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06/10/2021 | BELGIQUE | N°P.21.0125.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 06 octobre 2021, P.21.0125.F


N° P.21.0125.F
M. Y.,
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Dimitri de Béco et Dries Paternot, avocats au barreau de Bruxelles,
contre
1. WALLONIE-BRUXELLES ENSEIGNEMENT, anciennement Communauté française, représentée par son administrateur général Julien Nicaise, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, boulevard du Jardin Botanique, 20-22,
ayant pour conseil Maître Fanny Vansiliette, avocat au barreau de Bruxelles,
2. R. D. C. A.,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 6 janvier 2021 par la cour d’appel de Bruxelles, ch...

N° P.21.0125.F
M. Y.,
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Dimitri de Béco et Dries Paternot, avocats au barreau de Bruxelles,
contre
1. WALLONIE-BRUXELLES ENSEIGNEMENT, anciennement Communauté française, représentée par son administrateur général Julien Nicaise, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, boulevard du Jardin Botanique, 20-22,
ayant pour conseil Maître Fanny Vansiliette, avocat au barreau de Bruxelles,
2. R. D. C. A.,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 6 janvier 2021 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque six moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller François Stévenart Meeûs a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision qui, rendue sur l’action publique,
1. acquitte le demandeur et dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 382bis du Code pénal :
Le demandeur se désiste de son pourvoi.
2. condamne le demandeur pour le surplus :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution et 373 du Code pénal.
Quant à la première branche :
Le moyen reproche à l’arrêt de déclarer établie la prévention d’attentat à la pudeur avec violences ou menaces, sans décrire les faits qualifiés d’attouchements par la cour d’appel et sans examiner si ces faits correspondent aux éléments constitutifs de ce délit. Selon le demandeur, les juges d’appel n’ont en particulier pas vérifié si les actes reprochés ont été accomplis avec la gravité que la loi requiert ni s’ils ont effectivement porté atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime, telle qu’elle est perçue dans la conscience collective de la société.
Le délit d’atteinte à la pudeur suppose une atteinte contraignante à l’intégrité sexuelle de la victime, telle qu’elle est perçue par la conscience collective au moment où les faits se sont produits.
Perpétrée avec ou sans contact physique, l'infraction requiert que la pudeur de la victime ait été blessée par l'acte ou le fait auquel elle n'a pas eu la possibilité de se soustraire. Pour déterminer si un acte blesse la pudeur, il est exigé que le corps de la victime ait été impliqué contre son gré dans un acte inspirant, au moment où il est réalisé, la gêne que font éprouver les choses contraires à la perception commune de la décence.
La loi ne requiert pas de mesurer autrement la gravité de cette atteinte.

L’arrêt tient pour constants les faits rapportés par le plaignant, à savoir que le professeur demandait régulièrement à son élève d’avoir des relations sexuelles avec lui et avec une autre personne, qu’il le poursuivait de messages ou de propos à connotation sexuelle, qu’il lui donnait rendez-vous dans la classe et lui touchait les parties génitales.
De ces circonstances, les juges d’appel ont pu déduire que les attouchements reprochés au demandeur caractérisent le comportement incriminé par l’article 373 du Code pénal.
Ainsi, l’arrêt est régulièrement motivé et légalement justifié.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Le demandeur fait grief aux juges d’appel d’avoir déclaré établie la prévention d’attentat à la pudeur sans préciser en quoi les faits étaient accompagnés de violences ou de menaces.
Les violences ou menaces visées à l’article 373, alinéa 1er, du Code pénal impliquent, comme élément constitutif de l’infraction, qu’en raison d’une contrainte physique, la victime n’a pas eu physiquement la possibilité de se soustraire aux faits ou que, à cause des actes soudains et imprévus de l’auteur, elle n’a pas eu l’occasion de s’y opposer, ou encore qu’elle n’a toléré les faits qu’en raison d’une contrainte morale par la crainte d’un mal imminent.
L’arrêt considère notamment que c’est en prétextant une discussion sur des absences scolaires injustifiées du défendeur que le demandeur s’est permis de poser des gestes attentatoires à son intégrité physique, ce qui ne manquait pas de le surprendre, l’intéressé ayant expliqué qu’il « reculait » immédiatement lorsqu’il « lui mettait la main ».
Il ajoute que les agissements du demandeur étaient d’autant plus imprévisibles et la contrainte qu’il exerçait d’autant plus forte que ce dernier était de ceux qui avaient autorité sur la victime, en tant que professeur de l’établissement scolaire.
La cour d’appel a ainsi constaté que le défendeur n’avait pas eu la possibilité de se soustraire aux agissements du demandeur.
Le moyen manque en fait.
Sur le deuxième moyen :
Pris de la violation des articles 6.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 149 de la Constitution, le moyen fait grief aux juges d’appel d’avoir violé la présomption d’innocence en fondant la culpabilité du demandeur du chef d’attentat à la pudeur sur la base d’une précédente enquête n’ayant pas abouti et d’un rapport du centre d’appui bruxellois qui n’exclut pas les faits commis.
D’une part, l’arrêt ne se prononce pas sur la culpabilité du demandeur relativement à d’autres faits dont les juges d’appel n’étaient pas saisis, pour le déclarer coupable de la prévention qui lui était imputée. Il s’est limité, ce qui est différent, à relever que, par l’analyse de l’ordinateur du demandeur, cette enquête avait révélé la consultation régulière de sites de rencontres de la communauté homosexuelle.
D’autre part, l’arrêt considère que, si l’expertise du centre d’appui bruxellois ne met pas en évidence une pathologie de nature psychotique ou une fixation ou une attirance spécifique envers les mineurs, cette expertise n’exclut pas non plus les faits dans le chef du demandeur, lesquels peuvent s’expliquer dans le cadre d’un développement sexuel inabouti et d’une sexualité contrainte à l’abstinence.
La cour d’appel n’a pas violé la présomption d’innocence en considérant que l’expertise en cause ne contredisait pas les éléments de preuve puisés dans les déclarations du plaignant, du prévenu et des témoins.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 442bis du Code pénal. Il reproche à l’arrêt de déclarer la prévention de harcèlement établie sur le seul fondement de deux rapports disciplinaires rédigés par le demandeur et mettant en cause le comportement du défendeur alors que ces éléments ne sauraient constituer une atteinte grave et répétitive à la tranquillité de celui-ci.
Pour être punissable au titre de l’article 442bis du Code pénal, l’auteur doit avoir intentionnellement adopté un comportement susceptible de porter gravement atteinte à la tranquillité de la personne visée. Il faut que le dérangement occasionné à celui qui s’en plaint puisse, de manière objective, passer pour profondément perturbateur parce que dénué de toute justification raisonnable.
Il appartient au juge qui statue sur des poursuites du chef de harcèlement d'apprécier en fait la réalité et la gravité de l'atteinte à la tranquillité de la victime, le lien de causalité entre ce comportement et ladite atteinte ainsi que la connaissance que l'auteur avait ou devait avoir des conséquences de son comportement. Il revient toutefois à la Cour de vérifier si, des faits qu'il a constatés, le juge a pu déduire que ce comportement était incessant ou répétitif.
En l’espèce, pour déclarer la prévention de harcèlement établie, l’arrêt s’appuie notamment sur les deux rapports précités. Il précise que ces rapports sont motivés avec légèreté, qu’ils paraissent particulièrement disproportionnés et ciblés à l’encontre du défendeur et qu’ils ont conduit à son exclusion temporaire. Selon l’arrêt, un témoin a rapporté que le défendeur devait baisser les yeux en présence du demandeur qui l’insultait tandis qu’un professeur a décrit l’incompréhension d’un autre élève quant à l’attitude du demandeur à l’égard du plaignant.
Sur ce fondement, les juges d’appel ont pu conclure à l’existence, dans le chef du demandeur, du comportement réprimé par l’article 442bis du Code pénal.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le quatrième moyen :
Pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 145, § 3bis, de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques, le moyen fait grief aux juges d’appel d’avoir déclaré établie la prévention de harcèlement téléphonique, sans avoir constaté l’existence de l’intention d’importuner son correspondant ou de lui causer un préjudice.
D’après l’arrêt,
- le défendeur a déclaré que le demandeur lui envoyait régulièrement des messages « Sms » contenant des conversations ou propositions douteuses à connotation sexuelle ;
- le défendeur a confié à un professeur qu’il ressentait une forte pression de la part du demandeur qui lui envoyait régulièrement des messages par voie téléphonique ;
- un autre professeur a pu apercevoir sur le téléphone du défendeur une très longue liste d’appels en absence émanant du demandeur ;
- la nature et la fréquence des appels, vocaux ou par texto, ne s’expliquent pas dans le cadre d’une relation ordinaire entre un professeur et un élève et ont indéniablement importuné le défendeur.
En l’absence de contestation du demandeur quant à l’élément moral de l’infraction, ces énonciations des juges d’appel emportent le constat régulier et légal des éléments constitutifs du délit, dol spécial y compris.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le cinquième moyen :
Pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 398 et 405bis du Code pénal, le moyen fait grief aux juges d’appel d’avoir déclaré établie la prévention de coups ou blessures volontaires au préjudice d’un élève giflé à plusieurs reprises dans sa classe, alors qu’il est admis par la jurisprudence qu’un coup porté intentionnellement par un enseignant à un élève peut être légitimé par les circonstances, comme la volonté d’imposer le respect de la discipline.
L’arrêt considère que le demandeur a délibérément giflé un élève et qu’il l’a fait avec l’intention d’attenter à sa personne.
Ces considérations rejettent, par une appréciation contraire en fait, la défense suivant laquelle l’intention du prévenu n’avait pas été de faire mal mais seulement d’imposer le respect de la discipline.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le sixième moyen :
L’arrêt considère qu’au vu de la nature et de la gravité des faits, la durée des poursuites n’a pas excédé le délai raisonnable garanti par l’article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Le moyen soutient que les critères retenus par la cour d’appel ne justifient pas légalement sa décision, la garantie du délai raisonnable étant acquise quelle que soit la gravité de l’infraction à juger.
Mais pour conclure à l’absence de dépassement dudit délai, l’arrêt relève que l’enquête n’a subi aucun retard anormal et que la cause a été instruite, tant en première instance qu’en degré d’appel, avec la diligence requise.
La référence à la nature et à la gravité des faits n’a pas d’autre portée que d’apprécier la durée relative de la procédure par rapport à la complexité et à l’enjeu des faits qu’elle avait pour objet d’instruire contradictoirement.
Le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action civile exercée contre le demandeur par le défendeur :
Le demandeur ne fait valoir aucun moyen spécifique.
C. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action civile exercée contre le demandeur par la défenderesse :
N’ayant pas été régulièrement signifié à la défenderesse, le pourvoi est irrecevable.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Décrète le désistement du pourvoi en tant qu’il est dirigé contre la décision qui acquitte le demandeur et dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 382bis du Code pénal ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de quatre cent septante-trois euros septante-cinq centimes dont cent quarante-cinq euros quatre-vingt-un centimes dus et trois cent vingt-sept euros nonante-quatre centimes payés par ce demandeur.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du six octobre deux mille vingt et un par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.21.0125.F
Date de la décision : 06/10/2021
Type d'affaire : Droit pénal

Analyses

Le délit d’atteinte à la pudeur suppose une atteinte contraignante à l’intégrité sexuelle de la victime, telle qu’elle est perçue par la conscience collective au moment où les faits se sont produits; perpétrée avec ou sans contact physique, l'infraction requiert que la pudeur de la victime ait été blessée par l'acte ou le fait auquel elle n'a pas eu la possibilité de se soustraire; pour déterminer si un acte blesse la pudeur, il est exigé que le corps de la victime ait été impliqué contre son gré dans un acte inspirant, au moment où il est réalisé, la gêne que font éprouver les choses contraires à la perception commune de la décence; la loi ne requiert pas de mesurer autrement la gravité de cette atteinte (1). (1) Cass. 27 novembre 2013, RG P.13.0714.F, Pas. 2013, n° 635.

ATTENTAT A LA PUDEUR ET VIOL [notice1]

Les violences ou menaces visées à l’article 373, alinéa 1er, du Code pénal impliquent, comme élément constitutif de l’infraction, qu’en raison d’une contrainte physique, la victime n’a pas eu physiquement la possibilité de se soustraire aux faits ou que, à cause des actes soudains et imprévus de l’auteur, elle n’a pas eu l’occasion de s’y opposer, ou encore qu’elle n’a toléré les faits qu’en raison d’une contrainte morale par la crainte d’un mal imminent (1). (1) Cass. 7 mars 1989, Pas. 1989, n° 380.

ATTENTAT A LA PUDEUR ET VIOL [notice2]


Références :

[notice1]

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 373 - 01 / No pub 1867060850

[notice2]

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 373 - 01 / No pub 1867060850


Composition du Tribunal
Président : DE CODT JEAN
Greffier : GOBERT FABIENNE
Ministère public : VANDERMEERSCH DAMIEN
Assesseurs : ROGGEN FRANCOISE, DE FORMANOIR DE LA CAZERIE ERIC, KONSEK TAMARA, STEVENART MEEUS FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-10-06;p.21.0125.f ?

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