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04/03/1969 | CANADA | N°[1969]_R.C.S._521

Canada | Massicotte c. Commissaires d’Écoles d’Outremont, [1969] R.C.S. 521 (4 mars 1969)


Cour suprême du Canada

Massicotte c. Commissaires d’Écoles d’Outremont, [1969] R.C.S. 521

Date: 1969-03-04

Lionel Massicotte (Demandeur) Appelant;

et

Les Commissaires D’écoles Pour La Municipalité De La Cité D’outremont (Défendeurs) Intimés.

1969: Février 11; 1969: Mars 4.

Coram: Les Juges Fauteux, Abbott, Martland, Judson et Pigeon.

EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC

APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec1, infirmant un jugement du Juge Robinson. Appel ac

cueilli.

Gilles Godin, c.r., pour le demandeur, appelant.

Michel Rioux, pour les défendeurs, intimés.

Le jugement de l...

Cour suprême du Canada

Massicotte c. Commissaires d’Écoles d’Outremont, [1969] R.C.S. 521

Date: 1969-03-04

Lionel Massicotte (Demandeur) Appelant;

et

Les Commissaires D’écoles Pour La Municipalité De La Cité D’outremont (Défendeurs) Intimés.

1969: Février 11; 1969: Mars 4.

Coram: Les Juges Fauteux, Abbott, Martland, Judson et Pigeon.

EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC

APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec1, infirmant un jugement du Juge Robinson. Appel accueilli.

Gilles Godin, c.r., pour le demandeur, appelant.

Michel Rioux, pour les défendeurs, intimés.

Le jugement de la Cour fut rendu par

LE JUGE FAUTEUX: — Il s’agit d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour d’appel[2], infirmant un jugement de la Cour supérieure qui condamnait les intimés à payer à l’appelant, en sa qualité de tuteur de Gilles Chartier, une somme de $15,255.48, à titre de dommages-intérêts.

Les faits donnant lieu à cette cause se passent le 8 janvier 1958, sur la propriété de la Commission scolaire administrée par les intimés, soit à l’Académie St-Germain d’Outremont. A ce temps, les écoliers devaient, pour entrer dans le bâtiment de l’Académie, utiliser une entrée donnant sur la cour de l’école et, pour accéder à cette cour, devaient nécessairement, en quittant le trottoir de la rue Bellingham, s’engager et descendre dans un passage longeant, à ciel ouvert, le bâtiment et accusant sur une faible distance une pente abrupte d’environ 20 à 30 degrés. A cause de cette pente et de la circulation des enfants, ce passage devenait souvent glacé durant la saison d’hiver et, à moins d’être alors couvert de sable ou autres substances, offrait, à la connaissance des maîtres, une véritable glissoire que ces écoliers de 6 à 14 ans ne manquaient guère d’utiliser comme telle, nonobstant l’interdiction qui leur en avait été faite. Telle était la situation et telle était, depuis deux ou trois jours, la condition dangereuse de ce passage, — suivant la preuve retenue par le juge au procès, — lorsque le 8 janvier, comme d’ailleurs tous les autres jours de classe, une trentaine ou quarantaine

[Page 524]

d’écoliers devaient s’y engager après être allés prendre le repas du midi à la maison. En l’absence du surveillant à cet endroit, les enfants se lancèrent sur cette glissoire et ce d’une manière décrite comme suit au témoignage d’Alain Chartier, frère aîné de Gilles: ils se garochaient sur la glissade, alors, il y avait des bousculades, ça tombait… Certains d’entre eux, après avoir ainsi descendu la pente, la remontaient pour glisser à nouveau au lieu de se rendre à la cour. A la suite d’une deuxième glissade, Gilles Chartier, alors âgé de 8 ans, fit une chute au bas de la pente. Saisi d’un étourdissement, il ne s’était pas encore relevé lorsqu’un écolier plus âgé, qui glissait derrière lui, trébucha lui-même au même endroit et le heurta, avec sa botte, à la tempe gauche. Le surveillant qui se trouvait dans la cour fut alerté, l’enfant fut conduit à la clinique de l’école et, par la suite, à l’hôpital d’où il ne sortit qu’après plusieurs semaines, affecté d’un trouble visuel lui infligeant pour la vie une incapacité admise de 13 pour-cent. D’où la présente action en dommages, basée, en somme, sur la conjugaison du danger inhérent au caractère abrupt de cette pente durant la saison d’hiver, du défaut d’y parer par des moyens raisonnables et du manque de surveillance des enfants dont les agissements contribuaient à la conversion de ce passage en glissoire.

La Cour supérieure jugea, en substance, que les préposés des intimés, chargés de l’entretien de ce passage, du soin et de la discipline des enfants, avaient manqué à leurs devoirs et que si, comme ils l’avaient affirmé, ils avaient interdit aux enfants de glisser à cet endroit, ils ne s’étaient guère souciés d’assurer, par une surveillance raisonnable, que cette directive fut suivie mais qu’ils avaient plutôt toléré leur conduite. La Cour nota, d’autre part, que nonobstant son âge, Gilles Chartier, qui était un écolier brillant, aurait dû réaliser qu’il s’exposait au danger en participant à ces glissades désordonnées. Jugeant que la responsabilité devait être partagée, la Cour en attribua une proportion de 75 pour-cent aux intimés et 25 pour-cent à la victime et condamna les intimés à payer à l’appelant ès-qualité une somme de $15,255.48, représentant les trois-quarts des dommages prouvés.

Seuls les intimés appelèrent de ce jugement; de sorte que il y a chose jugée en ce qui concerne la part de responsabilité attribuée au jeune Chartier par la Cour supérieure.

[Page 525]

En Cour d’appel, on a considéré que la question à résoudre, en l’espèce, était de savoir s’il est fautif de permettre à des jeunes garçons normaux de s’amuser en glissant sur une glissade; et on déclara que cette question avait été résolue de façon négative dans la cause de L’œuvre des terrains de jeux de Québec v. Cannon[3], et qu’au même effet se trouvaient les arrêts dans Cité de Montréal v. Lamoureux[4], O’Brien v. Les Commissaires d’écoles de la Municipalité de Ste-Ursule[5] et Lavallée v. Les Commissaires d’écoles pour la Municipalité de St-Germain de Grantham[6]. D’autre part, on précisa que la condamnation de la cité dans Cité de Sherbrooke v. Ferland[7] était due à une circonstance spéciale, soit à un défaut de surveillance qui avait permis à un enfant de chausser des patins et de s’aventurer sur la glissoire aménagée par la ville. On nota enfin que le jeune Chartier avait glissé volontairement. L’appel fut donc maintenu, le jugement de la Cour supérieure infirmé et l’action de l’appelant ès-qualité fut rejetée. De là l’appel à cette Cour.

Avec le plus grand respect pour l’opinion exprimée en Cour d’appel, il faut dire immédiatement que nous sommes tous d’avis que le juge au procès, qui a vu et entendu les témoins, était, en raison des faits qu’il a retenus comme prouvés, justifié en droit d’attribuer aux intimés une responsabilité d’au moins 75 pour-cent. Certes et en principe, il n’y a pas de faute à permettre à des enfants normaux de s’amuser à glisser sur une glissade. Inoffensif en soi, un tel amusement peut parfois, cependant, suivant les circonstances ou en l’absence de certaines précautions, offrir certains dangers prévisibles. Il va de soi que ces circonstances sont éminemment variables ainsi qu’en témoignent les causes citées aux motifs du jugement de la Cour d’appel. Toutefois, ce qui distingue fondamentalement le cas qui nous occupe de ceux qu’on a dû considérer dans ces causes, c’est que dans celles-là il s’agissait d’accidents survenus au cours de jeux pratiqués dans un terrain de jeux, de récréation ou un parc, alors que dans l’espèce, l’accident s’est produit dans un endroit exclusivement destiné en tout temps de l’année à servir aux écoliers comme passage du trottoir de la municipalité à la cour de l’école. Les glissades auxquelles ce groupe d’enfants

[Page 526]

de 6 à 14 ans se livrait sur cette pente abrupte, sans aucune surveillance, dans le désordre, la bousculade et la cohue, offraient sûrement pour les plus jeunes sinon pour leurs aînés un danger que les autorités n’ignoraient pas et qu’elles entendaient conjurer en donnant des instructions au concierge de sabler au besoin ce passage et en interdisant aux enfants d’y glisser. Ces directives n’ont pas été respectées et on ne paraît pas s’être soucié de voir à ce qu’elles le fussent. Les préposés des intimés à qui étaient confiées la garde et la surveillance de ces enfants, étaient tenus de les protéger, par une vigilance raisonnable, contre un danger qu’ils avaient ainsi jugé prévisible et que, en fait, ils avaient prévu. Dans le cas où un dommage est causé à un élève par un de ses condisciples, pendant qu’ils sont sous la surveillance des instituteurs, il appartient à ces derniers de repousser la présomption de responsabilité qu’édictent à leur endroit les dispositions de l’article 1054 C.C. Dans la présente cause, il n’est pas nécessaire d’invoquer cette présomption. La preuve établit le défaut des préposés des intimés de voir, comme ils y étaient tenus et pouvaient facilement le faire, à l’entretien de cette pente abrupte et glissante, et de satisfaire au devoir de surveillance des enfants confiés à leurs soins. L’accident résulte de la conjugaison de ces fautes qui entraîne la responsabilité des intimés.

Pour ces raisons, nous sommes tous d’accord que l’appel doit être maintenu, la décision de la Cour d’appel infirmée et le dispositif du jugement de la Cour supérieure rétabli; le tout avec dépens en cette Cour et en Cour d’appel.

Appel accueilli avec dépens.

Procureur du demandeur, appelant: G. Archambault, Montréal.

Procureurs des défendeurs, intimés: Foster, Watt, Leggat, Colby, Rioux & Malcolm, Montréal.

[1] [1967] B.R. 966.

[2] [1967] B.R. 966.

[3] (1940), 69 B.R. 112.

[4] [1960] B.R. 284.

[5] [1964] B.R. 433.

[6] [1965] B.R. 463.

[7] [1964] B.R. 395.


Synthèse
Référence neutre : [1969] R.C.S. 521 ?
Date de la décision : 04/03/1969
Sens de l'arrêt : L’appel doit être accueilli

Analyses

Faute - Responsabilité - Commissaires d’écoles - Écolier blessé lors d’une chute en glissant dans l’entrée de la cour de l’école - Surface glacée et utilisée par les écoliers comme glissoire - Manque d’entretien et de surveillance - Code Civil, art. 1054.

Le fils du demandeur, un écolier âgé de huit ans, a été blessé lorsqu’il fit une chute alors qu’il utilisait comme glissoire le passage servant d’entrée de la rue à l’école des défendeurs et dont la surface, qui accusait une pente de 20 à 30 degrés, était glacée. Avant d’avoir pu se relever, il fut frappé accidentellement à la tête par la botte d’un autre écolier qui glissait derrière lui. Il n’y avait pas de surveillant à cet endroit. L’action est basée sur les motifs que cette pente durant la saison d’hiver représentait un danger inhérent, qu’on avait fait défaut d’y parer par des moyens raisonnables et qu’il y avait eu manque de surveillance. Le juge au procès partagea la responsabilité et en attribua 75 pour-cent aux défendeurs et 25 pour-cent à la victime. Seuls les défendeurs en appelèrent de ce jugement. La Cour d’appel l’a infirmé et a rejeté l’action. Le demandeur en appela à cette Cour.

[Page 522]

Arrêt: L’appel doit être accueilli.

Le juge au procès était justifié d’attribuer aux défendeurs une responsabilité d’au moins 75 pour-cent. En principe, il n’y a pas de faute à permettre à des enfants normaux de s’amuser à glisser sur une glissade. Un tel amusement peut parfois, cependant, suivant les circonstances ou en l’absence de certaines précautions, offrir certains dangers prévisibles. Dans l’espèce, l’accident s’est produit dans un endroit exclusivement destiné en tout temps de l’année à servir aux écoliers comme passage du trottoir de la municipalité à la cour de l’école. Les autorités n’ignoraient pas le danger et avaient donné des instructions au concierge de sabler au besoin et interdisait aux enfants d’y glisser. Dans le cas où un dommage est causé à un élève par un de ses condisciples, pendant qu’ils sont sous la surveillance des instituteurs, il appartient à ces derniers de repousser la présomption de responsabilité de l’art. 1054 du Code Civil. Dans la présente cause, il n’est pas nécessaire d’invoquer cette présomption. Les défendeurs étaient clairement en faute. La preuve établit le défaut des préposés des défendeurs de voir à l’entretien de cette pente et de satisfaire au devoir de surveillance des enfants confiés à leurs soins.

Negligence - Liability - School Commissioners - Schoolboy injured after falling while sliding in entrance to school yard - Grounds in icy condition and used as a slide by the boys - Lack of maintenance and supervision - Civil Code, art. 1054.

The plaintiff’s son, an 8-year old schoolboy, was injured when he fell while using as a slide the passage-way used as an entrance from the street to the defendants’ school, the surface of which, having a slope of 20 to 30 degrees, was in an icy condition. Before he could get up, another boy who was sliding behind struck him accidentally on the head with his boot. There was no supervisor at that location. The action alleged that this slope represented during the winter months an inherent danger, that there had been default in using reasonable means to correct it and that there had been lack of supervision. The trial judge assessed the fault at 75 per cent against the defendants and 25 per cent against the victim. The defendants only appealed from that judgment. The Court of Appeal reversed it and dismissed the action. The plaintiff appealed to this Court.

Held: The appeal should be allowed.

The trial judge was justified in assessing the defendants with at least 75 per cent of the liability. In principle, there is no fault in permitting normal children to have fun by sliding on a slide. However, such play can sometimes, depending on the circumstances or the lack of certain precautions, present certain foreseeable dangers. In the present case, the accident occurred on a location used exclusively all year round by the schoolboys as a passage-way from the sidewalk of the municipality to the school yard. The authorities knew of the danger and had given instructions to the janitor to spread sand if necessary and had forbidden the boys from using it as a slide. When a schoolboy is injured by another, while under the supervision of a schoolmaster, the onus of rebutting the presumption of liability under art. 1054 of the Civil Code is on the schoolmaster. In the present case, it was not

[Page 523]

necessary to invoke that presumption. The defendants were clearly at fault. The evidence established the lack of maintenance on the part of the defendants’ employees and the lack of supervision.

APPEAL from a judgment of the Court of Queen’s Bench, Appeal Side, Province of Quebec[1], reversing a judgment of Robinson J. Appeal allowed.


Parties
Demandeurs : Massicotte
Défendeurs : Commissaires d’Écoles d’Outremont
Proposition de citation de la décision: Massicotte c. Commissaires d’Écoles d’Outremont, [1969] R.C.S. 521 (4 mars 1969)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1969-03-04;.1969..r.c.s..521 ?
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