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18/03/2022 | BELGIQUE | N°C.21.0006.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 18 mars 2022, C.21.0006.F


N° C.21.0006.F
N. D., avocat, agissant en qualité d’administrateur de la personne et des biens de M. D. R.,
demanderesse en cassation,
admise au bénéfice de l’assistance judiciaire par ordonnance du premier président du 18 décembre 2020 (n° G.20.0160.F),
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 14 juillet 2020 par la cour d

’appel de Mons.
Le 2 mars 2022, l’avocat général Philippe de Koster a déposé des conclusi...

N° C.21.0006.F
N. D., avocat, agissant en qualité d’administrateur de la personne et des biens de M. D. R.,
demanderesse en cassation,
admise au bénéfice de l’assistance judiciaire par ordonnance du premier président du 18 décembre 2020 (n° G.20.0160.F),
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 14 juillet 2020 par la cour d’appel de Mons.
Le 2 mars 2022, l’avocat général Philippe de Koster a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport et l’avocat général
Philippe de Koster a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- articles I.1, 1°, a), I.22, 7°/1 et 8°, et XX.99 du Code de droit économique ;
- article 3, § 1er, de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants ;
- articles 23, § 1er, et 30, 2°, du Code des impôts sur les revenus 1992.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt, par confirmation du jugement entrepris, dit n'y avoir lieu de prononcer la faillite de [l’administré de la demanderesse], par les motifs que :
« 1. [La demanderesse] soutient qu'en sa qualité de gérant, [son administré] répond à la définition d'une entreprise.
2. L'article XX.99 du Code de droit économique énonce que le débiteur qui a cessé ses paiements de manière persistante et dont le crédit est ébranlé est en état de faillite.
La notion de ‘débiteur’ est définie à l'article I.22, 8°, de ce code : le débiteur est une entreprise, à l'exclusion de toute personne morale de droit public.
L'entreprise trouve sa définition à l'article XX.1.22,7° [lire : I. 22, 7°/1], du même code, qui renvoie à la définition de base prévue à l'article I.1, 1° : ‘sauf disposition contraire, pour l'application du présent code, on entend par :
1° entreprise : chacune des organisations suivantes : a) toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant (…)’.
3. La difficulté d'interprétation résulte du fait que les commentaires issus des travaux préparatoires laissent subsister des ambiguités ou des contradictions. Le législateur ne semble pas avoir exclu la possibilité d'une interprétation de la notion d'entreprise pour le mandataire de société, sans pour autant que son intention de modifier la nature de la fonction d'administrateur ou de gérant soit univoque. Pour certains, ‘le législateur a sciemment fait entrer les personnes physiques exerçant un mandat de gestion dans une personne morale dans le champ d'application de l'insolvabilité’ (en ce sens, Z. Pletinckx, ‘Le champ d'application des procédures’, in La réforme du droit de l'insolvabilité et ses conséquences (sur les avocats) : une (r)évolution ?, Larcier, 2017, 21).
Jusqu'ici, il était traditionnellement admis que lorsqu'un commerce est exploité par un mandataire, celui-ci n'acquiert pas de ce chef la qualité de commerçant : c'est le mandant qui a pareille qualité (Fredericq, t. Ier, 1946,
n° 59 ; Van Rijn, t. Ier, 1954, n° 98). Rien ne justifie ni ne démontre que, par l'introduction de la notion d'entreprise, le législateur ait entendu revenir sur cette distinction de nature entre le mandant, la société, et son mandataire, qui en est simplement l'organe. Selon la doctrine, ‘ce serait à plus d'un titre étrange de qualifier sans discernement les administrateurs ou gérants comme des entreprises alors qu'ils en sont les organes’ (I. Verougstraete (dir.), Manuel de l'insolvabilité, Wolters Kluwer, 2019, p. 45, n° 29).
4. Il faut vérifier dès lors que toutes les conditions de la définition de l'entreprise sont rencontrées concrètement, soit être en présence d'une organisation, qui peut être une personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant.
Il résulte de l'exposé des motifs que ce qui a paru déterminant aux yeux du législateur, ce sont les concepts d' ‘à titre indépendant’ et ‘activité professionnelle’ (Exposé des motifs, Doc. parl., Ch., 2016-2017, n° 54/2407/001, p. 27).
La doctrine et une majorité de la jurisprudence en ont déduit que la notion ‘à titre indépendant’ s'opposait à ‘sous les liens d'un contrat de travail’, comme le suggérait l'exposé des motifs. Telle n'est pas forcément la seule interprétation possible. Le critère du statut social d'indépendant ne peut pas être décisif
(I. Verougstraete, p. 46, et les notes 60, 61, 62), s'agissant d'une condition qui n'est pas simple (S. Gilson, ‘Panorama de l'assujettissement personnel à la sécurité sociale’, in S. Gilson (coord.), Subordination et para-subordination. La place de la subordination juridique et de la dépendance économique dans la relation de travail, Anthémis, 2017, 27-29).
Tout d'abord, il ne l'est a fortiori pas s'agissant du mandataire de société. La définition du travailleur indépendant est, selon l'article 3, § 1er, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 27 juillet 1967, ‘toute personne physique qui exerce en Belgique une activité professionnelle en raison de laquelle elle n'est pas engagée dans les liens d'un contrat de louage de travail ou d'un statut’. S'agissant du mandataire de société, il existe une présomption qu'il exerce une activité de travailleur indépendant mais cette présomption est réfragable. La présomption d'indépendance des mandataires a donc un objet précis : celui de les exclure a priori du statut social des travailleurs salariés. Cette présomption pourrait toutefois être renversée si elle ne s'identifie pas à la réalité factuelle et que le mandataire de société était lié par un contrat de travail.
En l'espèce, il n'est pas acquis que la présomption ne pourrait pas être renversée eu égard à la situation sociale de [l’administré de la demanderesse], pensionné, placé sous administration provisoire.
5. Ensuite, il n'est pas acquis que le fait d'exercer ‘à titre indépendant’ doive être interprété exclusivement par référence au statut social du mandataire.
Ainsi, s'agissant de vérifier l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée des administrateurs de société, la Cour de justice de l’Union européenne a été invitée à l'interpréter et elle a rappelé que, ‘si l'activité d'un administrateur est sans conteste une activité économique qui est réalisée avec une certaine permanence, elle doit encore être réalisée de manière indépendante pour qu'il y ait assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée’ (C.J.U.E., 13 juin 2019,
aff. C-420/18, www.curia.eu).
Or, dans l'appréciation faite par la Cour de justice, la notion d'indépendance ne s'apparente pas au statut social de l'intéressé mais s'analyse sous l'angle de la responsabilité. La Cour de justice observe en effet qu' ‘un administrateur ne supporte individuellement ni la responsabilité des actes de son mandant ni celle qui est encourue au titre de dommages causés à des tiers. Partant, il n'agit pas sous sa propre responsabilité’.
Vu sous cet angle, le mandataire n'exerce pas son activité professionnelle à titre indépendant puisqu'il n'engage a priori pas sa propre responsabilité mais celle de la personne morale dont il est l'organe.
Le Code de droit économique a d'ailleurs maintenu cette distinction entre la société et ses organes sur le plan de leur responsabilité. Le droit belge de l'insolvabilité contient certes quelques dispositions impliquant une responsabilité personnelle du dirigeant dans certaines hypothèses, par exemple en cas de fautes graves et caractérisées dans la gestion de la société. Mais, en principe, la distinction entre la personne morale et son organe, personne physique, garantit l'action de la personne morale, permet le plus généralement de distinguer leurs patrimoines et de limiter la responsabilité de son organe.
Il apparaît ainsi que le droit belge, comme le droit européen, ne semble pas se départir de la théorie de l'organe, de telle sorte qu'il est peu opportun d'interpréter trop largement la notion de mandataire, ce qui pourrait, in fine, conduire à des effets non souhaités et encore mal perçus par les mandataires qui soutiennent être une entreprise, le plus souvent à dessein de bénéficier ensuite de l'effacement de la dette (sur un effet pervers, voyez C. Alter, ‘Le gérant d'entreprise est-il une entreprise ?’, Liber Amicorum O.E.C.C.B., Anthémis, 2019, 188).
Ainsi, il peut être retenu que la notion ‘à titre indépendant’ englobe aussi la question de la responsabilité des actes posés pour pouvoir être qualifié d'entreprise.
6. Le second critère distinctif, soit l'activité professionnelle, vise essentiellement le caractère durable et est déterminant (I. Verougstraete (dir.), Manuel de l'insolvabilité, Wolters Kluwer, 2019, n° 28, 45). La notion de profession est ‘l'exercice régulier d'une activité en vue de se procurer des revenus nécessaires à l'existence’ (I. Verougstraete (dir), Manuel de la continuité des entreprises et de la faillite, Kluwer, éd. 2010-2011, p. 323, n° 3.1.2.3). Ce critère est d'ailleurs identique lorsqu'il s'agit de définir l'activité professionnelle susceptible de conduire à l'assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs indépendants (au regard de la sécurité des travailleurs indépendants, l'activité professionnelle est exercée dans un but de lucre et avec un caractère habituel,
S. Gilson, déjà cité, pp. 28-29), ce qui donne toute la cohérence aux deux critères repris au Code de droit économique.
7. Par conséquent, la cour [d’appel] se rallie à l'idée qu'un concept de base de la notion d'entreprise est celui d'organisation (en ce sens,
I. Verougstraete (dir.), Manuel de l'insolvabilité, déjà cité, n° 29, p. 47). L'exercice d'un mandat d'administrateur ou de gérant ne se rattache pas, conceptuellement, au critère ‘organique’ ou ‘formel’ par lequel le législateur annonce vouloir remplacer l'ancien critère matériel, de telle manière que l'entreprise se caractérise moins par son activité ou par son but que par son organisation, par la façon dont les moyens matériels, financiers et humains sont agencés (N. Thirion et A. Autenne, ‘La nouvelle définition générale de l’entreprise dans le Code de droit économique : deux pas en avant, trois pas en arrière’, J.T., 2018, 826-831). ‘Le seul fait, pour une personne physique, d'exercer un mandat de gérant ou d'administrateur n'implique, en soi, aucune organisation propre ; toute l'organisation est liée à la société’ (I. Verougstraete (dir), Manuel de l'insolvabilité, Kluwer, Waterloo, 2019, n° 29, p. 47).
Cette référence au critère de l'organisation se retrouve de la même façon dans diverses réglementations européennes qui, certes, comme dans le Code de droit économique, peuvent avoir des objets distincts mais qui méritent attention lorsqu'il s'agit d'interpréter les dispositions de droit belge dans le cadre plus large du droit européen.
À titre d'exemple, et même si cette loi n'est pas englobée dans le code, il peut être pertinent de rappeler que l'entreprise est ainsi définie dans la loi du
2 août 2002 relative à la lutte contre les retards de paiements comme ‘toute organisation autre que les pouvoirs publics agissant dans l'exercice d'une activité économique ou professionnelle indépendante, même lorsque cette activité n'est exercée que par une seule personne’. La directive 2000/35/CE relative à la lutte contre le retard de paiement définit aussi l' ‘entreprise’ en son article 1er comme ‘toute organisation agissant dans l'exercice d'une activité économique ou professionnelle indépendante, même lorsque cette activité n'est exercée que par une seule personne’.
8. Enfin, dans le cadre d'une interprétation prospective, il faut se rappeler que la directive (UE) 2019/1028 du Parlement européen et du conseil du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l'efficacité des procédures en matière de restructuration, d'insolvabilité et de remise de dettes devra faire l’objet d'une transposition en droit national au plus tard pour juin 2021.
Or, cette directive, qui établit des règles concernant a) les cadres de restructuration préventive accessibles aux débiteurs en difficulté financière lorsqu'il existe une probabilité d'insolvabilité, en vue de prévenir l'insolvabilité et d'assurer la viabilité du débiteur ; b) les procédures permettant une remise des dettes contractées par des entrepreneurs insolvables, et c) les mesures visant à accroître l'efficacité des procédures en matière de restructuration, d'insolvabilité et de remise de dettes, ne s'applique pas aux personnes physiques qui ne sont pas des entrepreneurs.
La notion d' ‘entrepreneur’ est définie dans son article 2.9 : il s'agit d'une personne physique exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale.
Il en résulte qu'au sens de la directive, un gérant ou administrateur d'une personne morale n'est pas un entrepreneur, puisqu'il n'exerce pas une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. C'est à bon droit que le premier juge a relevé que ‘ce serait tout le contraire de la situation qui prévaudrait en droit belge s'il devait être considéré que le gérant est, de ce seul fait, une entreprise’.
9. Finalement, il faut rappeler que le mandataire de société, personne physique, indépendante, en difficulté financière n'est pas pour autant démuni de tout régime de protection contre ses créanciers puisqu'il pourrait bénéficier d'un règlement collectif de dettes (par exemple, à titre surabondant, C.T. Bruxelles,
12e chambre, 9 octobre 2018, R.G. 2018/12 ; C.T. Mons, 10e chambre,
16 juin 2020, R.G. 2020/2).
10. Par conséquent, il faut vérifier en l'espèce si [l’administré de la demanderesse] démontre que, du seul fait de sa qualité de gérant, il peut être considéré comme une entreprise, c'est-à-dire qu'il est une organisation en personne physique exerçant une activité professionnelle à titre indépendant.
11. En l'espèce, [l’administré de la demanderesse] était gérant d'une société […] immobilière ; en qualité de gérant, sa rémunération paraissait des plus modiques et il est indiqué qu'il tirait l'essentiel de ses ressources en percevant les loyers.
Il n'apporte aucun élément justifiant de l'étendue de son activité professionnelle à ce titre : aucune structure n'était mise en place, aucune pièce comptable ou aucun engagement personnel ne sont produits. L'existence même de son statut social est délicate à apprécier sur base des seuls éléments en possession de la cour [d’appel] :
- le comptable de la société précitée indique que celle-ci n'avait plus aucune activité, [l’administré de la demanderesse] étant pensionné (…). Il indique en outre qu'aucune activité complémentaire n'était même plus susceptible d'être effectuée par [ce dernier] en raison de son état de santé ;
- l'avertissement-extrait de rôle reprend au titre de ses revenus des ‘pensions légales’, et un revenu minime en qualité d'indépendant (344,85 euros).
[La demanderesse] qualitate qua n'apporte en outre aucune pièce permettant de démontrer qu'il y aurait eu, en l'espèce, une organisation propre mise en place par [son administré] pour exercer son activité professionnelle.
Ainsi, aucun élément ne permet de considérer que la seule qualité de gérant statutaire de ladite société fasse de [l’administré de la demanderesse] une entreprise au sens du livre XX du Code de droit économique.
C'est dès lors à très bon droit que les premiers juges ont jugé que [l’administré de la demanderesse] n'est pas une entreprise et ne peut dès lors pas être déclaré en faillite ».
Griefs
En vertu de l'article XX.99 du Code de droit économique, « le débiteur qui a cessé ses paiements de manière persistante et dont le crédit se trouve ébranlé est en état de faillite. Celui qui n'exerce plus d'activité économique en tant que personne physique peut être déclaré en faillite si la cessation de ses paiements remonte à une époque où il exerçait encore cette activité ».
Le chapitre 14 du titre 2 du livre Ier de ce code précise les définitions particulières au livre XX.
L'article I.22 dispose ainsi que, pour l'application du livre XX et, partant, pour l'application de l'article XX.99 relatif à la faillite, on entend par :
« 7°/1 ‘entreprise’ : une entreprise au sens de l'article I.1, alinéa 1er, 1°, du présent livre »,
« 8° ‘le débiteur’ : une entreprise, à l'exception de toute personne morale de droit public ».
En vertu de l'article I.1, 1°, du même code, « sauf disposition contraire (…), pour l'application du présent code, on entend par : ‘1°. entreprise : chacune des organisations suivantes : a) toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant’ ».
Au sens de l'article I.1, 1°, a), l'activité professionnelle s'entend de toute activité habituelle générant des revenus, le critère de continuité et de durabilité étant déterminant, tandis que cette disposition ne distingue pas selon que l'activité est exercée à titre principal, d'appoint ou accessoire.
La fonction de gérant d'une société implique une permanence et consiste en des prestations de services, lesquelles constituent une activité économique.
Lorsque ces prestations de services sont effectuées à titre indépendant par une personne physique, celle-ci est, en soi, une « organisation » au sens de l'article I.1, 1°, a), du Code de droit économique.
En vertu de l'article 3, § 1er, de l'arrêté royal du 27 juillet 1967 visé au moyen :
« On entend par travailleur indépendant toute personne physique qui exerce en Belgique une activité professionnelle en raison de laquelle elle n'est pas engagée dans les liens d'un contrat de louage de travail ou d'un statut.
Est présumée, jusqu'à preuve du contraire, se trouver dans les conditions d'assujettissement visées à l'alinéa précédent, toute personne qui exerce en Belgique une activité professionnelle susceptible de produire des revenus visés à l'article 23, § 1er, 1° ou 2°, ou à l'article 30, 2°, du Code des impôts sur les revenus 1992.
[…] Sous réserve de l'application des articles 5bis et 13, § 3, les personnes qui sont désignées comme mandataires dans une association ou une société de droit ou de fait qui se livre à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, ou qui, sans être désignées, exercent un mandat dans une telle association ou société, sont présumées, de manière réfragable, exercer une activité professionnelle de travailleur indépendant ».
L'article 23, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 prévoit que « les revenus professionnels sont des revenus qui proviennent, directement ou indirectement, d'activités de toute nature, à savoir : 1° les bénéfices ; 2° les profits ». Ces derniers sont définis à l'article 27 dudit code comme tous les revenus d'une occupation lucrative qui ne sont pas considérés comme des bénéfices ou des rémunérations et comprennent les recettes et les avantages de toute nature obtenus en raison de l'exercice de l'activité professionnelle.
Au sens de l'article 30, 2°, du même code, les rémunérations « comprennent, quels qu'en soient le débiteur, la qualification et les modalités de détermination et d'octroi : […] 2° les rémunérations des dirigeants d'entreprise ».
L'article 32 précise que « les rémunérations des dirigeants d'entreprise sont toutes les rétributions allouées ou attribuées à une personne physique :
1° qui exerce un mandat d'administrateur, de gérant, de liquidateur ou une fonction analogue ».
Il s'ensuit que le gérant d'une société à responsabilité limitée qui n'exerce pas cette fonction sous le statut de salarié (ou assimilé) ou à titre gratuit (i) est « une personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant », quel que soit le montant de sa rémunération, (ii) est une des organisations visées à l'article I.1.1° et I.22.7°/1 du Code de droit économique que l'on doit entendre comme étant une « entreprise » et (iii) est le débiteur au sens des articles I.22.8° et XX.99 de ce code qui peut être déclaré en faillite même s'il n'exerçait plus d'activité économique en tant que personne physique lorsque la cessation de ses paiements remonte à une époque où il exerçait encore cette activité.
L'arrêt ne constate pas que [l’administré de la demanderesse] exerçait la fonction de gérant en qualité de salarié mais se borne à considérer qu'« il n'est pas acquis que la présomption (d'indépendant) ne pourrait pas être renversée eu égard à la situation sociale de celui-ci (pensionné, placé sous administration provisoire) », soit des éléments étrangers au critère de l'activité professionnelle exercée « à titre indépendant » et il ne constate nullement que l'activité n'avait pas de permanence et de durabilité et ne générait pas de revenus (il constate que ceux-ci étaient modiques) ni que la cessation des paiements est survenue lorsque l'intéressé n'exerçait plus l'activité.
En décidant que [l’administré de la demanderesse] n'est pas une entreprise aux motifs :
- que « la notion ‘à titre indépendant’ [au sens de l'article I.1, 1°, a), du Code de droit économique] englobe aussi la question de la responsabilité des actes posés pour pouvoir être qualifié d'entreprise »,
- que le « mandataire n'exerce pas son activité professionnelle à titre indépendant puisqu'il n'engage a priori pas sa propre responsabilité mais celle de la personne morale dont il est l'organe »,
- que « l'entreprise se caractérise moins par son activité ou par son but que par son organisation, par la façon dont les moyens matériels, financiers et humains sont agencés. Le seul fait, pour une personne physique, d'exercer un mandat de gérant ou d'administrateur n'implique, en soi, aucune organisation propre ; toute l'organisation est liée à la société »,
- qu'en l'espèce, la « rémunération paraissait des plus modiques », qu'aucun élément justifiant de l'étendue de l'activité professionnelle n'est apporté, qu’« aucune structure n'était mise en place, qu’aucune pièce comptable ou aucun engagement personnel ne sont produits » ;
- qu'il n'est pas démontré « qu'il y aurait eu, en l'espèce, une organisation propre mise en place par [l’administré de la demanderesse] pour exercer son activité professionnelle », l'arrêt opère une confusion entre l'activité économique de la société et l'activité professionnelle du mandataire consistant en la prestation de services pour ladite société, en sorte que ce prestataire est une entreprise au sens de l'article I.1, 1°, a), et I.22, 7°/1 du Code de droit économique et peut être déclaré en faillite en vertu des articles I.22.8° et XX.99 dudit code, et viole toutes les dispositions visées au moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
L’article XX.99, alinéa 1er, du Code de droit économique dispose que le débiteur qui a cessé ses paiements de manière persistante et dont le crédit se trouve ébranlé est en état de faillite.
En vertu de l’article I.22, 8°, de ce code, le débiteur est une entreprise, à l’exception de toute personne morale de droit public.
En vertu de l’article I.1, 1°, du même code, on entend par entreprise chacune des organisations suivantes : toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant ; toute personne morale ; toute autre organisation sans personnalité juridique.
Une personne physique n’est une entreprise, au sens de cette dernière disposition, que lorsqu’elle constitue une organisation consistant en un agencement de moyens matériels, financiers ou humains en vue de l’exercice d’une activité professionnelle à titre indépendant.
Il s’ensuit que le gérant ou l’administrateur d’une société qui exerce son mandat en dehors de toute organisation propre n’est pas une entreprise.
L’arrêt considère qu’« un concept de base de la notion d’entreprise est celui d’organisation » et que l’entreprise « se caractérise moins par son activité ou par son but que par son organisation, par la façon dont les moyens matériels, financiers et humains sont agencés », qu’ainsi, « l’exercice d’un mandat d’administrateur ou de gérant ne se rattache pas, conceptuellement, au critère ‘organique’ ou ‘formel’ par lequel le législateur annonce vouloir remplacer l’ancien critère matériel » dès lors que « le seul fait, pour une personne physique, d’exercer un mandat de gérant ou d’administrateur n’implique, en soi, aucune organisation propre, toute l’organisation [étant] liée à la société », et qu’« il faut vérifier [si l’administré de la demanderesse] démontre que, du seul fait de sa qualité de gérant, il peut être considéré comme une entreprise, c’est-à-dire qu’il est une organisation en personne physique exerçant une activité professionnelle à titre indépendant ».
Il relève que l’administré de la demanderesse « était gérant d’une […] société immobilière », qu’en cette qualité, « sa rémunération paraissait des plus modiques » alors qu’« il est indiqué qu’il tirait l’essentiel de ses ressources en percevant les loyers », qu’« aucune structure n’était mise en place, aucune pièce comptable ou aucun engagement personnel n’est produit » et que la demanderesse n’établit pas « qu’il y aurait eu […] une organisation propre mise en place par [son administré] pour exercer une activité professionnelle ».
Par ces énonciations, d’où il suit qu’aux yeux du juge d’appel, l’administré de la demanderesse exerçait son mandat de gérant sans organisation propre, l’arrêt justifie légalement sa décision que l’administré de la demanderesse « n’est pas une entreprise et ne peut dès lors pas être déclaré en faillite ».
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés, en débet, à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du dix-huit mars deux mille vingt-deux par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Philippe de Koster, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : C.21.0006.F
Date de la décision : 18/03/2022
Type d'affaire : Droit de l'insolvabilité

Analyses

Le débiteur qui a cessé ses paiements de manière persistante et dont le crédit se trouve ébranlé est en état de faillite (1). (1) Voir les concl. du MP.

FAILLITE ET CONCORDATS - NOTIONS. CONDITIONS DE LA FAILLITE

Une personne physique est une entreprise, au sens de l’article I.1, 1er, du Code de droit économique, lorsqu’elle constitue une organisation consistant en un agencement de moyens matériels, financiers ou humains en vue de l’exercice d’une activité professionnelle à titre indépendant; le gérant ou l’administrateur d’une société, qui exerce son mandat en dehors de toute organisation propre, n’est pas une entreprise (1). (1)Voir les concl. du MP.

FAILLITE ET CONCORDATS - NOTIONS. CONDITIONS DE LA FAILLITE


Composition du Tribunal
Président : STORCK CHRISTIAN
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : DE KOSTER PHILIPPE
Assesseurs : LEMAL MICHEL, ERNOTTE MARIE-CLAIRE, JACQUEMIN ARIANE, MARCHANDISE MAXIME

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-03-18;c.21.0006.f ?

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