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26/03/2021 | BELGIQUE | N°D.20.0008.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 26 mars 2021, D.20.0008.N


N° D.20.0008.N
S. B.,
Me Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation,
contre
ORDRE DES AVOCATS PRÈS LA COUR D’APPEL DE GAND,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre la décision du Conseil de discipline d’appel néerlandophone des avocats du 19 mai 2020.
Le 30 novembre 2020, le premier avocat général Ria Mortier a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Koenraad Moens a fait rapport et le premier avocat général Ria Mortier a été entendu en ses c

onclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt ...

N° D.20.0008.N
S. B.,
Me Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation,
contre
ORDRE DES AVOCATS PRÈS LA COUR D’APPEL DE GAND,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre la décision du Conseil de discipline d’appel néerlandophone des avocats du 19 mai 2020.
Le 30 novembre 2020, le premier avocat général Ria Mortier a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Koenraad Moens a fait rapport et le premier avocat général Ria Mortier a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
1. En vertu de l’article 51.1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, les dispositions de cette Charte s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union.
Il en ressort que les dispositions de la Charte s’adressent, entre autres, aux États membres de l’Union européenne uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union.
2. Le moyen, qui n’indique aucune disposition mettant en œuvre le droit de l’Union et omet de préciser le droit de l’Union qui est mis en œuvre, est irrecevable dans la mesure où il est pris de la violation des articles 50, 51 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 6 du Traité sur l’Union européenne, 102 et 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Quant à la première branche :
3. En vertu de l’article 14, § 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays.
Suivant l’article 4, § 1er, du Protocole additionnel n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État.
Le principe général du droit non bis in idem a la même portée que les articles 14, § 7, du Pacte et 14, § 1er, du Septième protocole à la Convention.
4. Lorsque la procédure disciplinaire ne présente pas les caractéristiques d’une poursuite pénale, ni le principe général du droit précité, ni les dispositions conventionnelles mentionnées ne font obstacle à l’imposition d’une sanction disciplinaire pour des faits ayant conduit précédemment à une condamnation pénale.
5. Une poursuite est qualifiée de pénale lorsqu’elle répond à une qualification pénale selon le droit interne, lorsque, selon sa nature, l’infraction vaut pour l’ensemble des citoyens ou lorsque, selon sa nature et sa gravité, la sanction de l’infraction poursuit un but répressif ou préventif.
6. En vertu de l’article 455 du Code judiciaire, le conseil de l’Ordre est chargé de sauvegarder l’honneur de l’Ordre des avocats et de maintenir les principes de dignité, de probité et de délicatesse qui font la base de leur profession et doivent garantir un exercice adéquat de la profession.
Suivant l’article 458, § 1er, alinéa 1er, de ce code, le bâtonnier reçoit les plaintes qui concernent les avocats de son Ordre et il peut également procéder à une enquête d’office.
L’article 458, § 2, alinéa 1er, du même code précise que le bâtonnier qui estime, après enquête, qu’il y a lieu de faire comparaître l’avocat devant le conseil de discipline, transmet le dossier ainsi que sa décision motivée au président du conseil de discipline aux fins de convocation.
L’article 456, alinéa 1er, prévoit qu’il est institué, au siège de chaque cour d’appel, un conseil de discipline, qui est chargé de sanctionner les atteintes à l’honneur de l’Ordre et aux principes de dignité, de probité et de délicatesse qui font la base de la profession et doivent garantir un exercice adéquat de celle-ci, ainsi que les infractions aux règlements, sans préjudice de la compétence des tribunaux, s’il y a lieu.
En vertu de l’article 460, alinéa 1er, le conseil de discipline peut, par décision motivée, suivant le cas, avertir, réprimander, suspendre pendant un temps qui ne peut excéder une année, rayer du tableau, de la liste des avocats qui exercent leur profession sous le titre professionnel d’un autre État membre de l’Union européenne ou de la liste des stagiaires.
7. Par sa nature et sa finalité, le droit disciplinaire est un droit autonome vis-à-vis du droit pénal et dans le droit interne, il n’est pas réputé être de nature pénale.
L’action publique a pour but de faire réprimer des atteintes à l’ordre public et est exercée dans l’intérêt de la société dans son ensemble. Elle est de la compétence des juridictions pénales. Elle ne peut porter que sur des faits que la loi qualifie d’infractions et elle donne lieu, en cas de condamnation, aux peines prévues par la loi ou en vertu de celle-ci.
L’action disciplinaire a pour objet de rechercher si le titulaire d’une fonction publique ou d’une profession a enfreint les règles de déontologie ou de discipline ou a porté atteinte à l’honneur ou à la dignité de sa fonction ou de sa profession. Elle s’exerce dans l’intérêt d’une profession ou d’un service public. Elle concerne des manquements qui ne font pas nécessairement l’objet d’une définition précise. Elle peut donner lieu à des sanctions touchant l’intéressé dans l’exercice de sa fonction ou de sa profession et qui sont prononcées par un organe propre à chaque profession concernée, par une autorité administrative ou par une juridiction.
8. Il suit de ce qui précède que la radiation du tableau des avocats constitue une sanction disciplinaire que le droit interne ne qualifie pas de sanction pénale, qu’elle vaut uniquement pour les avocats et qu’elle vise à maintenir l’honneur de l’Ordre et les principes de dignité, de probité et de délicatesse qui font la base de la profession et doivent garantir un exercice adéquat de celle-ci, et n’est pas, par conséquent, une sanction pénale au sens de l’article 6 de la Convention.
9. La décision attaquée considère que :
- le principe général du droit non bis in idem, qui est également garanti par l’article 4, § 1er, du Protocole additionnel n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne fait pas obstacle à ce qu’une personne, d’une part, soit poursuivie ou condamnée pénalement et, d’autre part, fasse l’objet d’une procédure disciplinaire pour un même fait, lorsque cette procédure disciplinaire ne présente pas les caractéristiques d’une procédure pénale au sens de l’article 4, § 1er, précité ;
- les critères déterminant l’ouverture de poursuites disciplinaires concernent l’honneur de l’Ordre et les principes de dignité, de probité et de délicatesse qui font la base de la profession et doivent garantir un exercice adéquat de celle-ci, et ne sont pas de nature pénale ;
- les poursuites disciplinaires engagées contre une personne qui a gravement manqué au respect des critères précités ne concernent pas tous les citoyens, mais visent la catégorie restreinte des avocats, ce qui indique la nature disciplinaire de la sanction ;
- bien que la radiation du tableau soit la mesure disciplinaire la plus lourde, cette sanction est caractéristique d’une infraction disciplinaire grave qui ne saurait se confondre avec une sanction pénale et ne constitue donc pas une peine au sens de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
- la question de savoir si, eu égard à la sauvegarde de l’honneur de l’Ordre et des principes de dignité, de probité et de délicatesse, une personne peut être autorisée à poursuivre l’exercice de la profession d’avocat ne relève pas, du reste, de la compétence du juge pénal, mais est réservée au juge disciplinaire.
10. Par ces motifs, la décision attaquée justifie légalement que ni l’article 4, § 1er, du Protocole n° 7, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni l’article 14, § 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ni le principe général du droit non bis in idem ne s’opposent, dans le cas d’espèce, à l’ouverture d’une procédure disciplinaire après une condamnation pénale.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
11. Le demandeur n’a pas soutenu devant le conseil de discipline d’appel la méconnaissance du principe de proportionnalité.
Le moyen, en cette branche, est nouveau, partant, irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Eric Dirix, président, le président de section Geert Jocqué, et les conseillers Bart Wylleman, Koenraad Moens et Sven Mosselmans, et prononcé en audience publique du vingt-six mars deux mille vingt et un par le président de section Eric Dirix, en présence du premier avocat général Ria Mortier, avec l’assistance du greffier Vanity Vanden Hende.
Traduction établie sous le contrôle du président de section Michel Lemal et transcrite avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Formation : Chambre 1n - eerste kamer
Numéro d'arrêt : D.20.0008.N
Date de la décision : 26/03/2021
Type d'affaire : Autres - Droit international public

Analyses

Lorsque la procédure disciplinaire ne présente pas les caractéristiques d'une poursuite pénale, ce qui est le cas, en revanche, lorsqu'elle répond à une qualification pénale selon le droit interne, lorsque, selon sa nature, l'infraction vaut pour l'ensemble des citoyens ou lorsque, selon sa nature et sa gravité, la sanction de l'infraction poursuit un but répressif ou préventif, ni le principe général du droit non bis in idem, ni les articles 14.7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 4.1 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne font obstacle à l'imposition d'un sanction disciplinaire pour des faits ayant conduit précédemment à une condamnation pénale (1). (1) Voir les concl. du MP publiées à leur date dans AC.

PRINCIPES GENERAUX DU DROIT - Principe général du droit "non bis in idem" - Condamnation pénale - Imposition subséquente d'une sanction disciplinaire - Compatibilité [notice1]

La radiation du tableau des avocats constitue une sanction disciplinaire que le droit interne ne qualifie pas de sanction pénale, qui vaut uniquement pour les avocats et qui vise à maintenir l'honneur de l'Ordre et les principes de dignité, de probité et de délicatesse qui font la base de la profession et doivent garantir un exercice adéquat de celle-ci, et n'est pas, par conséquent, une sanction pénale au sens de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (1). (1) Voir les concl. du MP publiées à leur date dans AC.

AVOCAT - Sanction disciplinaire - Radiation du tableau - Nature - DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 1er - Sanction disciplinaire - Radiation du tableau des avocats - Nature [notice2]


Références :

[notice1]

Principe général du droit 'non bis in idem' ;

Pacte international relatif aux droits civils et politiques - 19-12-1966 - Art. 14, § 7 - 31 / Lien DB Justel 19661219-31 ;

Protocole n° 7 à la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales - 22-11-1984 - Art. 4, § 1er - 33 / Lien DB Justel 19841122-33

[notice2]

Code Judiciaire - 10-10-1967 - Art. 455, 456, al. 1er, et 460, al. 1er - 01 / No pub 1967101052


Composition du Tribunal
Président : DIRIX ERIC
Greffier : VANDEN HENDE VANITY
Ministère public : MORTIER RIA
Assesseurs : JOCQUE GEERT, WYLLEMAN BART, MOENS KOENRAAD, MOSSELMANS SVEN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-03-26;d.20.0008.n ?

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