N° F.19.0026.N
J.S.,
Me Daniel Garabedian, avocat à la Cour de cassation,
contre
RÉGION FLAMANDE, représentée par le gouvernement flamand,
Me Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, et Me Stefan De Vleeschouwer, avocat au barreau de Bruxelles.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 19 juin 2018 par la cour d’appel de Gand.
Le 9 février 2021, l’avocat général Johan Van der Fraenen a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Eric Dirix a fait rapport et l’avocat général Johan Van der Fraenen a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.
III. Faits
Tels qu’ils ressortent de l’arrêt, les faits sont les suivants :
- le 23 octobre 2003, le demandeur et la s.a. Carimat Group (ci-après : la société) ont acquis conjointement et en indivision la pleine propriété d’un bien immobilier sis à D. pour le prix de 632.128,49 euros ;
- la société en est devenue propriétaire à 95 p.c. et le demandeur à 5 p.c. ;
- l’achat a été soumis au droit d’enregistrement proportionnel de 10 p.c. ;
- le 25 novembre 2014, la société a cédé la totalité de ses droits dans l’indivision (95 p.c.) au demandeur pour le prix de 950.000 euros, mettant ainsi fin à l’indivision ;
- le droit d’enregistrement proportionnel de 2,5 % prévu pour les partages à l’article 109, 2°, du Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe a été appliqué à cette transaction ;
- le receveur a estimé dans une décision ultérieure que la transaction devait être soumise au droit proportionnel de 10 p.c. visé à l’article 130 du code précité ;
- le demandeur a sollicité le remboursement des droits d’enregistrement supplémentaires ;
- le premier juge a déclaré cette demande fondée, en retenant l’applicabilité de l’article 109, 2°, du code susvisé ;
- la défenderesse a interjeté appel de ce jugement, que le juge d’appel a déclaré fondé.
IV. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
Quant au second rameau :
1. En vertu de l’article 109, 2°, du Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe, le droit est fixé à 2,5 p.c. pour les cessions à titre onéreux, entre copropriétaires, de parts indivises dans des biens immeubles.
2. Suivant l’article 130 de ce code, l’acquisition par un ou plusieurs associés, autrement que par voie d’apport en société, d’immeubles situés en Belgique provenant d’une société par actions ou d’une société coopérative donne lieu, de quelque manière qu’elle s’opère, au droit établi pour les ventes.
3. Le juge d’appel a estimé qu’il ressort des termes de l’article 130 que cette disposition s’applique à chaque acquisition par un associé d’immeubles situés en Belgique provenant d’une société de capitaux, de quelque manière qu’elle se soit opérée. Toujours selon le juge d’appel, l’article 130, en tant que lex specialis, s’applique ainsi également à l’acquisition par un associé, en qualité de copropriétaire d’un immeuble, des droits indivis dans le bien provenant de la société de capitaux dont il est associé.
4. Le moyen, en ce rameau de cette branche, soutient que cette interprétation de l’article 130 du Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe est contraire aux articles 10, 11 et 172 de la Constitution, considérés en soi ou en combinaison avec les articles 1er du Premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 14 de cette convention, dès lors qu’il en résulte une différence de traitement non raisonnablement justifiée entre, d’une part, l’acquisition par le copropriétaire de droits indivis dans un immeuble d’un copropriétaire qui est une société dont il est actionnaire ou associé, laquelle acquisition est soumise au droit proportionnel de 10 p.c. et, d’autre part, l’acquisition par le copropriétaire de droits indivis dans un immeuble d’un copropriétaire qui est une société dont il n’est ni actionnaire ni associé, laquelle acquisition est soumise au droit de partage de 2,5 p.c. visé à l’article 109, 2°, du Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe.
5. Conformément à l’article 26, § 3, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la Cour constitutionnelle statue par voie d’arrêt sur les questions relatives à la violation par une loi des articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
6. Le deuxième paragraphe de l’article 26 prévoit que la Cour est tenue de poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle reproduite au dispositif du présent arrêt.
Quant à la seconde branche :
Quant au premier rameau :
7. Le moyen, en ce rameau de cette branche, soutient en substance que l’article 130 du Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe ne s’applique pas, en tout état de cause, si, comme en l’espèce, l’acquisition qui a donné lieu à l’indivision entre l’associé et sa société était soumise au droit d’enregistrement proportionnel de 10 p.c.
Selon le demandeur, l’article 130 susvisé vise à combattre la fraude fiscale et, plus précisément, à empêcher que la cession d’un immeuble s’opère par le biais d’une montage mis en place autour d’une société, sans le paiement du droit d’enregistrement proportionnel de 10 p.c., par exemple lorsque le cédant apporte le bien à une société, cède ensuite les actions de cette société à l’acquéreur et que ce dernier procède finalement à la dissolution de la société.
Le demandeur argue que si, lors de l’achat initial par la société et l’associé, le droit d’enregistrement proportionnel de 10 p.c. a été prélevé, il n’y a pas intention de fraude et que l’application de l’article 130 n’est pas conforme à l’objectif de cette disposition. En appliquant malgré tout cette disposition dans le cas d’espèce, le juge d’appel n’aurait pas légalement justifié sa décision.
8. Au regard de cette critique, il apparaît opportun de soumettre à la Cour constitutionnelle la question de savoir si l’article 130 du Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe viole le principe d’égalité, considéré en soi ou en combinaison avec les articles 1er du Premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et 14 de cette convention, en ce que, dans l’interprétation selon laquelle cette disposition permet à l’administration fiscale de prélever le droit d’enregistrement proportionnel de 10 p.c. sur la cession de droits indivis entre copropriétaires, dans laquelle l’acquéreur est actionnaire ou associé de la société cédante, bien que le droit d’enregistrement proportionnel de 10 p.c. ait été prélevé lors de l’acquisition conjointe initiale, il donne lieu à un traitement identique de personnes qui se trouvent dans des situations essentiellement différentes, à savoir, d’une part, l’associé-actionnaire qui se trouve dans la situation précitée et, d’autre part, l’associé-actionnaire qui acquiert un bien immobilier par l’interposition d’une société, sans que le droit d’enregistrement proportionnel de 10 p.c. puisse être prélevé à aucun moment.
Par ces motifs,
La Cour
Sursoit à statuer jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle ait répondu aux questions préjudicielles suivantes :
« L’article 130 du Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe viole-t-il le principe d’égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10, 11 et 172 de la Constitution coordonnée, lus ou non en combinaison avec les articles 1er du Premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 14 de cette convention, dans l’interprétation selon laquelle, lorsqu’un copropriétaire acquiert des droits indivis dans un bien immobilier d’un copropriétaire qui est une société, dont le premier copropriétaire est actionnaire ou associé, cette acquisition est soumise au droit proportionnel de vente, alors que le copropriétaire qui acquiert des droits indivis dans un bien immobilier d’un copropriétaire qui est une société dont il n’est ni actionnaire ni associé est soumis au droit de partage prévu par l’article 109, 2°, du Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe ? »
« L’article 130 du Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe viole-t-il le principe d’égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10, 11 et 172 de la Constitution coordonnée, lus ou non en combinaison avec les articles 1er du Premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et 14 de cette convention, en ce que, dans l’interprétation selon laquelle cette disposition permet à l’administration fiscale de prélever le droit d’enregistrement proportionnel de 10 p.c. sur la cession de droits indivis entre copropriétaires, lorsque l’acquéreur est actionnaire ou associé de la société cédante, même si le droit d’enregistrement proportionnel de 10 p.c. a été prélevé lors de l’acquisition conjointe initiale, il donne lieu à un traitement identique de personnes qui se trouvent dans des situations essentiellement différentes, à savoir, d’une part, l’associé-actionnaire qui se trouve dans la situation précitée et, d’autre part, l’associé-actionnaire qui acquiert un bien immobilier par l’interposition d’une société, sans que le droit d’enregistrement proportionnel de 10 p.c. puisse être prélevé à aucun moment ? »
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Eric Dirix, président, et les conseillers Filip Van Volsem, Bart Wylleman, François Stévenart Meeûs et Sven Mosselmans, et prononcé en audience publique du douze mars deux mille vingt et un par le président de section Eric Dirix, en présence de l’avocat général Johan Van der Fraenen, avec l’assistance du greffier Vanity Vanden Hende.
Traduction établie sous le contrôle du président de section Christian Storck et transcrite avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.