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26/11/2021 | BELGIQUE | N°C.20.0578.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 26 novembre 2021, C.20.0578.F


N° C.20.0578.F
X. Y., agissant en nom personnel et, en tant que de besoin, représenté par M. Y., en sa qualité de mandataire général de celui-ci,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre de la Justice, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de Waterloo, 115,
défendeur en cassation,
représenté par Maître François T’Kint, av

ocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65, où il e...

N° C.20.0578.F
X. Y., agissant en nom personnel et, en tant que de besoin, représenté par M. Y., en sa qualité de mandataire général de celui-ci,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre de la Justice, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de Waterloo, 115,
défendeur en cassation,
représenté par Maître François T’Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 16 juillet 2020 par la cour d’appel de Mons, statuant comme juridiction de renvoi ensuite de l’arrêt de la Cour du 18 octobre 2018.
Le 29 octobre 2021, l’avocat général Bénédicte Inghels a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Maxime Marchandise a fait rapport et l’avocat général Bénédicte Inghels a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente cinq moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
L’arrêt attaqué ne constate pas que le défendeur a violé l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques par son obstination à refuser de publier un démenti des informations parues dans le journal De Morgen du 19 mai 1981.
Le moyen, qui suppose que le défendeur a violé lesdites dispositions et dont, partant, l’examen requiert une appréciation de fait qui excède les pouvoirs de la Cour, est irrecevable.
Sur le deuxième moyen :
Quant à la première branche :
Quant au premier rameau :
Par sa considération contraire que le demandeur « se contente d’affirmer sans l’établir que, suite à la rédaction de la note adressée à la commission, il a été détenu préventivement dans le cadre de l’affaire C.I.D.E.P. », l’arrêt attaqué répond à ses conclusions faisant valoir que c’est en raison de cette note qu’il a été détenu préventivement dans le cadre de l’affaire C.I.D.E.P., d’abord du 27 avril 1990 au 13 juin 1990, ensuite du 31 octobre 1996 au 5 décembre 1996.
Le moyen, en ce rameau, manque en fait.
Quant au second rameau :
Par la considération reproduite en réponse au premier rameau, à laquelle il ajoute que, « au contraire, [le demandeur] expose que l’inspection spéciale des impôts a produit une dénonciation au parquet le 16 février 1990, à la suite de laquelle une surveillance policière a été mise en place et s’en est suivie son arrestation, ce qui ne permet pas de faire le lien avec la note litigieuse », l’arrêt attaqué se borne à énoncer que le demandeur n’apporte pas la preuve, qui lui incombe, d’un lien causal entre la note précitée et son incarcération, sans exclure l’existence de ce lien.
Le moyen, en ce rameau, manque en fait.
Quant à la deuxième branche :
Le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense n’est pas méconnu lorsque le juge fonde sa décision sur des éléments dont les parties pouvaient s’attendre, au vu du déroulement des débats, qu’il les inclue dans son jugement et qu’elles ont dès lors pu contredire.
Pour apprécier si le délai raisonnable dans lequel quiconque a le droit de voir sa cause jugée, au sens de l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est dépassé, le juge tient compte de toute la durée de la procédure et, à cet égard, il prend en considération les circonstances concrètes de la cause, telles la complexité de celle-ci, l'attitude de chaque partie et celle des autorités judiciaires.
Le demandeur pouvait donc s’attendre à ce que l’arrêt examine le caractère fautif du comportement du défendeur.
En rejetant sa demande de réparation du dommage causé par la faute alléguée du défendeur consistant dans le dépassement du délai raisonnable pour le motif qu’il « ne fait état d’aucun élément objectif permettant de démontrer que la longueur de la […] procédure serait imputable à un comportement fautif [du défendeur] », l’arrêt attaqué ne méconnaît pas le droit de défense du demandeur.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la troisième branche :
L’arrêt attaqué ne constate pas que la procédure s’est étalée sur un laps de temps exorbitant ou que sa durée apparaît d’emblée déraisonnable.
Le moyen, dont, en cette branche, l’examen obligerait la Cour à une appréciation de fait excédant ses pouvoirs, est irrecevable.
Sur le troisième moyen :
Quant à la première branche :
En vertu des articles 1382 et 1383 de l’ancien Code civil, celui qui, par sa faute, a causé à autrui un dommage est tenu de le réparer, ce qui implique que le préjudicié soit replacé dans la situation qui eût été la sienne si l'acte illicite n'avait pas été commis.
Lorsque le dommage consiste en la perte d'une chance d'obtenir un avantage espéré, ce dommage est certain lorsque la perte, en relation causale avec la faute, porte sur un avantage probable.
Par la considération que « la perte d’une chance ne peut être prise en considération que si le juge constate que la chance était certaine », l’arrêt attaqué donne à connaître qu’il faut que soit certain, non l’avantage perdu, mais sa probabilité, partant, ne méconnaît pas la notion légale de perte d’une chance.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
En considérant, après avoir observé que le demandeur « vante une perte de chance d’occuper un poste à responsabilité […] dans le monde des affaires », qu’il « n’établit pas […] qu’il n’a plus joué de rôle dans [c]e monde », l’arrêt attaqué révèle que, à ses yeux, le demandeur n’établit pas qu’il n’a pas occupé de poste à responsabilité dans le monde des affaires.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Sur le quatrième moyen :
La règle d'ordre public, fixée à l'article 4 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale, en vertu de laquelle l'exercice de l'action civile qui n'est pas poursuivie devant le même juge simultanément à l'action publique est suspendu tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique, se justifie par le fait que le jugement pénal est en règle revêtu, à l'égard de l'action civile introduite séparément, de l'autorité de la chose jugée sur les points communs à l'action publique et à l'action civile.
L'obligation de surséance faite au juge saisi de l'action civile par cette disposition légale ne s'impose que pour autant qu'il existe un risque de contradiction entre les décisions du juge pénal et du juge civil.
En constatant l’existence d’un lien avec le recours introduit par le demandeur à l’encontre du jugement du 7 juin 1995 du tribunal de première instance de Bruxelles, siégeant en matière correctionnelle, tel que ledit article 4 lui impose de surseoir à statuer, le jugement du 15 septembre 1995 du même tribunal, siégeant en matière civile, ne décide pas, fût-ce implicitement, que les frais de défense du demandeur dans la première affaire constituent un dommage en lien causal avec la faute imputée au défendeur dans la seconde.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le cinquième moyen :
Quant à la deuxième branche :
La réparation du dommage en nature, qui se définit comme l'allocation d'un équivalent non pécuniaire à l'intérêt lésé, est le mode normal de réparation du dommage.
Le juge est, par conséquent, tenu de l'ordonner lorsque la victime le demande et que ce mode de réparation est en outre possible et ne constitue pas l'exercice abusif d'un droit.
En conclusions, le demandeur sollicitait la réparation partielle en nature de son préjudice moral par la condamnation du défendeur à lui adresser une lettre, cosignée par le ministre de la Justice et par l’administrateur général de la Sûreté de l’État, formulant un démenti aux accusations de cette dernière à son encontre et des excuses, et à donner une publicité à cette lettre sur deux sites internet.
L’arrêt attaqué n’a pu, sans violer les articles 1382 et 1383 de l’ancien Code civil, rejeter cette demande au motif que, « dans la mesure où il a été sollicité une réparation pécuniaire du dommage moral et [où] la somme [accordée] est destinée à compenser ledit dommage, il n’existe pas de raison de prévoir une compensation supplémentaire ».
Le moyen, en cette branche, est fondé.
La cassation de la décision de rejeter la demande du demandeur de réparation en nature de son dommage moral entraîne celle de la décision d'allouer la somme de 25.000 euros à titre de réparation par équivalent de ce dommage, en raison du lien établi par l'arrêt attaqué entre ces décisions.
Et il n’y a pas lieu d’examiner les première et troisième branches du cinquième moyen, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il accorde au demandeur la somme de 25.000 euros, augmentée d’intérêts, à titre de dommage moral et qu’il rejette sa demande de condamnation du défendeur à lui adresser une lettre de démenti et d’excuse et à la publier ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel de Liège.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Mireille Delange, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Ariane Jacquemin, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du vingt-six novembre deux mille vingt et un par le président de section Mireille Delange, en présence de l’avocat général Bénédicte Inghels, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : C.20.0578.F
Date de la décision : 26/11/2021
Type d'affaire : Autres - Droit international public - Droit civil

Analyses

Le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense n'est pas méconnu lorsque le juge fonde sa décision sur des éléments dont les parties pouvaient s'attendre, au vu du déroulement des débats, qu'il les inclue dans son jugement et qu'elles ont dès lors pu contredire (1). (1) Voir les concl. du MP.

PRINCIPES GENERAUX DU DROIT - Limites - DROITS DE LA DEFENSE - MATIERE CIVILE - JUGEMENTS ET ARRETS - MATIERE CIVILE - Généralités [notice1]

Pour apprécier si le délai raisonnable dans lequel quiconque a le droit de voir sa cause jugée est dépassé, le juge tient compte de toute la durée de la procédure et, à cet égard, il prend en considération les circonstances concrètes de la cause, telles la complexité de celle-ci, l'attitude de chaque partie et celle des autorités judiciaires; le demandeur pouvait donc s'attendre à ce que l'arrêt examine le caractère fautif du comportement du défendeur (1). (1) Voir les concl. du MP.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 1er - DROITS DE L'HOMME - PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES - DROITS DE LA DEFENSE - MATIERE CIVILE - Conséquence [notice4]

La réparation du dommage en nature, qui se définit comme l'allocation d'un équivalent non pécuniaire à l'intérêt lésé, est le mode normal de réparation du dommage; le juge est, par conséquent, tenu de l'ordonner lorsque la victime le demande et que ce mode de réparation est en outre possible et ne constitue pas l'exercice abusif d'un droit (1). (1) Voir les concl. du MP.

RESPONSABILITE HORS CONTRAT - DOMMAGE - Divers - Conditions - RESPONSABILITE HORS CONTRAT - DOMMAGE - Notion. Formes [notice7]


Références :

[notice1]

Principe général du droit relatif au respect des droits de la défense

[notice4]

A.R. du 22 février 2001 organisant les contrôles effectués par l'Agence fédérale pour la Sécurité de la Chaîne alimentaire et modifiant diverses dispositions légales - 22-02-2001 - Art. 6, § 1er - 33 / No pub 2001022136 ;

Pacte international relatif aux droits civils et politiques - 19-12-1966 - Art. 14 - 31 / Lien DB Justel 19661219-31 ;

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 6, § 1er - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

Pacte international relatif aux droits civils et politiques - 19-12-1966 - Art. 14 - 31 / Lien DB Justel 19661219-31

[notice7]

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 1382 et 1383 - 30 / No pub 1804032150


Composition du Tribunal
Président : DELANGE MIREILLE
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : INGHELS BENEDICTE
Assesseurs : LEMAL MICHEL, JACQUEMIN ARIANE, MARCHANDISE MAXIME, MORIS MARIELLE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-11-26;c.20.0578.f ?

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