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20/05/2021 | BELGIQUE | N°C.20.0440.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 20 mai 2021, C.20.0440.F


N° C.20.0440.F
TILMAN, société anonyme, dont le siège est établi à Somme-Leuze (Baillonville), Zone d'activités Sud, 15, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0458.493.759,
demanderesse en cassation,
assistée par Maître Jacqueline Oosterbosch et Maître Gilles Genicot, avocats à la Cour de cassation, et représentée par le second, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
UNILEVER SUPPLY CHAIN COMPANY AG, société de droit suisse, dont le siège est établi à Schaffhausen

(Suisse), Spitalstrasse, 5,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Willy va...

N° C.20.0440.F
TILMAN, société anonyme, dont le siège est établi à Somme-Leuze (Baillonville), Zone d'activités Sud, 15, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0458.493.759,
demanderesse en cassation,
assistée par Maître Jacqueline Oosterbosch et Maître Gilles Genicot, avocats à la Cour de cassation, et représentée par le second, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
UNILEVER SUPPLY CHAIN COMPANY AG, société de droit suisse, dont le siège est établi à Schaffhausen (Suisse), Spitalstrasse, 5,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Gand, Drie Koningenstraat, 3, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 12 février 2020 par la cour d'appel de Liège.
Le 5 mai 2021, l'avocat général Philippe de Koster a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et l'avocat général
Philippe de Koster a été entendu en ses conclusions.
II. Faits et antécédents de la procédure
Tels qu'ils ressortent de l'arrêt attaqué et des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard, les faits de la cause et les antécédents de la procédure peuvent être ainsi résumés.
Le 22 novembre 2010, les parties ont signé une première convention, intitulée Unilever Purchasing Contract (en abrégé U.P.C.), selon laquelle la demanderesse s'est engagée à emballer et conditionner des boîtes de sachets de thé pour un prix déterminé.
Une deuxième convention modifiant le prix convenu a été signée par les parties le 6 janvier 2011.
En mars 2011, un changement dans le modus operandi a été discuté entre parties et il était question que la défenderesse facture à l'avenir les matières à la demanderesse, à charge pour elle de les lui refacturer après conditionnement.
Un litige est né à propos de la majoration du prix facturé par la demanderesse et la défenderesse n'a payé que partiellement les factures émises par la demanderesse.
La demanderesse a cité la défenderesse en paiement des sommes restées impayées.
Devant le premier juge, la défenderesse a fait valoir qu'en application de ses conditions générales, seuls les tribunaux anglais sont compétents pour connaître du litige.
Par jugement du 12 août 2015, le premier juge a décidé que les juridictions belges étaient compétentes pour connaître du litige, mais que le contrat conclu entre les parties était régi par et devait être interprété selon le droit anglais, et a rouvert les débats afin que les parties fassent valoir leurs moyens quant au bien-fondé de la demande de la demanderesse au regard du droit anglais.
La demanderesse a interjeté appel de ce jugement au motif que, selon elle, le contrat devait être régi par et interprété selon le droit belge, en application de ses propres conditions générales.
La défenderesse a formé un appel incident faisant valoir que les juridictions belges n'étaient pas compétentes, mais bien les juridictions anglaises.
L'arrêt attaqué reçoit les appels, fait droit au déclinatoire de juridiction soulevé par la défenderesse, dit que les juridictions belges sont sans compétence pour connaître du litige né de l'exécution du contrat litigieux, en vertu de la clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales de la défenderesse, et condamne la demanderesse aux dépens des deux instances de la défenderesse.
III. Le moyen de cassation

La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- article 23, §§ 1er et 2, de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Lugano le 30 octobre 2007, approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2009/430/CE du Conseil du 27 novembre 2008 ;
- en tant que de besoin, article 23, §§ 1er et 2, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit règlement Bruxelles I).
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué dit que les juridictions belges ne sont pas compétentes pour trancher le litige entre les parties né de l'exécution du contrat litigieux, et condamne la demanderesse aux dépens des deux instances de la défenderesse, aux motifs que :
« À une date indéterminée, [la défenderesse] a communiqué à [la demanderesse] pour signature le contrat définissant les modalités de leur collaboration pour la commande litigieuse, intitulé ‘Unilever Purchasing Contract' (en abrégé U.P.C.).
Ce contrat daté du 6 janvier 2011 et signé le même jour par [la demanderesse] précise en page 1 que :
‘Chaque fournisseur convient de fournir aux acheteurs les matériaux/produits spécifiés aux conditions générales stipulées dans a) ce contrat d'achat (U.P.C.) et b) la convention d'achat Unilever applicable ou tout autre accord écrit entre les acheteurs et les fournisseurs concernés (« U.P.A. ») ou, en leur absence, aux conditions générales d'achat de produits sur https://e4us.unilever.com. Chaque fournisseur et chaque acheteur conviennent que cet U.P.C. fera partie d'un U.P.A. Les termes utilisés ici ont la signification qui leur est donnée dans l'U.P.A ou le R.A. Toute modification ou tout ajout à ces conditions doivent être confirmés par écrit pour être valables' [...].
Les conditions générales de [la défenderesse] stipulent :
- en leur article 1.2. que :
‘En acceptant l'U.P.C. ou l'appel sur contrat, chaque fournisseur convient que les présentes conditions (i) font partie et s'appliquent à cet U.P.C. ou cet appel sur contrat à l'exclusion de toutes autres conditions (excepté dans le cas d'un appel sur contrat, celles qui figurent dans un U.P.C. pertinent) sauf convention contraire conclue par écrit entre les parties et (ii) avec les dispositions de ces U.P.C. ou appels sur contrat, régissent la relation contractuelle entre les fournisseurs et les acheteurs relative aux produits mentionnés dans cet U.P.C. ou cet appel sur contrat (le « contrat »). (...) Pour éviter toute ambiguïté, les conditions générales du fournisseur ne s'appliqueront pas au contrat' [...] ;
- en leur article 15.9 que :
‘Les parties conviennent que le contrat est un contrat international et chaque partie (a) convient que le contrat (et chacune de ses parties y compris l'appel sur contrat) et les U.P.C. et appels sur contrat seront régis par et interprétés selon le droit anglais et (b) se soumettra irrévocablement à la juridiction exclusive des tribunaux anglais pour le règlement de tout litige qui pourrait découler directement ou indirectement du contrat, ou d'une U.P.C. ou d'un appel sur contrat, y compris aux injonctions et autres mesures protectrices et préliminaires. Les parties reconnaissent qu'elles ont accepté cette condition compte tenu du fait qu'Unilever et les acheteurs font partie d'un groupe anglo-néerlandais et que ce groupe gère les contrats et les litiges de manière centralisée. L'applicabilité de la convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale de marchandises est exclue' [...].
[La demanderesse] est une société dont le siège social est sis en Belgique. [La défenderesse] est une société dont le siège social est sis en Suisse.
Les parties s'accordent sur l'application de la convention du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dite convention Lugano II.
Celle-ci dispose en son article 23, §§ 1er et 2, que :
‘1. Si les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un État lié par la présente convention, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un État lié par la présente convention pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue :
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ; ou
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.
2. Toute transmission par voie électronique qui permet de consigner durablement la convention est considérée comme revêtant une forme écrite'.
L'article 23 de la convention Lugano II est identique [à] l'article 23 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 20 décembre 2000 sur la compétence judiciaire et l'exécution des jugements, dit règlement Bruxelles I (remplacé à partir du 10 janvier 2015 par le règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit règlement Bruxelles Ibis).
En effet, l'objectif de la convention Lugano II signée par les États membres de l'Union européenne avec l'Islande, la Norvège et la Suisse, est d'étendre à ces trois États les règles contenues dans le règlement Bruxelles I ‘persuadées que l'extension des principes énoncés dans le règlement (CE) n° 44/2001 aux parties contractantes au présent instrument renforcera la coopération juridique et économique' (cf. le préambule de la convention Lugano II).
Compte tenu de cet objectif, du ‘lien substantiel qui existe' entre la convention Lugano II et le règlement Bruxelles I et du fait que la convention Lugano II ‘fait partie intégrante du droit communautaire et que la Cour de justice des Communautés européennes est par conséquent compétente pour statuer sur l'interprétation de ses dispositions quant à leur application par les tribunaux des États membres de la Communauté européenne' (cf. le préambule du Protocole n° 2 relatif à la convention Lugano II, sur l'interprétation uniforme de la convention et sur le comité permanent) :
‘Tout tribunal appliquant et interprétant la présente convention tient dûment compte des principes définis par toute décision pertinente rendue par les tribunaux des États liés par la présente convention et par la Cour de justice des Communautés européennes concernant la ou les dispositions en cause ou toute disposition similaire de la convention de Lugano de 1988 et des instruments visés à l'article 64, paragraphe 1er, de la présente convention' (c'est à dire notamment le règlement Bruxelles I) (article 1er du Protocole n° 2).
Il y a donc lieu d'interpréter l'article 23, §§ 1er et 2, de la convention Lugano II conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne [...] relativement à l'article 23 du règlement Bruxelles I.
L'interprétation donnée par la Cour [de justice] des dispositions de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, précédant le règlement Bruxelles I, vaut également pour ce dernier lorsque leurs dispositions peuvent être qualifiées d'équivalentes (C.J.U.E., 23 octobre 2014, flyLAL c. Lithuanian Airlines, C-302/13, EU:C:2014:2319, point 25 et jurisprudence citée).
Selon la Cour [de justice], les conditions de forme prévues à l'article 23 du règlement Bruxelles I (précédemment article 17 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968) ont pour but de s'assurer de la réalité du consentement des parties. Lorsque l'une des conditions de forme prévues à l'article 23 est remplie, le consentement est établi (C.J.C.E., 24 juin 1981, Elefanten Schuh Gmbh c. Pierre Jacqmain, aff. 150/80, Rec., 1981, p. 1671, point 29).
La problématique est relativement simple lorsque les conditions générales sont directement annexées au contrat. Les choses sont plus compliquées lorsque ce n'est pas le cas.
À quelles conditions la preuve de la réalité du consentement d'un cocontractant sur une clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales de l'autre cocontractant est-elle soumise lorsque celles-ci ne sont pas directement annexées au contrat ?
La Cour [de justice] a jugé dans une affaire Estasis, Salotti di Colzani Aimo e Gianmario Colzani s.n.c. c. Rüwa Polstereimaschinen Gmbh (C.J.C.E., 14 décembre 1976, aff. 24/76, Rec., 1976, p. 1831) que, ‘si les conditions générales ne sont pas directement annexées au contrat (et que) des démarches supplémentaires s'imposent alors au cocontractant pour prendre connaissance du contenu des conditions générales du vendeur (...), le simple renvoi (de manière expresse) à ces conditions ne suffit pas (...) : « le renvoi (doit être) susceptible d'être contrôlé par une partie appliquant une diligence normale » et les conditions générales de vente doivent avoir « été effectivement communiquées à l'autre partie contractante avec l'offre à laquelle il est renvoyé »' (cité par Franck, S., et Dechamps, M., ‘Une clause de juridiction en un clic', J.T., n° 6636, 2016, p. 123).
Cette décision est antérieure à l'entrée en vigueur du règlement Bruxelles I qui prévoit en son article 23, § 2, que ‘Toute transmission par voie électronique qui permet de consigner durablement la convention est considérée comme revêtant une forme écrite'.
Cette nouvelle disposition a été ajoutée du fait qu'il y avait lieu de tenir compte ‘du développement des nouvelles techniques de communication. Ainsi l'exigence d'un accord écrit ne doit pas remettre en cause la validité d'une clause d'élection de for qui aurait été conclue sur un support autre qu'un écrit mais dont le contenu est accessible via un écran' (cf. exposé des motifs de la proposition du règlement Bruxelles I présentée par la Commission à Bruxelles le 14 juin 1999, COM (1999), p. 348, final).
Dorénavant, ‘La clause de juridiction transmise par voie électronique permettant une consignation durable est donc assimilée à la forme écrite et considérée comme valable quant à la forme' (Franck, S., et Dechamps, M., op. cit., p. 122).
Dans un arrêt plus récent, la Cour [de justice] a eu pour la première fois l'occasion de se pencher sur l'opposabilité d'une clause de juridiction contenue dans des conditions générales liées à un contrat conclu par internet (C.J.U.E., 31 mai 2015, Jaouad El Majdoub c. CarsOnTheWeb.Deutschland Gmbh, aff C-322/14, EU:C:2015:334).
Elle a jugé que la technique du click-wrapping satisfaisait aux exigences posées par l'article 23, § 2, du règlement Bruxelles I.
Cette technique consiste à devoir cocher une case indiquant que l'acheteur accepte les conditions générales du vendeur avant de pouvoir finaliser son achat. Lorsqu'il coche cette case, il n'y accède pas automatiquement. Pour ce faire, il doit sélectionner un champ contenant l'indication ‘cliquer ici pour ouvrir les conditions générales de livraison et de paiement par une nouvelle fenêtre'. Lorsqu'il accède enfin à celles-ci, il peut alors les télécharger ou les imprimer.
La Cour [de justice] a considéré que l'acheteur avait ‘accepté de manière expresse, en cochant la case correspondante sur le site internet du vendeur concerné, les conditions générales en cause' et que la condition de consignation de la convention ‘de manière durable' prévue à l'article 23, § 2, du règlement Bruxelles I était rencontrée dès lors que la technique du click-wrapping ‘rend possible l'impression et la sauvegarde du texte des conditions générales en question avant la conclusion du contrat' (point 39).
Elle a ajouté à cet égard que, ‘dès lors, la circonstance que la page internet contenant ces conditions ne s'ouvre pas automatiquement lors de l'enregistrement sur le site internet et lors de chaque opération d'achat ne saurait remettre en cause la validité de la convention attributive de juridiction' (idem).
Quel enseignement peut-on retirer en l'espèce de ces arrêts ?
1. Lorsque les conditions générales ne sont pas directement annexées au contrat, il doit y être renvoyé de manière expresse.
Le contrat litigieux communiqué par [la défenderesse] pour signature par [la demanderesse] prévoit expressément qu'il est régi par les conditions générales de [la défenderesse] à défaut d'autres stipulations contenues dans celui-ci ou dans d'autres conventions intervenues entre les parties.
2. Le renvoi à ces conditions générales doit pouvoir être contrôlé par une personne normalement diligente.
Le contrat litigieux mentionne le lien hypertexte qui permet à [la demanderesse] d'accéder aux conditions générales de [la défenderesse].
Les premiers juges ont relevé que ‘ce lien renvoie à une page offrant deux onglets : un « Log on » et un « General Supplier Information », lequel mène à une page proposant le téléchargement de divers documents, dont les conditions générales d'achat'.
Il est constant que les parties utilisent la langue anglaise dans tous leurs échanges commerciaux, lesquels sont, au vu des pièces déposées, uniquement effectués par voie électronique. [La demanderesse] est donc familière des outils informatiques et ‘des nouvelles techniques de communication' (cf. supra la communication de la Commission du 14 juin 1999) du XXIème siècle. Elle n'a jamais émis la moindre réserve sur le fait qu'elle n'aurait pas pu accéder aux conditions générales de [la défenderesse].
3. Les conditions générales transmises par voie électronique doivent pouvoir être consignées sur un support durable. La simple ‘possibilité' est suffisante. La page du site internet de [la défenderesse] sur laquelle figurent ses conditions générales et à laquelle on accède grâce au lien hypertexte doit rendre possible leur impression et leur sauvegarde avant la conclusion du contrat.
Les premiers juges ont relevé que les conditions générales de [la défenderesse] figuraient parmi les documents susceptibles d'être téléchargés par [la demanderesse] et donc imprimés.
[La demanderesse] a signé sans réserve le contrat litigieux après avoir eu la possibilité de prendre connaissance des conditions générales de [la défenderesse], de les télécharger et de les imprimer.
Par conséquent, dès lors que l'une des conditions de forme prévues à l'article 23 de la convention Lugano II est remplie, le consentement de [la demanderesse] sur la clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales de [la défenderesse] est établi.
Celle-ci ne peut faire valoir ses propres conditions générales figurant sur ses factures établies postérieurement, en exécution du contrat litigieux.
Elle ne démontre ni que les parties auraient convenu de renoncer à l'application des conditions générales de [la défenderesse] sur lesquelles elles s'étaient précédemment accordées ni qu'elles auraient ensuite décidé ensemble de se référer aux conditions générales de [la demanderesse].
Le règlement Bruxelles Ibis, entré en vigueur le 10 janvier 2015, dispose en son article 25 (remplaçant l'article 23 du règlement Bruxelles I) qu'il incombe au juge de vérifier dans quelle mesure ‘la validité de cette clause attributive de juridiction n'est pas entachée de nullité quant au fond selon le droit' de la juridiction désignée par celle-ci.
Cette nouvelle exigence de contrôle de la validité substantielle de la clause attributive de juridiction au regard du droit international privé du for (exclusive d'un contrôle de la validité formelle) n'est toutefois pas d'application en ce qui concerne la convention Lugano II.
L'article 73 du règlement Bruxelles Ibis précise en effet à cet égard que ‘Le présent règlement n'affecte pas l'application de la convention de Lugano de 2007'.
Il y a donc lieu de constater que, selon la clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales de [la défenderesse], ce sont les juridictions anglaises qui sont exclusivement compétentes pour trancher le litige entre les parties, né de l'exécution du contrat litigieux.
Les tribunaux belges sont sans juridiction pour en connaître ».
Griefs
Ainsi que le constate l'arrêt attaqué :
- les contrats litigieux - Unilever Purchasing Contract (U.P.C.) -, signés les 22 novembre 2010 et 6 janvier 2011 par M. T. pour la demanderesse, mentionnent qu'ils sont soumis, à défaut de stipulations contractuelles dérogatoires, aux conditions générales d'achat de produits sur https://e4us.unilever.com, autrement dit aux conditions générales disponibles sur le site internet de la défenderesse ;
- figurent dans lesdites conditions générales d'achat de la défenderesse, (i) un article 1.2 aux termes duquel, en acceptant l'U.P.C., le fournisseur marque son accord sur ce que les présentes conditions en font partie et s'y appliquent, à l'exclusion de toutes autres, et qu'elles gouvernent les relations contractuelles entre les parties, conjointement avec les stipulations de l'U.P.C., et (ii) un article 15.9 selon lequel les tribunaux anglais ont compétence pour connaître de tout litige en rapport avec le contrat, et celui-ci est régi par et interprété selon le droit anglais.
Le litige porte sur la question de savoir si cette convention attributive de juridiction - ou clause d'élection de for - fut valablement conclue entre les parties et, partant, si elle est opposable à la demanderesse.
Les parties s'accordaient sur l'applicabilité, à cette question litigieuse, de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Lugano le 30 octobre 2007 (dite convention Lugano II), et concluaient toutes deux en référence à celle-ci. Cette convention est effectivement applicable en l'espèce, en vertu de son article 64 et en considération du domicile de la partie défenderesse, dont le siège social est établi en Suisse, soit un État lié par ladite convention.
Aux termes de l'article 23 de ladite convention :
« 1. Si les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un État lié par la présente convention, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un État lié par la présente convention pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue :
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ; ou
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.
2. Toute transmission par voie électronique qui permet de consigner durablement la convention est considérée comme revêtant une forme écrite ».
Cette disposition est identique à l'article 23, §§ 1er et 2, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit « règlement Bruxelles I »), et les dispositions de la convention de Lugano doivent s'interpréter en tenant compte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne relative, en particulier, audit règlement Bruxelles I (ainsi qu'au règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « règlement Bruxelles Ibis », qui l'a remplacé et s'applique aux litiges introduits après son entrée en vigueur, soit le 10 janvier 2015).
L'application de cette disposition relative à une compétence judiciaire exclusive, qui fixe les formes autorisées pour conclure pareille convention attributive de juridiction, doit être contrôlée par le juge saisi du litige. Les conditions auxquelles est subordonnée la validité des clauses attributives de juridiction sont d'interprétation stricte, compte tenu des conséquences qu'elles peuvent avoir pour les parties au procès, et le juge est tenu d'examiner si la clause en question a fait réellement l'objet d'un consentement entre parties, lequel doit se manifester d'une manière claire et précise, les formes requises ayant pour fonction d'assurer que ce consentement soit effectivement établi.
Il est satisfait à l'exigence de forme écrite, requise par la disposition conventionnelle précitée, si le contrat signé par les deux parties comporte un renvoi exprès aux conditions générales imprimées au verso de celui-ci, ce renvoi devant être explicite et susceptible d'être contrôlé par une partie appliquant une diligence normale. Il faut en toute hypothèse qu'il soit établi que lesdites conditions générales comportant une clause attributive de juridiction ont été effectivement communiquées à l'autre partie contractante, avec l'offre à laquelle il est renvoyé, autrement dit avant que le contrat soit conclu.
Sans doute peut-il également suffire, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, qu'une entreprise recoure à cette fin au click-wrapping, soit l'hypothèse où le cocontractant doit, sur un site internet, cocher une case en vue de manifester formellement son approbation des conditions générales qui lui sont opposées, ayant ainsi son attention attirée sur le texte de celles-ci, auquel il peut accéder via un lien.
Lorsqu'il est établi (i) que ce cocontractant a accepté de manière expresse, en cochant la case correspondante sur le site internet du vendeur, les conditions générales de ce dernier et (ii) qu'il lui était effectivement possible de sauvegarder et d'imprimer celles-ci avant la conclusion du contrat, la convention attributive de juridiction que ces conditions peuvent contenir peut être tenue pour valide.
Mais il est constant que la demanderesse a signé un contrat qui comportait une simple référence aux conditions générales de la défenderesse, disponibles sur son site internet. C'est à tort, au regard de la disposition conventionnelle visée au moyen, que l'arrêt attaqué assimile la convention litigieuse à « un contrat conclu par internet » dans le cadre duquel l'acheteur doit « cocher une case indiquant (qu'il) accepte les conditions générales du vendeur avant de pouvoir finaliser son achat ». La demanderesse n'a aucunement été amenée à accepter formellement les conditions générales de la défenderesse en cliquant sur la case correspondante de son site internet. Il en résulte que l'enseignement jurisprudentiel qu'a appliqué la cour d'appel n'est pas transposable à la situation précise qui lui était soumise, l'hypothèse où une partie signe un document qui contient une référence à des conditions générales accessibles en ligne étant différente de celle où cette partie marque formellement et directement son accord sur ces conditions générales en cochant une case à cet effet.
Partant, l'arrêt attaqué, qui décide que « le consentement de [la demanderesse] sur la clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales de [la défenderesse] est établi » au motif qu'elle « a signé sans réserve le contrat litigieux après avoir eu la possibilité de prendre connaissance des[dites] conditions générales [...], de les télécharger et de les imprimer », se bornant ainsi à constater que les conditions générales de la défenderesse étaient accessibles, mais qui s'abstient de s'assurer qu'elles furent effectivement communiquées à la demanderesse et que celle-ci les aurait expressément acceptées, alors que les conditions auxquelles est subordonnée la validité des clauses attributives de juridiction sont d'interprétation stricte en tant qu'elles poursuivent l'objectif primordial de s'assurer de la réalité du consentement des intéressés, n'est pas légalement justifié (violation des dispositions visées au moyen).
À titre subsidiaire, la demanderesse invite la Cour, avant dire droit, à poser à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante :
« Est-il satisfait à l'article 23, § 1er, a), de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Lugano le 30 octobre 2007 (dite convention Lugano II), aux termes duquel une convention attributive de juridiction doit être conclue par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, lorsque l'entreprise qui entend opposer ses conditions générales à son cocontractant ne recourt pas à la technique du click-wrapping, et n'invite dès lors pas ce cocontractant à cocher une case sur son site internet en vue de manifester formellement et directement son approbation desdites conditions générales, mais lorsque cette entreprise adresse à ce cocontractant un contrat qui comporte une simple référence à ses conditions générales, disponibles sur son site internet, sans donc que celui-ci soit amené à les accepter de manière expresse, et sans qu'il soit établi que celles-ci lui furent effectivement communiquées avant que le contrat soit conclu ? »
IV. La décision de la Cour

L'arrêt attaqué constate qu'« à une date indéterminée, [la défenderesse] a communiqué à [la demanderesse] pour signature le contrat définissant les modalités de leur collaboration pour la commande litigieuse, intitulé ‘Unilever Purchasing Contract', en abrégé U.P.C. », que « ce contrat [sur papier] daté du
6 janvier 2011 et signé le même jour par [la demanderesse] précise en page 1 que ‘chaque fournisseur convient de fournir aux acheteurs les matériaux/produits spécifiés aux conditions générales stipulées dans a) ce contrat d'achat (U.P.C.) et b) la convention d'achat Unilever applicable ou tout autre accord écrit entre les acheteurs et les fournisseurs concernés (U.P.A.) ou, en leur absence, aux conditions générales d'achat de produits sur https://e4us.unilever.com' » et que « les conditions générales de [la défenderesse] stipulent [...] en leur article 15.9 que ‘les parties conviennent que le contrat est un contrat international et chaque partie [...] (b) se soumettra irrévocablement à la juridiction exclusive des tribunaux anglais pour le règlement de tout litige qui pourrait découler directement ou indirectement du contrat, ou d'une U.P.C. ou d'un appel sur contrat, y compris aux injonctions et autres mesures protectrices et préliminaires. Les parties reconnaissent qu'elles ont accepté cette condition compte tenu du fait qu'Unilever et les acheteurs font partie d'un groupe anglo-néerlandais et que ce groupe gère les contrats et les litiges de manière centralisée' ».
Examinant « à quelles conditions la preuve de la réalité du consentement d'un cocontractant sur une clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales de l'autre cocontractant est [...] soumise lorsque celles-ci ne sont pas directement annexées au contrat » selon les enseignements des arrêts rendus le 14 décembre 1976 en la cause n° 24/76 et le 31 mai 2015 en la cause
n° C-322/14 par la Cour de justice de l'Union européenne, l'arrêt attaqué considère que :
- s'agissant de la condition que, « lorsque les conditions générales ne sont pas directement annexées au contrat, il doit y être renvoyé de manière expresse », « le contrat litigieux communiqué par [la défenderesse] pour signature par [la demanderesse] prévoit expressément qu'il est régi par les conditions générales de [la défenderesse] à défaut d'autres stipulations contenues dans celui-ci ou dans d'autres conventions intervenues entre les parties » ;
- s'agissant de la condition que « le renvoi à ces conditions générales doit pouvoir être contrôlé par une personne normalement diligente », « le contrat litigieux mentionne le lien hypertexte qui permet à [la demanderesse] d'accéder aux conditions générales de [la défenderesse] », « les premiers juges ont relevé que ‘ce lien renvoie à une page offrant deux onglets : un « Log on » et un « General Supplier Information », lequel mène à une page proposant le téléchargement de divers documents, dont les conditions générales d'achat' », « il est constant que les parties utilisent la langue anglaise dans tous leurs échanges commerciaux, lesquels sont, au vu des pièces déposées, uniquement effectués par voie électronique », la demanderesse « est donc familière des outils informatiques et ‘des nouvelles techniques de communication' » et « elle n'a jamais émis la moindre réserve sur le fait qu'elle n'aurait pas pu accéder aux conditions générales de [la défenderesse] » ;
- s'agissant de la condition que « les conditions générales transmises par voie électronique doivent pouvoir être consignées sur un support durable », « la simple ‘possibilité' est suffisante », « la page du site internet de [la défenderesse] sur laquelle figurent ses conditions générales et à laquelle on accède grâce au lien hypertexte doit rendre possible leur impression et leur sauvegarde avant la conclusion du contrat », « les premiers juges ont relevé que les conditions générales de [la défenderesse] figuraient parmi les documents susceptibles d'être téléchargés par [la demanderesse] et donc imprimés » et la demanderesse « a signé sans réserve le contrat litigieux après avoir eu la possibilité de prendre connaissance des conditions générales de [la défenderesse], de les télécharger et de les imprimer ».
Le moyen, qui invoque la violation de l'article 23, §§ 1er et 2, de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Lugano le 30 octobre 2007, fait grief à l'arrêt attaqué d'assimiler la convention litigieuse à un contrat conclu par internet dans le cadre duquel l'acheteur doit cocher une case indiquant qu'il accepte les conditions générales du vendeur avant de pouvoir finaliser son achat et de, dès lors, décider que le consentement de la demanderesse sur la clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales de la défenderesse est établi au motif qu'elle a signé sans réserve le contrat litigieux après avoir eu la possibilité de prendre connaissance desdites conditions générales, de les télécharger et de les imprimer sans s'assurer qu'elles furent effectivement communiquées à la demanderesse.
L'examen du moyen requiert de poser à la Cour de justice de l'Union européenne la question libellée au dispositif du présent arrêt.
Par ces motifs,
La Cour
Sursoit à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne ait répondu à la question suivante :
« Est-il satisfait à l'article 23, §§ 1er, a), et 2, de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Lugano le 30 octobre 2007, lorsqu'une clause attributive de juridiction est contenue dans des conditions générales auxquelles un contrat conclu par écrit renvoie par la mention du lien hypertexte d'un site internet dont l'accès permet de prendre connaissance desdites conditions générales, de les télécharger et de les imprimer, sans que la partie à laquelle cette clause est opposée ait été invitée à accepter ces conditions générales en cochant une case sur ledit site internet ? »
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Mireille Delange, les conseillers Michel Lemal,
Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du vingt mai deux mille vingt et un par le président de section Mireille Delange, en présence de l'avocat général Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : C.20.0440.F
Date de la décision : 20/05/2021
Type d'affaire : Droit international privé - Droit européen

Analyses

Lorsque devant la Cour de cassation se pose la question de savoir s’il est satisfait à l'article 23, §§ 1er, a), et 2, de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Lugano le 30 octobre 2007, lorsqu’une clause attributive de juridiction est contenue dans des conditions générales auxquelles un contrat conclu par écrit renvoie par la mention du lien hypertexte d’un site internet dont l’accès permet de prendre connaissance desdites conditions générales, de les télécharger et de les imprimer sans que la partie à laquelle cette clause est opposée n'ait été invitée à accepter ces conditions générales en cochant une case sur ledit site internet et indépendamment de la question de savoir si cette partie en a effectivement pris connaissance sur ledit site internet avant que le contrat soit conclu, la Cour pose une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne (1). (1) Voir les concl. du MP.

COMPETENCE ET RESSORT - COMPETENCE INTERNATIONALE - UNION EUROPEENNE - GENERALITES [notice1]


Références :

[notice1]

Convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale - 30-10-2007 - Art. 23


Composition du Tribunal
Président : DELANGE MIREILLE
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : DE KOSTER PHILIPPE
Assesseurs : ERNOTTE MARIE-CLAIRE, JACQUEMIN ARIANE, MARCHANDISE MAXIME, LEMAL MICHEL

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-05-20;c.20.0440.f ?

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