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06/04/2022 | BELGIQUE | N°P.21.1594.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 06 avril 2022, P.21.1594.F


N° P.21.1594.F
R. A.
partie civile,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Charles-Edouard Huysmans et Deborah Albelice, avocats au barreau de Bruxelles,
contre
1. D. J.
2. F. S.
3. DE G. M.
4. G. M.
5. H. B.
personnes à l’égard desquelles l’action publique est engagée,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 24 novembre 2021 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire

annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
L’avocat général Damien Vandermeersch a déposé des c...

N° P.21.1594.F
R. A.
partie civile,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Charles-Edouard Huysmans et Deborah Albelice, avocats au barreau de Bruxelles,
contre
1. D. J.
2. F. S.
3. DE G. M.
4. G. M.
5. H. B.
personnes à l’égard desquelles l’action publique est engagée,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 24 novembre 2021 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
L’avocat général Damien Vandermeersch a déposé des conclusions reçues au greffe le 29 mars 2022.
A l’audience du 6 avril 2022, le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Le moyen invoque la violation des articles 3, 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution et 127, 128, 135, 223 et 228 du Code d’instruction criminelle, ainsi que la méconnaissance du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.
Il soutient que l’arrêt ne répond pas aux conclusions du demandeur alléguant que, en l’absence de toute explication quant à la cause des blessures attestées par un certificat médical établi juste après sa remise en liberté, il y a lieu de constater l’existence de charges suffisantes contre les défendeurs du chef de torture et de traitement inhumain commis par un agent de la force publique agissant à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. Le moyen reproche en particulier aux juges d’appel de ne pas avoir rencontré la défense du demandeur soutenant que, suivant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de violences policières, l’existence de blessures survenues durant son arrestation fait présumer qu’elles sont le fait de la police, de sorte que le renvoi des défendeurs devant le tribunal correctionnel s’imposait.
Ainsi que le moyen l’expose, la Cour européenne des droits de l’homme considère que lorsque les événements en cause sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des personnes soumises à leur contrôle en garde à vue, toute blessure survenue pendant cette période donne lieu à de fortes présomptions de fait. La juridiction européenne précise que, dans ce cas, la charge de la preuve pèse sur le gouvernement de l’Etat concerné et qu’il lui incombe de fournir une explication satisfaisante et convaincante, en produisant des preuves établissant des faits qui font peser un doute sur le récit de la victime. En l’absence d’une telle explication, la Cour européenne des droits de l’homme juge qu’elle est en droit de tirer des conclusions pouvant être défavorables au gouvernement.
Cette jurisprudence s’applique au gouvernement d’un Etat partie à la Convention lorsque, dans le cas de violences policières alléguées, la responsabilité de cet Etat est mise en cause devant la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir manqué à ses obligations découlant de l’article 3 de la Convention. Elle ne remet pas en question les règles relatives à la charge de la preuve applicables devant les juridictions d’instruction ou de jugement, lorsqu’elles sont appelées à statuer sur l’existence de charges à l’égard d’une personne suspectée d’avoir commis une infraction, ou sur la culpabilité de cette personne, même si l’accusation se rapporte à des violences policières.
La personne suspectée d’avoir commis de telles violences bénéficie de la présomption d’innocence, consacrée notamment par l’article 6.2 de la Convention. Le principe suivant lequel il appartient, en règle, à la partie poursuivante de prouver l’existence des faits allégués, demeure pleinement applicable.
Ainsi, aucune disposition conventionnelle ou légale n’oblige le juge national, appelé à statuer sur les poursuites mues à charge d’un fonctionnaire de police du chef de violences illégitimes, à accorder aux dires de la personne qui l’en accuse, un crédit différent de celui donné aux explications du prévenu qui s'en défend. Un tel renversement de la charge de la preuve emporterait une méconnaissance de la présomption d'innocence garantie par l’article 6.2 de la Convention, laquelle est d’application générale et bénéficie dès lors également à un fonctionnaire de police poursuivi du chef de violence illégitime.
Dans la mesure où il soutient que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme implique un renversement de la charge de la preuve de l’infraction, en faveur de la personne qui se déclare victime de violences policières et au détriment du fonctionnaire de police accusé de les avoir commises, le moyen manque en droit.
L’arrêt confirme l’ordonnance de non-lieu de la chambre du conseil, en considérant que les déclarations des nombreux policiers interrogés par l’inspection générale de la police sont concordantes, que l’analyse des images des caméras de vidéosurveillance installées dans le commissariat n’a pas permis de déceler la moindre trace de violence envers le demandeur, que les arguments invoqués pour justifier le renvoi des défendeurs devant le tribunal correctionnel ne sont pas renforcés par les éléments objectifs du dossier et que l’analyse des déclarations du demandeur fait apparaître de nombreuses incohérences.
Par adoption des motifs des réquisitions écrites du ministère public, la décision attaquée considère en outre qu’il résulte des différents devoirs effectués que
- le demandeur a déclaré que des trois policiers qui l’auraient frappé lors de son arrestation, un portait deux boucles d’oreille à l’oreille gauche ; cependant, aucun membre du service concerné, dont font partie les trois policiers, ne porte de boucles d’oreille ;
- le demandeur affirme avoir été transporté d’un petit commissariat situé à Uccle vers un autre à Molenbeek, alors qu’il a été transféré du commissariat de Saint-Gilles à celui d’Anderlecht ;
- le demandeur affirme avoir été frappé avec un bélier, par un policier qui a sorti cet objet du coffre du véhicule de police ayant servi à son transfert au second commissariat ; il ressort de l’enquête qu’aucun bélier n’est mis à la disposition des services concernés et qu’aucun bélier ne doit se trouver dans le coffre de ladite voiture ;
- le demandeur a déclaré que l’immatriculation du véhicule ayant servi au transfert d’un commissariat à l’autre comporte les lettres GNT, en précisant « je suis formel à 100 % », alors que cette voiture est immatriculée 1-NHN 438.
Par ces motifs, dont il ressort que, selon les juges d’appel, les résultats de l’enquête n’ont pas permis de corroborer la plainte du demandeur, qu’ils font peser un doute sur son récit et qu’il n’existe pas de charges suffisantes à l’égard des défendeurs justifiant leur renvoi devant le tribunal correctionnel, l’arrêt répond aux conclusions du demandeur et justifie légalement sa décision.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Pour le surplus, le moyen n’indique pas pour quel motif l’arrêt violerait les articles 127, 128, 135, 223 et 228 du Code d’instruction criminelle.
A cet égard, manquant de précision, le moyen est irrecevable.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de quarante-sept euros nonante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du six avril deux mille vingt-deux par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.21.1594.F
Date de la décision : 06/04/2022
Type d'affaire : Droit international public - Droit pénal

Analyses

La Cour européenne des droits de l'homme considère que lorsque les événements en cause sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des personnes soumises à leur contrôle en garde à vue, toute blessure survenue pendant cette période donne lieu à de fortes présomptions de fait; la juridiction européenne précise que, dans ce cas, la charge de la preuve pèse sur le gouvernement de l'Etat concerné et qu'il lui incombe de fournir une explication satisfaisante et convaincante, en produisant des preuves établissant des faits qui font peser un doute sur le récit de la victime; en l'absence d'une telle explication, la Cour européenne des droits de l'homme juge qu'elle est en droit de tirer des conclusions pouvant être défavorables au gouvernement (1). (1) Voir les concl. du MP.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 3 - PREUVE - MATIERE REPRESSIVE - Charge de la preuve. Liberté d'appréciation - PREUVE - MATIERE REPRESSIVE - Présomptions [notice1]

La jurisprudence européenne relative à la responsabilité de l'Etat mise en cause, dans le cas de violences policières alléguées, pour avoir manqué à ses obligations découlant de l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'applique au gouvernement d'un Etat partie; elle ne remet pas en question les règles relatives à la charge de la preuve applicables devant les juridictions d'instruction ou de jugement, lorsqu'elles sont appelées à statuer sur l'existence de charges à l'égard d'une personne suspectée d'avoir commis une infraction, ou sur la culpabilité de cette personne, même si l'accusation se rapporte à des violences policières (1). (1) Voir les concl. du MP.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 3 - PREUVE - MATIERE REPRESSIVE - Charge de la preuve. Liberté d'appréciation [notice4]

La personne suspectée d'avoir commis des violences policières bénéficie de la présomption d'innocence, consacrée notamment par l'article 6.2 de la Convention de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales; le principe suivant lequel il appartient, en règle, à la partie poursuivante de prouver l'existence des faits allégués, demeure pleinement applicable (1). (1) Voir les concl. du MP.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 3 - DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 2 - PREUVE - MATIERE REPRESSIVE - Charge de la preuve. Liberté d'appréciation [notice6]

Aucune disposition conventionnelle ou légale n'oblige le juge national, appelé à statuer sur les poursuites mues à charge d'un fonctionnaire de police du chef de violences illégitimes, à accorder aux dires de la personne qui l'en accuse, un crédit différent de celui donné aux explications du prévenu qui s'en défend; un tel renversement de la charge de la preuve emporterait une méconnaissance de la présomption d'innocence garantie par l'article 6.2 de la Convention, laquelle est d'application générale et bénéficie dès lors également à un fonctionnaire de police poursuivi du chef de violence illégitime (1). (1) Voir les concl. du MP.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 3 - DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 2 - PREUVE - MATIERE REPRESSIVE - Charge de la preuve. Liberté d'appréciation [notice9]


Références :

[notice1]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 3 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30

[notice4]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 3 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30

[notice6]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 3 et 6, § 2 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30

[notice9]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 3 et 6, § 2 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30


Composition du Tribunal
Président : DE CODT JEAN
Greffier : FENAUX TATIANA
Ministère public : VANDERMEERSCH DAMIEN
Assesseurs : DE FORMANOIR DE LA CAZERIE ERIC, KONSEK TAMARA, LUGENTZ FREDERIC, STEVENART MEEUS FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-04-06;p.21.1594.f ?

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