certains furent blessés en descendant la voie battue à gauche, de même qu’au milieu de la pente. Personne n’a été blessé en glissant à partir du milieu de la pente. Tous ceux qui ont subi des blessures avaient commencé à glisser du sommet de la côte ou presque; vu la grande vitesse qu’ils avaient atteinte, ils ont plané dans les airs soit à cause d’une déclivité ou d’un creux, avant d’atteindre le bord du lac, soit à cause du raidillon de la berge du lac, et ont été blessés.

Le juge de première instance a conclu qu’aucune responsabilité n’est imputable à la Ville et il a raison.

Tous les membres de la Cour d’appel ont exprimé des vues identiques et M. le Juge Bugold est allé jusqu’à dire que:

[TRADUCTION] Ont été introduits dans les présentes causes des éléments de preuve qui établissent à ma

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satisfaction que tous les travaux exécutés par les préposés de la Ville de Saint-Jean ont amélioré la glissoire plutôt que causé une situation dangereuse.

Dans la mesure où les actions intentéees à la Ville sont concernées, je ne trouve pas de circonstances exceptionnelles qui permettraient que je m’écarte de la pratique ordinaire de cette Cour de ne pas modifier des conclusions concordantes sur les faits tirées en première instance et en appel. Je rejetterais donc avec dépens le pourvoi contre la Ville.

La demande intentée contre l’Association a un fondement quelque peu différent car, comme le premier juge et la Cour d’appel, je pense qu’on doit reconnaître que l’Association était occupante du terrain où se trouvait la glissoire, et qu’on doit considérer qu’elle a permis au public d’utiliser celle-ci gratuitement pendant les mois d’hiver. Je suis donc d’avis, comme l’ont été le premier juge et la Cour d’appel, que le fait que l’Association savait que le public utilisait sa propriété et qu’elle y consentait a donné naissance à la même obligation envers les usagers que celle qu’un occupant doit à un licensee en droit.

Le savant juge de première instance s’est conformé à la maxime énoncée par le Lord chancelier Hailsham dans l’affaire Robert Addie & Sons (Collieries), Ltd. v. Dumbreck[2], pour décider que:

[TRADUCTION] L’essentiel des décisions…, c’est que l’occupant n’a pas l’obligation de s’assurer que les lieux sont sûrs, mais qu’il est tenu de ne pas créer de piège ou permettre qu’existe dans lesdits lieux un danger caché qui n’est pas apparent pour le visiteur mais qui est connu — ou devrait être connu — de l’occupant.

Il n’y a pas de doute qu’en cette affaire-là, Lord Hailsham a élargi l’obligation qu’a un occupant envers un licensee de façon à y englober non seulement les dangers que l’occupant connaît mais aussi ceux qu’il aurait dû connaître, mais dans l’affaire Addie le demandeur était un intrus et les observations de Lord Hailsham ont en général été considérées comme un obiter dictum et n’ont pas été suivies dans notre pays. Le

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point de vue généralement accepté maintenant est bien exprimé par le Juge Greer dans l’arrêt Ellis v. Fulham Borough Council[3], où il a dit, à la p. 221:

[TRADUCTION] Lorsqu’il a rendu jugement dans l’affaire Addie v. Dumbreck, [1929] A.C. 358, 364, le Lord chancelier Hailsham a directement posé comme principe que dans les affaires de ce genre il n’y a que trois catégories où classer les personnes visitant des lieux appartenant à un autre. Malheureusement, suivant ce qui a été, je crois, un lapsus, il a, dans son jugement, énoncé la règle qui s’applique entre licensor et licensee comme étant en fait la même que celle qui s’applique entre invitant et invité. Je ne crois pas que les autres membres de la Chambre aient souscrit à cette partie de l’allocution du Lord chancelier. Je traite donc son allocution comme si les mots «ou devrait être connu» en étaient retranchés, parce que ce serait conforme aux arrêts et ouvrages relativement aux affaires de licensor et licensee.

En cette Cour dans l’affaire Booth c. St. Catharines[4], portant sur un accident survenu dans un parc dans la Ville de St. Catharines était la propriétaire et l’occupante, M. le Juge en chef Rinfret, avec qui M. le Juge Kerwin était d’accord, a dit, aux pp. 568 et 569:

[TRADUCTION] Évitant tout point controversé, je dirais qu’un occupant est tenu de mettre un licensee en garde contre tout danger caché que connaît l’occupant ou, comme le dit Lord Greene, Maître des Rôles, dans Baker v. Borough of Bethnal Green, [1945] 1 All E.R. 135, à la p. 140:

[TRADUCTION] «Un licensee doit prendre les lieux dans l’état où il les trouve, sous réserve de la restriction importante que voici: si le licensor connaît un danger qui n’est pas apparent, ou qui ne serait pas normalement apparent pour le licensee, il a l’obligation de prendre des mesures pour protéger le licensee de ce danger.»

Comme M. le Juge Hughes l’a fait observer dans ses motifs en Cour d’appel, à la p. 696:

[TRADUCTION] La principale difficulté qu’offre l’application de la règle portant sur la responsabilité d’un occupant à l’égard de licensees est la question de savoir ce qui constitue la connaissance d’un danger caché lorsque l’occupant nie semblable connaissance.

[Page 363]

Il a été décidé qu’en l’absence de preuve directe de la connaissance, la preuve que l’occupant avait la connaissance de faits dont il aurait dû, en homme raisonnable, déduire qu’il existait un danger caché, suffit;…

Cette question a été traitée dans l’affaire Hawkins v. Coulsdon and Purley Urban District Council[5], dans laquelle M. le Juge d’appel Pearson a déclaré, à la p. 893:

[TRADUCTION] Le licensor n’est pas responsable si, faute d’inspection suffisante des lieux, il n’a pas constaté l’existence de conditions matérielles qui constituent le danger. Mais si le licensor connaît les conditions matérielles qui constituent le danger, et si un homme raisonnable en possession de cette connaissance peut se rendre compte du risque impliqué, le licensor n’est pas excusé par sa propre omission de se rendre compte du risque impliqué.

Dans la Court of Appeal, le Juge Denning a, dans la même affaire[6], énoncé la question en ces termes:

[TRADUCTION] Il me paraît que la signification réelle d’un acte de commission est que l’occupant doit avoir une connaissance effective de l’état de choses qu’il a créé. Si l’on applique cette particularité importante à un acte d’omission, on voit que la responsabilité dépend de la question de savoir si l’occupant a une connaissance effective de l’état de choses qui existe sur le bien-fonds, peu importe que cet état de choses ait été créé par lui ou par un autre. Une fois en possession de cette connaissance, s’il sait que cet état constitue un danger, ou s’il devrait le savoir, il a l’obligation de prendre des précautions raisonnables pour empêcher qu’un dommage résulte de ce danger.

Je ne crois pas que l’Association avait l’obligation de faire des inspections répétées de l’emplacement de la glissoire, Le fait que pas un accident grave se soit produit en 33 ans à cet endroit jusqu’au 21 janvier 1967, joint à l’état extraordinairement glacé de la pente lors des accidents et considéré avec le fait que les travaux exécutés à l’automne par les préposés de la Ville avaient amélioré la glissoire, explique que l’Association n’ait pu connaître le danger possible créé par la dénivellation qu’il y avait entre la fin de la glissoire et la surface glacée du

[Page 364]

lac; en fait, le surintendant du parc a déposé qu’il n’avait pas connu ce danger et que, d’après son expérience, il n’avait vu aucune raison de s’alarmer.

Je suis donc d’avis qu’aucun élément de preuve n’étaye une conclusion que l’Association connaissait l’existence d’un danger caché à l’extrémité de la glissoire, et, selon moi, la preuve n’étaye pas non plus la conclusion que la connaissance qu’elle avait était de nature à porter un homme raisonnable à conclure qu’un tel danger caché existait.

La conclusion du savant juge de première instance quant à ce que savait l’Association se lit comme suit:

[TRADUCTION] L’Association n’a probablement pas su avant le début de la soirée du 21 janvier 1967 qu’un danger caché existait au bord de la pente, mais elle aurait certainement dû le savoir au moins après l’accident de Mme Watts…

Mais M. le Juge Hughes souligne dans son jugement en Cour d’appel, à la p. 696, que la réponse du surintendant du parc, selon laquelle il avait inspecté la glissoire de traînes sauvages après l’accident du 21 janvier, était inexacte, et qu’elle fut corrigée plus tard après le prononcé du jugement du savant juge de première instance, lorsque les parties ont convenu que la réponse en question devait se lire: [TRADUCTION] «Je l’ai inspectée le dimanche soir après les accidents». M. le Juge Hughes fait remarquer qu’il est donc probable que le savant juge de première instance s’est appuyé sur cette réponse inexacte pour conclure que Ross connaissait le danger caché avant l’accident du 22 janvier.

Comme je l’ai déjà indiqué, le savant juge de première instance a commis une erreur en considérant le critère de la responsabilité d’un occupant pour dangers cachés comme s’étendant à des dangers cachés qu’il «aurait dû connaître».

Pour tous ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Tenant compte du fait que la conclusion à laquelle mon collègue le Juge Pigeon est arrivé

[Page 365]

en accueillant le pourvoi contre la Ville de Saint-Jean et rejetant le pourvoi contre la Saint John Horticultural Association est, dans l’ensemble, l’avis prépondérant, je suis d’accord avec lui qu’en cette affaire une adjudication spéciale de dépens semble tout indiquée comme dans l’affaire Bullock.

Le jugement des Juges Spence et Laskin a été rendu par

LE JUGE SPENCE (dissident en partie) — J’ai eu l’occasion de lire les motifs rédigés par M. le Juge Ritchie et je suis prêt à adopter l’exposé des faits qu’il y a inséré, sous réserve des éléments additionnels qu’exigera mon étude des questions en litige.

L’action a été intentée contre deux défenderesses, la Ville de Saint-Jean (N.-B.) et la Saint John Horticultural Association. L’action contre la Ville de Saint-Jean ne peut dépendre d’une imputation de responsabilité d’occupant. Nonobstant la plaidoirie en appel, je ne suis pas prêt à admettre que la Ville de Saint-Jean ait jamais occupé les lieux. D’autre part, le parc a été occupé tout au long par la Saint John Horticultural Association et la Ville de Saint-Jean n’a été mêlée à cette affaire que deux fois: en premier lieu, la Ville a accordé une subvention, annuelle semble-t-il, dans le but d’aider la Saint John Horticultural Association à fournir une installation pour l’usage des citoyens et, la seconde fois, la Ville de Saint-Jean a de temps à autre, à la demande de la Saint John Horticultural Association, fourni certains services dans le parc.

C’est en rapport avec le dernier acte posé par la Ville qu’il y a lieu d’examiner la question de savoir si elle est responsable en raison d’une pure négligence.

En 1965, la Saint John Horticultural Association, par l’entremise de ses dirigeants, a demandé à la Ville de Saint-Jean d’améliorer la glissoire de traînes sauvages que les citoyens utilisaient dans le parc depuis de nombreuses années. Albert Edward Hanson était à l’époque le commissaire responsable des travaux publics

[Page 366]

de la Ville de Saint-Jean. Au moment du procès, il était retraité, et il a témoigné sur assignation des demandeurs. Au nombre des blessés se trouvait sa belle-fille, Roslyn Ann Hanson. Une autre demanderesse, Mary Shamburger, est la sœur de Mme Hanson fils. Albert Edward Hanson a témoigné que, sur les instructions de M. Price, le gérant de la Ville défenderesse, il se rendit au parc pour se rendre compte des travaux à effectuer et constata qu’il y avait de grosses roches sur les deux côtés de la descente à environ 135 pieds du bord de l’eau et que des arbres croissaient sur les deux côtés. Il décida, alors que du haut de la montagne il regardait vers le bas, qu’il serait assez dangereux pour une personne qui s’écarte du centre de la piste de heurter ces roches ou ces arbres. M. Hanson père a donc décidé de faire enlever les pierres, abattre les arbres et essoucher. Son témoignage se poursuit:

[TRADUCTION] Et ce faisant, nous avons élargi toute la piste du lac au sommet, une distance d’environ 450 pieds. Et à notre avis à l’époque la glissoire était beaucoup plus sûre. Mais en observant le bord du lac, j’ai remarqué qu’il y avait un changement subit de l’inclinaison, ou une dénivellation abrupte, de trois ou quatre pieds jusqu’au bord de l’eau et, à l’époque, j’ai donné instructions au surintendant de déverser du gravier à cet endroit et d’adoucir la pente afin que quelqu’un descendant cette berme — après avoir traversé la route, il y avait une petite berme entre la côte et le lac; cela s’étalerait et ne ferait plus une dénivellation aussi raide, et plusieurs chargements de gravier furent déversés.

Q. Vous vous êtes servi du mot «berme»; qu’est-ce?

R. Cela désigne une partie du côté du lac qui forme un raidillon à partir de cette berme, qui tombait dans l’eau presque à angle droit.

Q. Quelle dénivellation, dîtes-vous, ce raidillon représentait-il?

R. Entre trois ou quatre pieds.

Q. Et sur quelle distance en travers de la côte s’étendait-il?

R. Eh bien, la route passait au pied de la côte et elle avait à peu près dix pieds de large, et je dirais que du bord de la route au haut de la déclivité, au point où celle-ci commençait sa

[Page 367]

dénivellation abrupte, il y avait quatre ou cinq pieds peut-être.

Q. Cette dénivellation abrupte que vous avez décrite serait de trois ou quatre pieds, n’est-ce pas?

R. C’est juste.

Q. Sur quelle distance le long de la base de cette berme, entre la route et le lac — sur quelle distance le long de la base de ça cette dénivellation s’étendait-elle?

R. Je dirais qu’elle s’étendait sur toute la largeur de la glissoire, environ 40 à 50 pieds après l’avoir dégagée et réparée; je crois qu’en ce moment, la glissoire doit avoir quelque 40 pieds de large, peut-être 50 à certains endroits; mais avant nos travaux, elle n’avait pas beaucoup plus de 10 ou 20 ou 30 pieds de large en montant la côte.

M. Hanson a bien évidemment fait erreur quant à la largeur définitive de l’emplacement dégagé lors du procès; au lieu de 40 ou 50 pieds, elle était de plus de 90 pieds. Mais je souligne que son intention était de faire du remplissage avec du gravier sur toute la largeur de la glissoire. M. Hanson a dit dans son témoignage qu’il n’avait pas lui-même vu déverser le gravier, mais qu’il avait donné l’ordre qu’on le déverse à cet endroit-là. La personne qui a exécuté le travail, Theodore A. Schribner, a elle aussi témoigné sur citation du demandeur; Schribner confirme qu’il a élargi la pente et déversé du gravier au bord de l’eau à partir du bord du chemin, et qu’il a étendu le gravier en pente jusqu’à l’eau. Même s’il n’est pas certain de la quantité de gravier utilisée à cette fin à l’automne de 1965, il estime qu’il y en eut de huit à dix chargements. En ce qui a trait à l’étalement de gravier, il a témoigné comme suit:

[TRADUCTION] Q. Et si l’on regarde vers le bas de la côte et de gauche à droite et au centre, pouvezvous décrire où vous avez déversé cette matière de remplissage?

R. Nous en avons déversé une certaine quantité à droite et une certaine quantité à gauche et au centre. Le remplissage s’est fait à partir de la gauche, si l’on regarde d’en haut, jusqu’au roc là où il y a une forte dépression, là, du côté droit.

PAR LA COUR: Du côté droit?

R. Oui.

[Page 368]

PAR LA COUR: Il s’agit du côté droit si l’on regarde d’en haut?

R. Oui.

PAR LA COUR: A votre gauche si vous regardez du lac?

R. Oui, si je regarde vers le bas.

PAR LA COUR: Regardez la pièce P.3; vous pouvez y voir des lettres. Dites-nous exactement où vous avez mis le gravier.

R. Nous sommes partis de là —

PAR LA COUR: De quel point à quel point?

R. A partir du point X en traversant aux points marqués W et Y, et au-delà nous en avons mis un peu. Tout ça, ici, c’est une saillie rocheuse.

Q. Tout ce qui est plus loin à gauche du point Y représente une saillie rocheuse, est-ce bien ce que vous dites?

R. Oui, lorsque vous traversez à partir du point X, il y a là une pente modérée et quand vous y êtes, vous avez une saillie rocheuse tout le long ici.

Q. Et vous n’avez pas continué le remplissage au-delà de ce point?

R. Non, nous ne l’avons pas fait.

Est également pertinente à l’étude de cette question la déposition de George Hamilton, un technicien et arpenteur, qui a témoigné que le flanc de la colline se creusait en cuvette en descendant la pente mais qu’en approchant du chemin cet effet de cuvette disparaissait, avec le résultat qu’au chemin le versant de la colline présentait pratiquement une surface plane sur toute sa largeur. Je suis d’avis que cette déposition révèle que c’était l’intention de M. Hanson d’élargir la glissoire bien au delà de sa largeur initiale et finalement, là où elle arrivait près du bord de l’eau et où commençait une dénivellation de trois ou quatre pieds allant jusqu’à la surface glacée du lac, d’adoucir la pente en mettant du gravier à partir du bord de l’eau jusqu’au sommet de la berge. Il en serait résulté que les traînes sauvages auraient descendu le versant de la colline pour ensuite glisser sur le lac en pente douce depuis le chemin. Schribner n’a pas exécuté les travaux conformément aux instructions reçues et il n’a rempli que le côté gauche de cette berge abrupte, c’est-à-dire le côté gauche pour quelqu’un regardant vers le

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bas. Schribner a apparemment fini son remplissage à un point qu’il a indiqué comme étant la position d’un certain rocher et, lorsque la Cour a exprimé l’avis que le remplissage couvrait de 40 à 50 pieds de largeur, il a convenu que c’était à peu près ça.

Il semblerait donc que du côté droit de la pente élargie, sur une largeur de 40 pieds environ, la descente se terminait encore par un raidillon haut de trois ou quatre pieds et allant jusqu’à l’eau. Divers témoins ont déposé relativement au parcours approximatif que suivaient leurs traînes sauvages en laissant le sol et en arrivant sur la glace. Certains témoins ont affirmé catégoriquement que les traînes sauvages étaient à droite de la glissoire à ce moment-là, mais d’autres ont été incapables de se prononcer et d’autres encore ont été d’avis que les traînes sauvages étaient à peu près au centre. Je ne crois pas qu’on puisse beaucoup se fonder sur la déposition d’un témoin pour déterminer combien à gauche ou à droite était le parcours suivi par sa traîne sauvage, particulièrement lorsqu’on glissait le soir comme c’est arrivé dans un certain nombre de cas, et, considérant ensemble les témoignages de Hanson père et de Schribner, je crois juste de déduire que les traînes sauvages des demandeurs blessés en atterrissant sur la glace se trouvaient en fait du côté droit lorsqu’elles ont laissé le bord de ce raidillon haut de trois ou quatre pieds et frappé la glace.

Le témoignage de M. Hamilton auquel je me suis reporté indique que les approches, juste au‑dessus du chemin, formaient pratiquement une surface plane sur toute la largeur de la partie dégagée de la côte; il n’y avait donc rien pour faire en sorte que les traînes sauvages glissent uniquement vers le côté gauche de la sortie menant à la surface glacée du lac, et une traîne sauvage pouvait fort bien dévier vers la droite quoiqu’elle atterrirait sur la glace en passant par-dessus le raidillon. Cela serait particulièrement vrai dans les conditions météorologiques propres à ce samedi et à ce dimanche, les 21 et 22 janvier 1967, plusieurs témoins ayant déposé qu’il était alors pratiquement impossible

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de guider une traîne sauvage avec quelque précision sur cette pente couverte de glace.

C’est l’Horticultural Association qui a mis cette pente à la disposition des citoyens de Saint‑Jean et ce sont les autorités municipales qui ont effectué les travaux en vue de l’améliorer. Les conditions dangereuses qui ont abouti à l’accident sont uniquement l’œuvre des préposés de la Ville qui ont élargi la pente mais omis d’en élargir en bas l’arrivée donnant sur la surface glacée du lac. C’est certainement le devoir d’une personne qui crée un état de choses dangereux, soit de le faire disparaître, soit d’avertir du danger les usagers de l’endroit: Riden v. A.C. Billings & Sons Ltd.[7], et ce, abstraction faite de toute question d’occupation.

Il est intéressant de noter que même si une personne qui observait la pente de son sommet pouvait voir là une franche invitation à la descendre en n’importe quel point de sa surface jusqu’au lac, et à s’exposer ainsi au danger de la soudaine dénivellation, ni la municipalité ni l’Association n’avait placé de signe indiquant la voie qu’il fallait prendre pour arriver au lac en toute sécurité. Une telle mesure aurait coûté très peu d’argent ou de travail à l’une ou à l’autre.

Je suis donc d’avis que, sous réserve de la question de l’acceptation du risque par les différents demandeurs et de la possibilité d’une négligence contributive de leur part, la Ville est responsable envers eux pour leurs blessures car elle a assumé la tâche d’améliorer la glissoire des traînes sauvages et ne l’a pas menée à bonne fin, créant, par suite de l’exécution négligente de sa tâche, un risque très dangereux.

Les différents demandeurs se sont approchés de la côte en suivant des voies différentes. La plupart, semble-t-il, avaient stationné leurs voitures près d’un pavillon, à une courte distance à gauche du bas de la côte du même côté du lac, avaient marché le long du chemin pour se rendre à la côte et grimper la côte d’un côté ou de l’autre de la glissoire. Ces demandeurs-là n’auraient pas eu l’occasion d’observer la déni-

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vellation qu’il y avait sur le côté droit de la glissoire à l’endroit où la glissoire arrive au bord du lac. Roslyn Ann Hanson et Mary Shamburger, toutefois, traversèrent sur la glace en faisant directement face à la côte et quittèrent la glace à leur droite, faisant face à la glissoire. Il s’agit évidemment de la gauche pour quiconque regarderait vers le bas de la glissoire, et de cette partie de l’arrivée au lac que Schribner avait remplie de gravier.

Même si Roslyn Ann Hanson a convenu que la côte lui faisait directement face lorsqu’elle a traversé sur la glace, on ne lui a pas demandé si elle avait observé que la partie de l’arrivée se trouvant à ce moment-là à sa gauche, c.-à-d. à la droite de quelqu’un qui regarderait du sommet, se raidissait soudainement par cette dénivellation de quatre pieds; cette question n’a pas été posée non plus à Mary Shamburger, sa co-passagère.

Vu le témoignage de Kandic, un expert assigné par la partie demanderesse:

[TRADUCTION] Une description, je ne puis imaginer qu’une personne de bon sens, même sans instruction, laisserait une section de glissoire de traînes sauvages, et particulièrement la dernière, la plus importante, qui est normalement pour la vitesse, avec ce profil de coupe pratique, de façon à permettre à presque chaque traîne sauvage traversant cette section de planer dans les airs pour faire ensuite une chute brutale.

Je pense qu’il faut conclure qu’aucun des demandeurs ne s’est rendu compte que l’arrivée apparemment libre au lac présentait sur la droite une dénivellation soudaine de trois ou quatre pieds. Il est vrai que tous les demandeurs blessés ont constaté, ou auraient dû constater, que la pente était recouverte de glace; deux d’entre eux ont même vu de jeunes garçons la descendre en patins, mais après tout il n’est pas rare de trouver une couche de glace sur une glissoire à traînes sauvages, et si la glissoire est bien aménagée il n’y a pas de raison de ne pas l’utiliser quand elle est glacée. Considérant cette preuve, je ne puis conclure que les demandeurs ont assumé le fardeau du risque. La théorie de l’acceptation du risque a été étudiée par cette Cour dans trois affaires différentes depuis un

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certain nombre d’années. D’abord dans Car and General Insurance Corp. Ltd. c. Seymour et Maloney[8], puis dans Lehnert c. Stein[9], et finalement dans Eid c. Dumas[10]. Dans cette dernière affaire, M. le Juge Ritchie, parlant au nom de la Cour sur ce point, a formellement adopté la décision rendue dans les deux premières, et, dans Lehnert c. Stein, M. le Juge Cartwright, alors juge puîné, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour et se reportant à l’arrêt Car and General Insurance Corp. c. Seymour et Moloney, a dit à la p. 43:

[TRADUCTION] Cette décision établit que lorsque le conducteur d’un véhicule automobile invoque la maxime volenti non fit injuria comme moyen de défense contre une action en dommages-intérêts pour des blessures causées par sa propre négligence à un passager, c’est au défendeur qu’il incombe de prouver que le demandeur, expressément ou de façon nécessairement implicite, a convenu d’exempter le défendeur de toute responsabilité à l’égard de tout dommage du demandeur occasionné par cette négligence, et que, comme il est dit dans Salmond on Torts, 13e éd., à la p. 44:

[TRADUCTION] «La vraie question dans chaque affaire est la suivante: Le demandeur a-t-il donné un consentement réel à l’acceptation du risque sans indemnisation; le consentement a-t-il vraiment relevé le défendeur de son obligation de prudence?»

Je suis donc d’avis que le moyen de défense fondé sur l’acceptation du risque n’a pas été établi par la défenderesse, la Ville de Saint-Jean. Je ne puis non plus statuer que les demandeurs sont coupables de négligence contributive. Après tout, en mettant les lieux à leurs disposition, on invitait les demandeurs à utiliser la glissoire de la manière qu’ils l’ont fait. Ce qui s’offrait à la vue, du haut de la glissoire, c’était une voie s’élargissant jusqu’à plus de 90 pieds aux approches du lac, une voie déblayée de toutes les pierres et grosses roches et qui paraissait aussi sûre sur toute sa largeur que n’importe quelle autre glissoire de traînes sauvages, alors que, je l’ai signalé, la descente sur quarante pieds et quelques se raidissait en une dénivella-

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tion abrupte de trois ou quatre pieds en arrivant à la surface glacée du lac. Si l’un ou l’autre des demandeurs avait roulé hors de la traîne sauvage ou en avait été projeté au cours de la descente et s’était blessé, cela n’aurait été que le genre d’accident ordinaire auquel s’exposent ceux qui utilisent les glissoires de traînes sauvages, mais, assurément, aucun des demandeurs qui furent blessés ne pouvait s’attendre à cette soudaine dénivellation de quatre pieds, et aucun ne peut être jugé coupable de négligence contributive pour avoir utilisé la glissoire de la façon dont elle était destinée à l’être.

Le savant juge de première instance, jugeant que l’intimée, la Saint John Horticultural Association, était seule responsable, a évalué les dommages et rendu jugement contre cette défenderesse-là en faveur des différents demandeurs comme suit:

John R. Hanson.....................................................

$ 859.00

Roslyn Ann Hanson...............................................

5,000.00

Mary Shamburger.................................................

3,344.00

William Robert Wasson.......................................

2,952.00

Richard Watts........................................................

778.00

Faith Watts............................................................

16,312.50

En définitive, j’adjugerais contre la Ville de Saint-Jean pour les montants ci-dessus, sauf pour Mary Shamburger qui s’est désistée de son appel.

Passons maintenant à la question de la responsabilité, s’il en est, de la Saint John Horticultural Association. Je l’ai déjà dit, toute responsabilité de cette intimée dépend uniquement de sa position d’occupante. Il n’y a pas de doute que la Saint John Horticultural Society a été l’occupante des lieux durant tout ce temps. J’ai conclu que les lieux contenaient un danger caché, inconnu des demandeurs. Ceux-ci étaient seulement des licensees et non des invitees (invités). Dans l’affaire Baker v. Borough of Bethnall Green»[11], à la p. 140, Lord Greene a déclaré:

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Un licensee doit prendre les lieux dans l’état où il les trouve, sous réserve de la restriction importante que voici: si le licensor connaît un danger qui n’est pas apparent, ou qui ne serait pas normalement apparent pour le licensee, il a l’obligation de prendre des mesures pour protéger le licensee de ce danger.

Cette manière de voir fut explicitement adoptée par cette Cour dans Booth c. St. Catharines[12], à la p. 568, et elle traduit un refus d’accepter l’opinion exprimée par le Lord chancelier Hailsham dans l’affaire Robert Addie & Sons (Collieries), Ltd, v. Dumbreck[13], dans laquelle ce dernier avait dit, bien que l’affaire portât sur une intrusion, que le licensor était tenu de ne pas créer de piège ou permettre qu’existe dans les lieux un danger caché non apparent pour le visiteur mais que le licensor connaissait ou aurait dû connaître.

Dans Hawkins v. Coulsdon et al.[14], Lord Denning a fait ce que je considère, bien respectueusement, comme la meilleure étude moderne de la question de la connaissance par l’occupant. Je cite un extrait de ses motifs:

[TRADUCTION] — On a parfois dit que ces observations, par l’insertion de l’expression «aurait dû connaître», ont été faites par inadvertance; mais une explication a été avancée et Lord Greene l’a qualifiée de [TRADUCTION] «fort attrayante»; voir Baker v. Bethnall Green Borough Council. La voici: si l’occupant connaît effectivement la condition matérielle des lieux, et qu’un homme raisonnable eût compris qu’elle constituait un danger, l’occupant doit être considéré en droit comme ayant la connaissance du danger, parce qu’il aurait dû le comprendre lui aussi. Il doit connaître ce que connaît un homme raisonnable. Je crois cette explication juste. Il faut se rappeler que dans l’affaire Fairman, [1923] A.C. 74, le propriétaire connaissait effectivement par son concierge l’état des marches de l’escalier, mais n’avait pas compris qu’elles constituaient un danger. Lorsqu’on lit les déclarations de Leurs Seigneuries à la lumière de ces faits, il devient évident que ce qu’elles veulent dire est ceci: une fois qu’un occupant a une connaissance véritable d’un état de choses existant sur sa propriété, s’il sait alors, ou devrait savoir, que c’est un danger, il doit mettre un visiteur en garde sauf, naturellement, si le danger est évident.

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Jusqu’ici, je n’ai considéré que les précédents; mais si nous étudions la question à la lumière des principes, il est clair qu’il ne doit y avoir aucune différence entre un acte de commission et un acte d’omission. Si un occupant sait réellement qu’il existe sur sa propriété un état de choses qu’un homme raisonnable reconnaîtrait comme étant un danger, on ne doit pas lui permettre de se soustraire à ses obligations parce qu’il allègue ne pas être un homme raisonnable et n’avoir pas compris qu’il y avait un danger.

Il me faut ajouter que, lorsque je parle de «connaissance véritable» par l’occupant de l’état de choses existant, j’entends aussi la connaissance présumée qu’il en a. On a dit à juste titre que [TRADUCTION] «un propriétaire absent ou un occupant insouciant de ce qui se passe sous ses propres yeux n’est pas en meilleure position qu’un homme qui s’occupe de sa propriété»: Lord Maugham dans Sedleigh-Denfield v. O’Callaghan, [1940] A.C. 880, 887; 56 T.L.R. 887; [1940] 3 All E.R. 349. C’était, il est vrai, une affaire portant sur la nuisance, mais à cet égard nuisance et négligence sont des jumelles identiques. Ainsi, dans l’affaire Ellis v. Fulham Borough Council, [1938] 1 K.B. 212, il y avait du verre brisé dans la piscine pour enfants. Le Conseil n’avait pas une connaissance véritable de la présence du morceau de verre à cet endroit. Les conseillers espéraient que tout le verre serait raclé, mais à cause de leur négligence le raclage fut inefficace. Ils ne pouvaient pas invoquer leur propre négligence pour excuser leur absence de connaissance. Ainsi, une connaissance leur fut imputée. De même, lorsqu’un occupant a déjà connu un état de choses mais l’a temporairement oublié, son oubli n’est pas une excuse.

Je fais mienne cette opinion et je suis d’avis que le même principe fut adopté implicitement dans le jugement majoritaire prononcé par M. le Juge Cartwright (alors juge puîné) en cette Cour dans l’affaire Gilchrist v. A. & R. Farms Ltd.[15], lorsqu’il a dit aux pp. 125 et 126:

La première prétention est que les savants juges des cours d’instance inférieure ont commis une erreur en ne concluant pas qu’un homme raisonnable dans la position du présent employeur aurait prévu que l’état de la porte constituait une source probable de blessures pour des personnes travaillant alentour, que ceci suffit à imputer une responsabilité et qu’il n’est pas nécessaire de déterminer s’il aurait prévu des blessures causées de la façon précise dont l’appelant fut blessé. À l’appui de cette prétention, on a cité des

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arrêts tels que les suivants: Winnipeg Electric Railway Co. c. Canadian Northern Co.; Re Bartlett (1919), 59 R.C.S. 352, 50 D.L.R. 194, et Hughes v. Lora Aavocate, [1963] A.C. 837.

La seconde prétention est qu’en ce cas-ci il était inutile que le savant juge de première instance considère ce que l’homme raisonnable aurait envisagé et ce qu’il aurait dû prévoir, parce que la preuve montre que l’employeur a envisagé et prévu que des blessures du genre même de celles que l’appelant a subies pouvaient fort bien devoir être la conséquence de l’omission de remettre la porte en bon état.

Je suis arrivé à la conclusion qu’il faut reconnaître le bien-fondé de la seconde de ces prétentions et il s’ensuit qu’il ne m’est pas nécessaire de tirer une conclusion définitive quand à la première, même si j’incline à penser qu’elle est également bien fondée.

Il faut donc appliquer le critère en tenant compte du témoignage de William Ross, qui était surintendant du parc Rockwood pour le compte de l’intimée. Saint John Horticultural Association. M. Ross a été le surintendant du parc pendant dix-sept ans, il y a travaillé pendant trente ans et il le connaissait depuis son enfance. M. Ross a témoigné qu’il connaissait bien la glissoire de traînes sauvages du parc. Il savait que les préposés de la Ville étaient venus en 1965 et avaient, comme il dit, remué la côte. Il a convenu que ce travail comprenait l’abattage des arbres et l’essouchage, de même que l’emploi d’un bulldozer. M. Ross a en outre déclaré dans son témoignage que cet élargissement s’étendait jusqu’au sommet et, ce qui a plus d’importance pour ce qui nous concerne, que la Ville avait déversé de la matière de remplissage au pied de la glissoire de traînes sauvages jusqu’au lac Lilly, là où la pente s’approche de la surface du lac, bien que M. Ross prétende ne pas savoir combien de charges de camions furent utilisées. Il les a vus s’attaquer à la tâche mais il n’a pas surveillé et vérifié les opérations, ni à ce moment-là ni plus tard.

Les accidents allégués dans ces actions se sont produits les 21 et 22 janvier 1967, mais M. Ross n’a pas fait l’inspection des lieux avant l’accident. Il a dit:

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[TRADUCTION] R. Je ne voyais aucune raison de faire l’inspection. L’inspection avait été faite à l’automne et je ne voyais plus le besoin de la faire.

PAR LA COUR: Par qui, à l’automne?

R. Nous l’avons vérifiée; nous l’avions examinée à l’automne.

M. Ross a été contre-interrogé par l’avocat des demandeurs et aussi par l’avocat de la Ville de Saint-Jean. Ce dernier s’est prévalu pleinement de son droit de poser au témoin des questions suggestives. Je cite cette preuve:

[TRADUCTION] Q. Alors c’est un fait, n’est-ce pas, que cette côte en janvier 1967 était à peu près dans le même état qu’elle avait toujours été depuis 1934?

R. Oui, elle l’était.

Q. Et c’est un fait, n’est-ce pas, qu’à l’endroit où cette glissoire de traînes sauvages rencontre le lac Lilly, il y a toujours eu une dénivellation jusqu’au bord du lac Lilly?

R. Eh bien, tout dépend du mot «dénivellation»; il y avait une inclinaison à partir de la surface de la route jusqu’à la surface du lac.

Q. Cette dénivellation a toujours été là, n’est-ce pas?

R. C’est exact.

Q. Vous n’avez probablement pas vu la photo produite comme pièce P. 3; c’est une photo, M. Ross, apparemment prise le jour de cet accident. L’avez-vous vue?

R. Non.

Q. Vous pouvez voir apparemment le bout de la glissoire de traînes sauvages à l’endroit où elle débouche sur le lac Lilly sur la surface glacée?

R. Oui.

Q. Maintenant, vous pouvez voir, n’est-ce pas, où se trouve l’arrivée sur le lac de la glissoire?

R. Oui.

Q. Et sur la gauche, lorsqu’on regarde la photographie, il paraît y avoir une élévation; ce serait là une saillie, n’est-ce pas, si l’on regarde vers le haut?

R. Vous parlez de cette tache noire?

Q. Oui.

R. Ce n’est pas une saillie. C’est une surface inclinée allant jusqu’à la glace.

Q. C’est une dénivellation assez raide?

R. Je ne crois pas qu’elle le soit.

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Q. Elle ne l’est pas?

R. Non, je ne crois pas.

Vu le témoignage antérieur de M. Ross et les dépositions de M. Hanson père et de M. Schribner, le témoignage que je viens de rapporter est incompréhensible. Il dit avoir été témoin du déchargement du gravier au bord du lac. Le déchargement de ce gravier ne pouvait manquer de changer la pente à partir du vieux chemin jusqu’à la surface glacée du lac. C’était le but de cette opération. Encore une fois, si l’on regarde la photographie, pièce P.3, le contraste est frappant entre ce qui apparaît dans la photo comme le côté droit de l’arrivée au lac de la glissoire de traînes sauvages (ce serait le côté gauche de qui regarderait du haut de la côte) et le côté gauche (le côté droit pour qui regarderait du haut de la côte). Le côté gauche, de qui regarde vers le bas de la côte, pourrait certainement être la surface inclinée qui va jusqu’à la glace et que le témoin a mentionnée, étant donné qu’il est couvert de neige. Le côté droit, de qui regarde du haut de la côte, ne peut être autre chose que le raidillon décrit par les différents témoins et par M. Hanson père, et dont a aussi parlé le témoin Schribner. Sûrement, M. Ross se trouve visé par la description de Lord Denning, déjà citée, qui disait:

[TRADUCTION] On a dit à juste titre que [TRADUCTION] «un propriétaire absent ou un occupant insouciant de ce qui se passe sous ses propres yeux n’est pas en meilleure position qu’un homme qui s’occupe de sa propriété»: Lord Maugham, dans Sedleigh‑Denfield v. O’Callaghan, [1940] A.C. 880, 887.

Ross a dit avoir vu apporter le gravier à la pente et l’avoir vu étaler, bien qu’il ne soit pas resté pour surveiller l’opération complète et n’ait pas fait l’inspection par la suite, mais lui et ses hommes ont inspecté la côte entre cette date-là en 1965 et la date de l’accident, en fait au cours de l’automne même qui a précédé l’accident. Vu la déposition des autres témoins et l’illustration graphique de la photo (pièce P.3), s’il n’a pas remarqué le raidillon du haut duquel les demandeurs sont tombés à l’époque où ils ont été blessés, alors il était absolument insouciant de ce qui se passait sous ses yeux, et l’extension de la responsabilité de l’occupant

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aux dangers que le licensor connaît réellement, ou qu’il aurait dû connaître parce qu’il était au courant des circonstances, s’appliquerait à M. Ross et à son employeur, l’intimée Saint John Horticultural Association. J’accueillerais donc le pourvoi dans la mesure où cette intimée-là est en cause et je rétablirais les jugements rendus contre elle en première instance.

En fin de compte, par conséquent, j’accueillerais le pourvoi et rendrais jugement en faveur des différents demandeurs contre les deux défenderesses, pour les sommes arrêtées par le savant juge de première instance. Les demandeurs ont droit à leurs dépens en toutes les Cours.

Vu l’avis exprimé par les autres membres de la Cour, et dont la conséquence sera le prononcé d’un jugement contre la Ville de Saint-Jean seulement, je fais mien l’avis que le pourvoi doit être accueilli avec dépens en toutes les Cours contre la Ville de Saint-Jean et que le pourvoi doit être rejeté avec dépens en toutes les Cours contre la Saint John Horticultural Association, l’appelant ayant le droit, toutefois, d’ajouter les dépens qu’il peut être requis de payer à ladite Saint John Horticultural Association au jugement prononcé contre la Ville de Saint-Jean.

LE JUGE PIGEON — Une preuve non contredite montre clairement que dans les conditions existant au moment des accidents, la glissoire de traînes sauvages du parc Rockwood était dangereuse. Voici ce qu’étaient essentiellement ces conditions: il n’y avait pas beaucoup de neige, la glissoire était couverte de glace et le lac Lilly était à la glace vive. Le danger résidait dans la brusque modification de la pente, 16 pieds au-delà du point indiqué sur le plan comme le «vieux chemin pavé». La longueur de la glissoire jusqu’à ce point-là était de 450 pieds. Au départ, l’inclinaison était de 10 pour cent atteignant 18.6 pour cent vers le milieu, diminuant graduellement jusqu’à 7.8 pour cent et, passé les 16 pieds déjà mentionnés, tombant à moins de 6 pour cent. Mais, dans les 11 pieds suivants, la dénivellation mesurée était de 3.3 pieds, soit

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une inclinaison de 30 pour cent jusqu’à quelques pieds avant d’atteindre un peu plus graduellement le niveau du lac. Le témoin expert Steven Kandic a dit que, dans des conditions propices, une traîne sauvage partant du sommet pouvait atteindre une vitesse de près de 40 milles à l’heure au bas de la glissoire, ce qui aurait pour effet de lui faire quitter la surface lorsqu’elle atteindrait la pente raide pour ensuite heurter la glace avec la même force qu’en y tombant en chute libre d’une hauteur de près de 4 pieds. Il est évident qu’une chute aussi brutale peut endommager l’épine dorsale.

La construction de la glissoire remonte à 1934 et aucun accident semblable ne s’était produit avant 1967. C’est ce qu’a expliqué le témoin Albert E. Hanson, un ingénieur qui fut commissaire responsable des travaux publics de la Ville de Saint-Jean durant 15 ans environ jusqu’à sa retraite en 1968. Il a dit qu’avant les travaux d’amélioration de la glissoire en 1965, «Je ne crois pas que les gens montaient jusqu’au sommet de la côte». Cela n’est pas difficile à comprendre. Il y avait de grosses roches de chaque bord à environ 135 pieds du lac et la brèche entre ces roches était, a-t-il dit, de 10 ou 15 pieds seulement. Plus haut, de petits arbres croissaient de chaque côté laissant, comme il dit, la glissoire «pas beaucoup plus large que 10 ou 20 ou 30 pieds en remontant la côte». Il n’est pas difficile de comprendre que, du moins lorsque l’état de la neige rendait possible une descente rapide, personne ne glissait à partir du sommet. En 1965, toutefois, il y eut d’importantes modifications effectuées sur les instructions du gérant de la ville. On enleva les grosses roches et les arbres des deux côtés et on élargit la glissoire.

Je ne crois pas que Hanson père ait fait erreur lorsqu’il a dit: [TRADUCTION] «Je pense maintenant que la glissoire de traînes sauvages a en ce moment environ 40 ou peut-être 50 pieds à certains endroits». Il ne faut pas confondre la largeur de la «glissoire» avec celle de l’espace dégagé. La coupe traversale figurant sur la pièce P-1, un plan préparé par George Hamilton, l’ingénieur des demandeurs, fait voir qu’à 100 pieds

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du «vieux chemin pavé», la «glissoire» n’occupait pas tout à fait la moitié des 80 pieds de largeur de l’espace dégagé. Il y avait, de chaque côté, un talus escarpé s’élevant à presque 10 pieds au-dessus de la «glissoire» au centre. Ces talus inclinés, d’une largeur approximative de 20 pieds sur chaque côté, Hanson père ne les a manifestement pas considérés comme formant partie de la «glissoire». Hamilton dit que la glissoire a évidemment été «déblayée», qu’à 50 pieds du «vieux chemin pavé» sa configuration était la même qu’à 100 pieds, mais qu’au niveau du chemin elle était large de 60 pieds («30 pieds de chaque côté de l’alignement») et, au delà, il y avait «des affleurements rocheux et quoi encore». Son plan montre du côté est, à cinq pieds au-dessus du niveau de la glissoire, un point de repère sur une aspérité rocheuse.

Hanson père a estimé que les modifications avaient rendu la glissoire beaucoup plus sûre, mais il a vu la dénivellation abrupte de trois ou quatre pieds au bord du lac et, comme il a dit en cour:

[TRADUCTION] …c’est pourquoi j’ai donné instructions au surintendant de mettre du gravier en pente, entre la berme et le bord de la route et l’eau, je dirais une pente de 3 à 1, afin qu’une traîne sauvage dépassant la route en direction du lac puisse descendre une pente douce plutôt qu’une dénivellation abrupte. J’ai vu le danger et c’est pour cette raison que j’ai donné instructions au surintendant de faire cela.

Le plan de Hamilton fait voir que même si une certaine quantité du gravier posé sur la pente peut avoir disparu, comme le dit Hanson père, la pente à l’époque des accidents était à peu près celle que ce dernier avait commandée car une pente de 3 à 1 est une inclinaison de 33 pour cent et le relevé montre une pente un peu meilleure de 30 pour cent. Malheureusement, le témoin expert Kandic a déposé que cela ne suffisait pas: un changement subit d’une pente douce d’environ 6 pour cent à une pente raide de 30 pour cent était nettement dangereux à la grande vitesse possible en glissant du sommet lorsque l’état de la neige était favorable.

A l’audition en cette Cour, on a soutenu énergiquement que les appelants, ou tout au moins certains d’entre eux, ont subi des blessures en

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tombant sur le lac d’une saillie rocheuse au côté ouest de la descente. On a fondé cette affirmation surtout sur la preuve relative à une photographie produite comme pièce P-3. Cette photographie fut prise de l’autre côté du lac large d’un quart de mille. On voit à l’arrière-plan la glissoire qui y arrive obliquement de la gauche. A mon avis, on ne peut pas tirer de conclusions sur la foi de semblable preuve. Une opinion quant à la position réelle des points indiqués sur cette photo est basée uniquement sur des déductions de perspective. Ces déductions dans de telles circonstances tendent à être assez subjectives. Mon sentiment personnel est que si c’est une saillie rocheuse que montre la photo, cette saillie n’est pas vraiment devant la glissoire. Mais cela dépend de mon interprétation de la perspective dont je ne suis aucunement certain. Il me paraît donc que les demandeurs n’ont pas réussi à établir que les accidents se sont produits de cette manière-là.

Comme l’a relevé M. le Juge d’appel Limerick, certains demandeurs, comme les Watts, «pensaient être au centre de la piste lorsqu’ils sont arrivés au lac». Évidemment, ils ont tous senti une chute soudaine lorsqu’ils se sont blessés. Mais c’est simplement ce qu’ils devaient sentir par l’effet d’une modification abrupte de la pente à une assez grande vitesse. Sur la base du témoignage de l’expert, le raidillon explique entièrement les blessures subies.

Des faits susmentionnés, tous établis par des dépositions non contredites, il me paraît clair que les améliorations effectuées en 1965 et destinées à rendre la glissoire plus sûre ont, en fait, créé un danger qui est à l’origine des accidents. Ces améliorations rendirent possible, et apparemment sécuritaire, de glisser en traîne sauvage à partir du sommet dans des conditions propices à la grande vitesse. A la vitesse à prévoir sur une telle glissoire, la modification subite de la pente au bord du lac constituait un grave danger. C’est un danger que, de son propre aveu, l’ingénieur responsable des améliorations a pleinement apprécié. Par malheur, il s’est lourdement trompé dans ses calculs lorsqu’il a spécifié une pente de 3 à 1 et, à mon avis,

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cette erreur de calcul constitue une négligence dont la Ville doit répondre. Cette dernière a pris une glissoire étroite que des arbres et des roches sur les deux côtés rendaient impossible à utiliser à partir du sommet pour des traînes sauvages allant à grande vitesse. En faisant disparaître ces obstacles et en élargissant la glissoire, il devenait possible aux amateurs de traîne sauvage de glisser à grande vitesse à partir du sommet. Les approches du lac devenaient dangereuses de ce fait, à moins que le raidillon soit adouci. On a compris la nécessité de cette amélioration, mais on n’en a pas ordonné ni fait assez, de sorte qu’on a fait naître pour les usagers de la glissoire un danger grave qui n’était pas réellement apparent.

Il est vrai que lorsque les accidents se sont produits, la vitesse accélérée et la pente étaient visibles. Les enfants des Hanson, âgés de 5 et 6 ans, ont d’une certaine façon fait preuve de plus de sagesse que leur grand-père. Ils ont refusé d’accompagner leurs parents lorsque ceux-ci ont décidé de partir du sommet plutôt qu’à mi-pente. Je ne crois pas, toutefois, que cela signifie que les parents ou quelque autre demandeur sont partis du sommet en pleine connaissance du risque. Bien qu’ils aient eu l’avantage de constater les conditions existantes, il ne me semble pas qu’il ait été déraisonnable de leur part de compter que la glissoire avait été convenablement aménagée pour l’usage auquel elle était destinée. Ils sont des personnes qu’on devait considérer comme exposées à subir un dommage si tel n’était pas le cas et, par conséquent, le principe de notre décision dans l’affaire Canadian General Electric c. Pickford & Black[16], s’applique.

Il ne me paraît pas qu’il s’agisse d’une affaire où il faudrait appliquer la règle selon laquelle on ne modifie pas des conclusions concordantes sur les faits. Tous les faits sur lesquels se fonde ma conclusion défavorable à la Ville sont établis par une preuve non contredite. Si je ne suis pas d’accord avec les cours d’instance inférieure, c’est uniquement parce qu’il me paraît clair que, de ces faits, il faut tirer des déductions différen-

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tes. Soit dit respectueusement, les cours d’instance inférieure ont manqué d’apprécier les conséquences juridiques de certains faits importants prouvés hors de tout doute.

Pour ce qui est de l’Association, la preuve établit clairement que ses dirigeants responsables n’ont réellement eu connaissance du danger qu’après accidents. Elle n’a donc pas manqué à ses obligations envers les demandeurs à titre de licensees. Les améliorations effectuées par la Ville le furent sous surveillance d’expert et je pense que l’Association pouvait à juste titre s’y fier sans autre vérification. Aussi, vu ce que j’ai déjà dit de la «largeur de la glissoire» après les améliorations, je ne suis pas convaincu que le raidillon amélioré au bord du lac était en fait de largeur insuffisante. En tout état de cause, cela ne ferait pas de différence en réalité parce que la pente elle-même était assez raide pour causer les accidents qui sont survenus.

Je suis donc d’avis de confirmer l’arrêt de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick en ce qui a trait à l’exonération de l’Association de toute responsabilité envers les appelants. Une adjudication spéciale de dépens me semble, cependant, tout indiquée comme dans l’affaire Bullock. Les demandeurs ne pouvaient savoir avec certitude avant d’entamer les procédures qui devait porter la responsabilité de leurs blessures. Je ne pense pas qu’on ait établi qu’il y a lieu de reviser l’évaluation des dommages faite par le juge de première instance.

Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi des appelants susnommés contre la Ville de Saint-Jean et d’ordonner que jugement soit inscrit en leur faveur pour les montants respectifs fixés par la Cour suprême du Nouveau-Brunswick, avec dépens dans toutes les cours. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi contre le Saint John Horticultural Association avec dépens et d’ordonner qu’il soit permis aux appelants qui ont gain de cause d’ajouter tous les dépens dus par eux à l’Association à ceux qui sont payables par la Ville de Saint-Jean.

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Appel accueilli contre la ville de Saint-Jean, avec dépens, les JUGES JUDSON et RITCHIE étant dissidents.

Procureurs des demandeurs, appelants: Palmer, O’Connell, Leger, Turnbull & Turnbull, Saint‑Jean.

Procureurs de la défenderesse, intimée, la ville de Saint-Jean: Gilbert, McGloan, Gillis, Jones & Church, Saint-Jean.

Procureurs de la défenderesse, intimée, The Saint John Horticultural Association: Ryan, Drummie & Co., Saint-Jean.

[1] [1971] 3 N.B.R. (2d) 477, 18 D.L.R. (3d) 685.

[2] [1929] A.C. 358.

[3] [1938] 1 K.B. 212.

[4] [1948] R.C.S. 564.

[5] [1953] 1 W.L.R. 882.

[6] [1954] 1 Q.B. 319.

[7] [1957] 1 Q.B. 46 (C.A.), [1958] A.C. 240 (H.L.).

[8] [1956] R.C.S. 322.

[9] [1963] R.C.S. 38.

[10] [1969] R.C.S. 668.

[11] [1945] 1 All E.R. 135.

[12] [1948] R.C.S. 564.

[13] [1929] A.C. 358.

[14] [1954] I.Q.B. 319 (C.A.)

[15] [1966] R.C.S. 122.

[16] [1971] R.C.S. 41.


Parties
Demandeurs : Hanson
Défendeurs : Ville de Saint-Jean
Proposition de citation de la décision: Hanson c. Ville de Saint-Jean, [1974] R.C.S. 354 (7 mai 1973)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1973-05-07;.1974..r.c.s..354 ?
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