Cour suprême du Canada
Marcotte c. La Reine, [1965] S.C.R. 209
Date: 1964-11-24
Georges Marcotte Appelant;
Et
Sa Majesté La Reine Intimée.
1964: 18 novembre; 1964: 24 novembre.
Coram: Les juges Fauteux, Abbott, Martland, Judson, Rìtchie, Hall et Spence.
APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d'un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], rejetant un appel déféré à cette Cour par le Ministre de la Justice. Appel rejeté.
Yves Mayrand, pour l'appelant.
J. Ducros et J. G. Boilard, pour l'intimée.
Le jugement de la Cour fut rendu par
LE JUGE FAUTEUX: — Le 2 mars 1963, à Montréal, un jury de la Cour du banc de la reine (Juridiction criminelle), présidé par M. le Juge Roger Ouimet, trouva l'appelant coupable d'avoir, le 14 décembre 1962, en la cité de St-Laurent, district de Montréal, intentionnellement causé la mort du constable Claude Marineau et ce à l'occasion et aux fins de la perpétration d'un vol qualifié, commettant ainsi un meurtre qualifié. L'appel de cette déclaration de culpabilité, impérativement prescrit en pareil cas par l'article 583(A) du Code Criminel, fut rejeté le 15 janvier 1964 par un jugement unanime de la Cour du banc de la reine[2]. Marcotte, ainsi que le permet l'article 597(A) du Code Criminel, logea un appel à la Cour Suprême du Canada[3] lequel fut également rejeté, le 11 mai 1964, par une décision unanime de cette Cour.
Par la suite, le Ministre de la Justice, en vertu du pouvoir que lui confère l'article 596 du Code Criminel, déféra cette cause à la Cour d'Appel. Ce renvoi, signé le 27 juillet 1964, est ainsi libellé:
AU JUGE EN CHEF ET JUGES PUÎNÉS
DE LA COUR D'APPEL DE QUÉBEC
Une demande de clémence de la Couronne ayant été faite par et pour Georges Marcotte qui a été trouvé coupable à Montréal le 2 mars 1963 du meurtre qualifié de Claude Marineau et condamné à la peine capitale,
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et dont les appels à la Cour d'Appel de la province de Québec et à la Cour Suprême du Canada ont été rejetés par lesdites Cours;
Et le soussigné, ayant reçu de l'avocat dudit Georges Marcotte, des représentations à l'effet:
1. Que le juge présidant au procès aurait dû, mais ne l'a pas fait, donner aux jurés, d'une façon expresse, les directives suivantes savoir, qu'ils ne pouvaient condamner ledit Georges Marcotte de meurtre qualifié à moins qu'ils fussent convaincus, hors de tout doute raisonnable, que ledit Georges Marcotte, par son propre fait, avait causé ou avait aidé à causer la mort dudit Claude Marineau ou la blessure corporelle ayant entraîné la mort de celui-ci, ou qu'il avait lui-même utilisé ou avait sur sa personne l'arme qui a provoqué la mort, ou qu'il avait conseillé ou incité une autre personne à faire un tel acte ou à utiliser une telle arme; que si le juge présidant au procès, à des directives en accord avec le paragraphe 1, aurait pu raisonnablement rendre un verdict de non coupable de meurtre qualifié; et que le fait de la part du juge présidant au procès d'avoir omis de donner de telles instructions ne fut point soulevé lors de l'appel de Georges Marcotte à la Cour d'Appel ou à la Cour Suprême du Canada.
2. Qu'une nouvelle preuve a été découverte par ledit avocat laquelle, si elle avait été disponible lors du procès et associée, de la part du juge présidant au procès, à des directives en accord avec le paragraphe 1, aurait raisonnablement accru la possibilité pour les jurés de rendre un verdict de non coupable de meurtre qualifié; ladite preuve étant celle de madame Helen Dallos; ci-joint son affidavit indiquant la portée de cette preuve ou partie d'icelle de même qu'une traduction française dudit affidavit.
3. Qu'une autre nouvelle preuve a été découverte par ledit avocat laquelle, si elle avait été disponible au procès, aurait pu raisonnablement entraîner carrément l'acquittement dudit Georges Marcotte; ladite preuve étant celle de Frank Grilly; ci-joint son affidavit, en original et copie certifiée, indiquant la portée de cette preuve ou partie d'icelle;
En conséquence, le soussigné, en vertu de l'article 596 du Code criminel, défère maintenant par les présentes ce qui suit, à savoir:
a) les soi-disant directives erronées données aux jurés par le juge présidant au procès;
b) les soi-disant nouvelles preuves;
c) toute autre preuve ou argumentation par ou au nom de l'accusé ou la Couronne que la Cour jugera approprié de recevoir ou de prendre en considération
à la Cour d'Appel de la province de Québec pour audition et décision par cette Cour comme s'il s'agissait d'un appel interjeté par ledit Georges Marcotte.
Donné à Ottawa ce 27e jour de juillet 1964.
GUY FAVREAU
Ministre de la Justice
Les affidavits auxquels réfèrent les paragraphes 2 et 3 de ce renvoi se lisent comme suit:
Déposition assermentée de Dame Helen Dallos.
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— Est-ce que vous êtes allée le 14 déc. 1962 à l'édifice portant le numéro 6007 Côte de Liesse, qu'on voit sur la photographie produite comme exhibit P. 3? Oui.
— Qu'est-ce que vous faisiez là? Le bureau de placement m'a envoyée pour trouver du travail dans l'établissement situé à côté de la banque.
— Quel bureau de placement? Il est situé sur la rue Jean Talon.
— Finalement avez-vous parlé à quelqu'un relativement à du travail? Oui, avec le « gérant ».
— Savez-vous le nom de la Compagnie? Je ne sais pas, mais je pense qu'on s'occupe de moteurs Diesel et aussi de moteurs électriques, où les femmes embobinent les moteurs. C'est le même groupe de bâtiments à côté de cette banque. Le nom: Electric Products.
— Quelle heure était-il? Je ne sais pas exactement, mais je pense qu'il était 11.30. A cause des événements près de la banque je n'avais pas de goût pour aller nulle part, mais j'ai pensé comme ça; qu'il fallait aller à l'adresse indiquée puisque le bureau m'y avait envoyée. Comme ça, je suis allée et je me suis présentée aux bureaux.
— Avant d'aller aux bureaux pour chercher du travail, est-ce que vous avez été témoin d'un incident malheureux? Oui.
— Dans vos propres termes, dites-nous ce que vous avez vu? Moi je suis arrivée avec l'autobus et quand je suis descendue j'avais l'intention de me rendre à la compagnie qui porte le nom Electric Products.
— Qu'est-ce qu'il est arrivé avec ce policier du côté droit? Je sais exactement que le policier du côté gauche est descendu en première.
— Qu'est-ce qu'il est arrivé avec ce policier du côté gauche? Moi je n'ai vu que sa tête. J'ai entendu des coups et j'ai vu que ce policier est tombé.
— Qu'est-ce qu'il est arrivé avec le policier du côté droit? Celui-ci a ouvert la porte de sa voiture et il était en train de sortir. Son revolver à la main. Comme il venait de sortir il a reçu les coups et il a tombé à terre.
— Est-ce que vous avez vu tomber ce deuxième policier à cause de ces coups? Moi j'ai vu qu'à cause de ces coups le premier policier est disparu, cette rafale a continué sur la voiture; après, le deuxième policier du côté droit a porté sa main sur l'estomac et il est tombé à terre.
— Est-ce que le sang a coulé beaucoup? Oui. Il a porté sa main sur l'estomac et du sang jaillissait sur sa main.
— Est-ce qu'il y avait un revolver dans la main du policier? Oui. Je ne sais pas s'il voulait tirer ou non, mais il y avait un revolver dans sa main.
— Combien de rafales avez-vous entendues? Seulement une.
— Est-ce que les deux policiers sont tombés à la suite de cette même rafale de coups? Oui.
— Est-ce que vous pouvez dire qui a tiré? Je ne sais pas. J'ai vu l'homme avec l'habit de Père Noël et d'autres aussi à côté de lui, mais je ne sais pas qui a tiré.
— Quelle était la grandeur du Père Noël? Il était plus grand que mon mari, qui mesure 5'8", mais il était plus petit que ce M. Parisse, qui est
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6'4 1/2. Il était approximativement un pouce de moins grand que M. Parisse, alors 6'3.
— Combien de personnes se trouvaient devant la banque au moment de la fusillade? Au moins trois.
— Avez-vous déclaré la même chose aux policiers qui vous ont interrogée? Approximativement oui, mais ils m'ont dit de ne parler à personne d'autre qu'eux.
Signé: Helen Dallos
Affidavit de Frank Grilly.
July 4, 1964
I hereby swear that on the morning of December 13, 1962, the establishment known as the Coffee Pot, of which I was the registered proprietor, was opened at approximately 7:00 A.M. by my employee, Jeanne Sicard. She was the only person in charge of the premises and serving customers until about 11.30 A.M., when the noon hour staff began to enter. I also swear that on the following morning, Friday, December 14, I arrived in my car in front of the Coffee Pot at 9:30 A.M., where I picked up Harold Green, who was waiting outside the restaurant, and gave him a lift in my car to Chomedey, where I dropped him off. I left him in Chomedey at about 10:05 A.M., December 14, 1962.
Frank Grilly
Montreal, July the 4th, 1964
Considéré au regard des dispositions de l'article 596 du Code, il est clair que ce renvoi du Ministre de la Justice est celui qu'autorise le paragraphe (b) de cet article 596.
596. Sur une demande de clémence de la Couronne, faite par ou pour une personne qui a été condamnée à la suite de procédures sur un acte d'accusation, le ministre de la Justice peut
a) prescrire, au moyen d'une ordonnance écrite, un nouveau procès devant une cour qu'il juge appropriée, si, après enquête, il est convaincu que, dans les circonstances, un nouveau procès devrait être prescrit;
b) à toute époque, déférer la cause à la cour d'appel pour audition et décision par cette cour comme s'il s'agissait d'un appel interjeté par la personne condamnée; ou
c) à toute époque, soumettre à la cour d'appel, pour connaître son opinion, toute question sur laquelle il désire l'assistance de cette cour, et la cour doit donner son opinion en conséquence.
Dans une requête subséquement produite au greffe de la Cour d'Appel, l'appelant demanda à la Cour d'entendre, outre dame Helen Dallos et Frank Grilly, trois autres personnes, soit Armand Morin, André Gagnon et Jean-Paul Fournel. Cependant, advenant l'audition, l'appelant, d'une part, renonça à faire entendre Gagnon et Fournel, et la
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Cour, d'autre part, étant d'avis que le témoignage de Morin ne pouvait assister l'appelant, exerça la discrétion qui lui est conférée au paragraphe (c) du dispositif du renvoi et refusa d'entendre ce témoin. Quant à Frank Grilly et dame Helen Dallos, les parties déclarèrent s'en tenir à l'affidavit de Grilly purement et simplement et à celui de dame Dallos, sujet dans ce dernier cas au droit de la Couronne de contre-interroger.
Il fut alors procédé à un très bref interrogatoire de dame Dallos et la Cour du banc de la reine[4], après avoir entendu les avocats des parties, examiné le dossier et délibéré, procéda, le 17 septembre 1964, à rendre jugement comme s'il s'agissait d'un appel interjeté par la personne condamnée et rejeta cet appel par un jugement unanime. Le présent pourvoi est de ce jugement.
Il convient de référer d'abord à l'objection faite par la Couronne à la juridiction de cette Cour. Il n'y a pas d'appel, dit-on, à la Cour Suprême du Canada d'une décision rendue par un tribunal d'appel d'une province sur un renvoi fait en vertu de l'article 596 (b) du Code et, ajoute-t-on subsidiairement, au factum de la Couronne, si un tel appel existe, il ne peut être question d'un appel de plano mais d'un appel qui doit être permis à la suite d'une requête pour permission d'appeler. Au soutien de la négation de l'appel, on cherche à faire une analogie entre les termes suivants de l'article 596 (b) du Code, « comme s'il s'agissait d'un appel interjeté par la personne condamnée » et les termes suivants de l'article 55(2) de la Loi sur la Cour Suprême du Canada relatif aux questions déférées à cette Cour par le Gouverneur en conseil « de la même manière que dans le cas d'un jugement rendu sur un appel porté devant la Cour »; on en déduit que le renvoi autorisé par l'article 596 (b) du Code n'est pas un appel mais que, par les termes ci-dessus de l'article, le Parlement a tout simplement indiqué que la procédure à suivre était celle régissant les appels ordinaires et que la conclusion de la Cour d'Appel sur un tel renvoi n'équivaut en substance qu'à une simple opinion et non à un jugement. Pour disposer de cet argument, il suffit de
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dire, à mon avis, que le renvoi autorisé par l'article 55 de la Loi sur la Cour Suprême du Canada a pour objet l'obtention d'une « opinion », ainsi qu'il appert du paragraphe 2 de cet article et que celui qu'autorise l'article 596 (b) du Code Criminel a pour objet l'obtention d'une « décision », ainsi qu'il appert du texte même de l'article 596 (b). Il n'y a donc pas d'analogie. Les dispositions de l'article 596 (b) du Code prescrivent en termes bien clairs que la cause est déférée « pour audition et décision comme s'il s'agissait d'un appel interjeté par la personne condamnée » ou, suivant la version anglaise de l'article 596 (b) du Code, « for hearing and determination as if it were an appeal by the convicted person. » Tel qu'indiqué à l'article 592 du Code, les décisions que la Cour d'Appel peut rendre dans un appel interjeté par la personne condamnée sont, soit de rejeter l'appel purement et simplement ou l'accueillir, et, dans ce dernier cas, ordonner un nouveau procès ou prononcer un acquittement. Dans le cas qui nous occupe, la Cour d'Appel a décidé de rejeter l'appel, confirmant ainsi la déclaration de culpabilité, et, dès lors, les dispositions de l'article 597A du Code Criminel sont applicables:
597A. Nonobstant toute autre disposition de la présente loi, une personne
a) qui a été condamnée à mort et dont la déclaration de culpabilité est confirmée par la cour d'appel, ou
b) qui est acquittée d'une infraction punissable de mort et dont l'acquittement est écarté par la cour d'appel,
peut interjeter appel à la Cour Suprême du Canada sur toute question de droit ou de fait ou toute question mixte de droit et de fait.
Il s'ensuit que la prétention principale et la prétention subsidiaire de la Couronne ne peuvent être admises.
Au mérite de l'appel, les prétentions de l'appelant, telles que formulées à l'audition, sont que la Cour d'Appel aurait erré dans l'appréciation du renvoi du Ministre, dans l'appréciation de l'affidavit de Grilly et de la déposition complète de dame Dallos et qu'elle aurait aussi erré en refusant d'entendre Morin. Et, ajoute-t-on, si les faits ainsi rapportés par Grilly et dame Dallos et ceux dont Morin aurait pu témoigner avaient été soumis aux jurés, avec les directives
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légalement appropriées, ceci aurait raisonnablement accru la possibilité pour les jurés de rendre un verdict de meurtre non qualifié ou voire même un verdict d'acquittement.
Nonobstant toute la latitude accordée au procureur de l'appelant pour lui permettre d'établir, si possible, le bienfondé de ces griefs, aussi bien que le bien-fondé du grief additionnel par lui soulevé en réplique, quant à l'absence de directives au procès sur la question d'ivresse, nous sommes tous d'avis qu'il n'a pas réussi à ce faire.
En Cour d'Appel, M. le Juge en chef Tremblay, référant à ces témoignages et parlant pour lui et pour tous ses collègues, a déclaré:
Sur le tout, je suis absolument convaincu que si ces témoignages avaient été donnés au procès, le verdict eût été nécessairement le même.
C'est là la conclusion à laquelle nous en sommes arrivés après avoir considéré attentivement les arguments faits de part et d'autre sur la portée des témoignages offerts par l'appelant.
Avant de clore, il est peut-être à propos d'ajouter que du fait que les policiers aient pu inviter dame Dallos à ne parler à personne autre qu'à eux, ainsi qu'elle en témoigne à la fin de sa déposition, on ne saurait inférer, sous les circonstances, qu'ils aient voulu ainsi l'empêcher de communiquer avec la défense.
Nous sommes tous d'opinion que cet appel doit être rejeté.
Appel rejeté.
Procureurs de l'appelant: D. Dansereau et Y. Mayrand, Montréal.
Procureur de l'intimée: J. Ducros, Montréal.
[1] [1964] B.R. 837.
[2] [1964] B.R. 155.
[3] [1964] R.C.S. 559.
[4] [1964] B.R. 837.