N° C.20.0537.F
INSTITUT SAINT-JOSEPH À LA LOUVIÈRE, association sans but lucratif, dont le siège est établi à La Louvière, rue Gustave Boël, 55, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0401.793.695,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, et par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile,
contre
1. ENTREPRISES KOECKELBERG, société anonyme, dont le siège est établi à Charleroi (Gilly), rue Noël Sart-Culpart, 44, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0401.544.861,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
2. P. M.,
3. A. T.,
4. P. T.,
5. G. T.,
6. G. B.,
7. P. D.,
défendeurs en cassation,
représentés par Maître François T’Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65, où il est fait élection de domicile,
8. M. D.,
9. V. D.,
10. D. D.,
11. ETUBA BUREAU D’ÉTUDES, société privée à responsabilité limitée, déclarée en faillite par jugement du tribunal de commerce de Mons du 11 janvier 1999, dont la faillite a été clôturée par jugement du même tribunal du 6 décembre 2012 désignant en tant que liquidateur G. M., décédé et non remplacé, dont le siège est établi à La Louvière (Strépy-Bracquegnies), Parc Industriel, 19, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0401.761.627,
défendeurs en cassation,
12. M. P., en qualité d’héritière de M. M.,
13. AIM BELGIQUE, société anonyme, dont le siège est établi à Ixelles, place du Luxembourg, 47-51, dont la liquidation a été clôturée le 19 novembre 2014, représentée par son liquidateur P. V., avocat,
14. EUROMAF ASSURANCE DES INGÉNIEURS ET DES ARCHITECTES EUROPÉENS, société de droit français, dont le siège est établi à Paris (France), boulevard Malesherbes, 189, et ayant en Belgique une succursale établie à Anderlecht, boulevard Paepsem, 11 A (bte 4), inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0478.841.983,
défenderesses en cassation,
représentées par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 9 avril 2019 par la cour d’appel de Mons.
Le 9 juin 2021, l’avocat général Philippe de Koster a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport et l’avocat général
Philippe de Koster a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente deux moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par les défendeurs sub 2 à 7 et déduite du défaut d’intérêt :
Contrairement à ce que soutiennent les défendeurs sub 2 à 7, la demanderesse ne se limite pas à faire grief à l’arrêt de rejeter sa demande d’indemnisation pour le trouble de jouissance relatif à la seule section 2.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
Sur le fondement du moyen, en cette branche :
En vertu de l’article 1149 de l’ancien Code civil, en cas d’inexécution fautive d’une obligation contractuelle, les dommages et intérêts dus par le débiteur de cette obligation au créancier sont, sous réserve de l’application des articles 1150 et 1151, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé.
L’article 544 de ce code dispose que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.
Il s’ensuit que, lorsque le débiteur porte atteinte, par l’inexécution fautive d’une obligation contractuelle, à cette jouissance, le créancier justifie de l’existence d’un dommage dont le débiteur doit réparation, sans être tenu d’établir que cette atteinte lui cause un préjudice autre que cette atteinte.
L’arrêt attaqué constate, par référence à l’arrêt non attaqué du 12 octobre 2009, que la demanderesse « a fait construire différents bâtiments scolaires sur sa propriété à La Louvière », que « la réalisation de ces travaux a été confiée à la [première défenderesse] » tandis que, « sur le plan architectural, les travaux furent divisés en [trois] lots », que « la réception provisoire des travaux est intervenue respectivement le 26 avril 1988 pour les classes, le 24 juin 1988 pour le bâtiment hôtellerie et le 3 mai 1988 pour la cour [de récréation] » et que « la réception définitive a été accordée le 27 septembre 1990 pour les classes et le 22 octobre 1990 pour l’hôtellerie et les cours » et que, « se plaignant de désordres », la demanderesse a lancé citation en février 1993.
Il relève que, « à la suite de la mise en œuvre de différents matériaux, à titre de remblais, qui ont gonflé sous l’effet de l’humidité, les fondations se sont révélées instables, affectant tout l’équilibre des constructions », que « ces défauts sont des vices graves au sens de l’article 1792 du Code civil » et que « les dégradations [sont] telles que les immeubles doivent être démolis ». Il considère que, pour les trois sections, « [la première défenderesse] est […] responsable du dommage subi par [la demanderesse] » et qu’il en est de même des architectes et bureaux d’études, chacun pour les sections où ils sont intervenus.
S’agissant du trouble de jouissance, l’arrêt attaqué énonce que, dans son rapport déposé en 2003, « l’expert judiciaire D. signale à ce sujet [qu’il est] ‘extrêmement réservé quant à proposer la prise en compte d’un montant d’indemnisation pour troubles de jouissance [dès lors que] le cas litigieux est tout à fait atypique : les montants de réparations qu’il implique en raison de contraintes d’ordre strictement technique sont extrêmement élevés tandis qu’a contrario les désordres apparents restent relativement minimes en termes de conséquences quant à la jouissance paisible du bâtiment [eu égard au] contexte constructif du site tout entier. Il s’agit, en effet, pour les sanitaires, les nouvelles classes et laboratoires, ainsi que pour le bâtiment hôtellerie, d’annexes neuves raccordées à un vaste bâtiment principal, toujours en usage, fort vétuste […]. Dans la cour de récréation principale, sous le préau, il existe certes de très forts gonflements sur une zone d’un quart à un tiers environ de la superficie totale, mais il reste par ailleurs de très vastes parties de l’immense cour indemnes de désordres’ ». Il relève encore que l’expert tient compte « des frais indirects déjà engagés par [la demanderesse] en relation avec les désordres constatés ».
Il considère que, « lorsqu’une chose est endommagée et que les dégâts entraînent son immobilisation ou son indisponibilité, […] encore faut-il […] que la victime rapporte la preuve que l’indisponibilité du bien lui a fait subir concrètement un dommage, cette indisponibilité ne constituant pas en soi un préjudice » et que la demanderesse « n’apporte aucune preuve […] quant à un trouble de jouissance » dès lors que, d’une part, elle « soutient elle-même que les élèves ont émigré dans l’ancien bâtiment et aucune preuve n’est déposée démontrant, le cas échéant, une diminution de la population scolaire », d’autre part, elle est « une association sans but lucratif qui a mis en place un établissement scolaire non destiné à une activité lucrative et dont les troubles éventuels n’ont pu être subis que par les élèves eux-mêmes ».
En excluant l’existence d’un dommage pour trouble de jouissance au motif que les troubles invoqués n’ont eu aucune autre conséquence pour la demanderesse que cette atteinte à la jouissance des biens, l’arrêt attaqué viole les dispositions légales précitées.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
La cassation de la décision de l’arrêt de rejeter la demande de la demanderesse de réparation de son trouble de jouissance entraîne celle portant sur les frais de son conseil technique F., qui y est liée.
Et il n’y a lieu d’examiner ni la seconde branche du premier moyen ni le second moyen, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur la demande de la demanderesse portant sur les troubles de jouissance et les frais de son conseil technique F. et qu’il statue sur les dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel de Liège.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Mireille Delange, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du vingt-quatre juin deux mille vingt et un par le président de section Mireille Delange, en présence de l’avocat général Philippe de Koster, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.