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14/02/2022 | BELGIQUE | N°S.21.0004.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 14 février 2022, S.21.0004.F


N° S.21.0004.F
OFFICE NATIONAL DE L’EMPLOI, établissement public, dont le siège est établi à Bruxelles, boulevard de l’Empereur, 7, inscrit à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0206.737.484,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
A. D.,
défenderesse en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 14 octobre

2020 par la cour du travail de Liège.
Le 20 janvier 2022, l’avocat général Bénédicte Inghels ...

N° S.21.0004.F
OFFICE NATIONAL DE L’EMPLOI, établissement public, dont le siège est établi à Bruxelles, boulevard de l’Empereur, 7, inscrit à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0206.737.484,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
A. D.,
défenderesse en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 14 octobre 2020 par la cour du travail de Liège.
Le 20 janvier 2022, l’avocat général Bénédicte Inghels a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et l’avocat général
Bénédicte Inghels a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- articles 2, avant sa renumérotation en article 1er par la loi du 18 juin 2018, entrée en vigueur le 31 mars 2019, 1235, 1376, 1377 et 2262bis, § 1er, alinéa 1er, de l’ancien Code civil ;
- article 30/1 de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés, y inséré par l’article 40 de la loi-programme du 27 décembre 2012, entré en vigueur le 1er janvier 2013 ;
- articles 40 et 41 de la loi-programme du 27 décembre 2012 ;
- principe général du droit de la non-rétroactivité des lois, consacré notamment par l’article 2, devenu 1er, de l’ancien Code civil.
Décisions et motifs critiqués
L’arrêt attaqué déclare l’appel de la défenderesse recevable et fondé, réforme le jugement entrepris, dit pour droit que l’action du demandeur en récupération de l’indu est prescrite pour avoir été introduite au-delà du délai de dix ans prévu à l’article 2262bis, § 1er, [de l’ancien] Code civil et condamne ce dernier aux dépens d’appel.
Après avoir constaté que la demande en recouvrement des allocations indûment perçues porte sur une période s’étendant du 21 septembre au 20 décembre 2004, l’arrêt attaqué fonde sa décision sur les considérations suivantes :
« Quant à la prescription
Suivant l'article 7, § 13, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, le droit de l'Office national de l’emploi d'ordonner la répétition des allocations de chômage payées indûment se prescrit par trois ans. Ce délai prend cours le premier jour du trimestre civil suivant celui au cours duquel le paiement a été effectué ;
L'Office dispose ainsi d'un délai de prescription de trois ans pour prendre la décision ordonnant la répétition des allocations de chômage payées indûment ;
Ainsi que le relève l'arrêt [de la cour du travail] du 13 juin 2018, ce délai a été respecté : la décision de récupération initiale du 27 janvier 2005 a en effet été prise en temps utile. La lettre du 26 septembre 2018 ne constitue pas une nouvelle décision mais s'analyse en une mesure d'exécution de la décision initiale ;
[Cet] arrêt rappelle également que l'article 7, § 13, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 ne soumet pas l'action de l'Office en récupération de l'indu à un délai spécifique de prescription. Le délai de prescription applicable à l'action de l'Office en récupération de l’indu est donc le délai de droit commun de dix ans prévu à l'article 2262bis, § 1er, alinéa 1er, du Code civil […] ;
L'Office a introduit son action par des conclusions déposées devant le tribunal du travail le 16 janvier 2019, soit plus de dix ans après le paiement des allocations litigieuses et la décision de récupération du 27 janvier 2005 ;
L'Office se prévaut de l'article 30/1 de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés, introduit par l'article 40 de la loi-programme du 27 décembre 2012 ;
Cet article dispose :
‘Toute instance en justice relative au recouvrement d'allocations indûment perçues qui est introduite par l'organisme intéressé, par le redevable tenu au remboursement de ces allocations ou par toute autre personne tenue au remboursement en vertu de dispositions légales ou réglementaires suspend la prescription.
La suspension débute avec l'acte introductif d'instance et se termine lorsque la décision judiciaire est passée en force de chose jugée’ ;
L'entrée en vigueur de cette disposition a été fixée au 1er janvier 2013 (article 41 de la loi-programme du 27 décembre 2012) ;
En vertu de l'article 2 du Code civil, la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a pas d'effet rétroactif ;
Dans un arrêt du 12 avril 2002 [...], la Cour de cassation a jugé, à propos d'une nouvelle cause d'interruption de la prescription, qu’‘une loi qui crée une nouvelle cause d'interruption de la prescription ne saurait conférer à un acte accompli sous l'empire de la loi ancienne l'effet, que cette loi ne lui attribuait pas, d'interrompre une prescription en cours’ ;
La cour [du travail] estime qu'il y a lieu de raisonner de la même manière au sujet de la nouvelle cause de suspension de la prescription introduite par la loi-programme du 27 décembre 2012 ;
Selon les dispositions en vigueur lorsque [la défenderesse] a introduit son recours, une action en justice n'avait d'effet interruptif que si elle était dirigée contre ‘celui que l'on veut empêcher de prescrire’ (article 2244 du Code civil). Le recours de l'assuré social n'avait donc pas pour effet d'interrompre la prescription de l'action en recouvrement de l'organisme de sécurité sociale ;
Par conséquent, le recours introduit le 7 février 2005 par [la défenderesse] contre la décision de l'Office national de l’emploi du 27 janvier 2005 n'a pas suspendu le délai de la prescription de l'action de cet office. Il s'ensuit que l'action de celui-ci est prescrite pour avoir été introduite au-delà du délai de dix ans prévu à l'article 2262bis, § 1er, alinéa 1er, du Code civil ».
Griefs
1. En vertu de l'article 2262bis, § 1er, alinéa 1er, de l’ancien Code civil, toutes les actions personnelles sont prescrites par dix ans. Cette prescription s'applique à toutes les actions personnelles qui ne sont pas soumises à des prescriptions particulières. En règle, l'action en répétition de l'indu se prescrit donc par dix ans à compter de la date à laquelle la somme a été indûment perçue (articles 1235, 1376, 1377 et 2262bis, § 1er, alinéa 1er, [de l’ancien] Code civil).
À défaut de délai spécifique prévu à l'article 7, § 13, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944, l'action de l'Office national de l’emploi en récupération de l'indu est soumise au délai de prescription de dix ans.
En vertu de l'article 30/1, alinéa 1er, de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés, inséré dans cette loi par l'article 40 de la loi-programme du 27 décembre 2012, entré en vigueur le 1er janvier 2013 conformément à l’article 41 de la même loi, toute instance en justice relative au recouvrement d'allocations indûment perçues qui est introduite par l'organisme intéressé, par le redevable tenu au remboursement de ces allocations ou par toute autre personne tenue au remboursement en vertu de dispositions légales ou réglementaires suspend la prescription. La suspension débute, comme le précise le second alinéa de l’article 40, avec l'acte introductif d'instance et se termine lorsque la décision judiciaire est passée en force de chose jugée.
2. Aux termes de l'article 2, devenu 1er, de l’ancien Code civil, la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a point d'effet rétroactif.
En vertu du principe général du droit de la non-rétroactivité des lois consacré par cet article, une loi nouvelle est, en règle, applicable à des situations nées postérieurement à son entrée en vigueur et aux effets futurs de situations nées sous l'empire de l'ancienne loi qui se produisent ou se poursuivent sous l'empire de la nouvelle loi, pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits irrévocablement fixés.
Conformément à ce principe, l'article 30/1 de la loi du 29 juin 1981, qui prévoit une cause de suspension de la prescription de l'action tendant au recouvrement d'allocations indûment perçues qui ne figure pas dans la loi applicable au moment de la naissance de l'action, est applicable à cette prescription à partir de son entrée en vigueur, le 1er janvier 2013, pour autant qu'à cette date la prescription de cette action n’ait pas encore été acquise.
3. L'arrêt attaqué relève que, « selon les dispositions en vigueur lorsque la défenderesse a introduit son recours, une action en justice n'avait d'effet interruptif que si elle était dirigée contre ‘celui que l'on veut empêcher de prescrire’ (article 2244 [de l’ancien] Code civil) ». Il en déduit que le recours introduit le 7 février 2005 par la défenderesse contre la décision du demandeur du 27 janvier 2005 n'a pas suspendu le délai de la prescription de l'action du demandeur et que cette action est donc prescrite pour avoir été introduite au-delà du délai de dix ans prévu à l'article 2262bis, § 1er, alinéa 1er, [de l’ancien] Code civil.
En statuant de la sorte, l'arrêt attaqué, qui constate que la demande en répétition de l'indu introduite par la demanderesse concernait des allocations indûment versées entre le 21 septembre et le 20 décembre 2004, ne justifie pas légalement sa décision (violation de toutes les dispositions visées au moyen).
En effet, il confère à l'article 2 [de l’ancien] Code civil et au principe général du droit de la non-rétroactivité des lois une portée qu'ils n'ont pas, la nouvelle cause de suspension de la prescription de l'action en répétition de l'indu, introduite dans la loi du 29 juin 1981 (article 30/1) par l'article 40 de la loi-programme du 27 décembre 2012, entré en vigueur le 1er janvier 2013 (article 41 de la même loi-programme), s'appliquant à la prescription de l'action en recouvrement des allocations indûment payées par le demandeur dès lors que la prescription de celle-ci n'était pas encore acquise à cette date par l'écoulement du délai de dix ans de l'article 2262bis, § 1er, alinéa 1er, [de l’ancien] Code civil (violation des articles 2, 1235, 1376 et 1377 de l’ancien Code civil, du principe général du droit visé au moyen, ainsi que des articles 30/1 de la loi du 29 juin 1981, 40 et 41 de la loi-programme du 27 décembre 2012).
III. La décision de la Cour
En vertu du principe général du droit de l’application immédiate de la loi nouvelle, consacré par l’article 2, devenu l’article 1er, de l’ancien Code civil, une loi nouvelle s’applique, en règle, non seulement aux situations qui naissent à partir de son entrée en vigueur, mais aussi aux effets futurs des situations nées sous le régime de la loi antérieure qui se produisent ou se prolongent sous l’empire de la loi nouvelle, pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits déjà irrévocablement fixés.
En conformité de ce principe, une loi prévoyant une cause de suspension de la prescription inconnue de la loi applicable au moment où l’action est née s’applique à cette prescription dès son entrée en vigueur.
L’article 40 de la loi-programme du 27 décembre 2012, entré en vigueur, comme le prévoit l’article 41 de cette loi, le 1er janvier 2013, a inséré dans la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés un article 30/1 qui dispose, au premier alinéa, que toute instance en justice relative au recouvrement d’allocations indûment perçues qui est introduite par l’organisme intéressé, par le redevable tenu au remboursement de ces allocations ou par toute autre personne tenue au remboursement en vertu de dispositions légales ou réglementaires suspend la prescription et, au second alinéa, que la suspension débute avec l’acte introductif d’instance et se termine lorsque la décision judiciaire est passée en force de chose jugée.
Aucune disposition légale ne déroge, s’agissant de cette cause de suspension, au principe de l’application immédiate de la loi nouvelle.
L’arrêt attaqué constate que, « par une décision du 27 janvier 2005, l’[Office national de l’emploi a] exclu [la défenderesse] du droit aux allocations de chômage […] du 21 septembre 2004 au 20 décembre 2004 inclus » et « lui a réclamé le remboursement des allocations indûment perçues pendant cette période » ; que, sur le recours que la défenderesse a formé le 7 février 2005, le tribunal du travail a annulé cette décision par un jugement du 10 octobre 2005 dont l’Office a relevé appel le 8 novembre 2005 ; que, par un arrêt du 13 juin 2018, la cour du travail a déclaré l’appel recevable et fondé, a confirmé la décision administrative querellée et a constaté n’être pas saisie d’une action en répétition de l’indu ; que, le 26 septembre 2018, l’Office a réclamé le remboursement de l’indu à la défenderesse, qui a formé un nouveau recours devant le tribunal du travail, et que l’Office a formé le 16 janvier 2019 une demande reconventionnelle en répétition de l’indu.
En considérant, pour dire cette demande introduite « plus de dix ans après le paiement des allocations litigieuses et la décision de récupération du 27 janvier 2005 » prescrite par application de l’article 2262bis, § 1er, alinéa 1er, de l’ancien Code civil, que l’Office ne peut se prévaloir de la cause de suspension de la prescription prévue à l’article 30/1 de la loi du 29 juin 1981 dès lors que cette disposition n’existait pas au moment où la défenderesse a introduit son premier recours, l’arrêt attaqué viole les dispositions légales et méconnaît le principe général du droit précités.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué, sauf en tant qu’il reçoit l’appel ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Vu l’article 1017, alinéa 2, du Code judiciaire, condamne le demandeur aux dépens ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Mons.
Les dépens taxés à la somme de six cent septante-trois euros un centime envers la partie demanderesse et à la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Ariane Jacquemin, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du quatorze février deux mille vingt-deux par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Bénédicte Inghels, avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Formation : Chambre 3f - troisième chambre
Numéro d'arrêt : S.21.0004.F
Date de la décision : 14/02/2022
Type d'affaire : Droit constitutionnel - Autres - Droit civil - Droit de la sécurité sociale

Analyses

En vertu du principe général du droit de l’application immédiate de la loi nouvelle, consacré par l’article 2, devenu l’article 1er, de l’ancien Code civil, une loi nouvelle s’applique, en règle, non seulement aux situations qui naissent à partir de son entrée en vigueur, mais aussi aux effets futurs des situations nées sous le régime de la loi antérieure qui se produisent ou se prolongent sous l’empire de la loi nouvelle, pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits déjà irrévocablement fixés (1). (1) Voir les concl. du MP.

LOIS. DECRETS. ORDONNANCES. ARRETES - APPLICATION DANS LE TEMPS ET DANS L'ESPACE - PRINCIPES GENERAUX DU DROIT [notice1]

Une loi prévoyant une cause de suspension de la prescription inconnue de la loi applicable au moment où l’action est née s’applique, en règle, à cette prescription dès son entrée en vigueur (1). (1) Voir concl. du MP.

LOIS. DECRETS. ORDONNANCES. ARRETES - APPLICATION DANS LE TEMPS ET DANS L'ESPACE - PRINCIPES GENERAUX DU DROIT - PRESCRIPTION - MATIERE CIVILE - Suspension - Portée - SECURITE SOCIALE - TRAVAILLEURS SALARIES - CHOMAGE - GENERALITES [notice3]


Références :

[notice1]

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 2 - 30 / No pub 1804032150

[notice3]

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 2 - 30 / No pub 1804032150 ;

L. du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés - 29-06-1981 - Art. 30/1, al. 1er et 2 - 02 / No pub 1981001048 ;

Principe général du droit de l’application immédiate de la loi nouvelle


Composition du Tribunal
Président : STORCK CHRISTIAN
Greffier : BODY LUTGARDE
Ministère public : INGHELS BENEDICTE
Assesseurs : LEMAL MICHEL, JACQUEMIN ARIANE, MARCHANDISE MAXIME, MORIS MARIELLE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-02-14;s.21.0004.f ?

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