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24/02/2021 | BELGIQUE | N°P.20.1114.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 24 février 2021, P.20.1114.F


N° P.20.1114.F
I. et II. M. C., C., M.,
accusée,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Benoît Lemal, avocat au barreau de Bruxelles, et Emilie Romain, avocat au barreau du Luxembourg, dont le cabinet est établi à Bertrix, rue de Burhaimont, 2/1, où il est fait élection de domicile.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre l'arrêt de renvoi rendu le 28 octobre 2019 par la cour d'appel de Liège, chambre des mises en accusation, et les arrêts de motivation et de condamnation rendus le 9 octobre 2020 par la cour d'assises de

la province de Luxembourg.
Dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie c...

N° P.20.1114.F
I. et II. M. C., C., M.,
accusée,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Benoît Lemal, avocat au barreau de Bruxelles, et Emilie Romain, avocat au barreau du Luxembourg, dont le cabinet est établi à Bertrix, rue de Burhaimont, 2/1, où il est fait élection de domicile.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre l'arrêt de renvoi rendu le 28 octobre 2019 par la cour d'appel de Liège, chambre des mises en accusation, et les arrêts de motivation et de condamnation rendus le 9 octobre 2020 par la cour d'assises de la province de Luxembourg.
Dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme, la demanderesse invoque un moyen contre l'arrêt de renvoi et trois moyens contre l'arrêt de motivation.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L'avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur le pourvoi formé contre l'arrêt de renvoi :
1. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision renvoyant la demanderesse devant la cour d'assises :
Le moyen est pris de la violation des articles 131 du Code d'instruction criminelle, 32 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de la méconnaissance du principe de l'indépendance et de l'impartialité du juge d'instruction.
Il reproche à l'arrêt attaqué de ne pas retirer du dossier les pièces rédigées par le juge d'instruction à partir du 27 septembre 2017, date du début de son intervention, alors que ce magistrat a signé le 29 juillet 2015, dans la même cause, une apostille en sa précédente qualité de substitut du procureur du Roi. La demanderesse a soutenu devant la chambre des mises en accusation que cette circonstance entraînait la nullité des pièces établies par le juge d'instruction, que la chambre du conseil n'avait pas été valablement saisie et que cette juridiction n'avait pas pu statuer à la suite du rapport dudit magistrat.
L'article 6 de la Convention et l'exigence d'impartialité du juge qu'il énonce interdisent le cumul de fonctions judiciaires dans la même cause.
L'arrêt attaqué constate que le juge d'instruction s'est borné, en sa précédente qualité de substitut du procureur du Roi, à transmettre au magistrat instructeur alors en charge du dossier, l'original d'un procès-verbal d'audition parvenu par erreur au parquet du procureur du Roi. L'arrêt précise que l'objet de l'apostille du 29 juillet 2015 était de diriger le procès-verbal vers son destinataire.
La chambre des mises en accusation a également considéré que les pièces dont la demanderesse sollicitait le retrait émanaient du juge d'instruction, c'est-à-dire d'une autorité légalement habilitée à poser des actes d'instruction, que ces pièces ne présentent en soi aucune irrégularité ou cause de nullité, qu'elles sont étrangères à l'obtention de la preuve, et que, en l'absence de toute demande de récusation, la demanderesse est malvenue à soutenir que la chambre du conseil ne pouvait pas statuer après avoir entendu le rapport du juge d'instruction à l'audience du 4 juin 2019.
Aux termes de ces énonciations, la chambre des mises en accusation a considéré que le juge d'instruction n'avait pas précédemment connu de la cause en une autre qualité.
En ayant décidé, par ces motifs, que les pièces litigieuses ne devaient pas être retirées du dossier, la chambre des mises en accusation n'a violé ni l'article 6 de la Convention ni l'article 32 du titre préliminaire du Code de procédure pénale et n'a pas méconnu les principes généraux du droit de l'indépendance et de l'impartialité du juge.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Contrairement à ce que le moyen soutient, l'arrêt attaqué ne considère pas que « le fait que le juge d'instruction en charge du dossier a également posé des actes dans le dossier en qualité de procureur du Roi n'est pas contraire à l'article 131 du Code d'instruction criminelle ».
Dans la mesure où il reproche à l'arrêt de violer cette disposition en énonçant ce motif, le moyen manque en fait.
La demanderesse soutient également qu'il ne ressort d'aucun élément du dossier que, ainsi que l'arrêt l'affirme, l'apostille litigieuse ferait suite à la réception par erreur au parquet d'un procès-verbal destiné au juge d'instruction.
Requérant pour son examen une vérification des éléments de fait de la cause, laquelle échappe au pouvoir de la Cour, le moyen est, à cet égard, irrecevable.
Le contrôle d'office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
2. En tant que le pourvoi est dirigé contre la prise de corps :
En raison du rejet du pourvoi dirigé contre elle, à prononcer ci-après, la décision de condamnation acquiert force de chose jugée, de sorte que le pourvoi dirigé contre la prise de corps devient sans objet.
B. Sur le pourvoi dirigé contre l'arrêt de motivation :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 334 du Code d'instruction criminelle et 149 de la Constitution. Il critique le motif suivant de l'arrêt : « La présence de traces génétiques de la victime dans la voiture de l'accusée ne peut donc s'expliquer que par le fait que sa personne, ses vêtements et notamment ses chaussures ont été lourdement chargés de substance riche en ADN de la victime, par exemple du sang, ce qui est à mettre en rapport avec les hémorragies importantes infligées à la victime par l'auteur des faits ».
Le moyen soutient que l'arrêt n'énonce pas les raisons pour lesquelles, par ce motif, le jury a considéré que seule la demanderesse avait pu amener l'ADN de la victime dans sa voiture. Selon le moyen, l'arrêt ne permet pas de comprendre les motifs de la déclaration de culpabilité, dès lors que la présence de matériel génétique de la victime à cet endroit peut aussi s'expliquer par l'intervention d'un tiers. A cet égard, la demanderesse affirme que l'expert a également trouvé le matériel génétique d'un homme aux endroits de la voiture où celui de la victime est majoritairement présent, et que l'empreinte génétique de la victime a pu être déposé par un opérateur du laboratoire de la police technique et scientifique dans le cadre de la préparation du dépannage du véhicule, ou encore par un des policiers ayant été en contact avec le sang de la victime.
Contrairement à ce que le moyen soutient, l'arrêt attaqué énonce les raisons pour lesquelles le jury a considéré que les traces génétiques de la victime trouvées dans le véhicule utilisé par la demanderesse n'ont pu y être déposées que par sa personne et ses vêtements fortement imprégnés de substance riche en ADN de la victime, par exemple du sang. Ces raisons sont les suivantes :
- la victime a été trouvée morte chez elle, au milieu d'une mare de sang ; il n'y avait pas de trace d'effraction et rien n'avait disparu ; un cache-pot cassé se trouvait à côté du corps, lequel présentait une entaille à la gorge et des lésions au crâne, causées par des objets tranchants et contondants ; par la suite, les opérateurs du laboratoire de police scientifique ont découvert des traces de sang,
- l'accusée admet avoir rendu visite à la victime le jour même ; elle a dû être la dernière personne à la voir vivante,
- des disputes se produisaient entre la victime et l'accusée ; celle-ci pouvait se montrer dirigiste à l'égard de son amie et prenait clairement les initiatives ; à la longue, l'une et l'autre se plaignaient,
- financièrement très à l'aise, la victime avait gratifié l'accusée d'une donation en nue-propriété ; l'accusée faisait partie des bénéficiaires de la victime et elle s'occupait de ses papiers ; l'arrêt constate qu'elle était très au fait des affaires de la victime,
- les vêtements que la demanderesse a présentés aux enquêteurs comme étant ceux qu'elle portait lors de sa visite, ne correspondent pas à la tenue visible sur les images de surveillance de la boulangerie, où elle était allée faire des achats avant de retourner chez la victime ; ensuite, elle a remis aux enquêteurs des vêtements qui sentaient la lessive et ne portaient aucune trace, même pas les siennes,
- deux couteaux ensanglantés, l'un portant un cheveu de la victime, sont retrouvés au domicile de celle-ci, mais aucun témoin n'évoque la présence d'un couteau à proximité du corps,
- des analyses ADN permettent de trouver des traces dans la voiture utilisée par l'accusée, dans le poste de conduite et notamment sur le pédalier ; l'exposé de l'expert indique que ces traces ne peuvent provenir que d'un transfert secondaire, à partir d'un matériel biologique riche en ADN, tel le sang de la victime.
Sans être critiqué sur ces points, le motif attaqué relève que ces traces génétiques sont celles de la victime, et que l'auteur des faits lui a infligé d'importantes hémorragies.
L'arrêt relève également que la demanderesse n'était pas physiquement incapable de commettre les faits, que les caméras de surveillance de la rue n'ont enregistré aucun comportement suspect entre le moment de son départ et l'arrivée des secours, et que l'hypothèse d'un suicide est exclue.
Ainsi, l'arrêt est régulièrement motivé. Il formule les principales raisons de la décision du jury et permet à la demanderesse de comprendre les raisons de sa condamnation.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Pour le surplus, invitant la Cour à apprécier elle-même les faits de la cause, en examinant l'hypothèse selon laquelle un opérateur de laboratoire ou un policier aurait pu transporter le matériel génétique de la victime dans le cadre de la préparation du dépannage de la voiture utilisée par la demanderesse, le moyen est irrecevable.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 280 du Code d'instruction criminelle et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La demanderesse critique la décision de la cour d'assises d'avoir suspendu à 15h45, après les plaidoiries de ses conseils, les débats de l'audience du 8 octobre 2020 jusqu'au lendemain à 9h, alors que cette interruption n'était pas justifiée par les nécessités du repos de la cour, des jurés, des témoins, de l'accusée et de la partie civile. Selon elle, cette décision implique que les jurés ont pu être soumis à des éléments extérieurs et à des communications susceptibles de les avoir influencés.
Contrairement à ce que le moyen soutient, la règle selon laquelle l'instruction à l'audience de la cour d'assises est menée oralement, n'empêche pas les parties, en soi, de contester une suspension des débats qu'elles estimeraient préjudiciables à l'indépendance des jurés ni de demander à la cour d'assises de statuer sur un tel incident.
Soulevé pour la première fois devant la Cour alors qu'il pouvait l'être devant la cour d'assises, et requérant, pour son examen, une vérification des éléments de fait de la cause, laquelle échappe à son pouvoir, le grief est irrecevable.
Sur le troisième moyen :
Le moyen est pris de la violation de l'article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la méconnaissance de la présomption d'innocence. Selon la demanderesse, le motif de l'arrêt selon lequel « au cours de ses auditions, l'accusée nie certes de manière constante toute implication dans les faits, mais elle ne peut expliquer les traces constatées dans sa voiture », viole cette présomption, puisque, en l'énonçant, l'arrêt lui reproche de ne pas pouvoir expliquer la présence d'ADN de la victime dans sa voiture. Le moyen précise que la culpabilité d'un accusé ne peut être déduite de l'absence d'explications de sa part et que la question posée appelait une réponse scientifique qui échappait aux connaissances de la demanderesse.
L'article 5 de la Convention est étranger au moyen.
A cet égard, le moyen manque en droit.
Le motif critiqué ne révèle pas que le jury ait fondé la déclaration de culpabilité sur l'absence d'explications de la demanderesse quant à la présence dans la voiture utilisée de traces provenant de la victime ni que le jury lui ait reproché cette circonstance. Il en ressort que les jurés ont seulement constaté que la demanderesse, confrontée à cet élément à charge, niait toute implication et ne pouvait pas expliquer l'existence de cet élément.
Aucune violation de la présomption d'innocence ne saurait être déduite de la considération critiquée.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
En tant qu'il soutient que seule une explication scientifique peut éclaircir la cause de la présence d'ADN de la victime dans le véhicule utilisé par la demanderesse, le moyen requiert un examen en fait qui n'est pas au pouvoir de la Cour.
Dans cette mesure, le moyen est irrecevable.
Le contrôle d'office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
C. Sur le pourvoi dirigé contre l'arrêt de condamnation :
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par le jury.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne la demanderesse aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de cent douze euros quatre-vingt-un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-quatre février deux mille vingt et un par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.20.1114.F
Date de la décision : 24/02/2021
Type d'affaire : Droit international public - Droit pénal

Analyses

En décidant que les pièces dont l'écartement était sollicité par la défense ne devaient pas être retirées du dossier dès lors que le juge d'instruction s'était borné, en sa précédente qualité de substitut du procureur du Roi, à transmettre au magistrat instructeur alors en charge du dossier, l'original d'un procès-verbal d'audition parvenu par erreur au parquet du procureur du Roi et que les pièces dont l'inculpée sollicitait le retrait émanaient du juge d'instruction, c'est-à-dire d'une autorité légalement habilitée à poser des actes d'instruction, ces pièces ne présentant en soi aucune irrégularité ou cause de nullité et étant étrangères à l'obtention de la preuve, la chambre des mises en accusation n'a violé ni l'article 6 de la Convention ni l'article 32 du titre préliminaire du Code de procédure pénale et n'a pas méconnu les principes généraux du droit de l'indépendance et de l'impartialité du juge (1). (1) Voir Cass. 30 septembre 2015, RG P.15.0630.F, Pas. 2015, n° 570.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 1er - JUGE D'INSTRUCTION [notice1]


Références :

[notice1]

Traité ou Convention internationale - 04-11-1950 - Art. 6, § 1er - 30 / Lien DB Justel 19501104-30


Composition du Tribunal
Président : DE CODT JEAN
Greffier : GOBERT FABIENNE
Ministère public : VANDERMEERSCH DAMIEN
Assesseurs : DE FORMANOIR DE LA CAZERIE ERIC, KONSEK TAMARA, LUGENTZ FREDERIC, STEVENART MEEUS FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-02-24;p.20.1114.f ?

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