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06/05/2022 | BELGIQUE | N°C.21.0501.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 06 mai 2022, C.21.0501.F


N° C.21.0501.F
E. S.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
ZEEMAN TEXTIELSUPERS, société anonyme, dont le siège est établi à Anvers (Merksem), Bredabaan, 498, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0437.177.416,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 18

7/302, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en ca...

N° C.21.0501.F
E. S.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
ZEEMAN TEXTIELSUPERS, société anonyme, dont le siège est établi à Anvers (Merksem), Bredabaan, 498, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0437.177.416,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 187/302, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 2 juin 2021 par le tribunal de première instance du Hainaut, statuant en degré d’appel.
Le président de section Michel Lemal a fait rapport.
L’avocat général Philippe de Koster a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente deux moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
Les présomptions constituent un mode de preuve d'un fait inconnu.
Les articles 1349 et 1353 de l'ancien Code civil, 8.1, 9°, et 8.29 du Code civil, qui règlent ce mode de preuve, sont étrangers à l'appréciation que le juge porte, sur la base des faits qui lui sont soumis, sur la sincérité du motif du refus opposé par un bailleur à une demande de renouvellement du bail commercial du preneur.
Le moyen, en cette branche, est irrecevable.
Quant à la deuxième et à la troisième branche :
Le jugement attaqué énonce que « le contrôle du juge [sur la sincérité du motif de refus de renouvellement du bail] reste marginal et restreint : il ne juge pas de l'opportunité du motif invoqué, ne statue pas en équité et doit se borner à vérifier si la réalisation du motif invoqué est manifestement non sincère » et qu’« une fois interpellé sur la sincérité ou la faisabilité du motif invoqué, le bailleur doit collaborer loyalement à l'information du preneur et donner au tribunal les renseignements nécessaires à la solution du litige ».
Il constate que, par lettre recommandée du 16 janvier 2018, le demandeur a refusé le renouvellement du bail demandé par la défenderesse, « indiquant son intention d’occuper personnellement le bien pendant une durée minimum de
24 mois », qu’« interpellé par le premier juge, [il] a indiqué qu’il comptait utiliser le bien loué à destination d’espace de stockage » et que la défenderesse « fait valoir, à l’appui de sa contestation de la sincérité du [motif], que [le demandeur] qui, en son nom personnel ou par le biais de sociétés dont il assume la gérance, donne en location à la [défenderesse] des magasins situés dans plusieurs régions, refuse de manière systématique, selon une lettre type, de renouveler les baux, en invoquant toujours son intention d'occuper personnellement les lieux », qu’« à chaque occasion, il prétend vouloir transformer ces magasins en espaces de stockage », que le demandeur « aurait donc besoin d’espaces importants de stockage à plusieurs endroits du pays et serait disposé à renoncer à la perception d’importants loyers afin de disposer de ces lieux de stockage » et que « les refus [du demandeur] sont davantage motivés par sa volonté d’obtenir in fine un loyer plus élevé que par son souhait de disposer de multiples espaces de stockage ».
Il rejette le reproche fait par le demandeur au premier juge « de ne pas avoir pris en considération les éléments avancés pour trois autres dossiers litigieux » aux motifs que :
- « pour le magasin d’…, si [le demandeur] démontre que le bail a finalement été renouvelé, il ressort des pièces produites par la [défenderesse] que le renouvellement a été demandé par lettre du 16 février 2016 de la [défenderesse] aux conditions en vigueur, en ce compris le loyer de 38.000 euros par an ; que [le demandeur] a fait valoir, par lettre du 4 mai 2016, en sa qualité d’administrateur délégué, son refus pour occupation personnelle ; que, si le renouvellement a été octroyé par convention datée du 10 juin 2016, c’est moyennant un loyer porté à 62.500 euros ; que l’avenant modifiant l’objet du bail dont fait état [le demandeur] a été conclu le 26 septembre 2017, pour prendre cours le 1er janvier 2018 et pas 2017 comme l’indique [le demandeur], le loyer ayant alors été porté à 100.000 euros » et que « le renouvellement a donc bien été consenti moyennant un loyer augmenté de près de 65 p.c. » ;
- si, « pour le magasin de …, la [défenderesse] a été contrainte de quitter les lieux, le renouvellement ayant été refusé pour occupation personnelle et la juge de paix [saisie de la contestation] ayant dit pour droit que la validité du refus ne pouvait être contestée à ce stade, au motif que le fait que le bailleur ne réalise pas le motif du refus ne porte pas atteinte à la validité de la décision de refus, mais justifie, le cas échéant, le paiement d’une indemnité d’éviction », « le tribunal considère qu’il ne peut refuser au preneur d’établir la preuve que l’intention exprimée par le bailleur est dénuée de tout fondement ou n’est pas sincère au motif que son seul recours résulte de l’action en paiement de l’indemnité d’éviction » ;
- le demandeur « fait valoir qu’il a accepté le renouvellement du bail du magasin de … mais la [défenderesse] objecte que, si elle a obtenu le renouvellement du bail dans le centre commercial de … à un loyer moindre que celui convenu initialement, c’est parce qu’il ne ‘fonctionne’ pas bien et que [le demandeur] était heureux que la [défenderesse] y reste ».
Il relève encore que la défenderesse « fait valoir une décision rendue par le juge de paix du canton d’Anderlecht le 25 novembre 2020 qui a, comme le jugement entrepris, considéré que le motif de refus n’était pas sincère ».
Il considère également que, par jugement du 16 janvier 2019, le premier juge a ordonné la réouverture des débats afin que le demandeur « produise des pièces probantes justifiant l'activité commerciale qu'il comptera exercer suite à son refus de renouvellement du bail commercial pour cause d’occupation personnelle », qu’en réponse à cette demande du premier juge, le demandeur « a indiqué qu'il comptait utiliser le bâtiment loué comme espace de stockage sans autre précision », qu’« il est pour le moins surprenant que [le demandeur] ne fournisse pas d’autres informations au sujet de ce qu’il compte stocker sur une superficie importante alors que cette affectation implique de renoncer à un loyer annuel de 83.000 euros » et qu’« il ressort par ailleurs du courriel que [le demandeur] a adressé à la [défenderesse] le 23 mars 2019 que, dans le cadre d’un accord global, il était disposé à renouveler le bail ‘aux conditions actuelles’, ce qui tend à démontrer qu’il n’a pas réellement l’intention d’occuper le bien personnellement ».
En considérant qu’« il est pour le moins surprenant que [le demandeur] ne fournisse pas d’autres informations au sujet de ce qu’il compte stocker sur une superficie importante alors que cette affectation implique de renoncer à un loyer annuel de 83.000 euros », le jugement attaqué exprime la conviction du tribunal que l’abstention du demandeur de fournir la moindre pièce justificative quant à l'activité commerciale qu'il prétend développer dans les lieux litigieux, nonobstant le jugement du premier juge l’y invitant et nonobstant son obligation de collaborer loyalement à l'information du preneur et de donner au tribunal les renseignements nécessaires à la solution du litige, tend à démontrer qu’il n’a pas réellement l’intention d’occuper le bien personnellement.
Par ailleurs, en se référant au courriel du 23 mars 2019, dont il relève qu’il a bien été « adressé » à la défenderesse et qu’il mentionne que le demandeur « était disposé à renouveler le bail », le jugement ne se fonde pas sur un élément hypothétique.
Enfin, il suit de ce qui précède que le jugement attaqué, qui ne se fonde pas uniquement sur les deux motifs précités mais également sur son analyse de l’attitude du demandeur lors des demandes de renouvellement d’autres baux, qu’il a refusées pour un motif identique, considère que la présomption de bonne foi du demandeur est renversée avec certitude et que le motif de refus invoqué par le demandeur est manifestement non sincère.
Le moyen, en chacune de ces branches, manque en fait.
Sur le second moyen :
L’article 24 de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux dispose que, si le refus du bailleur de consentir au renouvellement du bail est déclaré injustifié par le juge après l'expiration du délai de trois mois prévu à l'article 14, le bail est renouvelé au preneur, sauf le droit du bailleur de prétendre à des conditions différentes ou de se prévaloir de l'offre d'un tiers, conformément aux articles 14 et 21 de la loi ; toutefois, le délai pour la notification par le bailleur au preneur des conditions auxquelles est subordonné le renouvellement ou de l'offre d'un tiers est réduit à un mois à partir de la signification du jugement.
Ce jugement est celui qui n'est plus susceptible des recours ordinaires.
Le jugement attaqué, qui, après avoir, par confirmation du jugement entrepris, décidé que « le motif de refus [de renouvellement du bail entre parties] allégué par [le demandeur] n’est pas sincère et qu’il doit être déclaré non fondé », considère que le demandeur ne disposait, « un mois après la signification [du jugement entrepris], plus de la possibilité de faire valoir un motif quelconque de refus de renouvellement », ne décide pas légalement que « le bail est dès lors renouvelé aux conditions en vigueur lors de la demande de renouvellement, sauf en ce qui concerne le loyer qui est de 68.000 euros par an à partir du 1er mars 2019 ».
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse le jugement attaqué en tant qu’il dit pour droit que le bail est renouvelé aux conditions proposées par la défenderesse dans sa demande de renouvellement du 2 novembre 2017, soit aux conditions en vigueur à cette époque sous réserve du loyer qui est fixé à 68.000 euros par an à partir du
1er mars 2019, l’indice de base étant l’indice santé de février 2019, et qu’il statue sur les dépens et les droits de greffe ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement partiellement cassé ;
Condamne le demandeur à la moitié des dépens, en réserve l’autre moitié pour qu’il soit statué sur celle-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant le tribunal de première instance du Brabant wallon, siégeant en degré d’appel.
Les dépens taxés à la somme de sept cent soixante-deux euros quatre-vingt-sept centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du six mai deux mille vingt-deux par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Philippe de Koster, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : C.21.0501.F
Date de la décision : 06/05/2022
Type d'affaire : Droit civil

Analyses

Si le refus du bailleur de consentir au renouvellement du bail est déclaré injustifié par le juge après l'expiration du délai de trois mois prévu à l'article 14 de la loi du 30 avril 1951, le bail est renouvelé au preneur, sauf le droit du bailleur de prétendre à des conditions différentes ou de se prévaloir de l'offre d'un tiers, conformément aux articles 14 et 21 de la loi; toutefois le délai pour la notification par le bailleur au preneur des conditions auxquelles est subordonné le renouvellement ou de l'offre d'un tiers est réduit à un mois à partir de la signification du jugement.

LOUAGE DE CHOSES - BAIL COMMERCIAL - Fin (Congé. Renouvellement. Etc) [notice1]


Références :

[notice1]

L. du 30 avril 1951 CODE CIVIL. - LIVRE III - TITRE VIII - CHAPITRE II, Section 2bis : Des règles particulières aux baux commerciaux - 30-04-1951 - Art. 14 et 21 - 30 / No pub 1951043003


Composition du Tribunal
Président : STORCK CHRISTIAN
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : DE KOSTER PHILIPPE
Assesseurs : LEMAL MICHEL, ERNOTTE MARIE-CLAIRE, MARCHANDISE MAXIME, MORIS MARIELLE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-05-06;c.21.0501.f ?

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