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04/02/2021 | BELGIQUE | N°C.20.0032.F-C.20.0033.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 04 février 2021, C.20.0032.F-C.20.0033.F


N° C.20.0032.F
RÉGION WALLONNE, représentée par son gouvernement, en la personne du ministre du Budget, des Finances, des Aéroports et des Infrastructures sportives, dont le cabinet est établi à Namur (Jambes), rue des Brigades d'Irlande, 4,
demanderesse en cassation,
assistée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, et assistée et représentée par Maître Ann Frédérique Belle, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 453, où il est fait él

ection de domicile,
contre
1. J. L., et consorts,
défendeurs en cassation sub 1...

N° C.20.0032.F
RÉGION WALLONNE, représentée par son gouvernement, en la personne du ministre du Budget, des Finances, des Aéroports et des Infrastructures sportives, dont le cabinet est établi à Namur (Jambes), rue des Brigades d'Irlande, 4,
demanderesse en cassation,
assistée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, et assistée et représentée par Maître Ann Frédérique Belle, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 453, où il est fait élection de domicile,
contre
1. J. L., et consorts,
défendeurs en cassation sub 1, 2, 46 à 177,
représentés par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, et par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile,
défendeurs en cassation sub 3 à 45,
représentés par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 187/302, où il est fait élection de domicile,
en présence de
1. LIÈGE AIRPORT, société anonyme, dont le siège est établi à Grâce-Hollogne, Aéroport de Liège, bâtiment 50, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0440.516.788,
partie appelée en déclaration d'arrêt commun,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
2. TNT EXPRESS WORLDWIDE (EURO HUB), société à responsabilité limitée, dont le siège est établi à Grâce-Hollogne, rue de l'Aéroport, 90, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0458.858.302,
partie appelée en déclaration d'arrêt commun.
N° C.20.0033.F
TNT EXPRESS WORLDWIDE (EURO HUB), société à responsabilité limitée, dont le siège est établi à Grâce-Hollogne, rue de l'Aéroport, 90, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0458.858.302,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
1. J. L., et consorts,
défendeurs en cassation sub 1, 2, 46 à 177,
représentés par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, et par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile,
défendeurs en cassation sub 3 à 45,
représentés par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 187/302, où il est fait élection de domicile,
178. L. G., avocat, en qualité d'administrateur des biens de B. V.,
défenderesse en cassation,
en présence de
1. RÉGION WALLONNE, représentée par son gouvernement, en la personne de son ministre-président, dont le cabinet est établi à Namur (Jambes), rue Mazy, 25-27,
partie appelée en déclaration d'arrêt commun,
2. LIÈGE AIRPORT, société anonyme, dont le siège est établi à Grâce-Hollogne, Aéroport de Liège, bâtiment 50, inscrite à la banque carrefour des entreprises sous le numéro 0440.516.788,
partie appelée en déclaration d'arrêt commun,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Les pourvois en cassation sont dirigés contre l'arrêt rendu le 2 juin 2017 par la cour d'appel de Bruxelles, statuant comme juridiction de renvoi ensuite de l'arrêt de la Cour du 4 décembre 2008.
Le 20 janvier 2021, l'avocat général Philippe de Koster a déposé des conclusions au greffe.
Par des actes remis au greffe le 29 janvier 2021, la défenderesse sub 111 se désiste des mémoires en réponse remis dans chacune des causes.
Par un acte remis au greffe le 2 février 2021, la demanderesse dans la cause inscrite au rôle général sous le numéro C.20.0032.F se désiste de son pourvoi en tant qu'il est dirigé contre le défendeur sub 153.
Par un acte remis au greffe le 2 février 2021, la demanderesse dans la cause inscrite au rôle général sous le numéro C.20.0032.F se désiste de son pourvoi en tant qu'il est dirigé contre les défendeurs sub 84, 88, 103, 109, 119, 120 et 136.
Par un acte remis au greffe le 3 février 2021, la demanderesse dans la cause inscrite au rôle général sous le numéro C.20.0033.F se désiste de son pourvoi en tant qu'il est dirigé contre les défendeurs sub 84, 88, 103, 109, 119, 120 et 136.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et l'avocat général Philippe de Koster a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
À l'appui du pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.20.0032.F, la demanderesse présente deux moyens dans la requête en cassation jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme.
À l'appui du pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.20.0033.F, la demanderesse présente un moyen dans la requête en cassation jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme.
III. La décision de la Cour
A. La jonction des pourvois
Les pourvois sont dirigés contre le même arrêt. Il y a lieu de les joindre.
B. Le pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.20.0032.F
Sur les désistements :
Il y a lieu de donner acte à la défenderesse sub 111 de ce qu'elle se désiste de son mémoire en réponse.
Il y a lieu de décréter le désistement du pourvoi en tant qu'il est dirigé contre les défendeurs sub 84, 88, 103, 109, 119, 120, 136 et 153.
Sur le surplus du pourvoi :
Sur le premier moyen :
Quant aux deux branches réunies :
L'arrêt attaqué considère que « la violation de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est [...] susceptible de constituer une faute qui peut donner lieu à une indemnisation dans le cadre de l'article 1382 du Code civil qui [...] est incontestablement une source de droits subjectifs », qu'« il résulte de l'article 8, § 2, de la Convention qu'une ingérence étatique dans le droit garanti par l'article 8, § 1er, doit remplir trois conditions cumulatives : être prévue par la loi, poursuivre un but légitime [et] être proportionnée », qu'« en particulier, pour apprécier la proportionnalité d'une ingérence dans l'exercice des droits fondamentaux protégés par rapport au but légitime recherché (article 8, § 2), il est nécessaire de prendre en compte les mesures prises par l'État, parallèlement à cette ingérence, pour protéger les droits fondamentaux des individus » et que « ces mesures protectrices contribuent en effet au rétablissement de l'équilibre entre les intérêts concurrents ».
Il relève que « la Cour européenne des droits de l'homme admet que les nuisances environnementales graves et, en particulier, les nuisances sonores liées à l'exploitation d'un aéroport peuvent constituer une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est consacré par l'article 8 de la Convention », que les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme « consacrent un effet horizontal indirect de l'article 8 : ils constatent sa violation en raison de nuisances infligées à une personne physique par une personne morale de droit privé », que « l'ingérence de l'État résulte d'une défaillance du système de droit interne : les autorités n'ont pas mis en œuvre leurs pouvoirs légaux, rendant ainsi possible la violation par un particulier d'un droit protégé par la Convention » et que « l'article 8 peut donc trouver à s'appliquer dans les affaires d'environnement, que la pollution soit directement causée par l'État ou que la responsabilité de ce dernier découle de l'absence de réglementation adéquate de l'industrie privée ».
Il ajoute que, « cependant, que l'on aborde une affaire sous l'angle d'une obligation positive, à la charge de l'État, d'adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits garantis dans le premier paragraphe de l'article 8, ou sous celui d'une ingérence d'une autorité publique (obligation négative) à justifier sous l'angle de son second paragraphe, les principes applicables sont, selon les termes de la Cour européenne des droits de l'homme, ‘assez voisins' », qu'« ainsi, dans les deux cas, l'État [...] doit ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble, les objectifs énumérés au paragraphe 2 pouvant jouer un rôle dans la recherche de cet équilibre et ce, même pour les obligations positives résultant du paragraphe 1er, [et] jouit d'une marge d'appréciation étendue pour déterminer les dispositions à prendre afin d'assurer le respect de la Convention », que, « dans l'examen des décisions de l'État ayant trait à l'environnement, la Cour européenne des droits de l'homme estime que son contrôle comporte deux aspects : elle peut non seulement apprécier le contenu matériel de la décision en vue de s'assurer qu'elle est compatible avec l'article 8 (selon les principes précités) mais elle peut également se pencher sur le processus décisionnel afin de vérifier si les intérêts de l'individu ont été dument pris en compte (volet procédural) », que « la Cour européenne des droits de l'homme a considéré que le processus décisionnel devait nécessairement comporter la réalisation d'enquêtes et d'études appropriées, de manière à permettre l'établissement d'un juste équilibre entre les divers intérêts en jeu », qu'« il n'en résulte cependant pas pour autant que les décisions ne peuvent pas être prises sur la base de données non exhaustives et vérifiables sur tous les aspects de la question à trancher », que « le processus décisionnel doit tout d'abord comporter la réalisation des enquêtes et études appropriées, de manière à prévenir et évaluer à l'avance les effets des activités qui peuvent porter atteinte à l'environnement et aux droits des individus, et à permettre ainsi l'établissement d'un juste équilibre entre les divers intérêts concurrents en jeu », que « l'importance de l'accès du public aux conclusions de ces études ainsi qu'à des informations permettant d'évaluer le danger auquel il est exposé ne fait pas de doute » et qu'« enfin, les individus concernés doivent aussi pouvoir former un recours contre toute décision, tout acte ou toute omission devant les tribunaux s'ils considèrent que leurs intérêts ou leurs observations n'ont pas été suffisamment pris en compte dans le processus décisionnel ».
Il énonce que « l'exploitation à l'aéroport de Liège-Bierset des activités de fret développées par les sociétés Cargo Airlines Ltd et [la seconde partie appelée en déclaration d'arrêt commun], respectivement depuis 1996 et 1998, impliquant des vols de nuit quotidiens et ce, à un rythme soutenu depuis 1998, se trouve à la source d'une nuisance sonore suffisamment grave pour qu'elle constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale des riverains de l'aéroport, au sens de l'article 8, § 1er, de la Convention » et qu'« il convient de vérifier si l'ingérence qui résulte des activités développées et autorisées par la [demanderesse] à Liège-Bierset depuis 1996 répond au prescrit de l'article 8, § 2, de la Convention et de quelle façon l'éventuel déséquilibre entre les intérêts concurrents est compensé par la mise en place effective de mesures protectrices des droits fondamentaux des riverains ».
S'agissant du critère de proportionnalité de cette ingérence, il considère, sous le titre « Les enquêtes et études préalables appropriées (volet procédural) », que « la Cour européenne des droits de l'homme a jugé qu'en matière environnementale et sous l'angle de l'article 8, le processus décisionnel doit tout d'abord comporter la réalisation d'enquêtes et études appropriées, de manière à prévenir et évaluer à l'avance les effets des activités qui peuvent porter atteinte à l'environnement et aux droits des individus, et à permettre ainsi l'établissement d'un juste équilibre entre les divers intérêts concurrents en jeu » et, sur la base de son analyse des études réalisées figurant aux pages 52 à 54 sous les numéros 191 et 192, que « c'est [...] en violation des exigences précitées de l'article 8 de la Convention que, parallèlement au développement des infrastructures de l'aéroport, la [demanderesse] n'a pas intégré dans le processus décisionnel la tenue des enquêtes et études préalables requises portant sur la globalité du développement aéroportuaire envisagé, y compris la problématique environnementale posée par l'exploitation nocturne du site », que « le processus décisionnel tel qu'il a été conduit, n'a nullement permis d'assurer une prévention efficace des dommages à l'environnement et n'a pas permis d'assurer le respect de l'équilibre entre les droits concurrents qui étaient en jeu au moment où l'ingérence s'est produite » et que « l'absence d'enquêtes et d'études appropriées et d'information du public préalables à la décision permet également de conclure à la violation de l'article 8 de la Convention ».
Sous le titre « La protection effective des droits des riverains (volet matériel) », l'arrêt attaqué énonce que « les mesures positives prises par la [demanderesse] pour assurer la protection des droits des riverains sont à prendre en considération pour déterminer si l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale de ceux-ci est proportionnée à l'objectif poursuivi (le bien-être économique de la Région) », qu'« en effet, ces mesures participent à la restauration de l'équilibre entre les intérêts concurrents auxquels la [demanderesse] doit avoir égard dans l'exercice de ses compétences » et qu'« à cet égard, la cour [d'appel] analyse deux volets principaux : l'effectivité des mesures d'accompagnement qui assortissent le plan d'exposition au bruit ; l'effectivité des différentes normes qui ont pour but de réduire les nuisances sonores liées à l'exploitation de l'aéroport ».
S'agissant de l'effectivité des mesures d'accompagnement dans le temps, il relève que « les mesures d'accompagnement antérieures [au 13 juillet 2004, date de publication au Moniteur belge des arrêtés du gouvernement wallon du 27 mai 2004 délimitant les zones A', B', C' et D' du plan d'exposition au bruit et les zones A, B, C, D et E du plan de développement à long terme de l'aéroport de Liège-Bierset], qui concernaient les zones A et B, ont été annulées à plusieurs reprises par le Conseil d'État et la Cour constitutionnelle en raison d'illégalités commises par la [demanderesse] », que, « compte tenu de l'ensemble [des] éléments [qu'il relève aux pages 55 à 58, sous les numéros 194 à 197] et des illégalités relevées par le Conseil d'État et la Cour constitutionnelle, il y a lieu de constater, et ce, sous réserve de l'examen des situations individuelles, que ce n'est qu'à partir du mois de juillet 2004, soit plus de six ans après le démarrage des activités litigieuses, que des mesures d'accompagnement effectives ont participé au rétablissement de l'équilibre entre le droit des riverains au respect de leur vie privée et familiale et l'impératif du bien-être économique de la Région » et que « l'absence d'effectivité des mesures avant 2004 établit l'existence, entre 1998 et 2004, d'un déséquilibre manifeste entre les droits fondamentaux des riverains de l'aéroport et les enjeux économiques du projet, déséquilibre qui ne peut s'expliquer raisonnablement par la marge étendue (mais non illimitée) de l'appréciation qui appartient à la [demanderesse] en ce domaine ».
Concernant la procédure de rachat des immeubles des riverains situés en zones A et B du plan d'exposition au bruit, il considère que :
- s'agissant de la procédure mise en place par l'arrêté du gouvernement wallon du 10 septembre 1998 fixant les règles relatives au rachat par la Région wallonne des immeubles situés en zone A et l'arrêté du gouvernement wallon du 20 décembre 2000 fixant les mesures d'accompagnement applicables aux titulaires de droits réels immobiliers situés dans la première zone du plan d'exposition au bruit (zone A), dont il relève qu'ils ont été annulés par deux arrêts du Conseil d'État, « la faculté pour la [demanderesse] prévue par [ces] arrêtés [...] de ne pas acquérir le bien en cas de désaccord après estimation du prix, même après arbitrage, n'est pas compatible avec l'effectivité que requiert la protection des droits fondamentaux protégés par l'article 8, § 2, » précité dès lors qu'« il est possible que certains soient contraints d'accepter un prix qui leur paraîtrait inférieur à la valeur de leur bien en raison du système mis en place par la [demanderesse] qui n'achète que si la valeur déterminée par les experts l'agrée et, dans le cas contraire, laisse les riverains devant un problème insoluble » ;
- la procédure suivie après l'annulation de ces deux arrêtés n'offre aux riverains qu'une liberté théorique, dans le cadre de la négociation des prix, car « ils sont forcés de vendre puisque leur bien n'est, en pratique, pas habitable, et donc très difficilement cessible à un tiers, à moins d'être affecté à un autre usage que l'habitation » ;
- « le raisonnement peut être transposé en zone B du plan d'exposition au bruit (où des rachats sont possibles depuis juin 2004), en raison de ce qu'a décidé la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 51/2003 du 30 avril 2003 ».
Il en déduit que « la procédure de rachat, telle qu'elle fut organisée, n'assure pas une protection effective des droits que les riverains puisent dans l'article 8 de la Convention : sauf accord des parties, la fixation du prix aurait dû s'effectuer via une expertise contraignante pour les deux parties, y compris la [demanderesse] ».
S'agissant des règles applicables en matière d'insonorisation, il considère que :
- « même compte tenu de la marge d'appréciation dont dispose la [demanderesse] dans la détermination des normes destinées à atténuer les nuisances sonores subies par les riverains, [le] plafond [fixé à l'intervention de la demanderesse dans le coût des travaux effectués par certains riverains avant 2004] n'est pas compatible avec les exigences de l'article 8 de la Convention puisqu'il apparaît des rapports établis à l'occasion des chantiers tests que le coût des travaux nécessaires pour réaliser une insonorisation conforme aux normes était plus élevé que ce plafond », que « ce plafond [...] ne permet pas la réalisation d'une insonorisation répondant aux normes définies » et que, « par conséquent, ces personnes doivent pouvoir bénéficier d'une indemnité complémentaire par rapport à l'intervention plafonnée (le total ne pouvant excéder la moitié de la valeur vénale de l'immeuble), pour couvrir les travaux nécessaires pour aboutir à une insonorisation répondant aux normes définies par l'article 1erbis de la loi [du 18 juillet 1973] relative à la lutte contre le bruit » ;
- « le contrôle de l'efficacité des travaux est confié à la Société wallonne des aéroports [en abrégé Sowaer] mais pas aux riverains qui ne disposent pas de recours contre l'entrepreneur dans l'hypothèse où les travaux sont réceptionnés par la Sowaer », qu'« il convient par conséquent de permettre aux riverains qui soutiennent que la Sowaer n'aurait pas effectué les contrôles requis et que l'insonorisation obtenue ne satisferait pas aux normes de l'établir par la voie d'une expertise » et que, « si, effectivement, les travaux réalisés ne sont pas conformes aux normes, il y a de fait atteinte à l'effectivité de la protection garantie par l'article 8 » précité.
S'il énonce que le grief relatif au seuil de 70 dB déterminant l'application des mesures d'accompagnement en zone A n'a plus d'objet pour la période postérieure à juillet 2004, il déduit de l'arrêt de la Cour constitutionnelle
n° 51/2003 du 30 avril 2003, selon lequel « les riverains de la zone B, exposés à des nuisances sonores se situant entre Ldn 65 dB (A) et Ldn 70 dB (A), ne se trouvent pas dans une situation essentiellement différente de celle dans laquelle se trouvent les habitants de la zone A, de sorte que la différence de traitement entre ces riverains n'est pas raisonnablement justifiée », « qu'en ne permettant pas, entre 1998 et 2004, aux riverains exposés à des nuisances sonores se situant entre Ldn 65 dB (A) et Ldn 70 dB (A) de bénéficier des mêmes mesures que celles prévues pour les riverains exposés à des nuisances supérieures à Ldn 70 dB (A), la [demanderesse] a violé l'article 8 de la Convention ».
Enfin, après avoir relevé que plusieurs décrets avaient fixé différents seuils de bruit autorisés, que « l'article 6, § 1er, du décret du 23 juin 1994 relatif à la création et à l'exploitation des aéroports et aérodromes relevant de la Région wallonne, tel qu'il a été introduit par un autre décret du 8 juin 2001, expose qu'une sanction administrative est infligée à l'encontre des exploitants qui, notamment, ne respectent pas ces seuils de bruit ou les procédures particulières de décollage et d'atterrissage destinées à limiter les nuisances sonores » et que « la procédure de constatation des infractions et le montant des amendes ont été déterminés trois ans plus tard par l'arrêté du gouvernement wallon du 29 janvier 2004 », il considère que l'existence des dépassements de ces seuils est avérée, que, « 10 ans après sa création, la procédure de sanction et l'officialisation des sonomètres affectés au contrôle du respect des seuils de bruit n'étaient toujours pas finalisées », qu'« il ne suffit pas d'édicter des normes pour satisfaire au respect de l'article 8 de la Convention : encore faut-il que le non-respect de celles-ci soit sanctionné : les riverains ont en effet le droit à une protection effective de leur droit à la vie privée et à la vie familiale » et que, « par conséquent, il y a violation de l'article 8 de la Convention dans la mesure où la [demanderesse] n'a pas mis en place les mesures permettant de donner effet aux normes de bruit qu'elle a édictées et au système de sanctions administratives qu'elle a mis en place en cas de dépassement de ces normes ».
Sur la base de ces considérations, l'arrêt a pu légalement considérer que l'ingérence qui résulte des activités développées et autorisées par la demanderesse à Liège-Bierset depuis 1996 est contraire à l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, par voie de conséquence, à l'article 22 de la Constitution, partant, que cette ingérence est fautive.
Le moyen, en aucune de ses branches, ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
Quant aux trois branches réunies :
Statuant sur le lien de causalité entre la faute, qu'il dit établie, commise par la demanderesse « en ne prenant pas concomitamment avec le développement de l'aéroport les mesures destinées à supprimer ou réduire effectivement les nuisances qu'allaient nécessairement subir les riverains » et le « dommage subi par les riverains à partir de mars 1998 et jusqu'à la mise en œuvre effective des mesures d'accompagnement », l'arrêt attaqué considère, sans être critiqué, que, « sans le comportement fautif consistant à avoir autorisé l'exploitation intensive de l'aéroport sans avoir réalisé préalablement des études d'incidence ni mis en place des mesures effectives d'accompagnement (procédure d'élimination), le dommage résultant, pour les riverains, du fait de n'avoir pu bénéficier de ces mesures dès le début de l'intensification des nuisances sonores ne se serait pas produit », qu'« il convient cependant de vérifier si, comme l'invoque la [demanderesse], le lien causal entre ces fautes et le dommage précité ne peut pas être exclu en recourant à la théorie de l'alternative légitime, donc en démontrant que, en substituant au comportement fautif son exécution correcte (procédure de substitution), le dommage aurait été identique », que « tel n'est certainement pas le cas en ce qui concerne la faute résultant de l'absence de mise en œuvre effective de mesures d'accompagnement dès lors que, si ces mesures avaient été prises, le dommage des riverains aurait, par définition, été différent » et que « cette circonstance suffit déjà à établir le bien-fondé de leur demande en tant qu'elle vise l'indemnisation de ce dommage ».
Ces considérations suffisent à fonder la décision de cet arrêt que ledit dommage est en lien de causalité avec la faute dite établie.
Dirigé, en chacune de ses branches, contre des considérations surabondantes de cet arrêt, le moyen, qui ne saurait entraîner la cassation, est dénué d'intérêt, partant, irrecevable.
Et le rejet du pourvoi prive d'intérêt les demandes en déclaration d'arrêt commun.
C. Le pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.20.0033.F
Sur les désistements :
Il y a lieu de donner acte à la défenderesse sub 111 de ce qu'elle se désiste de son mémoire en réponse.
Il y a lieu de décréter le désistement du pourvoi en tant qu'il est dirigé contre les défendeurs sub 84, 88, 103, 109, 119, 120 et 136.
Sur le surplus du pourvoi :
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
L'examen du grief de contradiction dénoncé par le moyen, en cette branche, suppose l'interprétation des dispositions de la Convention du 7 octobre 1952 relative aux dommages causés aux tiers à la surface par des aéronefs étrangers dont l'arrêt fait application.
Ce grief n'équivaut pas à une absence de motifs et est étranger à la règle de forme prescrite par l'article 149 de la Constitution.
Le moyen, en cette branche, est, comme le soutient la seconde partie appelée en déclaration d'arrêt commun, irrecevable.
Quant à la quatrième branche :
Après avoir relevé que la demanderesse « précise qu'en 1999, la compagnie aérienne belge société anonyme TNT Airways a été constituée et qu'elle-même ([la demanderesse]) s'est depuis lors essentiellement consacrée à la gestion du hub, de l'ensemble des services express, colis et logistique », l'arrêt attaqué considère que la demanderesse « bénéficie donc d'un droit de jouissance d'une partie importante des infrastructures de l'aéroport » et qu'« elle est propriétaire de certains bâtiments, utilise des hangars, le centre de tri, des aires de stationnement et bénéficie donc notamment de l'attribut du droit de propriété lui permettant d'user de la piste et de ces infrastructures, en y faisant effectuer par les compagnies aériennes avec lesquelles elle collabore autant d'atterrissages et de décollages qu'elle veut ».
Contrairement à ce que soutient le moyen, en cette branche, l'arrêt attaqué ne constate pas que la demanderesse utilise les avions qu'elle fait atterrir ou décoller mais il considère que le droit de jouissance dont elle bénéficie sur la piste et les infrastructures de l'aéroport lui permet d'autoriser les compagnies aériennes avec lesquelles elle collabore à faire atterrir et décoller les avions que ces compagnies utilisent autant de fois que la demanderesse le veut.
Le moyen, qui, en cette branche, procède d'une interprétation inexacte de l'arrêt attaqué, manque en fait.
Quant à la troisième branche :
Après avoir reproduit les articles 2 et 3 de la Convention relative aux dommages causés aux tiers à la surface par des aéronefs étrangers, l'arrêt attaqué considère que « l'exploitation requiert donc l'utilisation de l'aéronef au moment de la survenance du dommage et la direction de la navigation », que, « lorsque l'appareil est confié à un préposé, l'exploitant demeure responsable : le responsable est l'usager-commettant ayant le contrôle de la navigation, même s'il n'utilise pas l'appareil pour son propre compte », que « l'exploitant est également responsable solidairement en cas de location ou de prêt de courte durée à un tiers », qu'« or, [la demanderesse] précise qu'en 1999, la compagnie aérienne belge société anonyme TNT Airways a été constituée et qu'elle-même ([la demanderesse]) s'est depuis lors essentiellement consacrée à la gestion du hub, de l'ensemble des services express, colis et logistique » et qu'il s'ensuit « qu'elle n'est, actuellement et depuis le 1er août 1999, ni ‘exploitant d'aéronefs' au sens de la convention, ni la personne qui peut être en l'espèce tenue pour responsable du dommage causé à la surface au sens de la convention, et qu'elle ne peut dès lors invoquer cette convention ».
Il ajoute, ainsi qu'il a été dit dans la réponse à la quatrième branche du moyen, que le droit de jouissance dont la demanderesse bénéficie sur les infrastructures de l'aéroport lui permet d'autoriser les compagnies aériennes avec lesquelles elle collabore à faire atterrir et décoller les avions que ces compagnies utilisent autant de fois que la demanderesse le veut.
Par ces motifs, l'arrêt répond, en les contredisant, aux conclusions de la demanderesse faisant valoir qu'en tant que transporteur aérien, elle était exonérée de toute responsabilité en vertu de la Convention du 7 octobre 1952.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Quant à la deuxième branche :
Après avoir énoncé que la demanderesse peut invoquer l'exonération de toute responsabilité résultant de la Convention du 7 octobre 1952 pour la période du 1er mars 1998 au 31 juillet 1999, l'arrêt attaqué considère par les motifs vainement critiqués par la quatrième branche du moyen que la demanderesse ne peut se prévaloir de la qualité d'exploitant au sens de cette convention à partir du 1er août 1999.
Ces considérations suffisent à fonder sa décision qu'à partir du 1er août 1999, la demanderesse ne pouvait bénéficier de l'exonération de responsabilité accordée aux exploitants d'aéronefs par ladite convention.
Dirigé contre des considérations surabondantes de cet arrêt, le moyen, qui, en cette branche, ne saurait entraîner la cassation, est dénué d'intérêt, partant, irrecevable.
Dès lors que la première partie appelée à la cause devant la Cour à cette fin est à la cause à la suite de son pourvoi, il n'y a pas lieu d'examiner la fin de non-recevoir opposée d'office à la demande en déclaration d'arrêt commun en tant que dirigée contre cette partie par le ministère public.
Et le rejet du pourvoi prive d'intérêt la demande en déclaration d'arrêt commun dirigée contre la seconde partie appelée à la cause devant la Cour à cette fin.
Par ces motifs,
La Cour
Joint les pourvois inscrits au rôle général sous les numéros C.20.0032.F et C.20.0033.F ;
Donne acte à la défenderesse sub 111 de ce qu'elle se désiste de ses mémoires en réponse ;
Décrète le désistement du pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.20.0032.F en tant qu'il est dirigé contre les défendeurs sub 84, 88, 103, 109, 119, 120, 136 et 153 ;
Décrète le désistement du pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.20.0033.F en tant qu'il est dirigé contre les défendeurs sub 84, 88, 103, 109, 119, 120 et 136 ;
Rejette les pourvois pour le surplus et les demandes en déclaration d'arrêt commun ;
Condamne la demanderesse aux dépens du pourvoi dans la cause C.20.0032.F ;
Condamne la demanderesse aux dépens du pourvoi dans la cause C.20.0033.F.
Les dépens taxés, dans la cause C.20.0032.F, à la somme de huit mille sept cent septante-neuf euros quarante-six centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l'État au titre de mise au rôle.
Les dépens taxés, dans la cause C.20.0033.F, à la somme de sept mille cent nonante-six euros trente-deux centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l'État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Mireille Delange, les conseillers Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du quatre février deux mille vingt et un par le président de section Mireille Delange, en présence de l'avocat général Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : C.20.0032.F-C.20.0033.F
Date de la décision : 04/02/2021
Type d'affaire : Droit international public

Analyses

Les nuisances sonores liées à l'exploitation d'un aéroport peuvent constituer une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, tel que consacré par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (1). (1) Voir les concl. du MP.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 8 - Nuisances sonores liées à l'exploitation d'un aéroport - Atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale [notice1]

L'article 8 peut donc trouver à s'appliquer dans les affaires d'environnement, que la pollution soit directement causée par l'État ou que la responsabilité de ce dernier découle de l'absence de réglementation adéquate de l'industrie privée (1). (1) Voir les concl. du MP.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 8 - Environnement - Application - Nuisances sonores liées à l'exploitation d'un aéroport - Responsabilité de l'Etat - Pouvoirs légaux - Absence de mise en oeuvre [notice2]


Références :

[notice1]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 8 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30

[notice2]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 8 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30


Composition du Tribunal
Président : DELANGE MIREILLE
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : DE KOSTER PHILIPPE
Assesseurs : ERNOTTE MARIE-CLAIRE, JACQUEMIN ARIANE, MARCHANDISE MAXIME, LEMAL MICHEL

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-02-04;c.20.0032.f.c.20.0033.f ?

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