N° C.17.0582.N
J.D.N., s.a.
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. RÉGION DE BRUXELLES-CAPITALE, représentée par le ministre de la Mobilité et des Travaux publics,
Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation,
2. ÉTAT BELGE, représenté par le ministre de la Mobilité,
en présence de
1. APRO, s.a.,
2. AQUARECH, s.r.l.,
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 15 mai 2017 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le conseiller Koenraad Moens a fait rapport.
L’avocat général Els Herregodts a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente deux moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
1. L’article 15, § 1er, du Cahier général des charges, dans la version applicable au litige, est libellé comme suit :
« 1° Tant pour les acomptes que pour le dernier paiement pour solde du marché, de même qu’en cas de paiement unique, l’entrepreneur est tenu d’introduire une déclaration de créance datée, signée et appuyée d’un état détaillé des travaux justifiant selon lui le paiement demandé.
Cet état détaillé peut comporter :
a) des quantités exécutées au-delà des quantités présumées figurant dans les postes à bordereau de prix ;
b) des travaux supplémentaires exécutés en vertu d’un ordre écrit du fonctionnaire dirigeant ;
c) des travaux exécutés à des prix unitaires proposés par l’entrepreneur et non encore acceptés par le pouvoir adjudicateur.
2° Le pouvoir adjudicateur vérifie et, éventuellement, corrige l’état des travaux lorsque des prix unitaires non encore convenus entre les parties y figurent, il arrête ces prix d’office, tous droits de l’entrepreneur restant saufs.
Il dresse au plus tôt, après réception de chaque déclaration de créance, un procès-verbal mentionnant la somme qu’il estime réellement due et notifie à l’entrepreneur la situation des travaux ainsi admis au paiement. En même temps, le pouvoir adjudicateur invite l’entrepreneur à introduire dans les cinq jours de calendrier une facture du même montant.
3° Le paiement des sommes dues à l’entrepreneur est effectué dans les soixante jours de calendrier à compter du jour de la réception de la déclaration de créance par le pouvoir adjudicateur.
En cas de solde du marché ou de paiement unique, ce délai est porté à nonante jours de calendrier.
Les délais précités de soixante et de nonante jours de calendrier sont prolongés à concurrence du dépassement du délai de cinq jours de calendrier qui, en vertu du 2°, est réservé à l’entrepreneur pour introduire sa facture.
Ces délais ne peuvent pas être rendus plus longs par le cahier spécial des charges et toute disposition contraire du cahier spécial des charges est réputée non écrite, sauf dans les cas de marchés attribués par procédure négociée ».
2. Il suit de l’ensemble de ces dispositions que la simple introduction d’un état d’avancement par l’entrepreneur ne rapporte pas la preuve de la débition du paiement demandé et qu’aucun délai de déchéance n’a été imposé pour la procédure de vérification de l’état d’avancement.
Il s’ensuit également que la circonstance que l’autorité ne procède pas sans délai à la procédure de vérification de l’état d’avancement ou néglige de contester l’état d’avancement introduit dans les délais de paiement fixés à l’article 15, § 1er, 3°, du Cahier général des charges n’entraîne pas de plein droit la déchéance du droit de vérification dont elle dispose ou l’acceptation tacite de l’état d’avancement.
3. Dans la mesure où il soutient que l’absence de contestation en temps utile de l’état d’avancement introduit par l’entrepreneur, à savoir dans les délais de paiement fixés à l’article 15, § 1er, 3°, du Cahier général des charges, vaut acceptation tacite par le pouvoir adjudicateur, le moyen repose sur un soutènement juridique inexact, partant, manque en droit.
4. Dans la mesure où il est pris de la violation de l’article 101 des lois coordonnées du 17 juillet 1991 sur la comptabilité de l’État, le moyen est déduit de la violation vainement invoquée de l’article 15, § 1er, du Cahier général des charges, partant, est irrecevable.
Sur le second moyen :
Quant à la première branche :
5. En vertu de l’article 50, § 2, de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions, la loi détermine les dispositions générales applicables aux budgets et à la comptabilité des Communautés et des Régions, ainsi qu’à l’organisation du contrôle exercé par la Cour des Comptes.
L’article 71, § 1er, de la même loi prévoit que, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi visée à l’article 50, § 2, les dispositions en vigueur relatives, entre autres, à la comptabilité de l’État sont applicables aux Communautés et aux Régions.
La loi du 16 mai 2003 fixant les dispositions générales applicables aux budgets, au contrôle des subventions et à la comptabilité des communautés et des régions, ainsi qu’à l’organisation du contrôle de la Cour des comptes, a mis en vigueur l’article 50, § 2, de la loi spéciale du 16 janvier 1989.
L’article 15 de la loi du 16 mai 2003 prévoit que, sans préjudice des dispositions de l’article 16, qui concerne les traitements et accessoires, les règles de prescription du droit commun sont applicables aux communautés et régions visées à l’article 2.
En vertu de l’article 1er de l’arrêté royal du 18 mars 2004 reportant, en ce qui concerne la Région de Bruxelles-Capitale, l’entrée en vigueur de la loi du 16 mai 2003, l’entrée en vigueur de cette loi a été reportée au 1er janvier 2006.
6. Il suit de l’ensemble des dispositions qui précèdent que, s’agissant de la prescription des actions dirigées contre la Région de Bruxelles-Capitale, les dispositions des lois coordonnées du 17 juillet 1991 sur la comptabilité de l’État s’appliquent jusqu’au 1er janvier 2006 et que ce n’est qu’à partir du 1er janvier 2006 que les délais de droit commun prévus par la nouvelle loi s’appliquent aux délais en cours et futurs.
7. En vertu de l’article 100, alinéa 1er, des lois coordonnées du 17 juillet 1991, sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l’État, sans préjudice des déchéances prononcées par d’autres dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles sur la matière :
1° les créances qui, devant être produites selon les modalités fixées par la loi ou le règlement, ne l’ont pas été dans le délai de cinq ans à partir du premier janvier de l’année budgétaire au cours de laquelle elles sont nées ;
2° les créances qui, ayant été produites dans le délai visé au 1°, n’ont pas été ordonnancées par les ministres dans le délai de cinq ans à partir du premier janvier de l’année pendant laquelle elles ont été produites.
Il résulte des dispositions de l’arrêté royal du 10 décembre 1868 portant règlement général sur la comptabilité de l’État, en particulier les articles 68 et 100, que, s’agissant des créances autres que celles qui constituent une dépense fixe pour l’État, l’intéressé doit, pour obtenir le paiement de la créance, produire une déclaration, un état ou un compte.
8. L’article 100 des lois coordonnées du 17 juillet 1991, qui fixe le délai de prescription des actions en paiement des créances sur l’État, les communautés et les régions, règle les intérêts essentiels de ces autorités publiques et touche, par conséquent, à l’ordre public.
9. Il suit également de ce qui précède que le délai de prescription quinquennal visé à l’article 100, alinéa 1er, 2°, des lois coordonnées du 17 juillet 1991 s’applique aussi aux créances qui, ayant été produites dans le délai visé sous 1°, n’ont pas été ordonnancées par les ministres dans le délai de cinq ans à partir du premier janvier de l’année pendant laquelle elles ont été produites.
Une créance sur l’État, les communautés et régions qui, du fait de l’expiration des délais visés à l’article 100 des lois coordonnées du 17 juillet 1991, est prescrite, est définitivement éteinte et anéantie et ne donne pas lieu, par conséquent, à la naissance d’une obligation naturelle à charge de ces autorités publiques.
Le caractère d’ordre public de l’article 100 des lois coordonnées du 17 juillet 1991 ne permet pas davantage à l’autorité de renoncer à la prescription acquise et de ressusciter la créance définitivement éteinte.
10. L’article 2 du Code civil prévoit que la loi ne dispose que pour l’avenir et qu’elle n’a point d’effet rétroactif.
Une loi nouvelle s’applique, en règle, non seulement aux situations qui naissent à partir de son entrée en vigueur, mais également aux effets futurs des situations nées sous le régime de la loi antérieure, qui se produisent ou se prolongent sous l’empire de la loi nouvelle, pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits déjà irrévocablement fixés.
Il s’ensuit que, lorsqu’une créance est déjà prescrite selon la loi ancienne, elle demeure prescrite après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi de prescription, quand bien même elle ne serait pas encore prescrite en application de la loi nouvelle.
Il en résulte également que les nouvelles règles de prescription introduites par la loi nouvelle ne s’appliquent pas à une créance dont la prescription est acquise sous le régime de la loi ancienne et qui ne subsiste pas en tant qu’obligation naturelle, et que la validité de la renonciation à la prescription définitivement acquise de cette créance doit s’apprécier selon la loi ancienne, même si la renonciation devait se déduire de faits postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.
11. Le moyen, qui, en cette branche, repose sur le soutènement juridique contraire, manque en droit.
Quant à la deuxième branche :
12. Il ressort de la réponse au moyen, en sa première branche, que l’article 100 des lois coordonnées du 17 juillet 1991, qui fixe le délai de prescription des actions en paiement des créances sur l’État, les communautés et les régions, règle les intérêts essentiels de ces autorités publiques et touche, par conséquent, à l’ordre public.
Les nouvelles règles de prescription contenues aux articles 15 et 16 de la loi du 16 mai 2003 fixant les dispositions générales applicables aux budgets, au contrôle des subventions et à la comptabilité des communautés et des régions, ainsi qu’à l’organisation du contrôle de la Cour des comptes ou aux articles 113 à 116 de la loi du 22 mai 2003 portant organisation du budget et de la comptabilité de l’État fédéral sont sans incidence sur le caractère d’ordre public de l’article 100 des lois coordonnées du 17 juillet 1991 sur la comptabilité de l’État.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur le soutènement juridique contraire, manque en droit.
[…]
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Eric Dirix, président, les présidents de section Koen Mestdagh et Geert Jocqué, et les conseillers Bart Wylleman et Koenraad Moens, et prononcé en audience publique du vingt-six février deux mille vingt et un par le président de section Eric Dirix, en présence de l’avocat général Els Herregodts, avec l’assistance du greffier Vanity Vanden Hende.
Traduction établie sous le contrôle du président de section Michel Lemal et transcrite avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.