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04/02/2022 | BELGIQUE | N°C.20.0542.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 04 février 2022, C.20.0542.F


N° C.20.0542.F
S. B.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Gilles Genicot et assistée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocats à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
F. T.,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigÃ

© contre l’arrêt rendu le 8 avril 2020 par la cour d’appel de Mons.
Le 18 janvier 2022, l’avocat gé...

N° C.20.0542.F
S. B.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Gilles Genicot et assistée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocats à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
F. T.,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 8 avril 2020 par la cour d’appel de Mons.
Le 18 janvier 2022, l’avocat général Philippe de Koster a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et l’avocat général
Philippe de Koster a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
La demanderesse présente deux moyens libellés dans les termes suivants :
Premier moyen
Dispositions légales violées
- articles 1134, 1135, 1387, 1390 et 1466 du Code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à sa modification par la loi du 22 juillet 2018 modifiant le Code civil et diverses autres dispositions en matière de droit des régimes matrimoniaux et modifiant la loi du 31 juillet 2017 modifiant le Code civil en ce qui concerne les successions et les libéralités et modifiant diverses autres dispositions en cette matière ;
- principe général du droit de l'enrichissement sans cause.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt dit le contredit du défendeur relatif à ses investissements partiellement fondé et, en conséquence, dit que la demanderesse lui est redevable de la somme de 48 068,06 euros, dit que les créances reconnues au profit du défendeur seront réévaluées, sur la base du rapport de l'expert chargé de déterminer la valeur vénale actuelle de l'immeuble propre de la demanderesse, selon la formule qu'il indique, renvoie les parties devant le notaire M. pour la poursuite de la procédure de liquidation-partage, leur délaisse les frais et dépens exposés par chacune d'elles en première instance, condamne la demanderesse aux trois quarts des droits de mise au rôle en degré d'appel et réserve à statuer sur le surplus des dépens, par tous ses motifs réputés ici intégralement reproduits et, en particulier, par les motifs que :
« 2. Le contrat de mariage
2.1. Il revient à la cour [d’appel] d'examiner dans un premier temps si le contrat de mariage exclut ou non des comptes entre les époux ;
L'article 6, alinéa 3, du contrat de mariage des parties prévoit ce qui suit :
‘À défaut de comptes écrits, les époux seront présumés avoir réglé entre eux, au jour le jour, les comptes qu'ils peuvent se devoir, y compris ceux qui sont relatifs à la contribution aux charges du mariage et ceux qui sont relatifs à la rémunération du travail familial, ménager ou social de chacun d'eux. Le partage des économies intervenu en cours de mariage ainsi que la fixation des droits de chaque époux lors d'acquisition en indivision seront présumés avoir été réalisés en règlement des comptes que les époux peuvent se devoir’ ;
Cette clause-type de règlement de comptes insérée dans de nombreux contrats de séparation de biens suscite encore des interprétations jurisprudentielles et doctrinales divergentes ;
Selon un premier courant, cette clause signifie que l'absence d'écrit entre les époux quant à leurs comptes entraîne l'extinction de tous comptes de créances à la dissolution du régime ;
C'est la position défendue par [la demanderesse] ;
Selon un second courant, si les époux n'ont pas fait de comptes écrits, cette clause-type du contrat présume le règlement périodique ou journalier des comptes de créances, la preuve contraire étant toutefois toujours possible ;
La cour [d’appel] se rallie aujourd'hui à cette seconde interprétation, à la lumière des éléments suivants :
- la clause litigieuse commence par les termes ‘à défaut de comptes écrits’, ce dont certains ont cru pouvoir déduire que ‘le compte écrit’ était la seule preuve contraire admise pour renverser la présomption édictée par cette clause alors que ‘à défaut’ signifie dans son sens usuel ‘en l'absence de’ et que le mot ‘preuve’ n'apparaît nulle part ;
- dans d'autres clauses du contrat de mariage réglant la propriété entre époux, le notaire G. préconisait la technique de la présomption tout en permettant la preuve contraire, ce qui était annoncé par ‘sauf preuve contraire’ ou ‘à défaut de preuve contraire’ ;
- l'utilisation d'une autre expression dans la clause relative à la présomption de règlement de comptes démontre que l'auteur de la clause n'a tout simplement pas entendu régler cette ‘preuve contraire’ ;
- le commentaire introductif confirme cette analyse ; le notaire G. rappelle que les époux sont libres de dresser des comptes entre eux mais qu'ils n'ont pas l'obligation de le faire : traduisant cette situation, la clause prévoit que, si les époux n'ont pas fait de compte écrit, c'est-à-dire ‘à défaut de compte écrit’, ils sont présumés avoir réglé au jour le jour les comptes qu'ils peuvent se devoir ;
- aucun mot dans cette clause ne permet de conclure au caractère irréfragable de cette présomption ; l'auteur de la clause lui-même précise que ce genre de clause de règlement de comptes ne peut exclure la preuve contraire ;
Admettre que la présomption est réfragable - ce qui est en réalité difficilement contestable - et imposer que la présomption ne puisse être renversée que par un écrit, c'est la rendre de facto irréfragable. Au surplus, ce serait ‘déforcer l'ordre et le sens des mots que de lire que cette preuve contraire ne pourrait être rapportée que par un écrit. Le texte ne le dit pas’ ;
En outre, comme le relève très justement F. Deguel, ‘en signant un contrat de mariage, avec une clause de style qui plus est, les époux n'expriment pas une volonté au sens où l'entend la Cour de cassation justifiant les transferts qui vont s'opérer durant la vie commune : ces transferts ne sont pas encore, par définition, connus et réalisés au moment de la signature du contrat de mariage, de sorte que le futur appauvri ne sait pas, à cette occasion et par cette signature, exprimer une volonté certaine de ne rien réclamer ou d'opérer des glissements définitifs’ ;
2.2. Il faut en conclure que cette clause-type du contrat de séparation de biens n'empêche nullement l'un des époux [de] renverser la présomption de règlement de comptes en apportant la preuve, selon les règles du droit commun, de la créance qu'il invoque ;
[Le défendeur] est donc autorisé à renverser la présomption de règlement de comptes, autrement que par un écrit, en invoquant une créance fondée sur l'enrichissement sans cause ».
L'arrêt rappelle ensuite les principes applicables à l'enrichissement sans cause, les applique au cas d'espèce et conclut que « [le défendeur] est dès lors fondé à revendiquer une créance de restitution » envers la demanderesse jusqu’à concurrence de 48 068,06 euros.
Griefs
En vertu de l'article 1387 du Code civil, les époux règlent leurs conventions matrimoniales comme ils le jugent à propos, pourvu qu'elles ne contiennent aucune disposition contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs.
L'article 1390 du même code dispose que ce n'est qu'à défaut de conventions particulières que les règles établies au chapitre II du même titre forment le droit commun, savoir les règles relatives au régime légal, dont font partie les articles 1432 à 1438 relatifs aux comptes de récompense pouvant exister entre les époux.
Ainsi que le constate l'arrêt, les parties se sont mariées « sous le régime de la séparation de biens aux termes d'un contrat de mariage reçu par le notaire Van Pée, de résidence à Nivelles, le 23 novembre 1991 ».
En vertu de l'article 1466 du Code civil (dans sa rédaction, applicable en l'espèce, antérieure à sa modification par la loi du 22 juillet 2018 visée au moyen), lorsque les époux ont stipulé par contrat de mariage qu'ils seront séparés de biens, chacun d'eux a seul tous pouvoirs d'administration, de jouissance et de disposition, sans préjudice de l'application de l'article 215, § 1er, et il garde propres ses revenus et économies.
En application de l'article 1134 dudit code, le contrat de mariage, légalement formé devant notaire, tient lieu de loi aux époux. Il ne peut être révoqué que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, et doit être exécuté de bonne foi.
L'article 1135 du même code, aux termes duquel les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature, n'autorise pas le juge à déroger au contrat pour dispenser, sur le fondement de l'équité, une partie de l'exécution de la clause d'une convention, l'assortir de modalités non prévues ou refuser d'en sanctionner l'inexécution. Sauf si une disposition légale particulière l'y autorise, quod non en l'espèce, le juge ne peut se prévaloir de l'équité, sous quelque forme que ce soit, pour déroger à l'article 1134, alinéa 1er, du Code civil.
Le contrat de mariage des parties comporte une clause, appelée « clause G. », du nom de son inspirateur et rédacteur, aux termes de laquelle, « à défaut de comptes écrits, les époux seront présumés avoir réglé entre eux, au jour le jour, les comptes qu'ils peuvent se devoir, y compris ceux qui sont relatifs à la contribution aux charges du mariage et ceux qui sont relatifs à la rémunération du travail familial, ménager ou social de chacun d'eux ».
Cette clause, qui fait la loi des parties, correspond à leur volonté exprimée au moment du mariage. Elle prévoit que la preuve contraire de la présomption qu'elle instaure doit être délivrée au moyen de « comptes écrits » et tient dès lors en échec la prétention de l'un des époux, lors de la liquidation, d'être indemnisé sur la base de la théorie de l'enrichissement sans cause, notamment s'il prétend, comme en l'espèce, avoir contribué à financer des travaux d'aménagement ou d'amélioration effectués durant la vie commune dans l'immeuble propre de son conjoint, ayant abrité la résidence conjugale, tout en demeurant en défaut de produire des comptes écrits sur lesquels cette prétention pourrait s'appuyer. La clause précitée constitue alors la cause d'éventuels transferts de richesses entre des époux séparés de biens, et telle est d'ailleurs sa raison d'être.
C'est à tort que l'arrêt décide que, nonobstant l'absence de comptes écrits, « la preuve contraire [est] toutefois toujours possible », celle-ci ne devant pas nécessairement être écrite, au motif que semblable exigence reviendrait à « la rendre de facto irréfragable », alors pourtant que l'on n'aperçoit pas en quoi la circonstance que les parties étaient mariées les aurait empêchées d'établir des comptes écrits entre elles à l'occasion d'investissements ou de dépenses importants, ainsi d'ailleurs que leur contrat de mariage les y invitait expressément. L'arrêt fait ainsi fi de la nature contractuelle du régime matrimonial de la séparation de biens, déduite des articles 1387 et 1466 du Code civil, qui renvoient à l'article 1134 de ce code, siège de la force obligatoire de tout contrat.
En retenant « que cette clause-type du contrat de séparation de biens n'empêche nullement l'un des époux [de] renverser la présomption de règlement de comptes en apportant la preuve, selon les règles du droit commun, de la créance qu'il invoque » et en considérant que « [le défendeur] est donc autorisé à renverser la présomption de règlement de comptes, autrement que par un écrit, en invoquant une créance fondée sur l'enrichissement sans cause », pour conclure qu'il « est fondé à revendiquer une créance de restitution » jusqu’à concurrence de 48 068,06 euros, sans que la clause litigieuse du contrat de mariage des parties s'y oppose et tienne en échec pareille prétention, l'arrêt refuse illégalement de reconnaître à ladite clause les effets qu'elle comporte et méconnaît, partant, sa force obligatoire, ainsi que, par voie de conséquence, le principe général du droit de l'enrichissement sans cause, qu'il applique à tort (violation de toutes les dispositions légales et du principe général du droit visés au moyen).
Second moyen
Dispositions légales violées
- principe général du droit de l'enrichissement sans cause ;
- en tant que de besoin, articles 1387, 1390 et 1435 du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt dit le contredit du défendeur relatif à ses investissements partiellement fondé et, en conséquence, dit que la demanderesse lui est redevable de la somme de 48 068,06 euros, dit que les créances reconnues au profit du défendeur seront réévaluées, sur la base du rapport de l'expert chargé de déterminer la valeur vénale actuelle de l'immeuble propre de la demanderesse, selon la formule qu'il indique, consistant à multiplier lesdites créances par le rapport entre la valeur actuelle de l'immeuble et sa valeur après les travaux, renvoie les parties devant le notaire M. pour la poursuite de la procédure de liquidation-partage, leur délaisse les frais et dépens exposés par chacune d'elles en première instance, condamne la demanderesse aux trois quarts des droits de mise au rôle en degré d'appel et réserve à statuer sur le surplus des dépens, par tous ses motifs réputés ici intégralement reproduits et, en particulier, par les motifs que :
« 4. L'évaluation de la créance de restitution
4.1. Pour déterminer le quantum d'une créance fondée sur l'enrichissement sans cause, il convient de ‘[rechercher] le montant de l'enrichissement puis celui de l'appauvrissement et d’[accorder] à l'appauvri la plus faible des deux sommes ainsi préalablement calculées’ ;
La créance doit être valorisée au jour où le notaire dresse l'état liquidatif ou au jour où le juge statue ;
En effet, dans un arrêt de principe du 27 septembre 2012, la Cour de cassation a considéré que ‘la créance née de l'enrichissement sans cause est une créance de valeur et non une créance de somme, à laquelle seule s'applique l'article 1895 du Code civil’ ;
Même si l'espèce concernait une créance née après le divorce, cette jurisprudence peut être transposée à une créance née pendant le mariage ;
Dans le cas d'investissement immobilier, l'enrichissement s'identifie au gain réalisé par l'époux accipiens, ‘soit qu'il n'ait dû supporter dans le prix et les frais d'acquisition qu'une part moindre que celle qui est détenue dans la propriété, soit qu'il ait pu profiter de la plus-value apportée au bien par les travaux effectués ou financés par son conjoint. On considère que cet enrichissement intègre également la plus-value naturelle prise par l'immeuble sur le marché depuis son acquisition jusqu'au jour où les comptes entre les parties doivent être liquidés, et doit être évalué à cette dernière date’ ;
Concernant la méthode de calcul de l'appauvrissement, deux conceptions sont défendues : la conception ‘monétaire’ et la conception ‘financière’ ;
Dans la conception financière, l'appauvrissement se compose de la perte du montant nominal des fonds investis dans l'immeuble mais aussi de la plus-value que cet investissement aurait pu générer si le titre, savoir la répartition de la propriété entre les époux, avait été fixé en conformité avec la finance, savoir la part concrètement assumée par chacun dans l'investissement. Cette conception a pour conséquence de mettre sur le même pied enrichissement et appauvrissement ;
Dans la conception monétaire, l'appauvrissement se compose de la perte du montant nominal des fonds investis, majorée d'une allocation complémentaire pour compenser, d'une part, la perte de la valeur de la monnaie avec le temps, d'autre part, le loyer de l'argent que les fonds auraient pu produire s'ils étaient restés dans le patrimoine de l'époux appauvri ;
4.2. [Le défendeur] sollicite que sa créance de restitution soit chiffrée jusqu’à la hauteur des sommes investies et, en outre, que toutes les créances qui lui seraient reconnues [...] soient réévaluées sur la base d'un coefficient de 2,06 obtenu en divisant 600 000 euros, étant la valeur actuelle de l'immeuble, par
291 000 euros, étant la valeur de l'immeuble au jour de l'acquisition (129 000 euros) augmentée du coût des travaux (162 000 euros). Il revendique ainsi de pouvoir participer à la plus-value acquise par le bien ;
[La demanderesse] conteste le principe même d'une réévaluation. À titre subsidiaire, elle conteste le mode de calcul proposé par [le défendeur], soutenant que, dans la mesure où [celui-ci] n'est pas propriétaire du bien, il ne peut en aucun cas prétendre à la plus-value acquise. Elle admet tout au plus que le montant puisse être corrigé par l'indexation. Elle ne propose toutefois aucun calcul précis ;
4.3. En l'espèce, l'enrichissement de [la demanderesse] est constitué par l'économie du coût des travaux qu'elle n'a pas dû elle-même financer, augmentée de la plus-value que lesdits travaux ont apportée à son bien ;
Concernant la manière de calculer l'appauvrissement [du défendeur], les circonstances de l'espèce démontrent que ce dernier entendait participer à l'investissement immobilier dès lors que les plans d'architecte ont été dressés aux noms [des époux] et les factures des travaux, établies, soit au nom [du défendeur], soit au nom des deux parties, ce qui démontre qu'il a toujours été question d'un projet immobilier de couple ; que [le défendeur] a remboursé avec [la demanderesse] les emprunts durant quasi toute la vie commune, soit durant près de vingt ans, et qu’[il] a payé seul certains travaux, outre sa main-d'œuvre personnelle (dont il n'a pas été tenu compte) ;
Eu égard à ces éléments qui apparaissent déterminants dans le choix de la méthode, il y a lieu de calculer l'appauvrissement [du défendeur] selon la méthode financière citée ci-dessus, pour prendre en compte la plus-value immobilière, ce qui implique de connaître la valeur actuelle de l'immeuble, la valeur après travaux de l'immeuble de 291 000 euros, retenue par le premier juge, n'étant quant à elle pas sérieusement remise en cause ;
L'enrichissement de [la demanderesse] et l'appauvrissement [du défendeur] étant ainsi mis sur le même pied, le calcul de la créance de restitution [de ce dernier] s'établira comme suit : créances [du défendeur] x valeur actuelle de l'immeuble/291 000 euros (valeur de l'immeuble après travaux) ;
La décision du premier juge, qui a désigné un expert pour déterminer la valeur actuelle de l'immeuble, sera dès lors confirmée ».
Griefs
En vertu de l'article 1387 du Code civil, les époux règlent leurs conventions matrimoniales comme ils le jugent à propos, pourvu qu'elles ne contiennent aucune disposition contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs.
L'article 1390 du même code dispose que ce n'est qu'à défaut de conventions particulières que les règles établies au chapitre II du même titre forment le droit commun, savoir les règles relatives au régime légal, dont font partie les articles 1432 à 1438 relatifs aux comptes de récompense pouvant exister entre les époux et notamment l'article 1435, siège de la réévaluation des récompenses en régime légal.
La demanderesse ne conteste pas, en soi, qu'en régime de séparation de biens, une créance fondée sur l'enrichissement sans cause puisse également faire l'objet d'une réévaluation.
Il reste que celle-ci ne saurait s'effectuer sur le modèle prévu, en régime légal, par l'article 1435 du Code civil, conduisant à ce que la créance soit égale à la valeur ou à la plus-value acquise, à la dissolution du régime, par le bien que les sommes et fonds ont servi à acquérir, conserver ou améliorer.
La créance du conjoint solvens doit au contraire équivaloir au montant nominal de son appauvrissement, affecté d'un coefficient ou majoré d'une allocation complémentaire en vue de compenser la perte de la valeur de l'argent et de tenir compte des fruits que les fonds auraient pu produire s'ils étaient restés dans le patrimoine de ce conjoint.
La créance née d'un enrichissement sans cause ne peut en effet être constituée que du plus petit des montants entre l'appauvrissement du solvens et l'enrichissement de l'accipiens. La « conception financière » qu'applique l'arrêt, qui aboutit à maximiser la réévaluation de la créance, méconnaît cette règle et, partant, le principe général du droit visé au moyen.
Ladite créance est en effet une créance de valeur, à ce titre gouvernée par le principe de la réparation intégrale, lequel implique que le montant alloué permette à l'époux créancier d'être replacé dans la situation où il se serait trouvé si la somme dont il s'est appauvri n'était pas sortie de son patrimoine, sans plus, sous peine d'indemniser dans son chef un dommage qu'il n'a pas subi. N'étant pas propriétaire du bien immobilier que son investissement a contribué à acquérir ou à améliorer, cet époux n'a pas vocation à bénéficier, comme telle, de la plus-value acquise par ce bien. La circonstance que le bien en question a vu sa valeur augmenter au fil du temps constitue en effet un événement postérieur au fait générateur du dommage de l'époux solvens et étranger tant à celui-ci qu'audit dommage, qui est susceptible d'améliorer ou d'aggraver la situation de cet époux, en manière telle qu'il n'y a pas lieu de tenir compte de cette circonstance pour évaluer son préjudice.
Il importe peu, à cet égard, que l'époux solvens « entendait participer à l'investissement immobilier », « qu'il a toujours été question d'un projet immobilier de couple » - ce qui sera au demeurant le cas très fréquemment, sinon quasiment systématiquement -, et qu'il a remboursé avec son conjoint propriétaire du bien « les emprunts durant quasi toute la vie commune », circonstance étrangère à l'existence d'une éventuelle créance visant des travaux d'aménagement ou d'amélioration.
L'arrêt opte, non pour la méthode « monétaire », de règle en régime de séparation de biens et conforme tant aux principes régissant l'enrichissement sans cause qu'à ceux qui gouvernent l'indemnisation intégrale du dommage, mais pour la méthode « financière » transposée - à tort - du régime légal, dans l'objectif assumé d'intégrer dans l'appauvrissement de l'époux solvens la plus-value à laquelle son investissement lui aurait donné droit si, quod non, le bien appartenait aux deux époux en proportion de leurs apports respectifs. Il entend ainsi « prendre en compte la plus-value immobilière » afin « de calculer l'appauvrissement [du défendeur] » et confirme à cette fin la mesure d'expertise visant à « connaître la valeur actuelle de l'immeuble ».
Ce faisant, l'arrêt alloue au défendeur davantage que la réparation intégrale du préjudice résultant de son appauvrissement et s'abstient illégalement de limiter sa créance, fondée sur un enrichissement sans cause, au plus petit des montants entre son appauvrissement et l'enrichissement de la demanderesse. Il n'est, partant, pas légalement justifié (violation du principe général du droit et, en tant que de besoin, des dispositions légales visés au moyen).
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
L’interprétation que le juge donne d’une stipulation conventionnelle est souveraine pourvu qu’elle ne méconnaisse pas la foi due aux termes de l’acte qui la contient.
L’arrêt constate que l’article 6, alinéa 3, du contrat de mariage des parties stipule que, « à défaut de comptes écrits, les époux seront présumés avoir réglé entre eux, au jour le jour, les comptes qu’ils peuvent se devoir, y compris ceux qui sont relatifs à la contribution aux charges du mariage et ceux qui sont relatifs à la rémunération du travail familial, ménager ou social de chacun d’eux » et que « le partage des économies intervenu au cours du mariage ainsi que la fixation des droits de chaque époux lors d’acquisition en indivision seront présumés avoir été effectués en règlement des comptes que les époux peuvent se devoir ».
Il considère que, même « si les époux n’ont pas fait de comptes écrits », « cette clause-type du contrat de séparation de biens n’empêche nullement l’un [d’eux] de renverser la présomption de règlement de comptes [qu’elle comporte] en apportant la preuve, selon les règles du droit commun, de la créance qu’il invoque ».
En autorisant le défendeur « à renverser la présomption de règlement des comptes, autrement que par un écrit, en invoquant une créance fondée sur l’enrichissement sans cause », l’arrêt reconnaît à la stipulation litigieuse l’effet que, dans l’interprétation qu’il en donne, elle a légalement entre les parties et ne viole partant pas la force obligatoire de celle-ci.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par le défendeur et déduite de ce qu’il s’érige contre une appréciation de l’arrêt qui gît en fait :

Le moyen ne critique pas l’évaluation concrète par la cour d’appel de la créance du défendeur née de l’enrichissement sans cause de la demanderesse à ses dépens mais, sur la base du principe général du droit dont il invoque la méconnaissance, sa décision que son « appauvrissement se compose, [non seulement] du montant nominal des fonds investis [par le défendeur] dans l’immeuble [de la demanderesse], mais aussi de la plus-value que cet investissement aurait pu générer si le titre, à savoir la répartition de la propriété entre les époux, avait été fixé en conformité avec la finance, savoir la part concrètement assumée par chacun dans l’investissement », de manière à « mettre sur le même pied enrichissement et appauvrissement ».
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
Sur le fondement du moyen :

En vertu du principe général du droit suivant lequel nul ne peut s’enrichir sans cause aux dépens d’autrui, celui qui bénéficie de l’enrichissement doit restituer à l’appauvri la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement.
L’arrêt relève que « l’enrichissement de [la demanderesse] est constitué par l’économie du coût des travaux qu’elle n’a pas dû elle-même financer, augmentée de la plus-value que lesdits travaux ont apportée à son bien ».
Il considère, s’agissant de « la manière de calculer l’appauvrissement [du défendeur] », que l’intention de ce dernier de « participer à l’investissement immobilier » est « déterminante dans le choix de la méthode », que « la méthode financière [s’impose] pour prendre en compte la plus-value immobilière » et que, dès lors, « l’appauvrissement se compose de la perte du montant nominal des fonds investis dans l’immeuble mais aussi de la plus-value que cet investissement aurait pu générer ». L’arrêt en déduit qu’il faut réévaluer le montant de
48 068,06 euros auquel il fixe les apports personnels du défendeur aux travaux effectués dans l’immeuble de la demanderesse en le multipliant par la « valeur actuelle de l’immeuble » et en divisant ce produit par « la valeur de l’immeuble après les travaux ».
En incluant dans l’appauvrissement du défendeur une part de l’enrichissement dont a bénéficié la demanderesse, l’arrêt méconnaît le principe général du droit précité.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur la réévaluation de la créance du défendeur, qu’il confirme la mesure d’expertise ordonnée par le premier juge pour déterminer la valeur actuelle de l’immeuble de la demanderesse et qu’il statue sur les dépens ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Condamne la demanderesse à la moitié des dépens ; en réserve l’autre moitié pour qu’il soit statué sur celle-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel de Liège.
Les dépens taxés à la somme de neuf cent soixante-trois euros quarante-neuf centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Mireille Delange, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du quatre février deux mille vingt-deux par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Philippe de Koster, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : C.20.0542.F
Date de la décision : 04/02/2022
Type d'affaire : Droit civil

Analyses

En vertu du principe général du droit suivant lequel nul ne peut s'enrichir sans cause aux dépens d'autrui, celui qui bénéficie de l'enrichissement doit restituer à l'appauvri la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement (1). (1) Voir les concl. du MP.

ENRICHISSEMENT SANS CAUSE


Composition du Tribunal
Président : STORCK CHRISTIAN
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : DE KOSTER PHILIPPE
Assesseurs : DELANGE MIREILLE, ERNOTTE MARIE-CLAIRE, JACQUEMIN ARIANE, MARCHANDISE MAXIME

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-02-04;c.20.0542.f ?

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