La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/01/2021 | BELGIQUE | N°F.19.0103.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 29 janvier 2021, F.19.0103.N


N° F.19.0103.N
GROEP HUYZENTRUYT, s.a.,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances,
Me Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, et Me Stefan De Vleeschouwer, avocat au barreau de Bruxelles.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 2 avril 2019 par la cour d’appel de Gand.
Le 7 décembre 2020, l’avocat général Johan Van der Fraenen a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Koenraad Moens a fait rapport e

t l’avocat général Johan Van der Fraenen a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de ca...

N° F.19.0103.N
GROEP HUYZENTRUYT, s.a.,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances,
Me Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, et Me Stefan De Vleeschouwer, avocat au barreau de Bruxelles.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 2 avril 2019 par la cour d’appel de Gand.
Le 7 décembre 2020, l’avocat général Johan Van der Fraenen a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Koenraad Moens a fait rapport et l’avocat général Johan Van der Fraenen a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
1. En vertu de l’article 1quater de l’arrêté royal n° 20 du 20 juillet 1970 fixant le taux de la taxe sur la valeur ajoutée et déterminant la répartition des biens et services selon ces taux, le bénéfice du taux réduit de six pour cent appliqué aux travaux immobiliers et autres opérations énumérées à la rubrique XXXI, § 3, 3° à 6°, du tableau A de l’annexe à cet arrêté, ayant pour objet la démolition et la reconstruction conjointe d’un bâtiment d’habitation, est subordonné, à partir du 1er janvier 2009 et jusqu’au 31 décembre 2010, aux conditions figurant à la rubrique XXXVII du même tableau A, à l’exception du 2°, et pour autant que la demande de permis d’urbanisme concernant les travaux visés soit introduite auprès de l’autorité compétente avant le 1er avril 2010.
L’article 1quinquies, § 1er, de cet arrêté royal prévoit que, par dérogation à l’article 1er, à partir du 1er janvier 2009 et jusqu’au 31 décembre 2010, sont soumis au taux de six pour cent sur une base d’imposition totale cumulée de 50.000 euros hors T.V.A., les travaux immobiliers et autres opérations énumérées à la rubrique XXXI, § 3, 3° à 6°, du tableau A de l’annexe à cet arrêté, ayant pour objet la construction d’un bâtiment d’habitation qui, après l’exécution des travaux, est utilisé soit exclusivement, soit à titre principal comme logement privé durable du maître de l’ouvrage qui y aura son domicile sans délai. Le bénéfice du taux réduit est subordonné à la réunion des conditions énumérées au deuxième alinéa de l’article 1quinquies, § 1er.
L’article 1quinquies, § 2, du même arrêté royal précise que, par dérogation à l’article 1er, à partir du 1er janvier 2009 et jusqu’au 31 décembre 2010, sont soumises au taux de six pour cent sur une base d’imposition totale cumulée de 50.000 euros hors T.V.A., les livraisons de bâtiments et les constitutions, cessions et rétrocessions de droits réels portant sur des bâtiments, qui ne sont pas exemptées par l’article 44, § 3, 1°, du code, lorsque ces bâtiments sont utilisés soit exclusivement, soit à titre principal, comme logement privé durable de l’acquéreur qui y aura son domicile sans délai et qu’ils n’ont encore fait l’objet d’aucune occupation avant le 1er janvier 2009. Le bénéfice du taux réduit est subordonné à la réunion des conditions énumérées au deuxième alinéa de l’article 1quinquies, § 2.
Suivant l’article 1sexies, par dérogation à l’article 1er, alinéa 2, b), à partir du 1er janvier 2009 et jusqu’au 31 décembre 2010, les opérations visées au tableau B, rubrique X, § 1er, de l’annexe à cet arrêté sont soumises au taux de six pour cent pour autant que la demande du permis d’urbanisme concernant les opérations visées soit introduite auprès de l’autorité compétente avant le 1er avril 2010. Les exclusions figurant à la rubrique X, § 2, dudit tableau B restent d’application.
Il ressort des termes de ces dispositions légales que le taux réduit à six pour cent de la taxe sur la valeur ajoutée concerne la livraison de biens et la prestation de services dans la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010.
2. En vertu de l’article 38, § 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, le taux applicable aux livraisons de biens et aux prestations de services est le taux en vigueur au moment où a lieu le fait générateur. Toutefois, dans les cas visés à l’article 17, § 1er, alinéa 2, §§ 2 et 3, et 22, § 2, alinéa 2, et § 3, le taux applicable est celui qui est en vigueur au moment où la taxe devient exigible.
Selon l’article 22, § 2, de ce code, tel qu’il s’applique au litige, la taxe est exigible au moment où la prestation de services est effectuée, sauf si le prix est, en tout ou en partie, facturé ou encaissé avant ce moment. Dans ce cas, la taxe devient exigible au moment de l’émission de la facture ou au moment de l’encaissement du prix.
Il suit de l’ensemble de ces dispositions légales que, lorsque le prix d’un service est facturé avant que la prestation soit effectuée, la taxe devient exigible au moment de l’émission de la facture, et que le taux à appliquer est celui applicable à ce moment-là.
L’objectif de l’exception visée à l’article 38, § 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, pour le cas prévu à l’article 22, § 2, alinéa 2, et § 3 de ce code, est d’assurer, en cas d’encaissement d’acomptes avant la livraison du bien ou la prestation du service, la débition de la taxe du fait de l’encaissement de ces acomptes, dès lors que les parties contractantes font ainsi connaître leur intention d’assumer toutes les conséquences financières de cette livraison ou de la prestation de ce service.
3. En vertu de l’article 38, § 3, de ce code, lorsque la taxe devient exigible à un moment qui ne coïncide pas avec celui du fait générateur, le Roi peut arrêter, lors d’une modification de taux qui se situe entre ces moments, que, pour les livraisons de biens, les prestations de services et les importations de biens qu’il détermine, le taux applicable est celui en vigueur au moment où se situe le fait générateur.
4. L’article 1er, § 10, du même code, dans la version applicable au litige, prévoit que, pour l’application de ce code, il y a pratique abusive lorsque les opérations effectuées ont pour résultat l’obtention d’un avantage fiscal dont l’octroi est contraire à l’objectif poursuivi par ce code et les arrêtés pris pour son exécution et que leur but essentiel est l’obtention de cet avantage.
Il ressort de cette disposition légale que, pour pouvoir constater l’existence d’une pratique abusive en matière de taxe sur la valeur ajoutée, il est requis, en premier lieu, que les opérations en cause, malgré l’application formelle des conditions imposées par le Code de la taxe sur la valeur ajoutée et les arrêtés pris pour son exécution, aient pour résultat l’octroi d’un avantage fiscal contraire à l’objectif poursuivi par ces dispositions. En second lieu, il doit résulter d’un ensemble d’éléments objectifs que le but essentiel des transactions en cause est l’obtention d’un avantage fiscal.
Pour apprécier l’existence d’une pratique abusive, le juge peut prendre en considération le caractère anormal ou purement artificiel des opérations effectuées.
5. Le juge d’appel a considéré que :
- la facturation anticipée de travaux à exécuter au taux de la taxe sur la valeur ajoutée en vigueur au moment de la facturation est en principe autorisée, même si elle procure un avantage fiscal à l’assujetti, dès lors que le Roi a exclu cette cause subsidiaire d’exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée comme étant non conforme à l’article 28, § 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée ;
- cette constatation n’exclut pas qu’il peut être fait un usage abusif de causes subsidiaires d’exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée et de la réduction temporaire du taux en contradiction avec l’objectif poursuivi par le législateur et que, même si l’assujetti agit conformément à la norme, il peut être question d’abus de droit si ses agissements sont anormaux ;
- il résulte du caractère temporaire du taux de la taxe sur la valeur ajoutée que le législateur estimait que, compte tenu des objectifs poursuivis, ce taux ne devrait plus être appliqué après le 31 décembre 2010, ce qui justifie une interprétation et une application strictes de la mesure ;
- les causes subsidiaires d’exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée ont été prévues pour éviter que la taxe ne puisse plus être exigée, alors qu’une partie du prix a déjà été facturée ou payée ;
- en n’émettant pas les factures après l’achèvement des services ou l’achèvement d’une phase de construction, la demanderesse a clairement dérogé à ses pratiques commerciales normales et contractuelles et a en outre agi en violation des contrats concrètement conclus avec les clients ;
- l’objectif réel des causes subsidiaires d’exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée ne s’appliquait pas en l’espèce et a été méconnu dans le seul but d’obtenir un avantage fiscal ;
- la pratique utilisée par la demanderesse doit être qualifiée d’inhabituelle et de purement artificielle dans les circonstances concrètes de la cause ;
- en conséquence, il a été fait un usage abusif des causes subsidiaires d’exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée.
6. Sur la base de ces énonciations, le juge d’appel a légalement justifié sa décision que la demanderesse a fait un usage abusif de la possibilité de procéder à une facturation anticipée, prévue à l’article 38, § 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, en détournant cette disposition de son but, avec pour intention essentielle d’obtenir un avantage fiscal, à savoir la possibilité de facturer au tarif réduit de la taxe sur la valeur ajoutée.
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens ;
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Eric Dirix, président, et les conseillers Filip Van Volsem, Bart Wylleman, Koenraad Moens et François Stévenart Meeûs, et prononcé en audience publique du vingt-neuf janvier deux mille vingt et un par le président de section Eric Dirix, en présence de l’avocat général Johan Van der Fraenen, avec l’assistance du greffier Vanity Vanden Hende.
Traduction établie sous le contrôle du président de section Michel Lemal et transcrite avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1n - eerste kamer
Numéro d'arrêt : F.19.0103.N
Date de la décision : 29/01/2021
Type d'affaire : Droit fiscal

Analyses

Il ressort de l'article 1er, § 10, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée que, pour pouvoir constater l'existence d'une pratique abusive en matière de taxe sur la valeur ajoutée, il est requis, en premier lieu, que les opérations en cause, malgré l'application formelle des conditions imposées par le Code de la taxe sur la valeur ajoutée et les arrêtés pris pour son exécution, aient pour résultat l'octroi d'un avantage fiscal contraire à l'objectif poursuivi par ces dispositions; en second lieu, il doit résulter d'un ensemble d'éléments objectifs que le but essentiel des transactions en cause est l'obtention d'un avantage fiscal (1). (1) Voir les concl. du MP publiées à leur date dans AC.

TAXE SUR LA VALEUR AJOUTEE - Abus de droit - Notion [notice1]

Pour apprécier l'existence d'une pratique abusive, le juge peut prendre en considération le caractère anormal ou purement artificiel des opérations effectuées (1). (1) Voir les concl. du MP publiées à leur date dans AC.

TAXE SUR LA VALEUR AJOUTEE - Abus de droit - Notion - Critères d'appréciation [notice2]


Références :

[notice1]

L. du 3 juillet 1969 créant le Code de la taxe sur la valeur ajoutée - 03-07-1969 - Art. 1er, § 10 - 32

[notice2]

L. du 3 juillet 1969 créant le Code de la taxe sur la valeur ajoutée - 03-07-1969 - Art. 1er, § 10 - 32


Composition du Tribunal
Président : DIRIX ERIC
Greffier : VANDEN HENDE VANITY
Ministère public : VAN DER FRAENEN JOHAN
Assesseurs : VAN VOLSEM FILIP, WYLLEMAN BART, MOENS KOENRAAD, STEVENART MEEUS FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-01-29;f.19.0103.n ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award