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24/02/2021 | BELGIQUE | N°P.20.1180.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 24 février 2021, P.20.1180.F


N° P.20.1180.F
S. S., condamné,
demandeur en réouverture de la procédure,
ayant pour conseils Maîtres Cédric Vergauwen et Olivia Venet, avocats au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Par une requête remise au greffe le 24 novembre 2020, signée par deux avocats inscrits au barreau depuis plus de dix ans, et annexée au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur sollicite la réouverture de la procédure ayant fait l'objet de l'arrêt de la Cour du 23 avril 2014.
Le président chevalier Jean de Codt a fait rapport.
L'avocat général

Damien Vandermeersch a conclu.
II. LES FAITS
Le demandeur s'est vu poursuivre du chef ...

N° P.20.1180.F
S. S., condamné,
demandeur en réouverture de la procédure,
ayant pour conseils Maîtres Cédric Vergauwen et Olivia Venet, avocats au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Par une requête remise au greffe le 24 novembre 2020, signée par deux avocats inscrits au barreau depuis plus de dix ans, et annexée au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur sollicite la réouverture de la procédure ayant fait l'objet de l'arrêt de la Cour du 23 avril 2014.
Le président chevalier Jean de Codt a fait rapport.
L'avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LES FAITS
Le demandeur s'est vu poursuivre du chef d'avoir participé à un vol avec violences commis à Braine-l'Alleud le 10 juillet 2008.
Il en a été acquitté par un jugement du 1er octobre 2009 du tribunal correctionnel de Nivelles.
Le ministère public et les parties civiles ont relevé appel le 13 octobre 2009.
Par un arrêt du 9 novembre 2011, la cour d'appel de Bruxelles, statuant par défaut, a déclaré les préventions établies, condamné le demandeur à une peine d'emprisonnement de douze ans ainsi qu'à une amende et alloué des indemnités aux parties civiles.
Le demandeur a fait opposition à la prison de Forest le 23 avril 2013.
Le 3 décembre 2013, la cour d'appel a reçu l'opposition, ramené la peine d'emprisonnement à neuf ans et prononcé les mêmes condamnations civiles.
Le demandeur s'est pourvu en cassation le 17 décembre 2013. Il a invoqué un moyen reprochant à l'arrêt de fonder sa condamnation sur des déclarations consenties pendant sa garde à vue alors qu'aucun avocat ne l'assistait.
La Cour a rejeté le pourvoi par un arrêt du 23 avril 2014. C'est la décision attaquée.
Le 15 septembre 2014, le demandeur a introduit auprès de la Cour de Strasbourg une requête sollicitant la condamnation de l'Etat belge pour violation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par une décision rendue le 30 juillet 2020, la Cour a rayé la requête après avoir pris acte de la déclaration unilatérale du gouvernement belge, assortie de la proposition de payer quatre mille euros au requérant, reconnaissant que, « à défaut d'assistance par avocat [du] requérant à tous les stades préalables au procès pénal », il y avait eu violation des articles 6.1 et 6.3, c, de la Convention.
Le demandeur est en liberté conditionnelle depuis qu'un jugement du 27 mai 2019 du tribunal de l'application des peines lui a octroyé cette modalité d'exécution des peines.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur la demande en réouverture de la procédure :
1. L'article 442bis du Code d'instruction criminelle permet au condamné de demander la réouverture de la procédure, notamment lorsque la violation de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales fait l'objet d'une déclaration de reconnaissance par le gouvernement de l'Etat qui en est accusé, que la Cour prend acte de cette reconnaissance et qu'elle décide par voie de conséquence de rayer l'affaire du rôle.
Selon le premier alinéa de l'article 442bis susdit, la réouverture ne peut être demandée qu'en ce qui concerne les débats relatifs à l'action publique.
L'incompatibilité de la décision attaquée avec la Convention donne lieu à réouverture si la partie condamnée continue à souffrir de conséquences négatives très graves que seule une réouverture peut réparer.
2. En vertu de l'article 47bis, § 6, du Code d'instruction criminelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le fondement de déclarations qu'elle a faites en violation du droit à l'assistance d'un avocat pendant son audition.
Insérée par l'article 2, 2°, de la loi du 13 août 2011 modifiant le Code d'instruction criminelle et la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, et amendée par l'arrêt n° 7/2013 du 14 février 2013 de la Cour constitutionnelle, cette disposition consacre une exigence prêtée au droit à un procès équitable garanti par l'article 6.1 de la Convention. Il en résulte que le droit à l'assistance d'un avocat régit également les procédures qui, comme en l'espèce, sont antérieures à la loi ayant institué ce droit.
La méconnaissance de l'article 47bis, § 6, susdit, et de l'article 6.1 de la Convention, a pour conséquence que, dans l'audition recueillie irrégulièrement, la juridiction de jugement ne pourra, en aucune manière, puiser la preuve de l'infraction.
La preuve qu'il est interdit d'y puiser n'est pas seulement celle qui, liée à des propos auto-incriminants, est directement démonstrative de la culpabilité du déclarant. La prohibition concerne également les dénégations du suspect lorsque le juge du fond, pour corroborer sa conviction, en souligne le caractère fluctuant, évolutif, contradictoire, fantaisiste ou non crédible.
3. La décision attaquée par la présente demande de réouverture est l'arrêt de la Cour du 23 avril 2014. Cet arrêt rejette le moyen pris de ce que les préventions ont été déclarées établies en se fondant sur des déclarations que le demandeur avait faites pendant sa garde à vue, sans l'assistance d'un avocat.
Le rejet du moyen repose sur les motifs suivants :
- les déclarations en cause sont relatives aux circonstances accréditant que le demandeur est étranger aux préventions visées par la poursuite ;
- pour les juges d'appel, la preuve de l'infraction gît, en substance, dans l'enquête de téléphonie qui, grâce au relevé des antennes activées par l'appareil du demandeur, a démontré sa présence à proximité du lieu des faits et sur l'itinéraire de fuite suivi par les auteurs, tant à la date du repérage préliminaire qu'au jour de l'agression armée commise au domicile des victimes ; la preuve résulte aussi du fait que le prévenu a été trouvé en possession d'une somme importante le lendemain de l'attaque, et qu'il circulait à bord d'une voiture correspondant à celle utilisée par les agresseurs ;
- l'arrêt de la cour d'appel énonce que les déclarations du demandeur ne peuvent servir de preuve, et cette cour, en effet, ne s'est pas appuyée sur des déclarations auto-incriminantes du demandeur pour conclure à sa culpabilité.
4. L'arrêt du 3 décembre 2013 de la cour d'appel de Bruxelles contient cependant aussi les considérations suivantes : « A titre surabondant, même si les déclarations faites par le prévenu au cours de l'instruction sans la présence d'un conseil ne peuvent constituer une preuve de sa culpabilité, il est pour le moins significatif de noter que celles-ci sont évolutives et fluctuantes. Elles sont, également, contradictoires, sur plusieurs points, entre elles, avec celles de [son amie] et avec certaines informations recueillies au cours de l'instruction. Leur contenu fantaisiste quant à son emploi du temps, le jour des faits, à l'usage du [téléphone portable] de son amie et à la fréquence de ses allées et venues dans la région où les faits litigieux ont été commis, démontre à suffisance le peu de crédit à accorder à ses affirmations ».
5. En soulignant les lacunes et les incohérences des déclarations auto-justificatrices faites par le prévenu sans l'assistance d'un avocat, les juges d'appel ont mis en évidence des éléments dont la Cour ne peut pas exclure qu'ils aient servi à corroborer leur conviction acquise par ailleurs sur la base de l'enquête de téléphonie, de l'argent trouvé en possession du prévenu et de la voiture à bord de laquelle il a été intercepté.
Cette mise en évidence, s'agissant de déclarations faites sans avocat par une personne privée de liberté et placée ainsi dans une situation de particulière vulnérabilité, constitue l'usage que prohibe l'article 6.1 de la Convention dans l'interprétation qu'en donne la Cour européenne.
6. Pour refuser sa censure, l'arrêt de la Cour du 23 avril 2014 limite la prohibition susdite aux déclarations auto-incriminantes. Cette position est contraire sur le fond à l'article 6.1.
7. La mention, dans le casier judiciaire du requérant, de la condamnation encourue le 3 décembre 2013, ainsi que l'assujettissement du condamné au régime de la libération conditionnelle, peuvent être considérés comme une conséquence négative très grave et actuelle justifiant la réouverture de la procédure, au sens de l'article 442quinquies, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle.
8. La demande de réouverture de la procédure est dès lors fondée en tant seulement qu'elle vise la décision rendue sur l'action publique. Il y a lieu, partant, de statuer par voie de dispositions nouvelles sur le pourvoi que S. S. a dirigé le 17 décembre 2013 contre l'arrêt du 3 décembre 2013 de la cour d'appel de Bruxelles, le nouvel examen du pourvoi ne pouvant cependant pas inclure la décision rendue sur les actions civiles.
B. Sur le pourvoi :
9. Invoquant la violation des articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et 47bis, § 6, du Code d'instruction criminelle, le demandeur reproche à l'arrêt dont pourvoi de déclarer les préventions établies en se fondant sur des déclarations qu'il a faites, durant sa garde à vue, sans l'assistance d'un avocat.
10. Quoique les déclarations litigieuses soient auto-justificatrices, leur disqualification par les juges d'appel à l'effet de corroborer leur conviction, constitue l'usage que l'article 6.1 prohibe.
A cet égard, le moyen est fondé.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Ordonne la réouverture de la procédure en ce qui concerne la seule action publique ;
Retire l'arrêt rendu par la Cour le 23 avril 2014, sous le numéro P.14.0042.F, en tant qu'il statue sur le pourvoi formé par S. S. contre les dispositions pénales de l'arrêt du 3 décembre 2013 de la cour d'appel de Bruxelles, chambre correctionnelle ;
Casse l'arrêt rendu le 3 décembre 2013 par ladite cour d'appel en tant qu'il statue sur l'action publique exercée à charge du demandeur ;
Rejette la demande de réouverture et le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt de la Cour partiellement retiré, et de l'arrêt de la cour d'appel partiellement cassé ;
Réserve les frais pour qu'il soit statué sur ceux-ci par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d'appel de Bruxelles, chambre correctionnelle, autrement composée.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-quatre février deux mille vingt et un par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.20.1180.F
Date de la décision : 24/02/2021
Type d'affaire : Droit international public - Droit pénal

Analyses

L'article 442bis du Code d'instruction criminelle permet au condamné de demander la réouverture de la procédure, notamment lorsque la violation de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales fait l'objet d'une déclaration de reconnaissance par le gouvernement de l'Etat qui en est accusé, que la Cour européenne des droits de l'homme prend acte de cette reconnaissance et qu'elle décide par voie de conséquence de rayer l'affaire du rôle (1). (1) Cass. 2 octobre 2018, RG P.18.0770.N, Pas. 2018, n° 521, R.A.B.G., 2019, p. 14; Cass. 7 novembre 2018, RG P.18.0949.F - P.18.0950.F, Pas. 2018, n° 616, J.T., 2020, p. 123, avec concl. de M. Nolet de Brauwere, avocat général et note C. Jadot, « La reconnaissance unilatérale de violation de la Convention européenne des droits de l'homme: fait générateur de réouverture de la procédure? ».

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Généralités - REOUVERTURE DE LA PROCEDURE [notice1]

L'article 47bis, § 6, du Code d'instruction criminelle selon lequel aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le fondement de déclarations qu'elle a faites en violation du droit à l'assistance d'un avocat pendant son audition consacre une exigence prêtée au droit à un procès équitable garanti par l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales; il en résulte que le droit à l'assistance d'un avocat régit également les procédures qui sont antérieures à la loi du 13 août 2011 ayant institué ce droit (1). (1) Voir M.-A. BEERNAERT, H.-D. BOSLY et D. VANDERMEERSCH, Droit de la procédure pénale, Bruxelles, La Charte, 9ième éd., 2021, p. 1339-1340.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 1er - PREUVE - MATIERE REPRESSIVE - Aveu - DROITS DE LA DEFENSE - MATIERE REPRESSIVE [notice3]

La méconnaissance de l'article 47bis, § 6, du Code d'instruction criminelle et de l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a pour conséquence que, dans l'audition recueillie irrégulièrement, la juridiction de jugement ne pourra, en aucune manière, puiser la preuve de l'infraction; la preuve qu'il est interdit d'y puiser n'est pas seulement celle qui, liée à des propos auto-incriminants, est directement démonstrative de la culpabilité du déclarant mais la prohibition concerne également les dénégations du suspect lorsque le juge du fond, pour corroborer sa conviction, en souligne le caractère fluctuant, évolutif, contradictoire, fantaisiste ou non crédible.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 1er - PREUVE - MATIERE REPRESSIVE - Aveu - DROITS DE LA DEFENSE - MATIERE REPRESSIVE [notice6]


Références :

[notice1]

Code d'instruction criminelle - 17-11-1808 - Art. 442bis - 30 / No pub 1808111701

[notice3]

Traité ou Convention internationale - 04-11-1950 - Art. 6, § 1er - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

Code d'instruction criminelle - 17-11-1808 - Art. 47bis - 30 / No pub 1808111701

[notice6]

Traité ou Convention internationale - 04-11-1950 - Art. 6, § 1er - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

Code d'instruction criminelle - 17-11-1808 - Art. 47bis - 30 / No pub 1808111701


Composition du Tribunal
Président : DE CODT JEAN
Greffier : GOBERT FABIENNE
Ministère public : VANDERMEERSCH DAMIEN
Assesseurs : DE FORMANOIR DE LA CAZERIE ERIC, KONSEK TAMARA, LUGENTZ FREDERIC, STEVENART MEEUS FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-02-24;p.20.1180.f ?

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