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29/01/2021 | BELGIQUE | N°F.19.0009.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 29 janvier 2021, F.19.0009.N


N° F.19.0009.N
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances,
Me Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, et Me Stefan De Vleeschouwer, avocat au barreau de Bruxelles,
contre
MULTI CONSTRUCTION, s.r.l.,
Me Mark Crommen, avocat au barreau de la province d’Anvers.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 18 septembre 2018 par la cour d’appel de Gand.
Le 27 octobre 2020, l’avocat général Johan Van der Fraenen a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Bart Wylleman a

fait rapport et l’avocat général Johan Van der Fraenen a été entendu en ses conclusions.
II....

N° F.19.0009.N
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances,
Me Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, et Me Stefan De Vleeschouwer, avocat au barreau de Bruxelles,
contre
MULTI CONSTRUCTION, s.r.l.,
Me Mark Crommen, avocat au barreau de la province d’Anvers.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 18 septembre 2018 par la cour d’appel de Gand.
Le 27 octobre 2020, l’avocat général Johan Van der Fraenen a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Bart Wylleman a fait rapport et l’avocat général Johan Van der Fraenen a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Sur la recevabilité du moyen :
1. La défenderesse oppose au moyen une première fin de non-recevoir déduite de ce qu’il suppose à tort que le régime normal s’applique aux factures en cause.
2. Le moyen soutient que le régime de l’autoliquidation s’applique aux factures visées.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
3. La défenderesse oppose au moyen une seconde fin de non-recevoir déduite de ce qu’il repose sur une lecture inexacte ou incomplète de l’arrêt.
4. L’examen de la fin de non-recevoir est indissociable de celui du moyen.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
Sur le fondement du moyen :
5. En vertu de l’article 45, § 1er, 1°, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, tout assujetti peut déduire de la taxe dont il est redevable, les taxes ayant grevé les biens et les services qui lui ont été fournis, dans la mesure où il les utilise pour effectuer des opérations taxées.
Le régime des déductions vise à décharger entièrement l’assujetti du poids de la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée garantit, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quel que soit le but ou le résultat de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la taxe sur la valeur ajoutée.
Une des conditions de fond du droit à déduction implique dès lors que les services ou biens acquis soient utilisés pour les opérations taxées de l’assujetti en aval.
Lorsque l’achat d’un bien ou d’un service est fictif, il ne peut avoir un quelconque lien de rattachement avec les opérations de l’assujetti taxées en aval. C’est la raison pour laquelle aucun droit à déduction ne peut prendre naissance lorsque la réalisation effective de la livraison de biens ou de la prestation de services fait défaut (voir e.a. C.J.U.E, arrêt SGI et Valériane, 27 juin 2018, C 459/17 et C 460/17, point 36 ; C.J.U.E, arrêt EN.SA, 8 mai 2019, C-712/17). Il est inhérent au mécanisme de la taxe sur la valeur ajoutée qu’une opération fictive ne puisse ouvrir droit à aucune déduction de cette taxe.
6. L’article 20 de l’arrêté royal n° 1 du 29 décembre 1992 relatif aux mesures tendant à assurer le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée dispose :
« § 1er Par dérogation à l’article 51, § 1er, 1°, du code, le cocontractant de l’assujetti établi en Belgique qui effectue une des opérations indiquées au § 2, doit acquitter la taxe due en raison de cette opération lorsqu’il est lui-même un assujetti établi en Belgique et tenu au dépôt d’une déclaration visée à l’article 53, § 1er, alinéa 1er, 2°, du code, ou un assujetti non établi en Belgique qui a fait agréer un représentant responsable dans le pays conformément à l’article 55, § 1er ou § 2, du Code. Il acquitte la taxe de la manière prévue au § 4, ci-après.
[...]
§ 4 Le cocontractant visé au § 1er doit reprendre la taxe due en raison de ces opérations dans la déclaration relative à la période au cours de laquelle la taxe est due ».
7. En cas d’autoliquidation en application de l’article 20 précité de l’arrêté royal n° 1, l’assujetti doit également être en possession d’une facture pour pouvoir exercer le droit à déduction conformément à l’article 3, § 1er, 1°, de l’arrêté royal n° 3 du 10 décembre 1969.
8. S’agissant de l’autoliquidation, la Cour de justice des Communautés européennes a considéré dans son arrêt Bockemühl du 1er avril 2004 (C-90/02) que :
- lorsque l’administration fiscale dispose des données nécessaires pour établir que l’assujetti est, en tant que destinataire de la prestation en cause, redevable de la taxe sur la valeur ajoutée, elle ne peut imposer, en ce qui concerne le droit dudit assujetti de déduire cette taxe, d’autres conditions pouvant avoir pour effet d’empêcher l’exercice de ce droit ;
- lorsqu’un assujetti, en tant que destinataire de services, est désigné redevable de la taxe sur la valeur ajoutée y afférente, l’administration fiscale ne peut exiger comme condition supplémentaire ouvrant droit à déduction qu’il soit en possession d’une facture établie en conformité avec l’article 22, paragraphe 3, de la sixième directive. En effet, une telle exigence aurait pour conséquence qu’un assujetti soit redevable de la taxe sur la valeur ajoutée en tant que destinataire de services, tout en risquant de ne pas être en mesure de déduire cette taxe.
Dans son arrêt Idexx Laboratories Italia srl du 11 décembre 2014 (C-590/13), qui concernait également un cas d’autoliquidation, la Cour de justice de l’Union européenne a ajouté qu’il peut en aller autrement si la violation de telles exigences formelles avait pour effet d’empêcher d’apporter la preuve certaine que les exigences de fond ont été satisfaites (points 38 et 39).
Il s’ensuit que, en cas d’autoliquidation, les exigences de fond du droit à déduction doivent également être satisfaites et que, lorsque l’absence d’une facture régulière, en tant que condition formelle de l’exercice de ce droit, empêche d’apporter la preuve certaine que les exigences de fond ont été satisfaites, l’administration peut légalement refuser le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée en amont, même si l’assujetti a indiqué dans sa déclaration que la taxe sur la valeur ajoutée est due.
9. En ce qui concerne les factures émises par la s.p.r.l. Cars Construct, les juges d’appel ont considéré que :
- la défenderesse fait valoir à bon droit qu’en tant que destinataire des services, le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ne peut lui être refusé sur la base de la seule constatation que les factures émises par son prestataire de services ne comportent pas les données nécessaires permettant l’exercice d’un contrôle suffisant, de sorte qu’il « n’est peut-être même pas établi que les services facturés ont été réellement fournis » ;
- il n’est pas contesté que « la [défenderesse] a traité dans ses déclarations à la taxe sur la valeur ajoutée les factures en cause selon les formalités en vigueur (ce qui implique que la taxe sur la valeur ajoutée a été indiquée à la fois comme étant due et déductible) » ;
- dans les circonstances données, la défenderesse ne peut, s’agissant de ces factures, se voir refuser le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée.
S’agissant des factures émises par la s.a.r.l. Le Logis Wallon, les juges d’appel ont également considéré que :
- la défenderesse ne peut se voir refuser le droit à déduction « sur la base du principe de neutralité » et dès lors qu’« elle a accompli les formalités » ;
- le droit à déduction a été rejeté à tort « compte tenu de ce qui a été admis précédemment au chapitre 3.3.1.3.1, par référence à la jurisprudence de la Cour de justice dans l’affaire Bockemühl ».
Les juges d’appel sont parvenus à la même conclusion en ce qui concerne les factures émises par Barone Rocco (BRM).
10. Les juges d’appel, qui ont constaté que les factures ne comportaient pas les données nécessaires permettant l’exercice d’un contrôle suffisant, de sorte qu’il « n’est peut-être même pas établi que les services facturés ont été réellement fournis », mais qui ont considéré que la défenderesse ne pouvait se voir refuser le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée en amont, n’ont pas légalement justifié leur décision.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il dit pour droit que la contrainte doit être réduite de 67.739,91 euros, avec recalcul correspondant des intérêts et de l’amende proportionnelle, en tant qu’il ordonne au demandeur de rembourser à la défenderesse le trop-perçu éventuel, à majorer des intérêts moratoires, et en tant qu’il statue sur les dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel d’Anvers.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Eric Dirix, président, et les conseillers Bart Wylleman, Koenraad Moens, François Stévenart Meeûs et Sven Mosselmans, et prononcé en audience publique du vingt-neuf janvier deux mille vingt et un par le président de section Eric Dirix, en présence de l’avocat général Johan Van der Fraenen, avec l’assistance du greffier Vanity Vanden Hende.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Marie-Claire Ernotte et transcrite avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1n - eerste kamer
Numéro d'arrêt : F.19.0009.N
Date de la décision : 29/01/2021
Type d'affaire : Droit fiscal

Analyses

En cas d'autoliquidation, les exigences de fond du droit à déduction doivent également être satisfaites; lorsque l'absence d'une facture régulière, en tant que condition formelle de l'exercice de ce droit, empêche d'apporter la preuve certaine que les exigences de fond ont été satisfaites, l'administration peut légalement refuser le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée en amont, même si l'assujetti a indiqué dans sa déclaration que la taxe sur la valeur ajoutée est due.

TAXE SUR LA VALEUR AJOUTEE - Autoliquidation - Facture irrégulière - Preuve que les conditions de fond du droit à déduction sont satisfaites - Condition [notice1]

Lorsque l'achat d'un bien ou d'un service est fictif, il ne peut avoir un quelconque lien de rattachement avec les opérations de l'assujetti taxées en aval; c'est la raison pour laquelle aucun droit à déduction ne peut prendre naissance lorsque la réalisation effective de la livraison de biens ou de la prestation de services fait défaut.

TAXE SUR LA VALEUR AJOUTEE - Transaction fictive - Droit à déduction de la taxe payée en amont [notice2]


Références :

[notice1]

A.R. n° 1 du 29 décembre 1992 - 1 - 29-12-1992 - Art. 20 - 48 / No pub 1992003823 ;

L. du 3 juillet 1969 créant le Code de la taxe sur la valeur ajoutée - 03-07-1969 - Art. 45, § 1er - 32

[notice2]

A.R. n° 1 du 29 décembre 1992 - 1 - 29-12-1992 - Art. 20 - 48 / No pub 1992003823 ;

L. du 3 juillet 1969 créant le Code de la taxe sur la valeur ajoutée - 03-07-1969 - Art. 45, § 1er - 32


Composition du Tribunal
Président : DIRIX ERIC
Greffier : VANDEN HENDE VANITY
Ministère public : VAN DER FRAENEN JOHAN
Assesseurs : VAN VOLSEM FILIP, WYLLEMAN BART, MOENS KOENRAAD, STEVENART MEEUS FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-01-29;f.19.0009.n ?

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