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09/03/2022 | BELGIQUE | N°P.21.1595.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 09 mars 2022, P.21.1595.F


N° P.21.1595.F
A.A. P., E.,
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Sarah Temsamani, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 8 novembre 2021 par le tribunal correctionnel francophone de Bruxelles, statuant en degré d’appel.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 22 février 2022, l’avocat général Damien Vandermeersch a déposé des conclusions au greffe.
A l’audience du 9 mars 2022,

le conseiller Françoise Roggen a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCI...

N° P.21.1595.F
A.A. P., E.,
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Sarah Temsamani, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 8 novembre 2021 par le tribunal correctionnel francophone de Bruxelles, statuant en degré d’appel.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 22 février 2022, l’avocat général Damien Vandermeersch a déposé des conclusions au greffe.
A l’audience du 9 mars 2022, le conseiller Françoise Roggen a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution, 32 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, 22 du Code d’instruction criminelle, 34, § 2, 1°, et 38, § 1er, 1°, de la loi relative à la police de la circulation routière, 1 à 10 de l’arrêté royal du 10 juin 1959 relatif au prélèvement sanguin en vue du dosage de l’alcool.
Le demandeur a été déclaré coupable pour avoir conduit un véhicule en état d’imprégnation alcoolique (prévention A) et avoir négligé de se conformer à un signal marquant un sens interdit pour tout conducteur (prévention B).
Quant à la première branche :
Le moyen reproche au jugement attaqué de ne pas légalement justifier la condamnation du demandeur du chef de la prévention A en considérant que l’absence du document signé par le médecin visé à l’annexe I de l’arrêté royal du 10 juin 1959, l’éventuel dépôt des échantillons au greffe le 17 et non le 13 décembre 2018, l’hypothétique non transmission simultanée du réquisitoire, le non-respect du délai pour le dépôt du rapport d’expertise et des échantillons et la non-conservation des tubes de prélèvement au greffe après leur analyse n’ont aucune incidence sur la fiabilité de la preuve ou sur le droit à un procès équitable.
En vertu de l’article 32 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, la nullité d’un élément de preuve obtenu irrégulièrement n’est décidée que si le respect des conditions formelles concernées est prescrit à peine de nullité, si l’irrégularité commise a entaché la fiabilité de la preuve, ou si l’usage de celle-ci est contraire au droit à un procès équitable.
Il résulte de cette disposition que, lorsque la condition de forme qui n’a pas été observée n’est pas prescrite à peine de nullité, l’irrégularité commise n’entraîne pas nécessairement l’exclusion de la preuve. Dans une telle circonstance, le juge doit vérifier concrètement si l’irrégularité relevée entache la fiabilité de la preuve ou si l’utilisation de cette preuve s’oppose à un procès équitable, ce qu’il apprécie souverainement sur la base des éléments de la cause.
En tant qu’il soutient qu’indépendamment de l’application de l’article 32 précité, le résultat d’analyse d’un prélèvement effectué sans respecter les règles relatives aux modalités et aux analyses des prélèvements fixées par l’arrêté royal du 10 juin 1959 est dépourvu, ipso facto, de toute valeur probante légale et ne peut fonder une condamnation, le moyen manque en droit.
Par ailleurs, le juge apprécie en fait si une irrégularité constatée entache la fiabilité de la preuve et dans quelle mesure l'usage d'une preuve recueillie illégalement est contraire ou incompatible avec le droit à un procès équitable. La Cour contrôle cependant si, de ses constatations, il a pu légalement déduire cette décision.
En tant qu’il critique cette appréciation en fait, le moyen est irrecevable.
Pour le surplus, après avoir relevé que les formalités prévues par l’arrêté royal du 10 juin 1959 ne sont pas prescrites à peine de nullité, le jugement attaqué relève que :
- l’usage du document figurant à l’annexe I de l’arrêté royal du 10 juin 1959 n’a aucune incidence sur la fiabilité de la preuve, à savoir l’échantillon prélevé, et l’usage de cette preuve n’est pas contraire au droit à un procès équitable (point 19) ;
- il ressort du document « Inventaire des pièces à conviction » que les « vénules » 433528 ont été déposées au greffe de police du tribunal de première instance de Bruxelles le 13 décembre 2018 par le premier agent W., ce dernier ayant appliqué sur le document deux cachets portant cette date ainsi qu’un cachet du tribunal de police ; la circonstance que l’impression d’un écran du programme interne du greffe transmis ultérieurement par le demandeur, indique une autre date peut s’expliquer par une erreur humaine d’encodage qui n’est pas de nature à remettre en question les mentions originales du document précité, lequel est muni de toutes les garanties de son exactitude ; si la date du 17 décembre devait être retenue, force est de constater que le dépôt au greffe serait alors intervenu cinq jours après le prélèvement, ce qui aurait également été conforme à l’article 6 de l’arrêté royal du 10 juin 1959 (point 20) ;
- la conservation des tubes de prélèvement de sang au greffe vise à permettre la réalisation d’une contre-expertise endéans un délai légalement fixé (celui visé à l’article 9 de l’arrêté royal du 10 juin 1959); celle-ci n’a jamais été sollicitée par le demandeur ; son courrier au parquet du 31 décembre 2019 est postérieur au jugement entrepris et est donc hors délai pour la mise en œuvre d’une contre-expertise ; il en résulte que l’absence de conservation desdites vénules est sans incidence sur la fiabilité de la preuve ou l’équité procédurale (point 23).
Par ces considérations, les juges d’appel ont légalement justifié leur décision.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la deuxième branche :
Aux conclusions du demandeur soutenant que l’absence au dossier du document signé par le médecin de l’hôpital où le prélèvement sanguin a eu lieu, a une incidence sur la fiabilité de la preuve, le jugement répond par une appréciation différente, fondée sur le procès-verbal initial, lequel fait foi jusqu’à preuve du contraire, et sur l’audition administrative du demandeur, pièces dont il résulte que la prise de sang du demandeur a bien été effectuée à l’hôpital E..
Critiquant l’appréciation en fait des juges d’appel, le moyen est irrecevable.
Quant à la troisième branche :
Le demandeur fait grief au jugement de ne pas répondre à ses conclusions qui contestaient qu’un dépôt des vénules de sang au greffe le 17 décembre 2018, et non le 13 décembre 2018, respecte le prescrit d’immédiateté d’un tel dépôt qui est prévu à l’article 6 de l’arrêté royal du 10 juin 1959. Selon le demandeur, les juges d’appel n’ont en substance pas répondu au grief tiré de l’ignorance des conditions de conservation des vénules durant ces cinq jours.
Dès lors que par les motifs rappelés au moyen, les juges d’appel ont considéré que le dépôt des tubes de prélèvement a bien été réalisé le 13 décembre 2018, ils n’avaient pas à répondre au grief précité devenu sans pertinence en raison de leur décision.
Le moyen est irrecevable.
Quant à la quatrième branche :
Contrairement à ce que le demandeur soutient, les juges d’appel ont répondu aux griefs développés dans ses conclusions, relatifs à l’absence de conservation des vénules dans un frigo et à la circonstance que leur analyse a eu lieu plus de soixante jours après leur prélèvement.
Au point 22 de leur décision, les juges d’appel ont indiqué que les vénules ont été déposées au greffe dès le lendemain de la prise de sang et que la question de leur conservation, artificielle, est dépourvue d’intérêt. Ils ont à cet égard souligné que le demandeur n’apportait aucun début de preuve d’une conservation inadéquate des échantillons de sang.
En ce qui concerne la circonstance que l’analyse du sang du demandeur a été faite plus de soixante jours après son prélèvement et que celle-ci ne respecte pas les exigences de rapidité prévues à l’article 7 de l’arrêté royal du 10 juin 1959, les juges d’appel ont considéré, en réponse aux conclusions du demandeur, que le délai de sept jours visé à l’article 7 précité est prescrit à seule fin d’éviter le dépérissement des preuves et d’entourer l’analyse de garanties scientifiques permettant d’accorder crédit à ses résultats. Ils ont précisé que ni la transmission des vénules en même temps que le réquisitoire, ni la transmission du rapport par l’expert dans le délai de l’article 7 ne sont prescrites à peine de nullité. En outre, le défaut de respect de ces formalités n’a eu aucune incidence sur la fiabilité de la preuve ou l’équité procédurale, dans la mesure où le délai de trente jours visé à l’article 9 du même arrêté royal, qui prescrit la notification des résultats de l’analyse au plus tard dans les trente jours à partir de l’expiration du délai de sept jours visé à l’article 7, alinéa 2, a été respecté.
La circonstance que la réponse du juge ne serait pas adéquate ne peut constituer une violation de l’article 149 de la Constitution, lequel se limite à imposer le respect d’une règle de forme.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la cinquième branche :
Dès lors que les juges d’appel ont constaté que le demandeur n’a pas demandé de contre-expertise dans le délai de quinze jours qui court à dater de la notification du résultat d’expertise, en application de l’article 9 de l’arrêté royal du 10 juin 1959, ils ont pu légalement décider que le constat de la disparition des vénules, fait après la lettre du demandeur du 31 décembre 2019, ne portait pas atteinte aux droits de la défense.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la sixième branche :
Le demandeur soutient que l’enseignement déduit d’un arrêt de la Cour cité dans le jugement, aux termes duquel une violation des droits de la défense ne peut être invoquée dans le cadre d’une expertise de prélèvement sanguin que si une contre-expertise a été sollicitée par le justiciable, n’est pas transposable au cas d’espèce. Il fait à cet égard valoir que sa contestation ne portait pas sur le résultat de l’analyse effectuée par l’expert mais sur la disparition après analyse des vénules qui n’avaient ainsi pas été conservées au greffe, de sorte qu’il existait, selon lui, une doute sur l’origine même des prélèvements analysés.
En tant qu’il revient à invoquer une violation de la jurisprudence de la Cour, le moyen est irrecevable.
Les juges d’appel n’ont pas déduit l’absence de violation des droits de la défense du demandeur du seul fait qu’il n’a jamais sollicité de contre-expertise du prélèvement réalisé dans le délai visé à l’article 9 de l’arrêté royal du 10 juin 1959.
Ils ont aussi précisé que la disparition des vénules a été constatée après le 31 décembre 2019, à un moment où plus aucune contre-expertise des prélèvements ne pouvait être demandée, et en ont déduit, dans ce contexte, que la disparition des échantillons ne portait pas atteinte à l’équité procédurale.
Procédant d’une lecture incomplète du jugement, le moyen manque, à cet égard, en fait.
Sur le second moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 32 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, 22 du Code d’instruction criminelle, 34, § 2, 1°, et 38, § 1er, 1°, de la loi relative à la police de la circulation routière, 1 à 10 de l’arrêté royal du 10 juin 1959 relatif au prélèvement sanguin en vue du dosage de l’alcool.
Le moyen ne précise pas en quoi le jugement viole les articles 32 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, 22 du Code d’instruction criminelle, 34, § 2, 1°, et 38, § 1er, 1°, de la loi relative à la police de la circulation routière, 1 à 10 de l’arrêté royal du 10 juin 1959 relatif au prélèvement sanguin en vue du dosage de l’alcool.
A défaut de précision, il est, à cet égard, irrecevable.
Le moyen est en réalité pris d’un défaut de réponse aux conclusions.
A la défense du demandeur soutenant que sa médication pouvait affecter les constatations des verbalisateurs et les résultats des analyses de sang, les juges d’appel ont répondu par une appréciation contraire reprise aux points 9 et 24 de leur décision.
Ils ont considéré en substance que la présence d’alcool révélée dans le sang du prévenu trouvait sa cause dans sa consommation d’alcool, reconnue dès sa première audition, et que l’imprégnation alcoolique était révélée par d’autres facteurs que sa démarche boîteuse, en l’occurrence le fait que son haleine sentait l’alcool, que son visage était rouge, qu’il n’arrivait pas à souffler dans l’éthylotest et qu’il faisait preuve d’une certaine agressivité.
A cet égard, le moyen manque en fait.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de cent vingt euros cinquante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, Sidney Berneman, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du neuf mars deux mille vingt-deux par Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.21.1595.F
Date de la décision : 09/03/2022
Type d'affaire : Droit pénal - Autres

Analyses

En vertu de l’article 32 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, la nullité d’un élément de preuve obtenu irrégulièrement n’est décidée que si le respect des conditions formelles concernées est prescrit à peine de nullité, si l’irrégularité commise a entaché la fiabilité de la preuve, ou si l’usage de celle-ci est contraire au droit à un procès équitable; il résulte de cette disposition que, lorsque la condition de forme qui n’a pas été observée n’est pas prescrite à peine de nullité, l’irrégularité commise n’entraîne pas nécessairement l’exclusion de la preuve et que dans une telle circonstance, le juge doit vérifier concrètement si l’irrégularité relevée entache la fiabilité de la preuve ou si l’utilisation de cette preuve s’oppose à un procès équitable, ce qu’il apprécie souverainement sur la base des éléments de la cause (1). (1) Voir les concl. du MP.

PREUVE - MATIERE REPRESSIVE - Administration de la preuve - ROULAGE - LOI RELATIVE A LA POLICE DE LA CIRCULATION ROUTIERE - DISPOSITIONS LEGALES - Article 34 [notice1]

Est irrecevable un moyen qui invoque une violation de la jurisprudence (1). (1) Voir les concl. du MP.

MOYEN DE CASSATION - MATIERE REPRESSIVE - Généralités


Références :

[notice1]

L. du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du code de procédure pénale - 17-04-1878 - Art. 32 - 01 / No pub 1878041750 ;

Loi relative à la police de la circulation routière, coordonnée par Arrêté Royal du 16 mars 1968 - 16-03-1968 - Art. 34, § 2 - 31 / No pub 1968031601 ;

A.R. du 10 juin 1959 - 10-06-1959 - Art. 1er à 10 - 30 / No pub 1959061004


Composition du Tribunal
Président : ROGGEN FRANCOISE
Greffier : GOBERT FABIENNE
Ministère public : VANDERMEERSCH DAMIEN
Assesseurs : BERNEMAN SIDNEY, DE FORMANOIR DE LA CAZERIE ERIC, KONSEK TAMARA, STEVENART MEEUS FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-03-09;p.21.1595.f ?

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