N° C.22.0006.F
IMMOBILIÈRE DIAMANT, société anonyme, dont le siège est établi à Woluwe-Saint-Lambert, avenue Général Lartigue, 63, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0434.530.405,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
E & B CATERING, société à responsabilité limitée, dont le siège est établi à Braine-l'Alleud (Lillois-Witterzée), chemin du p'tit Coriat, 6, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0479.715.577,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 29 juin 2021 par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, statuant en degré d’appel.
Le 21 octobre 2022, l’avocat général Bénédicte Inghels a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Michel Lemal a fait rapport et l’avocat général
Bénédicte Inghels a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Aux termes de l'article 1722 de l’ancien Code civil, si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit.
Cette disposition implique que la privation de la jouissance du bien résulte de l’impossibilité pour le bailleur de procurer au preneur, en raison d'un cas fortuit ou de force majeure, la jouissance promise dans le bail.
La force majeure, qui empêche une partie de remplir ses obligations, suspend l'exécution des engagements nés d'un contrat synallagmatique, lorsque cet empêchement n'est que temporaire et que le contrat peut encore être utilement exécuté après le délai convenu.
Il s’ensuit que, lorsque l’impossibilité pour le bailleur de procurer au preneur, en raison d'un cas fortuit ou de force majeure, la jouissance promise dans le bail n’est que temporaire et que le contrat peut encore être utilement exécuté après le délai convenu, les obligations nées du bail sont suspendues et devront à nouveau être exécutées lorsque cette impossibilité prendra fin.
S’agissant d’un bail à durée déterminée, lorsque, dans l’intention des parties, la date d’expiration du bail n’est pas essentielle, la durée du bail est prolongée de la durée de la suspension des obligations réciproques.
Le jugement non attaqué du 14 février 2020 constate que, « par acte notarié du 11 mars 2003, la [défenderesse] a pris en location, pour une durée de 18 ans, la surface commerciale de l’immeuble [dont la demanderesse est propriétaire], comprenant » une salle de restaurant, que, « le 1er juin 2013, l'immeuble a subi un incendie à la suite d’une fuite de gaz », que, « suite à cette explosion, les lieux n'ont plus pu être exploités », que la demanderesse a entamé des travaux, qu’à sa demande, le président du tribunal siégeant en référé a, « par ordonnance du 23 décembre 2013 », « interdit à la [défenderesse] et à son gérant l’accès au chantier durant les travaux », que, « par lettre du 25 avril 2014, le conseil de la [demanderesse] a informé le conseil de la [défenderesse] que les travaux pour le restaurant pourraient être terminés fin juin ou début juillet au plus tard », que, « le 13 juin 2014, le conseil de la [défenderesse] a demandé au conseil de la [demanderesse] la date exacte à laquelle elle pourrait reprendre possession des lieux ainsi que le planning des travaux restant encore à réaliser », que, le 2 octobre 2015, la demanderesse « a obtenu le permis d'urbanisme de la Région de Bruxelles-Capitale », que, alors que la défenderesse demandait la mise à disposition des lieux loués, le remboursement des loyers versés depuis la date du sinistre et de ne pas résilier le bail, et que la demanderesse soutenait que « l’immeuble avait péri et que le bail avait pris fin en raison d’un cas de force majeure », le jugement du juge de paix du 3 juillet 2017 ordonne la remise à la défenderesse de la clé de la porte d’entrée de l’immeuble et le jugement du tribunal de première instance du 9 janvier 2018, statuant en appel et avant dire droit, ordonne à la demanderesse « de remettre ‘le code d'accès aux caves et compteurs de gaz’, ‘les clés des portes de secours du rez-de-chaussée et du premier étage de l'immeuble […]’, ‘les attestations de réception technique des différentes installations électriques et de chauffage’ », que, le 2 février 2018, la défenderesse « a récupéré les clés », que, les 3 mai et 13 juillet 2018, les attestations de conformité des installations de gaz et d’électricité et celle qui est relative à la composition des plafonds lui ont été communiquées, que, « par lettre officielle [de son conseil] du 7 août 2018, la [demanderesse] a informé la [défenderesse] de sa décision de ne pas maintenir sa demande ‘tendant à entendre déclarer que le bail entre les parties aurait pris fin suite à la destruction totale du bien loué’ » et que, « le 1er septembre 2018, l'exploitation du restaurant […] a repris ».
Il considère que, s’agissant de la période d’« indisponibilité du bien depuis la date du sinistre jusqu’au 2 octobre 2015, date d’obtention du permis d’urbanisme », la demanderesse se trouvait dans l’impossibilité juridique de mettre le bien à la disposition de la défenderesse, que cette impossibilité a perduré pendant le délai, qu’il évalue à cinq mois, nécessaire pour terminer les travaux et qu’à partir du mois de mars 2016, « l’indisponibilité du bien [est] imputable à [la demanderesse] ».
Statuant sur la demande de prorogation du bail de la défenderesse, le jugement attaqué considère qu’« il est acquis que [la défenderesse] a renoncé à toute demande en résolution du contrat de bail commercial sur pied de l’article 1722, alinéa 1er, du Code civil et qu'en vertu des données de fait relatées dans le jugement interlocutoire du 14 février 2020, les parties ont entendu poursuivre l'exécution du contrat à l'issue de la période d'indisponibilité du bien pour force majeure », que « le lien contractuel doit être préservé lorsqu'il présente une utilité, l'objectif étant de stabiliser les droits du preneur sur les locaux commerciaux pendant une durée d'exploitation suffisante pour amortir les investissements réalisés dans les lieux », et qu’« au regard de ces données de fait telles qu’elles sont relatées, […] il convient de consacrer au délai d'exécution du contrat de bail commercial une durée effective ».
Le jugement attaqué, qui considère ainsi que l’intention des parties était d’exécuter ce bail pendant toute sa durée effective pour permettre à la défenderesse d’amortir les investissements réalisés dans les lieux, de sorte que sa date d’expiration n’était pas essentielle, décide légalement de prolonger la durée du contrat de bail commercial « de celle de l'empêchement de l'exécution du contrat par la force majeure », soit pendant une période de 32 mois.
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent soixante-neuf euros vingt-trois centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt-deux euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Mireille Delange et Michel Lemal, les conseillers Marie-Claire Ernotte et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du dix novembre deux mille vingt-deux par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Bénédicte Inghels, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.