N° S.20.0047.F
OFFICE NATIONAL DE L’EMPLOI, établissement public, dont le siège est établi à Bruxelles, boulevard de l’Empereur, 7, inscrit à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0206.737.484,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
M. B.,
défendeur en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 14 mai 2020 par la cour du travail de Bruxelles.
Le 28 février 2022, l’avocat général Bénédicte Inghels a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Mireille Delange a fait rapport et l’avocat général
Henri Vanderlinden a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- articles 10, 11, 108 et 159 de la Constitution ;
- articles 27, 30 et 42bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, modifié par l'arrêté royal du 11 septembre 2016 ;
- articles 26, 28, 1°, 49, 50, 51 et 77/4 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ;
- principe général du droit interdisant au juge d'appliquer une norme contraire à une norme supérieure.
Décisions et motifs critiqués
L’arrêt, par confirmation du jugement entrepris, écarte l’application de l’article 42bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, modifié par l’arrêté royal du 11 septembre 2016, conformément à l’article 159 de la Constitution, annule la décision [du demandeur] du 13 mars 2017, applique l’article 42bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 dans la version en vigueur avant sa modification par l’arrêté royal du 11 septembre 2016 et dit pour droit que le défendeur devait être admis au bénéfice des allocations de chômage comme chômeur temporaire sur la base d’un manque de travail pour causes économiques à partir du 3 février 2017.
L’arrêt fonde sa décision sur les motifs qu’il indique sub « Discussion », considérés ici comme intégralement reproduits, et plus particulièrement sur les considérations suivantes :
« L’article 30 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 [portant réglementation du chômage] dispose que, pour être admis au bénéfice des allocations de chômage, le travailleur à temps plein doit accomplir un stage comportant 312 journées de travail au cours des 21 mois précédant la demande d’allocations, s’il est âgé de moins de 36 ans. Cette période de stage est augmentée en fonction de l’âge du demandeur des allocations. À partir de l’âge de 36 et de 50 ans, le nombre de journées de travail requis est augmenté jusqu’à 468 et 624 jours.
En vertu de l’article 42bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, avant sa modification par l’arrêté royal du 11 septembre 2016, les chômeurs temporaires sont, par dérogation aux articles 30 et 31 de l’arrêté royal, admis aux allocations de chômage avec dispense de stage.
L’arrêté royal du 11 septembre 2016, d’application à partir du 1er octobre 2016, a scindé la règle générale, reprise à l’article 42bis, en fonction des catégories de chômeurs temporaires.
D’après le nouvel article 42bis, par dérogation aux articles 30 à 32, le travailleur à temps plein qui est chômeur temporaire, étant donné que ses prestations de travail sont temporairement réduites ou suspendues en application des articles 26, 28, 1°, 49 ou 50 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ou de l’article 5 de la loi du 19 mars 1991 portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d’entreprise et aux comités de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel, ou à la suite d’une grève ou d’un lock-out, est admis au droit aux allocations de chômage sans qu’il doive satisfaire aux conditions de stage.
D’après le nouvel article 42, § 1er, alinéa 2, le travailleur qui demande les allocations de chômage comme chômeur temporaire étant donné que ses prestations de travail sont temporairement réduites ou suspendues en application des articles 51 ou 77/4 de la loi du 3 juillet 1978 est dispensé d’un nouveau stage si, pour au moins un jour au cours des trois ans qui précèdent la demande d’allocations, il a, 1° soit bénéficié des allocations de chômage comme chômeur complet, 2° soit bénéficié des allocations d’insertion, 3° soit bénéficié des allocations de chômage en application de l’article 42bis, alinéa 3, 4°, soit bénéficié des allocations de chômage comme chômeur temporaire après qu’il a été constaté qu’il a satisfait aux conditions de stage prévues aux articles 30 à 33.
Ainsi, un régime différent est institué pour le droit aux allocations de chômage entre, d’une part, la catégorie des chômeurs économiques, qui ne peuvent être dispensés du stage que sous des conditions restrictives, équivalentes en grande partie à la nécessité d’avoir accompli un stage complet, et, d’autre part, la catégorie des autres chômeurs temporaires, pour force majeure suivant l’article 26 de la loi du 3 juillet 1978, vacances annuelles suivant l’article 28, § 1er, de cette loi, accident technique suivant l’article 49 de la même loi et intempéries suivant l’article 50, qui sont toujours dispensés du stage.
D’après une jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation, les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-discrimination n’excluent pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause. Le principe d’égalité est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et l’objectif visé.
Afin de déterminer si, dans le litige soumis à la cour [du travail], il y a violation du principe de l’égalité de traitement, il doit donc être examiné s’il s’agit de catégories des personnes comparables, si la distinction repose sur un critère objectif et si la distinction est raisonnablement justifiée en tenant compte du but et des effets des mesures critiquées et de la nature des principes en cause.
La cour [du travail] estime, tout comme le premier juge, que la catégorie des personnes en chômage économique, d’une part, et la catégorie des personnes en chômage temporaire pour cause d’intempéries, force majeure ou accident technique, d’autre part, sont des catégories comparables dans le cadre de l’examen du principe de l’égalité de traitement au sens des articles 10 et 11 de la Constitution.
Avant l’arrêté royal du 11 septembre 2016, et depuis l’année 2003, le législateur a appliqué un régime identique aux deux catégories de chômeurs. Ainsi, dans l’esprit du législateur de 2003, il s’agissait de catégories comparables.
Le fait qu’il s’agit de catégories comparables est indirectement confirmé par l’arrêté royal du 30 mars 2020 visant à adapter les procédures dans le cadre du chômage temporaire dû au virus Covid-19 […] qui prévoit en son article 1er :
‘Par dérogation aux articles 30 à 32 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, le travailleur à temps plein mis en chômage temporaire étant donné que ses prestations de travail sont temporairement réduites ou suspendues en application des articles 51 ou 77/4 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail est admis au bénéfice des allocations de chômage sans qu’il doive satisfaire aux conditions de stage.
Par dérogation à l’article 33 de ce même arrêté royal, le travailleur à temps partiel volontaire mis en chômage temporaire étant donné que ses prestations de travail sont temporairement réduites ou suspendues en application des articles mentionnés à l’alinéa 1er est admis au bénéfice des allocations de chômage sans qu’il doive satisfaire aux conditions de stage’.
Ainsi, les chômeurs temporaires pour cause économique sont à nouveau assimilés aux autres catégories de chômeurs temporaires. Pendant la période visée par l’arrêté royal, jusqu’au 30 juin 2020, ils ont droit aux allocations de chômage sans qu’ils doivent satisfaire aux conditions de stage. Il résulte du préambule de l’arrêté royal, de l’avis du Conseil d’État et des informations officielles communiquées par [le demandeur] (feuille info T2 Chômage temporaire - Covid-19) que le législateur a voulu traiter de la même façon les personnes en chômage temporaire à la suite d’un cas de force majeure (fermeture obligatoire de l’entreprise) et les personnes en chômage pour cause ‘économique’ à la suite de la crise Covid, c’est-à-dire les travailleurs des entreprises qui n’avaient pas l’obligation de fermer mais qui ont dû fermer ou limiter leur activité à la suite par exemple de l’impossibilité d’obtenir les fournitures nécessaires pour l’exercice de leur activité.
Avec le premier juge, il doit être considéré également que le critère de distinction, toujours dans le cadre de l’examen du principe de l’égalité, était objectif.
Il reste donc à examiner si la distinction est raisonnablement justifiée en tenant compte du but et des effets des mesures critiquées et de la nature des principes en cause.
D’après les conclusions [du demandeur] et la note [à son] comité de gestion ayant pour objet une ‘demande urgente d’avis relative à un projet d’arrêté royal pris en exécution des mesures d’économies décidées au conseil des ministres du 22 avril 2016’, le législateur a poursuivi un double objectif, soit réaliser une économie budgétaire de l’ordre de 41 millions d’euros et lutter contre un risque d’usage impropre du chômage économique, notamment en cas d’occupation de travailleurs étrangers.
S’il peut être raisonnablement admis que la mesure décidée est de nature à réduire les dépenses dans le secteur des allocations de chômage, aucun élément objectif n’est avancé par [le demandeur] pour justifier le montant important de l’économie budgétaire allégué, alors que déjà le premier juge avait souligné ce manque de justification. La note au comité de gestion souligne d’ailleurs que le nouveau régime va à l’encontre des efforts en vue de réduire les frais de fonctionnement du secteur du chômage en raison de la complexité administrative de cette distinction.
Surtout, aucun élément objectif n’est fourni pour établir une augmentation de l’usage impropre du chômage économique. [Le demandeur] n’a pas réagi aux informations fournies dans l’avis du ministère public, tirées des rapports annuels publics [du demandeur], dont il résulte que, de 2014 à 2017, le nombre de jours indemnisés dans le régime de chômage temporaire économique n’a cessé de diminuer. [Le demandeur] ne s’explique d’ailleurs nulle part sur le mécanisme de l’usage impropre ou frauduleux qu’il aurait découvert et auquel le législateur a voulu mettre un terme. L’absence d’information sur ce mécanisme, pour autant qu’il existe, ce que la cour [du travail] ne peut nullement vérifier, empêche la cour [du travail] de vérifier s’il s’agit de mécanismes de fraude profitant à la fois aux travailleurs et aux entreprises, ou essentiellement aux entreprises. Dans la deuxième hypothèse, un mécanisme de fraude organisé par les entreprises en leur faveur ne peut constituer une justification raisonnable pour ‘sanctionner’ les chômeurs mis par ces entreprises en chômage économique.
Avec le ministère public, la cour [du travail] s’étonne aussi de lire dans la note adressée au comité de gestion [du demandeur] que ‘de telles situations’ comportent un risque d’usage impropre, ‘notamment en cas de l’occupation de travailleurs étrangers’, en ajoutant que ‘la part des travailleurs de pays ayant adhéré à l’Union européenne a enregistré une augmentation de 40,8 p.c.’. La mesure, ou sa justification, semble donc viser particulièrement des citoyens de l’Union européenne, ce qui semble difficilement conciliable avec le principe de la libre circulation.
L’argumentation complémentaire [du demandeur] n’est pas de nature à justifier une autre solution. Le seul fait que les chômeurs économiques représentent 60 à 70 p.c. du chômage temporaire ne peut aboutir à une conclusion quelconque en ce qui concerne l’abus du chômage économique. Il s’agit, d’après les rapports annuels [du demandeur] auquel se réfère l’avis du ministère public, d’une situation qui existe au moins depuis l’année 2007.
Le fait que le contrôle [du demandeur] sur le chômage économique serait plus difficile ne permet pas non plus de justifier la mesure contestée. [Le demandeur] n’établit pas que, contrairement aux autres types de chômage temporaire, un contrôle sur le chômage économique ne peut être exercé qu’a posteriori. La cour [du travail] ne voit pas pourquoi un contrôle immédiat, au moment de la demande, ne serait pas possible. Ce contrôle nécessite sans doute une formation plus poussée des contrôleurs, mais il appartient alors [au demandeur] d’organiser cette formation ou d’engager des contrôleurs dont la formation permet ce contrôle.
[Le demandeur] ne donne aucun exemple concret d’un abus, tel qu’il est invoqué en termes de conclusions, dans lequel un employeur engagerait des travailleurs pour les mettre immédiatement au chômage temporaire pour la période maximale autorisée. [Il] n’établit pas non plus qu’il s’agit d’un phénomène spécifique à une certaine catégorie de travailleurs étrangers.
L’appel n’est donc pas fondé et le jugement entrepris doit être confirmé, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si la nouvelle mesure constitue également une infraction au principe distinct de standstill ».
Griefs
1. D'une part, la règle de l'égalité des Belges devant la loi, contenue dans l'article 10 de la Constitution, et celle de la non-discrimination dans la jouissance des droits et des libertés reconnus aux Belges, contenue dans l'article 11 de la Constitution, impliquent que tous ceux qui se trouvent dans la même situation soient traités de la même manière, mais n'excluent pas qu'une distinction soit faite entre différentes catégories de personnes pour autant que le critère de distinction soit susceptible de justification objective et raisonnable. L'existence d'une telle justification doit s'apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure prise. Le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
D'autre part, en vertu de l'article 159 de la Constitution et du principe général du droit visé au moyen, le juge ne peut refuser d'appliquer un arrêté royal que pour autant qu'il ne soit pas conforme aux lois.
2. Aux termes de l’article 27, 2°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, il faut entendre par chômeur temporaire a) le chômeur lié par un contrat de travail dont l’exécution est temporairement, soit totalement, soit partiellement, suspendue ; b) le travailleur qui participe à une grève, qui est touché par un lock-out ou dont le chômage est la conséquence directe ou indirecte d’une grève ou d’un lock-out ; c) l’apprenti, lorsque l’exécution du contrat d’apprentissage est temporairement, soit totalement, soit partiellement, suspendue conformément à une disposition prévue par ou en vertu d’un décret ou d’une ordonnance.
3. L’article 30 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 dispose que, pour être admis au bénéfice des allocations de chômage, le travailleur à temps plein doit accomplir un stage comportant 312 journées de travail au cours des 21 mois précédant la demande d’allocations, s’il est âgé de moins de 36 ans. Cette période de stage est augmentée en fonction de l’âge du demandeur des allocations.
4. En vertu de l’article 42bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, avant sa modification par l’arrêté royal du 11 septembre 2016, les chômeurs temporaires étaient, par dérogation aux articles 30 et 31 de l’arrêté royal, admis aux allocations de chômage avec dispense de stage.
Aux termes de l’article 42bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, modifié par l’arrêté royal du 11 septembre 2016 :
« Par dérogation aux articles 30 à 32, le travailleur à temps plein qui est chômeur temporaire étant donné que ses prestations de travail sont temporairement réduites ou suspendues en application des articles 26, 28, 1°, 49 ou 50 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ou de l’article 5 de la loi du 19 mars 1991 portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d’entreprise et aux comités de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel, ou à la suite d’une grève ou d’un lock-out, est admis au droit aux allocations de chômage sans qu’il doive satisfaire aux conditions de stage.
Par dérogation à l’article 33, le travailleur à temps partiel volontaire qui est chômeur temporaire étant donné que ses prestations de travail sont temporairement réduites ou suspendues en application des articles mentionnés à l’alinéa 1er est admis au droit aux allocations de chômage sans qu’il doive satisfaire aux conditions de stage.
La disposition prévue aux alinéas précédents sur la base de laquelle le travailleur ne doit pas satisfaire aux conditions de stage est également applicable au travailleur qui demande des allocations de chômage comme chômeur temporaire étant donné que ses prestations de travail sont temporairement réduites ou suspendues en application des articles 51 ou 77/4 de la loi du 3 juillet 1978, pour autant qu’il soit admissible au droit aux allocations d’insertion en application de l’article 36.
Ne doit pas non plus satisfaire aux conditions de stage, l’apprenti visé à l’article 27, 2°, c), qui est mis en chômage temporaire et qui suit un enseignement en alternance, un enseignement avec un programme d’études réduit, une formation à temps partiel reconnue ou une formation en alternance, sans être encore soumis à l’obligation scolaire. »
5. La loi du 3 juillet 1978 dispose en son article 26 que les événements de force majeure n’entraînent pas la rupture du contrat de travail lorsqu’ils ne font que suspendre momentanément l’exécution du contrat.
Faisant une application particulière de cette disposition légale, l’article 49 de la même loi prévoit que l’exécution du contrat de travail est également suspendue en cas d’accident technique se produisant dans l’entreprise, tandis que l’article 50 dispose que les intempéries suspendent l’exécution du contrat dans la mesure où elles empêchent le travail et à la condition que l’ouvrier ait été averti de n’avoir pas à se présenter.
L’article 51 de la loi du 3 juillet 1978 permet quant à lui au Roi de déterminer, sur avis de la commission paritaire ou du Conseil national du travail, les conditions dans lesquelles le manque de travail résultant de causes économiques permet la suspension totale de l’exécution du contrat ou l’instauration d’un régime de travail à temps réduit (article 51, § 1er, alinéa 1er). Il prévoit, pour le surplus, un régime de suspension d’une durée maximum de quatre semaines ou de travail à temps réduit en cas de manque de travail pour causes économiques.
Complémentairement, l’article 77/4 de la même loi prévoit la faculté pour l’employeur d’instaurer, en cas de manque de travail résultant de causes économiques, une suspension totale de l’exécution du contrat, ou un régime de travail à temps réduit comportant au moins deux jours de travail par semaine.
Enfin, l’article 28, 1°, de la loi du 3 juillet 1978 dispose que l’exécution du contrat de travail est suspendue en cas de fermeture de l'entreprise pendant les vacances annuelles ainsi que pendant les vacances annuelles prises par le travailleur en dehors de ladite période de fermeture.
6. Si l’on fait abstraction de cette disposition légale liée au régime des vacances annuelles, à la situation particulière des apprentis visés à l’article 27, 2°, c), de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et aux dispositions protectrices des délégués ou candidats délégués du personnel ou aux conséquences d’une grève ou d’un lock-out, l’article 42bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, modifié par l’arrêté royal du 11 septembre 2016, oppose ainsi les cas de suspension du contrat de travail résultant d’une cause extérieure rendant temporairement impossible la poursuite de l’exécution du travail convenu par le travailleur et les cas de suspension à l’option de l’employeur lorsque le travail vient à manquer en raison de circonstances économiques.
Alors que les articles 26, 49 et 50 de la loi relative aux contrats de travail ne font qu’une application du droit commun de la force majeure, les articles 51 et 77/4 de la même loi tendent, par dérogation au droit commun, à alléger les charges d’une entreprise qui se trouve confrontée à des difficultés économiques. Ils constituent ainsi une alternative au licenciement. Ils laissent à cet égard à l’employeur une marge d’appréciation tant en fonction de la politique sociale qu’il entend développer que quant à l’ampleur du manque de travail et aux circonstances économiques qui le causent.
Les articles 51 et 77/4 de la loi relative aux contrats de travail visent à cet égard des situations radicalement différentes de celles qui sont envisagées par l’article 1er de l’arrêté royal du 30 mars 2020 visant à adapter les procédures dans le cadre du chômage temporaire dû au virus Covid-19. Cet arrêté est en effet expressément justifié par le fait « que beaucoup des entreprises doivent fermer sur l'ordre des pouvoirs publics, une situation qui entraîne un afflux massif de demandes de reconnaissance d'une situation de force majeure et d'allocations de chômage temporaire ». L’article 1er de cet arrêté est ainsi justifié par le fait que les demandes de chômage temporaire pour cause de manque de travail résultant des circonstances économiques qu’il vise ne sont, en réalité, que la conséquence d’un fait du prince constitutif d’un cas de force majeure, lui-même causé par une pandémie.
7. Il suit de ces seules observations que les travailleurs visés aux articles 26, 49 et 50 de la loi du 3 juillet 1978 sont dans une situation différente des travailleurs visés aux articles 51 et 77/4 de la même loi et que la situation des uns et des autres n’est pas comparable.
8. En considérant, dès lors, pour les motifs reproduits en tête du moyen, que les chômeurs temporaires en raison d’un manque de travail résultant d’une cause économique sont dans une situation comparable aux autres chômeurs temporaires visés par l’article 42bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et que celui-ci, en les traitant différemment, est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, l’arrêt viole les dispositions constitutionnelles ainsi que les dispositions légales visées au moyen, à l’exception des articles 108 et 159 de la Constitution et du principe général du droit visé au moyen.
Par suite, il viole l’article 42bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, modifié par l’arrêté royal du 11 septembre 2016, en refusant de l'appliquer et l'article 108 de la Constitution en refusant de donner effet à une disposition réglementaire qu'il était au pouvoir du Roi d'adopter, ainsi que l'article 159 de la Constitution et le principe général du droit visé au moyen en refusant d'appliquer un texte réglementaire alors qu'il n'est pas entaché de l'inconstitutionnalité dénoncée.
Il n’est dès lors pas légalement justifié (violation de toutes les dispositions visées au moyen).
III. La décision de la Cour
1. Aux termes de l’article 26 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, les événements de force majeure n’entraînent pas la rupture du contrat lorsqu’ils ne font que suspendre momentanément l’exécution du contrat.
Suivant l’article 49 de la même loi, l’exécution du contrat de travail d’ouvrier est suspendue en cas d’accident technique se produisant dans l’entreprise.
En vertu de l’article 50 de la loi, les intempéries suspendent l’exécution du contrat de travail d’ouvrier dans la mesure où elles empêchent le travail.
Conformément aux articles 51 et 77/4, le manque de travail résultant de causes économiques permet la suspension de l’exécution des contrats de travail d’ouvrier et d’employé.
Les articles 49, 50, 51 et 77/4 précités sont inspirés par le mécanisme de la force majeure temporaire mais n’exigent pas que les circonstances qu’ils visent soient constitutives de force majeure.
Ces événements de force majeure, accident technique, intempéries et manque de travail résultant de causes économiques suspendent l’obligation de l’employeur de faire exécuter le travail convenu, dans le but d’éviter la rupture de la relation de travail, sont en principe indépendants de la volonté de l’employeur et n’excluent pas toute appréciation.
2. S’agissant du chômage temporaire pour cause d’accident technique, d’intempéries ou économique, les articles 51, § 8, et 77/4, § 7, de la loi du 3 juillet 1978 chargent en principe l’employeur de payer au travailleur un supplément aux allocations de chômage, les articles 49, 50, 51 et 77/4 de la même loi chargent l’employeur de notifier immédiatement à l’Office national de l’emploi le premier jour de chômage, l’article 71, alinéa 3, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage impose au chômeur d’être en possession d’une carte de contrôle à partir du premier jour de suspension effective de l’exécution du contrat de travail notifié par l’employeur à l’Office national de l’emploi.
L’article 30quinquies de la loi du 3 juillet 1978 prévoit que la cause du manque de travail pour cause économique doit être indépendante de la volonté de l’employeur.
En vertu de l’article 38, § 3sexies, de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés, les employeurs doivent payer une cotisation, dite « de responsabilisation pour cause de chômage économique », calculée sur une partie des jours de chômage temporaire déclarés pour les travailleurs manuels.
Toutes ces dispositions ont pour but de lutter contre l’abus du chômage temporaire, les deux dernières visant spécialement le chômage économique.
3. L’article 42bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 dispose que, par dérogation aux articles 30 à 32, le travailleur à temps plein qui est chômeur temporaire étant donné que ses prestations de travail sont temporairement réduites ou suspendues en application des articles 26, 49 ou 50 de la loi du 3 juillet 1978 est admis au droit aux allocations de chômage sans qu'il doive satisfaire aux conditions de stage.
Aux termes de l’article 42, § 1er, alinéa 2, du même arrêté royal, le travailleur qui demande les allocations de chômage comme chômeur temporaire étant donné que ses prestations de travail sont temporairement réduites ou suspendues en application des articles 51 ou 77/4 de la loi du 3 juillet 1978 est dispensé d'un nouveau stage si, pour au moins un jour au cours des trois ans qui précèdent la demande d'allocations, il a, 1° soit bénéficié des allocations de chômage comme chômeur complet, 2° soit bénéficié des allocations d'insertion, 3° soit bénéficié des allocations de chômage en application de l'article 42bis, alinéa 3, 4° soit bénéficié des allocations de chômage comme chômeur temporaire après qu'il a été constaté qu'il a satisfait aux conditions de stage prévues aux articles 30 à 33.
Ces dispositions instaurent une différence de traitement en matière de droit aux allocations de chômage entre, d’une part, la catégorie des chômeurs pour cause économique, qui ne sont dispensés du stage que sous certaines conditions, d’autre part, la catégorie des autres chômeurs temporaires, qui sont dispensés du stage sans condition.
4. Il suit des caractéristiques et dispositions légales précitées, communes à ces deux catégories de travailleurs en chômage temporaire, que l’arrêt, qui considère que celles-ci sont comparables du point de vue de la lutte contre l’abus, fait une exacte application des articles 10 et 11 de la Constitution.
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de deux cent quarante-cinq euros quarante-neuf centimes envers la partie demanderesse et à la somme de vingt-deux euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Koen Mestdagh et Mireille Delange, les conseillers Antoine Lievens et Eric de Formanoir, et prononcé en audience publique du quatre avril deux mille vingt-deux par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Henri Vanderlinden, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.