N° C.20.0404.F
1. EURO-CENTER BOURSE, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles, rue des Halles, 1, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0452.832.820,
2. BEN’S FOOD COMPANY, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles, rue des Halles, 1, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0867.004.608,
demanderesses en cassation,
représentées par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
HANUT ESTABLISHEMENT, société de droit liechtensteinois, dont le siège est établi à Vaduz (Liechtenstein), Städtle, 18, Postfach 683, inscrite en Belgique à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0456.285.921,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 20 février 2020 par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, statuant en degré d’appel.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.
L’avocat général Philippe de Koster a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demanderesses présentent un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Le principe de l’exécution de bonne foi des conventions, consacré par l’article 1134, alinéa 3, de l’ancien Code civil, interdit à une partie à un contrat d’abuser des droits que lui confère celui-ci.
L’abus de droit consiste à exercer un droit d’une manière qui excède manifestement les limites de l’exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente.
Le juge est tenu d’examiner la proportion entre l’avantage recherché ou obtenu par le titulaire du droit et le dommage causé à l’autre partie.
Dans l’appréciation des intérêts en présence, le juge doit tenir compte de toutes les circonstances de la cause.
Dans leurs conclusions, les demanderesses faisaient valoir qu’« en choisissant de solliciter la résolution de la convention de bail commercial, [la défenderesse] tend à [leur] faire perdre […] le bénéfice de l’exploitation du commerce dans les lieux et la réalisation de travaux importants » et qu’« elle a également fait obstacle à la cession du fonds de commerce et au profit qu’elle pouvait générer – 750.000 euros – sans réel avantage légitime pour elle, hormis la possibilité de ‘se passer’ de [la seconde demanderesse] en donnant elle-même les lieux en location [au candidat acquéreur dudit fonds de commerce] » et en déduisaient « que le choix de [la défenderesse] d’opter pour la résolution de la convention est abusif en ce qu’il lui procure un avantage hors de proportion avec le dommage qu’il cause à [la seconde demanderesse] et qu’il constitue la manière la plus dommageable pour [la défenderesse] d’exercer son droit sans qu’elle en retire un intérêt (légitime) suffisant ».
Le jugement attaqué, qui, après avoir décidé que « les retards importants et répétés dans le payement des loyers constituent un manquement grave aux obligations contractuelles du locataire, justifiant la résolution du contrat de bail à ses torts », considère que « la demande de résolution du contrat de bail n’est pas constitutive d’un abus de droit [de la défenderesse], laquelle n’exerce pas son droit d’une manière qui excède manifestement les limites de l’exercice normal de celui-ci par une personne prudente et diligente », sans examiner, dans ces circonstances, la proportion entre le préjudice subi par les demanderesses et l’avantage recherché ou obtenu par la défenderesse, viole l’article 1134, alinéa 3, de l’ancien Code civil et le principe général du droit selon lequel nul ne peut abuser de son droit.
Dans cette mesure, le moyen est fondé.
La cassation de la décision de prononcer la résolution du bail entraîne celle des décisions d’ordonner la libération des lieux et de condamner les demanderesses à des indemnités de résolution et d’occupation, qui en sont la suite.
Et il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse le jugement attaqué, sauf en tant qu’il reçoit les appels et la demande nouvelle et qu’il condamne les demanderesses aux sommes qu’il indique à titre de précomptes immobiliers pour les années 2018 et 2019 et à titre de taxe régionale sur les bureaux pour l’année 2019 ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant le tribunal de première instance du Brabant wallon, siégeant en degré d’appel.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Mireille Delange, les conseillers Michel Lemal,
Sabine Geubel, Ariane Jacquemin et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du quatre mars deux mille vingt et un par le président de section Mireille Delange, en présence de l’avocat général Philippe de Koster, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.