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10/12/2021 | BELGIQUE | N°C.21.0148.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 10 décembre 2021, C.21.0148.F


N° C.21.0148.F
VILLE DE LA LOUVIÈRE, représentée par son collège communal, dont les bureaux sont établis à La Louvière, en l’hôtel de ville, place Communale, 1,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Lefèbvre, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,
contre
SERVICES ET ASSETS MANAGEMENT, société anonyme, dont le siège est établi à Etterbeek, boulevard Louis Schmidt, 24, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0862.373.154,r> défenderesse en cassation,
représentée par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassat...

N° C.21.0148.F
VILLE DE LA LOUVIÈRE, représentée par son collège communal, dont les bureaux sont établis à La Louvière, en l’hôtel de ville, place Communale, 1,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Lefèbvre, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,
contre
SERVICES ET ASSETS MANAGEMENT, société anonyme, dont le siège est établi à Etterbeek, boulevard Louis Schmidt, 24, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0862.373.154,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 18 novembre 2020 par la cour d’appel de Mons.
Le 23 novembre 2021, l’avocat général Philippe de Koster a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Maxime Marchandise a fait rapport et l’avocat général Philippe de Koster a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente deux moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
Après avoir rappelé que, « par jugement du 23 janvier 2013, le juge de paix a validé la procédure d’expropriation et le transfert du bien » et que « le préjudice de l’exproprié comprend au minimum la valeur vénale objective du bien au jour du transfert de propriété », l’arrêt considère que « la référence à la vente du reste du site, intervenue le 8 avril 2010, pour le prix de 1.649.202 euros, soit 138,74 euros par mètre carré, [fixé sur la base de l’estimation du comité d’acquisition de Charleroi du 10 avril 2009], paraît […] pertinente » pour apprécier la valeur vénale du bien exproprié.
Il relève que « ce prix a été proposé à [la défenderesse] pour […] le bien exproprié, le 26 avril 2010, par la [demanderesse] » et que, si, « certes, [celle-ci] n’a pas maintenu cette proposition », c’est « suite à la nouvelle estimation faite par le comité d’acquisition d’immeubles de Charleroi, le 10 février 2011, fixant la valeur vénale du bien à 138.350 euros, pour autant que les bâtiments soient démolis et les terres dépolluées […], ce dernier chiffre [étant] simplement basé sur […] l’accord de reprise entériné par le tribunal de commerce de Mons, le 29 juin 2009, dans le cadre de la faillite [du précédent propriétaire] et fixant le prix de l’immobilier à 500.000 euros, soit 30,42 euros par mètre carré », puis considère que « le fait que des démolitions avaient entre-temps été entreprises et que les bâtiments du bien exproprié aient été réduits à l’état de ruines ne permet pas d’expliquer que l’estimation de la valeur vénale du site ait pu passer de 138,74 euros à 30,42 euros par mètre carré puisque, dans les deux cas, cette valeur était subordonnée à la démolition des constructions ».
Il ajoute que « le rapport d’expertise judiciaire ne permet pas de remettre en cause ce point de comparaison » et conclut que « la vente du 8 avril 2010 constitue en définitive le seul point de comparaison valable ».
Il suit de ces motifs que l’arrêt, tout en se référant à titre d’élément de comparaison au prix de cette vente, établi sur la base de la valeur retenue par le comité d’acquisition de Charleroi le 10 avril 2009, évalue la parcelle expropriée à la date du jugement du 23 janvier 2013.
Pour le surplus, il ne se déduit pas de ce que ce comité d’acquisition a ultérieurement minoré la valeur qu’il avait attribuée au bien exproprié le 10 avril 2009, que l’arrêt octroie, en adoptant cette dernière, une indemnité supérieure à la valeur réelle du bien.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Le moyen, en cette branche, fait grief à l’arrêt de violer la foi due au rapport de l’expert désigné par le juge de paix dans le cadre de la procédure en fixation des indemnités provisionnelle puis provisoire d’expropriation.
Les termes de ce document, qui ne figure pas parmi les pièces de la procédure en révision de l’indemnité provisoire allouée par le juge de paix, ne sont pas reproduits dans l’arrêt et la demanderesse ne le produit pas à l’appui de son pourvoi.
Le moyen, en cette branche, est irrecevable.
Sur le second moyen :
Quant à la première branche :
Le moyen, qui, en cette branche, fait grief à l’arrêt de se fonder sur les diverses évaluations produites pour apprécier le coût de démolition à envisager pour tout acquéreur potentiel, sans analyser leur pertinence, partant, de ne pas permettre à la Cour d’exercer son contrôle de légalité, ne précise pas la disposition légale dont la Cour ne pourrait contrôler l’application par l’arrêt.
Pour le surplus, d’une part, il critique les déductions que l’arrêt tire de ces évaluations alors que le contrôle de ces déductions est étranger à l’article 16 de la Constitution, d’autre part, il invite la Cour à procéder à une appréciation de ces évaluations, ce qui excède son pouvoir.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est irrecevable.
Cherchant à « définir l’ampleur des coûts à envisager pour tout acquéreur potentiel », l’arrêt retient à titre d’« éléments d’appréciation » :
- un « rapport établi par le bureau d’expertise ACG Constructions Managers SM au mois de mai 2012 [à la demande de la Spaque], portant notamment sur l’audit technique du bâtiment existant sur la parcelle [expropriée] et s’accompagnant d’une estimation du coût de déconstruction, [dans lequel] le coût des travaux de démolition est estimé […] à 1.218.155,70 euros hors TVA » et sur la base duquel « le comité d’acquisition [de Charleroi] estimait, [dans sa note de faits directoires adressée à l’expert judiciaire], que le coût de la démolition partielle pouvait […] être estimé à 609.079 euros hors TVA, tenant compte du fait que certains bâtiments, [correspondant à environ cinquante pourcents de la superficie], ne seront pas démolis » ;
- la circonstance que, « dans ses dernières conclusions devant le premier juge, la [demanderesse] expliquait que les travaux de réhabilitation du site avaient entre-temps été réalisés et qu’elle disposait des états d’avancement des travaux facturés en cours de chantier, qui se sont […] élevés au montant total de 890.679 euros hors TVA », la demanderesse « reconnaissa[n]t cependant qu’une partie de ces coûts était imputable à des travaux supplémentaires ou à des problèmes de stabilité du bâtiment qu’elle a souhaité conserver, de sorte que, jusqu’à concurrence de […] 122.874 euros, ces coûts ne devaient pas être déduits de la valeur vénale du bien » et que, « déduction faite du coût réel de la dépollution du sol qui s’est élevée à 354.658,71 euros, cela signifie que la [demanderesse] estimait alors le coût réel des démolitions à [...] 413.146,29 euros » ;
- un « devis du 2 septembre 2010 que [la défenderesse] avait demandé à l’entreprise de démolition, terrassement et construction TSC, qui s’élevait à 40.000 euros » ;
- un « rapport d’expertise immobilière établi le 15 avril 2011 par l’ingénieur architecte V., qui évalue le coût des travaux de démolition à 120.000 euros pour un travail réalisé dans de bonnes conditions, permettant le triage des matériaux » ;
- une « note critique [établie le 7 décembre 2012 par le même ingénieur à l’égard] de l’analyse du bureau ACG Constructions Managers SM […], dont la conclusion est, en substance, qu’elle contiendrait de nombreuses erreurs de quantités et que certains prix unitaires seraient exorbitants, de sorte que le tableau récapitulatif des coûts de démolition doit être corrigé à la baisse, pour donner un coût de 297.655,10 euros, soit, dans l’hypothèse de la démolition de cinquante pourcents de la surface, 148.832,55 euros » ;
- une « étude de stabilité [établie par la société VK Engineering le 20 janvier 2012], dans laquelle la démolition complète de la structure des bâtiments encore présents sur le site, incluant le tri des différents matériaux, l’évacuation des déblais, la purge du terrain de toutes les constructions enterrées et le nivellement de celui-ci est estimée à 90.000 euros, sous la réserve que ce coût est estimé sur la base d’un bâtiment vidé de son contenu au moment de sa démolition et suppose que le bâtiment est exempt d’amiante, ce qui n’est […] pas le cas » ;
- le fait que, « s’il fallait prendre des mesures pour garantir la pérennité à long terme du bâtiment, dans le but de livrer une structure existante saine et prête à être réutilisée pour une nouvelle affectation, la société VK Engineering en évalue le coût à 275.000 euros, incluant le déshabillage complet des bâtiments pour ne garder que les structures portantes, le tri et l’évacuation de tous les déblais de démolition ainsi que les mesures conservatoires ».
Il observe que « ces chiffres sont éminemment disparates » mais « sont toutefois le reflet de la grande variété de projets pouvant être envisagés sur le bien litigieux » et que, « dans cette perspective, la moyenne des différents éléments d’appréciation soumis à la cour [d’appel] est de nature à représenter le coût moyen des démolitions qui devrait être envisagé par tout amateur lambda, soit 243.293,98 euros ».
Dès lors qu’il ressort des motifs précités que l’arrêt n’examine pas séparément les mérites de chaque élément d’appréciation qu’il retient mais, admettant qu’ils reflètent des projets différents envisageables sur le bien exproprié, décide que le coût des démolitions peut être évalué par la moyenne des évaluations résultant de ces projets, il n’est contradictoire :
- ni, d’une part, de constater que l’évaluation tirée de l’étude de stabilité précitée a été établie sur la base d’un bâtiment vidé de son contenu au moment de sa démolition et suppose que le bâtiment est exempt d’amiante, ce qui n’est pas le cas, d’autre part, de l’inclure dans le calcul de la moyenne ;
- ni, d’une part, d’observer que les chiffres issus des éléments d’appréciation auxquels elle a égard sont éminemment disparates et que ces éléments présentent des imprécisions et disparités, d’autre part, de considérer que leur moyenne est de nature à représenter le coût moyen des démolitions qui devrait être envisagé par tout amateur lambda ;
- ni, d’une part, d’estimer qu’il s’agit de définir l’ampleur des coûts à envisager par tout acquéreur potentiel, d’autre part, de retenir l’évaluation du bureau ACG Constructions Managers SM et sa critique par l’ingénieur V. en acceptant l’hypothèse de la démolition d’une moitié des bâtiments.
Dans la mesure où il est recevable, le moyen, en cette branche, manque en fait.
Quant à la deuxième branche :
Aux termes de l’article 8.1, 9°, du Code civil, on entend par présomption de fait un mode de preuve par lequel le juge déduit l’existence d’un ou plusieurs faits inconnus à partir d’un ou plusieurs faits connus.
Selon l’article 8.29, alinéa 2, de ce code, la valeur probante des présomptions est laissée à l’appréciation du juge, qui ne doit les retenir que si elles reposent sur un ou plusieurs indices sérieux et précis ; lorsque la présomption s’appuie sur plusieurs indices, ceux-ci doivent être concordants.
Le juge peut déduire l’existence d’un fait inconnu d’éléments qui sont concordants et qui, ensemble, sont précis, lors même que chacun d’eux pris isolément ne l’est pas suffisamment.
L’arrêt, qui considère que les diverses évaluations du coût de la démolition reproduites dans la réponse à la première branche du moyen sont, au-delà de leurs « disparités », « le reflet de la grande variété de projets pouvant être envisagés sur le bien litigieux » et que, même si certaines d’entre elles sont affectées d’ « imprécisions », elles peuvent être prises en considération par leur « moyenne », a pu, sans méconnaître la notion de présomption, considérer que ces éléments sont suffisamment concordants et précis pour en déduire « le coût moyen des démolitions qui devrait être envisagé par tout amateur lambda ».
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la troisième branche :
D’une part, l’arrêt, qui retient « la grande variété de[s] projets pouvant être envisagés sur le bien litigieux », considère que les « coûts [de dépollution] ne devaient pas impérativement être envisagés par tout acquéreur potentiel ».
Donnant ainsi à connaître que certains projets de valorisation de la parcelle expropriée envisageables ne nécessitaient pas une dépollution du site, il répond aux conclusions de la demanderesse faisant valoir la nécessité d’une étude préalable à sa dépollution.
D’autre part, dans ses conclusions, la demanderesse soutenait qu’il fallait déduire de la valeur théorique de la parcelle expropriée le coût des travaux de démolition et d’évacuation des déchets, et appuyait le montant qu’elle avançait à ce sujet sur le rapport du bureau d’expertise ACG Constructions Managers SM en soulignant que l’évaluation tirée de celui-ci comprenait le coût de l’évacuation des matériaux et des déchets.
Les motifs relatifs à son examen de cette réclamation, reproduits en réponse à la première branche du moyen, révèlent qu’aux yeux de la cour d’appel, les évaluations qu’elle retient comme éléments d’appréciation incluent, sous la réserve de celle tirée de l’étude de stabilité de la société VK Engineering, l’évacuation des déchets ; l’arrêt répond ainsi aux conclusions de la demanderesse qui soutenait que le coût de cette évacuation devait être déduit de la valeur du bien.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent vingt-trois euros quinze centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Mireille Delange, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du dix décembre deux mille vingt et un par le président de section Mireille Delange, en présence de l’avocat général Philippe de Koster, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : C.21.0148.F
Date de la décision : 10/12/2021
Type d'affaire : Droit civil

Analyses

Le juge peut déduire sa conviction d’un ensemble d’éléments même si chacun pris isolément n’est pas suffisamment précis et pertinent.

PREUVE - MATIERE CIVILE - Présomptions [notice1]


Références :

[notice1]

Code civil - Livre VIII: La preuve - 13-04-2019 - Art. 8.29, al. 2 - 29 / No pub 2019A12168


Composition du Tribunal
Président : DELANGE MIREILLE
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : DE KOSTER PHILIPPE
Assesseurs : LEMAL MICHEL, ERNOTTE MARIE-CLAIRE, JACQUEMIN ARIANE, MARCHANDISE MAXIME

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-12-10;c.21.0148.f ?

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